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Updated: 1 week 22 hours ago

Les leçons du "Goulardgate"

Tue, 10/15/2019 - 19:59

La réaction d’Emmanuel Macron au «Goulardgate» a bien fait rigoler à Bruxelles : il fallait oser charger Ursula von der Leyen, la présidente désignée de la Commission, dans le choix malheureux («Je lui ai dit attention, il y a des polémiques»), puis la déroute de Sylvie Goulard («Je ne comprends pas, elle m’avait assuré qu’il n’y avait aucun problème !») D’une part, parce que le choix d’un commissaire est une compétence souveraine des Etats, même s’il peut y avoir des discussions avec le président de l’exécutif européen. D’autre part, parce que le président de la République semble découvrir que ni la Commission ni les Etats membres ne donnent d’ordre au Parlement européen.

Instabilité

Cette réaction jugée infantile par beaucoup s’explique par «le rude coup porté à l’autorité et au prestige» d’Emmanuel Macron, selon les mots d’un diplomate européen, «puisqu’il n’a même pas été capable d’imposer son commissaire», un fait sans précédent pour la France. «Après la première audition catastrophique, il aurait dû retirer Goulard. Mais il a préféré tenter l’épreuve de force avec le Parlement, ce qui est une erreur. Même Viktor Orban, qui a vu son candidat rejeté pour des raisons purement idéologiques, ne l’a pas fait», poursuit ce même diplomate. Le chef de l’Etat n’a pas compris la dynamique interne du Parlement qu’il a pourtant lui-même contribué à créer en mettant fin au duopole PPE (conservateurs)-socialistes.

Désormais, il faut réunir une majorité non plus formée de deux groupes politiques comme c’était le cas depuis 1979, mais de trois, voire quatre, ce qui est infiniment plus complexe, d’autant qu’il y a une déperdition naturelle, la discipline de vote n’existant pas à Strasbourg. A cela s’ajoute un taux de renouvellement élevé : 63% des eurodéputés ont été élus pour la première fois en mai dernier et ils ont soif de montrer leur indépendance vis-à-vis des Etats. En clair, le Parlement est devenu plus instable, plus incontrôlable qu’auparavant.

Hubris

Le groupe «Renew Europe» (RE), celui où siègent les députés LREM, dans ce contexte hautement explosif, a pris un «risque insensé», selon l’expression d’un haut fonctionnaire, en participant à la chute des commissaires hongrois et roumain : dès lors qu’un PPE et un socialiste avaient mordu la poussière, cela ouvrait la porte à une mesure de rétorsion contre RE. Et comme Macron a choisi une candidate faible, car plombée par des affaires, la foudre s’est abattue sur Sylvie Goulard. Comment Paris pouvait sérieusement penser que l’intégrité exigée des ressortissants d’Europe de l’Est ne le serait pas pour l’Europe de l’Ouest ? La «paix des braves» envisagée par la direction des groupes PPE et socialistes n’a pas tenu face à la révolte des députés de l’Est et du Nord face à ce double standard.

Bref, Emmanuel Macron a payé cash son hubris et son incompréhension de l’europarlement. Les conséquences de ce faux pas sont incalculables : le Parlement a pris conscience de sa force vis-à-vis des Etats et de la Commission dont l’autorité sort durablement amoindrie du «Goulardgate».

Categories: Union européenne

Sylvie Goulard, la dépitée européenne

Sun, 10/13/2019 - 19:26

C’est une première pour la France et elle est douloureuse : Sylvie Goulard, commissaire européenne désignée par Emmanuel Macron, a été recalée, jeudi après-midi, par les eurodéputés à une écrasante majorité. Tous les groupes politiques ont voté contre elle, à l’exception de sa famille politique, Renew Europe (RE), où siègent les députés LREM. Ils ont estimé l’affaire des assistants parlementaires supposés fictifs du Modem, toujours en cours d’instruction, et surtout les quelques 350000 euros versés entre fin 2015 et début 2016 par la fondation Berggruen pour un travail largement fictif alors même qu’elle était députée européenne interrogeaient a minima sur son intégrité. Le chef de l’Etat va devoir rapidement présenter une nouvelle candidate, à l’instar de la Hongrie et de la Roumanie qui ont vu, elles aussi, leur commissaire rejeté pour des conflits d’intérêts.

Vers un compromis

La matinée de jeudi avait pourtant plutôt bien commencé pour celle qui devait prendre en charge le méga portefeuille du marché intérieur, de l’industrie, du numérique, de la défense et de l’espace. Convoquée à 9h30 pour une seconde audition d’une heure et demie, elle s’est montrée beaucoup plus sûre d’elle-même que lors de son premier passage, le 2 octobre : sonnée par les questions des députés des commissions parlementaires du marché intérieur et de l’industrie qui, tous groupes et toutes nationalités confondus, l’ont cuisiné durant 3 heures sur ses casseroles, elle avait rapidement perdu pied. Les députés ont alors décidé de lui envoyer un second jeu de questions écrites auxquelles elle a répondu mardi. Ce qui n’a pas suffi à les convaincre : ils l’ont donc convoqué pour une seconde audition, un traitement auquel n’a eu droit qu’un autre commissaire désigné, le Polonais Janusz Wojciechowski, qui s’était montré particulièrement mauvais devant la commission agriculture.

Cette fois, l’essentiel des interrogations a porté sur les dossiers que devra gérer Sylvie Goulard, un exercice qu’elle maitrise parfaitemetn. Les affaires n’ont cependant pas été oubliées. Pour les députés il reste incompréhensible qu’elle ait démissionné de ses fonctions de ministre de la Défense en juin 2017 parce qu’une enquête préliminaire avait été ouverte sur le rôle réel des assistants parlementaires locaux des députés européens du Modem et, alors que l’affaire n’est toujours pas close, qu’elle accepte de devenir commissaire européen. « Pourquoi ne pas appliquer les standards français au niveau européen », s’est ainsi interrogé le Bulgare Andrey Kovatchev (PPE, conservateur) ?

Sylvie Goulard explique que sa « situation juridique » est différente puisque depuis deux ans, elle n’a toujours pas été mise en examen et qu’elle a remboursé sur ses propres deniers les 45.000 euros contestés par le Parlement européen. Et si elle refuse de s’engager à démissionner au cas où elle serait mise en examen, c’est parce que cela mettrait en péril l’indépendance de la Commission : il suffirait qu’un État membre dans lequel la justice n’est pas totalement indépendante poursuive un commissaire pour le pousser vers la sortie.

Le sparadrap Berggruen

Plusieurs députés sont aussi revenus sur son travail pour le think tank Berggruen, un organisme financé par le patron d’un fonds de recouvrement, Nicolas Berggruen, un homme qualifié de « financier vautour » par Forbes, un magazine américain. Payée entre 10 et 13000 euros brut par mois pour une somme totale d’environ 350000 euros, Sylvie Goulard n’est pas parvenue, ni lors de ses auditions ni dans ses réponses écrites, à dissiper l’impression qu’il s’agissait d’un emploi fictif. Virginie Joron (RN) lui a donc demandé de produire le contrat de conseil signé avec Berggruen, ses lettres de missions, si les autres personnes travaillant avec elle, notamment le député européen Guy Verhosfstadt (libéral belge), étaient aussi payés, etc. Sylvie Goulard a refusé de s’engager sur ce terrain, se contentant de répéter qu’il ne fallait pas « réduire un combat d’une vie » pour l’Europe à deux ans de travail pour Berggruen. Plusieurs eurodéputés se sont fait un plaisir de rappeler ses nombreux plaidoyers pour que l’on n’envoie à Bruxelles que des « personnes irréprochables ».

Les élus conservateurs du PPE et les socialistes s’inquiétant à plusieurs reprises du périmètre extrêmement large du portefeuille de la Française qui pourrait sans problème être réparti entre quatre commissaires, il semblait que l’on se dirigeait vers un compromis : une confirmation avec un redécoupage de son portefeuille. En particulier, les Allemands souhaitaient que le numérique et l’audiovisuel reviennent à la Bulgare Mariya Gabriel. Il faut dire que les gouvernements se sont mobilisés pour sauver le soldat Goulard, comme l’a dénoncé François-Xavier Bellamy : « des pressions ont été exercées sur beaucoup de nos collègues en provenance des chefs d’État et de gouvernement pour écarter (nos) interrogations ».

Les eurodéputés PPE de l’Est et du Nord posent leur véto

Mais tout a basculé lors d’une réunion du groupe PPE qui a des comptes à régler avec Emmanuel Macron : il lui reproche d’avoir tué le système des Spitzenkandidaten imposé en 2014 par le Parlement européen et qui veut la tête de la liste arrivée en tête des élections européennes devienne automatiquement président de la Commission. Certes, la présidente élue, l’Allemande Ursula von der Leyen appartient au PPE, mais pour le groupe c’est son compatriote Manfred Weber, qui dirige le groupe PPE, qui aurait dû être désigné. Tuer sa candidate serait donc une revanche. Mais ce qui a fait basculer le PPE, c’est le risque de voir l’investiture de l’ensemble de la commission von der Leyen refusé le 23 octobre : « les pays du nord, pour des raisons éthiques, et ceux de l’Est, parce que si Goulard avait été Roumaine ou Bulgare, elle aurait dégagé dans la seconde, ont menacé de voter contre la commission. Mieux vaut donc une bataille avec Macron qu’une scission de l’Union entre l’est et l’ouest et une crise institutionnelle grave », raconte une source du PPE.

Dans la foulée, les socialistes l’ont alors lâché de peur de se retrouver isolé, à l’image de tous les autres groupes politiques, sauf bien sûr RE. Résultat : les commissions réunies du marché intérieur et de l’industrie ont voté contre son investiture par 82 voix contre 29…

Macron humilié

C’est donc une défaite en rase campagne pour le chef de l’État : impérial en juillet après avoir obtenu les nominations qu’il souhaitait aux plus hautes fonctions de l’Union (présidence du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, de la Commission, de la Banque centrale européenne et ministre des Affaires étrangères), il se retrouve affaibli pour avoir cru que le Parlement européen se plierait à sa volonté. Il n’a pas compris que la fin du condominium conservateurs-socialistes qui dominait la vie parlementaire depuis 1979 - et qu’il souhaitait- a rendu l’Assemblée imprévisible. Il a aussi surestimé son propre poids politique. Une leçon de modestie pour le chef de l’État et un Parlement qui s’affirme comme un acteur majeur de la vie politique européenne.

Categories: Union européenne

Ursula von der Leyen, la bulle dans la bulle

Wed, 10/09/2019 - 20:37

Vous ne risquez pas de croiser Ursula von der Leyen dans les rues de Bruxelles. La présidente désignée de la Commission européenne a, en effet, décidé de s’enfermer jours et nuits dans le bunker du Berlaymont, le nom du bâtiment en étoile où se trouvent notamment les bureaux des 27 commissaires. Comme je l’avais annoncé le 16 septembre, elle a bien décidé de se faire installer un studio de 25 m2 contigüe à son bureau du 13ème étage pour y vivre. Elle ne quittera donc le bâtiment que pour ses voyages officiels ou pour rentrer le week-end à Hanovre retrouver sa famille… On a connu plus ouvert sur le monde.

Jusqu’à présent, les responsables européens vivaient en ville (Jean-Claude Juncker avait opté pour une petite suite dans un hôtel) tout comme les fonctionnaires ou les députés, la tradition des logements de fonction étant étrangère à l’Union. Celle-ci a préféré depuis sa création verser à ses dirigeants des indemnités de résidence. Ainsi, le président de la Commission, qui est déjà confortablement payé 27.903,32 euros brut par mois (soumis à l’impôt communautaire), reçoit en plus une indemnité mensuelle de 4.185,50 euros et une autre pour ses menus frais de 1.418,07 euros.

Jacques Delors, en son temps, avait refusé que les autorités belges lui « reconstruisent » un hôtel particulier signé Horta qu’elles avaient démontées et conservées dans la banlieue bruxelloise pour faire place à la furie de la spéculation immobilière locale. Pour cet ancien président de la Commission (1985-1995), il n’était pas question de se couper du monde extérieur. D’ailleurs, on pouvait le croiser régulièrement dans les restaurants bruxellois, dont le Poux qui tousse…

Autant dire que le choix de von der Leyen fait tousser, justement, à Bruxelles, l’argument de la sécurité ou du trafic avancé par son entourage ne tenant guère : ses prédécesseurs ont tous survécu à la vie bruxelloise et rien ne l’oblige à vivre à dix kilomètres de la Commission. L’Europe, c’est déjà une « bulle » largement coupée des réalités. Mais s’enfermer 24 heures sur 24 dans l’atmosphère climatisée et aseptisé du Berlaymont, c’est créer une bulle dans la bulle. Cette décision est d’autant plus hallucinante que le bâtiment n’a pas été conçu pour y vivre : les fenêtres ne peuvent que s’entr’ouvrir à cause de la climatisation, il n’y a ni balcon, ni espace vert. En outre, il n’est pas possible d’y cuisiner pour des questions de sécurité, sauf dans les espaces dédiés des salles de restaurant du 13ème étage, ce qui semble signifier que von der Leyen aura recours au service des cuisiniers de l’institution…

De même, il n’y a qu’une entrée hyper sécurisée qui est généralement fermée la nuit. La présence permanente de la présidente va imposer du personnel de sécurité supplémentaire en dehors des simples gardiens de nuit pour ne pas l’enfermer dans le bâtiment si jamais il lui prend l’envie d’aller se dégourdir les jambes, de se faire livrer une pizza (le livreur n’aura pas accés au bâtiment, bien évidemment), voire d’aller diner en ville, sait-on jamais… Jusqu’à présent, les commissaires se débrouillaient seuls pour se faire la cuisine et les gardes de sécurité n’étaient pas obligés de rester la nuit.

On imagine que le budget de l’Union européenne sera mis à contribution pour financer les travaux, le recours aux cuisiniers et la sécurité, mais qu’elle renoncera en contrepartie à son indemnité de logement. Mais, en première analyse, le recours à du personnel supplémentaire coûtera plus cher au contribuable.

Cet enfermement inquiète les eurocrates qui commence à se demander s’ils n’ont pas à faire une personnalité souriante à l’extérieur, mais paranoïaque à l’intérieur, une sorte de Docteur Jekyll and Mister Hyde. Un haut fonctionnaire de la Commission n’y va pas par quatre chemins : « elle est dingue de s’enfermer ainsi dans ce bâtiment inhumain ». Ses collaborateurs directs seront soumis à une pression terrible, puisque la présidente sera par définition toujours la première et toujours la dernière au bureau. Déjà, cette femme matinale exige une revue de presse à 7h30 alors que Jean-Claude Juncker se contentait de la recevoir à 10 heures Entrer dans son cabinet, ce sera signer pour 5 ans sans voir le soleil. L’entre soi qui s’annonce ne va pas améliorer l’image déjà dégradée de la Commission.

Categories: Union européenne

Sylvie Goulard, une femme sous influence?

Sun, 10/06/2019 - 11:45

Le calvaire de Sylvie Goulard se poursuit. Non seulement les députés européens n’ont pas été convaincus des capacités de la candidate proposée par Emmanuel Macron à occuper le poste de commissaire européen au marché intérieur, à l’industrie, au numérique, à la défense et à l’espace, mais ils persistent à mettre en cause son intégrité. Le second jeu de questions écrites qu’ils lui ont adressé ce vendredi à la suite de son audition, mercredi après-midi, contient en effet des accusations particulièrement graves. Au point que plusieurs de ses amis politiques du groupe « Renew Europe » (RE) souhaitent même, sans trop y croire, que le Président français « débranche » rapidement celle qui apparait comme irrémédiablement éclopée et envoie quelqu’un d’autre à Bruxelles.

Car, contrairement à ce qu’a affirmé sur Cnews Amélie de Montchalin, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, les questions sur les casseroles que traine la vice-gouverneur de la Banque de France et ancienne ministre de la défense n’on pas émané des seuls rangs LR et RN : d’ailleurs, tous les groupes politiques du Parlement, à l’exception de « Renew Europe » (RE), le groupe où siège LREM, ont voté contre son investiture. Mais elle n’a pas été définitivement recalée. Goulard a jusqu’à mardi pour répondre à 11 pages de questions supplémentaires portant tant sur la façon dont elle va gérer son portefeuille, ce qui montre que même dans ce secteur du jeu elle est passé à côté de son audition, que sur son intégrité. Si elle ne parvient pas à convaincre deux tiers des membres des commissions parlementaires du marché intérieur et de l’industrie, un nouvelle audition publique sera organisée jeudi prochain. Et là, elle a une chance de passer, car il suffira alors d’un vote à majorité simple, ce qui ne sera pas la plus brillante des manières de se qualifier : elle risque d’être la seule à ne pas avoir été adoubée par une majorité des deux tiers…

Les eurodéputés exigent notamment de savoir quelle a été son activité précise au service du think tank américain Berggruen, qui apparait comme l’affaire la plus gênante pour la candidate de la France. Il faut dire qu’elle lui a facturé, entre fin 2013 et et fin 2016, une somme globale d’environ 350.000 euros bruts alors qu’elle était en même temps députée européenne. La question n’est pas neutre : Goulard suivait notamment au Parlement les dossiers financiers et bancaires alors que Nicholas Berggruen, qui finance le think tank qui porte son nom, dirige un fonds de recouvrement souvent qualifié de « fonds vautour », car il rachète des dettes impayées pour une bouchée de pain et se charge d’obtenir leur paiement par le débiteur indélicat. Or, contrairement à ce qu’affirmait mercredi Goulard, elle aurait bien eu accès à des informations confidentielles durant son mandat qui auraient pu intéresser son employeur américain. Les eurodéputés lui demandent donc une nouvelle fois si elle avait connaissance du caractère confidentiel de ces informations et si elle les a partagé avec Berggruen. De même, est-il exact, comme l’affirme l’hebdomadaire Marianne, qu’elle a fait travailler ses assistants parlementaires pour ce think tank, ce qui serait un détournement de fonds européens ? Autre question gênante : a-t-elle servi ensuite d’intermédiaire avec Macron, Berggruen étant l’un des contributeurs de sa campagne électorale… Une façon de sous-entendre que le chef de l’Etat paye une dette en l’envoyant à Bruxelles.

Les députés se demandent aussi pourquoi Berggruen a fait activement campagne auprès d’eux pour qu’ils valident sa candidature : n’est-ce pas là le signe que Sylvie Goulard, dans ses futures activités, ne sera pas totalement indépendante de son ami dont les intérêts financiers ne sont pas forcément ceux de l’Union européenne ? Savait-elle que Berggruen n’avait pas que des activités philantropiques en Europe, comme elle l’a affirmé mercredi, mais qu’il était propriétaire de la chaine de distribution Karstadt en Allemagne ?

« Ces questions sont de la dynamite », juge un responsable politique français. Car on voit mal ce qui va rester de l’autorité de Sylvie Goulard si elle survit à l’exercice. La France peut-elle se permettre d’avoir une commissaire gravement affaiblie dès le début de son mandat ?

Categories: Union européenne

Sylvie Goulard : Commission impossible

Fri, 10/04/2019 - 09:31

Sylvie Goulard a été durement secouée par les députés européens lors de son audition, mercredi après-midi, à Bruxelles. La commissaire désignée par la France, qui doit hériter du méga portefeuille du marché intérieur, de l’industrie, du numérique, de la défense et de l’espace, a été longuement cuisinée par tous les groupes politiques, sauf ceux de « Renew Europe » (RE), sa famille politique où siègent les élus de LREM, tant sur l’affaire des assistants parlementaires du Modem et que sur les quelques 350 000 euros qu’elle a perçu du think tank américain Berggruen entre 2013 et 2016 alors qu’elle était eurodéputée.

Regrets

D’abord droite dans ses bottes, elle a fini par céder après plus d’une heure de feu roulant, physiquement éprouvée, en reconnaissant avoir fait des « erreurs », notamment en acceptant de travailler pour Berggruen : « J’y ai vu certains aspects intéressants, y compris certains aspects pécuniaires personnels, et j’ai eu tort (…) J’ai pu heurter des sensibilités, je le perçois mieux après vos questions ». Un acte de contrition qui ne suffira sans doute pas pour obtenir un feu vert du Parlement qui prendra sa décision jeudi soir. Au mieux, un feu orange.

Personne ne comprend à Bruxelles pourquoi Emmanuel Macron a pris le risque d’envoyer une candidate, certes compétente (diplomate, écrivaine, députée européenne entre 2009 et 2017) et multilingue (allemand, anglais et italien), mais qui traine des casseroles qui l’ont contrainte à démissionner de son poste de ministre de la Défense en juin 2017, à peine un mois après y avoir été nommée. Surtout alors qu’une partie des eurodéputés en veulent au chef de l’État d’avoir tué, en juin dernier, le système des Spitzenkandidaten qui voulait que la tête de la liste arrivée en tête aux élections européennes devienne automatiquement président de la Commission. C’est d’ailleurs pour cela que la conservatrice allemande Ursula von der Leyen, sa candidate pour diriger l’exécutif européen, n’a obtenu qu’une très courte majorité le 16 juillet lors du vote de confirmation du Parlement (383 contre 327). Autrement dit, la tentation de la revanche est forte d’où la nécessité d’envoyer à Bruxelles quelqu’un d’inattaquable. C’est d’ailleurs pourquoi tout l’entourage et les amis d’Emmanuel Macron ont essayé de le décourager de désigner Goulard, d’autant qu’il l’avait déjà recasé comme sous-gouverneur de la Banque de France, l’un des plantureux fromages de la République.

Equilibre de la terreur

En nommant Goulard, parie sur l’équilibre de la terreur puisque les conservateurs du PPE et les socialistes n’ont pas la majorité à eux deux pour la première fois depuis 1979. Autrement dit, ils ont besoin de RE pour valider leurs propres candidats et surtout ensuite atteindre la majorité absolue nécessaire à l’adoption des textes législatifs. Mais pour le Parlement, la valider en dépit de ses casseroles, c’est offrir une nouvelle victoire au Président français contre le Parlement qui, de plus, sortira affaibli de l’exercice puisque son contrôle sur la nomination des commissaires apparaitra comme de pures formes.

Finalement, les eurodéputés des commissions parlementaires du marché intérieur et de l’industrie ont décidé de jouer leur rôle en se montrant particulièrement tenaces. Comme l’a fait remarquer sèchement la sociale-démocrate allemande Évelyne Gebhardt, vétérante du Parlement, « je ne comprends pas que ce qui vous empêche d’être ministre en France ne vous empêche pas d’être commissaire ». Et c’est peut dire que Sylvie Goulard n’a pas su se montrer convaincante. Sur l’affaire de son assistant local, Stéphane Thérou, aujourd’hui employé à la mairie de Pau dirigée par François Bayrou, elle a expliqué qu’elle avait décidé de s’en séparer, car elle n’en avait pas l’utilité, mais qu’elle lui a laissé plusieurs mois pour se retourner, ce qu’elle n’aurait pas dû faire : « c’était une procédure amiable qui a duré plus longtemps que prévu ». En effet, durant cette période, il était toujours payé par le Parlement européen alors qu’il travaillait pour le Modem. Sur demande du Parlement, elle a remboursé de sa propre poche les 45 000 euros (charges comprises) correspondant à la partie contestée de son activité, un argent qu’elle n’a pas touché a-t-elle précisé.

«Je me sens à l’aise»

Mais, si l’affaire est aussi microscopique qu’elle l’affirme, on ne comprend pas pourquoi elle s’est sentie obligée de démissionner de son poste de ministre entrainant avec elle François Bayrou et Marielle de Sarnez, comme l’a fait remarquer François-Xavier Bellamy (LR, PPE) : « il y une pratique qui s’est développé en France » qui impose la démission, mais, rappelle-t-elle, « je n’ai à ce jour pas été mis en examen ». Elle affirme aussi ne pas avoir voulu peser sur les activités de son ministère. En revanche, « dans les institutions européennes, un tel usage n’existe pas », même si la justice française reste saisie tout comme l’Office antifraude de l’Union, l’OLAF : « je me sens à l’aise ». Mais les députés lui font remarquer que son dossier n’étant pas clôt, elle risque aussi de nuire à la Commission et donc que ce qui vaut pour Paris vaut pour Bruxelles… La socialiste danoise Christel Schaldemose en profite pour lui rappeler que, alors qu’elle menait la charge en 2014 contre le commissaire français désigné, le socialiste Pierre Moscovici, elle avait clamé : « il ne faut accepter que des personnalités incontestables, sinon les opinions publiques nous le reprocheraient ». Goulard se défend : « Je ne visais pas son intégrité, mais sa gestion des finances publiques ». Elle refuse aussi de dire si elle démissionnera si elle est mise en examen…

13000 euros par mois

Sur Berggruen, la charge est menée par le vert tchèque, Marcel Koloja. Les explications sont là aussi vaseuses : 13 000 euros par mois, « je conçois que ces sommes soient élevées, mais ce sont les standards internationaux ». Bref, rien de choquant et encore moins d’illégal, selon elle puisque le Parlement n’interdit pas le cumul d’activités et qu’elle a déclaré ces sommes. Pour elle, travailler pour ce think tank proeuropéen était un moyen de « poursuivre mes activités par d’autres moyens » et de « rencontrer les grands de ce monde ». Mais elle ne donne aucune précision sur ses activités. La lettre envoyée par la fondation Berggruen au Parlement la semaine dernière pour justifier sa rémunération reste tout aussi vague. Pire, elle affirme qu’elle ne connaissait pas l’activité professionnelle de Nicholas Berggruen, l’homme qui finance le think tank qui la rémunérait, alors qu’une simple recherche sur le net permet de savoir qu’il est qualifié de « financier vautour » : il dirige, en effet, un fonds de recouvrement qui se spécialise dans la récupération de dettes impayées (comme la dette argentine). Ce qui aurait dû l’inciter à la prudence. «J’espère que vous allez évaluer une personne avec son parcours, ses forces, avec ses erreurs aussi, je l’admets (...) Mais j’invoque la présomption d’innocence», a plaidé Goulard.

Sans doute en vain : il est douteux que les commissions du marché intérieur et de l’industrie lui donnent, jeudi soir, leur feu vert : le PPE a déjà fait savoir qu’il n’était pas satisfait, tout comme les Verts, la GUE, les europhobes d’ID et les socialistes devraient suivre. Or il faut deux tiers des voix pour qu’une candidature soit validée. Quatre options sont possibles et elles ne sont pas exclusives l’une de l’autre : soit un rejet, soit un nouveau jeu de questions écrites, soit une nouvelle audition, soit, enfin, un redécoupage de son portefeuille pour la priver des dossiers les plus sensibles. Quoi qu’il en soit, Sylvie Goulard sortira de cet exercice en lambeaux, tout comme son mentor Emmanuel Macron.

Categories: Union européenne

Union européenne: vent de révolte contre le tout anglais

Thu, 10/03/2019 - 12:54

Le décès de Jacques Chirac vient juste d’être annoncé ce jeudi matin.Lors du point de presse quotidien, la porte-parole de la Commission, la Bulgare Mina Andreva, présente les condoléances de son institution et de son président Jean-Claude Juncker, ce qui est normal. Mais, à la surprise générale, elle le fait en anglais ! Pourtant, elle parle parfaitement français, la langue de Molière est la seconde langue de la salle de presse, l’anglais, le français et l’allemand sont les langues de travail de la Commission et les 24 langues de l’Union ont le statut de langue officielle… Viendrait-il à l’idée de la Commission de présenter ses condoléances en français à la suite du décès d’un ancien premier ministre britannique ou d’un ancien chancelier allemand ? Évidemment non.

Cet impair est révélateur des dérives auxquelles mène le monolinguisme anglophone qui règne au sein des institutions communautaires : désormais, on ne rend même plus compte qu’on s’adresse à un peuple dans une langue qu’il ne comprend pas et qu’il n’a pas à comprendre, l’anglais.

Cette domination brutale est à la fois le fruit de l’élargissement, cette langue, ou plutôt sa déclinaison appauvrie le globish, étant le plus petit dénominateur commun, mais aussi d’une volonté d’une partie de l’appareil administratif européen. Ainsi, le secrétaire général du Conseil des ministres, le Danois Jeppe Tranholm-Mikkelsen, vient de donner instruction à ses services, dont la plupart des membres parlent parfaitement français, de n’envoyer que des notes en anglais au nouveau président du conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, le Belge Charles Michel, un francophone….

Cet unilinguisme de facto, puisque personne n’en a jamais discuté, est de plus en plus mal ressenti par les fonctionnaires européens eux-mêmes qui ont sans doute pris pour argent comptant la devise de l’Union : « uni dans la diversité ». Un groupe d’eurocrates de toutes nationalités vient ainsi de lancer une pétition adressée à la nouvelle présidente de la Commission, l’Allemande Ursula von der Leyen réputée polyglotte, afin de défendre le français et plus largement le multilinguisme.

Si on les lit, la situation est proche d’une politique discriminatoire, puisqu’ils en sont à réclamer le droit « d’utiliser le français sans nous cacher et sans nous excuser ». Pour ces fonctionnaires, « le monolinguisme anglais nous bride dans nos moyens d’expression », d’autant que la qualité de cette langue ne cesse de se dégrader, le nombre d’anglophones de naissance étant particulièrement faible au sein des institutions, une situation que le Brexit ne va pas améliorer. Ils démontrent à quel point l’anglais ne s’est pas imposé comme par miracle, mais parce que quelques personnes bien placées dans l’appareil administratif en ont décidé ainsi. Les signataires demandent donc à von der Leyen de proclamer le droit de chacun à s’exprimer dans l’une des trois langues de travail et de promouvoir le multilinguisme. Bref, d’appliquer tout simplement l’un des droits fondamentaux de l’Union.

TEXTE DE LA LETTRE OUVERTE

Madame la Présidente,

Votre arrivée à la tête de la Commission européenne et votre profil multilingue nous remplit d’espoir. Nous sommes un groupe de fonctionnaires européens dont le cœur se serre en constatant qu’il nous faille aujourd’hui en appeler à la plus haute autorité pour exercer notre droit le plus simple:

NOUS VOULONS AVOIR LE DROIT DE TRAVAILLER EN FRANÇAIS (ET DANS D’AUTRES LANGUES)!

Tout d’abord, nous souhaitons souligner que notre groupe rassemble des fonctionnaires de toutes nationalités, y compris non francophones de naissance. Nous avons constaté que le monolinguisme anglais nous bride dans nos moyens d’expression et nous souhaitons notamment pouvoir utiliser le français sans nous cacher et sans nous excuser.

LE CONSTAT EST TERRIBLE, et sans vouloir nous répandre, rappelons simplement quelques faits simples:

- Par le passé, à l’exception de ceux dont c’était la langue maternelle, chacun parlait plusieurs langues. Avec l’usage généralisé exclusif de l’anglais, chacun ne semble plus capable de travailler qu’en une seule langue, sans que la qualité de l’anglais se soit pour autant améliorée. Bien au contraire, le faible nombre d’anglophones de naissance dans notre environnement professionnel conduit à une dégradation de l’anglais utilisé, qui déteint même sur les anglophones. De manière générale, l’usage exclusif de l’anglais conduit à un nivellement par le bas, chacun étant forcé de se conformer au plus petit dénominateur commun, ce qui en retour affaiblit, par manque de pratique, la maîtrise des autres langues. L’objectif d’une plus grande proximité entre l’Union européenne et les citoyens restera une illusion si les fonctionnaires européens ne sont pas en mesure de travailler, de s’exprimer et de lire couramment dans plusieurs langues.

- Les pages internet de la Commission sont dans leur immense majorité exclusivement en anglais, ainsi que les outils de communication institutionnelle (vidéos, affiches, dépliants), qui semblent plus s’adresser à une élite internationalisée et qu’aux citoyens avant tout tournés vers un espace public dans leur langue maternelle. Il en est de même pour la communication sur les réseaux sociaux (Facebook Twitter). Il est d’ailleurs rare que la Journée européenne du multilinguisme fasse l’objet d’une communication multilingue. Malheureusement, la présentation du collège, le 10 septembre dernier, n’a pas échappé à la règle: discours monolingue, documents (notamment les lettres de mission) et graphiques en anglais...

- A quelques rares exceptions, les briefings (le concept même n’existe plus en français) sont rédigés exclusivement en anglais, y compris parfois lorsque les deux interlocuteurs sont francophones.

- Lors des réunions au Parlement ou au Conseil, les représentants de la Commission semblent tenus de s’exprimer en anglais alors même qu’ils disposent de l’interprétation simultanée, préférée des interprètes.

- L’usage exclusif de l’anglais dans notre travail quotidien empêche souvent nos collègues de conceptualiser dans une autre langue, fût-elle leur langue maternelle, ce qui nuit à leur bonne communication.

- Même lorsque l’ensemble de la hiérarchie est francophone, nous recevons comme instruction orale de ne pas produire de documents (documents de travail des services, notes internes, projets législatifs ou projets de communications) dans d’autres langues que l’anglais. Ainsi le Secrétariat Général ne dispose-t-il pas de modèle de document de travail des services en français. L’obligation de fournir à la Direction générale de la traduction des documents dans une seule langue interdit de facto le travail multilingue, y compris pour les documents de travail des services qui ont par définition en principe un usage interne.

- Le service juridique de la Commission dépense une énergie considérable à travailler de plus en plus en anglais avec les différentes Directions générales alors qu’il pourrait légitimement n’utiliser que la langue de travail de la Cour de Justice de l’Union européenne, qui est le français.

- Les cahiers des charges pour les contrats cadre ou les appels d’offre sont presqu’exclusivement rédigés en anglais; et les rapports ou études commandées doivent presque toujours être fournies en anglais, ce qui limite le choix des prestataires, et favorise dans l’emploi l’usage d’experts anglophones natifs.

- Nos intranets sont très souvent exclusivement anglophones, ce qui décourage l’usage de tout autre langue. Il y a bien longtemps que Commission en Direct, notre lettre d’information interne, ne propose plus que des articles en anglais. Votre courriel adressé au personnel le 10 septembre n’était qu’en anglais, décourageant encore ceux qui voudraient utiliser d’autres langues. Il en va souvent de même des communications internes (courriels ou vidéos des Directeurs généraux).

- Certains services administratifs téléphoniques internes (PMO par exemple) n’offrent pas la la possibilité de répondre en français. Les enquêtes internes sont presque toujours exclusivement en anglais. Le service d’assistance informatique (IT Helpdesk) n’est disponible qu’en anglais (alors même que les agents qui y sont rattachés sont très souvent francophones).

- Les notes administratives internes sont très rarement en français.

En un mot, à l’heure où le Royaume-Uni se prépare à quitter l’Union européenne et où la langue anglaise ne correspond plus qu’à la langue maternelle d’une petite minorité de la population, la Commission utilise une langue qui est essentiellement devenue une langue tierce, et qui donne un avantage concurrentiel (économique et culturel) à des Etats tiers comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis.

NOUS DEMANDONS SIMPLEMENT LE DROIT DE NE PAS ETRE DISCRIMINES PARCE QUE NOUS VOULONS TRAVAILLER EN FRANÇAIS OU DANS D’AUTRES LANGUES.

Nous demandons

- le droit de rédiger des projets de communication, de documents de travail des services et des projets législatifs en français;

- le droit de passer des appels d’offres et de demander des rapports en français;

- le droit de communiquer sur les réseaux sociaux avec des matériaux graphiques et des vidéos en français;

- le droit de nous exprimer lors des réunions internes (groupes interservices, réunions d’unité, réunions de tout le personnel) en français sans être montrés du doigt ou susciter des soupirs exaspérés ou des haussements de sourcil;

- l’application du principe selon lequel un document ou un site internet qui n’est pas assez important pour être publié dans d’autres langues que l’anglais ne devrait pas être publié du tout;

- le développement d’outils (notamment de traduction automatique plus efficace) permettant de travailler quotidiennement de manière multilingue.

Face à l’inertie de l’administration, et à la pression sociale du monolinguisme, vous êtes notre dernier recours.

Nous vous demandons

- d’émettre une instruction interne rappelant notre droit d’utiliser au quotidien les langues procédurales;

- de demander à vos commissaires et aux Directeurs généraux de mettre en place une politique incitative du multilinguisme, en montrant eux-même l’exemple dans leur communication interne.

C’est avec cet espoir que nous vous prions, Madame la Présidente, d’accepter l’expression de notre considération respectueuse et dévouée.

Categories: Union européenne

Dacian Ciolos (RE): le contrôle du Parlement européen sur les commissaires désignés est limité

Wed, 10/02/2019 - 19:59

Dacian Ciolos, 50 ans, l’ancien Premier ministre de Roumanie (2016) et commissaire européen à l’Agriculture (2010-2014), préside «Renouveler l’Europe» (Renew Europe), le groupe du Parlement européen où siègent les députés français de «Renaissance», la liste soutenue par LREM. Troisième par ordre d’importance, avec 108 députés sur 751, derrière les conservateurs du PPE (182) et les sociaux-démocrates (154), c’est le groupe charnière puisqu’aucune majorité n’est possible sans lui.

L’intégrité de plusieurs commissaires désignés est gravement mise en cause…

Ce n’est hélas pas la présidente élue de la Commission qui nomme le collège des 26 commissaires, mais les gouvernements. L’Union n’est pas un Etat avec un Premier ministre qui choisit son équipe. C’est pour ça que l’étape parlementaire est essentielle. Comme nous devons accorder l’investiture à l’ensemble de la Commission fin octobre, le Parlement a pris l’initiative d’auditionner les commissaires pour vérifier leur intégrité, leur compétence, leur engagement européen… Certes, le Parlement ne peut pas tout faire, mais il peut beaucoup. Ainsi, sa commission juridique, qui a un rôle de vérification préliminaire pour s’assurer de l’absence de conflits d’intérêts des candidats et de la sincérité de leur déclaration de revenus, a recalé le conservateur hongrois Laszlo Trocsanyi et la socialiste roumaine Rovana Plumb… Ils ne seront même pas auditionnés par les commissions parlementaires compétentes.

D’autres commissaires sont sur la sellette, dont Sylvie Goulard, qui appartient à votre famille politique. Vous a-t-elle dit pourquoi elle avait perçu 13 000 euros par mois durant plusieurs années d’un think tank américain alors qu’elle était eurodéputée ?

Non, mais elle devra répondre aux questions que ne manqueront pas de lui poser les députés lors de son audition, et ils jugeront si ses explications sont convaincantes. Le travail des commissions ne peut se faire que dans certaines limites car nous n’avons pas de pouvoir d’investigation. Nous posons des questions et le commissaire désigné doit être convaincant.

Ne craignez-vous pas qu’une partie des eurodéputés soit tentés de se venger de Macron, à qui ils reprochent d’avoir tué le système des «Spitzenkandidaten» (candidats têtes de liste), en bloquant Goulard ?

J’ai entendu parler de cette tentation, surtout à l’extérieur du Parlement. Si un groupe politique se lançait dans un tel règlement de comptes, il risquerait de perdre en crédibilité

Cela n’a jamais retenu ni les conservateurs du PPE ni les socialistes dans le passé…

C’est peut-être pour cela qu’ils ont perdu la majorité qu’ils avaient à eux deux depuis quarante ans. S’ils sont tentés par un tel coup, ils ne doivent pas oublier qu’ils devront ensuite vivre avec nous pendant cinq ans. Or ils ont besoin de «Renew» pour atteindre la majorité et faire passer les textes législatifs.

N’y a-t-il pas un risque de grand marchandage entre les groupes, chacun prenant en otage un commissaire d’une autre famille politique, ce qui pourrait aboutir à valider toutes les candidatures ?

Si nous le faisions, nous perdrions notre crédibilité. Surtout, les groupes politiques ne peuvent se substituer aux commissions parlementaires compétentes. En cas de refus, la conférence des présidents de groupe politique peut demander une autre audition ou une seconde série de questions écrites. Si le candidat ne convainc toujours pas, la présidente devra soit demander à l’Etat d’envoyer quelqu’un d’autre, soit le changer de portefeuille.

L’intitulé du poste du commissaire grec Margarítis Schinás, «protection du mode de vie européen», a choqué car il comprend l’immigration et l’asile…

Ce qui me pose problème, c’est l’absence de compatibilité entre cet intitulé et la lettre de mission dont plus d’un tiers traite de l’immigration. Or cette question, que l’on doit se poser, ne se confond pas avec le mode de vie européen qui est beaucoup plus large. L’immigration n’a rien à faire là, à la différence de l’intégration, de la diversité, de la solidarité, de la culture, des langues, de l’éducation, de l’emploi ou du changement climatique. C’est un thème qui mérite d’être traité, mais pas comme cela.

Si Von der Leyen ne modifie rien, est-ce que cela amènera Renew à voter contre l’investiture de cette Commission ?

Il y a des membres dans le groupe à qui ce manque de clarté posera un problème.

N.B.: entretien paru dans Libération du lundi 30 septembre

Categories: Union européenne

Auditions des commissaires: attention, risque de chute

Wed, 10/02/2019 - 19:54

Combien de commissaires désignés vont tomber au champ d’honneur parlementaire ? Alors que les auditions des 26 candidats par le Parlement européen débutent aujourd’hui pour s’achever le 8 octobre, la commission des affaires juridiques, chargée d’examiner en amont les déclarations d’intérêts des futurs commissaires, a déjà fait deux victimes jeudi dernier : elle a jugé que l’eurosceptique et ancien ministre de la Justice hongrois Laszlo Trocsanyl et la socialiste roumaine Rovana Plumb sont en situation de « conflit d’intérêts » et elle s’oppose à ce qu’ils passent en l’état à l’étape des auditions devant les commissions parlementaires compétentes. Mais d’autres commissaires sont sur la sellette au premier rang desquelles la Française Sylvie Goulard (LREM, Renouveler l’Europe) ou encore la Croate Dubravka Suica (Parti populaire européen, conservateur). Autant dire que d’autres têtes risquent de tomber, surtout si les différents groupes politiques décident de venger les leurs, ce qui pourrait compromettre l’investiture de la Commission présidée par la conservatrice allemande Ursula von der Leyen le 23 octobre à Strasbourg.

Jamais la situation n’a été aussi imprévisible, car, depuis les élections européennes de juin dernier, les deux grands groupes politiques qui dominaient le Parlement depuis 1979, les conservateurs du PPE et les socialistes, n’ont plus la majorité absolue à eux deux. Autrement dit, cela rend plus difficile une entente pour valider en bloc les candidats puisqu’il faudrait y inclure un troisième larron, en l’occurrence les centristes de « Renaissance » où siègent les députés LREM, indispensable force d’appoint. En clair, ce qui s’est passé en 2014 lorsque le PPE a pris en otage le socialiste Pierre Moscovici, qui n’avait pourtant rien à se reprocher en matière de conflit d’intérêts, pour obtenir la confirmation du très sulfureux conservateur espagnol Miguel Cañete, sera plus difficile, voire impossible à obtenir en 2019.

De plus, une réforme récente du règlement intérieur du Parlement prévoit que les commissions parlementaires doivent valider la candidature des commissaires par une majorité des deux tiers et non plus simple. Ce qui rend en réalité plus facile la constitution de minorité de blocage, puisqu’il suffit d’un tiers des voix plus une… Or la chute de Trocsanyl, dont le parti est toujours membre du PPE, et de Plumb pourrait pousser les conservateurs et les socialistes, secondés par les eurosceptiques et les europhobes trop contents de semer la zizanie, à se venger en refusant un commissaire RE. D’autant qu’il n’est pas exclu que d’autres membres du PPE et du groupe socialiste tombent, le Parlement ayant à cœur à réaffirmer sa prééminence politique après avoir vu le système des Spitzenkandidaten qu’il avait imposé en 2014 (la tête de la liste arrivée en tête des élections européennes devient automatiquement président de la Commission) enterré par le Conseil des chefs d’État et de gouvernement en juin dernier.

Si rétorsion il y a, elle visera au premier chef Sylvie Goulard, députée européenne libérale de 2009 à 2017, dont l’audition aura lieu mercredi après-midi. Elle est fragilisée par l’affaire des assistants parlementaires présumés fictifs du Modem et surtout par le salaire de 13.000 euros bruts qu’elle a perçu de fin 2013 à fin 2016, soit environ 350.000 euros, du think tank fondé par Nicholas Berggruen, un « financier vautour » selon le magazine Forbes. Certes, l’été dernier, elle a remboursé au Parlement 45.000 euros correspondant aux salaires versés à son assistant local durant 7 mois entre la fin 2013 et le début 2014 à un moment où elle reconnait qu’il ne travaillait plus pour elle, mais pour le Modem. Une affirmation que conteste le principal intéressé, Stéphane Thérou, aujourd’hui employé à la mairie de Pau dirigée par François Bayrou. Selon nos informations, il a même fourni à l’Olaf, l’Office antifraude de l’Union, des preuves de son travail pour Goulard. De là à penser qu’elle a voulu se débarrasser d’une affaire qui plombait sa candidature à la Commission, il n’y a qu’un pas. Quant à ses activités pour la fondation Berggruen, elle ne s’en est pour l’instant expliqué à personne : or beaucoup se demande si le financier américain ne s’est tout simplement pas offert le volumineux carn et d’adresses de celle qui était chargée au Parlement de la réglementation budgétaire et financière de l’Union.

Or, si Plumb est tombée pour une affaire pour le moins louche de prêt électoral et Trocsanyl pour ses liens avec son ancien cabinet d’avocats, on a du mal à voir comment Goulard pourrait passer entre les gouttes, tout comme la Croate qui a les plus grandes difficultés à expliquer d’où provient sa fortune de 5 millions d’euros…

Si plusieurs commissaires tombent, pourra-t-il y avoir un grand troc entre les groupes politiques ? Dacian Ciolos, le patron de RE l’exclut. Dans ce cas, Ursula von der Leyen n’aura d’autres choix que de demander aux États de lui envoyer de meilleurs candidat(e)s. Vu l’étroite majorité qu’elle a obtenu le 16 juillet lors de son élection, elle n’a aucune marge de manœuvre pour tenir tête aux députés.

N.B.: article paru lundi 30 septembre dans Libération

Photo: Pietro Naj-Oleari / Flickr Parlement europée

Categories: Union européenne

Jacques Chirac, un règne catastrophique pour l'Europe

Sun, 09/29/2019 - 00:31

« Comme toujours, quand il s’agit de l’abaissement de la France, le parti de l’étranger est à l’œuvre avec sa voix paisible et rassurante. Français, ne l’écoutez pas. C’est l’engourdissement qui précède la paix de la mort ». Jacques Chirac, de l’hôpital Cochin, à Paris, où il est hospitalisé à la suite d’un accident de voiture en Corrèze, appelle les Français à se mobiliser pour « combattre les partisans du renoncement et les auxiliaires de la décadence » que sont les europhiles au premier rang desquels figure le président de la République de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing. Cet « appel de Cochin », par référence à l’appel du 18 juin 1940, que le Rassemblement national ne renierait pas, est lancé le 6 décembre 1978, à six mois de la première élection du Parlement européen au suffrage universel qui, selon Chirac, est le début d’un engrenage qui mènera à « l’abaissement de la France » et à la soumission aux intérêts américains, les partenaires de Paris étant des atlantistes convaincus. Ce texte que l’on qualifierait aujourd’hui d’europhobe éclaire d’une lumière crue son héritage : non seulement ce Corrézien d’adoption n’a jamais été un Européen de cœur, mais il a durablement affaibli le projet lui-même, prenant souvent des décisions impulsives et contreproductives.

Narco-Etat

Dès qu’il accède à nouveau au pouvoir, en 1986 (il a été Premier ministre entre 1974 et 1976), lorsqu’il devient chef du gouvernement de François Mitterrand, il donne pour instruction au très souverainiste ministre de l’Intérieur Charles Pasqua de saboter la négociation de la Convention d’application de la Convention de Schengen de 1985 visant à supprimer les contrôles aux frontières intérieures. Il faut que Mitterrand le menace d’une crise de cohabitation, la politique européenne faisant traditionnellement partie du domaine réservé du chef de l’État, pour que les choses rentrent dans l’ordre : le texte sera finalement signé en 1990 pour une entrée en vigueur en 1995. Cependant, de retour dans l’opposition en 1988, après avoir perdu la présidentielle, il se comporte comme un véritable homme d’État en soutenant le « oui » au référendum sur le traité de Maastricht signé en février 1992, contre une partie du RPR emmené par Philippe Seguin. Sans son ralliement, la consultation de septembre 1992 aurait incontestablement été perdue vu la faible victoire du oui (51%). Et l’euro n’aurait jamais vu le jour. C’est là son principal fait d’arme européen. Et il le restera comme le montre la suite de sa carrière.

Enfin élu président de la République, en mai 1995, il retrouve ses réflexes souverainistes de l’appel de Cochin. Ainsi, alors que Schengen est entrée en application quelques semaines plus tôt, il en suspend l’application. Il faut attendre un an pour que les contrôles soient enfin supprimés sauf avec la Belgique et les Pays-Bas, Chirac qualifiant à plusieurs reprises ce dernier pays de « narco-État », ce qui dégradera durablement les relations de Paris et d’Amsterdam.

Les Néerlandais ne sont pas les seuls à subir les foudres chiraquiennes. Dès son élection, il s’en prend violemment à l’Italie dont la lire a perdu 60 % de sa valeur depuis qu’elle a été éjectée du Système monétaire européen (SME) en 1992. Pour Chirac, il s’agit forcément d’une dévaluation compétitive -ce qui est totalement faux- qui ruine l’agriculture française et en particulier empêche l’exportation des « jeunes broutards » du plateau de Millevaches vers l’Italie, comme il l’explique lors d’une conférence de presse surréaliste en clôture du sommet de Cannes, la France présidant alors l’Union. Ne comprenant manifestement pas qu’il est le président en exercice du Conseil européen et que l’Europe entière l’observe, il lance aux centaines de journalistes présents : « comme nous sommes entre Français, laissez-moi vous dire »

«On ne négocie pas un tapis»

Pour faire bonne mesure, Chirac se fâche avec les Allemands en décidant le 13 juin de reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique. Or, il n’a prévenu Helmut Kohl que quelques minutes avant son intervention télévisée, ce que ce dernier ne lui pardonnera jamais : placé devant le fait accompli, le chancelier allemand n’a pas eu le temps de préparer son opinion publique qu’il sait totalement opposée au nucléaire, surtout s’il est français. Résultat : Kohl va faire face à une tempête à domicile dont il se serait bien passé et les rapports entre Paris et Bonn vont considérablement se refroidir, le chancelier se demandant à qui il a affaire. Un bilan impressionnant après un mois à la tête de l’Etat…

L’abandon du plan Juppé en décembre 1995 qui auraient permis de remettre sur pied l’économie française, à la suite de plusieurs semaines de grèves des services publics, confirme les Allemands dans leur volonté d’imposer un véritable carcan budgétaire, le Pacte de stabilité, aux pays participant à la monnaie unique afin de contenir ces fantasques français. Même si le ministre des finances français, Jean Arthuis (UDF), est d’emblée favorable à l’idée, ce n’est pas le cas de Chirac qui voit tout le danger d’un pilotage technocratique des politiques économiques et budgétaires des États. Mais l’absence de coordination au sein du gouvernement français a ouvert une brèche dans laquelle les Allemands vont s’engouffrer pour imposer leurs idées. En décembre 1995, lors du sommet de Madrid, nouvel accroc dans la relation franco-allemande : pour Kohl, écu et « Kuh » (vache en allemand, le u se prononçant ou) sont trop proches et il veut en changer. Chirac est furieux : « c’est extrêmement préoccupant. Les Français sont extrêmement attachés à l’écu (…) Alors Helmut, je ne vois pas comment on peut envisager de le changer ». Pour Kohl, c’est à prendre ou à laisser et Chirac finit par se rallier au nom d’euro.

En décembre 1996, au sommet de Dublin, Chirac et Kohl s’engueulent franchement, le président français négociant pied à pied pour tuer le Pacte de stabilité. Agacé, Kohl lui lance : « on n’est pas à Marrakech, on ne négocie pas un tapis ». Le chef de l’Etat comprend qu’il faut en passer par les fourches caudines allemandes s’il veut faire main basse sur le mark. Après 48 heures de négociations au couteau, les Quinze adoptent le Pacte tel que voulu par les Allemands, les amendements obtenus par les Français n’en modifiant pas l’économie.

«Cela me rend gai»

La mésentente entre les deux rives du Rhin atteint son acmé en mai 1998, lors du sommet qui doit lancer la monnaie unique. Chirac, alors en pleine cohabitation avec les socialistes, humilie littéralement Kohl. A la surprise générale, il refuse que le Néerlandais Wim Duisenberg soit nommé pour 8 ans président de la Banque centrale européenne, car c’était pour lui le candidat de « l’amicale des banquiers centraux », selon son expression. Après plusieurs heures de négociations, il est convenu que le Français Jean-Claude Trichet lui succèdera à mi-mandat : « cela me rend gai » que ce soit un Français triomphe sans retenu Chirac à l’issue du sommet, puisqu’il va « défendre les intérêts de la France »… Kohl, épuisé, admet que « ce fut une dure lutte et l’une de mes heures les plus difficiles… Il m’est arrivé plusieurs fois aujourd’hui de dire à mes collègues : mais pourquoi suis-je fou au point de continuer à faire tout cela ? » Cette entaille à l’indépendance de la banque centrale jouera un rôle dans sa défaite aux élections de septembre 1998 face à Gerhard Schröder. Cet épisode ne sera jamais oublié par l’appareil d’État allemand qui le fera durablement payer à la France.

L’arrivée au pouvoir du social-démocrate Schröder, aussi peu européen que l’est Jacques Chirac, va conduire l’Europe au bord de l’abîme. Si Kohl était prêt à sacrifier les intérêts allemands au nom de l’Europe, ce n’est pas le cas de Schröder. Chirac va s’en apercevoir, en juin 1999, le chancelier voulant, pour réduire le budget de la politique agricole commune (PAC), instaurer un cofinancement national. Le Français la sauve in extremis en prenant à sa charge la partie de la ristourne budgétaire versée aux Britanniques payée par l’Allemagne. Une bombe infernale qui aboutit aujourd’hui à faire supporter l’entièreté du chèque britannique aux seuls Français (les chèques dans le chèque). Le sommet de Nice en décembre 2000, qui accouche d’un traité mal fichu, voit Allemands et Français s’affronter à nouveau avec une rare violence. Paris n’a pas compris que la République de Berlin n’est plus celle de Bonn et qu’elle revendique sans pudeur la première place qu’elle estime lui revenir sur le plan institutionnel vu son poids démographique et économique. Autrement dit, elle veut peser davantage que la France tant au Parlement européen qu’au Conseil des ministres, ce que Chirac évitera de justesse.

Second commissaire français

Mais il commet une grave erreur en acceptant de renoncer au second commissaire accordé aux grands États membres contre la promesse d’une réduction de la taille de la Commission lorsque l’Union comptera 27 pays. Il oublie au passage qu’un tien vaut mieux que deux tu l’auras puisqu’aujourd’hui encore l’exécutif européen compte un commissaire par Etat membre, ce qui donne le même poids aux trois Baltes qu’à l’Allemagne, la France et l’Italie réunie. Une nouvelle erreur historique qui a marginalisé les grands États au sein de la Commission et contribue à la défiance qu’elle suscite dans les opinions publiques.

Au lendemain de Nice, Chirac comprend enfin que ni la France ni l’Europe ne peuvent se payer le luxe d’une nouvelle « guerre » avec l’Allemagne. Il entreprend donc, sur les conseils de Hubert Védrine, son ministre des affaires étrangères, de retisser les liens avec Schröder, ce qui est à mettre à son crédit. Avec succès. C’est ainsi que Paris et Berlin acceptent de réunir une convention sur l’avenir de l’Europe élargie aux Parlementaires afin de rédiger un nouveau traité censé refermer la parenthèse de Nice. Dès 2002, les deux hommes se mettent d’accord sur des propositions communes de réformes institutionnelles très allantes, comme le veulent les Allemands, en échange d’une sanctuarisation du budget de la PAC à son niveau de 2006. Un deal qui met hors de lui Tony Blair qui croyait que Schröder était son allié privilégié.

Car la PAC est en réalité la seule obsession de l’ancien ministre de l’Agriculture qu’a été Jacques Chirac, comme l’a montré l’épisode de 1999. Ce qui va l’amener à commettre une autre erreur historique. Alors que le projet de traité constitutionnel européen qu’a réussi à obtenir Valéry Giscard d’Estaing, président de la Convention européenne, ne comporte que des dispositions institutionnelles, Chirac va exiger, en juin 2013, lors du sommet de Thessalonique, qu’il intègre l’ensemble du traité de Rome, c’est-à-dire les politiques communes. Sa crainte est qu’elles soient placées sur un second plan et qu’elle puisse être modifiée à l’avenir à la majorité qualifiée, ce qui signerait sans doute la fin de la PAC. Si tout est placé sur le même plan, le verrou de l’unanimité des États empêchera qu’elle soit menacée. En juin 2004, les Vingt-cinq adoptent donc un énorme texte consolidant tous les traités existants.

Le référendum de 2005

Dès le mois de juillet 2004, Chirac annonce qu’un référendum sera convoqué pour adopter le traité constitutionnel européen. Mais la consultation n’aura lieu qu’en mai 2005, ce qui est tardif. Or, non seulement le texte consolidé est complexe, mais il permet à chacun de trouver un motif de mécontentement : on ne discute pas des nouveautés institutionnelles, mais des traités existant depuis 1957, ce qui est lunaire puisqu’ils ne seront pas remis en cause par un non. Chirac, en convoquant tardivement le référendum et en ne s’impliquant pas dans la campagne, va permettre au non de croitre et de l’emporter largement. Une rupture de confiance pour ses partenaires : que vaut, en effet, la parole d’un président incapable de convaincre son peuple ?

Chirac, qui ne comprend pas grand-chose aux institutions communautaires, est aussi responsable de la nomination du Portugais José-Manuel Durao Barroso à la tête de la Commission, en juillet 2004, un homme qui fera beaucoup pour la victoire du non en soutenant contre vent et marée la directive Bolkestein sur la libéralisation des services, l’épouvantail absolu en France. Son candidat et celui de Schröder étaient le Premier ministre belge Guy Verhofstadt. Mais Tony Blair pose son véto, car il voulait faire payer à Berlin, Paris et Bruxelles leur opposition à la guerre en Irak. Et il est loin d’être isolé : les pays de l’Est n’ont pas oublié que Chirac, en 2003, leur a enjoint de « se taire » alors qu’ils venaient de se rallier à la guerre en Irak. Une gaffe monumentale alors que le chef de l’État a soutenu l’élargissement et qu’il bénéficiait jusque-là d’un fort crédit à l’Est. Chirac, à la suite de ce véto, s’est désintéressé du choix du président de la Commission et a laissé Blair imposer Barroso qui était son candidat. Comme le note alors Chirac, au moins il parle français…

Le soutien déterminé du Président à l’élargissement montre à quel point il se préoccupait peu de l’avenir de l’Union : l’élargissement rapide, devenu réalité en janvier 2004, a lieu sans réforme institutionnelle suffisante et sans aucune réflexion sur l’avenir de l’Union. On aurait pu au moins attendre que le traité constitutionnel soit adopté, ce qui n’a pas été le cas. On lui doit aussi, ainsi qu’à son complice Schröder, l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Turquie, un piège dont les Européens n’arrivent toujours pas à sortir. C’est déjà Chirac qui, en 1999, avait obtenu de haute lutte le statut de pays candidat pour Ankara…

Une zone euro affaiblie

Au débit des années Chirac, il faut aussi ajouter l’affaiblissement du Pacte de stabilité en 2003. Avec une nouvelle fois Schröder à ses côtés. Mais si Berlin a voulu se débarrasser des contraintes de la discipline budgétaire, c’est pour réformer son économie et devenir davantage compétitive. La France, elle, veut simplement pouvoir dépenser plus, ce qui a concouru à son affaiblissement. De même, Chirac a accepté l’élargissement rapide de la zone euro sans se préoccuper d’achever sa construction politique, par exemple en instaurant un minimum de solidarité financière entre les Etats partageant la même monnaie. Une inconséquence qui se paiera au prix fort en 2009 avec la crise de la zone euro qui mènera quatre pays à la faillite…

En un mot, les douze ans de règne de Jacques Chirac ont été catastrophiques pour l’Europe, celle-ci payant encore l’absence de pensée stratégique d’un politicien qui n’a jamais été un joueur d’échecs, comme François Mitterrand, mais plutôt un joueur de poker pressé d’empocher des gains à court terme. La relation franco-allemande est morte durant son règne. On peut seulement mettre au crédit du président défunt la tentative de relance de l’Europe de la défense en 1998-1999 (mais elle est restée dans les limbes) et son appui à Maastricht. C’est peu, bien peu.

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Le clip anti-révolutionnaire de la Commission

Thu, 09/19/2019 - 21:58

Ma dernière chronique dans «La faute à l’Europe».

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Ursula von der Leyen: la stratégie du Bunker

Wed, 09/18/2019 - 19:19

Ursula von der Leyen a la réputation d’être intelligente, bosseuse et surtout capable de survivre en milieu hostile, des qualités qu’ont en commun les vieux crocodiles de la politique. Pourtant, tant à Bruxelles que dans plusieurs capitales européennes, on commence à se poser des questions face à l’amateurisme persistant de la nouvelle présidente de la Commission.

Désignée, le 2 juillet, à la surprise générale - et sans doute à la sienne propre - par les chefs d’État et de gouvernement, elle ne connaissait pas grand-chose à l’Europe et rien du tout à la Commission. D’où des débuts particulièrement chaotiques lors de ses premières rencontres avec les députés européens qui lui ont valu d’obtenir un vote de confirmation particulièrement étroit le 16 juillet à Strasbourg (383 voix contre 327). On aurait pu alors croire qu’elle allait s’entourer d’une équipe solide pour préparer et la répartition des portefeuilles entre les commissaires désignés par les États et son programme d’action. C’est tout le contraire qui s’est passé.

Car Ursula von der Leyen ne fait confiance qu’à deux hommes qu’elle a déjà imposés dans les mêmes fonctions au ministère de la Défense à Berlin, son chef de cabinet Bjoern Seibert, et son porte-parole, l’ancien journaliste Jens Flosdorff, qui ne connaissent strictement rien aux affaires européennes. Gênant alors qu’ils sont censés pallier les manques de leur présidente. Seibert s’est même déjà taillé une réputation peu enviable : paranoïaque, tyrannique, refusant le moindre conseil. Quant à Flosdorff, il a étalé son incompétence lors de la première conférence de presse d’Ursula von der Leyen, le 10 septembre : incapable de reconnaitre le moindre journaliste, puisqu’il refuse tout contact avec la presse (son numéro de téléphone ne figure nulle part), il a donné la parole à des représentants de think tank à la grande surprise des médias… « Ce trio n’accepte absolument aucun conseil tant de l’intérieur de la Commission que de l’extérieur, comme s’ils étaient entourés d’ennemis », raconte un diplomate interloqué. « Alors que les fonctionnaires européens et les États sont là pour les aider à réussir. Mais ça ils ne le comprennent manifestement pas », poursuit-il.

Preuve de cet enfermement : von der Leyen n’a toujours pas constitué son cabinet, ce qui est sans précédent. Elle se contente pour l’instant des quatre fonctionnaires (toutes des femmes) que Martin Selmayr, le secrétaire général désormais déchu, lui a fourni et dans lesquelles elle n’a aucune confiance. « En plus, Seibert cherche à s’entourer uniquement d’Allemands, ce qui n’est pas précisément l’esprit de l’Europe », raconte sidéré un diplomate européen. Un fonctionnement en cercle fermé sans doute adapté au panier de crabes du ministère de la défense allemand, ce qui a permis à von der Leyen de survivre à ce poste quasiment six ans, mais absolument pas à l’exécutif européen.

« Ils ont failli planter la répartition des portefeuilles par amateurisme et c’est l’intervention de Selmayr (conseiller hors classe de Jean-Claude Juncker) qui, pour le coup, a permis de justesse d’éviter le pire ». Résultat : von der Leyen a découragé beaucoup de bonnes volontés. Ainsi, elle n’a toujours pas trouvé quelqu’un pour diriger le service du porte-parole, personne ne voulant travailler dans de telles conditions. Sa volonté d’installer un appartement de fonction au 13èmeétage du Berlaymont, le siège de la Commission, en rupture avec tous les usages, ne présage pas d’une volonté d’ouverture au monde...

Photo: dpa

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Euro: "Super Mario" tire son dernier coup

Fri, 09/13/2019 - 19:57

Mario Draghi a tiré son dernier coup monétaire à la tête de la Banque centrale européenne (BCE), et quel coup ! L’Italien, qui va laisser la place à Christine Lagarde le 1er novembre, est une nouvelle fois passé sur le corps des banquiers centraux allemands et néerlandais pour soutenir une activité dangereusement faiblarde en décidant de réactiver le «quantitative easing» européen (QE, assouplissement quantitatif), un programme de rachats des dettes publiques et d’obligations privées mis en sommeil en décembre dernier. En clair, Francfort va recommencer à faire tourner la planche à billets. Il a aussi annoncé que le principal taux d’intérêt de l’institut d’émission (le Refi) resterait à zéro aussi longtemps que l’inflation n’aurait pas «solidement convergé» vers son objectif de 2%, ce qui annonce une longue période de taux faibles. La BCE confirme donc son choix de sacrifier les épargnants au profit des travailleurs.

A l’annonce de ces mesures, jeudi après-midi, les Bourses ont bondi, l’euro a faibli (1,10 dollar) et les taux des emprunts des Etats de la zone euro se sont encore détendus. Donald Trump a immédiatement réagi par un tweet rageur en accusant les Européens de «déprécier l’euro», ce qui nuit «TRÈS FORT» (en majuscule d’origine) aux exportations américaines. Le président américain menace ainsi implicitement de frapper d’un droit de douane supplémentaire les importations européennes, en particulier les voitures allemandes. Il s’en est aussi pris une nouvelle fois à la Réserve fédérale, dont les membres sont désormais traités de «crétins» par le locataire de la Maison Blanche : elle «reste assise sans rien faire», a-t-il écrit sur Twitter.

«Faiblesse de longue durée»

Pourtant, il y a une différence de taille entre les deux rives de l’Atlantique : si aux Etats-Unis la croissance est forte, elle ralentit de plus en plus en zone euro et l’inflation reste désespérément proche de 1%, en dépit de toutes les liquidités injectées par Francfort depuis quatre ans. La BCE a ainsi revu jeudi une nouvelle fois à la baisse ses prévisions de croissance : 1,1% en 2019 et 1,2% l’an prochain avec une inflation de 1,2% cette année et de 1% l’an prochain. Pour Mario Draghi, il faut s’attendre à une «faiblesse de longue durée» de l’économie de la zone euro à cause de la «faiblesse continue du commerce international dans un environnement d’incertitudes mondiales prolongées». En clair, le monde commence à payer les guerres commerciales de Trump.

Le premier QE lancé par la BCE en mars 2015, en dépit de l’opposition de la Bundesbank, visait à lutter contre le spectre de la déflation qui menaçait alors les 19 pays de la zone euro. Durant un an, elle a racheté 60 milliards d’euros par mois de bons du Trésor sur le marché secondaire, celui de la revente, avant de porter son volume de rachat à 80 milliards par mois en mars 2016 tout en l’étendant aux obligations d’entreprises.

En octobre 2017, elle a réduit ce volume à 30 milliards par mois avant de stopper le QE en décembre 2018. En tout, elle détient dans ses coffres 2 600 milliards d’euros d’obligations publiques (d’une maturité moyenne de huit ans) et privées, soit plus de 20% du PIB de la zone euro. Des titres qui seront renouvelés à leur échéance afin de ne pas perturber le marché. Ces rachats massifs, qui s’apparentent à une mutualisation de facto des dettes publiques nationales, ont permis de faire baisser le coût de l’argent, plus la plus grande joie des Etats, des entreprises et des ménages emprunteurs, et de dégager des liquidités censées être réinjectées dans l’économie réelle.

Limiter la casse

Evidemment, les épargnants ont particulièrement souffert de cette politique, les placements non risqués ne rapportant désormais plus rien quand ils ne sont pas rongés par l’inflation. Mais cela a aussi touché la rentabilité des banques. La réactivation du QE à partir du 1er novembre pour une durée non précisée, même si le volume est plus restreint que précédemment (20 milliards d’euros par mois), ne va pas arranger leurs affaires. D’autant que la BCE fait payer depuis 2016 les dépôts au jour le jour que les banques font à ses guichets.

Elle a même décidé de faire passer ce prélèvement de -0,40% à -0,50%. L’idée est de contraindre les banques à prêter leurs excès de liquidités plutôt que de les mettre à l’abri. Mais le poids de ce taux négatif est important : il est estimé, pour 2018, à 7,5 milliards d’euros, principalement supporté par les banques allemandes et françaises.

Pour limiter la casse, Mario Draghi a annoncé qu’une partie des liquidités excessives des banques serait à l’avenir exemptée de ce taux négatif. Dernier élément de ce paquet de mesures de relance, la BCE va lancer dès le 19 septembre une troisième série de prêts géants (TLTROIII) aux banques à des taux négatifs (et sur trois ans) afin de les encourager à prêter aux entreprises et aux ménages.

Liquider l’héritage

«Super Mario» va donc laisser à Christine Lagarde une BCE qui n’a plus rien à voir avec celle qui a présidé au lancement de l’euro en 1999 : l’héritage de la Bundesbank a été liquidé, et Francfort se comporte désormais comme toutes les autres grandes banques centrales du monde. Mais la politique monétaire ne pourra à elle seule régler les déséquilibres de la zone euro qui expliquent la faiblesse de son activité : au-delà des réformes structurelles que les Etats doivent mener pour remettre leurs économies d’aplomb, la monnaie unique souffre de l’égoïsme allemand (et néerlandais), des Etats qui n’investissent plus depuis dix ans leurs excédents d’épargne au sein de la zone euro, mais en Chine ou aux Etats-Unis et de leur refus de relancer les investissements publics. «Super Mario» a d’ailleurs appelé ces pays à en finir avec leur rigueur budgétaire d’un autre temps. L’Allemagne, première bénéficiaire de la monnaie unique et de la construction communautaire, estime qu’elle n’a aucune responsabilité vis-à-vis de ses partenaires alors qu’elle serait la première à souffrir d’un éclatement de l’euro. Jens Weidmann, le patron de la Buba, a une nouvelle fois fait la démonstration de cet autisme germanique en estimant dans le quotidien Bild Zeitung, que la BCE avait «dépassé les bornes» en relançant le QE, estimant tout à la fois que cette politique faisait souffrir les épargnants (allemands) et brouillait «la ligne de démarcation entre politique monétaire et politique budgétaire» en permettant aux Etats endettés de se refinancer à bon compte. Autant dire que la solution des problèmes de la zone euro ne passe pas par Francfort, mais par Berlin.

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La Commission von der Leyen, une armée mexicaine?

Fri, 09/13/2019 - 01:01

Clap de fin pour la crépusculaire « commission de la dernière chance » du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker (2014-2019). Alors que les crises des années 2008-2015 qui ont secoué l’Europe se sont apaisées, Ursula von der Leyen, la présidente élue de la Commission, entend rompre avec le discours apocalyptique de ces dernières années. En présentant hier sa nouvelle équipe et la répartition des portefeuilles entre ses vingt-six commissaires, elle a souhaité que le nouvel exécutif, qui doit prendre ses fonctions le 1er novembre, soit simplement « agile et moderne ». Signe le plus évident de cette modernité revendiquée : pour la première fois, la Commission est présidée par une femme et le collège, comme elle l’avait demandé aux États, est paritaire (14 hommes et 13 femmes, les Britanniques en plein « Brexit drama » n’ayant désigné personne). La commission Juncker, elle, ne comptait que 9 femmes.

Une commission bureaucratisée

Mais la structure que l’ex-ministre de la défense allemande a dévoilée hier semble aller à l’encontre de son objectif d’agilité : afin d’essayer de faire fonctionner un collège qui compte bien trop de commissaires pour les compétences limitées dévolues à l’Union, elle a fait le choix de le hiérarchiser à l’extrême et partant de le bureaucratiser. En théorie, les commissaires, qui sont désignés par leur gouvernement respectif, sont égaux et les votes sont acquis à la majorité simple. Autrement dit, nul n’est maitre de son dossier et chaque commissaire peut dire son mot sur ceux de ses collègues. Mais depuis la Commission Prodi (1999-2004), la tendance est à la présidentialisation et à la spécialisation. Il est désormais rare que des votes aient lieu : le commissaire traite avec le président ou plutôt avec son chef de cabinet et l’affaire est close. Juncker avait été plus loin en créant des postes de vice-présidents chargés de coordonner le travail de plusieurs commissaires (« cluster » en anglais), mais sans autorité directe sur les directions générales de la Commission (et donc les fonctionnaires) qui restaient contrôlées par le commissaire en titre.

Comme c’était prévisible, les luttes de pouvoirs se sont multipliées à l’image de celles, homériques, qui ont opposé le Français Pierre Moscovici, chargé des affaires économiques et monétaires, et le Letton Valdis Dombrovkis, le vice-président censé le superviser. D’autres vice-président ont carrément renoncé et se sont laissé marginaliser, comme le Néerlandais Frans Timmermans qui s’est contenté de gérer le dossier polonais… Bref, le bilan de cette expérience est clairement négatif.

Pourtant, Ursula von der Leyen a décidé d’aller plus loin : à ses côtés, un premier vice-président (Frans Timmermans, chargé du « Green deal ») qui présidera la commission en son absence, deux vice-présidents de rang supérieur (Vladis Dombrovskis, chargé de l’économie, et Margrethe Vestager responsable de « l’Âge numérique »), quatre vice-présidents ordinaires (le grec Margaritis Schinas chargé de « protéger notre mode de vie européen », le Slovaque Maros Sefcovic qui entretiendra les relations avec les autres institutions et gérera la prospective, la Tchèque Vera Jourava qui veillera aux valeurs européennes et à la transparence, et la Croate Dubravka Suica, responsable de la protection de l’État de droit), le ministre des affaires étrangères (l’Espagnol Josep Borrel) qui a aussi le statut de vice-président et enfin un commissaire qui dépendra directement d’elle, l’inamovible Autrichien Johannes Hahn nommé au budget et à l’administration. Soit en tout huit vice-présidents, soit le tiers des commissaires…

Conflits

Pour ajouter un zeste de complexité, les trois vice-présidents de premier rang auront la gestion directe d’une direction générale (DG) à la différence des autres vice-présidents : Timmermans hérite de la DG climat, Vestager garde la concurrence, ce qui lui assure un record de longévité à ce poste, et Drombroskis gère la DG services financiers…

Le découpage des portefeuilles a aussi été revu et pas dans le sens de la simplicité. Ainsi, la Française Sylvie Goulard hérite du marché intérieur, comme Michel Barnier avant elle, mais sans les services financiers et avec le marché numérique et la nouvelle direction générale de la défense et de l’espace. Ou encore, l’élargissement et la politique de voisinage (confié au Hongrois Laszlo Trocanyi) sont séparés des « partenariats internationaux » (gérés par la Finlandaise Jutta Urpilainen) et du commerce (récupéré par l’Irlandais Phil Hogan qui va gérer la relation future avec Londres)…

Des conflits de compétences, d’égos et de nationalité risquent donc de se multiplier. D’autant que l’équilibre politique de la Commission est complexe. On compte pour la première fois plus de socio-démocrates (10) que de conservateurs (9), 5 libéraux, un apparenté vert, un indépendant (Slovénie) et un eurosceptique (Pologne). Si les querelles ont été violentes entre Moscovici et Dombrovskis, c’est aussi parce que l’un était socialiste d’un grand pays et l’autre ultra-conservateur d’un petit pays. Au passage, ce dernier va devoir une nouvelle fois composer avec un social-démocrate, Ursula von der Leyen ayant attribué le portefeuille des affaires économiques à l’Italien Paolo Gentiloni.

Mais tout n’est pas joué : il va maintenant falloir que les commissaires désignés passent un grand oral devant les commissions spécialisées du Parlement européen au début du mois d’octobre. Ceux dont les portefeuilles sont vastes, comme celui de Sylvie Goulard, vont devoir comparaitre devant plusieurs commissions. L’exercice n’est pas que de pure forme. Dans le passé, plusieurs impétrants ont dsoit rentrer chez eux, soit changer de portefeuille. Et le règlement intérieur du Parlement prévoit désormais que chaque commissaire doit être approuvé par une majorité des deux tiers des voix de commission, ce qui facilite les minorités de blocages, mais aussi les marchandages. D’ores et déjà, les auditions de la Française, du Polonais et du Hongrois s’annoncent houleuses. La première devra s’expliquer sur plusieurs affaires financières embarrassantes (lire par ailleurs). Le second, Janusz Wojciechowski, actuel membre de la Cour des comptes européenne, fait l’objet d’une enquête de l’OLAF, l’office anti-fraude de l’Union, pour avoir triché sur ses frais de transport (plusieurs dizaines de milliers d’euros)… Le troisième sur les lois liberticides qu’il a couvertes en tant que ministre de la Justice de Viktor Orban.

N.B.: article paru dans Libération du 11 septembre

Photo: AP

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BCE: Christine Lagarde dans les pas de "super Mario"

Fri, 09/06/2019 - 20:33

Cela a été une promenade de santé pour Christine Lagarde. Auditionnée (pour avis) par la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, mercredi matin, la présidente désignée de la Banque centrale européenne (BCE) n’a, à aucun moment, été mise en difficulté par des eurodéputés. Ils semblaient s’être passé le mot pour éviter toutes questions embarrassantes, notamment sur son passé judiciaire… En réalité, une grande majorité d’entre eux aurait été conquise par n’importe quel candidat à condition qu’il ne soit pas Allemand. Chacun avait bien conscience que si Jens Weidmann, le très rigide patron de la Bundesbank, avait obtenu le poste à la place de la Française, le temps des politiques accommodantes et de l’argent gratuit aurait été révolu : l’homme n’a cessé de combattre la politique menée par l’actuel président de l’institut de Francfort, l’Italien Mario Draghi, depuis sa prise de fonction, le 1ernovembre 2011, y compris devant les tribunaux.

Plusieurs eurodéputés ont d’ailleurs tenu à souligner que c’est « Super Mario » - et non les États - qui a sauvé l’euro et les pays menacés de faillite par les marchés en lançant, le 25 juillet 2012 son fameux : « la BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro. Et croyez-moi ce sera suffisant ». Il a ensuite convaincu une majorité des gouverneurs des banques centrales de la zone euro, mais pas Jens Weidmann, de se lancer dans des politiques dites « non conventionnelles », comme le rachat sans limites des obligations souveraines (OMT) attaquées par les marchés. C’est aussi lui qui a amené les taux de la BCE à zéro et a lancé, en mars 2015, un « quantitative easing » (QE, assouplissement quantitatif) afin de contrer avec succès la menace déflationniste. En clair, il a fait tourner la planche à billets afin de relancer l’activité économique et donc l’inflation. Résultat : Francfort a désormais dans ses coffres l’équivalent de 20 % du PIB de la zone euro et certains Etats empruntent à des taux négatifs sur les marchés. Draghi sera donc parvenu à liquider l’héritage de la Bundesbank qui a marqué les débuts de la BCE… C’est dire si l’homme est détesté outre-Rhin.

Comme les eurodéputés l’espéraient, Christine Lagarde, 63 ans, s’est résolument placée dans ses pas. « Sans la plasticité novatrice de la BCE, la crise de la zone euro aurait été bien plus profonde », a assumé celle qui vient de passer huit ans à la direction générale du Fonds monétaire international (FMI). Elle a reconnu, au passage, que les Banques centrales, vu la gravité de la crise de 2008-2012, ont dû « transgresser les traités ». Voilà qui va faire grincer des dents outre-Rhin. En dépit des critiques de plusieurs députés allemands et néerlandais sur « l’euthanasie des épargnants », elle a exclu tout retour à l’orthodoxie monétariste, « l’environnement actuel de basse inflation » dessinant un nouveau monde que personne ne comprend encore. « Au vu des menaces, il faut une politique monétaire qui s’adapte pour une longue période de temps ». Elle n’a d’ailleurs pas exclu que la BCE adopte de nouvelles mesures non conventionnelles même si les analystes estiment que sa boite à outils est vide : « personne n’aurait pu imaginer les nouveaux instruments inventés à l’époque » de la crise de la zone euro, a rappelé, un rien mystérieuse, Christine Lagarde. Pour elle, l’activité économique doit continuer à passer avant l’épargne, même si elle a reconnu qu’il fallait étudier « l’impact à long terme des politiques non conventionnelles », notamment sur la rentabilité des banques, l’épargne et le marché immobilier.

Elle a égratigné à plusieurs reprises l’Allemagne lors de son audition : « les banques centrales ne sont pas les seuls acteurs en ville. Certains pays de la zone euro peuvent faire usage de leurs marges budgétaires » afin de soutenir l’activité. Premières visées : l’Allemagne et les Pays-Bas. De même, elle a critiqué les plans d’assainissement appliqués à la Grèce largement inspirés par Berlin : elle a expliqué qu’elle s’était opposée à plusieurs mesures contreproductives. Elle estime notamment que le surplus primaire de 3,5 % du PIB exigé par l’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances de la zone euro), mais surtout par l’Allemagne, est intenable et risque d’étouffer la reprise économique… Elle ne s’est pas arrêtée en si bon chemin en souhaitant la création d’un vrai budget de la zone euro, de bons du trésor européen, et l’achèvement rapide de l’union bancaire qui passe notamment par un fonds européen de garantie des dépôts, toutes innovations refusées en bloc par Berlin. « Il manque des maillons pour que l’euro soit un succès », a-t-elle souligné.

La présidente désignée veut enfin exercer son mandat en adoptant une vision plus large de la politique monétaire qui, selon elle, doit tenir compte des nouveaux défis que sont le changement climatique, l’intelligence artificielle et la remise en cause du multilatéralisme. En particulier, elle souhaite que la BCE élimine « progressivement » les titres financiers des entreprises polluantes qu’elle détient à la suite du QE.

Reste à savoir quelle présidente sera Christine Lagarde : elle a plaidé pour la concertation et pour le compromis. Or si Draghi a pu imposer sa politique, c’est en jouant du rapport de force brutal et en n’hésitant pas à passer sur le corps du patron de la Bundesbank. Chercher le compromis avec l’Allemagne, c’est la certitude du surplace…

Photo: AFP

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Sylvie Goulard : un choix risqué et contestable

Mon, 09/02/2019 - 20:40

Emmanuel Macron ne pouvait pas, a priori, choisir personnalité plus idoine pour occuper le poste de commissaire européen que Sylvie Goulard, l’actuelle sous-gouverneure de la Banque de France : militante fédéraliste convaincue, elle a fait l’essentiel de sa carrière sur les questions européennes à Paris et à Bruxelles. D’abord à la Commission auprès de Romano Prodi, puis au Parlement européen où elle a été députée «libérale» entre 2009 et 2017. Et pour ne rien gâcher, cette énarque de 54 ans parle parfaitement allemand, anglais et italien, et connaît sur le bout des doigts l’Allemagne, un pays dont elle est très proche. Personne ne pourra mettre en doute ses compétences.

Mais, et c’est un énorme risque pris par le chef de l’Etat, il y a un côté obscur chez Sylvie Goulard, qui rend sa confirmation par le Parlement européen pour le moins incertaine. Après avoir rallié Macron dès octobre 2016, lui ouvrant son carnet d’adresses européen, Goulard avait dû démissionner de son poste de ministre des Armées, le 21 juin 2017, à peine un mois après y avoir été nommée, en raison de son implication dans le scandale des assistants parlementaires européens présumés fictifs du Modem. Or cette affaire n’est toujours pas jugée, ce qui donne la désagréable impression que ce qui empêche d’être ministre à Paris ne serait pas un obstacle pour occuper une fonction européenne. L’eurodéputé EE-LV Yannick Jadot l’a illico souligné sur Twitter.

Affaire gênante

A l’époque, la rapidité avec laquelle Goulard avait démissionné avait surpris. D’autant qu’elle a alors contraint François Bayrou, le ministre de la Justice et patron du Modem à qui elle devait son poste, à jeter l’éponge à son tour. Pour mieux se défendre, comme elle l’affirmait ? Ou pour éviter d’embarrassantes questions sur une autre affaire : ses liens avec un sulfureux milliardaire américain, Nicolas Berggruen, un «financier vautour» selon le magazine Forbes comme le rappelle Mediapart ? Entre 2013 et 2016, alors qu’elle était eurodéputée et donc rémunérée 8 760 euros brut mensuels, elle a touché «plus de 10 000 euros brut par mois»versés par un «think tank» financé par Berggruen. Pour quelles tâches ? Nul ne le sait. Ce n’était pas vraiment un secret, puisqu’elle l’avait signalé sur la «déclaration d’intérêts» que doivent remplir tous les eurodéputés. Mais un tel niveau de rémunération, sans être illégal, n’est pas anodin, Sylvie Goulard étant alors l’une des figures de proue du Parlement sur les questions économiques et financières. Une affaire pour le moins gênante pour celle qui clamait en octobre 2014, après avoir bataillé contre la nomination de Pierre Moscovici comme commissaire aux Affaires économiques et monétaires au motif qu’«il ne faut accepter que des personnalités incontestables, sinon les opinions publiques nous le reprocheraient».

Nul doute que les eurodéputés s’en souviendront alors qu’ils sont déterminés à rappeler aux Etats qu’ils disposent du pouvoir de confirmer ou non les commissaires proposés par les gouvernements. Beaucoup d’entre eux n’ont pas digéré que Macron ait réussi à tuer le système des «Spitzenkandidaten» en convainquant le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, en juillet, de désigner l’outsider Ursula von der Leyen. La faible majorité que la ministre de la Défense allemande a ensuite obtenue devant le Parlement européen le 16 juillet (383 voix contre 327) est un bon indicateur du malaise ambiant. La tentation sera donc forte de faire payer à Goulard, proche du chef de l’Etat, la facture que celui-ci a laissée. D’autant qu’elle a su se constituer de solides inimitiés au Parlement européen et au-delà, notamment Moscovici, Sandro Gozi, actuel conseiller d’Edouard Philippe, Guy Verhofstadt, ancien président du groupe libéral, François Bayrou, etc. Elle se montre volontiers méprisante avec ceux qu’elle ne juge pas à sa hauteur.

Déontologie

Alors que la date limite du dépôt des candidatures était fixée à dimanche, Macron a fait connaître sa décision avec deux jours de retard. Ce qui trahit de grandes hésitations, quoiqu’en dise le chef de la délégation française «Renaissance» au Parlement européen, Stéphane Séjourné, qui osait saluer mercredi «le choix de l’évidence»… Si tel était le cas, cette désignation serait intervenue dès juillet. En fait, le chef de l’Etat a exploré jusqu’au bout d’autres pistes : les noms des ministres Florence Parly (Armées) et Bruno Le Maire (Economie et finances) ont circulé avec insistance, tout comme celui de Benoît Cœuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne. Le choix final a été arrêté en concertation avec la présidente élue de la Commission, l’Allemande Ursula von der Leyen. «Goulard sera dans les mains des Allemands» se désolait mercredi un député du Modem. De fait, plusieurs élus d’outre-Rhin pourraient être tentés de soutenir cette Française qui a toujours défendu la vision économique et budgétaire de Berlin. Au fond, les eurodéputés devront dire s’ils privilégient l’engagement européen et la compétence des candidats… ou plutôt leur déontologie, comme le souhaitait Sylvie Goulard en 2014 ?

N.B.: article paru dans Libération du 29 août

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Vacances

Fri, 07/19/2019 - 20:47

Et voilà, le temps des vacances est venu. Je disparais jusqu’au 22 août prochain.

L’année a été particulièrement riche en actualité et en évènements personnels: mon nouveau livre, «Il faut achever l’euro», la parution de la seconde édition de mes «salauds de l’Europe», deux prix de journalisme (Prix «mieux comprendre l’Europe» et prix catalan Ernest Udina de la trajectoire européenne), un documentaire, «Qu’est-ce qu’un bon impôt?», etc. Le tout couronné par la chute de Martin Selmayr, le secrétaire général de la Commission, dont j’ai démontré l’illégalité de la nomination et révélé ses manoeuvres dignes de Frank Underwood. Mais rien de personnel, comme le montre ce photomontage que je dois à @Berlaymonster ;-)

Je soupçonne votre frustration d’avoir vu disparaitre, en septembre dernier, les commentaires de ce blog à la suite d’un gros problème technique sur le serveur de Libération qui n’est toujours pas réglé à ce jour. J’espère qu’ils reviendront... En attendant, vous pouvez commenter sur Twitter (@quatremer) et sur mes trois pages Facebook (deux «Jean Quatremer» et une «Coulisses de Bruxelles»).

En attendant de vous retrouver, dans le journal, sur le net, à la télévision, je vous souhaite de bonnes vacances.

Fidèlement votre.

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Boris Johnson ou le déclin de l'Empire britannique

Fri, 07/19/2019 - 20:26

Voici la version française de mon article paru dans The Guardian du 16 juillet.

La scène se passe le 16 juin 1998 à Cardiff. Le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement clôturant la présidence britannique de l’Union vient de se terminer et le Premier ministre Tony Blair donne sa conférence de presse. Le dépenaillé rédacteur en chef adjoint du Daily Telegraph, Boris Johnson, qui va fêter ses 34 ans, prend la parole et se lance dans une longue tirade qui est davantage un éditorial qu’une question. Blair, de 10 ans son ainé et qui a fréquenté les mêmes écoles que Johnson, ironise : « Boris, vous devriez être Premier ministre ! » L’anecdote prend tout son sel 21 ans plus tard alors que l’ancien journaliste conservateur devenu un politicien retord pourrait bien faire son entrée au 10 Downing street

L’ascension de cet europhobe opportuniste laisse sans voix à Bruxelles où l’on garde un souvenir douloureux de celui que l’on surnomme encore ici le « bouffon ». Fils d’un ancien fonctionnaire européen - et même eurodéputé de 1979 à 1984 -, il s’y est fait connaitre comme correspondant du Daily Telegraph dans la capitale de l’Union entre 1989 et 1994. Tous ceux qui l’ont connu à cette époque en garde un souvenir ému, car c’est lui qui a inventé un genre journalistique, les « Euromyths » que l’on appellerait aujourd’hui « Fake news ». Il n’a pas hésité, avec l’approbation de sa rédaction en chef, à travestir la réalité, voire à inventer de toutes pièces des histoires, afin de donner de l’Europe l’image d’un monstre bureaucratique prenant des décisions les plus absurdes. Comme me l’a alors expliqué ce jeune homme de 28 ans qui portait toujours des vestes froissées à la propreté douteuse et une chemise à moitié sortie du pantalon (so british !) : « il ne faut jamais laisser les faits arrêter une bonne histoire ». On peut citer, parmi celles-ci, la police visant à vérifier la courbure des bananes, la standardisation des cercueils, l’interdiction des cocktails de crevettes ou encore le mode de vie forcément somptuaire d’eurocrates surpayés et ne payant pas d’impôt.

Pour les Européens, Boris Johnson était et reste l’incarnation de ce qui se fait de pire dans l’élite anglaise (et non britannique) formée dans les Public schools et « Oxbridge », c’est-à-dire subtilement arrogante, totalement cynique, gentiment xénophobe, sûre de sa supériorité culturelle. Sur ce dernier point, et contrairement à l’image populaire qu’il aime à se donner, Johnson est un homme fin et d’une culture immense qui faisait pâlir d’envie ses collègues. Ainsi, un journaliste espagnol se souvient l’avoir vu lire un livre en grec ancien lors d’un voyage en avion. Il a même un jour posé une question en latin en salle de presse, à une époque où seul le français y était autorisé, à propos d’un soi-disant projet de directive visant à imposer les noms latins des poissons afin de faciliter la politique commune de la pêche... Boris Johnson en salle de presse de la Commission, c’était le spectacle assuré.

Humainement, Johnson était un dilettante qui s’assumait, un bon camarade, bon vivant, toujours prêt à donner un coup de main. Et surtout, il était toujours à l’affut de « la » bonne histoire. Son antienne quotidienne, prononcée d’une voix de Stentor qui résonne encore dans ma tête était : « what’s the story today, Jean ? » Mieux valait peser ses mots pour éviter de retrouver une histoire délirante et non sourcée dans le Telegraph… Il était totalement désarmant, car il ne s’agissait pas d’un idéologue hargneux pour qui l’Europe était le mal absolu, le nouveau Reich de mille ans. Non, plus simplement, c’était un homme sans conviction que tout amusait et qui ne se préoccupait absolument pas des conséquences de ce qu’il écrivait ou du mal qu’il faisait. Doté d’un solide sens de l’humour, il savait faire taire rapidement les critiques les plus virulentes : comment combattre un homme qui assume ses mensonges et n’a aucune illusion sur un métier qu’il n’exerçait que pour obtenir de l’influence. De ce point de vue, sa réussite a été totale : il a réussi l’exploit de transformer durablement la presse britannique, et pas seulement la presse conservatrice, qui a couru après le succès des Euromyths, une presse qui a pavé le chemin du Brexit. Un ancien correspondant du Times (un journal qui avait pourtant viré Johnson au début de sa carrière pour mensonge) pleurait presque en racontant que ses articles étaient totalement réécrits à Londres afin de coller aux préventions europhobes locales. Mais il est vrai que la vérité est souvent moins spectaculaire et ne fait pas vendre.

Voir cet enfant gâté, qui ment comme un enfant, à l’idéologie aussi molle qu’un caramel par temps de canicule, aux portes du pouvoir donne le sentiment aux partenaires de Londres d’assister au « déclin de l’Empire britannique », pour paraphraser le titre d’un film québécois (« le déclin de l’Empire américain »). Une sorte d’épiphanie d’une séquence politique ouverte avec la décision d’un condisciple de Johnson, David Cameron, d’organiser un référendum sur l’appartenance de son pays à l’Union qui a ridiculisé pour longtemps aux yeux du monde un Royaume-Uni incapable de sortir de l’Union.

Au fond, Boris Johnson est à l’image de la classe politique britannique : un politicien qui joue cyniquement avec l’avenir de ses concitoyens et de son pays pour s’emparer du pouvoir. Mais sa force est aussi d’être dépourvu de vraies convictions, ce qui le rend imprévisible. On considère à Bruxelles qu’il est capable de tout, même de renoncer au Brexit s’il y voit son intérêt personnel. Après tout, ne s’est-il pas longtemps opposé au Brexit avant de prendre la tête de la campagne du « leave », n’hésitant pas à mentir, et à l’admettre, ou à insulter ses partenaires européens avant de faire marche arrière… Tout compte fait, mieux vaut un « bouffon » pragmatique qu’un idéologue fanatique. Mais attention : il peut trouver amusant de précipiter son pays dans le précipice, bien loin du sens de l’État d’un Churchill dont il a été un bon biographe.

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Ursula von der Leyen s'offre la tête de Martin Selmayr

Fri, 07/19/2019 - 20:08

Ursula von der Leyen, la présidente élue de la Commission, a fait tomber sa première tête, et pas n’importe laquelle : celle de Martin Selmayr, le sulfureux secrétaire général de l’exécutif européen, le poste le plus important de l’administration communautaire. C’est lundi soir, à la veille du vote d’investiture de la ministre de la Défense allemande, que Selmayr a annoncé à ses collaborateurs son départ effectif dès la semaine prochaine. Officiellement, selon le site Politico, à qui il a réservé la primeur de la nouvelle, afin d’éviter que les deux postes les plus importants de la Commission soient occupés par des Allemands.

Si cet élément a sans doute compté, il n’y avait en réalité aucune urgence à son départ puisque la nouvelle Commission ne prendra ses fonctions que le 1er novembre. Celui que Jean-Claude Juncker surnomme «le monstre» aurait donc pu rester en place jusque-là et continuer à placer ses affidés à tous les postes de direction comme il le fait depuis 18 mois. Les vraies raisons de ce départ précipité sont autres. Ce sont, en effet, les chefs d’Etat et de gouvernement qui ont exigé son départ le 2 juillet, lors du sommet consacré aux nominations des dirigeants de l’Union. Une première depuis 1958, les Etats ne se mêlant jamais directement des affaires internes des institutions communautaires. Mais cette fois, il en allait différemment, les Vingt-huit ayant pris conscience de la place démesurée prise par cet Allemand de 49 ans à qui Jean-Claude Juncker, le président sortant de la Commission, a littéralement confié les rênes du pouvoir. Sa nomination illégale au poste qu’il occupe, en février 2018, révélée par Libération, et dénoncée tant par le Parlement européen, qui a même réclamé à deux reprises sa démission, que par la médiatrice européenne, et ses abus de pouvoir manifestes ne l’ont pas ébranlé. Rien ne semblait pouvoir le déboulonner.

Manœuvres disqualifiantes

Mais il a franchi la ligne rouge en encourageant, le 30 juin, les chefs de gouvernement des pays de l’Est à refuser la nomination à la présidence de la Commission du socialiste néerlandais Frans Timmermans, comme le proposait Angela Merkel, la chancelière allemande, afin de promouvoir la candidature de «son» candidat, le Premier ministre croate, Andrej Plenkovic. En effet, il savait que le Néerlandais, qui le déteste cordialement, le virerait sans état d’âme, alors qu’un ressortissant d’un petit pays, débordé par l’ampleur de la tâche, le laisserait agir à sa guise. Pour ne rien arranger, durant tout le sommet du 30 juin au 2 juillet, il s’est comporté comme un chef de gouvernement, essayant d’influencer les négociations, ce qui a achevé de le discréditer.

Pour ne rien arranger, il a essayé de faire trébucher Ursula von der Leyen devant le Parlement européen afin de remettre Plenkovic dans la course. Il est presque arrivé à ses fins puisqu’elle lui doit largement sa faible majorité (383 voix alors qu’il lui en fallait 374). De fait, il lui a fourni une équipe de transition particulièrement faible qui l’a mal préparéе aux réalités européennes et il lui a donné des consignes de prudence totalement contre-productives : ses auditions devant les groupes politiques, la semaine dernière, ont été catastrophiques. Il a fallu que Paris et Berlin interviennent directement, d’où la qualité exceptionnelle de son discours mardi matin à Strasbourg qui lui a sans doute sauvé la peau.

Grand ménage

La coupe était dès lors pleine : Ursula von der Leyen, qui n’a jamais hésité à faire le ménage dans les différents ministères qu’elle a occupé, n’ayant pas pour habitude de se laisser diriger par des technocrates, a exigé la tête de Selmayr. L’homme va donc quitter la Commission par la petite porte, totalement discrédité. Mais il n’a pas dit son dernier mot : il compte bien rebondir ailleurs. Ainsi une rumeur le donne secrétaire général (un poste qui n’existe pas...) de Christine Lagarde à la Banque centrale européenne (BCE). Mais on imagine mal cette dernière s’encombrer d’une personnalité aussi nocive au risque d’apparaître comme une marionnette de Selmayr… En attendant, le collège des commissaires devrait le nommer, mercredi 24 juillet, directeur du bureau de la Commission à Vienne, certes une chute spectaculaire dans la hiérarchie, mais qui lui permettra de conserver son salaire de 17.000 euros par mois.

En attendant, les eurocrates de l’entourage du secrétaire général déchu ont commencé à retourner leur veste : chacun fait valoir ses actes de «résistance» face à l’autocrate pour sauver sa peau… Or, seul, l’Allemand ne serait pas arrivé là où il est. En particulier, il a pu compter sur le soutien indéfectible du directeur général du service juridique, l’Espagnol Luis Romero Requena : c’est lui qui a organisé sa nomination en violation du statut de la fonction publique européenne, un texte qu’il est censé faire respecter comme gardien du droit. Bref, von der Leyen a du ménage à faire. Elle devra s’appuyer sur un secrétaire général fidèle à l’institution plus qu’à ses propres intérêts : le nom du Français Olivier Guersent, le directeur général «services financiers» de la Commission, un haut fonctionnaire dont personne ne conteste les grandes qualités, est le plus souvent cité.

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Ursula von der Leyen élue de justesse présidente de la Commission

Fri, 07/19/2019 - 20:01

Ursula von der Leyen sera bien la prochaine présidente de la Commission européenne, la première femme élue à ce poste depuis 1958 : l’ancienne ministre allemande de la Défense a été confirmée mardi soir 16 juillet par le Parlement européen réuni à Strasbourg par une marge très étroite : 383 voix contre 327 et 22 abstentions (733 présents sur 747) alors qu’il lui en fallait 374 au minimum. Elle est loin des 422 voix obtenues par Jean-Claude Juncker en 2014. Le vote étant à bulletins secrets, on ne sait pas qui a voté pour ou contre elle. Mais on peut affirmer sans grand risque de se tromper que, sans le renfort des eurosceptiques du Mouvement Cinq Etoiles italien (14) et du PiS polonais (26), qui ont annoncé qu’ils la soutenaient, elle aurait été défaite. La déperdition au sein de son camp, les conservateurs du PPE (182 députés), mais aussi des deux autres groupes qui la soutenaient officiellement, les socialistes (153) et «Renouveler l’Europe» (RE, 108) est manifestement énorme, puisqu’elle pouvait a priori compter sur 443 voix : au moins cent députés de ces trois groupes ont voté contre elle.

Pourtant, elle avait considérablement haussé son niveau de jeu, mardi matin, devant les députés en livrant un discours précis, enlevé, vivant, humain, non dénué d’émotion lorsqu’elle a évoqué le projet européen ou le drame des réfugiés (elle a personnellement accueilli un jeune Syrien chez elle). Il faut dire qu’après des débuts chaotiques devant les groupes politiques la semaine dernière, tout le monde lui reprochant d’aligner des généralités censées ne déplaire à personne, ce discours était très attendu. Toute la question était de savoir si la majorité qui lui semblait acquise serait ou non largement dépassée et si elle pourrait être atteinte avec les seules voix proeuropéennes sans le secours des eurosceptiques, des europhobes et des souverainistes…

Contraste

Pour se rétablir, elle a compris qu’il fallait faire tomber des têtes : l’Allemand Martin Selmayr, le controversé secrétaire général de la Commission, a annoncé lundi sa démission qui sera effective dès la semaine prochaine. Von der Leyen l’accuse, à juste titre, d’avoir essayé de lui savonner la planche (lire Libération de samedi). Sûre du soutien du PPE, sa famille politique, et de RE, la présidente désignée s’est attachée à gauchir et à verdir son programme afin de séduire 153 sociaux-démocrates rétifs et 74 députés écologistes carrément hostiles au risque de déplaire aux conservateurs.

L’opération de charme a réussi vu les applaudissements nourris qui ont accueilli son discours, mais pas au point de faire changer d’avis les députés qui s’étaient fait une religion dès sa désignation. Pourtant le contraste entre cette femme énergique de 60 ans et son prédécesseur, l’ancien Premier ministre luxembourgeois de trois ans son aîné seulement, était saisissant : autant Jean-Claude Juncker semblait revenu de tout, prématurément vieilli, usé, ne reculant jamais devant un discours un rien apocalyptique («la commission de la dernière chance», son mantra), autant Ursula von der Leyen, à l’élégance impeccable, s’est montrée pleine d’énergie, rafraîchissante, évitant la langue de bois qui est trop souvent la marque des responsables européens.

«Future coalition»

Au final, un discours plus social-démocrate et écologiste que conservateur : «en fait, elle dessine ce qui pourrait être le programme de la future coalition allemand entre la CDU-CSU et les Verts», ironise un journaliste autrichien. Mais ses engagements sociaux, qui ont fini par indisposer les conservateurs, notamment le salaire minimum européen, et environnementaux, n’ont pas suffi à convaincre une partie de la gauche de voter pour elle. Les eurodéputés Grünen, entraînant dans leur sillage tout le groupe, ne voulaient, par principe, pas entendre parler de Von der Leyen, ce qui risque de compliquer la tâche de leurs homologues de Berlin, plus réalistes, qui ont en vain fait pression sur eux.

Même chose du côté du SPD allemand, qui gouverne pourtant avec la CDU-CSU : sa partition est totalement illisible sauf à vouloir jouer un retour rapide dans l’opposition. Il a entraîné avec lui une cinquantaine d’eurodéputés socialistes, dont les Français qui se réjouissaient pourtant des inflexions du discours de Von der Leyen. Allez comprendre. Au final, un tiers des socialistes, les écologistes et la gauche radicale ont joint leurs voix à une partie des europhobes, des eurosceptiques et de l’extrême droite. Ce qui ne forme clairement pas une majorité alternative. Strasbourg est éclaté façon puzzle.

Photo: AFP

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Commission européenne: Strasbourg vote, Berlin sabote

Fri, 07/19/2019 - 19:57

La confirmation de la présidente désignée de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen, se joue ce mardi à Strasbourg, mais surtout à Berlin. En effet, les bisbilles germano-allemandes menacent de fragiliser d’entrée de jeu l’ancienne ministre de la Défense d’Angela Merkel : si son élection ne fait guère de doute, elle risque de devoir sa majorité au renfort des eurosceptiques et des démagogues. Comme le note Sven Giegold, député européen des Grünen allemands, Von der Leyen «pourrait devenir la première présidente élue sans majorité pro-européenne. Ce serait un signal catastrophique puisqu’elle serait alors également la présidente des ennemis de l’Europe». Un constat qui n’empêchera pas Sven Giegold de voter contre elle au risque de permettre la réalisation de sa prophétie…

En théorie, la présidente choisie par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement le 2 juillet aurait dû compter sur une large majorité composée des 182 élus conservateurs du Parti populaire européen (PPE), sa famille politique, des 153 membres du groupe socialiste, des 108 de Renouveler l’Europe (RE), où siègent les députés macronistes, et des 74 du groupe Vert, soit 517 voix sur 747 (1), soit bien au-delà de la majorité absolue des membres (374) exigée par les traités européens. Mais les Verts se sont immédiatement cabrés : pour eux, la remise en cause par les gouvernements du système des Spitzenkandidaten (où la tête de la liste arrivée en tête aux élections européennes doit être nommée président de la Commission) est une atteinte inadmissible à la démocratie européenne. Une attitude étrange à deux titres : d’une part, car ce système impose a minima au parti vainqueur de réunir une double majorité au Conseil européen et au Parlement sur le nom de leur tête de liste. Or ce n’était pas le cas de l’Allemand Manfred Weber, ni les socialistes ni les centristes ne voulant voter pour lui. D’autre part, parce que Weber, pour qui les Verts étaient prêts à voter en échange d’un programme de coalition reprenant quelques-uns de leurs thèmes de campagne, est infiniment moins social et soucieux de l’environnement que Von der Leyen : membre de la CSU, la branche bavaroise de la CDU, il a toujours défendu les intérêts des constructeurs allemands, notamment lors du «dieselgate». Pire, il a longtemps protégé le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, dont le parti est membre du PPE…

Calcul et trahison

«Leur attitude est totalement incompréhensible», se désespère Daniel Cohn-Bendit, ancien coprésident des Verts, qui essaye, en vain, de convaincre ses amis de revenir à la raison. En réalité, ce groupe, dominé par les Grünen (25 élus) et les Français d’EE-LV (12 élus), joue moins un jeu européen que de politique intérieure. Pour les Allemands, faire mordre la poussière, ou au moins affaiblir, Von der Leyen, c’est provoquer une crise en Allemagne qui pourrait déboucher sur des élections anticipées et donc permettre leur arrivée au pouvoir, si l’on en croit les sondages. Pour les Français, voter contre elle, c’est voter contre Macron, puisque c’est lui qui a permis de sortir le Conseil européen de l’ornière en proposant cette candidate de compromis.

Chez les socialistes allemands, le calcul est le même. Le SPD, actuellement privé de direction, est furieux que la suggestion de Martin Schulz, l’ancien président du Parlement européen et candidat malheureux à la chancellerie, approuvée par Merkel puis Macron, ait été rejetée par une partie des chefs de gouvernement du PPE. L’idée était de nommer président de la Commission le Néerlandais Frans Timmermans, tête de liste des socialistes arrivés en seconde position aux élections européennes, puisque son nom suscitait a priori moins de rejet que celui de Weber. La nomination surprise d’Ursula von der Leyen a donc été vécue comme une trahison, le SPD contraignant même Merkel à l’abstention lors du sommet européen du 2 juillet. «C’est notre ministre la plus faible», a immédiatement taclé Schulz alors que son parti gouverne l’Allemagne en Grosse Koalition («grande coalition», GroKo) avec la CDU-CSU… Depuis, les 16 eurodéputés du SPD se démènent comme de beaux diables pour pousser l’ensemble de leur groupe à voter contre Von der Leyen, à l’image de Katarina Barley, toute nouvelle vice-présidente du Parlement européen, qui la connaît pourtant bien puisqu’elle a siégé à ses côtés comme ministre de la Justice…

«Inadéquate et inappropriée»

Le SPD estime ne pas pouvoir voter pour elle parce qu’elle n’est pas l’une des Spitzenkandidaten, omettant le fait, comme les Verts, qu’aucune des têtes de liste n’avait de majorité au Conseil européen ou au Parlement. Mais il l’attaque aussi en critiquant sa personnalité. Ainsi, Jens Geier, le chef de la délégation du SPD au Parlement, a fait circuler un papier (rédigé en anglais pour être certain d’être bien compris) dressant un portrait assassin de la présidente désignée, qualifiée de «candidate inadéquate et inappropriée» qui «se surestime depuis toujours». Dans ce réquisitoire, le député estime qu’Ursula von der Leyen a été une ministre de la Défense «faible» qui n’a jamais réussi à obtenir la confiance de la Bundeswehr, pas plus qu’à la renforcer, et rappelle qu’elle traîne plusieurs casseroles (dont le coût faramineux de la rénovation d’un navire-école de la marine ou des accusations d’avoir plagié une partie de sa thèse…). Une stratégie pour le moins suicidaire, puisqu’un tel vote de défiance pourrait faire exploser la GroKo en plein vol, provoquant alors des élections anticipées dont les sociaux-démocrates sortiraient lessivés. C’est pourquoi tout le SPD n’est pas sur cette ligne : dimanche, Otto Schily, ancien ministre de l’Intérieur, a qualifié, dans le quotidien Die Welt, la stratégie du SPD de «minable» et de «déloyale». Pour lui, ses amis mettent en danger la stabilité de l’Europe au nom «d’étroits intérêts partisans» : «Je n’aime pas employer le mot de «catastrophe», mais le rejet de la candidature de Von der Leyen constituerait une déplorable débâcle.» Ambiance.

L’Elysée estime aussi que «le SPD fait à Strasbourg ce qu’il n’ose pas faire à Berlin». Si le Parti social-démocrate (16 députés) peut déjà compter sur le soutien des 5 socialistes français (qui, tout comme EE-LV, joue l’opposition à Macron) et des 2 Belges francophones (toujours à la remorque de leurs homologues hexagonaux), soit 23 députés sur 153 socialistes, la question est de savoir s’ils entraîneront avec eux un tiers des membres, le gros des troupes, notamment constitué des Espagnols (20) et des Italiens (19) ayant déjà annoncé son soutien à Von der Leyen. «Schulz parie sur l’effet de contagion et fait jouer ses contacts»,raconte un diplomate européen. Pour ne rien arranger, la présidente désignée a compliqué la tâche de ses soutiens en se livrant, la semaine dernière, à de médiocres prestations devant les groupes, refusant de s’engager clairement et cherchant à ménager la chèvre et le chou, mal conseillée par son compatriote Martin Selmayr, le secrétaire général de la Commission. «Elle n’a pas été bonne», admet-on à Paris. Autant dire que les calculettes chauffent, d’autant qu’une vingtaine d’eurodéputés seront déjà en vacances (!), ce qui équivaut à un vote contre…

Ursula von der Leyen peut compter à coup sûr sur le soutien des groupes PPE et RE, soit 290 voix au mieux : en effet, le vote étant secret, des défections ne sont pas à exclure. Si on ajoute, au pire, une centaine de socialistes, on atteint 390 voix, soit à peine 16 voix au-delà de la majorité absolue (374 voix). On est non seulement très loin d’une large majorité, équivalente à celle obtenue par Jean-Claude Juncker en 2014 (422 voix avec 729 députés présents), mais la marge est trop étroite pour sécuriser son élection.

Cauchemar et dette

C’est là où interviennent les eurosceptiques et les populistes, qui ont flairé la bonne occasion de peser sur la future présidente : le PiS polonais (Droit et Justice) au pouvoir à Varsovie, le Mouvement Cinq Etoiles (M5S) ou encore la Ligue de Matteo Salvini ont d’ores et déjà annoncé qu’ils voteraient l’investiture d’Ursula von der Leyen, soit un apport d’au moins 68 voix. Mais une présidente de Commission qui leur devrait son élection - l’étroitesse de la marge sera un indicateur de l’importance de leur apport - sera affaiblie dès le départ, car le soupçon pèsera tout au long de son mandat qu’elle cherche à payer sa dette. C’est pour éviter ce cauchemar que les capitales se mobilisent pour convaincre leurs députés de rentrer dans le rang et surtout essayent de convaincre Von der Leyen de muscler le discours-programme qu’elle prononcera ce mardi à 9 heures en prenant des engagements précis en matière environnementale, sociale, institutionnelle ou encore d’intégration.

(1) Le nombre normal est de 751. Mais trois députés catalans n’ont pu prêter serment sur la Constitution espagnole à Madrid, l’un parce qu’il est en prison, les deux autres, dont l’ex-président de la Généralité, Carles Puigdemont, parce qu’ils sont réfugiés en Belgique. Et un député danois a été nommé ministre.

Photo: AFP

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