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Updated: 1 week 22 hours ago

SelmayrGate: le mandat de trop de Juncker

Thu, 04/26/2018 - 15:10

Le mandat de Jean-Claude Juncker a politiquement pris fin le 18 avril 2018 à Strasbourg, dix-neuf mois avant son échéance normale. C’est l’avis de la plupart des eurodéputés, mais aussi des fonctionnaires européens et des Etats membres qui, tous, restent sidérés de l’autisme manifesté par le président de la Commission européenne : jusqu’au bout, il aura refusé de sacrifier l’Allemand Martin Selmayr, son secrétaire général-chef de cabinet-sherpa de 47 ans, mettant même sa propre démission dans la balance si le Parlement osait réclamer la démission de son homme de confiance. S’il a obtenu satisfaction, les eurodéputés calant devant la perspective d’une crise politique, il sort du «SelmayrGate» en lambeau. Car la réalité est là: la résolution adoptée la semaine dernière à la quasi-unanimité est une condamnation sans réserve de Juncker et du collège des 27 commissaires accusés d’avoir mené un «coup de force [«golpe», en espagnol, ndlr] à la limite de la légalité, voire au-delà» pour promouvoir Martin Selmayr au poste de secrétaire général.

«Selmayr aurait dû démissionner dès que sa nomination a été mise en cause par la presse et la commission de contrôle budgétaire du Parlement, ne serait-ce que pour protéger son président et la Commission», juge une eurodéputée influente: «Au lieu de ça, il s’est accroché jusqu’au bout. Quelle est son influence désormais puisque toutes ses décisions seront soigneusement scrutées ? Surtout, quel est son avenir ? Dans vingt mois, il sera viré par le futur président qui ne pourra pas s’encombrer d’un tel personnage.» De fait, l’article 50 du statut de la fonction publique européenne permet de congédier sans raison les hauts fonctionnaires de la Commission (avec indemnités, bien sûr). «Terminer sa carrière à 49 ans avec un article 50 et une réputation épouvantable, c’est le résultat de la manœuvre menée par un homme qui n’est manifestement pas si brillant», ironise la députée déjà citée. Surtout, dans quelle démocratie un fonctionnaire mis en cause par son Parlement aurait-il été maintenu à son poste par son autorité politique ? Et, pour ne rien arranger l’exécutif européen a refusé sèchement de se livrer à une «nouvelle évaluation» de la nomination du secrétaire général comme le lui demandait le Parlement, signifiant ainsi toute la considération qu’il porte à la démocratie européenne... «La réputation» de la Commission, comme le souligne le Parlement, est sérieusement entachée à un an des élections européennes.

Il est frappant de voir que personne n’a défendu le sulfureux secrétaire général, que ce soit à Bruxelles ou dans les capitales européennes, tant il s’est fait d’ennemis au cours de sa carrière. Un ministre d’un pays d’Europe centrale nous a ainsi confié sa répulsion à l’égard d’un personnage «qui méprise tout le monde à part lui-même et qui nous a causé de gros problèmes politiques par ses décisions : vous ne trouverez personne dans la région qui le défende». C’est aussi vrai en Allemagne, Berlin ayant compris que ses ambitions de faire main basse sur d’autres postes européens sont désormais compromises, le cavalier seul de Selmayr ayant attiré l’attention sur la surreprésentation – c’est un euphémisme – des Allemands au sein des institutions communautaires. Quant à Juncker, sa défense de Selmayr relève du suicide politique: révéler ainsi sa totale dépendance à l’égard d’un fonctionnaire fait peser un sérieux doute sur celui qui a vraiment dirigé la Commission européenne depuis 2014.

Le dernier mandat de l’ancien Premier ministre luxembourgeois aura été le mandat de trop.

Categories: Union européenne

Lanceurs d'alerte: la Commission européenne propose enfin une large protection

Tue, 04/24/2018 - 22:23

La pression exercée par le Parlement européen, le Conseil de l’Europe sis à Strasbourg et la société civile a fini par payer : la Commission européenne s’est finalement résolue à proposer, lundi, une directive organisant la protection des lanceurs d’alerte. Le texte présenté par l’exécutif européen (1), c’est un événement en soi, a globalement satisfait les Verts et les Démocrates et Socialistes, les deux groupes politiques de l’Europarlement les plus engagés dans ce combat en faveur des «whistleblowers» (en anglais «personnes tirant la sonnette d’alarme»), à l’image de l’eurodéputée allemande Julia Reda, du parti Pirate, qui s’est réjouie sur Twitter : «Cette fois-ci, la Commission est vraiment au service de l’intérêt public.» Car «les lanceurs d’alerte sont indispensables à la presse d’investigation, précise sa collègue Virginie Rozière (radicaux de gauche, France). Il est nécessaire pour la liberté de la presse de garantir la protection de ses sources».

C’est en avril 2016 que la problématique des lanceurs d’alerte s’est invitée au niveau européen, lors du vote, par le Parlement de Strasbourg, de la directive sur la protection du «secret des affaires». Si son article 5 prévoit bien que ceux qui violent le «secret des affaires» ne pourront pas être poursuivis s’ils ont «agi pour protéger l’intérêt public général», cette exception est limitée aux seuls cas où il s’agit de révéler une «faute, une malversation ou une activité illégale», ce qui exclut, par exemple, les problèmes éthiques d’une activité légale (comme dans le cas des «Luxleaks»). C’est pourquoi le Parlement a demandé, en votant la directive sur le secret des affaires, que la Commission propose rapidement un texte sur les lanceurs d’alertes, une demande réitérée plus précisément dans une résolution d’octobre (rédigée par Virginie Rozière) adoptée à une très large majorité.

«Redorer son blason»

Le texte présenté lundi surprend par son ambition, alors que la Commission s’opposait il y a à peine deux ans au principe même d’une protection, à la fois en affirmant qu’il n’y avait pas de base légale dans les traités et en prétendant que cela n’était pas nécessaire puisqu’il existait déjà des législations dans une dizaine de pays (Royaume-Uni, Suède, France, Italie, Allemagne, Espagne, Luxembourg ou encore Espagne). «On sent qu’elle a pris conscience qu’il lui fallait redorer son blason, tant en matière d’indépendance à l’égard des entreprises que de lutte contre les conflits d’intérêts ou de transparence», ironise Virginie Rozière.

La Commission, pour contourner les objections des Etats qui estimeraient qu’elle sort de ses compétences, propose de protéger les personnes divulguant, dans le cadre de leur travail, qu’elles soient salariées, indépendantes ou stagiaires, ou travaillent dans le public ou le privé, des informations portant sur des violations du droit de l’Union, violation entendue au sens le plus large possible, c’est-à-dire incluant des actes potentiellement illégaux ou des abus. Les domaines couverts vont des intérêts financiers de l’Union aux règles de concurrence, en passant par les marchés publics, les services financiers, la sécurité des produits et des transports, la sûreté nucléaire, la protection des consommateurs, la protection des données personnelles… c’est-à-dire une grande partie des compétences communautaires.

Améliorer la proposition

Le projet de directive prévoit la mise en place obligatoire de mécanismes internes de signalement qui protégeront l’identité du lanceur d’alerte et devront agir dans les trois mois. Des autorités indépendantes devront aussi être créées dans chaque pays au cas où les mécanismes internes se montreraient insuffisants ou défaillants. Enfin, un lanceur d’alerte pourra s’adresser au public (et donc à la presse) si nécessaire (défaillance des organes internes et externes ou urgence). Il bénéficiera d’une forte protection. Notamment, s’il fait l’objet d’une sanction, la charge de la preuve sera inversée : son employeur devra prouver qu’elle n’a aucun lien avec l’information révélée. De même, on ne pourra pas lui reprocher d’avoir violé une loi ou un contrat. Enfin, les Etats qui souhaiteront aller plus loin dans la protection des lanceurs d’alerte pourront le faire.

Pour les Verts et les socialistes, la proposition de la Commission doit être renforcée : ils souhaitent fournir une aide juridique et financière au lanceur d’alerte, inclure des secteurs comme le commerce international, l’ensemble des questions fiscales, la migration et l’asile, la politique étrangère, la coopération policière, etc., et surtout permettre un recours plus large à la presse. Pour entrer en vigueur, le texte devra être adopté par le Parlement européen, ce qui ne devrait pas poser de problème, et par le Conseil des ministres (où siègent les Etats), ce qui s’annonce un tantinet plus ardu.

(1) Encore une fois, le texte de la directive n’est disponible qu’en anglais. Il faudra attendre le 7 mai pour disposer des versions française et allemande. Les autres langues attendront encore plus longtemps. Privilégier une version linguistique unique, toujours anglaise en fait, pose un problème démocratique.

Categories: Union européenne

SelmayrGate: Juncker et Selmayr, deux "morts-vivants"

Mon, 04/23/2018 - 15:50

Pour le Parlement européen, la nomination de l’Allemand Martin Selmayr comme secrétaire général de la Commission est un «coup de force à la limite de la légalité, voire au-delà», ce qui rend nécessaire de «procéder à une nouvelle évaluation de [sa] procédure de nomination». La réponse de la Commission ne s’est pas fait attendre. Quelques minutes après le vote à une écrasante majorité de cette résolution particulièrement dure «sur la politique d’intégrité de la Commission, en particulier la nomination du secrétaire général de la Commission européenne»«sur la politique d’intégrité de la Commission, en particulier la nomination du secrétaire général de la Commission européenne», l’Allemand Günther Oettinger (CDU), le commissaire chargé de la fonction publique, a envoyé sèchement paître les eurodéputés. Dans un communiqué, il proclame que la «nomination du nouveau secrétaire général de la Commission ne peut être révoquée et elle ne le sera pas» puisque «la Commission a respecté tant l’esprit que la lettre de toutes les règles»… Pour mieux se faire comprendre, il n’hésite pas à accuser les eurodéputés de ne pas avoir examiné «les choses de manière sereine, objective et lucide». Un communiqué dans lequel on reconnaît la patte de Selmayr, qui montre ainsi qu’il n’a aucune intention de céder le moindre pouce de terrain aux parlementaires. «C’est vraiment la cour de récréation», se désole une eurodéputée influente: «le côté nananère est désolant».

Cette «arrogance», dénoncée par Dennis de Jong (gauche radicale néerlandaise), est d’autant plus lunaire que c’est la première fois dans l’histoire communautaire que la nomination d’un fonctionnaire est ainsi mise en cause par le Parlement, la seule instance européenne élue au suffrage universel. Comme le note la résolution, cette nomination a réussi l’exploit de «susciter l’irritation et la désapprobation de vastes pans de l’opinion publique» jusqu’à entacher «la réputation» de l’Union. Elle va même jusqu’à demander que la Commission reconnaisse publiquement que le «Selmayrgate» a «été préjudiciable à sa réputation».

Deux promotions en une minute

De fait, le Parlement confirme toutes les étapes du coup d’Etat, révélé par Libération, mené par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, au profit de Selmayr qui sont autant de violations du statut de la fonction publique européenne, un texte voté par le Parlement et les Etats. Rappelons les faits : le 21 février, Juncker décide de promouvoir Martin Selmayr, qui était jusque-là son chef de cabinet, au poste de secrétaire général, la tour de contrôle de la Commission. Simple conseiller principal, sa fonction dans l’administration, il s’est d’abord porté candidat à un poste de secrétaire général adjoint (SGA), qu’il a fait opportunément libérer fin janvier en promouvant sa titulaire. Une procédure taillée sur mesure pour lui : seul autre concurrent, sa cheffe adjointe de cabinet, Clara Martinez, qui retire sa candidature dès l’appel d’offres clôt… Le 21 février, il est donc nommé SGA.

Puis, Juncker annonce que le secrétaire général sortant, le Néerlandais Alexander Italianer, prend sa retraite (à 61 ans), après trois ans seulement à son poste. Dans le même mouvement, il nomme Selmayr à sa place, sans qu’aucun des 27 commissaires ne proteste. Deux promotions en une minute, une procédure de recrutement bidonnée, le passage par l’étape SGA étant nécessaire pour être nommé SG, aucun appel à candidatures pour le poste de SG afin d’éviter la concurrence. La résolution du Parlement se lit d’ailleurs comme un long acte d’accusation listant toutes les irrégularités ou les mauvaises pratiques qui ont émaillé la nomination de Selmayr. Le Parlement met aussi en cause la faillite du politique dans cette affaire. La résolution s’étonne que «pas un seul commissaire», tous d’anciens Premier ministre ou ministre (comme le socialiste Pierre Moscovici, chargé des affaires économiques), «ne semble avoir mis en doute cette nomination surprise ni avoir demandé le report de la décision de nomination».

La peur d’une crise politique

Pourtant, le Parlement n’a pas osé aller jusqu’au bout de son analyse en demandant la démission de Selmayr. Pour la députée Ingeborg Grässle (CDU), la présidente de la commission du contrôle budgétaire, «le Parlement ne peut juridiquement pas le faire». Mais l’affaire était politique : comme organe de contrôle de l’exécutif, il pouvait mettre en cause Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, en exigeant de lui qu’il mette fin à cette farce. Mais celui-ci a mis sa démission dans la balance : «S’il part, je pars», a-t-il lancé en substance aux chefs de gouvernement conservateurs à la mi-mars. Ce qui a fait hésiter, non pas les conservateurs du PPE qui ont protégé sans état d’âme le président de la Commission, leur tête de liste lors des élections européennes de 2014, mais la très grande majorité du groupe socialiste. A l’exception des Français, des Néerlandais, des Belges et des démocrates italiens, il a eu peur d’une crise politique en plein Brexit…

La quasi-totalité des autres groupes (libéraux, verts, gauche radicale, eurosceptiques de l’ECR, europhobes) étaient prêts à aller à la crise, mais leurs troupes coalisées ne forment pas une majorité, loin de là. Reste que Martin Selmayr et Jean-Claude Juncker sont politiquement morts, comme en conviennent la plupart des députés. «Des morts-vivants», lâche même Philippe Lamberts, le patron du groupe vert, une expression reprise par la LR Françoise Grossetête.

N.B.: article paru dans Libération du 19 avril (et mis à jour).

Categories: Union européenne

Parlement européen: Macron ne marche plus seul

Sun, 04/22/2018 - 19:31

Emmanuel Macron a lancé sa campagne en vue des élections européennes de mai 2019, mardi 16 avril, à Strasbourg, en répondant durant 3h30 aux questions des députés européens. Ce n’est pas un hasard si le Président de la République a choisi cette date pour honorer l’invitation que lui a adressé, au lendemain de son élection, Antonio Tajiani, le président du Parlement européen, comme il l’a reconnu: « ce moment » est « particulier », car « c’est celui qui nous sépare des élections européennes à venir, où nous aurons à faire vivre nos combats pour les idéaux qui nous ont faits ». Très combatif, il a donc proclamé qu’il n’avait renoncé à aucun de ses projets de réformes de l’Union énoncés lors de son discours de la Sorbonne de septembre dernier, même s’ils sont pour l’instant enlisés.

Macron choisit le débat

Surtout il a fait le déplacement de Strasbourg pour se positionner dans la réorganisation de l’échiquier politique européen qui s’annonce, En Marche n’ayant aucune existence au niveau européen, faute d’élus et faute d’appartenir à l’une des grandes familles politiques. Pour préparer son déplacement, il a reçu à Paris, la semaine dernière, les patrons des groupes politiques non eurosceptiques de l’europarlement... Sauf Guy Verhofstadt, le très fédéraliste patron du groupe libéral, victime collatéral des bombardements en Syrie: lui qui lui coure après depuis un an devra encore patienter…

« Je lui ai proposé deux formats pour son intervention », m’a expliqué Antonio Tajiani : « soit un discours sans question comme le font les chefs d’Etat et les rois, soit un débat avec les eurodéputés, un exercice auquel sont davantage habitués les chefs de gouvernement. C’est lui qui a choisi le second format qui est inédit pour un chef d’Etat français ». Et cela lui a réussi, Emmanuel Macron n’étant jamais aussi bon que dans l’échange musclé comme il l’a montré lors du débat de second tour face à Marine Le Pen ou lors de son entretien avec Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel. Il a d’ailleurs regretté de ne pas pouvoir le faire en France, Constitution oblige.

Enfoncer un coin dans le PPE

Dans son discours introductif, Emmanuel Macron a d’emblée voulu enfoncer un coin au sein du PPE (conservateurs européens), le principal groupe politique du Parlement, qui accueille sur ses bancs des partis qui sont plus proches de l’extrême droite que des valeurs de la démocratie-chrétienne des origines. Sans jamais citer le Fisdesz du Hongrois Viktor Orban ou les partis conservateurs alliés à l’extrême droite, à l’image des Autrichiens, il a mis en garde contre la réapparition d’une « forme de guerre civile européenne », « où nos différences, parfois nos égoïsmes nationaux paraissent plus importants que ce qui nous unit face au reste du monde »,« la fascination illibérale grandit chaque jour ». « Je ne veux pas laisser s’installer cette illusion mortifère qui, ne l’oublions jamais, ici moins qu’ailleurs, a précipité notre continent vers le gouffre. L’illusion du pouvoir fort, du nationalisme, de l’abandon des libertés. Et je récuse cette idée qui gagne même l’Europe que la démocratie serait condamnée à l’impuissance. Face à l’autoritarisme qui partout nous entoure, la réponse n’est pas la démocratie autoritaire mais l’autorité de la démocratie ». Pour Macron, « la démocratie européenne, je le crois très profondément, est notre meilleure chance. La pire des erreurs serait d’abandonner notre modèle, j’ose dire notre identité ».

S’il a abandonné l’idée, fantasmagorique, de détacher la CDU du PPE, le principal vecteur d’influence allemande au sein de l’Union, il n’a manifestement pas renoncé à affaiblir ce regroupement des conservateurs européens soit en le poussant à faire le ménage dans ses rangs, soit en détachant les partis les plus mal à l’aise avec amitiés malsaines, à l’image d’une partie des Républicains progressistes (et non de l’UDI comme écrit par erreur) ou de la Nouvelle Démocratie grecque tentée de moderniser son image. Un tel éclatement du PPE, encore improbable il y a six mois, a pris davantage de consistance avec sa droitisation menée tambour battant par l’Allemand Manfred Weber, membre de la très conservatrice CSU bavaroise, secondé par le très réactionnaire Partido Popular espagnol. Sentant le danger, des caciques du PPE ont proposé à En Marche de les rejoindre, ce qui serait évidemment un suicide pour Macron et pas seulement à cause de sa dérive droitière: aujourd’hui, ce groupe est la principale force de blocage des réformes européennes…

Un groupe autour d’En Marche

Le second groupe, « socialiste et démocrates » (S&D), est d’ores et déjà en lambeau après les élections allemandes et italiennes. Le parti démocrate italien semblait prêt à rejoindre En Marche, peu soucieux de rester dans le même groupe que le PSOE espagnol qui soutient, pour cause de crise catalane, Jean-Claude Juncker, le président PPE de la Commission, et son âme damnée et secrétaire général, l’Allemand du PPE Martin Selmayr, accusés d’avoir fait le jeu des démagogues en Italie par leur politique migratoire. Mais, pressés par leurs partenaires sociaux-démocrates, ils hésitent à franchir le pas. Ce qui risque de leur coûter cher, le Mouvement Cinq étoiles (M5S), qui a gagné les élections générales et est déjà donné vainqueur des prochaines européennes, ayant fait des offres de services à Macron en faisant valoir qu’il était sur la même longueur d’ondes sur les questions européennes…

L’Allemand Udo Bullman, le patron du groupe socialiste et démocrate (S&D), en lançant à Macron, « avec qui allez-vous travailler » a paru totalement déphasé et en retard d’un train. Car En Marche devrait agréger autour de lui, outre M5S ou les Démocrates, Ciudadanos, le parti qui caracole en tête des sondages en Espagne, trois quart du groupe libéral de Guy Verhofstadt, peut-être les Verts allemands et une partie du PPE. En Marche n’exclut même plus de devenir le premier groupe du Parlement, un pari qui paraissait fou il y a quelques mois encore. Macron, encore une fois, est servi par la chance: affaiblissement des chrétiens-démocrates allemands, crise catalane, effondrement des Démocrates italiens et normalisation du M5S, autant d’évènements qui ont rebattu les cartes européennes.

Macron ne renonce à rien

Macron a profité de ces grandes manoeuvres pour envoyer un signal de fermeté à Angela Merkel, la chancelière allemande, dont le parti semble toujours aussi peu allant dès qu’il s’agit de réformer l’Union et surtout la zone euro. Le socialiste Udo Bullman a d’ailleurs reconnu que « de petits Schäuble (du nom de l’ancien ministre des Finances) ont commencé à se positionner au Bundestag pour empêcher toute réforme de l’Union ». Macron n’a donc laissé aucun doute sur sa détermination de tout changer: la zone euro, avec un budget propre, une union bancaire, un ministre des finances et un parlement dédié. Le budget à 27 dont les dépenses devraient être conditionnés à des critères de convergence fiscale et sociale.

Les institutions en rejetant tout élargissement aux Balkans, comme le veulent Berlin et la Commission,: « on ne va continuer à cavaler sans réformes institutionnelles ». « Ce n’est pas le peuple qui a abandonné l’idée européenne, c’est la trahison des clercs qui la menace », a taclé le chef de l’Etat. « Il faut entendre la colère des peuples d’Europe. Nous ne pouvons pas aujourd’hui faire comme hier, c’est-à-dire refuser de parler d’Europe, répartir les places et accuser Bruxelles ou Strasbourg de tous les maux ». Macron veut donc répéter son succès hexagonal en faisant table rase de « l’ancienne Europe »… On aurait tort de le sous-estimer.

Photo: REUTERS/Vincent Kessler

N.B.: version longue et modifiée de mon article paru dans Libération du 18 avril.

Categories: Union européenne

SelmayrGate: Juncker joue sa survie à quitte ou double

Tue, 04/17/2018 - 06:25

Jean-Claude Juncker joue sa survie politique mercredi au Parlement européen. Les députés, réunis en session plénière à Strasbourg, vont en efet se prononcer sur le « SelmayrGate », le scandale – révélé par Libération- de la promotion express, le 21 février, de l’Allemand Martin Selmayr de son poste de chef de cabinet du président de la Commission à celui de secrétaire général, et ce, en violation du statut de la fonction publique européenne, un texte voté par le Parlement européen et les États. Pour la quasi-totalité des parlementaires, Martin Selmayr ne doit sa position, qui est désormais celle de vrai patron de la Commission, qu’à un coup d’État, mal mené qui plus est. Mais de là à demander son départ, il y a un pas que beaucoup hésitent à franchir, surtout depuis que Juncker a lié son sort au sien. « Martin Selmayr ne démissionnera pas. Si vous vous attendez à une démission, ce sera la mienne», a-t-il lancé, le 22 mars, aux chefs de gouvernement conservateurs du PPE qui lui demandaient des comptes. Une inversion de la causalité politique qui confirme que c’est bien le secrétaire général qui détient les clefs du pouvoir à la Commission.

Juncker a encore été plus loin en demandant à ses commissaires de le soutenir, mercredi dernier, lors d’une réunion à huis clos. Et tous, y compris les socialistes et les libéraux, l’ont fait, même si le Français Pierre Moscovici et l’Italienne Fedrica Mogherini ont estimé qu’à l’avenir il faudra être plus prudent… Politiquement, cela signifie que le collège lie son sort à celui du président qui a lui-même lié le sien à celui de son eurocrate favori…

Tout va donc se jouer sur un point : les députés vont-ils prendre le risque d’une crise politique en demandant la démission de Selmayr ? Personne ne peut prédire l’issue des votes, vu la colère et l’indignation que cette affaire a suscitée sur les bancs parlementaires comme le montre la réunion, lundi soir, de la commission de contrôle budgétaire du Parlement qui a, à la surprise générale, durci le projet de résolution qui sera débattu mercredi. À la quasi-unanimité, les députés ont voté un amendement demandant la réouverture de la procédure de recrutement du secrétaire général, ce qui veut dire en creux la démission de Selmayr.

L’Assemblée plénière va donc soit ratifier ce texte, soit le durcir, soit le rejeter. Pour l’instant, le conservateur Juncker ne peut compter, de façon absolument certaine, que sur le soutien, au sein du PPE, le premier groupe de l’Assemblée (219 sièges), de la CDU-CSU allemande, des Autrichiens de l’ÖVP et du PP espagnol, soit 56 voix sur 751... Pour le reste, les jeux sont ouverts : ainsi, les Italiens (15) ont des comptes à régler avec le secrétaire général accusé d’avoir fait le jeu des démagogues par sa gestion de la crise des réfugiés. De même, LR (20) campe sur une position dure. Sans aller jusqu’à un vote contre Selmayr, une partie du groupe pourrait s’absenter lors du vote, ce qui reviendrait au même.

Chez les socialistes, la division, c’est habituel, est encore forte. Sur une ligne dure, on trouve les Français, les démocrates italiens, les Néerlandais et les Belges (50 députés). Le PSOE (14), lui, soutient Selmayr et Juncker parce qu’ils ferment les yeux sur la crise catalane. Les autres hésitent, à l’image des Allemands (27) qui sont en colère contre les mauvaises manières de leur compatriote, qui, de plus, doit toute sa carrière à la CDU-CSU. Les autres groupes sont déterminés, à faire le ménage : une grande partie du groupe libéral, les Verts, mais aussi les eurosceptiques et les europhobes. Autant dire qu’il existe sur le papier une nette majorité en faveur de la démission de Selmayr. « Même s’il s’en sort, ce sera de justesse, ce qui sera tout aussi terrible, car, pour la première fois dans l’histoire européenne, un haut fonctionnaire de la commission aura réussi l’exploit de susciter un vote de défiance contre lui d’une moitié du Parlement! Franchement, il devrait d’ores et déjà avoir démissionné pour sauver ce qu’il y a à sauver », juge un haut fonctionnaire du Parlement.

N.B.: version actualisée de mon article paru dans Libération du 16 avril

Photo: REUTERS/Francois Lenoir

Categories: Union européenne

Xavier Bettel, sortir du bois

Thu, 04/12/2018 - 18:35

Xavier Bettel est, à lui seul, une rupture épistémologique dans l’histoire politique du Luxembourg. On ne trouve aucune trace chez le Premier ministre du Grand Duché de cette bonhommie très radicale-socialiste IIIe République qui a assuré une étonnante longévité à ses deux prédécesseurs, les sociaux-chrétiens Jacques Santer (1984-1994) et Jean-Claude Juncker (1995-2013). Ce libéral qui a réussi l’exploit d’éjecter l’actuel président de la Commission européenne du pouvoir, mettant fin au passage à 40 ans de règne conservateur, est tout de componction et de retenue, là où Juncker embrasse et tutoie tout le monde (y compris les agents de sécurité ou l’auteur de ces lignes). Il ne boit pas, alors que Santer était surnommé « Sancerre » et que les rapports de Juncker à l’alcool défrayent régulièrement la chronique (« Juncker the druncker », son surnom dans la presse populaire britannique). Il ne fume pas (ou des cigarettes électroniques) alors que Juncker est, malgré ses efforts, resté une zone fumeurs ambulante. Il est accroc aux réseaux sociaux et à son smartphone alors que Juncker n’arrive toujours pas à utiliser un ordinateur. Xavier Bettel se veut une sorte de Macron luxembourgeois, jeune (45 ans tout juste), moderne, sain, tiré à quatre épingles, le côté jupitérien en moins, car le Luxembourg, l’ancien « département des Forêts, n’est pas la “Grande nation”.

Il affiche d’ailleurs son admiration pour Emmanuel Macron, son cadet de 5 ans : “on s’est rencontré lorsqu’il s’est porté candidat à la présidence de la République et une vraie amitié est née. On se parle toutes les semaines”, raconte-t-il. “Brigitte s’entend très bien avec mon mari”, le Belge Gauthier Destenay. Il montre, très fier, sur son smartphone, un article de Paris-Match, paru fin mars, au lendemain de la visite d’État du Grand Duc Henri et de la Grande-Duchesse en France, la première depuis 40 ans : “Regardez, Brigitte dit qu’elle adore Gauthier, que c’est son préféré parmi les ‘premières dames’”. Son homosexualité, qui le distingue de tous ses prédécesseurs, Xavier Bettel en parle comme s’il s’agissait d’un non-évènement.

Pourtant, c’en est un dans un pays profondément catholique comme le Luxembourg où la séparation de l’église et de l’État n’a été inscrite dans la loi qu’en juillet 2016, un siècle après la France. Mais la population de ce micro-État est moins conservatrice qu’elle n’en a l’air. N’a-t-elle pas élu successivement cet homosexuel tranquille, né d’un père luxembourgeois et d’une mère Française d’origine russe, bourgmestre de la ville de Luxembourg en 2011, avant de le propulser, deux ans plus tard, à la tête du Grand Duché, une première dans un pays de l’Union (depuis, Bettel a été rejoint dans ce club très exclusif par son homologue irlandais). En 2014, il a obtenu la légalisation du mariage gay ainsi que le droit à l’adoption, un vote acquis à la quasi-unanimité du Parlement. En 2015, il a épousé à son compagnon, une nouvelle première pour un chef de gouvernement en exercice : les images de son mariage ont d’ailleurs fait le tour du net.

Pour autant, il ne se définit pas comme “un militant de la cause homosexuelle. Mon père est décédé à 60 ans d’une crise cardiaque et je sais qu’on n’a qu’une vie. Je veux donc vivre avec l’homme que j’aime sans me cacher, voilà. Je ne dis pas que cela a été facile : il a d’abord fallu que je m’accepte, puis que les autres m’acceptent”. Il se souvient avec émotion des lettres reçues quand il est devenu Premier ministre : “des parents m’ont dit : on peut réussir en étant gay, merci de l’avoir montré”. Certes, il subit de temps à autre des “attaques, parfois de très mauvais goût, mais ça n’est pas grave et je pardonne”. Une allusion au récent dérapage de Marc Spautz, le président du parti chrétien-social (CSV), qui a ironisé dans un meeting sur les “uniformes roses” que pourrait imposer aux policiers Xavier Bettel qui venait de changer le look de leurs voitures… Mais, curieusement, lorsqu’on lui demande de citer les réformes dont il est le plus fier, il oublie de citer le mariage pour tous préférant s’attarder sur les droits des femmes : “j’ai supprimé tous les aspects discriminant dans l’avortement et créé un congé parental pour que les femmes ne soient pas obligées de démissionner pour s’occuper de leurs enfants”. Lui n’a pas d’enfant : “je n’aurai pas le temps de m’en occuper”.

Son amitié avec Macron va-t-elle au-delà de l’aspect personnel? Xavier Bettel se définit instinctivement par référence non à En Marche, qui reste toujours un objet idéologiquement non identifié en Europe, mais aux partis libéraux néerlandais : “économiquement je me reconnais dans le VVD”, celui de Mark Rutte, le Premier ministre, qui professe un libéralisme à l’anglo-saxonne, “et sociétalement dans D66”, ce qui le rapproche des Verts allemands. On est donc assez loin d’En Marche. Mais il y a l’Europe : “je suis à 99 % sur les positions de Macron, comme lui je veux une Europe qui marche”, proclame-t-il. Par exemple, je pense aussi que les “Spitzenkandidaten” (la tête de la liste arrivée en tête aux élections européennes devient automatiquement président de la Commission) est totalement idiot ». Il faut dire que c’est ce système qui a permis à Juncker d’atterrir à Bruxelles après avoir été mis à la retraite au Luxembourg, privant ainsi Bettel de la possibilité d’envoyer un membre de sa couleur politique siéger à la Commission, puisque chaque pays n’a droit qu’à un commissaire... « Le 1% restant, c’est par exemple son idée d’un parlement de la zone euro dont je ne vois pas l’utilité ».

« Xavier Bettel, en cultivant ses liens avec Macron ou avec Theresa May, essaye de se construire une stature internationale avant les élections d’octobre prochain », analyse l’un de ses ministres. Il sait qu’il n’a pas la stature de son prédécesseur, Juncker à qui on le compare en permanence, ce qui l’agace. Certes, il a des points communs entre les deux hommes : ils sont devenus Premiers ministres à 40 ans, ont suivi des études de droit à Nancy (puis à Thessalonique pour Bettel), sont polyglottes (français, allemand, anglais, luxembourgeois) et sont tombés dans la politique dès l’adolescence avec un avantage à Bettel qui a « manifesté à 7 ans pour obtenir une plaine de jeux dans son école », comme il le raconte en riant. Mais « Bettel manque d’épaisseur, ce n’est pas un homme de dossiers, il ne travaille pas beaucoup », regrette un responsable de sa majorité : « pour compenser, il mise beaucoup sur son entregent, son côté sympa, son humour léger ». Ce qui ne veut pas dire qu’il n’ait pas un « caractère de tueur quand c’est nécessaire », comme le montre la façon dont il a débarqué la vieille garde du parti libéral représenté par l’ancien bourgmestre de Luxembourg ville, Paul Helminger : « il ne faut vraiment pas le sous-estimer, c’est une bête politique », souligne l’un de ses ministres.

Ce qui ne l’a pas empêché de se planter gravement en juin 2015, lorsqu’il a organisé à la va-vite un référendum constitutionnel qui a stoppé net ce qui ressemblait à une irrésistible ascension : l’octroi du droit de vote à 16 ans n’a obtenu que 19 % de oui, celui pour les résidants étrangers 22 %, et la limitation des mandats publics à 10 ans 30 %… « Ça été un référendum fatal, une catastrophe qui a déstabilisé le gouvernement et donné des ailes aux nationaux-populistes », se désole un responsable socialiste. Bettel, lui, ne « regrette rien », même s’il reconnait que la consultation « n’a pas été assez préparée dans un pays sans tradition référendaire ce qui a permis aux populistes de jouer sur les peurs ». Reste que depuis, il rame et les sondages pour les élections législatives d’octobre prochain ne sont pas très bon pour sa coalition composée des libéraux, des socialistes et des verts.

Le meilleur moyen de rebondir quand on est en difficulté sur la scène intérieure, c’est l’international. C’est pour cela que Bettel a besoin de Macron, car « la famille libérale européenne est trop divisée pour constituer une base solide et le Benelux n’existe plus comme force de proposition », décrypte l’un de ses ministres. Surtout, Bettel ne peut pas compter sur l’appui des chrétiens-démocrates allemands de la CDU : « il ne faut pas oublier c’est le chancelier Helmut Kohl qui a créé Santer et surtout Juncker dont il a fait son fils spirituel », rappelle une ministre. Bref, le seul allié possible, c’est Macron, « ce qui tombe bien, car le chef de l’État a besoin de tous ceux qui sont proches de lui, car il n’a, lui non plus, aucune force politique qui le soutienne dans l’Union : l’Europe en marche reste à construire », analyse un ministre socialiste. Bettel, en bon politique, veut chevaucher cette vague qui pourrait lui permettre de rebondir à domicile.

N.B.: version longue de mon portrait paru dans Libération du 9 avril

Photo: Pascal Bastien pour Libération

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Le PPE droit dans les bottes d'Orbán

Wed, 04/11/2018 - 19:46

Tout le parti populaire européen (PPE) s’est réjouit de la large victoire de Viktor Orbán en Hongrie, à l’image de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, membre éminent du PPE. Se retrouver sur la même ligne que l’extrême-droite, du Front National au PVV néerlandais (et non VVD comme je l’avais d’abord écrit :-(), n’a suscité aucun état d’âme apparent parmi les conservateurs européens. Dès avant le scrutin, le Français Joseph Daul, patron du PPE, avait affiché son soutien au Premier ministre hongrois dans un tweet : «Tous mes vœux au Fidesz et au KDNP [Parti populaire démocrate-chrétien, ndlr] pour les prochaines élections législatives en Hongrie. Le Premier ministre, Viktor Orbán, et les partis de droite continueront à apporter stabilité et prospérité aux citoyens hongrois.». Deux jours plus tard, le président du groupe PPE au Parlement européen, l’Allemand Manfred Weber, a fait un clin d’œil appuyé à Orbán, toujours dans un tweet: «Si nous voulons défendre notre mode de vie, nous devons savoir ce qui nous détermine. L’Europe a besoin d’un débat sur son identité et sur sa culture dominante.»

Ces tweets ont été postés après les propos antisémites du Premier ministre hongrois qui, le 15 mars, s’est livré à une sortie digne d’un parti fasciste de l’entre-deux-guerres: «Nous avons affaire à un adversaire qui est différent de nous. Il n’agit pas ouvertement, mais caché, il n’est pas droit, mais tortueux, il n’est pas honnête, mais sournois, il n’est pas national, mais international, il ne croit pas dans le travail, mais spécule avec l’argent, il n’a pas de patrie parce qu’il croit que le monde entier est à lui […]. Nous avons fini par renvoyer chez eux le sultan et ses janissaires, l’empereur Habsbourg et ses fidèles, les soviets et leurs camarades, et maintenant nous allons en faire autant avec l’Oncle George (Soros, NDA) et son réseau.» Des propos qui n’ont suscité aucune réaction de réprobation au sein du PPE, même pas un froncement de sourcil.

Berlin ne veut pas rompre les liens avec son hinterland

«Il faut bien voir qu’Orbán fait partie de la famille PPE et donc la famille le soutient», analyse Charles de Marcilly, le responsable bruxellois du think tank Robert Schuman. Autrement dit, la place d’un Fidesz illibéral, antimusulman et antisémite au sein du PPE n’est pas un sujet de discussion, même si son aile gauche, représentée par une partie des Français (LR), les Belges ou encore les Nordiques a régulièrement de discrets états d’âme face à sa dérive extrême droitière, mais pas au point de demander son exclusion ou de menacer de quitter les rangs du PPE.

Ce soutien sans faille n’est pas récent: dès 2001, le Fidesz a obtenu le statut d’observateur au sein du PPE (le parti, pas le groupe) avant d’en devenir membre lors de son adhésion à l’Union en 2004 et de siéger sur les bancs du groupe politique PPE au Parlement européen. Il est vrai qu’à l’époque, Orbán dirigeait un parti assez proche des idées démocrates-chrétiennes. Mais, depuis qu’il a entamé, à partir de 2010, sa lente dérive vers l’extrême droite et la transformation de la démocratie hongroise en «démocrature», le PPE n’a jamais pris ses distances. Pourtant, le Fidesz n’est pas déterminant dans le poids du groupe: 12 députés sur 219, pas de quoi changer le rapport de force au sein de l’Assemblée, les socialistes étant loin derrière avec 187 sièges.

Alors, comment l’expliquer? Il faut se souvenir qu’Helmut Kohl, l’ancien chancelier allemand, avait pour projet de transformer le PPE, qui était alors un rassemblement de partis démocrates-chrétiens, en famille d’accueil de toutes les droites européennes, un projet poursuivi depuis par la CDU-CSU: les gaullistes, par exemple, l’ont finalement rejoint en 2004, sous Jacques Chirac. Kohl avait aussi pour ambition que le PPE soit présent dans tous les Etats membres afin de marquer la réunion politique du vieux continent. Couper aujourd’hui les ponts avec la Hongrie mettrait à mal cette vieille ambition allemande, d’autant que Berlin ne veut pas rompre les liens avec ce qui constitue son hinterland.

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le PPE ait fait bloc, en 2014, pour empêcher la Commission présidée par Jean-Claude Juncker, lui aussi membre du PPE, de chercher noise à la Hongrie sur le respect de l’Etat de droit. D’autant qu'«Orban sait négocier et reculer quand c’est nécessaire. Il tend l’élastique, mais ne le rompt pas», analyse un responsable du PPE. En outre, Orbán fait régulièrement valoir qu’il est l’ultime barrage contre les néonazis du Jobbik. Surtout, s’il critique l’Europe à domicile, il se comporte plutôt en bon élève à Bruxelles et n’hésite pas à venir s’expliquer devant les eurodéputés quand il est mis en cause. Ainsi, jamais la Hongrie n’a brandi son véto ou menacé de sortir de l’Union, car elle sait trop ce qu’elle a à perdre en termes d’aides régionales (3,4% de son PIB) et en accès au marché intérieur.

Manière forte

C’est toute la différence avec la Pologne gouvernée par le PiS (Droit et justice), le parti de Jaroslaw Kaczynski, qui n’est pas membre du PPE (mais du groupe eurosceptique ECR). Elle n’a donc pas bénéficié de la protection de la «famille» pour empêcher, en décembre, le déclenchement de la procédure de l’article 7 du traité sur l’Union sur le «risque clair de violation grave» des valeurs européennes. Pour ne rien arranger, le PiS refuse de négocier, cherche sciemment l’affrontement avec l’Union et n’hésite pas à brandir son veto en toutes occasions. Tout ce que le très malin Orbán évite de faire pour rester maître chez lui.

Son appartenance au PPE n’a pas empêché de fortes tensions en 2015 avec l’Allemagne au moment de la crise des migrants, Orbán employant la manière forte pour stopper le flux de réfugiés pendant que la chancelière Angela Merkel ouvrait ses frontières. Un différend désormais oublié, les pays européens s’étant alignés sur la Hongrie au point de sous-traiter la politique d’asile à la Turquie… «On peut parler d’«orbanisation» du PPE sur l’immigration ou l’identité européenne», juge Charles de Marcilly: «Le curseur du parti a nettement glissé vers la droite.» D’ailleurs, l’alliance entre les conservateurs autrichiens, membres du PPE, et les néonazis du FPÖ n’a suscité aucune réserve ni du PPE ni de la Commission, Jean-Claude Juncker accueillant même avec les honneurs le chancelier Sebastian Kurz à Bruxelles. On comprend mieux dès lors qu’une déclaration antisémite d’Orbán ne dérange pas outre mesure la digestion des caciques du PPE.

Photo: REUTERS/Leonhard Foeger TPX

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SelmayrGate : la stratégie du bunker

Fri, 04/06/2018 - 16:48

La Commission Juncker s’enferme dans ses mensonges, ses arguties juridiques, ses dénis de réalité. L’exécutif européen est désormais un bunker assiégé par les forces du mal forcément anti-européenne, les gardiens autoproclamés des morceaux de la vraie croix communautaire ne pouvant évidemment avoir tort. Dans n’importe quelle démocratie fonctionnelle, Martin Selmayr, dont la promotion express est fortement contestée à la fois par le Parlement européen, les médias et en interne, aurait déjà été débarqué de son poste de secrétaire général de la Commission afin d’éteindre l’incendie. Mais, à Bruxelles, c’est l’inverse qui se passe : Selmayr s’accroche à son poste avec le soutien du président de la Commission, Jean-Claude Juncker, qui menace de partir si son protégé part, inversant ainsi l’échelle des causalités politiques.

Une tragédie

Le collège des commissaires, qui pourrait calmer le jeu, apparaît pour ce qu’il est, une fiction politique, un aréopage de personnalités sans consistance. Bref, la technocratie semble avoir pris le pouvoir au sein de la Commission et les contre-pouvoirs semblent inexistants. C’est une tragédie à laquelle on assiste, car les dégâts politiques engendrés par le SelmayrGate sont d’ores et déjà immenses. Seul un sursaut du Parlement européen pourrait limiter les dégâts en obligeant Selmayr, voire Juncker, à payer la facture de cette faute politique : car c’est la première fois dans l’histoire européenne que la nomination d’un haut fonctionnaire entraine une telle levée de boucliers.

Car la Commission, non seulement a violéle statut des fonctionnaires européens, une bible votée par les États et le Parlement européen, dans sa lettre et son esprit, mais elle a menti et ment encore sur les faits eux-mêmes comme le montrent ses réponses, contenues dans un document de 84 pages rendu public mercredi, aux 61 questions supplémentaires posées par le Parlement européen après la désastreuse audition du 27 mars de Gunther Oettinger, le commissaire chargé de la fonction publique européenne, par la COCOBU (la commission du contrôle budgétaire), qui faisaient elles-mêmes suite à une première salve de 134 questions posées avant ladite audition (le document de réponses fait 81 pages). S’il faut 165 pages pour tenter de justifier une « non-affaire » comme l’a longtemps affirmé la Commission, c’est manifestement qu’il y a un problème.

Une procédure bidonnée

Rappelons les faits qui sont d’une simplicité biblique : le chef de cabinet du président de la Commission, l’Allemand Martin Selmayr, 47 ans, a été nommé successivement, le 21 février, secrétaire général adjoint (SGA) puis secrétaire général (SG), la tour de contrôle de l’administration européenne, après que le titulaire du titre ait annoncé sa décision de prendre sa retraite (à 61 ans). Le tout en quelques minutes. Le mardi 20 février, Selmayr n’était encore que « conseiller principal », sa fonction dans l’administration, c’est-à-dire qu’il n’était ni directeur, ni directeur général adjoint, ni directeur général. Rappelons aussi que Selmayr n’a jamais dirigé un service puisqu’il n’a exercé, depuis sa réussite au concours de fonctionnaire en 2004, que des fonctions politiques ne lui donnant une autorité directe que sur une poignée de personnes : porte-parole de la commissaire luxembourgeoise Viviane Reding de 2004 à 2009, chef de cabinet de la même Reding de 2009 à 2014, chef de l’équipe de transition de Juncker du 1erjuillet au 31 octobre 2014, chef de cabinet à compter du 1ernovembre 2014.

Désormais, l’on sait que la procédure qui a permis à Martin Selmayr de devenir SGA était non seulement bidonnée (une seule candidature, la sienne, l’autre, sa cheffe adjointe de cabinet Clara Martinez –nom non confirmé par la Commission-, ayant déclaré forfait après la clôture de l’appel d’offres), mais clairement détournée de son objet puisque Selmayr savait qu’il ne s’agissait que d’une étape pour être nommé SG. Dans la réponse à la question n° 29, la Commission reconnaît qu’il savait dès le second semestre 2017 qu’il succéderait à Alexander Italianer le 1ermars 2018, une information qui n’a été communiquée ni à l’administration ni aux commissaires. Seuls deux d’entres eux en ont été avertis la veille : Gunther Oettinger (Allemagne, CDU), par fonction, et le vice-président Frans Timmermans (Pays-Bas, socialiste). Là, on est dans le détournement de procédure pur et simple.

Des mensonges à tous les étages

Surtout, la Commission n’arrive pas à justifier l’absence de publication de la vacance du poste de SG au moment où il s’est libéré, le 21 février, afin de permettre à d’autres candidats de se manifester et aux commissaires de faire un choix parmi plusieurs candidats, une exigence générale posée par l’article 4 du statut de la fonction publique européenne afin de garantir la transparence et l’équité, c’est-à-dire l’absence de népotisme et de prévarication. Pour s’en sortir, la Commission affirme qu’un « transfert » au sein d’un même groupe de fonctions et grades est permis par l’article 7, ce qui rend possible, selon eux, la nomination du SGA Selmayr qui disposait déjà à titre personnel du grade AD15 (le minimum pour être SG) au poste de SG. Le problème est que par construction, l’article 7 exclut toute promotion puisque le fonctionnaire est simplement « transféré ». Or, là, il y a bien eu promotion de Selmayr, de SGA à SG.

Mais en imaginant même que l’interprétation de l’article 7 par la Commission tienne la route, comment justifier l’absence d’appel à candidatures pour le poste de SG ? Même s’il y a « transfert », c’est vers un poste vacant, c’est-à-dire publié, pour que tous les fonctionnaires puissent concourir (le poste peut même être ouvert vers l’extérieur). Selmayr et ses affidés du service juridique ont été déterrer une jurisprudence de la Cour de justice européenne affirmant qu’en cas de « réaffectation d’un fonctionnaire avec son poste » dans « l’intérêt du service », la publication n’est pas nécessaire (réponse 1). Malin, mais ça ne tient pas la route. D’une part, parce que pour la Cour, ces cas sont limités à des cas de relations conflictuelles (harcèlement moral par exemple), de carences ou de nécessité de réorganisation de service : il faut à chaque fois que la situation soit « grave », « sérieuse » et « urgente » pour déplacer un poste sans publication. Ce n’est absolument pas le cas dans le cas de la nomination de Selmayr : aucune nécessité de service n’obligeait à exfiltrer avec son poste le SGA Selmayr vers le poste de SG (d’autant que ce n’est pas le même poste !).

Des mensonges sur les faits

D’autre part, ce transfert signifie que l’on part avec son poste, c’est-à-dire que le poste que l’on emporte avec soi disparaît purement et simplement du service où l’on se trouvait. Or la Commission ment purement et simplement sur les faits. Et c’est d’une gravité extrême. Le poste de SGA sur lequel a postulé Selmayr le 31 janvier porte la référence DSG2 (deputy SG) et comme numéro de nomenclature : 143892 (com 2018/292). Il était occupé jusque là par la Grecque Parasquevi Michou nommée en janvier, mais seulement à compter du 1ermars 2018, directrice générale aux affaires intérieures, une date qui correspond d’ailleurs à celle de la prise de fonction de Selmayr. Ce poste aurait donc dû « disparaître » s’il y avait eu réaffectation : il aurait alors fallu que le secrétariat général demande à la direction des ressources humaines la création d’un nouveau poste de SGA s’il voulait le conserver. Or, tel n’est pas le cas : le poste n° 143892 de DSG2 occupé une minute le 21 février par Selmayr a été republié dès le jeudi 22 février (com 2018/551). Il est d’ailleurs occupé temporairement (la Danoise Pia Ahrenkilde-Hansen, l’ancienne porte-parole de Barroso, fait fonction et sera nommée, parions-le à l’issue d’une compétition serrée…).

Donc Selmayr n’a pas été « transféré », ce qui aurait éventuellement pu ouvrir la discussion sur des circonstances exceptionnelles, mais a été promu du poste de SGA à celui de SG comme le prouve l’appel à candidatures sur le poste qu’il a abandonné. Mieux, il est officiellement indiqué dans le système interne de la Commission qu’il est passé du poste de chef de cabinet du président (poste 210198) à celui de SG (poste 16000), sans indication de son bref passage au poste de SGA… Donc, le poste de SG aurait du être publié en vertu l’article 4.

Ce degré de pinaillages sur une interprétation tordue du statut de la fonction publique européenne est proprement hallucinant, alors que l’évidence de bon sens indique que Selmayr a été promu en violation de toutes les règles.

Une carrière qui suscite des questions

Ce n’est d’ailleurs pas le seul mensonge. Ainsi,la Commission a affirmé dans l’un de ses réponses du 24 mars (n° 40) que Selmayr avait été promu conseiller principal à la BERD à Londres le 1erjuin 2014 ,alors qu’il n’a été nommé à cette fonction que le 11 juin 2014 lors d’une réunion du collège de la Commission Barroso. Le procès-verbal de cette réunion indique d’ailleurs que sa promotion ne prendra effet que le 1erjuillet 2014. Pourquoi une telle « erreur » (rectifiée dans le second paquet de réponses) ? Tout simplement pour faire croire qu’il a exercé au moins temporairement une fonction dans les services alors que c’est faux : le 1erjuillet 2014, il a été détaché auprès de Juncker comme chef de l’équipe de transition… Donc, il n’a exercé aucune de ses deux fonctions administratives (conseiller principal et SGA) avant d’être parachuté au poste de SG, ce qui est là aussi une violation du statut qui exige une expérience de plusieurs années.

Toute la carrière de Selmayr est d’ailleurs étrange : entré au grade AD 6, grade de base, en 2004, il est promu au grade AD7 en 2007, puis tous les deux ans, il grimpe d’un grade. Étonnant, car deux ans, c’est le minimum requis et je n’ai aucun exemple, avant lui, d’un tel exploit. En 2013, il est donc AD10. En 2014, on va lui offrir un ascenseur express : un concours externe est ouvert pour un poste « juridique » de conseiller principal à la BERD, ce qui est curieux pour une telle fonction. 91 candidats et qui le réussit ? Selmayr qui se retrouve ainsi AD14. Comment ne pas penser qu’il s’agit d’un concours externe taillé sur mesure pour lui afin de le faire grimper de quatre grades d’un coup (avec le plantureux salaire qui va avec) ? Étrange, surtout lorsqu’on assiste au mouvement de personnel de l’époque, Viviane Reding semblant rendre service à son collègue Olli Rehn, commissaire chargé des questions économiques et monétaires, qui a propulsé son protégé Selmayr au poste de conseiller principal, en nommant son chef de cabinet, Timo Pesonen, directeur général adjoint à la communication, la matière faisant partie de son portefeuille… Selmayr veillera à le promouvoir directeur général en juillet 2015.

Autant dire que la carrière de Selmayr est autant météorique qu’étrange. Les placards n’ont manifestement pas fini de révéler de nouveaux cadavres.

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SelmayrGate: les eurodéputés étrillent la Commission

Thu, 04/05/2018 - 18:16

Mon article sur la réunion de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen est ici.

Les députés ont envoyé, jeudi soir, une nouvelle liste de 61 questions à la Commission tellement l’audition de Gunther Oettinger a été catastrophique. Des questions qui ressemblent à un véritables acte d’accusation. La fonction publique européenne n’a manifestement rien à envier à l’administration grecque....

Categories: Union européenne

La commission et les médias, l'éternel retour

Wed, 03/28/2018 - 20:02

Le 30 janvier 1999, un mois et demi avant la démission de la Commission Santer à la suite, notamment, de mes révélations sur les emplois fictifs d’Edith Cresson, la commissaire française à la recherche, je publiais un article sur une note interne du service du Porte-parole de la Commission relative à la salle de presse, c’est-à-dire aux médias accrédités. L’exécutif européen y montrait son désarroi face à certains journalistes qui faisaient leur travail. Depuis que j’ai commencé mon travail d’investigation sur ce qui est devenu le SelmayrGate, j’ai l’impression d’être revenu 20 ans en arrière: la Commission et son service du porte-parole (SPP) n’ont manifestement strictement rien appris de leurs erreurs passées comme le montrent leur arrogance, leurs mensonges répétés et leur campagne visant à décrédibilisr ceux qui osent la critiquer. Comme l’a très justement dit la DeutschlandFunk, le France Inter allemand, hier soir, «le SPP de la Commission a agi comme le bureau de presse du Kremlin après la catastrophe de Tchernobyl : dissimuler, tromper, nier, nier, diffamer - tout l’arsenal de la désinformation sous le mensonge». Bref, c’est Back to the future... A (re)lire sans modération, notamment par le SPP actuel.

L’acte manqué est formidable. Jeudi, à la suite d’une erreur de manipulation, une stagiaire de la Commission a agrafé une note interne confidentielle avec un arrêt de la Cour de justice européenne. Rien de grave, sauf que cet arrêt a été distribué à la presse le jour même, avec, bien sûr, son «annexe-lapsus». Les journalistes qui en ont pris connaissance s’étranglent. Il est vrai que cette réflexion sur les relations entre la Commission et les médias n’est pas piquée des vers.

A la suite de la révélation par quelques journaux (dont Libération) d’affaires de fraude et de népotisme au sein de l’exécutif européen, la note déplore une «prise en main de la salle de presse par des journalistes d’investigation. Mais il est faux de dire que nous n’avons plus d’amis. Au contraire: beaucoup de journalistes avouent leur perplexité devant ce qui arrive; beaucoup désapprouvent ­ parfois ouvertement l’outrance de leurs collègues [...] Nous devons utiliser nos alliés potentiels pour rétablir un équilibre entre journalistes de fond et d’investigation». Plus loin, la note juge qu’une «dose de cynisme ­ et parfois d’hypocrisie ­ dans la manière de diffuser l’information est parfois nécessaire. Vouloir tout expliquer et s’ériger en modèle d’exhaustivité appelle souvent de nouvelles interrogations [...] Il faut donc apprendre à geler une partie de l’information dont on n’est pas tout à fait sûr ou dont on sait qu’elle pourrait donner lieu à une mauvaise interprétation. Face à certains journalistes particulièrement retors, il faut malheureusement se résigner à se faire (provisoirement) violence».

Le plus cocasse est que l’auteur de ce texte n’est autre que Jimmy Jamar, le porte-parole d’Edith Cresson, la commissaire française chargée de la Recherche et de l’Education, épinglée pour avoir fait embaucher plusieurs de ses proches pour des emplois plus ou moins réels. Au-delà de sa franchise, la prose du porte-parole d’Edith Cresson met à nu le malaise qu’éprouve la Commission face à l’opinion publique et aux médias. Elle est révélatrice de la façon dont fonctionnent une partie des médias à Bruxelles. Car, au départ, l’Europe, c’est d’abord une affaire de famille. En 1958, lorsque l’exécutif européen s’installe dans la capitale belge, tout le monde se connaît: on sort ensemble, on s’invite les uns chez les autres, on se tutoie, on refile aux journalistes des petits boulots plutôt bien payés ou, mieux, on les recrute comme agents temporaires avant de les nommer à des postes permanents. La montée en puissance de la Commission ne fait qu’aggraver cette connivence qui confine à l’inceste. D’autant qu’un système d’agit-prop efficace est rapidement mis en place. La Commission, ayant pris conscience qu’elle n’existera que par les médias, organise tous les jours, à midi précis, un «point de presse» afin de distribuer de l’information et de répondre aux questions des «accrédités». Ce qui lui permet aussi d’influencer le traitement de l’information en prémâchant le travail des médias.

Ce système a fonctionné sans encombre jusqu’au début des années 90. Mais le succès de la relance delorienne (le Marché unique de 1993, puis la monnaie unique) va mettre à mal le ronronnement médiatique local. Bruxelles devenant incontournable, la «salle de presse» explose: en moins de vingt ans, le nombre de journalistes a triplé. Aujourd’hui, on en compte environ 750 provenant de 56 pays, auxquels il faut ajouter 200 cameramen et techniciens audiovisuels. Il s’agit là de la plus grande concentration journalistique au monde. Mieux, la plupart des journaux étrangers vont doubler, tripler, voire quadrupler leur représentation dans les mois qui viennent, euro aidant. Or, ce véritable déferlement a amené à Bruxelles des journalistes pour lesquels l’Union n’est pas un sujet de passion comme pour les «grands anciens», parfois présents depuis plus de trente ans, mais un objet d’observation.

Les élargissements successifs, notamment au Nord, ont aussi modifié la culture de la «salle de presse», la «normalité» au Sud peut être anormale au Nord. La soif de transparence, le questionnement agressif, la recherche d’informations «non officielles», autant de traits désormais largement partagés au sein de la «salle de presse». Les «amis» devenant moins nombreux, la Commission s’est retrouvée soumise au traitement habituellement réservé aux gouvernements nationaux. Elle a cessé d’être la personnification du «bien» européen et doit désormais répondre de ses actions. Les premiers à l’avoir bousculée sont les Britanniques, plus par idéologie d’ailleurs que par déontologie journalistique. Mais c’est surtout l’affaire de la vache folle ­(révélée par Libération en 1996) qui démontrait comment la Commission avait dissimulé l’ampleur de la crise­ qui a sérieusement secoué l’ancien système de connivence. Les actuelles affaires de fraude et de népotisme l’ont définitivement mis à mort. L’exécutif européen, faute de s’être préparé à cette mutation, hurle maladroitement au «complot antieuropéen» et à la manipulation, menace de représailles les journalistes «ennemis», cherche à contrôler l’information. L’adaptation est toujours douloureuse.

Photo: Reuters

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