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Updated: 1 week 1 day ago

Les interprètes de l'Union expérimentent l'Europe sociale à la sauce Ursula von der Leyen

Tue, 06/16/2020 - 18:40

La crise du coronavirus a permis à la Commission présidée par l’Allemande Ursula von der Leyen et au Parlement européen de mettre en pratique leur vision de l’Europe sociale. Et c’est du brutal, comme l’expérimentent les interprètes «free-lance» de l’Union employés à la journée. Privés de l’essentiel de leurs revenus du jour au lendemain pour cause de pandémie, les réunions étant réduites à la portion congrue, ces interprètes ont appelé à l’aide les institutions communautaires, qui leur ont opposé une fin de non-recevoir, alors même qu’ils n’ont droit à aucune allocation-chômage à cause de leur statut européen…

Armée de l’ombre

A tout le moins une ingratitude étonnante, car sans cette armée de l’ombre, l’Union n’existerait tout simplement pas puisqu’elle assure plus de 50% de l’interprétation des réunions européennes à Bruxelles, Luxembourg ou Strasbourg, où jusqu’à vingt-quatre langues peuvent être parlées. Comme les 800 interprètes bénéficiant du statut de fonctionnaire ne suffisent pas à la tâche, l’Union a créé une «réserve» de 3 200 interprètes free-lance, dans laquelle elle puise en fonction des besoins. Sur ce «stock», 1 200 travaillent presque exclusivement pour l’Union et ont été incités par les institutions à résider à Bruxelles pour pouvoir répondre d’une heure à l’autre à leurs besoins.

Autrement dit, ce sont de «faux indépendants» puisqu’ils n’ont en réalité qu’un employeur, qui peut user et abuser de sa position de force. Ces interprètes ne sont pas particulièrement malheureux en temps normal, puisqu’ils gagnent 400 euros net (après impôt) par jour. Particularité de leur «statut» : pendant la durée de leur prestation, ils sont soumis aux obligations du statut des fonctionnaires européens et donc à l’impôt et à la sécurité sociale européens. Mais pas au régime de chômage qui est réservé aux contractuels et agents temporaires. Et comme les interprètes qui résident à Bruxelles ne travaillent que pour l’Union, ils n’ont pas non plus droit au régime de chômage belge.

«Aumône»

Jusqu’à présent, ils n’en ont pas souffert puisqu’ils bénéficiaient d’un emploi quasi garanti… Jusqu’à la crise du coronavirus. Et là, ils sont tombés de haut : le 26 mars, les institutions dénoncent, avec le préavis légal de deux mois, les contrats journaliers encore en vigueur. Depuis le 26 mai, plus aucun free-lance ne touche le moindre euro de l’Union, les fonctionnaires interprètes suffisant aux tâches qui restent. Et personne ne sait quand le retour à la normale aura lieu.

Les interprètes ont tenté de négocier, mais ils se sont heurtés à l’intransigeance de la directrice générale de la Commission en charge de l’interprétation et de la traduction, l’Allemande Florika Fink-Hooijer. Elle leur a proposé 1 300 euros en tout et pour tout pour couvrir jusqu’à cinq mois de chômage, une simple avance qui devra être remboursée en journées prestées d’ici à la fin de l’année. En clair, «avec cette aumône, elle nous a dit d’aller nous faire foutre», résume un interprète.

En interne, les fonctionnaires européens sont scandalisés : pourquoi refuser d’aider des prestataires aussi indispensables à la machine communautaire alors même que l’argent destiné aux interprètes est déjà dans le budget ? Manifestement, lorsqu’Ursula von der Leyen vante «l’Europe qui protège», elle entend une Europe qui protège son argent.

N.B.: article paru dans Libération le 8 juin

Photo Reuters

Categories: Union européenne

Coronavirus: la BCE administre un traitement de cheval à la zone euro

Sun, 06/07/2020 - 20:27

Face à une récession qui n’a atteint une telle ampleur que lors des deux guerres mondiales, la Banque centrale européenne (BCE) est déterminée à faire tout ce qui est nécessaire pour amortir le choc de la crise du coronavirus. Jeudi 4 juin, elle a décidé d’augmenter de 600 milliards d’euros son «programme d’urgence face à la pandémie»(PEPP selon son acronyme anglais) de rachat de dettes privées et publiques et de le prolonger d’au moins six mois, jusqu’en juin 2021.

Cette somme s’ajoute donc aux 750 milliards d’euros annoncés le 19 mars et aux 300 milliards décidés les semaines précédentes. L’institut d’émission va ainsi injecter dans le système financier 1650 milliards d’euros, ce qui va permettre aux Etats de continuer à s’endetter à moindre coût et aux entreprises de trouver de l’argent frais.

Une récession de guerre

Les prévisions économiques catastrophiques que la BCE a publiées jeudi justifient cet interventionnisme sans précédent. La «chute brutale de l’activité économique, du fait de la pandémie de coronavirus et des mesures prises pour la contenir» entraînera, selon la présidente de l’Institut d’émission Christine Lagarde, une récession de -8,7% du PIB en 2020, avant un rebond de +5,2% en 2021 et de +3,3% en 2022. La Commission européenne, elle, espérait encore le 6 mai que le recul de l’activité serait contenu à -7,7 % et que le rebond atteindrait 6,3%.

Le pire est qu’il s’agit encore d’estimations à la louche comme le reconnaît Christine Lagarde, un scénario encore plus noir étant plus que probable. Pour elle, tant la contraction que la reprise «dépendront de la durée et de l’efficacité» des mesures de confinement, des politiques de relance et de soutien de l’emploi, ainsi que de «l’impact durable» sur la demande.

Une prudence confirmée par les faits : alors que la Commission tablait sur récession de -8,2% pour la France, Paris a annoncé en début de semaine qu’elle s’établirait au moins à -11% du PIB (équivalente à celle de 1942 dans une France occupée par l’Allemagne nazie…). Si l’on ajoute à ces chiffres les prévisions d’inflation qui ne dépassera pas 0,3% en 2020 et 0,8% en 2021, loin de l’objectif des 2%, la BCE n’a effectivement guère d’autres choix que de déployer tous les moyens à sa disposition.

120 milliards d’euros par mois

Depuis trois mois, Francfort (siège de la BCE) rachète donc sur le marché, dans le seul cadre du PEPP, 4 milliards d’euros de dettes par jour, soit 120 milliards par mois. En comparaison, au plus fort du «quantitative easing» (QE, assouplissement quantitatif), un programme déployé entre mars 2015 et décembre 2018 afin de contrer la menace déflationniste (il a été ranimé en novembre 2019), les rachats n’ont jamais dépassé 80 milliards par mois.

Si la BCE maintient ce rythme, la limite des 1 350 milliards sera atteinte non pas en juin 2021, mais en février : autrement dit, cela laisse ouverte la possibilité d’une nouvelle augmentation du plan pandémie de 500 milliards d’euros… La couleur avait d’ailleurs été annoncée par Christine Lagarde le 19 mars : «Il n’y a pas de limite à notre engagement envers l’euro.»

A terme, la BCE va avoir dans ses coffres l’équivalent de 40% du PIB de la zone euro. En effet, elle détenait déjà, avant le début de la crise du coronavirus, 2 600 milliards d’euros de dettes (dont 2 200 de dettes publiques) acquises dans le cadre du QE. Un bilan proprement stupéfiant qui montre la gravité des chocs successifs subis depuis 2015 par la zone euro.

Soulager la BCE

Cet interventionnisme de la Banque centrale est en partie justifié par l’absence de politique budgétaire européenne : avec un budget limité à environ 1% du PIB communautaire, l’Union n’a pas vraiment les moyens de venir en aide aux économies les plus touchées par les mesures de confinement. En maintenant artificiellement des taux bas, Francfort permet à ces derniers de pouvoir s’endetter à bon compte pour réparer les dégâts, ce qui n’est pas particulièrement sain. Mais l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 5 mai qui a menacé de déclarer inconstitutionnelle la politique monétaire de la BCE, a contraint Berlin a changé son fusil d’épaule : jusque-là réticente à toute solidarité financière, Angela Merkel, la chancelière allemande, a accepté, le 13 mai, le principe d’une dette commune afin de mutualiser en partie les dépenses de relance des économies.

Dans la foulée, la Commission a proposé, le 27 mai, de créer un «fonds de relance» doté de 750 milliards d’euros qui seront réunis en empruntant sur les marchés, un somme qui sera ensuite redistribuée aux Etats à raison de 500 milliards en subventions et 250 en prêts. Si ce fonds, qui s’ajoutera aux 540 milliards d’euros de prêts que les institutions européennes ont dégagés pour aider les pays les plus touchés, est adopté par les Vingt-Sept, cela soulagera d’autant la BCE et convaincra peut-être les juges constitutionnels allemands de ne pas déclarer son action illégale au risque d’accroître un peu plus le marasme.

Photo Michael Probst. AP

Categories: Union européenne

Et si le Royaume-Uni était toujours membre de l'UE?

Sun, 06/07/2020 - 20:24

«We want to keep our money !» «Pas une livre pour Bruxelles !»«Pas d’argent britannique pour les fainéants du sud !» «Non aux Etats-Unis d’Europe !» La presse populaire britannique, du Sun au Telegraph en passant par le Mirror, se déchaîne depuis que la Commission européenne a dévoilé, le 27 mai, son projet de «fonds de relance». Il faut dire qu’il ne propose rien de moins que de mutualiser une partie de la dette engendrée par les dépenses de reconstruction de l’après-coronavirus, et de mettre en place une politique industrielle dirigiste ! L’horreur vue de l’autre côté du Channel.

La presse de qualité n’est pas en reste : The Economist dénonce cette fédéralisation rampante de l’Union, ce «moment hamiltonien» ne reposant sur aucune base démocratique. Le Financial Times, lui, épingle cette Union qui se veut plus grosse que le bœuf : que la zone euro, qui ne peut que disparaître comme il l’affirme depuis vingt ans, s’endette, c’est son affaire, mais pas question que le Royaume-Uni se retrouve embarqué dans cette galère.

Le fait que le pays pourrait recevoir environ 80 milliards d’euros n’émeut personne. Le Premier ministre britannique fait immédiatement savoir que ce fonds de relance constitue une «red line» et qu’il posera son véto à cette folie qui va engager son pays dans le long terme, cette dette européenne s’étalant jusqu’à trente ans. Il sait qu’il va coaliser autour de lui au moins l’Autriche, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas, la Suède, la Tchéquie et les Baltes.

Un plan mort-né

Evidemment, il s’agit d’une simple politique-fiction, d’un «what if», le Brexit ayant eu lieu le 31 janvier. Mais personne ne doute un instant à Bruxelles que si le Royaume-Uni était encore membre, le fonds de relance serait mort-né. La Commission n’aurait même sans doute jamais osé le proposer, sachant que cela aurait été dépenser de l’énergie en pure perte. Car, pour les Britanniques, l’Union ne doit surtout pas être plus qu’une zone de libre-échange, et que le meilleur gagne.

«Du temps du déclin de son influence dans l’Union, il est clair que le Royaume-Uni aurait bloqué comme l’a fait David Cameron en 2013 pour obtenir une baisse du budget, nuance un diplomate européen. Sous Margaret Thatcher ou Tony Blair, en revanche, il aurait sans doute élaboré une contre-proposition pour vider de son contenu le projet de fonds de relance, comme il l’a fait avec l’agenda de Lisbonne de 2000. C’était une bonne idée que l’Union devienne l’économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici 2010, mais il s’est opposé à tout instrument de contrainte. Là, ils auraient proposé que l’on fasse de la «méthode ouverte de coordination» des plans de relance nationaux, c’est-à-dire que l’on s’inspire volontairement de ce qui se fait ailleurs. Et bien sûr pas d’emprunt européen.»

Capacité de sabotage

Autant dire que la capacité de sabotage du Royaume-Uni apparaît au grand jour quatre mois après son départ grâce, si l’on peut dire, à la crise du coronavirus. Ce qui était inimaginable avec lui devient possible sans lui. Certes, il y a toujours des eurosceptiques dans l’Union, mais il faut reconnaître que le Brexit a considérablement modifié l’équilibre entre les 19 pays de la zone euro et les huit hors zone euro. Avec Londres, la principale place financière de l’Union, l’équilibre économique était d’environ un tiers contre deux tiers, ce qui impliquait que la zone euro devait toujours tenir compte des intérêts du reste de l’Union.

Ce n’est plus le cas, les non-membres de la zone euro ne pesant plus que 15 % du PIB de l’Union. Désormais, le centre de gravité est clairement dans la zone euro et le sera encore plus si le fonds de relance qui établit un lien entre coordination des politiques économiques et financement est adopté : les pays hors zone euro devront s’aligner s’ils veulent obtenir de l’argent frais.

Dernier point : ce saut dans l’intégration communautaire va rendre encore plus difficile la future relation entre Londres et le continent. En effet, le fonds de relance met en place une stratégie industrielle qui a vocation à transformer en profondeur le marché intérieur afin de l’adapter au pacte vert et à la révolution numérique. «Si on réussit notre coup, l’économie européenne va rebondir fortement et s’intégrer comme jamais», explique un diplomate de haut niveau.

Or, les Brexiters qui, pariant sur la porosité du système européen, espéraient garder un pied dehors, un pied dedans, en seront pour leurs frais : l’Union va devenir un bloc avec lequel il deviendra impossible de transiger. D’autant que l’Union aura d’autres chats à fouetter dans les années qui viennent que de chercher un compromis avec un pays tiers qui croit être le centre du monde. Le Brexit est décidément la meilleure chose qui soit arrivée à l’Union, même si cela risque d’être une catastrophe pour le Royaume-Uni.

Photo Yara Nardi. Reuters

Categories: Union européenne

L'Union rhabillée de la dette aux pieds

Sat, 05/30/2020 - 19:38

Décryptage du fonds de relance de 750 milliards d’euros proposé par la Commission européenne le 27 mai. Un tournant historique pour l’Union, la capacité d’endettement et donc l’autonomie budgétaire étant l’un des attributs essentiels d’un État.

· Pourquoi un « fonds de relance » ?

La pandémie de la covid-19 a été un choc symétrique, tous les pays européens ayant été touchés, mais ses effets sont asymétriques. D’une part, dans les États où les politiques de confinement ont été moins strictes, la machine productive a été beaucoup moins endommagée (Allemagne, Pays-Bas, Suède, etc.) qu’en Italie, en France, en Espagne ou en Belgique, ce qui se traduira par une récession de moindre ampleur. D’autre part, certains pays, et notamment ceux qui ont confiné le plus brutalement, n’ont pas les moyens budgétaires de faire face seuls aux monstrueuses dépenses de « reconstruction ». Le risque est donc que les moins touchés utilisent leur marge de manœuvre budgétaire et leur capacité d’emprunt à taux bas sur les marchés pour se reconstruire rapidement, pendant que ceux qui ont été le plus touchés, faute de moyens budgétaires et de capacité de s’endetter à bon compte s’enfonceront dans une récession durable.

On en a déjà l’illustration avec les 1910 milliards d’euros d’aides financières accordées par les États européens à leurs entreprises : la moitié de cette somme l’a été par la seule Allemagne (souvent sous forme de garantie de prêts). Ce qui signifie que ses entreprises traverseront sans trop de dommage voire renforcées la récession, ce qui les placera dans une situation de force : elles pourront racheter leurs concurrents à bas coût, mais aussi envahir des marchés sans risque d’une contre-attaque, ce qui contribuera à davantage dégrader le tissu productif des pays les plus touchés… En clair, si on laisse chacun affronter la crise avec les moyens du bord, le marché intérieur et l’euro ne survivront pas à ces divergences de compétitivité croissantes : pourquoi laisser les frontières ouvertes aux produits et aux entreprises étrangers alors que les conditions de concurrence ne sont plus les mêmes ? Cet effondrement de l’Union ferait souffrir tout le monde, y compris les pays riches : l’Allemagne, par exemple, profite de la sous-évaluation de l’euro pour réaliser de monstrueux excédents commerciaux à l’international (tout comme les Pays-Bas) et 60 % de ses exportations se font dans le marché intérieur… Enfin, les effets politiques et géopolitiques seraient d’une gravité extrême avec l’arrivée au pouvoir de populistes dans les pays appauvris et une Allemagne désignée comme bouc émissaire des difficultés du sud.

La seule façon d’éviter cette spirale infernale est que les plus riches et les moins touchés par la crise mettent la main à la poche pour aider leurs partenaires. Et pas seulement en leur permettant d’emprunter à bas taux, car cela accroitra leur endettement déjà élevé et donc plombera leur avenir, mais en acceptant une mutualisation au moins partielle de la dette nécessaire pour les financer. C’est ce que les Italiens ont appelé les « coronabonds ».

· Qui ne veut pas d’une dette commune ?

Essentiellement les pays du nord, pour des raisons quasi théologiques. En effet, depuis l’union monétaire, les taux d’intérêt à moyen et long terme librement fixés par les marchés sont la seule corde de rappel en cas de mauvaise gestion budgétaire : si les finances publiques sont insoutenables, ils exigeront une couteuse prime de risque. Cela ne s’est jamais vérifié, mais certains continuent à y croire. En outre, emprunter en commun pour couvrir des dépenses nationales pose un problème de démocratie puisque les dépenses se décident au niveau national : cela revient à demander aux Français ou aux Allemands de payer les dépenses du gouvernement italien qu’ils n’ont pas élu. Enfin, un emprunt commun, cela veut dire accepter des transferts financiers bien plus importants que ceux prévus par le budget européen (limité à environ 1% du PIB européen).

Dès que l’Italie a appelé à la solidarité européenne, en mars dernier, on a retrouvé les clivages de la crise de la zone euro de 2010-12. Néanmoins, Paris, soutenue par une dizaine de pays, mais pas par Berlin qui a décliné, a proposé le 25 mars, la création d’un « fonds de relance » alimenté par un « instrument de dette commun » afin de mutualiser une partie des dépenses de reconstruction. L’idée est que chaque pays rembourse cette dette en fonction de sa part de richesse dans le PIB européen et non en fonction de ce qu’il a reçu. Le principe d’un tel fonds a finalement été acté, après bien des drames et des insultes, par le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement du 23 avril. En revanche son montant et surtout la façon dont il sera alimenté n’a pas fait consensus : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède refusant toute mutualisation des dettes. Au maximum, ils étaient prêts à consentir de simples prêts et encore sous conditions. La Commission a été chargée de préparer une proposition, une tâche pour le moins périlleuse.

Heureusement, les cartes ont été rebattues par le souverainisme des juges constitutionnels allemands. Le 5 mai, la Cour Karlsruhe, en estimant que l’intervention massive de la Banque centrale européenne sur le marché des dettes publiques était probablement contraire à la Constitution allemande, a menacé d’explosion la zone euro : en effet, si l’institut d’émission achète à tour de bras des titres d’État depuis 2015 (plus de 2600 milliards d’euros dans ses coffres et un programme de 1000 milliards lancé en mars dernier), c’est afin de maintenir les taux d’intérêt au plus bas et ainsi soutenir la croissance. Si ces programmes de rachats s’arrêtent, une nouvelle crise de la zone euro deviendrait inéluctable et lui serait fatale, la BCE étant privée de son principal moyen d’action. Mais cet arrêt a eu l’effet contraire à celui que recherchaient les juges : le 13 mai, Angela Merkel a annoncé qu’elle acceptait une « union de transferts financiers » afin de sauver l’euro. Ainsi, la politique budgétaire prendra le relais de l’action de la BCE, les dettes nationales devenant en partie des dettes européennes. Le 18 mai suivant, la chancelière allemande a montré qu’il ne s’agissait pas de simples mots : l’Allemagne et la France ont proposé de créer un fonds de relance doté de 500 milliards d’euros, une somme réunie par des emprunts garantis par les Vingt-sept, dont le remboursement sera effectué par le budget européen. Dès lors, la Commission a eu les mains libres pour proposer son « fonds de relance » baptisé « next generation EU » qui va encore plus loin que ce que proposait le couple franco-allemand.

· Est-ce la première fois que l’Union emprunte ?

En réalité, non : elle l’a fait par exemple pour aider les pays hors zone euro qui avaient un problème de balance des paiements tout comme elle l’a fait via le Mécanisme européen de stabilité créé lors de la crise de la zone euro et doté d’une capacité d’emprunt de 750 milliards d’euros. Elle va de nouveau le faire pour alimenter un fonds d’assurance chômage de 100 milliards d’euros baptisé SURE qui vient d’être créé afin d’aider les systèmes nationaux. Mais il s’agit de prêts et non de subventions : notée triple A, la note maximale, elle bénéfice de taux d’intérêt record et elle peut reprêter cet argent à des pays qui empruntent à de moins bonnes conditions.

Pour alimenter le fonds de relance, la Commission, qui le gèrera, propose de lever 750 milliards d’euros sur les marchés, avec la garantie du budget européen, pour une durée de 10 à 30 ans. Sur cette somme, 250 milliards seront composés de prêts destinés aux États qui empruntent à de moins bonnes conditions (90 milliards pour l’Italie, 63 milliards pour l’Espagne, 10 milliards pour la Tchéquie, etc.). En clair, ces sommes s’ajouteront à leur dette nationale et devront être remboursées par eux, mais ils n’auront pas d’intérêts à payer. En revanche, l’Allemagne, la France ou l’Irlande qui empruntent à des taux négatifs n’en bénéficieront pas. Les 500 milliards restant seront des subventions remboursées par le budget européen qui est alimenté par chaque État en fonction de sa part dans le PIB communautaire : c’est là où la solidarité joue, puisque chacun remboursera non pas en fonction de ce qu’il a reçu, mais de sa richesse.

· Comment seront répartis les 500 milliards d’euros ?

La Commission a déjà prévu une clef de répartition indicative en fonction des dommages commis par le confinement : 82 milliards pour l’Italie, 77 pour l’Espagne, 39 pour la France, 29 pour l’Allemagne, 22,5 pour la Grèce, etc. Toutes les dépenses, contrôlées par la Commission, devront correspondre aux grandes priorités de l’Union : Pacte vert, passage à l’économie numérique, investissement du futur (5G, intelligence artificielle), social, santé. Elles s’inscriront dans le cadre du « semestre européen », c’est-à-dire qu’elles seront conditionnées à des réformes des secteurs concernés. Il s’agit de rassurer les pays du nord très soucieux que cet argent ne serve pas à financer des dépenses de consommation ou soit déversé dans des organismes non viables.

· Quel est le lien avec le budget communautaire ?

Ce fonds de relance vient en complément du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 en cours de négociation. La Commission sait qu’il sera difficile d’aller au-delà de la dernière proposition qui était sur la table en février dernier : elle prévoyait un montant de 1094 milliards d’euros sur 7 ans à 27 (soit 1 074 % du Revenu national brut européen (RNB)). Une nette baisse par rapport à la proposition de la Commission (1 114 %) qui avait déjà fait le choix de ne pas compenser le manque à gagner du Brexit (10 à 12 milliards par an)… Mais une partie du fonds de relance viendra abonder la Politique agricole commune (15 milliards), les aides régionales (55 milliards ) et le fonds de transition juste du Pacte vert (40 milliards). Cela étant, si l’on additionne le budget et le fonds de relance, on arrive à 1844 milliards. Et si on ajoute les 540 milliards d’euros de prêts déjà décidés par l’Union (MES, SURE et Banque européenne d’investissement) et les 1 000 milliards d’euros qu’injecte en ce moment dans le système financier la BCE, on arrive à la somme de 3384 milliards d’euros, dont une grande partie sera dépensée en 2021 et 2022.

La Commission va aussi proposer de créer de nouvelles « ressources propres », c’est-à-dire des impôts européens indépendants des États. En effet, au fil du temps, ces ressources (droits de douane ou l’improprement nommée « ressource TVA »), qui constituaient au départ la totalité du budget, ont été réduites à la portion congrue, 80 % du budget étant constitué par des contributions directes des États (ressources PNB). D’où des négociations peu glorieuses tous les sept ans sur le montant du budget, chacun voulant faire des économies. Or, si c’est le budget européen qui doit payer les remboursements, il vaudra mieux qu’il le fasse avec ses propres ressources plutôt qu’avec celles des États. Plusieurs idées, qui ne grèvent pas l’activité économique de l’Union et ne privent pas les budgets nationaux de rentrées fiscales, sont d’ores et déjà sur la table : une taxe sur les plastiques non réutilisables, une partie des droits d’émission de CO2, une taxe carbone à l’entrée de l’Union pour les produits ne respectant pas les normes européennes, une taxe sur le numérique, une fraction de l’impôt sur les sociétés… Ainsi, entre faculté d’endettement et impôts européens, l’Union gagnerait son autonomie par rapport aux États. Reste maintenant à convaincre le « club des pingres » : Autriche, Danemark, Finlande, Pays-Bas et Suède.

Photo Oliver Matthys. AP

Categories: Union européenne

La dette fait l'Union

Sat, 05/30/2020 - 19:38

La Commission a proposé mercredi 27 mai de créer l’équivalent d’un «trésor européen» chargé d’émettre de la dette commune. Il ne portera pas ce nom, mais c’est bien de cela qu’il s’agit : dans le cadre du «fonds de relance» dont la création a été demandée par les chefs d’Etat et de gouvernement lors de leur sommet du 23 avril,l’exécutif européen demande que les Vingt-Sept l’autorisent à lever sur les marchés 750 milliards d’euros afin de financer les dépenses de reconstruction des Etats membres à la suite de la crise du coronavirus. 500 milliards seront des subventions directes aux Etats remboursées par le budget européen et 250 milliards seront des prêts remboursés par chaque bénéficiaire. Si on ajoute les 540 milliards d’euros de prêts déjà décidés par l’Union et les 1 000 milliards d’euros qu’injecte en ce moment dans le système financier la Banque centrale européenne (BCE), on arrive à la coquette somme de 2 290 milliards d’euros. Un minimum pour essayer de rebondir après le crash économique provoqué par le confinement.

Dans cet ensemble qui donne le tournis, l’élément le plus important est évidemment la mutualisation partielle des dettes futures, ce qui soulagera les comptes publics nationaux. Il ne faut pas se tromper sur l’importance historique de cette innovation qui, il y a encore deux mois, était impensable : en effet, la capacité d’endettement et donc l’autonomie budgétaire sont l’un des attributs essentiels d’un Etat. Lorsque l’Allemagne s’est ralliée, le 18 mai, à l’idée française de créer une dette commune, la presse anglo-américaine a évoqué un «moment hamiltonien» pour l’Europe. Il s’agit d’une référence à Alexander Hamilton, le premier secrétaire au Trésor des tout jeunes Etats-Unis, qui a réussi, en 1790, à convaincre le Congrès de créer une dette fédérale, ce qui a fait basculer la confédération américaine dans le fédéralisme. C’est exactement le même chemin qu’est en train de suivre l’Union.

La machine est lancée

Certes, cette capacité d’emprunt qui sera accordée à l’Union – du moins si les Vingt-Sept adoptent à l’unanimité la proposition de la Commission – est temporaire, puisque plafonnée à 750 milliards d’euros, et la mutualisation est limitée à 500 milliards d’euros. Mais, «qui a émis de la dette en émettra», comme le dit un membre de la Commission. Ce provisoire qui s’installe a un précédent récent : le Fonds européen de stabilité financière (FESF) créé en 2010 en pleine crise de la dette de la zone euro pour une durée de trois ans a finalement été pérennisé sous le nom de Mécanisme européen de stabilité (MES) et ses missions élargies au fil du temps. Autrement dit, une fois la machine lancée, il est douteux que les Etats reviennent en arrière. De plus, il va falloir construire de toutes pièces une administration dédiée sur le modèle de l’Agence France Trésor avant de se lancer sur les marchés : 500 milliards, c’est plus du double de la dette émise chaque année par la France (environ 220 milliards). Or dans l’Union tout comme dans les Etats membres, c’est l’organe qui crée la fonction…

La tentation de confier à l’Union une capacité d’endettement permanente sera d’autant plus forte que cette dette sera largement indolore pour les Etats. L’Union, qui est notée triple A, va en effet emprunter à taux zéro voire à taux négatif, ce qui signifie que ces emprunts ne coûteront rien jusqu’à leurs remboursements au bout de dix, vingt ou trente ans. A ce moment-là, il sera possible soit de la faire «rouler», c’est-à-dire réemprunter pour couvrir le capital qui aura été amputé de l’inflation, soit de la rembourser. Dans ce dernier cas, c’est le budget européen qui l’assumera, ce qui in fine pèsera bien sûr sur les Etats puisqu’ils y contribuent en fonction de leur richesse à hauteur de 80%. C’est là où la solidarité joue, puisque indirectement, chacun remboursera non pas en fonction de ce qu’il a reçu, mais de sa part dans la richesse européenne.

Enlever un fardeau aux Etats

Mais, et c’est là toute la beauté de la chose, cela va sans doute aboutir à une nouvelle révolution, celle d’un budget européen totalement indépendant des Etats. En effet, au fil du temps, ce qu’on appelle les «ressources propres», en fait les impôts proprement européens (droits de douane ou l’improprement nommée «ressource TVA»), qui constituaient au départ la totalité du budget, ont été réduites à la portion congrue. D’où une bataille qui dure depuis une vingtaine d’années pour créer de nouvelles ressources propres afin d’éviter des négociations peu glorieuses tous les sept ans sur le montant du budget européen, les Etats voulant faire des économies.

Dès lors, on a du mal à comprendre pourquoi certains d’entre eux refusent de créer de nouvelles ressources propres. En réalité, c’est de peur de perdre tout contrôle sur l’affectation des dépenses (le fameux «juste retour»). Mais, si à terme le budget européen doit payer le remboursement des emprunts, il vaudra mieux qu’il le fasse avec ses propres ressources plutôt qu’avec celles des Etats. Plusieurs idées, qui ne grèvent pas l’activité économique de l’Union et ne privent pas les budgets nationaux de rentrées fiscales, sont d’ores et déjà sur la table : une taxe sur les plastiques non réutilisables, une partie des droits d’émission de CO2, une taxe carbone à l’entrée de l’Union pour les produits ne respectant pas les normes européennes, une taxe sur le numérique, une fraction de l’impôt sur les sociétés… La Commission sait que même si elles ne sont pas adoptées cette fois-ci, elles le seront dans le futur afin d’enlever un fardeau aux Etats. «Ce sera un second moment hamiltonien, celui où l’Union pourra lever de l’impôt d’intérêt général», pronostique un membre de la Commission.

Categories: Union européenne

Federica Mogherini, rectrice du Collège d'Europe: copinage accompli

Mon, 05/25/2020 - 13:03

Federica Mogherini, alors ministre des Affaires étrangères italienne, et Herman van Rompuy, ex-président du conseil européen, le 30 août 2014 à Bruxelles. Photo Eric Vidal. Reuters

Comme nous le révélions le 26 avril, l’Italienne Federica Mogherini va bien devenir rectrice du Collège d’Europe, plus connu sous le nom de Collège de Bruges. Jeudi, le conseil académique, où siègent les professeurs et l’administration, a validé la nomination de l’ancienne ministre des Affaires étrangères de l’Union (2014-2019) à la tête de cette école fondée en 1949 afin de former les élites européennes. Un cas consternant de copinage.

Conflit d’intérêts

Voulant absolument rester à Bruxelles pour des raisons familiales et à la recherche d’un point de chute depuis la fin de son mandat, Mogherini a pu compter sur l’appui sans réserve de l’Allemande Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, qui a donné son feu vert, le 22 avril, à sa candidature. Mais aussi du Belge Herman van Rompuy, l’ancien président du Conseil européen (2009-2014) qui a été porté en décembre à la tête du conseil d’administration du Collège, l’organe où siègent les ambassadeurs des Etats membres et qui nomme le recteur. C’est lui qui a manœuvré pour écarter les candidats les plus sérieux à la succession de l’Allemand Jörg Monar afin de faire place nette pour l’ancienne ministre des Affaires étrangères. Et qu’importe qu’elle n’ait jamais été formellement candidate et qu’elle ne remplisse aucune des qualifications requises (niveau de diplôme, expérience, etc.) par l’appel à candidatures lancé il y a un an.

Même le conflit d’intérêts généré par sa nomination ne l’a pas gêné outre mesure : le financement du Collège étant assuré à 50% par le budget communautaire, nommer une ancienne vice-présidente de la Commission posait pourtant un vrai problème. Le comité d’éthique de l’Union, saisi préalablement, lui a d’ailleurs interdit de s’occuper des questions financières si elle était nommée rectrice, alors qu’il s’agit là de l’une des fonctions clés de ce poste…

Une fois l’affaire révélée par Libération, le Collège aurait pu relancer toute la procédure en modifiant l’appel à candidatures : comme il s’agit d’une simple association, il est parfaitement libre de le faire. Mais il ne s’est pas encombré d’un tel formalisme, donnant ainsi un magnifique exemple de morale élastique à ses élèves qui n’est pas sans rappeler l’affaire Martin Selmayr, nommé en février 2018 secrétaire général de la Commission en violation de toutes les règles internes avant d’être démis de ses fonctions par Von der Leyen en juillet dernier.

Anciennes gloires

Impavide, le comité de recherche présidé par… Van Rompuy a auditionné par visioconférence Mogherini le 30 avril, à l’exclusion de tout autre candidat, et sa candidature a été validée. Et le Conseil académique qui n’a rien à refuser à son principal bailleur de fonds, la Commission, s’est couché, non sans que deux professeures s’insurgent, en vain, contre le non-respect de la procédure. Une pétition a même été lancée pour protester contre ce cas flagrant de copinage qui nuit à l’image de l’école.

Cette affaire offre l’occasion de s’interroger sur la raison d’être d’une telle école en 2020. Si en 1949, les études européennes étaient rares, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Or le collège coûte cher aux contribuables européens : 12 millions d’euros par an pour 471 élèves (ceux-ci s’acquittant de 25 000 euros de frais qui couvrent le logement et le couvert). Un rapport coût-bénéfice qui n’a rien d’évident alors que beaucoup d’universités européennes, qui dispensent d’excellentes formations, crient misère. La question devrait aussi se poser pour l’Institut européen de Florence, un autre dinosaure hérité des débuts de la construction communautaire, qui a souvent servi à recycler d’anciennes gloires des institutions… A l’heure où l’Union doit se reconstruire après la crise du coronavirus, il est peut-être temps de faire le ménage.

Categories: Union européenne

Coronavirus: la démocratie est-elle adaptée à la gestion de crises?

Fri, 05/22/2020 - 20:29

Le quotidien belge francophone, La Libre Belgique, m’a interrogé à la suite de mon article de blog intitulé «Confinement: le débat interdit». L’entretien a été publié le samedi 9 mai. Le voici.

La mesure de confinement est-elle extrême ?

Le confinement, c’est en fait la quarantaine, une mesure moyenâgeuse inventée à Raguse (Dubrovnik), en 1383, et abandonnée au XXe siècle parce qu’elle était un symbole de barbarie et d’ignorance. Il est extraordinaire qu’elle ait fait son retour en plein XXIe siècle, à une époque où on considère que la science et la raison ont triomphé, et quel retour ! Le confinement a été imposé, à des degrés divers, à des pays entiers, et la moitié de l’humanité s’est retrouvée assignée à résidence. Une mesure extrême et brutale qu’on a du mal à comprendre, car la pandémie de coronavirus n’est absolument pas une nouvelle « peste noire ». Son taux de mortalité, même avant le confinement, reste, certes, supérieur à celui de la grippe, mais n’a strictement rien à voir avec celui du SRAS ou d’Ebola...

Qui est à l’origine de ce « revival » ? Pas une démocratie, mais un État totalitaire, la Chine. Or l’Europe et le reste du monde avaient d’autres modèles à leur disposition lorsque la pandémie les a touchés, en particulier celui de Taïwan, du Japon ou de la Corée du Sud. Mais, dans la panique, lorsque le nombre de morts a commencé à augmenter, c’est le modèle chinois qui s’est imposé comme une évidence, sans aucun débat démocratique. C’est l’Italie qui a ouvert le bal le 10 mars, provoquant ainsi un véritable effet domino en Europe, chacun ayant à cœur de démontre qu’il protégeait sa population : l’Espagne, la France, la Belgique, l’Autriche ou encore l’Irlande ont suivi. Il n’y a en fait qu’en Belgique où il y a eu une tentative de débat sur cette mesure extrême, mais la N-VA a vite été renvoyée dans ses filets au nom de l’urgence sanitaire et de l’exemple français qui inspire toujours autant les politiques publiques locales…

Ne fallait-il pas agir vite pour stopper la pandémie ?

Cette panique face au coronavirus reste sidérante : tout s’est passé comme s’il s’agissait d’une maladie qui menaçait des dizaines millions de vies, ce que même les prévisions les plus pessimistes, depuis largement remises en cause, n’ont jamais envisagé. On a vraiment l’impression que les gens ont pris brutalement conscience qu’ils étaient mortels, surtraitement médiatique aidant. Pourtant, comme le dit Woody Allen, on sait depuis que l’homme est homme, que «la vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible». Ainsi, chaque année 600.000 personnes meurent en France. Et avec le vieillissement des boomers, nous allons connaitre un pic important de mortalité dans les dix prochaines années. Et on ne meurt pas que de vieillesse : chaque année, dans l’Hexagone, 150.000 personnes sont victimes du cancer, sans que personne n’ait encore songé à interdire totalement tabac et alcool. De même, 68000 personnes décèdent de maladies respiratoires, 3500 d’accidents de la route, sans compter la grippe saisonnière qui tue chaque année (alors qu’il existe un vaccin) entre 3000 et 15000 personnes, parfois beaucoup plus comme en 1969 (31000 morts alors que la France ne comptait que 51 millions d’habitants) ou en 1959 (30000 morts dans un pays de 45 millions d’habitants).

On ne connait pas vraiment le taux réel de mortalité du coronavirus.

C’est vrai, on ne le connait pas encore avec certitude, puisque l’on ne sait pas combien de personnes ont été infectées par le virus. Mais les scénarios noirs ne se sont pas réalisé même dans les pays qui n’ont pas ou peu confiné. Ce qui est certain depuis le début de cette pandémie, c’est qu’elle est essentiellement mortelle pour les organismes affaiblis, les personnes âgées de plus de 80 ans et les personnes souffrant d’autres maladies ou d’obésité. En dessous de 50 ans, son taux de mortalité est inférieur à celui de la grippe saisonnière. Pourtant, alors que les autorités connaissaient parfaitement ces chiffres, elles ont pris la décision de confiner toute la population, notamment les actifs qui ne risquaient pas grand-chose, ce qui est revenu à mettre à l’arrêt nos économies. Pourquoi n’avoir pas pris, au moins dans un premier temps, des mesures ciblées, par exemple en conseillant aux gens de plus de 70 ans de ne plus sortir et en mobilisant des moyens médicaux dans les maisons de retraite, les lieux les plus susceptibles de devenir de véritables mouroirs ? De même, on aurait pu isoler des régions ou des villes, puisqu’en France, par exemple, ni l’ouest ni le sud n’ont été touchés à la différence de l’Oise, de l’Île-de-France ou du Haut-Rhin. On ne l’a même pas tenté. La peur, la panique semblent avoir oblitéré la raison. Résultat : nous avons collectivement provoqué la plus grave récession, hors temps de guerre, depuis au moins trois siècles. Or, qui va en souffrir ? Les moins de 60 ans. Cette catastrophe économique va causer des souffrances extrêmes et des morts par dizaine de milliers. Car on l’oublie trop souvent, le chômage tue (suicides, cancers, alcoolismes, maladies non détectées faute de moyens). Ainsi, en France, on estime que 14.000 morts par an lui sont imputables. Le chômage de masse qui s’annonce va aussi affaiblir nos États et donc nos systèmes de santé publique, ce qui augure mal de la prévention des prochaines pandémies. Ce débat sur les conséquences économiques d’un confinement total, le rapport coût-bénéfice, n’a hélas pas eu lieu non plus et on va le payer cher.

En Italie, ils ont tenté un confinement limité, notamment dans le nord, mais cela a engendré une panique générale. Était-il vraiment possible d’agir autrement que par un confinement généralisé ?

On ne peut nier que le sens de la responsabilité individuelle varie fortement d’un pays à l’autre, notamment entre les pays de tradition protestante et catholique pour schématiser grossièrement. Ainsi, l’Allemagne a considéré que ses citoyens sont assez grands pour se protéger eux-mêmes et n’a donc pas adopté la voie française d’un confinement brutal et autoritaire, ce qui a permis à son économie de continuer à tourner à 80% contre 60% en France. La Suède, elle, a été jusqu’au bout de cette logique en refusant tout confinement autoritaire. En réalité, les pays qui ont décidé d’un confinement total ont traité les citoyens comme des enfants incapables de se gérer eux-mêmes. La Belgique est un cas particulier assez étonnant : alors que l’État central a été affaibli au fil des ans par le conflit communautaire, il a réagi tout aussi autoritairement qu’en France quand les autorités politiques ont pris conscience de la crise. Pire : le pays est passé du rien au tout en quelques jours, alors qu’il n’y avait même pas de campagne d’information gouvernementale sur les « gestes barrières », à la différence de la France qui a tenté durant une quinzaine de jours de jouer sur le sens de la responsabilité individuelle.

On voyait les spots français en Belgique...

La différence d’ambiance entre Paris et Bruxelles, début mars, était proprement sidérante. En Belgique, c’était à peine si les gens savaient ce qu’était le coronavirus alors qu’en France le sujet était omniprésent : affiches dans les lieux publics, messages télévisés et radiophoniques, etc.

Lorsque vous parlez d’infantilisation de la population, était-il possible de faire autrement ? On parle souvent des pays nordiques ou de l’Allemagne, mais est-ce qu’on peut casser ces clichés ?

Si les Français sont infantilisés par leur État, ils en sont aussi responsables, car ils ont un rapport infantile à l’État. Ils attendent tout de lui, comme on attendait tout du roi, mais ils ne supportent pas d’être dirigés et ils rêvent en permanence de rejouer la Révolution française. Nos institutions ont aggravé ce travers : tous les cinq ans on élit un père Noël doté des pleins pouvoirs dont on attend tout et au bout de six mois on veut lui couper la tête. Le pouvoir ne fait rien pour arranger cette rupture ontologique : il se barricade dans ses palais et considère avec méfiance cette population de Gaulois rétifs. La formation de nos élites n’arrange évidemment rien : quand on n’a jamais connu le monde réel parce qu’on est passé de Louis le grand à l’ENA avant d’atterrir dans les grands corps de l’Etat sans jamais quitter Paris, cela ne vous prédispose pas à comprendre « l’esprit gilet jaune ». Cette méfiance de l’État à l’égard de ses citoyens s’est logiquement manifesté par les mesures de temps guerre adoptées pour imposer le confinement : la loi sur l’État d’urgence sanitaire du 23 mars a tout simplement suspendu la démocratie française et la quasi-totalité des libertés publiques (liberté d’aller et de venir, de réunion, d’entreprendre, de travailler, d’avoir une vie familiale normale, de voir sa cause entendue par un tribunal et d’être assisté d’un avocat, etc.) et confié les pleins pouvoirs au gouvernement et à la police. C’est sans précédent, vraiment, depuis le régime de Vichy. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, pour justifier ce régime d’exception, le chef de l’État a parlé de « guerre » contre le coronavirus alors que ce n’est pas le sujet comme l’a justement rappelé le président de la République d’Allemagne, Frank-Walter Steinmeier dans un discours empreint d’humanité. Il est sidérant que les citoyens aient consenti sans même se poser de questions à ces privations de libertés. Placer la survie au-dessus de tous nos principes est une régression sans précédent. Comme l’a dit René Cassin, le père de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme : « le droit à la vie, oui, mais pas à n’importe quelle vie ». Le philosophe André Comte-Sponville l’a dit d’une autre façon : « j’aime mieux attraper le covid-19 dans une démocratie qu’y échapper dans une dictature ».

Emmanuel Macron a ensuite abandonné son langage guerrier.

Le résultat est là : à la différence de l’Allemagne et de la plupart des autres pays européens, la France a jugé impératif de suspendre son État de droit. D’ailleurs, le gouvernement vient d’obtenir la prolongation de l’État d’urgence sanitaire jusqu’à fin juillet et rien ne dit qu’on en sortira avant longtemps. Ce discours guerrier et ces lois d’exception qui ont dramatisé la situation ont aussi permis de dissimuler l’impréparation complète de l’État français qui a gravement failli dans sa gestion de la pandémie. Je n’incrimine pas Emmanuel Macron, mais l’État profond, celui des bureaucrates, qui a montré son impotence. Alors que les signaux d’alerte ont tous viré au rouge en février, l’État les a ignorés au lieu de préparer les esprits, en lançant des avertissements, de se doter des moyens matériels nécessaires pour faire face à la pandémie qui venait, de se concerter avec les partenaires économiques et sociaux et avec les autres capitales européennes. Nul besoin de suspendre les libertés publiques ou de confiner le pays entier pour cela : pourquoi ne pas avoir lancé la production de masques et de respirateurs, augmenté la capacité des hôpitaux, organisé en amont le transfert des malades si un hôpital venait à être en surcapacité, déployé des moyens dans les maisons de retraite, levé les obstacles réglementaires à la mobilisation des moyens, etc. On a l’une des bureaucraties les plus lourdes parmi les grandes démocraties, on ne peut pas dire qu’elle ait fait ses preuves dans cette crise. Sa suréaction n’est qu’une réaction de panique devant sa faillite.

Pour Emmanuel Macron, c’était peut-être aussi là l’occasion d’accroitre sa marge de manoeuvre ?

La question posée est plus profonde, elle interroge la capacité des démocraties à gérer des crises. Car nous sommes entrés dans un cycle inquiétant qui ébranle profondément le modèle démocratique : à chaque crise, l’Etat a comme premier réflexe de suspendre l’État de droit comme si la démocratie était en soi un obstacle à sa résolution. On l’a vu en France en novembre 2015 avec la proclamation par François Hollande de l’État d’urgence (inventé en 1955 pour faire face à la guerre d’Algérie), État d’urgence qui a été transcrit en 2017 dans le droit commun, car une fois qu’on est entré dans cette logique des lois d’exception, il est difficile d’en sortir, les citoyens risquant d’accuser l’État de faiblesse en cas de nouvel attentat. En 2020, c’est une crise sanitaire qui motive une attaque sans précédent contre l’État de droit. Or des crises sanitaires on en connaitra d’autre, ce qui motivera de garder la loi du 23 mars dans l’arsenal législatif. D’autres crises, notamment environnementales, surviendront, ce qui motivera de nouvelles lois d’exception et de moins en moins de liberté. Si la démocratie c’est par temps calme, la démocratie est morte et l’avenir est au régime autoritaire. Au fond, l’adoption du modèle chinois pour lutter contre la pandémie n’a peut-être fait qu’annoncer le triomphe de son modèle politique. Espérons que les citoyens vont se réveiller.

Mais dans l’inconnu, sans connaître la dangerosité et la contagiosité réelle du virus, est-ce que la délibération démocratique n’est pas trop faible, trop lente ?

A quel niveau de risque suspend-on la démocratie ? Le danger est qu’au moindre Chinois qui tousse, on déclare l’État d’exception, l’exception devenant au fil du temps la règle. Quel prix sommes-nous prêts à payer, en terme démocratique et économique, pour préserver la moindre vie ?

Que pensez-vous du tracing ?

Au nom du bien-être des individus, on est tenté d’imposer un suivi général des populations ce qui remet en cause le droit à la vie privée et la liberté d’aller et de venir. Il faut bien comprendre le danger de ce traçage des individus : cela veut dire que l’on fournit à l’État le moyen de savoir à chaque instant ce que vous faites. Le modèle chinois n’est en aucun cas compatible avec la démocratie.

Mais c’est anonyme, disent-ils...

Dans un premier temps, il sera anonyme. Mais jusqu’où ira-t-on ? C’est un premier pas vers un traçage généralisé des populations. De même, on est en train de remettre en cause le secret médical, en France en tout cas, où le médecin devra transmettre à l’administration l’identité des personnes infectées par le Covid ainsi que de toutes les personnes du foyer et, si c’est possible, des personnes avec lesquelles elle a été en contact. Si on le lève le secret médical pour le coronavirus, cela ouvre la porte à d’autres maladies. Et pourquoi ne pas transmettre votre dossier médical à votre banque, votre assurance, votre employeur ? Après tout, il s’agit aussi du bien-être collectif… La liberté a toujours des conséquences pour les individus et pour la société, sinon on est dans Le meilleur des mondes avec un État omniprésent qui vous guidera à chaque instant.

On va vous répondre que si on n’a rien à se reprocher, on s’en fiche d’être tracé.

Cela se saurait si les citoyens étaient aussi honnêtes et responsables qu’ils le disent. Bien sûr, personne ne cherche à frauder, personne ne fait travailler quelqu’un au noir, personne ne viole le Code de la route, personne ne triche, personne n’insulte ou ne menace de mort sur les réseaux sociaux… Je sais que la majorité des citoyens n’est pas sensible à cette question des libertés publiques, car elle n’a même pas conscience d’en profiter à chaque instant de la vie. Le jour où les citoyens qui sont prêts à abdiquer leur liberté devront expliquer à un policier pour quelle raison ils se trouvent dans la rue, leur perception changera. Manifestement, quand on a peur, on arrête de réfléchir. Et quand on se remet à réfléchir, il est trop tard.

On ne tire pas les leçons de l’Histoire ? Car les crises se suivent, mais sont légèrement différentes…

On dit que l’Histoire ne se répète pas, elle bégaie. La façon dont nous avons collectivement réagi à cette crise sanitaire rappelle d’autres périodes de notre histoire : des États incapables d’anticiper, une panique alimentée par les médias, de fausses informations ou des informations manipulées par des puissances étrangères, des pouvoirs publics dont le premier réflexe est de suspendre les libertés publiques et d’employer des remèdes inadaptés, des citoyens qui dévalisent les magasins et n’hésitent pas à dénoncer leur voisin comme à Bordeaux où 70% des appels à Police-secours sont des dénonciations, tout cela est pathétique.

Vous estimez que nos sociétés n’acceptent plus la mort ?

Encore une fois, je ne comprends pas pourquoi le coronavirus a créé une telle panique. Ce n’est pas la pandémie la plus mortelle à laquelle l’humanité a été confrontée, loin de là. Surtout, on côtoie la mort tous les jours et cela nous laisse parfaitement indifférents. Pire : lorsque l’État tente d’agir pour limiter la mortalité, une partie des citoyens s’insurge. Ainsi, la limitation de la vitesse à 80km/h sur les routes nationales françaises a suscité en partie le mouvement des gilets jaunes. De même, la France est l’un des pays qui se défient le plus des vaccins -combien de personnes se vaccinent contre la grippe qui tue jeunes ou vieux ?- et est même à l’origine de la réapparition de la rougeole.

Ils se jouent de l’argument sanitaire ?

Ce sont les mêmes qui ne respectent pas les mesures d’hygiène minimales ou qui vont travailler alors qu’ils sont malades qui aujourd’hui réclament des mesures liberticides et potentiellement destructrices pour nos économies.

Mais le coronavirus est particulièrement dangereux ?

Pour les personnes fragiles, oui. Pour les autres pas plus qu’une grippe selon tous les chiffres qui sont publiés. C’est une maladie très contagieuse, mais pas forcément très mortelle. Ainsi, une grande partie des marins du porte-avions Charles de Gaulle ont été contaminés, mais aucun n’en est mort. Il s’agit, bien sûr, d’une population jeune... De même, l’Afrique, à qui l’on prédisait une catastrophe, n’a quasiment pas de morts pour l’instant. La jeunesse de ce continent explique sans doute beaucoup de choses.

Mais le système hospitalier était débordé, dans plusieurs pays, même avec les mesures de confinement. Et ils sont toujours sous pression.

Le confinement est fait pour « écraser la courbe », c’est-à-dire pour étaler dans le temps le nombre de malades afin d’éviter que les hôpitaux soient débordés. Mais le message reçu n’est pas celui-là. Beaucoup croient que le confinement va éradiquer la maladie. Or, ceux qui doivent l’attraper l’attraperont. Et ceux qui doivent en mourir en mourront.

Sauf si on limite la contagiosité…

Mais le virus sera toujours là. Il faut vivre avec. Il sera là jusqu’à ce qu’on découvre un vaccin et un traitement.

C’était clairement dit que c’était pour aplatir la courbe tout de même...

Oui, mais les gens ne l’ont pas entendu comme ça. Maintenant que va-t-il se passer ? On va déconfiner. Mais il y aura encore des centaines de morts pendant plusieurs mois, voire une seconde vague, on n’en sait rien. L’État va être mis en cause pour avoir déconfiné. Que faudra-t-il faire ? Reconfiner et casser définitivement nos démocraties et nos économies ? Ou alors apprendre à vivre avec le virus ?

Le rapport coût/bénéfice est trop faible alors ?

On a provoqué, dans la panique et sans réfléchir aux conséquences, la plus grave crise économique en temps de paix depuis plusieurs siècles. Il faut se rendre compte que la récession française sera comprise entre -8% et -12%. Des chiffres atteints pendant la Seconde Guerre mondiale !

Le confinement aura un impact sur le mental des gens.

Et pas seulement ! La crise dans laquelle on a décidé de se précipiter va avoir des conséquences majeures. Les jeunes qui viennent d’entrer sur le marché du travail vont perdre leur emploi, les gens peu formés ou les plus de 50 ans aussi. Les premiers plans de licenciements ont commencé. On a décidé de sacrifier les jeunes générations pour sauver des gens qui ont plus de 80 ans. Pourquoi pas ? Mais cela aurait au moins nécessité un débat. C’est ça qui me pose problème. J’ai 62 ans, je commence moi-même à faire partie des reliques du passé, et je préfère assurer un avenir heureux à mes enfants. C’est le sens du collectif. Si à chaque pandémie on se confine, on va retourner au Moyen Âge en termes de niveau de vie.

Vous pensez la même chose qu’André Comte-Sponville ?

Effectivement. Je préfère mourir dans une démocratie que vivre dans une dictature. Je préfère vivre dans un pays qui assure un avenir à ses enfants que dans un pays en ruine. Je sais que ce discours a du mal à passer, que l’opinion publique, complètement anesthésiée par les mesures de soutien à l’économie, ne veut pas entendre ce discours. Le réveil va être brutal. Quand les gens vont s’apercevoir des ravages du confinement, je peux vous assurer que le pouvoir politique va souffrir. Les citoyens vont changer de discours.

Que pensez-vous de la mise en avant des scientifiques sur le devant de la scène ? C’est un retour du scientisme ?

Il va falloir s’interroger sérieusement sur la responsabilité des scientifiques qui ont dit tout et son contraire (sur les masques, sur le confinement, sur la dangerosité pour les enfants, etc.) avec le même aplomb, ce qui a rendu la prise de décision politique particulièrement complexe. Il faut quand même se rappeler ce que Maggie De Block, la ministre fédérale de la santé, avait tweeté, au début du mois de mars, à propos d’une pétition de scientifiques. Elle les avait qualifiés de «drama queens». Car la majorité du corps médical disait alors de rester calme. Et les mêmes, après, disent qu’on n’a pas été assez vite ni assez loin. La responsabilité des médecins est fabuleuse. Je plains nos gouvernants, ils doivent vivre un cauchemar.

Il y aura un impact sur la démocratie ?

La démocratie a reçu un coup d’une gravité exceptionnelle et elle aura beaucoup de difficultés à s’en remettre. On l’a vu avec l’État d’urgence en France ou avec le Patriot Act aux États-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre. Il n’y a plus eu d’attentat sur le territoire américain depuis 2001 et pourtant il est toujours en vigueur et a été même considérablement renforcé depuis... Lorsqu’un État s’empare de pouvoirs exceptionnels, il ne les lâche pas, sauf révolution.

Vous avez écrit, le 30 avril, un article sur votre blog intitulé « confinement, le débat interdit ». Quels retours avez-vous eus ?

J’ai lancé le débat à la fin du mois de mars sur Twitter en m’interrogeant sur le rapport coût-bénéfice du confinement, quand j’ai compris que cette politique folle allait être prolongée. Admettons qu’elle ait été justifiée pendant 15 jours afin de causer un choc psychologique, mais ensuite, son coût économique devenait apocalyptique. Mes tweets ont suscité un déferlement de haine. On m’a dit qu’il fallait sauver toutes les vies, que je voulais préserver les dividendes des entreprises alors qu’il s’agissait de sauver le travail des gens, etc.. « L’économie » n’est pas quelque chose de détaché de la vie. J’ai même reçu des centaines de menaces de mort de gens qui m’expliquaient qu’il fallait que je meure ainsi que ma famille parce qu’eux jugeaient qu’il fallait sauver toutes les vies... Ils ne voyaient là aucune contradiction, bien sûr. J’ai même dû passer mon compte Twitter en privé pendant trois jours le temps que ces trolls se calment. Manifestement, ce débat était trop passionnel. Mais cela a un peu changé. Je n’étais pourtant pas le premier à m’inquiéter de ce qui se passait.

Il faut poser la question.

Dans ces moments de panique, il y a un esprit « fanamMili », fanatique militaire. D’un seul coup il faut aller à la guerre et tous ceux qui sont contre sont des traîtres. La presse, en règle générale, fonctionne comme cela. Elle alimente la panique, le fanatisme. Elle a souvent joué un rôle délétère alors qu’elle devrait poser les questions qui fâchent, toujours. Un journaliste qui ne déplait pas est un courtisan.

Que fallait-il faire, selon vous ?

Il aurait fallu poser les termes du débat afin que les citoyens puissent choisir. Soit on confine, il y aura une récession terrible et vous-même et vos enfants seront au chômage. Soit on se contente de limiter la propagation de la pandémie, on prend des mesures ciblées en expliquant qu’il y aura des milliers de morts. Cette délibération démocratique n’a pas eu lieu.

Vous croyez qu’il y aura un «changement de système» après la crise ?

Je me méfie toujours de ceux qui le prédisent. Il faudrait bien sûr profiter de la crise pour réorienter notre système économique, le rendre plus durable. Mais si on y parvient, cela se fera par petites touches.

On va refaire les mêmes erreurs pour relancer l’économie ?

Oui. L’économie mondiale, ce n’est pas un hors-bord, c’est un porte-avions. D’autant qu’on ne sait exactement quoi faire. Par exemple, sur les relocalisations de certaines industries. Est-ce que produire en Europe du paracétamol a un sens ? Ne faudrait-il pas plutôt diversifier nos sources d’approvisionnement ? N’a-t-on pas plutôt intérêt à développer les industries du futur, par exemple l’intelligence artificielle, les énergies nouvelles. J’espère au moins que cette crise va nous permettre de comprendre qu’il faut se préparer dès maintenant au choc du changement climatique. Il faut réapprendre à anticiper, même si ça fait mal. Mais, d’expérience, on sait que la capacité d’oubli des peuples est étonnante : collectivement, nous avons la mémoire d’un poisson rouge. Vous verrez qu’avec la récession, les gens voudront avant tout de l’emploi, quel qu’en soit le prix pour l’environnement. On en reparle dans un an.

Categories: Union européenne

Le couple franco-allemand sort enfin de son confinement

Thu, 05/21/2020 - 15:34

L’Allemagne accepte enfin ce qu’elle refusait depuis vingt ans, la mutualisation des dettes des États européens, c’est-à-dire une « union de transferts » financiers ! Cette révolution copernicienne a été annoncée via une initiative franco-allemande surprise « pour la relance européenne face à la crise du coronavirus » présentée lundi après-midi par la chancelière allemande Angela Merkel et le chef de l’État français, Emmanuel Macron. Le secret a été bien gardé, puisque ce projet n’a commencé à s’ébruiter que dimanche après-midi…

«L’Etat nation n’a pas d’avenir»

Certes, la mutualisation à laquelle consent Berlin est soigneusement encadrée puisqu’elle est limitée à 500 milliards d’euros et l’argent récolté sur les marchés financiers par la Commission européenne servira uniquement à financer les dépenses de reconstruction de l’après-coronavirus et non à régler les factures du passé. Mais il s’agit d’un bond majeur dans l’intégration communautaire, Berlin reconnaissant enfin que son intérêt national se confond avec l’intérêt européen : « l’Allemagne ne s’en sortira bien que si l’Union se porte bien », car «l’Etat nation n’a pas d’avenir», a expliqué Angela Merkel.

Ce tournant majeur a été annoncé par la chancelière dès mercredi dans un discours devant le Bundestag. Elle n’a fait ce mouvement uniquement que parce qu’elle y a été contrainte par sa Cour constitutionnelle. En effet, Karlsruhe dans un arrêt du 5 mai a menacé de déclarer contraire à la constitution allemande le rachat d’obligations publiques par la Banque centrale européenne (BCE) parce que la baisse des taux d’intérêt qu’il induit nuit aux épargnants allemands. Or, si la BCE intervient massivement sur les marchés depuis 2015 (elle possède plus de 2600 milliards d’euros de dettes publiques dans ses coffres), c’est en partie parce qu’il n’existe pas de politique budgétaire européenne, l’Allemagne en refusant le principe même parce qu’elle ne veut pas financer à fonds perdu des États peu soucieux de l’équilibre de leurs comptes publics. Le problème est qu’il est impossible qu’une monnaie unique survive longtemps sans un budget commun organisant des transferts afin de corriger les déséquilibres induits par une zone monétaire unique. Surtout lorsque les États qui profitent le plus de l’euro, grâce à sa sous-évaluation, n’investissent plus (depuis 2010) les excédents de capitaux qu’ils dégagent au sein de la zone euro. Il suffit d’imaginer ce qui se passerait aux États-Unis si la Californie investissait massivement en Chine et qu’il n’existait pas de budget fédéral…

Karlsruhe

C’est cette contradiction allemande qui a éclaté au grand jour avec l’arrêt de Karlsruhe. Dès lors, la chancelière, si elle voulait sauver l’euro et le marché unique tout en contournant ses juges constitutionnels, n’avait d’autre choix que de soulager la BCE en acceptant un endettement commun, celui-là même que réclament une grande majorité des pays européens emmenés par la France.

Berlin et Paris proposent donc de créer un fonds de relance doté de 500 milliards d’euros qui sera logé dans le budget européen et donc contrôlé par la Commission. Cette somme sera réunie par un recours à l’emprunt garanti par les Vingt-sept via le budget européen et sera affectée aux régions et aux secteurs les plus touchés par la crise du coronavirus et non pas saupoudrée pour que tout le monde reçoive quelque chose. Elle servira aussi à financer les dépenses d’investissement pour préparer le futur (Pacte vert, intelligence artificielle, 5 G, etc.). Le remboursement de ces emprunts sera effectué par le budget européen qui est alimenté par chaque État en fonction de sa richesse (ressource PIB qui représente 80 % du budget). Autrement dit, il ne s’agira pas de prêts, mais de subventions et le remboursement ne sera pas lié à ce que chaque pays aura reçu. C’est cela « la solidarité européenne » a expliqué Angela Merkel.

La Commission attendue

Ce fonds s’ajoutera aux 550 milliards de prêts déjà décidés qui pourront être accordés aux États et aux entreprises via trois mécanismes : le Mécanisme européen de solidarité (MES), SURE, un fonds de 100 milliards d’euros qui pourra prêter de l’argent aux systèmes nationaux d’assurance chômage et la Banque européenne d’investissement (BEI). Les deux dirigeants appellent aussi à une adoption rapide du Cadre financier pluriannuel 2021-2027 encadrant le budget européen annuel afin de fournir un appui supplémentaire rapide aux États membres : son montant, selon les propositions, est compris entre 1000 et 1200 milliards d’euros sur 7 ans, soit environ 150 milliards par an.

Cette proposition franco-allemande donne, en tous les cas, les coudées franches à la Commission qui doit rendre publique le 27 mai une proposition budgétaire, incluant le fonds de relance. Ensuite, il faudra convaincre les Vingt-sept Etats de l’adopter, l’unanimité étant de rigueur dès qu’il est question d’argent. Ce sera l’enjeu du sommet européen des 18 et 19 juin.

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Angela Merkel vole au secours de l'euro (et dans les plumes des juges constitutionnels allemands)

Mon, 05/18/2020 - 19:39

La Chancelière contre-attaque ! Mercredi, devant le Bundestag (la chambre basse du Parlement allemand), Angela Merkel a clamé son attachement indéfectible à la monnaie unique européenne et a plaidé pour une plus grande «intégration» économique et politique de la zone euro afin qu’elle puisse se montrer solidaire de ses membres les plus faibles. C’est une réponse sans ambiguïté à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui, dans un arrêt du 5 mai, a sonné la charge contre la Banque centrale européenne (BCE) accusée de nuire aux intérêts allemands. C’est cette voie nationaliste, qui menait à une sortie de l’euro, que la Chancelière a clairement refusé.

Abcès

Même si ce n’était certainement pas l’intention des juges constitutionnels, leur arrêt a mis à jour les profondes contradictions allemandes à l’égard de la monnaie unique. En s’opposant fermement à toute solidarité budgétaire, ce qu’on appelle outre-Rhin une «Union de transferts», l’Allemagne a obligé la BCE à intervenir depuis 2012 sur le marché de la dette d’Etat afin de maintenir à flot la zone euro. Elle s’est accommodée de cette politique monétaire agressive, la survie de la monnaie unique étant dans son intérêt. Mais, ultime contradiction, en la critiquant fermement parce qu’il s’agit d’un succédané de politique budgétaire européenne dont elle rejette le principe même…

Karlsruhe, en menaçant de déclarer contraire à la constitution allemande le rachat d’obligations publiques parce que la baisse des taux d’intérêt qu’il induit nuit aux épargnants allemands, a donc «crevé l’abcès», comme on le dit à Paris. Car c’est désormais tout l’édifice européen qui menace de s’écrouler : sans transfert budgétaire entre riches et pauvres et sans intervention de la BCE, l’euro serait totalement à la merci des marchés et son pronostic vital engagé. Sans compter que les juges allemands, pour avoir la peau de la BCE, ont enterré au passage la supériorité du droit européen sur les droits nationaux, le pilier sur lequel reposent le marché intérieur et donc l’Union.

Les autorités allemandes ont vite compris qu’elles étaient tombées dans un piège : donner raison à Karlsruhe, c’est condamner l’euro et l’Union ; s’opposer à la Cour, c’est déclencher une crise institutionnelle et politique. Les conséquences étant, dans les deux cas, totalement imprévisibles. Merkel a donc choisi la seule voie possible, comme on en faisait le pari à l’Elysée : «Montrer qu’elle ne cédera pas à des juges souverainistes, montrer qu’elle est européenne en allant plus loin dans l’intégration.» Comment ? En se ralliant à une «Union de transferts», afin de soulager la BCE qui n’aura plus à soutenir les Etats de la zone euro en rachetant leur dette. Si les pays de la zone euro bénéficient de l’aide d’un budget commun afin de pouvoir financer une partie de leurs dépenses sans s’endetter plus que de raison, l’intervention de l’institut d’émission ne sera plus nécessaire qu’en temps de crise grave.

«L’euro va survivre»

Après l’arrêt de la cour de Karlsruhe, «il s’agit à présent d’agir en responsabilité et de manière intelligente pour que l’euro puisse survivre», a expliqué Angela Merkel. Car «il va survivre», a-t-elle martelé. En clair, cela va «nous inciter à faire davantage en matière de politique économique, afin de faire progresser l’intégration» de la zone euro. Les travaux pratiques vont rapidement commencer : «Nous allons à coup sûr nous pencher sur cette question en lien avec ce qu’on appelle le «fonds de relance», car il en va ici de la solidarité européenne et plus la réponse européenne dans ce cadre sera forte, plus la BCE pourra travailler dans un cadre sûr», sans avoir à intervenir sur le marché des dettes publiques, ce qui calmera Karlsruhe.

Ce fonds, dont la création a été demandée par les Vingt-sept, va être détaillé par la Commission dans les quinze jours. Angela Merkel s’est bien gardée, pour l’instant, de dire ce qu’elle était prête à accepter. Pour Paris, ce fonds devrait être doté d’au moins 1 000 à 1 500 milliards d’euros, une somme qui serait atteinte grâce à des emprunts émis par la Commission avec la garantie commune des Vingt-sept. Cet argent servirait à financer les dépenses de reconstruction, de santé et d’investissement dans les technologies du futur. Surtout, il s’agirait de subventions et non de prêts et la dette serait remboursée par le budget européen, c’est-à-dire au prorata non pas de ce qu’un pays a reçu, mais de sa richesse relative. Une vraie solidarité donc.

Union politique

Berlin est-elle prête à cette mutualisation de la dette de reconstruction ? Ou préfèrera-t-elle augmenter sa contribution au budget européen ou créer de nouvelles ressources propres (taxe carbone aux frontières, taxe sur les géants du numérique, etc.) ? A ce stade, Merkel n’a donné aucun signal dans un sens ou dans l’autre. Mais il est clair que son discours va libérer d’un poids Ursula von der Leyen, la présidente allemande de la Commission, qui va pouvoir faire preuve d’audace, ce que personne ne pourra lui reprocher.

La chancelière n’a pas non plus précisé ce qu’elle entendait par une «intégration» plus grande de la zone euro, même si elle a repris les termes de l’ancien président français de la Commission (1985-1994) : «Nous ne devons pas oublier ce que Jacques Delors disait avant l’introduction de l’euro : il faut une union politique, une union monétaire ne suffira pas.» Or qui dit union politique, dit fédéralisation de la zone euro, ce qui passe par un exécutif indépendant, un budget et un contrôle parlementaire, autant de propositions formulées par Emmanuel Macron et jusque-là rejetées par l’Allemagne. La chancelière a semblé n’écarter aucune piste en affirmant que «les changements de traité ne doivent pas être un tabou. » Les semaines à venir s’annoncent pleines de surprises. Décidément, l’Europe ne se fait que dans les crises.

Photo: John MacDougall. AFP

Categories: Union européenne

Daniel Cohn-Bendit: "si l'Europe s'effondre, ce sera un suicide allemand"

Sun, 05/17/2020 - 15:16

Favorable à une plus grande solidarité européenne pour répondre à la crise du coronavirus, l’ex-eurodéputé écologiste Daniel Cohn-Bendit que j’ai interviewé déplore l’«arrogance» de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui entend affirmer la primauté du droit national sur le droit européen.

L’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 5 mai vous paraît-il justifié ?

Absolument pas : je suis indigné par le nationalisme de la Cour ! En substance, cet arrêt affirme que la politique monétaire européenne n’a pas suffisamment pris en compte les intérêts de l’épargnant, de l’actionnaire ou du propriétaire allemand. Ce qui est exact puisqu’en soutenant la croissance, via sa politique d’assouplissement quantitatif (quantitative easing, QE) qui a amené les taux d’intérêt à zéro, elle a fait le choix de sacrifier temporairement les épargnants au profit de l’emploi, ce que ne supportent pas les juges constitutionnels allemands. Pour eux, la politique monétaire européenne est contraire à la Constitution allemande, car la Banque centrale européenne (BCE) a empiété sur la politique économique des Etats et n’a pas démontré la «proportionnalité» de sa politique, c’est-à-dire n’a pas mesuré ses inconvénients pour la seule Allemagne ! Autrement dit, les chômeurs italiens ou espagnols ont moins d’importance pour Karlsruhe que la rémunération de l’épargne allemande, ce qui est un non-sens, puisque sans croissance dans la zone euro, personne ne pourra acheter le «made in Germany», ce qui nuira aussi à sa prospérité. Que les économistes amateurs de Karlsruhe se considèrent comme davantage capables que la BCE de juger ce qu’est une bonne politique monétaire est proprement ridicule

Karlsruhe considère donc qu’elle est le juge de la BCE, et non pas la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui avait pourtant validé sa politique monétaire en décembre 2018 ?

Effectivement. C’est une vision très impériale de l’Europe : pour elle, c’est l’Allemagne qui est l’arbitre de ce qui se fait au niveau européen. C’est d’ailleurs quasi explicitement affirmé, puisqu’elle écarte l’arrêt de la CJUE, qu’elle avait pourtant sollicitée, en affirmant avec une arrogance incroyable qu’elle s’est trompée et donc qu’elle n’est pas tenue de le respecter ! Mais comme les juges allemands savent qu’ils ne peuvent pas condamner directement la BCE, ils ont donné trois mois au gouvernement allemand et à la Bundesbank pour justifier la politique monétaire européenne. A défaut d’être convaincus, ils menacent d’interdire à la Bundesbank de participer au QE européen, c’est-à-dire de racheter des obligations privées et publiques allemandes, ce qui affaiblirait la position de la BCE vis-à-vis des marchés. On est dans la politique pure : même si demain le gouvernement allemand fournissait toutes les explications possibles, Karlsruhe pourrait toujours décider qu’elle n’est pas convaincue, comme elle l’a fait avec l’arrêt de la CJUE.

Ce n’est pas la première fois que Karlsruhe rend des arrêts extrêmement critiques de la construction communautaire.

C’est vrai, la Cour se montre de plus en plus critique depuis le milieu des années 80, avec sa jurisprudence dite «So lange». Elle ne valide les progrès de l’intégration communautaire qu’«aussi longtemps» que celle-ci n’est pas contraire à la Constitution allemande. Mais là, la Cour a franchi le Rubicon en écartant un arrêt de la CJUE qui aurait dû s’imposer à elle puisqu’elle est seule compétente pour interpréter le droit européen. Pour Karlsruhe, l’intégration européenne est désormais contraire à la Constitution allemande. Cette décision transpire le nationalisme juridique. Certes, il existe partout à des degrés divers, mais l’Allemagne est un pays sans lequel le projet européen est mort.

Ce n’est pas non plus un hasard si les juges s’attaquent à la BCE, l’organe fédéral qui gère l’euro.

Effectivement, l’abandon du mark au profit de l’euro a été une décision politique qui n’a jamais enthousiasmé la Bundesbank et les milieux économiques allemands. C’est d’ailleurs pour limiter au maximum l’intégration induite par la monnaie unique que le traité de Maastricht a prévu que l’objectif premier de la BCE est la stabilité des prix et pas la croissance, au contraire de la Réserve fédérale américaine. Car si on lui avait donné cette responsabilité, cela aurait ouvert la voie à une politique économique européenne, ce dont l’Allemagne ne voulait pas.

Karlsruhe s’attaque à un autre pilier de l’Union en refusant de reconnaître la supériorité des normes européennes sur les normes nationales.

La Pologne et la Hongrie ont d’ailleurs immédiatement réagi en faisant connaître leur satisfaction. En effet, si les normes nationales sont supérieures au droit européen, il est impossible désormais de les accuser de violer les valeurs et les normes européennes. Chacun peut donc faire ce qui lui plaît, ce qui menace non seulement l’euro, mais l’Union. Clairement, la Cour constitutionnelle allemande est devenue un problème de l’Europe. Je dis bien, la Cour, puisque tous les médias sans exception ont condamné cette décision. Même Jens Weidmann, le patron de la «Buba» [la Bundesbank, ndlr], a signé le communiqué de la BCE qui envoie poliment paître Karlsruhe, en estimant ne pas être concernée puisque son juge naturel est la CJUE. La patate chaude est désormais entre les mains du gouvernement et de la Banque centrale allemands.

Cet arrêt ne manifeste-t-il pas le nationalisme d’une partie des élites allemandes ?

Oui, il y a une prétention d’une partie de la société allemande à se considérer comme au-dessus du lot. C’est cette arrogance qui transpire dans la décision de Karlsruhe. Mais cela existe aussi dans les autres pays, et c’est bien le problème. La construction européenne bute sur le fait que les Etats ont un mal extrême à se penser dans le monde globalisé du XXIe siècle : si on est les meilleurs, pourquoi a-t-on autant besoin de l’Europe ? En réalité, individuellement, aucun pays européen n’est le plus grand et ne peut prétendre être le meilleur dans tous les secteurs du jeu, ce que la France a du mal à comprendre, car la souveraineté dépend de la souveraineté européenne. L’Allemagne est dans une contradiction totale : elle sait qu’elle a besoin de l’Europe, mais elle veut la façonner à son image, ce qui est impossible.

L’arrêt de Karlsruhe intervient alors qu’une majorité des pays européens réclament une mutualisation des dettes qui seront générées par les dépenses de reconstruction.

Même si cette décision ne vise que le QE, et pas le programme actuel de la BCE de soutien aux économies touchées par la crise du coronavirus, elle renforce clairement le courant qui s’oppose à toute mutualisation de la dette. Je ne sais pas si les juges l’ont fait sciemment ou pas, mais c’est le résultat. Or, si on ne mutualise pas l’investissement, les divergences entre les pays du Nord, qui ont les moyens de faire face aux dépenses de reconstruction, et les pays du Sud, qui vont devoir s’endetter lourdement, vont s’accroître, ce qui condamne à terme l’euro. C’est pour cela qu’une partie des économistes, y compris des économistes libéraux, reconnaissent qu’il faut trouver un instrument pour mutualiser les investissements. La majorité des Allemands est aussi favorable à un soutien massif aux pays les plus touchés. Il y a clairement une évolution de la société allemande qui commence à percevoir que l’intérêt national est d’aider les autres. En 1953, si les Alliés ont effacé une partie de la dette allemande, ce n’est pas pour des raisons morales, mais pour que le pays puisse participer à la lutte contre le communisme. La mutualisation des investissements, c’est la même chose : il en va de l’intérêt national allemand que l’Europe continue. Si l’Italie s’effondre, l’Europe s’effondre, et ce sera un suicide allemand, c’est simple à comprendre. Le problème est que cette perception se rétrécit au sommet de la pyramide politique, au gouvernement et au Bundestag, qui considèrent que leur fonction est d’abord la protection de leurs citoyens. La bonne nouvelle est que l’Allemagne va exercer la présidente tournante de l’Union à partir du 1er juillet, au moment où il faudra gérer les conséquences économiques du coronavirus. C’est une position qui oblige à être plus européen que national.

Comment sortir du piège tendu par Karlsruhe ?

Dans l’immédiat, la Commission devrait proposer au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement une déclaration réaffirmant la supériorité du droit européen. Même si la Pologne et la Hongrie ne la votent pas, l’Allemagne sera obligée de le faire. Ainsi elle fera barrage aux conséquences de l’arrêt de Karlsruhe. L’idéal, bien sûr, serait de modifier les traités européens afin d’y inscrire ce principe, car pour l’instant la supériorité du droit européen est un principe jurisprudentiel. Mais il est surtout nécessaire de contrecarrer directement la Cour constitutionnelle allemande. Il est possible de le faire en changeant les traités européens afin de modifier le mandat de la BCE, en lui confiant comme mission première la croissance. L’Allemagne, elle, peut changer sa Constitution pour affirmer la supériorité en toutes circonstances des normes européennes et la prééminence absolue de la CJUE. En 2021, il y aura de nouvelles élections en Allemagne et les Verts pourraient faire partie d’un gouvernement avec la CDU : ça devrait être l’une de leurs revendications.

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Mutualisation des dettes: l'Allemagne très écocentrique

Sat, 05/16/2020 - 17:09

La Cour constitutionnelle allemande veut-elle la peau de l’euro et de l’Union européenne ? En effet, son arrêt du 5 mai, marqué du sceau d’un souverainisme obtus, sape le pilier sur lequel repose l’Union, la supériorité du droit européen sur les droits nationaux, et met en doute la légalité du rachat des dettes publiques par la Banque centrale européenne (BCE) qui a soutenu la croissance.

Ce faisant, les juges de Karlsruhe ont provoqué un tsunami qui menace les fondations d’une Union déjà fortement meurtrie par la crise du coronavirus. Si l’Allemagne se désengage d’une aventure européenne perçue par la Cour constitutionnelle comme une menace pour les intérêts allemands, l’UE et donc l’euro n’y survivraient pas, sa solidarité financière étant indispensable pour espérer surmonter la profonde récession qui s’annonce.

Car les conséquences économiques du «Grand Confinement»,comme l’appelle désormais le Fonds monétaire international, en référence à la Grande Dépression de 1929, vont être terrifiantes. Alors qu’en novembre, Bruxelles anticipait une croissance de 1,1 % en 2020 dans la zone euro, c’est désormais une récession historique qui va s’abattre sur le continent (7,4 % dans l’UE et 7,7 % dans la zone euro). La BCE, elle, n’exclut pas un recul de l’activité pouvant atteindre 12 %. Du jamais-vu en période de paix.

Intenable

Or, pour faire face à cette crise, les Etats se sont déjà fortement endettés et vont devoir le faire davantage dans les années qui viennent. Le risque ? Que ceux qui sont en moins bonne santé financière, le Sud, pour le dire clairement (Italie, Espagne, Portugal, Grèce, mais aussi France), ne puissent faire face aux dépenses de reconstruction, ce qui accroîtra les écarts de compétitivité entre les pays. A terme, cela rendra intenable la survie de la monnaie unique et du marché intérieur, ceux-ci supposant une convergence économique et non un accroissement des divergences. Sans compter que les populistes pourront tirer argument de l’absence de solidarité pour se hisser au pouvoir et ensuite quitter l’Union.

C’est pour cela que la France, soutenue par une dizaine de pays (et pas seulement du Sud), a proposé de créer un «fonds de relance» doté de 1 000 à 1 500 milliards d’euros qui serait alimenté par des emprunts émis par la Commission avec la garantie commune des Vingt-Sept, ce qui permettrait d’obtenir des taux d’intérêt défiant toute concurrence. Cet argent financerait des dépenses de reconstruction, mais aussi d’investissement, les Etats n’ayant pas les moyens d’être sur tous les fronts en même temps. Il s’agirait de subventions et non de prêts et la dette serait remboursée par le budget européen, c’est-à-dire au prorata non pas de ce qu’un pays a reçu, mais de sa richesse relative. Une vraie solidarité, donc.

Berlin s’y est d’abord opposé avant de bouger : l’idée d’un fonds de relance alimenté par de la dette est désormais acceptée, «mais à condition qu’il soit logé dans le budget communautaire», dit-on à Paris. «Mais pour l’instant, il n’y a pas d’accord sur son montant et sur le fait de savoir s’il doit s’agir de simples prêts, ce qui accroîtrait la dette des Etats, ou de subventions.» Or il y a urgence. A trop tergiverser, au risque de répéter les erreurs de la crise de 2008, ce sont à nouveau des pays comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce, le Portugal… et finalement, par effet de dominos, des pays réputés plus solides qui tomberont à tour de rôle. «Pour l’instant, l’édifice Europe semble tenir, prévient l’économiste Thomas Piketty. Mais tout le monde attend l’heure de vérité, celui de l’annonce du plan de relance que la Commission a été chargée de préparer» et qui doit être annoncé d’ici une quinzaine de jours.

Voie périlleuse

Et c’est là que l’arrêt de Karlsruhe tombe comme un boulet dans la soupe. En s’opposant à la véritable mutualisation des dettes que pratique de facto la BCE depuis 2015 en rachetant à tour de bras les bons d’Etat, les juges s’opposent aussi à l’idée même de la mutualisation des dettes générées par les futures dépenses dues à la crise du coronavirus. C’est ainsi que l’ont compris tous les opposants allemands à toute union de transfert. Résultat, Ursula von der Leyen, la présidente allemande de la Commission, pourrait hésiter à s’engager dans cette voie politiquement périlleuse. Tout comme Angela Merkel, contrainte de faire un choix, ce dont elle a horreur : soit elle affronte ses juges en soutenant la mutualisation des dettes, ce qui déclenchera une crise politique et institutionnelle interne, soit elle se couche en refusant toute solidarité, ce qui condamnerait l’Europe à terme…

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Lundi, la chancelière s’est logiquement montrée «inquiète» des effets destructeurs de cette «bombe juridique», comme la qualifie l’économiste de la banque d’investissement Berenberg Holger Schmieding. Autant dire que l’avenir de l’Europe se joue plus à Berlin et à Karlsruhe qu’à Bruxelles ou à Paris. C’est à l’Allemagne de répondre à une question simple : pour rebondir après la crise du coronavirus, vaut-il mieux une Union unie ou une Europe du chacun pour soi ?

Photo: Michael Kappeler | AFP | Getty Images

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Karlsruhe: les habits neufs du nationalisme allemand

Sat, 05/16/2020 - 17:02

Ironie de l’histoire : créée en 1949 pour préserver la démocratie de toute dérive nationaliste et impériale, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en jugeant, dans un arrêt du 5 mai, que son modèle est menacé par une construction européenne qui n’applique pas le droit allemand tel qu’elle l’interprète, en arrive à promouvoir une vision nationaliste et impériale de l’Allemagne. En effet, pour elle, soit l’Union se soumet au droit allemand, soit l’Allemagne doit la quitter et emprunter un chemin solitaire («Sonderweg»), celui-là même qui a amené au cataclysme des deux guerres mondiales.

La supériorité du droit européen contestée

L’arrêt a laissé toutes les capitales européennes interdites : jamais personne n’aurait imaginé qu’un tel coup vienne du pays qui a le plus profité de la construction communautaire. Car il ne faut pas s’y tromper : il s’agit d’un coup mortel puisque les juges allemands réfutent la supériorité du droit européen sur le droit national et celle de la Cour de justice européenne sur les tribunaux nationaux dans l’interprétation du droit européen. Or, il s’agit d’un pilier de l’Union sans lequel son unité se délitera. Il suffit d’imaginer ce qui se passerait en France si chaque région s’attribuait le pouvoir de décider de normes contraires à celles adoptées par le Parlement.

Pour les juges de Karlsruhe, le droit européen doit, pour s’appliquer dans leur pays, ne pas être en opposition avec les intérêts nationaux allemands tels qu’ils les interprètent. En l’occurrence, il s’agissait de juger de la légalité de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). Pour Karlsruhe, elle ne peut l’être que si elle est conforme aux intérêts des citoyens allemands, ce qui ne lui semble pas être le cas puisque les épargnants souffrent de ses rachats massifs d’obligations publiques qui ont amené les taux d’intérêt à zéro.

Comme elle ne peut pas empêcher la BCE de poursuivre sa politique, la Cour de Karlsruhe menace d’interdire à la Bundesbank d’y participer si le gouvernement allemand ne lui donne pas d’explications suffisantes d’ici à trois mois. En une décision, les juges allemands ont donc contesté les deux seules institutions fédérales de l’Union, la CJE et la BCE, ce qui menace l’Union d’un effondrement.

Allemagne impériale

La BCE a réagi sèchement dans un communiqué adopté à l’unanimité des dix-neuf gouverneurs des banques centrales, donc y compris Jens Weidmann, le président de la Buba : le seul juge qu’elle reconnaît est la CJE qui a jugé conforme au droit européen sa politique monétaire.

La Cour de Luxembourg a quant à elle rappelé que sans uniformité d’interprétation du droit européen, il n’y aurait plus d’Europe, d’où l’importance de ce principe. Il s’agit donc d’une déclaration de guerre sans merci qui débute, ces deux institutions rejetant l’ultimatum de Karlsruhe.

L’Allemagne ne s’est pas trompée sur la gravité de la situation : les médias, toutes tendances confondues, ont tiré à boulets rouges sur Karlsruhe, ce qui est extrêmement rare, tout comme les principaux responsables des partis de gouvernement à l’image de Wolfgang Schäuble, le président du Bundestag et ancien ministre des Finances.

La présidente allemande de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, envisage même de poursuivre l’Allemagne devant la CJE pour violation des traités européens… Chacun a bien conscience que l’Europe allemande souhaitée par les juges de Karlsruhe n’a aucune chance de se réaliser et qu’une Allemagne poussant l’Europe dans le précipice comme elle l’a fait deux fois au siècle dernier se paierait d’un prix politique et économique insupportable. L’Allemagne a donc un énorme problème qu’elle va devoir régler seule.

N.B.: article paru le 10 mai

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Coronavirus: la récession sera historique

Fri, 05/15/2020 - 17:01

Grande dépression de 1929 aux Etats-Unis

La crise du coronavirus fait subir à l’Union européenne «un choc économique sans précédent depuis la grande dépression» de 1929, a expliqué le 6 mai l’Italien Paolo Gentiloni, le commissaire européen chargé des questions économiques. De fait, les prévisions économiques de printemps qu’il a dévoilées ressemblent à un cauchemar : une récession pour 2020 de -7,7% du PIB pour la zone euro (-7,4% pour l’UE), soit une contraction de 9 points par rapport à ce qu’elle avait anticipé avant la mise en place des politiques de confinement.

Il s’agit de prévisions à prendre avec de grandes pincettes comme le reconnaît la Commission, car leur «degré d’incertitude» est «plus élevé que d’habitude». «Si la pandémie devait se révéler plus grave et plus longue», le PIB «pourrait enregistrer une baisse bien plus forte» et «provoquer des dégâts irréparables en entraînant des faillites et une dégradation durable du marché du travail». La Banque centrale européenne (BCE) a d’ailleurs estimé, le 30 avril, que la récession pourrait être comprise entre 5 et… 12% du PIB.

Sans surprise, les pays qui vont payer le plus lourd tribut sont ceux qui ont le plus durement confiné leur population : Italie (-9,5%), Espagne (-9,4%), France (-8,2%). Ceux qui ont été plus souples s’en sortent un peu mieux : Pologne (-4,3%), Autriche (-5,5%), Suède (-6,1%), Allemagne (-6,5%), Pays-Bas et Portugal (-6,8%). Le Royaume-Uni, qui fait encore partie du marché intérieur, enregistre, lui, un recul de l’activité de 8,3 %.

La dette publique de la France et de la zone euro au-delà des 100%

Cette récession historique va entraîner de «graves conséquences sur le marché du travail», notamment dans les pays qui comptent de nombreux travailleurs en CDD ou dépendants fortement du tourisme. Le taux de chômage va ainsi passer de 7,5% en 2019 à 9,6% dans la zone euro (de 6,7% à 9% dans l’UE). En France, il augmentera de 8,5% à plus de 10%, ce qui efface tous les gains enregistrés depuis 2016. L’Allemagne, par comparaison, souffrira infiniment moins, son chômage étant déjà historiquement bas (de 3,2% à 4%).

Les comptes publics, sous l’effet des plans lancés pour offrir un filet de sécurité aux économies touchées, vont fortement se dégrader. Le déficit de la zone euro va exploser en passant de -0,6% du PIB en 2019 à -8,5 %. Les records sont enregistrés par les pays à confinement total, qui ont dû déployer les grands moyens : Italie (-11,1%), Espagne (-10,1%), France (-9,9%). L’Allemagne, elle, passe d’un excédent public de +1,4% à un déficit de -7%.

Conséquence : la dette publique de la zone euro explose à 102,7%, contre 86% l’année dernière. La France franchit allègrement la barre des 100% d’endettement (116,5%) alors que celle de l’Allemagne reste contenue à 75,6% (contre 59,8% en 2019). L’Hexagone rejoint ainsi le club des pays les plus endettés avec la Grèce (196,4%), l’Italie (158,9%), le Portugal (131,6%), l’Espagne (115,6%), Chypre (115,7%) et la Belgique (113,8%). Autant dire que la France a clairement basculé, à l’issue de cette crise, dans le camp des pays du Sud, alors que jusque-là elle avait réussi à se maintenir sur la ligne de crête.

Pour l’année prochaine, la Commission européenne se montre particulièrement optimiste en pariant sur une courbe en V : dans ce scénario très rose, la croissance pourrait atteindre 6,3% dans la zone euro (7% en France), soit un rebond de 14 points. Mais encore faudrait-il qu’il n’y ait pas de «seconde vague» de la pandémie et pas de nouveau confinement, que les consommateurs consomment, que les faillites soient contenues, que l’activité reparte vite et fort… Il n’est pas interdit de rêver.

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La Cour constitutionnelle allemande s'érige en juge de la BCE

Mon, 05/11/2020 - 20:16

La Cour constitutionnelle allemande (Bundesverfassungsgericht) de Karlsruhe, c’est le rigide Fernand Naudin des « tontons flingueurs » qui colle un « bourre pif » dans la tronche de Raoul Volfoni « en pleine paix ». Mardi, les juges allemands ont, en effet, rendu un arrêt d’une brutalité inouïe qui remet en cause tant le droit de la Banque centrale européenne (BCE) de racheter de la dette publique des Etats que le principe de primauté du droit européen sur le droit national. Autant dire qu’ils ont pris le risque « d’éparpiller par petits bouts façon puzzle » l’euro et l’Union européenne, au moment même où elle est fragilisée par une récession sans précédent en temps de paix.

La Cour de Karlsruhe, notamment saisie par des membres de l’Alterniv für Deustschland (AfD, extrême-droite) et des économistes de droite, s’est prononcée, mardi 5 mai, sur le programme PSPP, l’assouplissement quantitatif européen (ou « quantitative easing » en anglais, QE) lancé en mars 2015 par l’institution d’émission de Francfort face aux risques déflationnistes qui menaçaient alors la zone euro. Lors de sa suspension, en décembre 2018, la BCE détenait dans ses coffres 2600 milliards d’euros d’obligations. Ce programme a été réactivé en novembre dernier, l’inflation restant toujours à un niveau très inférieur à son objectif de politique monétaire de 2 %. Depuis le début de la crise du coronavirus, un nouveau programme de rachats de dettes d’État (PEPP, programme d’urgence contre la pandémie) a été lancé à hauteur de 750 milliards d’euros afin de soutenir les pays les plus touchés.

Faucons

Il faut bien voir que toutes les interventions de la BCE depuis 2010, date du début de la crise de la zone euro, ont été vertement critiquées par les monétaristes allemands qui dominent la scène économique et politique outre Rhin depuis 1949. A chaque fois que l’institution d’émission s’est éloignée de l’héritage de la Bundesbank, l’opposition a été violente : en dix ans, deux membres allemands du directoire de la BCE et un président de la Buba ont démissionné et le patron de la banque centrale allemande a voté contre toutes les interventions de la BCE sur le marché de la dette publique… Pourquoi ? Parce que pour les monétaristes allemands, cela revient à financer, même indirectement, les Etats et donc à interférer dans la politique budgétaire : si un gouvernement est certain qu’il obtiendra de bas taux d’intérêt grâce à l’action de la BCE, il ne mènera pas une politique budgétaire saine puisqu’il sera certain de toujours pouvoir se financer. Et, comble de l’horreur, cela alimentera l’inflation, alors que l’objectif de la Banque centrale est de maintenir la stabilité des prix.

Karlsruhe, saisi de la légalité du PSPP, a demandé son avis à la Cour de justice européenne (CJE). Rien de plus normal, puisque c’est le juge suprême de la bonne application du droit communautaire, celui qui assure que son interprétation est bien la même dans l’ensemble des États membres. Cette demande est d’autant plus impérative que la politique monétaire est l’une des rares compétences exclusives de l’Union. Le 11 décembre 2018, les juges du Luxembourg ont jugé sans surprise que le PSPP était conforme au droit de l’Union et n’enfreignait pas l’interdiction du financement monétaire des États prévu par l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’UE. La CJE, consciente que ce n’est pas à des juristes de juger de l’adéquation d’une politique monétaire, s’est contentée d’un contrôle extrêmement léger, celui de l’erreur manifeste d’appréciation, c’est-à-dire d’une erreur particulièrement grossière qu’aurait pu commettre la BCE.

Méprisant

Normalement, Karlsruhe aurait dû prendre acte de l’arrêt de la CJE. Ce qu’elle a refusé de faire sur un ton méprisant, jugeant sa décision « incompréhensible » ! Elle estime donc qu’il lui revient de contrôler elle-même la légalité au regard du droit européen et de son droit national des décisions de la BCE. Il faut bien mesurer la gravité de cette décision : les autres Cours suprêmes de l’Union reconnaissant la supériorité de la CJE, cela signifie que les juges allemands, qui ont toujours détesté l’Europe, s’érigent en Cour suprême de l’Union, ce qui est politiquement et juridiquement inacceptable par les autres États membres. En réalité, c’est toute l’architecture européenne qui est menacée : si les tribunaux nationaux s’alignent sur Karlsruhe et décident à chaque fois si les décisions de la CJE leur conviennent ou pas, il n’y aura plus aucune unité d’interprétation du droit européen et cela signera la fin de la construction communautaire. C’est pour cela que la Commission a immédiatement rappelé le principe de primauté du droit européen et le caractère contraignant des arrêts de la CJE.

Bien entendu, Karlsruhe ne s’attaque pas directement à la BCE. Elle exige que le gouvernement allemand lui demande, dans les 3 mois, des explications pour qu’elle démontre qu’elle n’a pas confondu politique monétaire et politique économique et budgétaire, une distinction qui n’a pourtant guère de sens, et qu’elle a bien mesuré les effets de ses décisions. Karlsruhe soupçonne la BCE, et c’est proprement hallucinant, d’avoir « inconditionnellement » cherché à maintenir la stabilité des prix « en ignorant ses effets sur la politique économique », « l’épargne privée (ayant) subie des pertes considérables ». Autrement dit, la question n’est plus l’inflation, pourtant une obsession allemande qui est inscrite dans les traités européens, mais la ruine des épargnants…

Piège de loyauté

Si Karlsruhe n’est pas convaincue par les explications de la BCE, alors elle menace de donner l’ordre à la Bundesbank de ne plus acheter, pour le compte de la BCE, des obligations publiques allemandes (25 % des achats) et elle devra se séparer de celles qu’elle détient. Certes, les autres banques centrales nationales pourront se substituer à elle, mais la crédibilité de l’action de la BCE sera minée. Surtout, les Allemands resteront comptables du bilan de la BCE tant que l’euro existera.

La BCE, mais aussi la Bundesbank, sont dans un piège de loyauté redoutable : si la BCE répond, elle reconnait la légitimité de Karlsruhe et met fin à la suprématie de la CJE, son juge naturel. Si la Bundesbank se plie à la décision de Karlsruhe, elle viole ses obligations européennes. Bref, une poignée de juges allemands pourraient bien avoir réussi là où tous les europhobes ont jusque-là échoué : par juridisme rigide et incompétence économique, avoir eu la peau de l’euro et de l’Union.

Voici une traduction du résumé en anglais publié par la Cour constitutionnelle allemande sur son site:

Dans son jugement prononcé aujourd’hui, le deuxième Sénat de la Cour constitutionnelle fédérale a fait droit à plusieurs plaintes constitutionnelles dirigées contre le Programme d’achat du secteur public (PSPP) de la Banque centrale européenne (BCE). La Cour a estimé que le gouvernement fédéral et le Bundestag allemand avaient violé les droits des plaignants en vertu de l’article 2 de la Constitution européenne. 38, paragraphe 1, première phrase, en liaison avec l’art. 20(1) et (2), et de l’art. 79, paragraphe 3, de la Loi fondamentale (Grundgesetz - GG) en ne prenant pas de mesures pour contester le fait que la BCE, dans ses décisions relatives à l’adoption et à la mise en œuvre du PSPP, n’a ni évalué ni justifié que les mesures prévues dans ces décisions satisfont au principe de proportionnalité. Dans son arrêt du 11 décembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a adopté une position différente en réponse à la demande de décision préjudicielle de la Cour constitutionnelle fédérale ; toutefois, cela ne mérite pas une conclusion différente dans la présente procédure. L’examen entrepris par la CJUE pour déterminer si les décisions de la BCE sur le PSPP satisfont au principe de proportionnalité n’est pas compréhensible ; dans cette mesure, l’arrêt a donc été rendu ultra vires. En ce qui concerne la contestation des plaignants selon laquelle le PSPP contourne effectivement l’art. 123 TFUE, la Cour constitutionnelle fédérale n’a pas conclu à une violation de l’interdiction du financement monétaire des budgets des États membres. La décision publiée aujourd’hui ne concerne aucune mesure d’assistance financière prise par l’Union européenne ou la BCE dans le cadre de la crise actuelle du coronavirus.

I. A la lumière de l’Art. 119 et de l’art. 127 et suivants TFUE ainsi que de l’art. 17 et suivants du TFUE. des statuts du SEBC, la décision du Conseil des gouverneurs de la BCE du 4 mars 2015 (UE) 2015/774 et les décisions ultérieures (UE) 2015/2101, (UE) 2015/2464, (UE) 2016/702 et (UE) 2017/100 doivent être qualifiées d’actes ultra vires, malgré l’arrêt contraire de la CJUE.

1. Alors que la Cour constitutionnelle fédérale doit examiner les recours ultra vires fondés concernant les actes des institutions, organes et organismes de l’Union européenne, les traités confèrent à la CJUE le mandat d’interpréter et d’appliquer les traités et d’assurer l’uniformité et la cohérence du droit de l’UE (cf. art. 19(1), alinéa 2 TUE, art. 267 TFUE). Selon la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle fédérale, il est impératif que les mandats juridictionnels respectifs soient exercés de manière coordonnée (Décisions de la Cour constitutionnelle fédérale, Entscheidungen des Bundesverfassungsgericht - BVerfGE 126, 286 <302 et suivants ; 134, 366 <382 et suivants, par. 22 et suivants). > ; 142, 123 <198 et suiv. par. 143 et suiv. ; Cour constitutionnelle fédérale, arrêt du deuxième Sénat du 30 juillet 2019 - 2 BvR 1685/14, 2 BvR 2631/14 -, par. 140 et suivants). Si un État membre pouvait facilement invoquer l’autorité pour décider, par l’intermédiaire de ses propres tribunaux, de la validité des actes de l’UE, cela pourrait porter atteinte à la priorité d’application accordée au droit de l’UE et compromettre son application uniforme. Pourtant, si les États membres s’abstenaient complètement de procéder à tout type de contrôle ultra vires, ils accorderaient aux organes de l’UE une compétence exclusive sur les traités même dans les cas où l’UE adopte une interprétation juridique qui équivaudrait essentiellement à une modification du traité ou à un élargissement de ses compétences. Bien que les cas où les institutions de l’UE dépassent leurs compétences soient exceptionnellement possibles, il faut s’attendre à ce que ces cas restent rares en raison des garanties institutionnelles et procédurales inscrites dans le droit de l’UE. Néanmoins, lorsqu’ils se produisent, la perspective constitutionnelle pourrait ne pas correspondre parfaitement à la perspective du droit de l’UE étant donné que, même en vertu du traité de Lisbonne, les États membres restent les «maîtres des traités» et que l’UE n’a pas évolué vers un État fédéral (cf. BVerfGE 123, 267 <370 et 371>). En principe, certaines tensions sont donc inhérentes à la conception de l’Union européenne ; elles doivent être résolues de manière coopérative, conformément à l’esprit de l’intégration européenne, et atténuées par le respect et la compréhension mutuels. Cela reflète la nature de l’Union européenne, qui est fondée sur la coopération à plusieurs niveaux d’États souverains, de constitutions, d’administrations et de tribunaux (Staaten-, Verfassungs-, Verwaltungs- und Rechtsprechungsverbund) (BVerfGE 140, 317 <338 par. 44).

L’interprétation et l’application du droit communautaire, y compris la détermination des normes méthodologiques applicables, incombent principalement à la CJUE, qui, dans l’art. 19, paragraphe 1, deuxième phrase, du TUE, est appelée à veiller au respect du droit lors de l’interprétation et de l’application des traités. Les normes méthodologiques reconnues par la CJUE pour le développement judiciaire du droit se fondent sur les traditions juridiques (constitutionnelles) communes aux États membres (cf. également l’article 19, paragraphe 1, deuxième phrase, du TUE). 6, paragraphe 3, TUE, art. 340(2) TFUE), qui se reflètent notamment dans la jurisprudence des cours constitutionnelles et suprêmes des États membres et de la Cour européenne des droits de l’homme. L’application de ces méthodes et principes par la CJUE ne peut et ne doit pas nécessairement correspondre entièrement à la pratique des tribunaux nationaux ; cependant, la CJUE ne peut pas non plus simplement ignorer cette pratique. Les particularités du droit communautaire donnent lieu à des différences considérables en ce qui concerne l’importance et le poids accordés aux différents moyens d’interprétation. Toutefois, le mandat conféré par l’art. 19, paragraphe 1, deuxième phrase, du TUE est dépassé lorsque les méthodes d’interprétation européennes traditionnelles ou, plus largement, les principes juridiques généraux communs aux droits des États membres sont manifestement méconnus. Dans ce contexte, il n’appartient pas à la Cour constitutionnelle fédérale de remplacer l’interprétation de la CJUE par la sienne lorsqu’elle est confrontée à des questions d’interprétation du droit communautaire, même si l’application d’une méthodologie acceptée, dans les limites établies du débat juridique, permettrait de prendre en compte des points de vue différents (BVerfGE 126, 286 <307>). Au contraire, tant que la CJUE applique des principes méthodologiques reconnus et que la décision qu’elle rend n’est pas arbitraire d’un point de vue objectif, la Cour constitutionnelle fédérale doit respecter la décision de la CJUE même lorsqu’elle adopte un point de vue contre lequel des arguments de poids pourraient être présentés.

2. Dans son arrêt du 11 décembre 2018, la CJUE a estimé que la décision du Conseil des gouverneurs de la BCE sur le PSPP et ses modifications ultérieures relevaient toujours des compétences de la BCE. Ce point de vue ne tient manifestement pas compte de l’importance et de la portée du principe de proportionnalité (article 5, paragraphe 1, deuxième phrase, et article 5, paragraphe 1, troisième phrase). 5(4) TUE) - qui s’applique à la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États membres - et est tout simplement intenable d’un point de vue méthodologique, étant donné qu’il ignore complètement les effets réels du programme sur la politique économique.

L’approche de la CJUE, qui consiste à ne pas tenir compte des effets réels du PSPP dans son évaluation de la proportionnalité du programme et à s’abstenir de procéder à une évaluation et à une appréciation globales à cet égard, ne répond pas aux exigences d’un examen compréhensible visant à déterminer si le Système européen de banques centrales (SEBC) et la BCE respectent les limites de leur mandat de politique monétaire. Appliqué de cette manière, le principe de proportionnalité (article 5, paragraphe 1, deuxième phrase, et article 5, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive sur les services financiers) s’applique. 5, paragraphe 4, du traité UE) ne peut pas remplir sa fonction corrective aux fins de la sauvegarde des compétences des États membres, ce qui rend inopérant le principe d’attribution (article 5, paragraphe 1, première phrase, et article 5, paragraphe 4, du traité UE). 5, PARAGRAPHE 2, DU TUE).

En outre, en ignorant complètement tous les effets de politique économique découlant du programme, l’arrêt du 11 décembre 2018 contredit l’approche méthodologique adoptée par la CJUE dans pratiquement tous les autres domaines du droit de l’UE. Il ne donne pas effet à la fonction du principe d’attribution en tant que déterminant essentiel de la répartition des compétences, ni aux conséquences méthodologiques que cela entraîne pour le contrôle du respect de ce principe.

3. Par conséquent, l’interprétation du principe de proportionnalité entreprise par la CJUE, et la détermination du mandat du SEBC qui en découle, dépassent le mandat judiciaire conféré à la CJUE dans l’art. 19, paragraphe 1, deuxième phrase, du traité UE. Avec la retenue qu’elle s’impose, la CJUE limite son contrôle juridictionnel à la question de savoir s’il y a une erreur d’appréciation «manifeste» de la part de la BCE, si le PPFP va «manifestement» au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre son objectif, et si ses inconvénients sont «manifestement» disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis. Cette norme d’examen n’est nullement de nature à restreindre le champ des compétences conférées à la BCE, qui sont limitées à la politique monétaire. Au contraire, elle permet à la BCE d’étendre progressivement ses compétences de sa propre autorité ; à tout le moins, elle exempte largement ou complètement de tout contrôle juridictionnel les actions de la BCE. Cependant, pour sauvegarder le principe de la démocratie et maintenir les bases juridiques de l’Union européenne, il est impératif de respecter la répartition des compétences.

II. À la lumière des considérations susmentionnées, la Cour constitutionnelle fédérale n’est pas liée par la décision de la CJUE mais doit procéder à son propre examen pour déterminer si les décisions de l’Eurosystème relatives à l’adoption et à la mise en œuvre du PSPP restent dans les limites des compétences qui lui sont conférées en vertu du droit primaire de l’UE. Ces décisions ne tenant pas suffisamment compte de la proportionnalité, elles constituent un dépassement des compétences de la BCE.

Un programme d’achat d’obligations d’État, tel que le PSPP, qui a des effets importants sur la politique économique, exige que l’objectif de politique monétaire et les effets de politique économique du programme soient identifiés, pondérés et équilibrés les uns par rapport aux autres. En poursuivant inconditionnellement l’objectif de politique monétaire du PSPP - atteindre des taux d’inflation inférieurs à, mais proches de 2 % - tout en ignorant ses effets sur la politique économique, la BCE fait manifestement fi du principe de proportionnalité.

Dans les décisions en question, la BCE ne parvient pas à réaliser l’équilibre nécessaire entre l’objectif de politique monétaire et les effets de politique économique découlant du programme. Par conséquent, les décisions en question violent l’article 2, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1073/1999. 5, paragraphe 1, deuxième phrase, et de l’art. 5, paragraphe 4, du traité UE et, par conséquent, dépassent le mandat de politique monétaire de la BCE.

Les décisions en question affirment simplement que l’objectif d’inflation de niveaux inférieurs à, mais proches de 2 %, visé par la BCE n’a pas encore été atteint et que des moyens moins intrusifs ne sont pas disponibles. Elles ne contiennent ni un pronostic quant aux effets du PSPP sur la politique économique ni une évaluation de la proportionnalité de ces effets par rapport aux avantages escomptés dans le domaine de la politique monétaire. Il n’est pas possible de déterminer si le conseil des gouverneurs de la BCE a effectivement examiné et équilibré les effets inhérents et les conséquences directes du PSPP, car ces effets résultent invariablement du volume du programme, qui s’élève à plus de deux mille milliards d’euros, et de sa durée, qui dépasse maintenant trois ans. Étant donné que les effets négatifs du PSPP augmentent au fur et à mesure que son volume augmente et qu’il se prolonge, une durée de programme plus longue donne lieu à des exigences plus strictes quant à la nécessaire mise en balance des intérêts.

Le PSPP améliore les conditions de refinancement des États membres car il leur permet d’obtenir des financements sur les marchés des capitaux à des conditions nettement meilleures que ce ne serait le cas autrement ; il a donc un impact significatif sur les conditions de politique fiscale dans lesquelles les États membres opèrent. En particulier, le PSPP pourrait avoir les mêmes effets que les instruments d’assistance financière prévus à l’article 2, paragraphe 1, de la directive. 12 et suivants. du traité sur la gestion des finances publiques. Le volume et la durée du PSPP peuvent rendre les effets du programme disproportionnés, même lorsque ces effets sont initialement conformes au droit primaire. Le PSPP affecte également le secteur bancaire commercial en transférant de grandes quantités d’obligations d’État à haut risque dans les bilans de l’Eurosystème, ce qui améliore sensiblement la situation économique des banques concernées et augmente leur notation de crédit. Les effets de politique économique du PSPP comprennent en outre son impact économique et social sur pratiquement tous les citoyens, qui sont au moins indirectement touchés, entre autres en tant qu’actionnaires, locataires, propriétaires de biens immobiliers, épargnants ou détenteurs de polices d’assurance. Par exemple, l’épargne privée subit des pertes considérables. En outre, comme le PSPP fait baisser les taux d’intérêt généraux, il permet à des entreprises non viables économiquement de rester sur le marché. Enfin, plus le programme se prolonge et plus son volume total augmente, plus le risque est grand que l’Eurosystème devienne dépendant de la politique des États membres, car il ne peut plus simplement mettre fin au programme et le défaire sans mettre en péril la stabilité de l’union monétaire.

Il aurait incombé à la BCE de peser ces effets et d’autres effets considérables de politique économique et de les mettre en balance, sur la base de considérations de proportionnalité, avec les contributions positives attendues pour atteindre l’objectif de politique monétaire que la BCE elle-même a fixé. Il n’est pas possible de vérifier si un tel équilibre a été réalisé, ni lors du lancement du programme ni à aucun moment de sa mise en œuvre. À moins que la BCE ne fournisse des documents démontrant qu’un tel équilibrage a eu lieu, et sous quelle forme, il n’est pas possible d’effectuer un contrôle judiciaire efficace pour savoir si la BCE est restée dans le cadre de son mandat.

III. La Cour constitutionnelle fédérale ne peut actuellement pas déterminer avec certitude si le gouvernement fédéral et le Bundestag ont effectivement violé leur responsabilité à l’égard de l’intégration européenne (Integrationsverantwortung) en ne plaidant pas activement en faveur de la suppression du PSPP. Cette détermination dépend de l’évaluation de la proportionnalité par le Conseil des gouverneurs de la BCE, qui doit être étayée par des raisons compréhensibles. En l’absence d’une telle évaluation, il n’est pas possible de prendre une décision concluante quant à la compatibilité du PSPP, en substance, avec l’art. 127(1) TFUE.

IV. Dans la mesure où la CJUE conclut, dans son arrêt du 11 décembre 2018, que le PSPP ne viole pas l’art. 123(1) TFUE, la manière dont elle applique les «garanties» développées dans son arrêt Gauweiler soulève des préoccupations considérables car elle ne soumet pas ces «garanties» à un examen plus approfondi et ne les soumet pas non plus à des contre-indications. Néanmoins, la Cour constitutionnelle fédérale accepte les conclusions de la CJUE comme étant contraignantes à cet égard, étant donné la possibilité réelle que la BCE ait respecté les «garanties» énoncées par la CJUE, ce qui signifie que, pour l’instant, une violation manifeste de l’article 123, paragraphe 1, du TFUE n’a pas été constatée. 123, paragraphe 1, du TFUE n’est pas vérifiable.

L’approche adoptée par la CJUE peut rendre certaines de ces «garanties» largement inefficaces dans la pratique ; c’est le cas, par exemple, de l’interdiction des annonces préalables, de la période d’interdiction, de la détention d’obligations jusqu’à l’échéance et de l’obligation de décider d’une stratégie de sortie. Néanmoins, la question de savoir si un programme tel que le PSPP contourne manifestement l’interdiction de l’art. 123(1) TFUE ne dépend pas d’un seul critère ; elle exige plutôt une évaluation et une appréciation globales des circonstances pertinentes. En fin de compte, un contournement manifeste de l’interdiction de financement monétaire n’est pas vérifiable, notamment parce que :

- le volume des achats est limité dès le départ ;

- seules des informations agrégées sur les achats effectués par l’Eurosystème sont publiées ;

- la limite d’achat de 33 % par numéro international d’identification des titres (ISIN) est respectée ;

- les achats sont effectués conformément à la clé de répartition du capital de la BCE ;

- les obligations des autorités publiques ne peuvent être achetées que si l’émetteur dispose d’une évaluation minimale de la qualité du crédit qui lui donne accès aux marchés obligataires ; et

- les achats doivent être limités ou interrompus, et les titres achetés vendus sur les marchés, si la poursuite de l’intervention sur les marchés n’est plus nécessaire pour atteindre l’objectif d’inflation.

V. Il n’est pas possible de déterminer si le PSPP viole l’identité constitutionnelle de la Loi fondamentale en général ou la responsabilité budgétaire globale du Bundestag allemand en particulier. Compte tenu du volume des achats d’obligations dans le cadre du PSPP, qui s’élève à plus de deux mille milliards d’euros, un régime de partage des risques entre la BCE et les banques centrales nationales, du moins s’il était soumis à des modifications (rétroactives), affecterait les limites fixées par la responsabilité budgétaire globale du Bundestag allemand, telle que reconnue par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale, et serait incompatible avec l’article 2 de la Loi fondamentale. 79(3) GG. Toutefois, le PSPP ne prévoit pas un tel régime de partage des risques - qui serait également inadmissible en vertu du droit primaire - en ce qui concerne les obligations des États membres achetées par les banques centrales nationales.

VI. En raison de leur responsabilité à l’égard de l’intégration européenne (Integrationsverantwortung), le gouvernement fédéral et le Bundestag allemand ont le devoir de prendre des mesures actives contre le PSPP dans sa forme actuelle.

1. En cas de dépassement manifeste et structurellement significatif des compétences des institutions, organes et organismes de l’Union européenne, les organes constitutionnels doivent, dans le cadre de leurs compétences et des moyens dont ils disposent, prendre activement des mesures visant à assurer l’adhésion au programme d’intégration européenne (Integrationsprogramm) et le respect de ses limites, oeuvrer à l’annulation des actes non couverts par le programme d’intégration et - tant que ces actes continuent à produire leurs effets - prendre des mesures appropriées pour limiter autant que possible l’impact interne de ces actes.

2. Concrètement, cela signifie que le gouvernement fédéral et le Bundestag sont tenus, en vertu de leur responsabilité à l’égard de l’intégration européenne (Integrationsverantwortung), de prendre des mesures visant à ce que la BCE procède à une évaluation de la proportionnalité. Cela s’applique en conséquence aux réinvestissements dans le cadre du PSPP qui ont débuté le 1er janvier 2019 et au redémarrage du programme à partir du 1er novembre 2019. À cet égard, le gouvernement fédéral et le Bundestag ont également le devoir de continuer à surveiller les décisions de l’Eurosystème concernant les achats d’obligations d’État dans le cadre du PSPP et d’utiliser les moyens à leur disposition pour garantir que le SEBC reste dans les limites de son mandat.

Les organes constitutionnels, les autorités administratives et les tribunaux allemands ne peuvent participer ni à l’élaboration ni à la mise en œuvre, à l’exécution ou à l’opérationnalisation des lois ultra vires. Après une période transitoire de trois mois au maximum permettant la coordination nécessaire avec l’Eurosystème, la Bundesbank ne peut donc plus participer à la mise en œuvre et à l’exécution des décisions de la BCE en question, à moins que le conseil des gouverneurs de la BCE n’adopte une nouvelle décision démontrant de manière compréhensible et motivée que les objectifs de politique monétaire poursuivis par le PSPP ne sont pas disproportionnés par rapport aux effets de politique économique et budgétaire résultant du programme. À la même condition, la Bundesbank doit veiller à ce que les obligations déjà achetées et détenues dans son portefeuille soient vendues sur la base d’une stratégie - éventuellement à long terme - coordonnée avec l’Eurosystème.

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9 mai 1950 : un blitzkrieg pour lancer la construction européenne

Sat, 05/09/2020 - 12:09

Les journalistes se pressent au Quai d’Orsay, en ce 9 mai 1950, pour assister à une conférence de presse de Robert Schuman. La routine, pensent-ils, puisqu’on est à la veille de la conférence de Londres au cours de laquelle les Alliés occidentaux doivent à nouveau discuter de l’avenir d’une Allemagne vaincue qui a recouvré sa personnalité juridique et une souveraineté limitée l’année précédente. Et là, ils tombent de leur chaise lorsque le ministre des Affaires étrangères, dans une déclaration lue d’une voix monocorde, annonce l’inimaginable, la réconciliation entre la France et l’Allemagne dans le cadre d’une Europe unie afin d’écarter à tout jamais le risque d’une troisième guerre mondiale.

«Cinq ans presque jour pour jour après la capitulation sans condition de l’Allemagne, la France accomplit le premier acte décisif de la construction européenne et y associe l’Allemagne» ; «l’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre», rappelle-t-il. Elle se fera très concrètement dans un premier temps autour du charbon (le «pain» de l’industrie) et de l’acier, deux ressources indispensables pour fabriquer des armes dont la gestion sera confiée à une autorité supranationale. Le ministre démocrate-chrétien (RMP) livre ensuite la méthode de la construction communautaire qu’il envisage, celle du pas à pas : «L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait.»

Secret

C’est seulement le matin même, lors du Conseil des ministres, que le gouvernement présidé par le très atlantiste Georges Bidault (il fut un partisan acharné d’un démembrement de l’Allemagne) a été mis au courant des détails du projet concocté dans le plus grand secret par Robert Schuman et le commissaire au Plan, Jean Monnet. La discussion est agitée, Bidault et plusieurs ministres manifestement leurs réticences à tout abandon de la souveraineté française. Mais grâce aux plaidoyers du ministre de la Justice, René Mayer, et de son collègue de la Défense, René Pleven, deux fervents européens, le Conseil des ministres donne finalement son accord.

Muni de ce blanc-seing, Schuman se précipite au Quai pour rendre public son projet, sans passer par la voie diplomatique. Il a cependant pris garde d’avertir le matin même le nouveau chancelier allemand, Konrad Adenauer, sans qui rien ne sera possible. L’homme, qui veut que son pays retrouve le plus vite possible sa place dans le concert des nations, accepte immédiatement le projet.

Schuman, fin politique, sait qu’il va coaliser contre lui les souverainistes, les gaullistes du RPF, les communistes, les atlantistes, les industriels, les maîtres des forges, etc. Il faut donc passer par-dessus leurs têtes et s’adresser directement aux opinions publiques. Pour éviter toute fuite qui aurait permis aux oppositions de s’organiser, il a imposé le secret sur son plan, n’impliquant ni les diplomates du Quai, qui lui en gardèrent une dent, ni aucun des ministères techniques.

Intuition

C’est en avril 1950 que Jean Monnet a présenté un projet de communauté économique du charbon et de l’acier (CECA) à un Schuman, alors à la recherche d’une solution durable à la question allemande. On peut la résumer ainsi : comment mettre l’Allemagne hors d’état de nuire, alors que les Etats-Unis poussent à son réarmement pour faire face à l’URSS, d’une façon acceptable par elle ? L’Europe est la réponse évidente que lui fournit Monnet : une organisation où Bonn serait traité à égalité avec Paris et où les sacrifices de souveraineté seraient partagés. L’intuition était la même de l’autre côté du Rhin : Adenauer propose ainsi en mars 1950 la création d’une union franco-allemande…

Le projet Monnet n’est au départ qu’un plan d’experts qui aurait pu terminer dans un tiroir, mais il tombe au bon moment. Mais il est tellement explosif, cinq ans après la fin d’un conflit qui a vu l’humiliation de la France par l’Allemagne, qu’il ne pourra s’imposer que contre les partis et les forces économiques, d’où le «blitzkrieg» mené par Schuman. Tout va ensuite très vite : dès juin les négociations débutent entre six pays européens (Allemagne, France, Italie, Benelux) et le traité créant la CECA est signé le 18 avril 1951, traité ratifié en France le 13 décembre 1951 malgré l’opposition des communistes et des gaullistes. Depuis soixante-dix ans, rien n’a arrêté le train européen.

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Bruno Le Maire: sans mutualisation des dettes, la zone euro ne survivra pas

Thu, 05/07/2020 - 20:08

La crise du coronavirus va engendrer une crise économique « vertigineuse » qui va accroitre les divergences économiques entre le nord et le sud de l’Union, met en garde Bruno Le Maire, le ministre des Finances dans un entretien que j’ai réalisé la semaine dernière. Si les Vingt-sept ne parviennent pas à mutualiser la dette destinée à financer les dépenses de reconstruction, l’Union et la zone euro seront vouées à disparaître (entretien publié dans Libération du 4 mai).

Le 28 avril, l’agence de notation Fitch, a dégradé de BBB+ à BBB- la note de la dette publique italienne – qui va passer de 135,2% du PIB à 155,7% en raison de la crise du coronavirus. Elle n’est plus qu’à un cran de la catégorie des investissements «pourris» (junk bonds). Est-ce l’annonce d’une nouvelle crise de la dette au sein de la zone euro?

Non. Les écarts de taux d’intérêt («spread») entre les grands Etats européens restent réduits grâce à l’action de la Banque centrale européenne (BCE) qui a su apporter une réponse forte : le 19 mars, elle a annoncé qu’elle allait racheter pour au moins mille milliards d’euros d’obligations publiques et privées, ce qui a ramené le calme sur les marchés et permis aux pays de la zone euro de continuer à se financer à bas coût pour soutenir massivement leurs économies. L’euro a donc été un bouclier efficace : sans lui, plusieurs Etats touchés de plein fouet par la crise du coronavirus seraient aujourd’hui en grande difficulté.

En dégradant la dette italienne, Fitch n’indique-t-elle pas qu’il est impératif de mutualiser la dette générée par les dépenses de reconstruction dues à la crise du coronavirus afin d’éviter que les Etats les plus faibles ne soient coulés par une dette insupportable ?

Avant d’apporter des réponses, nous devons identifier les risques qui pèsent sur l’Union et sur l’euro. Le premier risque, c’est qu’au lendemain de la crise, les Etats qui en ont la capacité budgétaire, comme l’Allemagne, redémarrent très vite, et que d’autres redémarrent plus lentement, comme l’Italie ou l’Espagne. La zone euro ne survivrait pas à des divergences économiques croissantes. Nous devons au contraire aller vers davantage de convergence économique et de solidarité financière. Le second risque est que les Etats européens, faute de moyens budgétaires, sacrifient des investissements dans les très hautes technologies qui pourtant assureront la souveraineté européenne au XXIe siècle. Enfin, le troisième risque est que certaines nations se sentent délaissées par l’Europe, ce qui ouvrira un boulevard aux mouvements populistes. Pour parer à ces trois risques, nous avons proposé la création d’un «fonds de relance» abondé par de la dette commune. Ce fonds devrait avoir une ampleur suffisante, de l’ordre de 1 000 à 1 500 milliards d’euros. Nous ne proposons pas de mutualiser les dépenses du passé, mais de financer en commun les investissements du futur : la modernisation des systèmes de soins, le soutien aux secteurs industriels les plus touchés par la crise (tourisme, automobile et aéronautique) et le financement des technologies de rupture et des technologies vertes, comme l’hydrogène, le stockage de l’énergie ou l’intelligence artificielle. Le financement commun de ce fonds constituerait un geste fort de solidarité politique entre les Etats, le signal que personne ne sera laissé en arrière et que nous portons une ambition commune pour l’Europe.

La dette commune implique donc que chacun remboursera en fonction de sa richesse et non de ce qu’il a reçu ?

Mais c’est bien cela, la solidarité et la justice! Chacun aura les moyens d’investir, sous le contrôle de la Commission européenne, en fonction des coûts engendrés par la crise. Les remboursements seront étalés sur une très longue période, entre dix et trente ans, afin de ne pas peser sur les finances publiques des Etats ou grever le budget européen.

L’Espagne a proposé de créer une dette perpétuelle…

Il faut étudier toutes les idées. Et privilégier celles qui nous permettent de parvenir rapidement à un consensus. Le financement de la relance est un impératif absolu.

Lors du sommet du 23 avril, qui a acté le principe de la création de ce fonds de reconstruction, l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande ou encore les Pays-Bas ont refusé explicitement toute mutualisation de la dette…

Les esprits évoluent. Ce serait tout de même surprenant que les Etats se financent par la dette, mais que l’Union refuse de le faire. Pourquoi ce qui est bon pour les premiers serait mauvais pour la seconde ? Refuser tout partage du fardeau serait absurde économiquement et incompréhensible politiquement. Par ailleurs, aucune alternative crédible ne permet de financer à un coût moindre la totalité de ce fonds de relance. Avec des taux bas, la dette est un instrument peu coûteux, immédiatement disponible et efficace pour étaler la dépense dans le temps. Enfin, je veux rassurer ceux qui sont opposés à la dette commune pour des raisons juridiques : elle existe déjà via la Banque européenne d’investissement (BEI), le Mécanisme européen de stabilité (MES) et même le budget européen : inutile par conséquent de modifier les traités européens pour lever de la dette commune. Maintenant, attendons les propositions que la Commission européenne a été chargée par les chefs d’Etat et de gouvernement de nous faire.

L’Allemagne reste toujours aussi réticente à se montrer solidaire avec les pays d’Europe du Sud…

Pas de caricatures! Les choses bougent. Depuis plusieurs semaines, l’Allemagne a su changer de doctrine pour répondre à la crise. Elle a ainsi renoncé à sa règle d’équilibre budgétaire pour dépenser massivement, ce qui est une excellente chose pour ses principaux partenaires commerciaux. De même, nous avons été capables de bâtir un consensus pour mobiliser le MES, augmenter la capacité de prêts de la BEI à nos PME ou encore créer le fonds Sure de financement commun du chômage partiel qui sera alimenté par de la dette levée par la Commission. Maintenant, nous continuons de travailler pour parvenir à un compromis avec l’Allemagne sur le mécanisme de financement du fonds de relance.

Berlin comprend-il vraiment qu’un refus de toute solidarité financière risque de précipiter un pays comme l’Italie dans les bras des populistes et donc menace l’existence même de l’euro et de l’Union ?

Tous les Etats ont conscience de la gravité du moment. Soyons lucides : aucune nation n’a le monopole du populisme. Il est un danger partout en Europe. Face à ce risque, je ne vois de sortie que par le haut, par la capacité à trouver des compromis qui nous permettent de montrer aux peuples européens qui sont inquiets, parfois en colère, parfois désespérés, que l’Union est une solution et pas un problème. Depuis le début de cette crise, l’Allemagne a été un partenaire fiable et certainement pas le plus dur. Où en serions-nous sans l’impulsion de Berlin et de Paris ?

Si les Vingt-Sept ne parviennent pas à se mettre d’accord sur une mutualisation des dettes, êtes-vous prêts à lancer des émissions avec les pays du Sud ?

Que ce soit difficile, nous le savons. Que ce soit nécessaire, nous le savons aussi. Nous voulons bâtir un accord avec notre partenaire allemand. Je n’imagine donc pas que nous ne trouvions pas un accord à Vingt-Sept sur un sujet aussi stratégique. Mais émettre de la dette à quelques-uns ne serait pas à la hauteur des enjeux. Cela n’apporterait pas de réponse au besoin d’investissement et de solidarité pour toute l’Union. Par ailleurs, ma responsabilité en tant que ministre français, c’est de garantir que nous puissions lever de la dette le plus facilement possible au meilleur taux possible. Je ne suis pas certain que cette mutualisation partielle soit la meilleure option pour nous.

Faudrait-il que la Commission propose de nouvelles ressources propres alimentant directement le budget communautaire afin que son financement dépende moins des contributions des Etats ?

En tout cas, ce serait cohérent. Le président de la République le propose depuis plusieurs mois. Chacun doit mesurer que nous sommes face à une crise économique qui dépasse tout ce que nous avons connu dans notre histoire récente. Elle est violente et nous mettrons des années à nous en relever. Cela doit nous amener à être extraordinairement audacieux et imaginatifs pour en sortir plus forts. Nous avons su apporter un soutien financier immédiat et massif à nos économies. Maintenant, il faut aller encore plus loin pour préparer la relance en mutualisant la dette. Par ailleurs, l’Union a été capable de réviser en quelques jours ses dogmes fondamentaux. Par exemple, des aides publiques interdites en Europe ont été autorisées pour permettre aux Etats de soutenir des entreprises stratégiques dans cette crise. Sur cette base, nous devons aller plus loin pour protéger nos intérêts économiques vitaux. N’ayons plus peur de ce mot de «protection». Protection pour renforcer la surveillance des investissements étrangers, comme nous l’avons fait en France, en Italie, en Espagne ou en Allemagne. Protection en instaurant une taxe carbone aux frontières de l’Union pour rétablir une équité commerciale avec nos partenaires et mieux protéger notre environnement. Protection en taxant les géants du numérique et en mettant en place une imposition minimale pour les grandes multinationales.

La crise n’a-t-elle pas révélé les défauts de construction de l’Union ?

Toute crise révèle des failles. Toute crise est donc une opportunité.Nous avons vu, par exemple, les limites du vote à l’unanimité dans le domaine fiscal. L’extension du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres des Finances est par conséquent une nécessité absolue. Chacun a vu que les géants du numérique allaient être les principaux bénéficiaires de cette crise et donc jamais leur taxation n’a été plus nécessaire. Même chose pour la taxation minimale des multinationales, au moment où les PME et petits commerçants sont les plus durement touchés, afin d’éviter qu’elles fassent de l’optimisation fiscale sur nos territoires. Nous sommes totalement mobilisés sur ce sujet avec mon homologue allemand, Olaf Scholz. Nous ne pouvons continuer comme si rien n’avait changé : nous entrons dans un monde où les rapports économiques de force vont devenir de plus en plus brutaux. L’Europe doit afficher sa force et se donner les moyens institutionnels de réagir rapidement.

L’urgence de la relance de l’économie ne va-t-elle pas conduire à sacrifier le «Pacte vert» proposé par la Commission européenne ?

Ce serait une erreur historique. Céder aux sirènes de la précipitation et reconstruire notre économie sur la base des fondamentaux du XXe siècle nous ferait revenir des décennies en arrière. L’Europe ne doit pas regarder dans le rétroviseur. Elle doit dégager les moyens financiers nécessaires pour financer la transition écologique. Si l’Europe devait prendre une autre voie, elle deviendrait quantité négligeable. Nous devons au contraire nous affirmer comme un continent souverain et comme le premier continent décarboné de la planète. Nous devons développer un modèle économique respectueux des écosystèmes. Mais il n’y aura de Pacte vert qu’avec des investissements massifs financés par de la dette commune et avec la mise en place rapide d’une taxe carbone aux frontières. Tout se tient.

La France va connaître une récession sans doute supérieure à -10% du PIB, sans précédent hors période de guerre. Sera-t-elle capable de rebondir ?

Oui, la France saura rebondir. Il est vrai que les chiffres sont vertigineux. Nous connaissons un choc extrêmement violent, mais nous avons su prendre les mesures fortes et efficaces pour limiter au maximum les faillites et les licenciements. Il y en aura, nous le savons, mieux vaut être lucide et regarder cette réalité en face. Mais nous rebondirons. Et d’autant mieux si nous parvenons à nous fixer un objectif commun, celui de devenir la première économie décarbonée en Europe. Cela passera par le soutien des technologies de pointe, par un renouvellement de notre tissu industriel, par la digitalisation et la robotisation des PME, par une formation adaptée des travailleurs. Nous devons avancer en coordination étroite avec nos partenaires européens en nous appuyant sur des moyens communautaires. Avec cela, nous pourrons rebondir rapidement et retrouver une économie plus durable et tout aussi productive. De cette crise peut sortir un nouveau modèle économique français et une nouvelle Europe.

Photo Denis Allard pour Libération

Categories: Union européenne

Confinamento, il dibattito vietato

Tue, 05/05/2020 - 18:53

Un incroyable travail de traduction en italien de mon article intitulé «confinement, le débat interdit» réalisé par Piero Graglia afin de lancer le débat en Italie

Ci sono voluti solo pochi istanti, il 16 marzo, per il Capo di Stato e il suo governo, in nome della lotta contro la pandemia di Coronavirus, per porre agli arresti domiciliari i francesi e privarli della maggior parte delle loro libertà civili, politiche e sociali che ritenevamo inalienabili: libertà di andare e venire, libertà di riunione, libertà di impresa, libertà di lavorare, ecc. La giustizia è stata quasi messa agli arresti, gli avvocati sono stati confinati, le detenzioni provvisorie sono state automaticamente estese, la polizia (intesa in senso molto ampio dal momento che l’espressione include anche gli agenti di polizia municipale e simili) investiti con pieni poteri [per] applicare queste misure di privazione della libertà.

Il confinamento senza base legale

Questa sospensione dello Stato di diritto è stata effettuata senza una base giuridica. Infatti, il decreto del 16 marzo che limita la circolazione dei cittadini non rientra nelle competenze del potere esecutivo, poiché solo un magistrato, il giudice delle libertà, può normalmente decidere su base individuale, caso per caso. Tuttavia, il sistema di giustizia amministrativa, in questo caso il Consiglio di Stato, ha convalidato il decreto sulla base della teoria giurisprudenziale delle «circostanze eccezionali», adottando quella che non è, senza dubbio, la sua decisione più ispirata.

Solo il 23 marzo il Parlamento ha fornito una base giuridica per le misure annunciate il 17 marzo, votando in tutta fretta la legge che crea uno «stato di urgenza sanitaria» e che autorizza il governo a dichiararlo «in caso di calamità sanitaria che mette in pericolo, per la sua natura e gravità, la salute della popolazione», una definizione particolarmente vaga. Tutta questa legge rasenta la vaghezza, i reati che essa prevede, ad esempio, lasciando gran parte all’interpretazione della polizia e quindi all’arbitrio. Rinnovabile dal Parlamento - anche per una durata di più di due mesi - conferisce pieni poteri all’esecutivo, con il Parlamento che viene privato dei suoi poteri e ridotto al ruolo di semplice spettatore. Anche se l’Assemblea non ha modificato il piano del governo, essendo la maggioranza quella che è, il Senato, dominato dalla destra classica, è fortunatamente riuscito a introdurre alcune garanzie in questo testo improvvisato e mal realizzato, prevedendo in particolare che esso cesserà di essere in vigore in ogni caso il 1° aprile 2021, a meno che non ci sia l’approvazione di una legge contraria. Un chiarimento fondamentale a cui i servizi [legali] governativi non avevano curiosamente pensato.

Non proprio una dittatura

È davvero sorprendente che questa legislazione eccezionale, giustificata dall’uso di un linguaggio guerresco unico in Europa («Siamo in guerra») non sia stata oggetto di un rinvio al Consiglio costituzionale, avendo l’opposizione - altrettanto paralizzata dal terrore come l’opinione pubblica - rinunciato ad esercitare i suoi diritti, un fatto senza precedenti quando si tratta di una violazione particolarmente grave dello Stato di diritto. I giudici costituzionali non sono stati interpellati che su un punto di dettaglio, la sospensione dei termini per la valutazione delle questioni preliminari di costituzionalità (QPC), una disposizione che ha peraltro convalidato.

Fino a quando si applicherà lo stato di emergenza sanitaria (è notizia appena giunta che esso durerà fino alla fine di luglio), la Francia non è più una democrazia, anche se non è proprio una dittatura. A suo tempo, Francois Mitterrand denunciò il «colpo di stato permanente» che erano le istituzioni della Quinta Repubblica. Il coronavirus ha permesso di andare fino in fondo a questa logica istituzionale. Il capo dello Stato, basandosi su una maggioranza sottomessa e di fronte a un’opposizione inesistente, ha preso il controllo di tutte le leve del potere invocando la necessità di preservare la salute dei francesi e dichiarando un’emergenza sanitaria che non aveva voluto vedere arrivare, proprio lui che dieci giorni prima aveva esortato i francesi a continuare a vivere come prima.

Questo mettere tra parentesi lo Stato di diritto è stato accompagnato dalla brusca chiusura di gran parte dell’economia, una conseguenza logica del confinamento. Soprattutto, il governo ha deciso, senza alcuna consultazione, quali imprese potevano rimanere aperte, costringendo le imprese a mettere in mobilità più di 11 milioni di lavoratori salariati del settore privato.

Assenza di dibattito

È veramente sorprendente che questi poteri eccezionali affidati allo Stato per imporre un confinamento brutale e senza sfumature a un intero Paese, uno dei più difficili d’Europa con quelli di Spagna, Italia e Belgio, non abbiano suscitato alcun dibattito, come se non ci fosse altra scelta. Tuttavia, una democrazia non ha mai usato questo metodo in passato per combattere una pandemia (all’inizio del secolo precedente ci sono stati solo confinamenti parziali), in particolare durante l’influenza spagnola del 1918-1919, l’influenza asiatica del 1959 o l’influenza di Hong Kong del 1969. Il fatto che il contenimento sia stata una soluzione inventata dalla Cina, un regime totalitario, per contenere la pandemia da coronavirus avrebbe dovuto almeno mettere in dubbio la sua legittimità. Tuttavia, si è imposto quasi naturalmente, in particolare quando l’Italia ha preso la decisione di confinare l’intera popolazione a partire dal 10 marzo, cosa che ha provocato un effetto domino, ognuno volendo dimostrare di avere pure a cuore la protezione della sua popolazione: la Spagna lo impone il 15 marzo, la Francia il 16 marzo, il Belgio il 18...

Eppure c’era spazio per il dibattito e ad ogni livello. Prima di tutto sul principio del confinamento in quanto tale. Poiché esso è di fatto un male minore per rallentare la diffusione del virus ed evitare la congestione ospedaliera che potrebbe causare ulteriori decessi. Chiaramente, il virus continuerà a circolare e uccidere quelli che deve uccidere dopo la revoca del contenimento - in una proporzione che nessuno conosce - poiché non esiste e non ci sarà un vaccino per uno o due anni e i trattamenti sono ancora in fase sperimentale.

Il confinamento è una trappola politica

Chiaramente, nessuno si è reso conto che rischiava di essere molto difficile uscire dal contenimento senza danni politici una volta deciso, poiché una parte del pubblico poteva persuadersi nel tempo che si trattava di fatto di sradicare la malattia. Se la pandemia continua ad uccidere, e lo farà, il governo, qualora riduca le misure, sarà automaticamente accusato di mettere in pericolo la salute dei suoi cittadini per salvare «l’economia», una parolaccia per alcuni francesi come se lavorare per vivere fosse secondario rispetto alla salute... In altre parole, la tentazione sarà forte di tornare al confinamento assoluto per mettere a tacere le controversie o lasciare il più tardi possibile la strada scelta dalla Francia dopo sei settimane di stato di emergenza sanitaria.

Per questo motivo paesi come la Svezia, la Svizzera, la Germania o i Paesi Bassi non hanno adottato una strategia più flessibile, consentendo alla vita di fare il suo corso normale, o l’hanno applicata con molta più finezza, il che ha impedito di passare attraverso i poteri eccezionali affidati all’esecutivo e soprattutto di bloccare l’economia.

Perché confinare un intero paese?

Questo blocco totale di un paese è tanto più discutibile dal momento che intere regioni erano e sono ancora quasi intoccate dal virus: perché imporre nella Creuse lo stesso trattamento nell’Ile de France, in Puglia come a Milano? Perché non ci siamo limitati al confinamento sulla base dell’estensione della pandemia, proprio come ha fatto la Germania, dove gli Stati federali hanno giurisdizione sulla salute pubblica, con il successo che conosciamo? Così, fin dall’inizio, sono stati identificati due focolai in Francia: Oise e Mulhouse. Ora, invece di reagire immediatamente isolando queste due regioni e dispiegando mezzi medici militari per alleviare il carico degli ospedali civili, il governo ha tergiversato lasciando espandere il virus. Resta sconcertante che si è dovuto attendere fino al 24 marzo, una settimana dopo la decisione di chiudere il paese, per avere il servizio sanitario militare inviato a Mulhouse come rinforzo! Da questo a pensare che il contenimento totale sia stato motivato anche dall’incapacità delle autorità di prevenire la crisi, c’è solo un passo che farò attenzione a non fare.

Analogamente, la scelta delle imprese di chiudere e di adottare misure precauzionali sarebbe stata anch’essa un campo di discussione possibile. Ad esempio, si è saputo subito che l’aria condizionata ha permesso al virus di viaggiare oltre il metro di sicurezza e contaminare molte persone. Quindi chiudere negozi di scarpe, gallerie d’arte o fioristi e lasciare i supermercati aperti ha un senso dal punto di vista medico? Allo stesso modo, era necessaria la chiusura della scuola? Tutto ciò è stato lasciato alla discrezione di una burocrazia senza controllo e senza alcuna consultazione con tutti gli attori economici e sociali.

Perché mettere un’intera popolazione agli arresti domiciliari?

Infine, è emerso molto presto che la malattia era in stragrande maggioranza fatale per le persone di età superiore ai 70 anni (età media della morte in Italia o in Francia: 80 anni) e per quelli con gravi patologie, in altre parole gli immunodepressi. Quindi, era razionale mettere in confinamento tutte le persone valide e far precipitare il paese in recessione? Forse avremmo dovuto concentrarci sulla protezione di questi gruppi a rischio piuttosto che mettere un intero paese sotto una campana senza pensare al giorno successivo, soprattutto perché sappiamo bene che il virus sarà qui per molto tempo.

Il dibattito diventa, a questo punto, particolarmente emotivo, perché si riferisce al nostro rapporto con la morte. Perché una tale pandemia, che non è la prima che il mondo abbia affrontato ed è, soprattutto, lungi dall’essere la più letale della storia, ha portato gli Stati a decidere su misure senza precedenti sapendo che esse non erano una cura? Perché tale panico, soprattutto quando confrontiamo la mortalità causata dal coronavirus con quella di altre malattie? Anche se dobbiamo ancora essere prudenti, dato che dopo cinque mesi dalla sua comparsa sappiamo ancora così poco del covid-19, tutto questo dovrebbe metterci in guardia sullo scientismo che ci ha preso, avendo la medicina detto tutto e il contrario di tutto su questa pandemia, rendendo così la decisione politica particolarmente difficile. Ma ricordiamoci che ogni anno in Francia vengono diagnosticati 400.000 nuovi tumori e che 150.000 francesi ne muoiono, eppure il tabacco e l’alcol non sono ancora vietati, anche se questo impedirebbe gran parte di queste patologie. Se tutta la vita merita di essere salvata, perché essere così disinvolti sul cancro? Analogamente, l’influenza stagionale (mentre c’è un vaccino che una grande maggioranza considera dispensabile) uccide tra le 3.000 e le 15.000 persone ogni anno (per non parlare degli oltre 30.000 decessi per l’influenza di Hong Kong nel 1969 in un paese di 51 milioni di abitanti o il numero equivalente di decessi nel 1959 in un paese di 45 milioni di abitanti); le infezioni respiratorie stagionali uccidono 68.000 persone, gli incidenti stradali 3.500 persone alle quali devono essere aggiunte le vittime sopravvissute che restano disabili per tutta la vita. Eppure, nessuno ha pensato di vietare l’auto (e ogni misura per rafforzare la sicurezza provoca ondate di protesta: ricordiamoci delle polemiche sugli 80 km/h) o di rendere la lotta contro l’inquinamento o il cibo spazzatura un imperativo categorico.

Se osserviamo le statistiche della mortalità nel mondo, vediamo che la fame (anche se facile e poco costosa da sradicare), la malaria, l’AIDS o ancora le guerre (spesso fatte con armi prodotte dalle nostre industrie) uccidono infinitamente più di quanto il coronavirus potrà mai uccidere.

Scegli il tuo lato compagno, ma non c’è che un campo giusto, quello del confinamento!

Si dovrebbe senz’altro considerare la responsabilità dei media audiovisivi in questa ondata di panico che si è impadronita dell’opinione pubblica occidentale (con un’eccezione tedesca, avendo la televisione di quel Paese deciso di assegnare al Covid-19 il posto che si merita). Annunciare ogni mattina il numero di morti senza metterli in prospettiva rispetto alla media abituale dei morti, alla loro età, alle comorbilità che hanno sofferto, ecc.), dedicare interi giornali alla pandemia non può che confondere anche le migliori teste... Immaginate se ogni mattina si elencassero i morti in Francia per tutte le cause possibili e gli si dedicassero tutti i giornali: chi oserebbe continuare a vivere?

Ciò non significa che la morte non abbia importanza, ma semplicemente che qualsiasi politica pubblica deve essere valutata secondo il calcolo costi-benefici. Se non vietiamo la vendita di armi, tabacco, alcol, automobili, camion, centrali termiche, è perché collettivamente crediamo che il costo sarebbe maggiore del beneficio che ne otterremmo. Ma questo dibattito, nella tempesta emotiva che dura da due mesi, è di fatto vietato. Coloro che hanno osato mettere in discussione la strategia scelta e soprattutto la sua durata sono stati messi alla gogna dai più radicali, quelli che si fanno ascoltare. Opporsi all’estensione del confinamento significa essere per il «sacrificio» di coloro che sono malati, «sputare in faccia ai morti» e via di questo passo. In breve, scegli il tuo lato compagno, ma non c’è che un campo giusto, quello del confinamento! Sono anche stato minacciato di morte, io e la mia famiglia, da persone coraggiose che credono che ogni vita debba essere salvata, non importa a quale prezzo, senza che la contraddizione delle loro parole toccasse le loro menti, dopo avermi contestato due tweet del 9 aprile, tre settimane dopo l’inizio del confinamento: «È pazzesco quando ci si pensa: far precipitare il mondo nella più grave recessione dalla seconda guerra mondiale per una pandemia che ha ucciso meno di 100.000 persone (per non parlare della loro età avanzata) in un mondo di 7 miliardi di abitanti. L’influenza stagionale, che uccide per lo più bambini piccoli, fa tra le 290.000 e le 650.000 vittime all’anno in tutto il mondo. E a tutti non importa, ma è una cosa seria.»

La recessione più grave di tutti i tempi esclusi i tempi di guerra (e ancora)

Tuttavia, il contenimento porterà a una recessione inimmaginabile per la sua violenza: si prevede che raggiunga tra l’8% e il 15% del PIL, un calo senza precedenti dell’attività in tempo di pace (è necessario tornare al 1942 [Francia di Vichy] per registrare una recessione del -10%). Non abbiamo mai bloccato un’economia completamente, come abbiamo appena fatto, dobbiamo esserne consapevoli. La disoccupazione parziale colpisce attualmente quasi dodici milioni di lavoratori (un dipendente privato su due!) e i licenziamenti in tronco causati da migliaia di fallimenti aziendali saranno nell’ordine delle centinaia di migliaia o addirittura milioni di persone una volta scaduto il regime di disoccupazione parziale pagato dallo Stato (poiché costa una fortuna). E più a lungo l’economia si ferma, più difficile sarà la ripartenza. Il costo della creazione di una rete di sicurezza sociale e di piani economici porterà a un deterioramento senza precedenti dei conti pubblici e delle giovani generazioni che dovranno pagare due volte il confinamento: con la perdita del posto di lavoro e con l’aumento delle tasse per coloro che lo manterranno.

Non dobbiamo dimenticare che la disoccupazione è anche una catastrofe sanitaria, ma più diffusa e quindi socialmente più accettabile: si stima che siano 14.000 i decessi causati ogni anno in Francia da malattie indotte dalla disoccupazione. E come non parlare della sua processione di miseria, fame, declassamento sociale, ecc. Gli effetti del confinamento hanno anche terribili conseguenze sulla mente dei francesi, sulla violenza contro le donne e i bambini, sulla loro salute (ad esempio, la diagnosi precoce di tumori, ictus, attacchi di cuore sono sospesi e non si sa ancora nulla sui suicidi, ecc.), sull’abbandono scolastico (quanti bambini sono semplicemente scomparsi dal sistema?).

Uno Stato di diritto permanentemente indebolito

Infine, credere che le libertà civili, la democrazia, emergeranno intatte da questo episodio è solo un dolce sogno. Lo stato di emergenza sanitaria rimarrà sancito dalla nostra legge per lungo tempo esattamente come lo stato di emergenza, lanciato nel 2015, è stato alla fine incorporato nella legge comune. È raro che uno Stato rinunci da solo ai poteri conquistati sul legislatore e sulla giustizia. Rintracciare gli individui, tramite smartphone, cosa che alcuni considerano una necessità, potrebbe diventare la regola in nome della salvaguardia della nostra salute, salvaguardia che è diventata LA priorità, con la vita privata declassata alla preoccupazione di un’altra epoca. Aver scelto il confinamento totale e lo stato di emergenza lascerà tracce permanenti e durature nella democrazia francese.

Non pretendo di dare una risposta. Semplicemente, i primi elementi del della fine del confinamento mostrano che sarebbe stata possibile un’altra via: confinamento deciso [dipartimento per] dipartimento [si tratta delle «regioni» francesi], ampia discrezione lasciata alle autorità locali, rinvio al sistema giudiziario per registrare i portatori del virus, ecc. Mi rammarico solo per la mancanza di decisione democratica prima dell’instaurazione dello stato di emergenza sanitaria e della sua estensione. Come se sacrificare generazioni sotto i 60 anni e sospendere lo stato di diritto fossero delle opzioni non discutibili.

Concludendo provvisoriamente, penso che non dovremmo ingannarci sul significato dell’evento inimmaginabile che stiamo vivendo: è il trionfo dell’individualismo, quello della salute immediata dell’individuo di fronte all’attuale e futuro benessere collettivo. I termini del dibattito sono in realtà identici a quelli del cambiamento climatico: dovremmo accettare di sacrificare il nostro benessere immediato per garantire la sopravvivenza della specie umana?

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L'UE, un pôle emploi performant

Mon, 05/04/2020 - 19:20

Le copinage n’est pas le moindre défaut des institutions communautaires. Ainsi, l’Italienne Federica Mogherini, ancienne ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne et vice-présidente de la Commission (2014-2019), qui n’aura pas laissé un souvenir impérissable de son passage à Bruxelles, va être parachutée rectrice du Collège de Bruges, en violation de toutes les procédures internes de l’institution.

Le Collège, totalement inconnu du grand public, a été fondé en 1949 afin de former des «professionnels de l’Europe» au service d’une construction communautaire alors balbutiante. Très sélectif dans son recrutement (500 élèves par promotion), il n’est pas sans évoquer une sorte «d’ENA européenne». Les anciens élèves ont d’ailleurs longtemps trusté les meilleures places aux concours européens, ce qui n’est plus le cas depuis la réforme de 2007 qui a supprimé tout contrôle des connaissances au profit de tests psychotechniques et autres fadaises anglo-américaines sur les capacités de «management».

Fonction occupée par des professeurs

Doté de deux campus depuis la chute du communisme, l’un à Bruges (Belgique), l’autre à Natolin (Varsovie), le «Collège d’Europe» est dirigé par un recteur nommé par un conseil d’administration (CA) après accord du conseil académique où siègent les professeurs. Le CA est composé des ambassadeurs des Etats membres de l’UE et est présidé depuis novembre 2019 par l’ancien président du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement (2009-2014), le Belge néerlandophone Herman Van Rompuy. Le second mandat de l’actuel recteur, l’Allemand Jörg Monar, arrivant à échéance, un appel à candidatures a été lancé il y a un an.

Il faut savoir que, depuis l’origine, cette fonction est occupée par des professeurs, même s’il y a eu des exceptions, celle-ci exigeant, dixit l’appel à candidatures de 2019, des «qualités académiques substantielles dans le domaine des études européennes, une expérience prouvée de l’administration et de la gestion d’une structure académique d’une certaine complexité, et être en mesure de combiner la recherche de l’excellence académique au niveau international avec une saine gestion budgétaire».

Conflit d’intérêts

De dignes professeurs se sont portés candidats, mais aucun d’entre eux n’a plu à Van Rompuy. Mais, là où tout dérape, c’est lorsque le nom de Federica Mogherini, qui n’a ni doctorat ni expérience académique, sort du chapeau alors qu’elle n’a pas candidaté officiellement. En effet, par une décision du 22 avril, Ursula von der Leyen, la présidente actuelle de la Commission, donne son accord à «l’éventuelle» nomination de l’Italienne comme rectrice. Un beau coup de force : même si la Commission ne siège pas au conseil d’administration, c’est elle qui finance à hauteur de 50% le Collège (12 millions d’euros par an quand même), ce qui rend impossible de ne pas nommer Mogherini, sauf à prendre le risque de se fâcher avec la présidente de la Commission. Pire, sa nomination constituerait un beau conflit d’intérêts puisque Mogherini a ses réseaux dans l’exécutif européen. Le comité d’éthique de l’Union européenne a d’ailleurs demandé qu’elle ne soit pas impliquée dans les demandes de subventions européennes…

Bref, Mogherini devrait trouver, grâce à Van Rompuy, un fromage rémunéré 14 000 euros par mois (mais soumis à l’impôt belge qui va amputer son salaire de 50%), alors que personne n’imagine qu’elle va s’impliquer dans la gestion de la cantine du Collège : à 46 ans, elle a d’autres ambitions.

Photo Luis Cortes. Reuters

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Confinement : le débat interdit

Thu, 04/30/2020 - 20:23

Il n’a fallu que quelques instants, le 16 mars, pour que le chef de l’État et son gouvernement, au nom de la lutte contre la pandémie de coronavirus, assignent à résidence les Français et les privent de la plupart de leurs libertés civiles, politiques et sociales que l’on croyait inaliénables : liberté d’aller et de venir, liberté de réunion, liberté d’entreprendre, liberté de travailler, etc. La justice a été mise quasiment à l’arrêt, les avocats confinés, les détentions provisoires automatiquement prolongées, les forces de l’ordre (entendues dans un sens très extensif puisqu’elles incluent les policiers municipaux et assimilés) investies des pleins pouvoirs appliquer ces mesures privatives de liberté.

Le confinement sans base légale

Cette suspension de l’État de droit s’est faite sans base légale. En effet, le décret du 16 mars restreignant les déplacements des citoyens n’entre pas dans les compétences du pouvoir exécutif, puisque seul un juge judiciaire, le juge des libertés, peut normalement en décider sur une base individuelle. Néanmoins, la justice administrative, en l’occurrence le Conseil d’État, l’a validé en s’appuyant sur la théorie jurisprudentielle des « circonstances exceptionnelles », ce qui n’est sans doute pas sa décision la plus inspirée.

Ce n’est que le 23 mars que le Parlement a donné une base légale aux mesures annoncées le 17 mars en votant dans la précipitation la loi créant un « État d’urgence sanitaire » qui autorise le gouvernement à le déclencher « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population », une définition particulièrement floue. Toute cette loi cultive le flou, les infractions qu’elle prévoit laissant par exemple une large part à l’interprétation policière et donc à l’arbitraire. Reconductible par le Parlement - éventuellement pour une durée supérieure à deux mois- il donne les pleins pouvoirs à l’exécutif, le Parlement étant dépouillé de ses pouvoirs et réduit au rôle de simple spectateur. Si l’Assemblée n’a pas modifié le projet du gouvernement, le fait majoritaire étant ce qu’il est, le Sénat, dominé par la droite classique, a heureusement réussi à introduire quelques garde-fous dans ce texte improvisé et mal ficelé en prévoyant notamment qu’il cessera de s’appliquer en tout état de cause le 1er avril 2021, sauf vote d’une loi contraire. Une précision fondamentale à laquelle les services du gouvernement n’avaient curieusement pas pensé.

Pas tout à fait une dictature

Il est remarquable que cette législation d’exception, justifié par le recours à un langage guerrier unique en Europe (« Nous sommes en guerre ») n’ait pas fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, l’opposition, tout aussi interdite de terreur que l’opinion publique, ayant renoncé à exercer ses droits, un fait sans précédent, alors qu’il s’agit d’une atteinte particulièrement grave à l’État de droit. Les juges constitutionnels n’ont été saisis que sur un point de détail, la suspension des délais pour juger des questions préjudicielles de constitutionnalité (QPC), une disposition qu’il a d’ailleurs validée.

Tant que l’État d’urgence sanitaire s’appliquera (jusqu’à la fin du mois de juillet vient-on d’apprendre), la France n’est plus une démocratie, même si elle n’est pas tout à fait une dictature. En son temps, François Mitterrand avait dénoncé le « coup d’État permanent » qu’étaient les institutions de la Ve République. Le coronavirus a permis d’aller jusqu’au bout de cette logique institutionnelle. Le chef de l’État, s’appuyant sur une majorité soumise et face à une opposition inexistante, s’est emparé de tous les leviers de pouvoir en invoquant la nécessité de préserver la santé des Français et une urgence sanitaire qu’il n’a pas voulu voir venir, lui qui dix jours plus tôt incitait les Français à continuer à vivre comme avant.

Cette mise entre parenthèses de l’État de droit s’est accompagnée de l’arrêt brutal d’une grande partie de l’économie, conséquence logique du confinement. Surtout, le gouvernement a décidé, sans aucune concertation, quels commerces pourraient rester ouverts, contraignant les entreprises à mettre au chômage partiel plus de 11 millions de salariés du secteur privé.

Absence de débat

Il est proprement sidérant que ces pouvoirs exceptionnels confiés à l’Etat pour appliquer un confinement brutal et sans nuance à tout un pays, l’un des plus durs d’Europe avec ceux de l’Espagne, de l’Italie et de la Belgique, n’ait donné lieu à aucun débat, comme s’il n’y avait pas d’autre choix. Pourtant, jamais une démocratie n’a utilisé dans le passé cette méthode pour lutter contre une pandémie (il y a seulement eu des confinements partiels au début du siècle précédent), notamment lors de la grippe espagnole de 1918-1919, de la grippe asiatique de 1959 ou de la grippe de Hong Kong de 1969. Le fait que le confinement ait été une solution inventée par la Chine, un régime totalitaire, pour contenir la pandémie de coronavirus aurait dû au minimum interroger sur sa légitimité. Pourtant, il s’est imposé presque naturellement, tout se jouant en réalité lorsque l’Italie a pris la décision de confiner l’ensemble de sa population à compter du 10 mars, ce qui a provoqué un effet domino, chacun voulant montrer qu’il avait aussi à cœur de protéger sa population : l’Espagne l’impose le 15 mars, la France le 16, la Belgique le 18...

Pourtant, il y avait matière à débattre et sur tous les plans. Sur le principe du confinement lui-même d’abord. Car il n’est qu’un pis-aller visant à ralentir la propagation du virus et éviter un engorgement des hôpitaux qui pourrait se traduire par des morts additionnels. En clair, le virus continuera à circuler et à tuer ceux qu’il doit tuer après la levée du confinement - dans une proportion que personne ne connait- puisqu’il n’existe et qu’il n’existera pas avant un ou deux ans un vaccin et que les traitements en sont encore au stade expérimental.

Le confinement est un piège politique

Manifestement, personne n’a réalisé qu’il risquait d’être très difficile de sortir sans dommage politique du confinement une fois décidé, une partie de l’opinion publique risquant de s’autopersuader au fil des jours qu’il s’agit en fait d’éradiquer la maladie. Si la pandémie continue à tuer, et elle le fera, le gouvernement sera automatiquement accusé de mettre en danger la santé de ses citoyens pour sauver « l’économie », un gros mot pour une partie des Français comme si le fait de travailler pour vivre était secondaire par rapport à la santé… Autrement dit, la tentation sera forte de revenir au confinement aveugle pour faire taire les polémiques ou d’en sortir le plus tard possible, la voie choisie par la France après six semaines d’État d’urgence sanitaire.

C’est d’ailleurs pourquoi des pays comme la Suède, la Suisse, l’Allemagne ou encore les Pays-Bas soit n’ont pas adopté cette stratégie, laissant la vie suivre son cours normal, soit l’ont appliqué avec beaucoup plus de finesse, ce qui a permis d’éviter d’en passer par la case des pouvoirs exceptionnels confiés à l’exécutif et surtout de casser l’économie.

Pourquoi confiner tout un pays ?

Ce verrouillage total d’un pays est d’autant plus discutable que des régions entières étaient et sont encore quasiment épargnées par le virus : pourquoi imposer le même traitement à la Creuse qu’à l’Ile de France, aux Pouilles qu’à Milan ? Pourquoi n’avoir pas confiné en fonction de l’extension de la pandémie, exactement comme l’a fait l’Allemagne, où les Länder sont compétents en matière de santé publique, avec le succès que l’on sait ? Ainsi, dès le départ, deux foyers ont été identifiés en France : l’Oise et Mulhouse. Or, plutôt que de réagir immédiatement en isolant ces deux régions et en déployant des moyens médicaux militaires pour soulager les hôpitaux, le gouvernement a tergiversé laissant le virus se répandre. Il reste sidérant qu’il ait fallu attendre le 24 mars, soit une semaine après la décision de confiner le pays, pour que le service de santé militaire soit envoyé en renfort à Mulhouse ! De là à penser que le confinement total ait aussi été motivé par l’incapacité des autorités à anticiper la crise, il n’y a qu’un pas que je me garderai bien de franchir.

De même, le choix des entreprises à fermer et des mesures de précautions à prendre aurait aussi été un champ de discussion possible. Par exemple, on a rapidement su que l’air conditionné permettait au virus de circuler au-delà d’un mètre et de contaminer de nombreuses personnes. Dès lors, fermer les cordonneries, les galeries d’art ou les fleuristes et laisser les supermarchés ouverts a-t-il un sens médical ? De même, la fermeture des écoles était-elle nécessaire ? Tout cela a été laissé à l’appréciation d’une bureaucratie sans contrôle et sans aucune concertation avec l’ensemble des acteurs économique et sociaux.

Pourquoi assigner à résidence une population entière ?

Enfin, il est apparu très tôt que la maladie était en très grande majorité fatale pour les personnes âgées de plus de 70 ans (moyenne d’âge des décès en Italie ou en France : 80 ans) et celles qui ont des pathologies graves, en clair les personnes affaiblies. Dès lors, confiner tous les actifs et plonger le pays en récession était-il rationnel ? Peut-être aurait-il fallu se concentrer sur la protection de ces groupes à risques plutôt que de mettre sous cloche tout un pays sans penser au lendemain, d’autant qu’on sait pertinemment que le virus est là pour longtemps.

Le débat devient, à ce point-là, particulièrement émotionnel, car il renvoie à notre rapport à la mort. Pourquoi une telle pandémie, qui n’est pas la première que le monde ait affrontée et qui est surtout très loin d’être la plus mortelle de l’histoire, a-t-elle conduit des États à décider de mesures sans précédent tout en sachant qu’elles n’étaient pas un remède ? Pourquoi une telle panique, surtout si l’on compare la mortalité causée par le coronavirus avec celle des autres maladies ? Même s’il faut être encore prudent, puisque cinq mois après son apparition, on sait toujours aussi peu de chose du covid-19, ce qui devrait nous mettre en garde sur le scientisme qui nous a saisis, les médecins ayant dit tout et son contraire sur cette pandémie, rendant ainsi la décision politique particulièrement difficile. Mais rappelons néanmoins que 400.000 nouveaux cancers sont diagnostiqués chaque année en France et que 150.000 Français en meurent et pourtant tabac et alcool ne sont toujours pas interdits alors que cela permettrait d’en éviter une bonne partie. Si toute vie mérite d’être sauvée, pourquoi se monter si désinvolte à l’égard du cancer ? De même, les grippes saisonnières (alors qu’il existe un vaccin qu’une grande majorité estime dispensable) tuent chaque année entre 3000 et 15.000 personnes (sans parler des plus de 30.000 morts de la grippe de Hong Kong en 1969 dans un pays de 51 millions d’habitants ou du nombre équivalent de morts en 1959 dans un pays de 45 millions d’habitants), les infections saisonnières respiratoires 68.000 personnes, les accidents de la route 3500 personnes auxquels il faut ajouter les handicapés à vie. Et pourtant, personne n’a songé à interdire la voiture (et chaque mesure visant à renforcer la sécurité suscite son lot de protestations, rappelons les 80 km/h) ou à faire de la lutte contre la pollution ou la malbouffe un impératif catégorique.

Si on regarde les statistiques de la mortalité dans le monde, on s’aperçoit que la faim (pourtant facile et peu couteuse à éradiquer), la malaria, le SIDA ou encore les guerres (souvent faites avec les armes produites par nos industries) tuent infiniment plus que le coronavirus ne tuera jamais.

Choisis ton camp camarade, mais il n’y a qu’un camp du bien, celui du confinement !

Il faudrait sans doute interroger la responsabilité des médias audiovisuels dans cette panique qui s’est emparée des opinions publiques occidentales (avec une exception allemande, les télévisions germaniques ayant volontairement décidé de traiter le covid-19 à la place qu’il mérite). Annoncer tous les matins le nombre de morts sans les mettre en perspective (par rapport à la moyenne habituelle des morts, leur âge, la comorbidité dont ils souffraient, etc.), consacrer des journaux entiers à la pandémie ne peut qu’ébranler même les têtes les mieux faites... Imaginez que chaque matin on égrène le nombre de morts en France toutes causes confondues et qu’on y consacre l’ensemble des journaux : qui oserait encore tout simplement vivre ?

Il ne s’agit pas de dire qu’une mort n’a aucune importance, mais simplement que toute politique publique doit faire l’objet d’une évaluation coût-bénéfice. Si on n’interdit pas les ventes d’armes, le tabac, l’alcool, la voiture, les camions, les centrales thermiques, c’est parce que collectivement nous estimons que le coût serait supérieur au bénéfice que nous en tirerions. Mais ce débat, dans la déferlante émotionnelle qui dure depuis deux mois, est de fait interdit. Ceux qui ont osé questionner la stratégie choisie et surtout sur sa durée ont été cloués au pilori par les plus radicaux, ceux qui se font entendre. Être opposé à la prolongation du confinement, c’est être pour le « sacrifice » de ceux qui sont malades, « cracher à la gueule des morts » et j’en passe. Bref, choisis ton camp camarade, mais il n’y a qu’un camp du bien, celui du confinement ! J’ai même été menacé de mort, moi et ma famille, par de braves gens qui estiment que toute vie doit être sauvée à n’importe quel prix sans que la contradiction de leurs propos ne leur effleure l’esprit pour avoir osé m’interroger dans deux tweets du 9 avril, trois semaines après le début du confinement : « C’est dingue quand on y songe : plonger le monde dans la plus grave récession depuis la seconde guerre mondiale pour une pandémie qui a tué pour l’instant moins de 100.000 personnes (sans parler de leur âge avancé) dans un monde de 7 milliards d’habitants. La grippe saisonnière, qui tue surtout les jeunes enfants, c’est entre 290.000 et 650.000 par an dans le monde. Et tout le monde s’en tape, mais grave ».

La récession la plus grave de tous les temps hors période de guerre (et encore)

Or, le confinement va entrainer une récession inimaginable par sa violence : elle devrait atteindre entre 8 % et 15 % du PIB, un recul de l’activité sans précédent en temps de paix (il faut remonter à 1942 pour enregistrer une récession de -10 %). Jamais on n’a mis une économie totalement à l’arrêt comme on vient de le faire, il faut en prendre conscience. Le chômage partiel touche désormais près de douze millions de travailleurs (un salarié du privé sur deux !) et les licenciements secs entrainés par des milliers de faillites d’entreprises vont se compter par centaines de milliers voire millions une fois que le dispositif de chômage partiel pris en charge par l’État arrivera à échéance (car il coûte une fortune). Et plus l’arrêt de l’économie se prolongera, plus difficile sera le redémarrage. Le coût engendré par la mise en place d’un filet social et par les plans de l’économie va entrainer une dégradation sans précédent des comptes publics et les jeunes générations qui vont devoir payer deux fois le confinement : par la perte de leur emploi et par l’augmentation des impôts pour ceux qui le conserveront.

Il ne faut pas oublier que le chômage est une aussi catastrophe sanitaire, mais plus diffuse et donc socialement plus acceptable : on estime ainsi à 14.000 les décès qu’il cause chaque année en France par les maladies induites. Et comment ne pas parler de son cortège de misère, de faim, de déclassement social, etc.. Les effets du confinement vont aussi d’avoir des conséquences terribles sur le mental des Français, sur les violences faites aux femmes et aux enfants, sur leur santé (par exemple, les dépistages précoces des cancers, des AVC, des crises cardiaques sont suspendus et on ne sait encore rien des suicides, etc.), sur le décrochage scolaire (combien d’enfants ont purement et simplement disparu du système ?).

Un État de droit durablement affaibli

Enfin, croire que les libertés publiques, la démocratie, sortiront intactes de cet épisode est juste un doux rêve. L’État d’urgence sanitaire va rester inscrit dans notre droit pour longtemps exactement comme l’État d’urgence, déclenché en 2015 a finalement été intégré au droit commun. Il est rare qu’un Etat renonce de lui-même aux pouvoirs gagnés sur le législatif et la justice. Le tracking des individus, via les smartphones, que certains considèrent comme une nécessité, pourrait bien devenir la règle au nom de la sauvegarde de notre santé devenue LA priorité, la vie privée étant ravalée au rang de préoccupation d’un autre âge. Avoir choisi le confinement total et l’État d’urgence laissera des traces durables dans la démocratie française.

Je ne prétends pas ici apporter une réponse. Simplement, les premiers éléments du déconfinement montrent qu’une autre voie aurait été possible : confinement pas département, large pouvoir d’appréciation laissé aux autorités locales, saisine du juge judiciaire pour consigner les porteurs du virus, etc. Je regrette juste l’absence de délibération démocratique avant la mise en place de l’État d’urgence sanitaire et sa prolongation. Comme si sacrifier les générations de moins de 60 ans et suspendre l’État de droit étaient des évidences non questionnables.

En conclusion provisoire, je pense qu’il ne faut pas se tromper sur la signification de l’évènement inimaginable que nous vivons : c’est le triomphe de l’individualisme, celui de la santé immédiate de l’individu face au bien-être collectif actuel et futur. Les termes du débat sont en réalité identiques à ceux du changement climatique : doit-on accepter de sacrifier son bien-être immédiat pour assurer la survie de l’espèce humaine ?

Quelques conseils de lecture:

Note du syndicat de la magistrature sur l’Etat d’urgence sanitaire

« Gardons-nous de tomber dans une réactivité maladive, viro-induite, sociale et politique »

Le rapport coût-bénéfice catastrophique du confinement

Sortir d’un confinement aveugle

Oser discuter le confinement (un point de vue belge)

Le remède sera-t-il finalement pire que le coronavirus? (un point de vue suisse)

«Laissez-nous mourrir comme nous voulons» et «J’aime mieux attraper le covid-19 dans un pays libre qu’y échapper dans un Etat totalitaire»

Categories: Union européenne

La solidarité ne fait pas que des euros

Mon, 04/27/2020 - 17:56

C’est une bonne nouvelle en soi : les Vingt-sept, lors de leur sommet de jeudi après-midi 23 avril, ne se sont pas écharpé sur la solidarité financière nécessaire pour relancer l’économie européenne après la crise du coronavirus. Une sacrée différence avec leur précédente rencontre virtuelle, le 26 mars, qui avait tourné à l’engueulade généralisée « à la suite de l’attitude abjecte des Néerlandais à l’égard des pays les plus touchés par la crise du coronavirus », comme le rappelle un diplomate européen. « Cette fois, les pays du nord ont moins été dans l’émotionnel, l’ambiance était cool et donc le résultat a été constructif », se réjouit-on à l’Elysée. De fait, la nécessité d’un « fonds de reconstruction » conséquent (entre 1000 et 1500 milliards d’euros, soit 10 à 15 % du PIB communautaire, sont les chiffres les plus cités) est désormais admise par tous les chefs d’Etat et de gouvernement, ce qui n’était pas gagné il y a un mois. Mais, et c’est la mauvaise nouvelle, l’accord est loin d’être fait sur les modalités de cette solidarité financière, ce qui annonce quelques rudes batailles.

Prêts ou dons?

Le point clef des négociations va porter sur le remboursement des sommes qui seront affectées à ce fonds. « Il faut bien voir que le Conseil européen a implicitement acté qu’il faudra emprunter en commun les milliards d’euros nécessaires pour financer la relance des économies dès lors qu’il a demandé à la Commission de cartographier pays par pays, secteur par secteur, les besoins financiers et de présenter d’ici 15 jours une proposition en bonne et due forme », analyse un diplomate de haut niveau, puisqu’il n’y a pas d’argent magique. Le problème est donc de savoir si cet argent sera prêtées aux pays qui en ont besoin ou donné comme celui versé au titre du budget communautaire, ce qui reviendra à mutualiser la dette, celle-ci étant remboursée par les Vingt-sept en fonction de leur part dans le PIB communautaire.

Pour le « club de radins » (Allemagne, Autriche, Finlande, Pays-Bas, Suède), il n’est pas question d’aller au-delà de prêts aux pays nécessiteux, comme cela va se faire via le Mécanisme européen de stabilité (MES), la Banque européenne d’investissement (BEI) ou SURE, le nouveau mécanisme doté de 100 milliards chargé de soulager les systèmes nationaux d’indemnisation du chômage. « Nous ne pouvons pas accepter le financement de dons par de la dette », a ainsi martelé à l’issue du sommet le Néerlandais Mark Rutte. « Il n’est pas possible de mutaliser les dettes » a surenchéri la chancelière allemande Angela Merkel.

Divergence nord-sud

Le problème est qu’une telle solution ne ferait qu’ajouter de la dette à la dette déjà existante, certes à un taux plus intéressant puisque garantie par les Vingt-sept. « Cela ne coûtera par un euro aux Pays-Bas, puisqu’on emprunte à taux zéro, mais cela coûtera cher à l’Italie lorsqu’elle devra rembourser », soupire un responsable français. De fait, en prêtant de l’argent, on dégrade les comptes publics des pays emprunteur, ce qui va créer un écart d’endettement insupportable entre les Etats de la zone euro. En outre, le déficit de compétitivité va s’aggraver puisque ces pays ne pourront pas investir autant d’argent que nécessaire dans les secteurs qui en ont le plus besoin, leur capacité d’endettement n’étant pas illimitée. « Evidemment, cela remettra en cause le « deal » sur lequel repose le marché intérieur », souligne un diplomate européen, « puisqu’il ne peut exister que s’il y a convergence des économies et non accentuation des divergences ». C’est pourquoi le budget communautaire a été créé : il s’agit de transférer de l’argent des riches vers les pauvres pour leur permettre de rattraper leur retard de développement et ainsi résister à la concurrence de leurs partenaires. Emmanuel Macron, à l’issue du sommet, a d’ailleurs mis en garde les pays du nord contre ce risque existentiel : le rétablissement des frontières sera le seul moyen pour ces pays de sauver leur économie. Et si le marché intérieur s’effondre, l’euro suivra, ce qui aura un coût effroyable pour les pays du nord.

«Courte vue»

« C’est vraiment un calcul à courte vue » du « club des radins », explique un fonctionnaire européen : « car si l’Union emprunte à taux zéro, ce qui est le cas aujourd’hui, cela ne coûte rien à personne pendant dix ans. Certes, il faudra rembourser à l’échéance, mais ces sommes auront permis des investissements massifs pendant dix ans et donc un développement du marché intérieur qui enrichira tout le monde. Sans compter que l’inflation aura réduit la somme à rembourser ». L’Espagne a même proposé que les emprunts soient perpétuels : à chaque échéance, l’Union empruntera à nouveau la somme à rembourser afin de ne jamais rien rembourser.

C’est pour cela que tous les autres pays européens sont en faveur d’une mutualisation pure et simple de la dette engendrée par les dépenses de reconstruction. « Ce sommet a montré que les cinq étaient vraiment isolés dans cette affaire ». Le problème est qu’il faut un accord unanime pour créer ce fonds de reconstruction. « Mais les lignes sont loin d’être figées et c’est pour ça qu’il faut continuer à discuter », dit-on à l’Elysée. Un des moyens de contourner l’opposition du club des radins serait de passer par le cadre financier pluriannuel (le CFP qui encadre les budgets annuels) 2021-2027 que l’Allemagne est désormais prête à voir augmenter (lire par ailleurs). L’idée serait d’augmenter le plafond des ressources propres de 1 ou 2 % du PIB communautaire afin de créer une marge aujourd’hui inexistante. Cette marge ne serait pas dépensée, mais servirait de garantie à des emprunts levées par la Commission afin d’alimenter le fonds de reconstruction qui serait intégré au budget. Il n’y aurait ainsi pas de garantie directe des Etats, mais la dette serait bien remboursée à terme par le budget et donc mutualisée. « Mais si on en revient à de simples prêts accordés aux Etats, mieux vaut laisser tomber », prévient l’Elysée.

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