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Parlement européen: pourquoi un "accord de coalition" est nécessaire

Mon, 05/27/2019 - 20:10

Aucun groupe politique n’a jamais obtenu la majorité absolue au Parlement européen, dure loi de la proportionnelle oblige. Pas d’autre choix donc, pour atteindre la majorité absolue, que de passer un accord de «coalition» avec d’autres familles politiques. Depuis 1989, le PPE (conservateurs) et les socialistes (PSE), les deux principales forces, se sont entendus pour gouverner ensemble. Mais loin d’un contrat de gouvernement sur le modèle de la «Grande Coalition» allemande, il s’agit d’un simple «accord technique» qui vise à se répartir la présidence du Parlement et celles des commissions parlementaires.

«C’est à la suite de l’élection du conservateur britannique Henry Plumb en 1987 que les deux groupes ont décidé que cela ne se reproduirait plus», explique Olivier Costa, professeur à Sciences-Po Bordeaux et au Collège d’Europe de Bruges : A l’époque, c’est l’incapacité des deux groupes à s’entendre qui a permis l’élection surprise d’un membre du Parti conservateur qui n’était pas membre du PPE et siégeait sur les mêmes bancs que le RPR gaulliste.» Depuis, avec une régularité métronomique, un socialiste succède à un conservateur tous les deux ans et demi à la présidence du Parlement, à l’exception de la période 2002-2004, lorsque le PPE s’est allié aux libéraux. Il s’agit là aussi d’une autre curiosité propre à cette institution : le mandat du président n’est que d’une demi-législature. Le but est de créer une alliance de circonstance afin d’atteindre la majorité absolue nécessaire pour la répartition des postes : je vote pour ton candidat si tu votes pour le mien à mi-mandat.

Equilibre

Bref, on est loin d’une coalition d’idées. D’ailleurs, chacun reste ensuite libre de ses votes, y compris au sein des groupes. Mais comme il faut obtenir une majorité absolue de 376 voix (sur 751) pour adopter, amender ou rejeter un projet de loi européen, cela impose de réussir à trouver un compromis avec ses adversaires. Si le Parlement n’y parvient pas, il laisse alors la main au Conseil des ministres, l’instance où siègent les Etats… Autrement dit, le compromis est dans l’ADN du Parlement. Il faut donc pour chaque vote aller à la pêche aux voix, non seulement dans les autres groupes, mais aussi dans sa propre famille, la logique nationale étant généralement plus forte que l’engagement idéologique. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’existe pas de discipline de vote à Strasbourg.

Rien de plus logique, l’UE n’étant pas une fédération mais une simple association d’Etats souverains. Il serait inacceptable pour les pays membres qu’un parti politique, fût-il européen, puisse non seulement obtenir une majorité absolue au sein du Parlement, mais aussi imposer ses choix à des gouvernements d’une autre couleur politique. C’est pour cela que les traités ont veillé à ce que l’équilibre idéologique et national soit garanti : proportionnelle et vote à la majorité absolue des membres au Parlement, et désignation des commissaires par les gouvernements.

Douteux

En 2014, l’Union est en partie sortie de cette logique via le système des «Spitzenkandidaten», soit les candidats à la présidence de la Commission : pour s’assurer une confortable majorité afin de décrocher le poste, Jean-Claude Juncker, tête de liste du PPE, s’était engagé auprès des socialistes et des libéraux sur une série «d’objectifs» : «Ce n’était pas un programme de gouvernement, mais cela s’en rapprochait davantage», souligne Olivier Costa. Il a volé en éclats fin 2016, lorsque les socialistes ont refusé d’honorer leur part du marché et de voter pour un PPE afin de succéder au socialiste Martin Schulz.

Dans le nouveau Parlement, il sera nécessaire de passer au moins un accord technique entre trois (l’ADLE-Renaissance a obtenu 109 sièges), voire quatre groupes, les conservateurs (180 sièges) et les socialistes (149) n’ayant que 326 sièges à eux deux, loin des 376 sièges requis. Un accord de «gouvernement» du type de celui de 2014 apparaît plus douteux, l’affrontement qui s’annonce pour la présidence de la Commission, notamment entre Allemands et Français, risquant de laisser des traces durables.

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Européennes: la vraie campagne commence lundi...

Sun, 05/26/2019 - 21:25

La vraie campagne européenne, celle qui va engager l’avenir de l’Union, va enfin débuter. A partir de lundi, les partis politiques des 28 Etats membres vont entamer des négociations pour constituer les groupes qui vont structurer la vie du Parlement et se préparer à mener la bataille des nominations aux principaux postes de direction de l’Union. Des questions dont les citoyens n’ont, comme d’habitude, pas entendu parler : ils ont dû se contenter de 28 campagnes nationales qui ont vu des personnalités politiques locales s’affronter sur des questions sans grand rapport avec les compétences de l’Union et le vrai travail qui attend les députés européens.

Ainsi, le fait que le Rassemblement national arrive ou non en tête, l’enjeu de la campagne hexagonale, n’a aucune importance au niveau européen. Dès lundi, les élus d’extrême droite, tout comme leurs équivalents européens, vont devenir transparents, comme ils le sont depuis qu’ils sont représentés au Parlement : jugés infréquentables, incapables de s’unir et largement minoritaires dans une assemblée de 751 eurodéputés. Ils n’existent que lors des sessions plénières à Strasbourg, lorsqu’ils font du tapage dans l’hémicycle. On l’a vu en 2014, quand le FN est arrivé en tête avec 25 % des voix et 24 sièges : cinq ans plus tard, son bilan est proche du néant et son seul fait d’armes est de faire l’objet de procédures pour avoir détourné l’argent communautaire.

Certes, tout le monde va observer si les démagogues, qui pourraient occuper 25 % des sièges contre 20 % dans la précédente assemblée, vont parvenir à constituer un groupe atteignant la centaine de députés. Jusqu’à présent, ils étaient éclatés entre l’ECR (77 députés essentiellement du PiS polonais et du Parti conservateur britannique), l’EFDD (42 membres dont le Ukip britannique de Nigel Farage et le M5S italien), l’ENF (37 membres dont le RN et la Ligue italienne) et, enfin, les non-inscrits (où siègent les néonazis grecs d’Aube dorée, par exemple). La campagne a montré que Marine Le Pen, considérée comme radioactive dans la plupart des Etats membres, et Matteo Salvini n’avaient pas réussi à élargir le cercle de leurs amis : ni le Fidesz hongrois ni le PiS polonais, en particulier, n’ont l’intention de les rejoindre. Il faudra attendre le Brexit (et le départ des troupes conservatrices et pro-Farage) pour, peut-être, assister à une recomposition du camp eurosceptique.

Mais l’objectif de constituer un seul groupe à la droite du PPE (conservateurs européens) paraît impossible à atteindre, tout comme celui de réunir plus de 100 eurodéputés autour du RN. L’affaire la plus intéressante va être la constitution du groupe centriste (Alde). Si les limites politiques du PPE ne devraient pas varier (il passera de 216 élus à environ 180 selon les sondages), comme celles des Verts (de 52 à 57), et de la gauche radicale (de 52 à 48), on n’est pas à l’abri de surprises du côté du groupe socialiste (donné à environ 150 sièges contre 185 aujourd’hui). En effet, l’arrivée en force de La République en marche et de l’espagnol Ciudadanos dans le groupe centriste (donné à 76 contre 69 actuellement) pourrait tenter des partis sociaux-démocrates de les rejoindre. A tout le moins, une partie des socialistes voudront passer des accords avec ce groupe, le PPE et les socialistes n’ayant plus la majorité absolue à eux seuls. C’est d’ailleurs pour cela que la vingtaine d’élus LREM pèsera bien plus que ceux du RN, renvoyés aux marges du système puisqu’ils seront la délégation nationale charnière d’un groupe charnière.

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En Belgique, on vote à tous les étages

Sun, 05/26/2019 - 18:04

À Bruxelles, on ne compte plus les cafés, restaurants, commerces divers, appartements ou maisons individuelles qui placardent fièrement, sur leur vitrine ou sur leurs vitres, des affiches électorales aux couleurs criardes : rouge pour les socialistes (PS francophone et SPA flamand), bleu pour les libéraux (MR francophone et Open VLD flamand), orange pour les centristes (CDH francophone et CD&V flamand), vert pour les écologistes (Ecolo francophone et Groen flamand), noir et jaune pour les indépendantistes flamands de la N-VA, rose pour les défenseurs des francophones (Défi), etc.. Certains n’ont pas le cœur de choisir et ont quasiment rendu aveugle leur vitrine ou leur maison avec des dizaines d’affiches, parfois de toutes les couleurs. D’autres sont plus spécifiques et ça donne une sorte de rébus mystérieux pour le non-initié : X 3eRégion (rouge), Y 6efédéral (bleu), Z 1erEurope (orange). Chez ces gens-là, monsieur, on ne cache pas pour qui on vote, on le proclame, pour paraphraser un Belge célèbre, Jacques Brel.

Les panneaux officiels, eux, sont longs comme un jour sans pain vu le trop-plein d’affiches électorales. Ici, ce n’est pas le nombre de listes qui est en cause, comme en France, mais la multiplication des scrutins, tous à la proportionnelle, qui auront lieu ce dimanche : régional, fédéral, européen. Les électeurs devront donc glisser dans l’urne trois longs bulletins de vote comportant tous les noms précédés d’une case, chacun étant libre de changer l’ordre de la liste. D’où des résultats souvent très tardifs. Chacun votera dans la région où il habite pour des partis régionalisés (flamands, francophones et germanophones) (1).

484 députés

À l’issue de ce triple scrutin, seront donc élus des députés régionaux (124 pour le parlement flamand, 75 pour celui de Wallonie et 89 pour celui de Bruxelles), fédéraux (150, dont 88 néerlandophones et 62 francophones) et européens (21, dont 12 néerlandophones, 8 francophones, 1 germanophone). Il faut, bien sûr, y ajouter les 25 députés de la Communauté germanophone. Soit 484 députés en tout. Enfin, comme rien n’est simple outre-Quiévrain, 94 députés seront ensuite désignés en leur sein par les parlements wallon et bruxellois pour siéger au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles et les trois parlements régionaux éliront soixante sénateurs fédéraux… Dans une telle configuration, rien d’étonnant à ce que les enjeux européens soient totalement absents du débat électoral et les électeurs belges un rien déroutés face à ce mille-feuille institutionnel censé refléter la diversité d’un Royaume dont les espaces politiques sont désormais presque totalement séparés.

C’est la seconde fois depuis 2014 qu’un tel méga-scrutin a lieu : la sixième réforme de l’État, adoptée en 2011, a décidé de rallonger la mandature fédérale de 4 à 5 ans afin de la faire coïncider avec les régionales et les européennes. Les seuls scrutins non synchronisés restent les municipales et les provinciales qui ont lieu tous les six ans. Certes, une élection fédérale anticipée est possible si le gouvernement est mis en minorité, mais il faut voter une loi spéciale, ce qui n’est pas simple. C’est d’ailleurs la raison principale qui explique le gouvernement dirigé par le libéral francophone (MR) Charles Michel soit toujours en fonction : en effet, en décembre dernier, les indépendantistes flamands de la N-VA, le principal parti de la coalition regroupant les chrétiens-démocrates flamands (CD&V) et les libéraux (flamands et francophones), a claqué la porte parce qu’il refusait que la Belgique signe le pacte de Marrakech sur les migrations.

La région, clef de la Belgique

La clef de ce méga scrutin se jouera, comme toujours, au niveau régional, celui où réside le vrai pouvoir et donc commande le fédéral. Les européennes, dans ce cadre, ne sont qu’une variable d’ajustement pour les partis politiques. Soit ils s’en servent pour placer une star montante qui n’a pas trouvé une place à sa mesure : c’est le cas du socialiste Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi, tête de liste pour les européennes alors qu’il a annoncé qu’il ne siégerait pas au Parlement européen... Son ambition réelle est, de fait, de devenir Premier ministre, mais le vieillissant Elio di Rupo refusant de lâcher la tête du parti, la première place au fédéral est occupée. Et comme Magnette a déjà été ministre président wallon et n’a aucune envie de le redevenir, il occupe temporairement une place de prestige, ce qui n’est ni très démocratique, ni très européen. Soit les partis utilisent le Parlement européen comme cimetière des éléphants à l’exemple du CD&V qui se débarrasse de Kris Peeters, actuel vice-Premier ministre, en l’envoyant à Strasbourg, ou encore de la N-VA qui met à la retraite le ministre-président de la région flamande, Geert Bourgeois, qualifié de « notaire dépressif ». En son temps, l’ancien premier ministre Guy Verhofstadt (libéral flamand) avait aussi été dégagé à l’europarlement avant de se découvrir une vraie passion pour l’Europe… Enfin, les européennes peuvent servir à rendre service à des amis : ainsi Nicolas Barnier, le fils de Michel, le négociateur du Brexit, à défaut d’avoir été accueilli sur la liste LR en France, s’est fait placer en troisième position sur la liste MR… Bref, rien de bien enthousiasmant pour l’électeur, d’autant que l’attention politico-médiatique est centrée sur les enjeux locaux.

Les Flamands à droite, les Francophones à gauche

Le scrutin de dimanche devrait confirmer le divorce politique entre la Flandre, démographiquement majoritaire (6,5 millions d’habitants sur 11,3 millions), d’une part, et la Wallonie et Bruxelles, deux régions francophones, d’autre part. Au nord du pays, la droite restera largement majoritaire, alors qu’au sud, c’est la gauche qui continuera à dominer. Mais les sondages prévoient, à l’intérieur de ces blocs, plusieurs tremblements de terre. Ainsi, si la N-VA devrait rester la première force de la Flandre, même en perdant quelques plumes (de 32,4 % en 2014 à 28 %), on devrait assister à une remontée spectaculaire du parti fasciste Vlaams Belang, désormais dirigé par le jeune (33 ans) Tom Van Grieken : il passerait de 5,8 % à… 15 %, et deviendrait le troisième parti de Flandre. « Cette remontée était prévisible, car la N-VA est devenue un parti de gouvernement présentable et le VB s’est positionné comme le Rassemblement National plus à gauche sur les thèmes socio-économique, par exemple en proposant de ramener l’âge de la retraite de 67 à 65 ans », analyse Dave Sinardet, professeur à la « Vrije Universiteit Brussel » et à l’Université Saint-Louis de Bruxelles. Les chrétiens-démocrates du CD&V confirmeraient leur seconde position à 17 % (contre 18 % en 2014).

Dans cette configuration, il ne resterait donc que des miettes pour la gauche au sens large : ainsi les socialistes continueraient leur chute, de 14 à 11 %. En revanche, les verts de Groen, érigé en ennemi principal par la N-VA, passeraient de 8,6 % à 12 %. Une progression qui reste à confirmer, mais que l’on retrouve de façon encore plus spectaculaire dans les régions francophones : Ecolo deviendrait ainsi le premier parti de Bruxelles (23 % contre 10,5 % en 2014), même si la polémique sur sa tolérance à l’égard des dérives islamistes pourrait lui nuire dans la dernière ligne droite, et il se hisserait à la troisième place en Wallonie avec 19 % des voix contre 8 % en 2014.

Le pot au noir du gouvernement fédéral

« On voit à peu près les majorités qui vont se mettre en place au niveau régional », analyse Dave Sinardet. « En Flandre, la N-VA va gouverner avec les libéraux. Il est simplement possible que les chrétiens-démocrates du CD&V soient remplacés par les socialistes ». De fait, la N-VA a passé son temps à batailler contre les chrétiens-démocrates dans le gouvernement Michel, ceux-ci étant jugés trop à gauche par les indépendantistes… « En Wallonie, on aura une majorité socialiste et écologiste et à Bruxelles, une majorité socialiste, écologiste et Défi ».

En revanche, c’est le pot au noir pour le futur gouvernement belge : « depuis 2011 et surtout 2014, on sait qu’on peut avoir une majorité fédérale sans être majoritaire au sein des deux groupes linguistiques », poursuit Dave Sinardet. Le gouvernement Michel ne comptait, en effet, qu’un parti francophone, le MR et trois partis flamands. Et contrairement à toutes les prévisions, ce sont les Flamands qui n’ont cessé de se déchirer entre eux, notamment sur l’immigration et le social, Charles Michel jouant le rôle d’arbitre… Il est donc possible que le record mondial établi en 2010 soit battu : il avait alors fallu 541 jours pour former le gouvernement dirigé par le socialiste Di Rupo. Embêtant alors qu’il faudra désigner le futur commissaire belge d’ici fin août, un poste qui pèse lourd lors de la répartition des postes gouvernementaux entre les partis.

(1)Pour être complet, ajoutons que dans six communes de la périphérie bruxelloise situées en Flandre et dite « à facilités », car comptant un grand nombre de francophones, les électeurs pourront voter pour les listes de la région flamande ou bruxelloise, mais seulement pour les scrutins fédéral et européen…

Categories: Union européenne

Comment le Parlement européen vint à Strasbourg

Sat, 05/25/2019 - 19:46

Il n’y a plus guère que les Français qui parlent du «Parlement de Strasbourg», avec des trémolos dans la voix, en invoquant le symbole de la réconciliation franco-allemande que représente la capitale alsacienne. Leurs partenaires européens, eux, enragent devant la folie que représente une Assemblée de 751 membres et plusieurs milliers d’assistants et fonctionnaires contraints au grand écart entre Bruxelles, capitale officielle de l’Union, et Strasbourg, là où se tiennent les sessions plénières (trois jours et demi par mois, sauf en août, plus deux en octobre).

Un nomadisme incompréhensible pour les citoyens, hors de prix (entre 50 et 100 millions d’euros par an selon les sources), y compris sur le plan environnemental et, surtout, épuisant pour les élus, les fonctionnaires, les journalistes. La contestation s’est amplifiée au fil des élargissements : atteindre Strasbourg, gérable lorsqu’on vient du Benelux ou d’Allemagne, impose un gymkhana impossible lorsqu’on doit partir de Chypre, d’Estonie ou du Portugal… Aujourd’hui, 90 % des eurodéputés voudraient que le Parlement siège à Bruxelles. Mais la décision ne leur appartient pas : ce sont les Etats qui décident à l’unanimité de la localisation des institutions.

«Le siège de Strasbourg est devenu une nouvelle ligne Maginot française, ironise Pervenche Berès, députée européenne socialiste depuis vingt ans. On ne comprend pas à quoi il correspond. Si l’Allemagne a obtenu que le siège de la Banque centrale européen soit à Francfort, c’est parce que la monnaie lui est consubstantielle. Mais les sessions plénières à Strasbourg, ça représente quoi pour les Français, sérieusement ?» Un avis que ne partage pas la radicale Virginie Rozière qui siège pourtant sur les mêmes bancs socialistes. Pour elle, «Strasbourg reste un symbole, c’est l’image de la France et surtout, à la différence de Bruxelles, ce n’est pas une ville perçue comme technocratique».

Le siège de Strasbourg est une affaire ancienne : lors de la création de la CECA, la Communauté économique du charbon et de l’acier, en 1952, il a paru naturel d’y localiser, sept ans après la fin de la guerre, son Assemblée parlementaire, un aréopage de députés élus par leurs Assemblées respectives, dénué de pouvoir. Pourquoi ne pas faire de même en 1957 avec l’Assemblée parlementaire de la CEE (Communauté économique européenne), elle aussi désignée au second degré et sans plus de pouvoir que sa grande sœur ?

Mais, et cela l’histoire ne le dit pas, Strasbourg a été à l’origine d’un des plus beaux plantages de l’histoire diplomatique française. En effet, la France, puissance dominante de l’Europe des Six, devait accueillir sur son sol la Commission européenne et le Conseil des ministres. «Les institutions communautaires auraient dû occuper le site de Sophia Antipolis, à Nice, nous racontait en 2008 Georges Berthoin, ancien chef de cabinet de Jean Monnet. Mais le projet a avorté, car les Allemands trouvaient que cela ne faisait pas sérieux, trop «Club Med».» La France a alors proposé l’actuel site de La Défense ou de créer une ville nouvelle à Chantilly, à 30 km au nord de Paris. Las, un certain Pierre Pflimlin, ministre des Finances puis président du Conseil (juste avant que le général de Gaulle ne revienne au pouvoir), mais surtout maire de Strasbourg, a vu dans cette localisation une menace pour sa ville : si les institutions étaient en France, rien ne justifiait plus que l’Assemblée parlementaire soit localisée en Alsace. Les Belges ont alors gentiment proposé que Bruxelles devienne la capitale «provisoire» de la CEE. Il faudra attendre 1993 pour que le siège des institutions soit inscrit dans le droit européen et que Bruxelles s’impose définitivement…

Mais entre l’Assemblée parlementaire des débuts et le Parlement européen d’aujourd’hui, il n’y a plus rien de commun : depuis 1979, il est élu au suffrage universel et, avec le traité de Lisbonne de 2007, il a acquis presque les mêmes pouvoirs que le Conseil des ministres (l’instance qui représente les Etats). Or, elle reste la seule institution éclatée entre trois lieux : Strasbourg, pour le siège, Bruxelles, pour le travail en commissions et en groupes politiques, et Luxembourg pour le secrétariat général et les services de traduction et d’interprétation. Un enfer pratique.

Le Parlement a tout essayé pour que Bruxelles devienne siège unique : achat d’un «centre des congrès» doté d’un hémicycle en 1993, création de six «mini-sessions» annuelles de deux jours à Bruxelles, raccourcissement d’une journée des sessions de Strasbourg, vote de nombreuses résolutions. Il est soutenu par la quasi-totalité des Etats, l’Allemagne elle-même venant officiellement de lâcher la France dans cette affaire. «Il n’y a plus que les Français, les Italiens, les Espagnols et quelques Allemands à soutenir Strasbourg», comptabilise Pervenche Berès. Strasbourg ne doit sa survie qu’au verrou de l’unanimité. «On aurait dû négocier le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement en échange de l’abandon du siège du Parlement», regrette l’eurodéputée.

Face à cette offensive, Strasbourg n’a pas ménagé sa peine : construction d’un nouvelle hémicycle en 1999 que tout le monde s’accorde à trouver magnifique même si les espaces de travail sont exigüs, construction d’un tramway, piétonnisation de la ville, etc. Paris, après s’être fait tirer l’oreille, a enfin mis en place une liaison TGV Bruxelles-Strasbourg via Paris, la Belgique a longtemps refusé d’électrifier la ligne Bruxelles-Luxembourg afin de mettre des bâtons dans les roues de la capitale alsacienne (6h30 en train les bons jours avec une 4G intermittente…). Mais Strasbourg continue à souffrir de son enclavement : Air France s’est retirée de la ligne Bruxelles-Strasbourg désormais assurée par la seule Brussels Airlines qui pratique des prix de monopole. En outre, les liaisons directes à partir des villes européennes sont rares… « On ne voit pas ce que l’Etat français pourrait faire, sauf si Ryan Air faisait de Strasbourg l’un de ses hubs », regrette un haut fonctionnaire du Parlement.

La capitale alsacienne ne manque pourtant pas d’atouts : «Une fois qu’on s’est fait au rythme, les sessions plénières sont un moment unique, poursuit cet eurocrate. Tout le monde se retrouve pendant trois jours, c’est intense et sans commune mesure avec ce qui se passe à Bruxelles. Médiatiquement, cela oblige les journalistes à écrire sur le Parlement alors qu’à Bruxelles ils ont toujours autre chose à faire.» Et le sort joue en faveur de la ville : l’hémicycle de Bruxelles, bâti à la va-vite par des spéculateurs belges avant d’être racheté par le Parlement, menace de s’effondrer. «Depuis le début, ce bâtiment est un cauchemar qui accumule les problèmes. Il faudra soit le rénover (345 millions d’euros), soit le rebâtir (380 millions) lors de la législature 2024-2029», explique un autre eurocrate. Une occasion en or pour faire taire les polémiques autour du siège strasbourgeois.

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L'Europe méprise-t-elle les peuples ?

Fri, 05/24/2019 - 20:39

L’Union européenne n’est pas seulement un «empire» dirigé par «Juncker et Merkel», elle méprise aussi les peuples. C’est pourquoi la volonté de Theresa May, la Première ministre britannique, de demander aux députés s’ils veulent organiser un nouveau référendum (soit sur l’accord de divorce, soit sur le maintien dans l’UE, ce n’est pas très clair), a déclenché l’ire de l’extrême droite française : «C’est une violation démocratique absolument inouïe, a clamé mardi Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement national aux européennes. Le peuple britannique a été consulté par référendum en 2016. La démocratie n’a pas d’existence uniquement lorsque le peuple est d’accord avec vous.» C’est évidemment l’Union qui est visée. L’accusation est récurrente : lorsque les référendums sont négatifs, elle n’hésite pas à faire revoter les peuples…

De fait, les Danois ont ainsi dû revoter en 1993 sur le traité de Maastricht pourtant rejeté en 1992, tout comme les Irlandais l’ont fait en 2002 pour celui de Nice pourtant refusé en 2001 et, en 2009, pour celui de Lisbonne, lui aussi repoussé en 2008. Et que dire de la France et des Pays-Bas, qui ont adopté par voie parlementaire le traité de Lisbonne de 2007, qui n’était qu’un décalque du traité constitutionnel européen refusé par référendum en 2005…

Mais ce qu’oublient de dire les europhobes, c’est que la décision de faire revoter son peuple ou de passer par son parlement est une décision relevant de la seule souveraineté nationale. Jamais les institutions communautaires ne s’en sont mêlées, tout simplement parce qu’ils n’ont aucune compétence pour le faire. Mieux, les autres Etats membres ont à chaque fois accepté de rouvrir les négociations afin de permettre aux gouvernements qui le souhaitaient de soumettre un nouveau texte à référendum. Le Danemark a ainsi obtenu de ne participer ni à la monnaie unique, ni à la politique de sécurité intérieure, ni à la politique étrangère et de sécurité commune, ni à la citoyenneté européenne. L’Irlande, elle, a fait biffer la réduction du nombre de commissaires.

En revanche, un pays peut décider d’en rester là. Cela a été le cas lorsque le Danemark a confirmé par référendum, en 2000, sa décision de rester en dehors de l’euro. De même, alors que la Suède ne bénéficiait d’aucune dérogation, elle a néanmoins décidé par référendum en 2003 de ne pas participer à l’euro. Et ces deux pays sont toujours en dehors de la zone euro.

Bref, si le Parlement britannique décide de consulter à nouveau son peuple, ce sera une décision souveraine. Ajoutons qu’une telle décision ne ferait pas les affaires de l’Union. En effet, si le «remain» l’emportait finalement, ce serait sans doute de justesse et la question d’un nouveau référendum serait immédiatement posée. Bardella semble ignorer que le Royaume-Uni a déjà voté sur son appartenance à l’Union en 1975, deux ans après son adhésion. Et le oui l’avait emporté par 67% des voix. Est-ce à dire que le référendum de 2016, qui posait la même question qu’en 1975, était une «violation démocratique absolument inouïe» ? Surtout, est-ce que consulter son peuple pour faire approuver le résultat d’une négociation est anti-démocratique ? Bref, pour un europhobe, un non à l’Europe est définitif, un oui à l’Europe est forcément temporaire.

Photo: Twisted Photo - Unsplash DR

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Les maitres de l'Europe sont les Etats

Tue, 05/21/2019 - 19:55

Le Rassemblement national décline consciencieusement le catalogue des infox sur l’UE. Après «l’UERSS» dénoncée le 1er mai par Marine Le Pen, c’est au tour de la tête de liste, Jordan Bardella, de prendre le relais : «Leur UE nous impose dans tous les domaines des règles aux conséquences désastreuses, a-t-il clamé le 13 mai. Pour toute décision, nous devons demander l’autorisation de papa Juncker et maman Merkel. Cette mise sous tutelle, cette infantilisation de notre grand pays, ça suffit !» L’argument est aussi usé que les fonds de culotte de Le Pen père : l’UE se mêle de tout et impose ses décisions à une France qui n’en peut mais.

Le jeune Bardella semble ignorer que l’UE a été créée par les Etats qui se sont assurés d’en garder le contrôle. L’Union n’est pas une fédération à l’américaine ou à l’allemande, même s’il y a bien quelques aspects fédéraux, quatre pour être précis : d’une part, la Commission gère seule la politique de concurrence, l’union douanière et la préservation des ressources biologiques de la mer, d’autre part la Banque centrale européenne décide seule de la politique monétaire.

L’organe suprême de l’Union est le Conseil européen des 28 chefs d’Etat et de gouvernement qui statue à l’unanimité (sauf sur les nominations où il décide à la majorité qualifiée - 55 % des Etats représentant 65 % de la population). Certes, la Commission a le monopole de l’initiative législative, mais 95 % des textes qu’elle propose ont été demandés par le Conseil. Pour les 5 % restants, l’exécutif européen s’assure préalablement que les capitales sont d’accord pour éviter de se faire rembarrer. Ensuite, le texte doit être adopté par le Conseil des ministres (où siègent les Etats) qui décide à la majorité qualifiée et par le Parlement européen. Enfin, la plupart de ces textes doivent être transposés dans les droits nationaux par les Parlements des pays. Autrement dit, les Etats sont à l’origine et à la réception de l’ensemble des décisions prises «à Bruxelles». Emmanuel Macron a donc raison de dire que «Bruxelles, c’est nous», c’est-à-dire les gouvernements.

Il faut aussi savoir que les votes au sein du Conseil des ministres sont extrêmement rares, les gouvernements cherchant avant tout le compromis. Et lorsque vote il y a, c’est lorsqu’un pays accepte d’être mis en minorité généralement pour des raisons de politique intérieure.

Dernier point important : la Commission est composée de commissaires nommés par les Etats membres et le Parlement de députés élus parce qu’ils figurent sur des listes élaborées par des partis nationaux. Il n’y a pas de classe politique fédérale en Europe, mais une juxtaposition de classes politiques nationales qui siègent à Bruxelles. Lorsque Jordan Bardella sera député européen, il ne cessera pas brusquement d’être français et d’extrême droite. Bref, parler de « mise sous tutelle » n’a strictement aucun sens. Il n’y a aucune décision prise au sein de l’Union européenne qui le soit contre un Etat membre, même si ceux-ci aiment à le faire croire pour justifier une politique qu’ils n’osent pas assumer en interne.

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"L'UERSS", vraiment?

Sat, 05/18/2019 - 19:53

Elle est «impériale, hégémonique et totalitaire […]. Sans le dire, malgré la reconnaissance déjà ancienne du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, nous revivons en 2019 la lutte immémoriale des empires contre la nation. L’UERSS contre nos nations».Marine Le Pen n’y est pas allée de main morte, le 1er mai, en revenant à une rhétorique europhobe brutale que son parti avait employée avec succès lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen.

Le plus amusant : cette Europe qui, selon la dirigeante du Rassemblement national, aurait été créée par des agents au service des «intérêts politiques financiers» américains est brocardée dans les mêmes termes par l’administration Trump. De plus, Le Pen est conseillée par Steve Bannon, artisan de la victoire du président américain… Cette comparaison ne tient évidemment pas la route : un empire, par définition, suppose un Etat dominant qui utilise la force militaire pour obliger d’autres pays à se soumettre à son autorité. L’Union, elle, est une association volontaire d’Etats souverains qui ont décidé de partager certaines de leurs compétences : il n’existe aucune armée européenne commandée par «Bruxelles» qui aurait obligé un pays à y adhérer. D’ailleurs, tous les Etats qui ont rejoint l’Union depuis 1973 ont organisé un référendum (à l’exception de Chypre) et la Norvège a même voté par deux fois non sans qu’elle ne soit envahie par les chars bruxellois.

La comparaison avec l’URSS est encore plus stupide : l’Union n’est pas totalitaire, sinon les europhobes ne pourraient pas se faire élire dans un Parlement qu’ils veulent détruire. Surtout, un pays est libre de la quitter : le Royaume-Uni l’a décidé en juin 2016. Certes, c’est compliqué, comme le montre l’interminable saga du Brexit, mais la faute en revient aux élus nationaux incapables de se mettre d’accord sur la façon de sortir. Les Allemands de l’Est, les Hongrois ou les Polonais, eux, ont payé le prix du sang pour avoir essayé de quitter l’emprise soviétique alors même qu’ils ne faisaient pas partie de l’URSS. La comparaison a d’autant moins de sens que l’Union a non seulement été fondée par les Etats qui en sont membres, mais qu’elle reste contrôlée par eux via le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, son instance suprême qui décide à l’unanimité. Rien ne peut se décider contre eux.

La Commission n’est pas l’instance fédérale que les europhobes décrivent, sauf dans quatre domaines (politique de concurrence, union douanière, négociations commerciales, conservation des ressources de la mer). Dans tous les autres, elle ne peut que proposer des textes qui doivent être adoptés par les Etats en accord avec le Parlement. Mieux, 95 % des lois que la Commission propose ont été demandées par le Conseil européen… Enfin, tout le personnel politique est désigné par les Etats : commissaires, juges à la Cour de justice et même députés européens qui sont élus sur des listes élaborées par des partis nationaux. «UERSS» avez-vous dit ?

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Les salauds de l’Europe, acte II

Mon, 05/06/2019 - 16:24

Mes « Salauds de l’Europe » sont parus le 25 mars 2017, pour les soixante ans du traité de Rome, à quelques jours du lancement des négociations du Brexit. En deux ans, il s’est passé beaucoup de choses et les Britanniques sont toujours là. J’ai donc décidé de faire une seconde édition revue et augmentée de cet ouvrage afin de vous éclairer juste avant les élections européennes. Bonne lecture!

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Le coup de menton présidentiel sur Schengen

Thu, 05/02/2019 - 10:39

Emmanuel Macron veut, à l’image de tous ses prédécesseurs, «refonder» Schengen, quitte «à ce que soit avec moins d’États» : «Je ne veux plus avoir, dans l’espace Schengen, des États qui vous disent «j’en suis» quand c’est pour la liberté de circulation, mais «je ne veux pas en être» quand il s’agit de répartir la charge»,a expliqué le chef de l’Etat français lors de sa conférence de presse de jeudi. Il veut «une Europe qui tient ses frontières, qui les protège, qui a un droit d’asile refondé et commun, où la responsabilité va avec la solidarité». Visant clairement le public d’extrême droite, il n’hésite à proclamer que les frontières hermétiques sont le «deuxième grand combat» européen avec celui du «climat»… Immigration et changement climatique mis sur le même plan, il fallait oser.

Pourquoi un tel ton martial alors qu’il n’y a aucune vague de réfugiés ou de migrants rappelant, même de loin, celle de l’été 2015 ? Car le Président prépare l’avenir et fait pression sur les pays d’Europe centrale et orientale qui forment une solide minorité de blocage au Conseil des ministres, empêchant l’adoption de la réforme du règlement de Dublin (la quatrième du genre), qui détermine le pays responsable du traitement des demandes d’asile et qui prévoit un système de répartition obligatoire en cas d’afflux brutal et important. Ces pays ont déjà refusé tout net d’appliquer un règlement de 2016 qui instaurait, sur une période de deux ans et pour quelques dizaines de milliers de demandeurs d’asile, un tel système, refusant toute présence musulmane sur leur sol. Emmanuel Macron veut qu’à l’avenir la suppression des contrôles aux frontières intérieures (l’espace Schengen) aille de pair avec la solidarité, c’est-à-dire le partage du «fardeau», afin que des pays comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou l’Allemagne ne se retrouvent pas seuls à devoir gérer une question migratoire qui concerne toute l’Union.

Certes, depuis 2013, il existe un lien entre liberté de circulation et responsabilité, puisque le code Schengen prévoit que les Etats peuvent rétablir les contrôles aux frontières intérieures si l’un de leur partenaire ne peut faire face à un afflux massif de migrants, mais seulement si cela menace gravement l’ordre public. Emmanuel Macron veut donc ajouter un «troisième pilier» à Schengen, comme le décrypte Yves Pascouau, chercheur à l’Institut Jacques-Delors : «la solidarité». Mais on ne voit pas comment il pourrait obtenir via Schengen ce qui est bloqué via Dublin. Dans les deux cas, il faut réunir une majorité qualifiée au Conseil des ministres et une majorité absolue au Parlement européen.

Sa menace d’expulser un Etat membre de Schengen tient encore moins la route, estime Yves Pascouau : d’une part, parce que les traités ne prévoient pas une telle possibilité et, d’autre part, parce que la liste des Etats membres figure dans un protocole annexé aux traités, pas moins. Autrement dit, il faudrait en passer par une révision des traités qui nécessite, elle, l’unanimité. A moins que Macron menace de sortir unilatéralement de Schengen, ce qui signifie une sortie des traités européens et donc un «Frexit» pur et simple, ce qui fera sans doute plaisir à Jean-Luc Mélenchon. Est-il prêt à en arriver à une telle extrémité ? On peut sérieusement en douter. Bref, sa promesse d’une refondation de Schengen n’est rien d’autre qu’un coup de menton bien dans la tradition française…

Photo Ludovic Marin. AFP

Categories: Union européenne

Le coup de menton présidentiel sur Schengen

Thu, 05/02/2019 - 01:06

Emmanuel Macron veut, à l’image de tous ses prédécesseurs, «refonder» Schengen, quitte «à ce que soit avec moins d’États» : «Je ne veux plus avoir, dans l’espace Schengen, des États qui vous disent «j’en suis» quand c’est pour la liberté de circulation, mais «je ne veux pas en être» quand il s’agit de répartir la charge»,a expliqué le chef de l’Etat français lors de sa conférence de presse de jeudi. Il veut «une Europe qui tient ses frontières, qui les protège, qui a un droit d’asile refondé et commun, où la responsabilité va avec la solidarité». Visant clairement le public d’extrême droite, il n’hésite à proclamer que les frontières hermétiques sont le «deuxième grand combat» européen avec celui du «climat»… Immigration et changement climatique mis sur le même plan, il fallait oser.

Pourquoi un tel ton martial alors qu’il n’y a aucune vague de réfugiés ou de migrants rappelant, même de loin, celle de l’été 2015 ? Car le Président prépare l’avenir et fait pression sur les pays d’Europe centrale et orientale qui forment une solide minorité de blocage au Conseil des ministres, empêchant l’adoption de la réforme du règlement de Dublin (la quatrième du genre), qui détermine le pays responsable du traitement des demandes d’asile et qui prévoit un système de répartition obligatoire en cas d’afflux brutal et important. Ces pays ont déjà refusé tout net d’appliquer un règlement de 2016 qui instaurait, sur une période de deux ans et pour quelques dizaines de milliers de demandeurs d’asile, un tel système, refusant toute présence musulmane sur leur sol. Emmanuel Macron veut qu’à l’avenir la suppression des contrôles aux frontières intérieures (l’espace Schengen) aille de pair avec la solidarité, c’est-à-dire le partage du «fardeau», afin que des pays comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou l’Allemagne ne se retrouvent pas seuls à devoir gérer une question migratoire qui concerne toute l’Union.

Certes, depuis 2013, il existe un lien entre liberté de circulation et responsabilité, puisque le code Schengen prévoit que les Etats peuvent rétablir les contrôles aux frontières intérieures si l’un de leur partenaire ne peut faire face à un afflux massif de migrants, mais seulement si cela menace gravement l’ordre public. Emmanuel Macron veut donc ajouter un «troisième pilier» à Schengen, comme le décrypte Yves Pascouau, chercheur à l’Institut Jacques-Delors : «la solidarité». Mais on ne voit pas comment il pourrait obtenir via Schengen ce qui est bloqué via Dublin. Dans les deux cas, il faut réunir une majorité qualifiée au Conseil des ministres et une majorité absolue au Parlement européen.

Sa menace d’expulser un Etat membre de Schengen tient encore moins la route, estime Yves Pascouau : d’une part, parce que les traités ne prévoient pas une telle possibilité et, d’autre part, parce que la liste des Etats membres figure dans un protocole annexé aux traités, pas moins. Autrement dit, il faudrait en passer par une révision des traités qui nécessite, elle, l’unanimité. A moins que Macron menace de sortir unilatéralement de Schengen, ce qui signifie une sortie des traités européens et donc un «Frexit» pur et simple, ce qui fera sans doute plaisir à Jean-Luc Mélenchon. Est-il prêt à en arriver à une telle extrémité ? On peut sérieusement en douter. Bref, sa promesse d’une refondation de Schengen n’est rien d’autre qu’un coup de menton bien dans la tradition française…

Photo Ludovic Marin. AFP

Categories: Union européenne

Un Français à la tête de la Commission ?

Wed, 04/24/2019 - 19:32

Bien malin celui qui connaît déjà le nom du prochain président de la Commission. A cinq semaines des élections européennes, la seule chose qui semble à peu près acquise est que le système des «spitzenkandidaten» (la tête de la liste arrivée en première position décroche la timbale), celui qui a permis au social-chrétien Jean-Claude Juncker de s’emparer du poste en 2014, est mal en point. Le choix reviendra sans doute, comme par le passé, au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement de juin, le nouveau Parlement se contentant de l’approuver (ou pas).

Il faut dire que les conservateurs du PPE (parti populaire européen), qui sont certains d’arriver en tête, «ont placé la barre très bas en désignant Manfred Weber comme tête de liste», ricane un membre du gouvernement français, «ce qui ouvre le jeu». De fait, personne n’imagine que ce personnage falot, ne parlant pas un traître mot de français, qui n’a jamais été ni Premier ministre (un minimum depuis 1995) ni ministre, dont le seul titre de gloire est d’avoir dirigé le groupe PPE du Parlement, puisse se hisser à ce poste surdimensionné pour lui. D’autant que ce membre de la CSU, la branche bavaroise très droitière de la CDU allemande, n’est pas précisément un candidat de compromis acceptable par le centre et la gauche.

Carte à jouer

Sans compter que dans le prochain Parlement, il faudra réunir plus que le PPE et les socialistes pour former une majorité, les deux groupes les plus attachés au système des spitzenkandidaten. Il faudra aussi convaincre les libéraux et sans doute les Verts. Or Weber passe mal partout, y compris au sein de son groupe politique : ainsi LR en France ne le soutient que du bout des lèvres, mais c’est aussi le cas de plusieurs autres délégations nationales. Les socialistes, qui avaient une carte à jouer, n’ont guère été mieux inspirés en désignant Timmermans, l’actuel vice-président de la Commission. Même s’il a été plusieurs fois ministre aux Pays-Bas, il n’a aucune chance d’être soutenu par son gouvernement. En outre, après des débuts en fanfare, il s’est fait totalement marginaliser par Martin Selmayr, le chef de cabinet de Juncker puis secrétaire général de la Commission. Si l’on ajoute à cet état des lieux le fait que plusieurs groupes politiques dont les libéraux n’ont pas désigné de tête de liste, cela ouvre le jeu pour des personnalités extérieures au jeu des spitzenkandidaten.

Vaste paquet

Michel Barnier, le négociateur du Brexit, est sans doute celui qui réunit le plus de suffrages : en France, par exemple, il peut compter sur le soutien de la liste Renaissance, des Républicains, sa famille d’origine, voire d’une partie de la gauche. Mais il est toujours occupé par le Brexit, une œuvre inachevée qui ternit son bilan. D’autres noms pourraient s’imposer, comme celui de Christine Lagarde, l’actuelle patronne du FMI, qui a les faveurs de la chancelière allemande. Des surprises ne sont pas à exclure, exactement comme le fut celle de Jacques Delors en 1984 que personne n’avait vu venir. On peut penser par exemple à Bruno Le Maire, l’actuel ministre des Finances, lui aussi LR d’origine, qui parle parfaitement allemand, un sacré avantage dans l’Union actuelle, et vient opportunément de publier un petit manifeste le Nouvel Empire, l’Europe au XXIe siècle. L’avantage de ces trois candidats potentiels est qu’ils sont de droite modérée et donc susceptibles de réunir une majorité au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement ainsi qu’au Parlement européen. Ils sont certes tous Français, mais on cherche sur la scène européenne des personnalités intéressées par le job et possédant une envergure suffisante.

Mais cette nomination fera partie d’un vaste paquet, ce qui accroît les chances d’un candidat hexagonal puisque la France n’occupe plus aucun poste de direction. Il faudra en effet désigner le président du Parlement, du Conseil européen et de la BCE ainsi que le ministre des Affaires étrangères de l’UE. La France n’entend pas cette fois laisser l’Allemagne à la manœuvre, comme elle l’a fait en 2014, François Hollande s’étant désintéressé de l’affaire…

Photo: Aris Oikonomou. AFP

N.B.: article paru dans Libération du 22 avril

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Le Brexit sans fin

Sat, 04/13/2019 - 12:32

«Brexit means Brexit», comme le répète depuis trois ans Theresa May ? Plus vraiment. On se demande même si le Royaume-Uni finira un jour par quitter l’Union. La Première ministre britannique a, en effet, obtenu dans la nuit de mercredi à jeudi de ses 27 partenaires, réunis à Bruxelles pour l’occasion, un nouveau délai plus long que celui qu’elle espérait : le nouveau 29 mars, date initiale du Brexit, est désormais le 31 octobre. Soit la date d’Halloween, ce qui n’est pas de très bon augure… Mais le Royaume-Uni pourra sortir avant s’il le souhaite.

Déjà, le 22 mars, les chefs d’Etat et de gouvernement lui avaient laissé un sursis jusqu’au 12 avril, date repoussée au 22 mai, c’est-à-dire juste avant les élections européennes, si la Chambre des communes adoptait avant l’accord de divorce négocié avec les Européens. Mais celle-ci s’y étant opposée pour la troisième fois, cette prorogation au 31 octobre – dont rien ne garantit qu’elle sera la dernière – était le seul moyen d’éviter une sortie sans accord qui effraye la plupart des pays européens.

Cette valse de plus en plus incompréhensible des dates montre que le Royaume-Uni a réussi l’exploit d’exporter ses batailles byzantines internes à Bruxelles. Car ce sommet a fait voler en éclat le beau front uni des Européens qui tenait vaille que vaille depuis trois ans, à l’image d’un couple franco-allemand décidément de plus en plus fictionnel. En effet, les Vingt-sept ont bataillé durant huit heures sur la durée du sursis à accorder à Londres. Alors que Theresa May demandait simplement un sursis jusqu’au 30 juin, le Polonais Donald Tusk, le président du Conseil européen, soutenu par l’Allemagne et la très grande majorité des Etats membres, a proposé un délai d’un an durant lequel Londres pourrait sortir à tout instant, avec ou sans accord de divorce. Certains pays étaient même prêts à accorder une date encore plus lointaine.

Macron et Merkel en désaccord

Emmanuel Macron, soutenu par la Belgique, le Luxembourg, Malte et l’Espagne, était opposé à une longue extension, voire à une extension tout court, puisque Theresa May n’a rempli aucune des conditions fixées le 22 mars dernier. Non seulement l’accord de divorce n’a pas été adopté, mais elle n’a proposé aucun plan crédible de sortie de crise à ses partenaires : elle s’est contentée de répéter qu’elle espérait bien faire ratifier le «deal» d’ici le 22 mai… La logique aurait donc dû être une sortie sèche vendredi soir, une ligne dure qui avait la préférence de Paris.

Dès son arrivée, la chancelière allemande, Angela Merkel, a, fait rare, affiché publiquement son désaccord avec son partenaire français en expliquant qu’elle «ne comprenait pas son raisonnement». Une bilatérale entre les dirigeants juste avant le début du sommet n’a pas permis de rapprocher les positions. «Pour moi, rien n’est acquis», a proclamé Emmanuel Macron à son arrivée, jugeant «indispensable que rien ne compromette le projet européen» : «Rien n’est acquis, et en particulier quand j’entends les rumeurs, aucune extension longue». «Tout n’est pas préférable à un «no deal»», expliquait un proche du chef de l’Etat, jugeant qu’il«n’est pas question d’importer dans l’UE la crise politique britannique» à force de vouloir éviter à tout prix un divorce sans accord.

C’est raté. Le consensus s’est finalement fait sur le 31 octobre. Pourquoi cette date ? Parce que c’est la veille de la prise de fonction de la nouvelle Commission. Reste que cela va obliger le Royaume-Uni à organiser des élections européennes qui devront avoir lieu le jeudi 23 mai, à moins que la Chambre des communes n’adopte d’ici-là l’accord de divorce. Un délai qui ne vaut guère plus que le papier sur lequel il est écrit, même si le chef de l’Etat français a assuré qu’il n’y aurait pas de nouvelle prolongation. De fait, jusque-là c’était les européennes qui étaient considérées comme la limite ultime et intangible…

Effrayer les Brexiters les plus durs

Les Vingt-sept ont donc pris le risque de permettre aux Britanniques de peser sur le choix des futurs présidents de la Commission, du Parlement, du Conseil européen et de la Banque centrale européenne et sur le nom du ministre des affaires étrangères de l’Union, mais aussi sur les discussions du budget 2020 ainsi que sur les perspectives financières 2021-2027… Autant dire qu’ils offrent à Londres une capacité de nuisance dont il n’osait pas rêver si Theresa May décide de l’utiliser pour obtenir une renégociation de l’accord de divorce. Reste que la France et ses alliés ont réussi à imposer des «conditions» dont la force juridique est pour le moins sujette à caution : Theresa May s’est, en effet, engagée à ne pas interférer avec les décisions qui engagent l’avenir d’une Union que le Royaume-Uni veut quitter. Un engagement que pourra respecter ou pas le gouvernement, mais qui ne s’imposera en aucun cas à ses députés européens qui tiennent leur mandat du peuple. Autre question : les députés étant élus pour cinq ans, pourra-t-on les forcer à quitter le Parlement au 31 octobre puisqu’ils représentent le peuple européen ? Un beau nid à contestations.

Les Européens semblent faire le pari que la perspective d’un Brexit sans cesse retardé va effrayer les Brexiters les plus durs et les convaincre d’adopter l’accord de divorce pour en finir une bonne fois pour toutes. Un pari risqué, ceux-ci pouvant aussi être tentés d’empêcher le bon fonctionnement de l’Union pour la pousser à le renégocier, ce que les Vingt-sept excluent toujours. Pour l’instant.

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L'impasse des démagogues

Fri, 04/12/2019 - 10:31

Créer un grand groupe politique eurosceptique réunissant droite radicale et extrême-droite et situé à la droite des conservateurs du Parti populaire européen (PPE) au Parlement de Strasbourg tout en noyautant la Commission de commissaires souverainistes de droite radicale, le tout afin de peser sur les politiques de l’Union. Tel est le rêve que Matteo Salvini, le leader de la Ligue, espère bien concrétiser au lendemain des élections européennes du 26 mai.

Il a d’ores et déjà réclamé le poste de commissaire pour sa famille politique, fort des diverses élections locales qui montrent qu’il est désormais le partenaire dominant de la coalition formée avec le Mouvement cinq étoiles (M5S). Et il multiplie les contacts avec les familles politiques qu’il estime proche de lui et qui sont déjà au pouvoir : le FPÖ autrichien, le Fidesz du Hongrois Viktor Orban ou encore le PiS (Droit et Justice) polonais. Mais voilà : du rêve à la réalité, il y a loin, car, en dehors de leur détestation commune de l’Europe fédérale et de l’immigration musulmane, peu de chose unit ces « populistes ». Au final, Salvini risque bien de se retrouver uniquement avec ses amis de l’extrême droite européenne.

Depuis un an, Matteo Salvini se comporte davantage comme le ministre des affaires étrangères de la Péninsule que comme le ministre de l’intérieur qu’il est. Outre de multiples voyages dans l’Union et hors d’Europe, il s’est fait une spécialité des déclarations tonitruantes, essentiellement via les réseaux sociaux, contre les leaders européens qu’il exècre : d’abord Emmanuel Macron, le chef de l’Etat français, érigé au rang d’épouvantail europhile, mais aussi Angela Merkel, la chancelière allemande, accusée de vouloir asphyxier économiquement son pays, ou encore Jean-Claude Juncker, le président de la Commission dont il raille l’alcoolisme. Sans doute une façon de dissimuler la maigreur de son bilan qui, plus gênant pour lui, se situe plutôt dans la ligne européenne.

Certes, il a choqué une partie de l’opinion en refusant de laisser accoster les bateaux ayant secouru des migrants en Méditerranée, mais il n’a pas fait pire que la France d’Emmanuel Macron qui a été jusqu’à prétendre que l’Espagne était plus proche que la Corse pour accueillir l’Aquarius. En réalité, la politique des deux pays est très proche : l’Hexagone ne veut pas devenir un pays de premier accueil, l’Italie est las d’avoir dû gérer seule plusieurs centaines de milliers d’arrivées. Les deux pays, et donc la Ligue, se retrouvent ainsi pour soutenir la Commission dans sa volonté d’instaurer une solidarité européenne afin de répartir le traitement des demandes d’asile entre les Vingt-sept.

Or, ni la Pologne, ni la Hongrie, ni l’Autriche, où le FPÖ est allié aux conservateurs, ne sont sur cette ligne, pas plus que sa grande amie, Marine Le Pen dont le parti siège au sein du même groupe politique au Parlement européen que la Ligue (Europe des nations et des Libertés, ENL, 37 membres sur 751 députés) : ils considèrent que le règlement de Dublin doit s’appliquer tel qu’il est, c’est-à-dire qu’il revient aux pays de premier accueil de se débrouiller seuls.

Cette divergence d’intérêts entre partis démagogues se retrouvent dans à peu près tous les domaines. Ainsi, dans les pays de l’Est, on reste attaché au budget communautaire, c’est-à-dire à la solidarité financière qui leur permet de recevoir jusqu’à 4% de leur PIB par an, alors qu’à l’Ouest les démagogues veulent sa disparition. Même opposition sur le dumping fiscal ou social, l’Est défendant ses avantages comparatifs, alors que l’Ouest veut se protéger contre cette concurrence. Une ligne de fracture qui ne passe pas toujours entre l’est et l’ouest, par exemple sur les questions économiques : certains partis d’extrême droite sont ultra-libéraux, pendant que d’autres, comme le RN, sont étatistes. De même, l’approche n’est absolument pas la même sur la question nationale : le RN est jacobin alors que la Ligue ou la NVA belge sont régionalistes. Bref, une alliance entre toutes les forces eurosceptiques ou nationalistes risque d’être purement nominale.

Matteo Salvini est confronté à un autre problème, celui des contraintes de politique européenne et nationale. Ainsi, le Fidesz d’Orban n’a aucune intention de quitter le PPE qui lui offre une influence et une protection qu’il perdrait en ralliant un groupe qui resterait, selon les projections issues des sondages, minoritaire dans la future assemblée. De même, le PiS polonais, en quête de respectabilité et de recentrage sur la scène nationale, n’a guère envie de siéger sur les mêmes bancs que le Rassemblement national français, le Vlaams Belang belge ou le PVV néerlandais qui sont considérés partout en Europe comme infréquentables. La NVA qui partage pourtant beaucoup avec la Ligue est exactement dans la même situation. Ce n’est pas un hasard si les partis démagogiques de droite radicale siègent dans quatre groupe différents : l’ECR (conservateurs britanniques et PiS pour l’essentiel), ELDD (dominé par le britannique UKIP de Nigel Farage), l’ENL et les non-inscrits. Autant dire que la création d’un grand groupe eurosceptique paraît plus qu’improbable. Au mieux, il y aura deux groupes politiques (plus les non inscrits) dans la future assemblée. Les décisions s’y prenant à la majorité absolue et les partis démagogues partageant peu de choses dans les domaines qui relèvent des compétences européennes, le rêve de Salvini a peu de chance de se concrétiser. Le “manifeste des souverainistes” qu’il a lancé lundi à Milan signe d’ailleurs cet échec : ne seront présents que les parties d’extrême droite traditionnelle (RN, FPÖ, Vox, AfD et les partis frères danois et suédois), c’est-à-dire l’ENL actuel...

Ce sera la même chose à la Commission. Il y a déjà eu des commissaires eurosceptiques (britannique, slovaque ou tchèque) qui se sont tous, en général, comportés comme d’excellents européens. Dans une commission à 27, même si la Pologne et l’Italie envoient un commissaire de droite radicale ou d’extrême droite, cela ne bouleversera pas les équilibres, les décisions s’y prenant à la majorité simple (quand on vote, ce qui est rare). Bref, les ambitions de Salvini risquent bien de se fracasser sur la résilience européenne comme ont pu l’expérimenter les Britanniques avant lui, pourtant autrement plus solides politiquement.

N.B.: article paru dans Libération du 8 avril

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La fin du changement d'heure: une faillite européenne

Wed, 04/10/2019 - 18:52

Ma chronique dans «La faute à l’Europe» sur France Info.

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Selmayrgate: la Commission Juncker s'achève dans l'infamie

Tue, 04/02/2019 - 08:33

Martin Selmayr démission ! Le Parlement européen, par 313 voix contre 246, a exigé mardi soir le départ immédiat du secrétaire général de la Commission accusé de s’être propulsé illégalement, le 21 février 2018, au plus haut poste de l’administration communautaire. Les députés ouvrent ainsi une crise institutionnelle majeure avec l’exécutif européen puisque l’étape suivante ne peut être que la censure de Jean-Claude Juncker et de ses vingt-sept commissaires si Selmayr ne démissionne pas ou n’est pas renvoyé. Le président de la Commission ayant lié son sort à celui de son âme damnée, on peut parier qu’il va envoyer paître la seule institution tenant sa légitimité directement du peuple. A deux mois des élections européennes, il va administrer la démonstration que Bruxelles est bien la caricature que dressent d’elle eurosceptiques et europhobes.

Motion de censure

C’est peu dire que, contrairement à ce qu’espérait la Commission, le «Selmayrgate» n’est pas tombé dans l’oubli, un an après la nomination surprise de l’ancien chef de cabinet de Juncker…Libération avait alors révélé comment les règles du statut de la fonction publique européenne avaient été violées par cet Allemand de 48 ans. Le Parlement de Strasbourg a confirmé l’ensemble de nos enquêtes, qualifiant, dans une résolution votée en avril, la promotion de Selmayr de «coup d’Etat». La médiatrice européenne a été plus loin en septembre en publiant l’ensemble des courriels échangés en interne qui montraient que l’institution avait conscience de violer la loi. Mais le Parlement, dominé par les conservateurs du PPE, c’est-à-dire la famille politique de Juncker et de Selmayr, n’a pas osé déclencher une crise en exigeant le renvoi de Selmayr sous menace d’une motion de censure. Elle s’en mord les doigts depuis.

En effet, la Commission a balayé avec mépris toutes les critiques du Parlement et de la médiatrice, écartant même toute réforme future du processus de nomination des hauts fonctionnaires… Agacés, les eurodéputés ont haussé le ton en demandant en décembre le départ de Selmayr, en vain. La publication par Libération, le 15 mars, d’une enquête sur le suicide d’une haute fonctionnaire italienne, Laura Pignataro, obligé de couvrir juridiquement la nomination de Selmayr alors qu’elle savait qu’elle violait la loi, a indigné de nombreux parlementaires. Si aucun lien ne peut être établi, notre récit montrait l’atmosphère de terreur que fait régner Selmayr et révélait que c’était cette juriste de haut vol qui avait donné à la médiatrice européenne l’ensemble des mails relatifs au «Selmayrgate».

Technocratie

Dans sa réponse à notre article, la Commission a commis un bel acte manqué en reconnaissant que Selmayr avait supervisé ses réponses au Parlement sur les circonstances de sa nomination, ce qui constitue une prise illégale d’intérêts… Les eurodéputés de gauche ont donc profité de la procédure contraignante de décharge budgétaire pour accuser Selmayr de conflit d’intérêts et exiger sa démission, des amendements qui ont recueilli une très forte majorité. Vingt ans après la chute de la Commission Santer, le 15 mars 1999, acculée à la démission à la suite, là aussi, des révélations de Libération sur les emplois fictifs distribués par la commissaire française Edith Cresson, Juncker va-t-il connaître le même sort ? Lui qui souhaitait l’avènement d’une «Commission politique» aura réussi à accoucher de la Commission la plus technocratique de l’histoire. Triste héritage.

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Quand l'Europe s'éveillera...

Thu, 03/28/2019 - 17:44

« Le temps de la naïveté européenne est révolu » a proclamé à Bruxelles, un rien martial, Emmanuel Macron vendredi, à l’issue du sommet européen de printemps. Il encore un peu tôt pour en être sûr, mais le fait que les relations avec la Chine aient été inscrites au menu des chefs d’État et de gouvernement pour la toute première fois montre, à tout le moins, une prise de conscience que l’Empire du Milieu est à la fois « un concurrent, un partenaire, un rival » avec lequel « nos relations commerciales sont asymétriques », selon les mots de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission.

Les Vingt-sept ont convenu qu’il était temps de se défendre contre ses pratiques commerciales agressives alors que jusque-là l’Allemagne, les pays nordiques et les d’Europe de l’Est étaient allergiques à tout ce qui pouvait ressembler à du protectionnisme. Pas question pour autant de déclencher une guerre commerciale contre Beijing, à l’image des États-Unis de Donald Trump, l’agressivité n’étant pas dans l’ADN de l’Union. Il s’agit simplement de se doter d’instrument pour imposer en douceur un minimum de réciprocité dans les échanges commerciaux, l’accès aux marchés publics ou les investissements. Comme l’a fait remarquer le chef de l’État français, considérer que l’Union n’est qu’un « marché sans projet, c’est parler une langue que plus personne ne parle dans le monde ».

Pourtant, l’Europe n’a jamais été pensée comme un marché ouvert, bien au contraire. Le marché commun de 1957 reposait sur deux piliers : d’une part la suppression des frontières douanières entre les États membres afin de favoriser le commerce, d’autre part une union douanière le protégeant de l’extérieur. Mais une fois le marché intérieur achevé, au début des années 90, l’Union s’est mise à démanteler ses frontières extérieures : l’Europe protectionniste des débuts est brusquement devenue une zélatrice enthousiaste de la mondialisation, comme le montre l’ouverture à hauteur de 90 % en volume de ses marchés publics à la concurrence non européenne, contre 32 % pour les Américains, 28 % pour le Japon, 16 % pour le Canada et quasiment zéro pour la Chine. Il n’y a d’ailleurs toujours pas à ce jour de préférence communautaire, comme il existe un Buy american Act (depuis 1933…), un Buy Japan Act ou un Buy China Act.

Néanmoins, l’Union a cherché à imprimer sa marque à ce libre-échangisme jugé irrésistible en obtenant la création, en 1993, de l’Organisation mondiale du commerce qui mettait un minimum d’ordre dans la mondialisation naissante. Mais l’environnement, les normes sociales ou encore la monnaie n’ont pu être inclues dans les normes régissant le commerce international. Le pari européen était que le modèle européen, ce cocktail entre démantèlement des frontières, réglement des conflits par la loi et force de l’exemplarité s’étendrait au reste de la planète.

Le summum de cette naïveté européenne a été atteint en 2000 lorsque Pascal Lamy, alors commissaire au commerce, a négocié, au nom de l’Union, l’adhésion de la Chine à l’OMC. De retour de Beijing, il a invité quelques journalistes français peu convaincus par ce « succès » : « vous ne comprenez pas, c’est une formidable opportunité. La Chine va se concentrer sur les produits à basse valeur ajoutée pendant que nous pourrons développer des produits à haute valeur ajoutée », expliqua-t-il en substance. Dix-sept ans plus tard, on a vu : la Chine concurrence l’occident dans tous les secteurs, rachète ses entreprises à tour de bras, exige des transferts de technologie massifs et est déjà sur la face cachée de la Lune sans doute avant Mars…

Il a fallu plusieurs coups de semonce, dont le rachat de la sa perle robotique Kuka par le Chinois Midea, pour que l’Allemagne et ses alliés admettent enfin que la Chine n’était pas un pays comme un autre. « Les investissements américains en Europe ont un but commercial, ceux des Chinois visent à faire main-basse sur nos technologies », reconnait un fonctionnaire européen. L’Union a commencé à réagir depuis deux ans. Elle a notamment durci sa législation anti-dumping et anti-subvention en 2016 afin de sanctionner plus durement les entreprises étrangères pratiquant des prix trop bas. Elle a aussi adopté un règlement sur la surveillance des investissements étrangers (publié jeudi dernier au Journal Officiel de l’Union et qui entrera en vigueur le 11 avril). Il s’agit de signaler tout investissement étranger potentiellement sensible : si un État pose des questions au sujet d’un projet situé dans un autre pays, ce dernier sera tenu d’en « tenir compte ». Si la Commission lui fait part de ses doutes (ce qui pourra se faire, notamment, quand un tiers des États membres se disent inquiets), le pays d’accueil des fonds étrangers devra formuler une réponse à ces inquiétudes. Mais, comme l’a reconnu Emmanuel Macron, cela implique aussi que les pays européens développent leurs investissements chez leurs alliés. Si le port du Pirée en Grèce ou l’électricité portugaise sont passés sous contrôle chinois, c’est parce que les Européens n’étaient pas intéressés et que « nous avons créé des situations qui ont bénéficié à la Chine ».

A l’issue du sommet de la semaine dernière, les Vingt-sept ont fait un pas de plus en soutenant les dix mesures proposées par la Commission le 12 mars. Parmi celles-ci, la possibilité de sanctionner les entreprises des pays qui n’ouvrent pas leurs marchés publics dans les mêmes conditions que ceux de l’Union ou qui ne sont pas soumises aux mêmes normes sociales et environnementales, le renforcement du contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques, la lutte contre les transferts de technologie forcés et les subventions étatiques, la définition d’une approche commune destinée à assurer la sécurité du réseau 5G, etc.

Comme le notait un récent rapport duCentre européen de stratégie politique (CESP), un centre de réflexion interne à la Commission : « il y a un sentiment palpable que l’Europe risque d’être reléguée si elle ne réagit pas d’urgence ». Mais la Chine ne reste pas inactive. Elle a parfaitement compris que la naïveté européenne n’aurait qu’un temps et elle joue sur les intérêts étatiques divergents. Depuis 2012, elle organise un sommet annuel avec 16 pays d’Europe centrale et orientale (dont 11 appartiennent à l’UE) et déploie maintenant sa diplomatie vers les Etats du sud européen. Une course contre la montre est engagée. Or la Chine a déjà montré qu’elle était la maîtresse des horloges…

Categories: Union européenne

Berlin-Paris: crise de couple

Wed, 03/27/2019 - 11:49

Que reste-t-il du couple franco-allemand ? Peu de chose. Depuis que la République de Berlin a succédé à la République de Bonn, l’Allemagne se désintéresse de la France : elle ne l’ignore pas, ce serait difficile, mais elle ne tient plus compte de ce qu’elle dit. Cet inexorable éloignement a un corollaire : elle ne s’intéresse à l’Europe qu’à condition qu’elle soit allemande, c’est-à-dire qu’elle serve ses intérêts. En 1953, Thomas Mann appelait ses concitoyens à aspirer à une Allemagne européenne et non à une Europe allemande. Mais il n’aurait pu imaginer qu’au XXIe siècle, l’histoire accoucherait d’une « Allemagne européenne dans une Europe allemande », comme l’a dénoncé le philosophe Ulrich Beck.

Emmanuel Macron fait l’expérience depuis deux ans de l’hubris allemande, tout comme ses prédécesseurs avant lui : son discours de la Sorbonne de septembre 2017 dans lequel le chef de l’État détaillait son projet de relance de l’Europe est resté lettre morte. En dépit de ses efforts répétés, il s’est heurté à un constant « nein » de la chancelière allemande : pas de fédéralisation de la zone euro, pas de circonscription électorale paneuropéenne, pas de taxe GAFA, etc. Sa dernière tentative en date, sa lettre aux « citoyens européens » du 4 mars, a été balayée cinq jours plus tard par la successeure désignée de Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer (dite AKK) qui, elle aussi, a pris la plume.

Le point central de cette lettre est la défense de l’intergouvernementalisme, un changement complet de doctrine pour les chrétiens-démocrates allemands jusque-là attachés au fédéralisme. La République de Berlin a manifestement pris goût à cette Europe des Etats qui donne une prééminence mécanique au pays le plus puissant, en l’occurrence l’Allemagne, alors que le fédéralisme donne le pouvoir à des organes qui ne sont pas contrôlés par les gouvernements, à l’image de la Banque centrale européenne.

À partir de cette prémisse, AKK écarte logiquement la création d’un budget de la zone euro, même alimenté par des ressources nouvelles, celle d’un parlement de la zone euro et bien sûr celle d’un gouvernement de la zone euro. La solidarité financière n’est pas à l’ordre du jour pas plus que le « bouclier social » proposé par Macron : que chacun gère au mieux ses affaires internes et tout ira bien dans le meilleur des mondes.

Il est vrai qu’elle ne dit pas non à tout ce que propose Macron. Mais il ne faut se tromper : si AKK se montre intéressée par l’Europe de la défense, c’est parce que Berlin sait que les États-Unis se désengagent du continent européen et qu’elle a besoin du savoir-faire français. De même, si elle partage la volonté du chef de l’État de renforcer le contrôle aux frontières ou de relancer l’harmonisation fiscale, c’est parce qu’il y va de l’intérêt de l’Allemagne.

À l’image de Staline qui affirmait : « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est négociable », la présidente de la CDU estime que la France devrait renoncer à accueillir le Parlement européen à Strasbourg, pour centraliser toutes les institutions à Bruxelles. Mais bien sûr pas question que la BCE quitte son siège de Francfort. De même, elle ferait bien main basse sur le siège permanent de la France au conseil de sécurité de l’ONU en proposant de l’européaniser. On est presque soulagé qu’AKK ne demande pas le transfert de la tour Eiffel à Berlin !

Photo Bernd von Jutrczenka. dpa. AFP

N.B.: article paru dans Libération du 25 mars

Categories: Union européenne

Orban: une suspension du PPE en trompe-l'oeil

Mon, 03/25/2019 - 13:26

Le Fidesz du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, est « suspendu » du Parti populaire européen (PPE), et ce, au moins jusqu’aux élections européennes du 26 mai prochain. Ainsi en a décidé ce mercredi, à Bruxelles, « l’Assemblée politique » de ce parti qui regroupe 70 formations conservatrices provenant de 40 pays de la grande Europedans une résolution adoptée par 190 voix contre 3. Ce vote quasi-unanime, y compris les voix du Fidesz…, montre qu’il s’agit d’une sanction a minima dont le but principal est d’enlever une épine du pied au PPE à deux mois d’élections européennes très disputées : désormais, il sera plus difficile de reprocher aux conservateurs leur indulgence face aux dérives illibérales d’Orban.

Surtout, cette décision évite d’insulter l’avenir, les conservateurs sachant parfaitement qu’ils auront besoin de toutes les voix possibles s’ils veulent conserver, en juin, la présidence de la Commission. Se couper d’Orban en l’expulsant, c’était se priver de ses douze ou treize eurodéputés, et prendre le risque de voir d’autres partis d’Europe de l’Est le suivre. Comme l’a reconnu benoitement l’Allemand Manfred Weber, le patron du groupe politique du PPE au Parlement européen et candidat à la succession de Jean-Claude Juncker, « je suis heureux de clôturer cette affaire (…) et de pouvoir enfin commencer ma campagne électorale ».

La fin de cette suspension, qui reste une première dans l’histoire du PPE, interviendra sans doute au lendemain des élections européennes, même si elle dépend formellement d’un « comité de surveillance » composé de l’ancien président du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, le Belge Herman Van Rompuy, de l’ancien président du Parlement européen, l’Allemand Hans-Gert Pöttering, et de l’ancien chancelier autrichien, Wolfgang Schüssel qui est chargé de s’assurer que l’Etat de droit et les valeurs du PPE sont respectées en Hongrie. Le PPE demande aussi à Orban de s’excuser pour ses attaques contre l’actuel président de la Commission (il s’est déjà excusé d’avoir traité les partis demandant son exclusion « d’idiots utiles » de la gauche) et d’autoriser à nouveau l’Université d’Europe centrale créée en 1991 par le milliardaire américain d’origine hongroise, George Soros. On peut d’ores et déjà parier que ce « comité » saura ménager la chèvre et le choux.

C’est une affaire a priori anodine qui a déclenché cette crise. Un campagne d’affichage, désormais terminée, du Fidesz montrant Jean-Claude Juncker, le président de la Commission et membre éminent du PPE, rigolant et grimaçant avec, en arrière-plan, l’ennemi juré d’Orbán, le milliardaire juif américain George Soros, ce qui suggère qu’il tire les ficelles de sa marionnette. Le slogan figurant sur l’affiche accusait « Bruxelles » de vouloir ouvrir grand les portes de l’UE à l’immigration (musulmane). C’est non seulement faux, mais l’affiche dégageait un fort relent antisémite devenu habituel dans la Hongrie d’Orban. Ulcérés, 13 parties conservateurs provenant de dix (petits) pays ont demandé son expulsion ou au moins sa suspension du PPE : « en réalité, les partis qui veulent se débarrasser du Fidesz sont ceux dont la campagne européenne est perturbée par la présence dans nos rang d’un parti autoritaire », résume Alain Lamassoure, eurodéputé du PPE (ex-LR).

De fait, le très autoritaire Orbán a fait bien pire depuis son retour au pouvoir en 2010 : il a porté atteinte à l’indépendance de la justice, remis en cause la liberté de la presse, maltraité les migrants, placé sous tutelle l’université, insulté ses partenaires… Le PPE a certes régulièrement froncé les sourcils, mais le Premier ministre hongrois a su faire quelques concessions, sans rien céder sur l’essentiel. Mais à l’approche des européennes, la présence du Fidesz devenait de plus en plus gênante : comment expliquer que le PPE n’est pas la droite radicale dès lors qu’elle accueille un parti autoritaire ? Ce n’est pas un hasard si le 12 septembre dernier, 116 eurodéputés du PPE, dont Manfred Weber, sur les 218 membres du groupe, ont voté en faveur de l’activation de l’article 7 du traité européen qui permet de sanctionner un pays qui viole les valeurs européennes. Un vote qui n’engage à rien, puisque l’ouverture effective de cette procédure doit être décidée par 22 Etats sur 28…

Comme à chaque fois qu’il est mis en cause par ses pairs européens, le Premier ministre hongrois a fait le déplacement pour se défendre. D’entrée, il a fait monter les enchères en menaçant de quitter purement et simplement le parti si une suspension était décidée. Assistant à cette réunion à huis clos, la Finlandaise Aura Salla, a tweeté qu’Orban a assuré que les accusations portées contre lui étaient des « fake news » et qu’il se contentait de défendre les valeurs du PPE. Seuls les Italiens de Forza Italia, les Slovènes, les Tchèques et les Roumains ont pris sa défense. Le vote final et le fait qu’Orban n’ait pas mis à exécution sa menace de claquer la porte montrent que des assurances ont été données sur le caractère très provisoire de cette sanction…

On peut comprendre les hésitations du PPE à se débarrasser d’Orban. En effet, d’autres partis d’Europe de l’Est, qui partagent ses combats, pourraient le suivre et rejoindre l’ECR, le groupe fondé par le PiS polonais (Droit et Justice) et les conservateurs britanniques. C’est le rêve de la Ligue italienne qui est prête à abandonner le Rassemblement national de Marine Le Pen jugé trop infréquentable à Bruxelles. Ce séisme donnerait naissance à une grande formation de droite radicale et eurosceptique à la droite du PPE et ancrerait définitivement le Fidesz dans le camp des ennemis de l’Europe. Bref, entre la morale et la real politik, le PPE a choisi ? Un point de vue largement partagé par les socialistes et les libéraux qui accueillent en leur sein des formations tout aussi sulfureuses (les socialistes roumains ou les Espagnols de Ciudadanos qui s’allient avec l’extrême droite de Vox) : une expulsion du Fidesz les aurait contraint à faire, eux aussi, le grand ménage au risque de grossir les rangs des eurosceptiques…

Photo: Francisco Seco. AP

N.B. Article paru dans Libération du 21 mars

Categories: Union européenne

L'Europe, l'impensé des télévisions françaises

Sat, 03/23/2019 - 19:42

L’actualité communautaire reste mal aimée et maltraitée par les télévisions, le média d’information privilégié de près de la moitié des Français. A deux mois des élections européennes, l’étude de la Fondation Jean-Jaurès publié lundi 18 mars confirme que la télé est toujours aussi mal à l’aise face à l’objet politique non identifié qu’est l’Union européenne : manque d’incarnation par des personnalités connues, trop technique, pauvre en images, n’intéressant pas «le» téléspectateur… toutes les excuses pour ne pas l’aborder y passent.

Résultat : «L’UE, ses institutions, son action ou encore ses relations avec ses Etats membres, sont mentionnées dans 2,7 % des sujets diffusés à l’antenne. Un résultat qui chute à 1,9 % si l’on fait exception d’Arte. […] Autrement dit, les journaux télévisés étudiés de TF1, France 2, France 3, Canal + et M6 ont diffusé en 2018 une proportion de 4 sujets évoquant l’actualité de l’Union tous les 200 sujets passés à l’antenne.» Le pompon est décroché, sans surprise, par TF1 : en 2018, son 20 heures, le plus regardé de France, «a diffusé 87 sujets sur les enjeux communautaires au sein d’un corpus total de 6 056 sujets, ce qui représente 1,4 % de sujets relatifs à l’Union européenne».

Une dernière place qui se confirme lorsqu’on élargit l’étude aux magazines d’information sur dix ans : «France 5 et France 2 se détachent avec 443 et 389 émissions lors desquelles on a abordé l’actualité de l’Union, suivies d’Arte avec 380 émissions. Canal + est la première des chaînes privées (48 émissions), suivie par TF1 (17 émissions) et M6 (3 émissions).» Un constat désespérant, car l’Union du XXIe siècle n’a plus rien à voir avec celle des années 60 : euro, politique économique et budgétaire, immigration, libre circulation, coopération policière et judiciaire, défense, politique étrangère et, bien sûr, les classiques marché intérieur, agriculture, aides régionales, les décisions qui se prennent à Bruxelles affectent fortement la vie quotidienne des citoyens européens.

Mais les télés généralistes préfèrent parler des Etats-Unis, même si leur système institutionnel et aussi étrange que celui de l’UE : «Entre 1995 et 2014, […] la couverture des présidentielles américaines a généré 2 674 sujets, soit le double du corpus consacré au scrutin européen. La seule année 2008, avec l’élection d’Obama, a amené à la réalisation de 914 sujets de JT.» L’UE bénéficie d’un traitement équivalent à celui de l’ONU, c’est dire : toutes chaînes confondues, «avec 146 sujets, les Nations unies font […] l’objet d’une couverture équivalente à celle accordée conjointement au Parlement européen et à la Commission». Et quand ils traitent de l’Europe, c’est de préférence par le biais national : Macron à Bruxelles ou nos fromages menacés par l’Europe, voilà qui est censé parler à la «ménagère de moins de 50 ans».

Or l’un des enjeux des européennes sera la désignation du président de la Commission, qui influencera fortement les politiques communautaires jusqu’en 2024. Problème : les candidats«sont apparus en 2018 exclusivement dans des sujets diffusés par Arte Journal. Les téléspectateurs des JT de TF1, France 2, France 3, Canal + et M6 n’auront eu à l’écran aucune mention de l’action des candidats européens qui sollicitent aujourd’hui leurs suffrages, malgré l’exercice de fonctions élevées dans le jeu démocratique européen».

Déjà, en juin 2005, le rapport rédigé par le député Michel Herbillon et intitulé «La fracture européenne» pointait cette faillite télévisuelle : «L’offre, peu visible en «temps ordinaire», croît sensiblement en période électorale, pour de nouveau s’effacer au lendemain des échéances.» Quatorze ans après le référendum sur le traité constitutionnel européen, qui a révélé à la fois un fort intérêt et une forte méconnaissance des Français sur les questions européennes, rien n’a changé.

S’agit-il d’une spécificité française ? En grande partie. Il suffit de comparer la présence des télévisions à Bruxelles, capitale de l’Union, pour comprendre qu’il y a un problème : sur 1 000 journalistes accrédités, TF1 n’a aucun correspondant salarié, pas plus que Canal +, France 2 en a un, France 3 un aussi. Arte a ouvert un poste en octobre dernier, normalement jusqu’aux élections européennes, mais une partie des responsables de la chaine espère obtenir sa pérennisation. Et, en dehors d’Euronews, aucune chaîne d’information en continu (BFM, LCI, CNews, France 24) n’a de correspondant salarié, même si elles traitent davantage de sujets européens que leurs consœurs généralistes.

En revanche, ARD, la première chaîne allemande (en audiences), vient de construire un immeuble à Bruxelles pour accueillir ses 20 correspondants permanents et ses studios maison. La BBC a son principal bureau à l’étranger non pas aux Etats-Unis mais à Bruxelles, et envisage même d’y transférer son siège après le Brexit… Manifestement, ces grandes chaînes sont parvenues à résoudre l’équation de la complexité, de l’absence d’image, de la faible incarnation et du soi-disant désintérêt des téléspectateurs. Les patrons des chaînes françaises devraient peut-être s’inspirer des étranges lucarnes étrangères.

Infographie: Julie Guillot

N.B.: Article paru dans Libération du 18 mars

Categories: Union européenne

La Commission considère qu'il y a des enquêtes journalistiques interdites

Thu, 03/21/2019 - 11:23

Mon enquête sur le suicide de Laura Pignataro publié vendredi 15 mars a suscité une réaction particulièrement brutale de la Commission. Vendredi à midi l’exécutif européen a publié un long communiqué en trois langues (anglais, français, allemand) pour contester notre enquête, un fait sans précédent, celui-ci se contentant de commentaires oraux en cas de désaccord. Mieux : le compte officiel de la Commission l’a frénétiquement tweeté en réponse aux internautes mentionnant notre enquête. Lundi matin, rebelote, après la publication sur ce blog de la version longue de mon enquête: mise à jour du communiqué précédent et intervention sur Twitter.

Pourquoi un tel branle-bas de combat ? Sans doute parce que mon article expliquait le rôle clef joué par cette haute-fonctionnaire italienne, directrice au service juridique, dans la gestion du « Selmayrgate », le scandale ayant suivi la nomination au poste de secrétaire général de la Commission de l’Allemand Martin Selmayr, ancien chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. Je révélais en particulier qu’elle avait été la « gorge profonde » de la médiatrice européenne à qui elle a transmis l’ensemble des échanges de mails internes démontrant que cette nomination était illégale.

Une enquête «inhumaine et au-delà de l’imaginable»?

Dans son communiqué, la Commission tonne : « les affirmations et les insinuations faites dans cet article sont inacceptables, malveillantes et irrespectueuses - en particulier vis-à-vis de la victime et de sa famille - mais également vis-à-vis de la Commission en tant qu’institution, à un moment où le Président et cette institution mènent des négociations très délicates dans le cadre d’une procédure d’une importance cruciale pour notre Union ». Autrement dit, elle estime que les journalistes ne doivent plus enquêter tant que le Brexit dure… Une conception étrange de la liberté de la presse. De même, elle affirme que j’aurais « utilisé une tragédie personnelle », ce qui est « simplement inhumain et au-delà de l’imaginable ». « Utilisé », mais pourquoi faire ? Ce n’est pas précisé. Qu’est-ce qui est « inhumain » ? Le fait de décrire l’atmosphère régnant au sein de la Commission depuis que Selmayr a pris ses fonctions ou simplement de s’interroger sur les causes d’un suicide qui n’est pas un acte anodin ?

De quel droit la Commission se permet-elle de qualifier un travail journalistique d'«inhumain (...) au delà de l’imaginable»? A-t-elle conscience de la portée de ces mots qui semblent plus adaptés pour décrire un génocide. Manifestement, quelqu’un a perdu le contrôle de ses nerfs au 13ème étage du Berlaymont, là où se trouvent les bureaux de Selmayr et de Juncker.

Détournement des moyens de la Commission

Il est aussi pour le moins choquant que les moyens de l’institution soient ainsi mobilisés pour défendre un fonctionnaire: un communiqué officiel (les commissaires l’ont-ils approuvés), des fonctionnaires mobilisés, des traducteurs mis au travail en pleine nuit... Lorsque j’ai accusé en 1998 Edith Cresson, alors commissaire européenne, de prévarication, jamais la Commission n’a publié de communiqué officiel pour la défendre. Et lorsqu’elle m’a attaqué en diffamation (procès dont elle s’est désisté après la chute de la Commission Santer en mars 1999), l’institution ne l’a pas soutenu. Le détournement des moyens de la Commission au profit d’un eurocrate est d’autant plus étonnant qu’il n’est accusé de rien dans mon article.

Il est frappant de constater que le communiqué, tout à sa défense de Selmayr, ne s’intéresse absolument aux causes du suicide de Laura Pignataro, comme si cela n’avait aucune importance. Or il y a beaucoup de suicides à la Commission et notamment au service juridique. Pourquoi ne pas ordonner une enquête pour en connaître les raisons? Ce désintérêt assumé n’est-il pas «inhumain» et n’en dit-il pas long sur la gestion des ressources humaines à Bruxelles?

Pour le reste, exactement comme lors de mes enquêtes qui ont révélé le Selmayrgate, la Commission dément tout ce qu’elle peut démentir et se prend les pieds dans le tapis. Je maintiens évidemment en bloc mon enquête.

Précisons d’abord que j’ai posé par écrit toutes les questions abordées par mon article et qu’elle a systématiquement refusé d’y répondre. Je peux publier l’ensemble des mails si nécessaire.

Mensonges à tous les étages

Dans son communiqué, elle affirme que le secrétaire général n’a rencontré Laura Pignataro « qu’à deux reprises » et n’a pas eu d’autres contacts avec elle. Curieux alors que c’est lui qui l’a nommé à son poste (normalement, c’est le président qui aurait dû l’interviewer, mais Juncker a déléguer cette tâche à son chef de cabinet, Selmayr, ce qui pose question sur la validité de cette nomination puisque le chef de cabinet n’est pas une autorité administrative). Je confirme aussi qu’il l’appelait régulièrement comme le prouve le fait qu’il l’ait chargé de préparer son parachutage à Washington puis à Londres.

La tentative de démentir que la directrice ait été l’informatrice de la médiatrice est pathétique : Selmayr, après avoir menti au Parlement, aurait fourni de lui-même les mails l’incriminant comme semble l’affirmer le communiqué ? Nier qu’il y ait eu une réunion le 2 avril parce que c’était un « lundi de Pâques » alors que la Commission confirme celle du 24 mars qui a eu lieu un… samedi est pour le moins ridicule. De même, nous maintenons que le directeur général du service juridique a bien quitté la réunion du 24 mars. Quant à l’absence de conflits d’intérêts, la réponse de la Commission laisse sans voix : « Martin Selmayr a contribué à élaborer les réponses le concernant pour s’assurer qu’elles soient complètes et exhaustives. Il n’a certainement pas dicté les réponses. » Quand on sait qu’il est le vrai patron de l’institution et qu’il fait et défait les carrières, cela prête à sourire. Ce qui est intéressant, dans cette réponse, est que la Commission reconnait par écrit la présence de Selmayr. L’occasion peut-être de demander au médiateur européen s’il n’y a pas là une prise illégale d’intérêts?

Dernier point surréaliste : « le Secrétaire général avait l’intention d’envoyer une lettre personnelle de condoléances à la famille de la défunte, mais s’est abstenu de le faire suite à l’avis explicite du Directeur général du Service juridique, qui a souligné l’existence de circonstances personnelles délicates ». Donc, on ne consulte pas le service juridique avant de nommer le secrétaire général, comme le confirme le communiqué, mais on lui demande la permission d’envoyer des condoléances ?

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 19 mars.

Photo: Albert Facelly

Categories: Union européenne

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