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Updated: 1 week 1 day ago

Les Vingt-sept à l'épreuve de la solidarité financière

Mon, 04/27/2020 - 17:46

«L’avenir de la zone euro et de l’Union européenne se joue dans la réponse que nous apporterons à la crise du coronavirus», a averti solennellement Bruno Le Maire, le ministre des Finances, lors d’un point de presse mardi (par téléphone). Plus précisément dans la capacité des Vingt-Sept à être financièrement solidaires des pays les plus touchés par la pandémie, qui sont souvent aussi les plus faibles budgétairement, afin de les aider à affronter la crise sociale cataclysmique qui s’annonce. Si les Vingt-Sept ont réussi à répondre rapidement, une fois n’est pas coutume, à l’urgence en mobilisant plus de 500 milliards d’euros d’argent nouveau (via la Commission, le Mécanisme européen de stabilité et la Banque européenne d’investissement), une somme à laquelle il faut ajouter les plus de 1 000 milliards d’euros mis sur la table par la Banque centrale européenne, il reste à trouver de l’argent pour reconstruire des économies ruinées par le confinement. La discussion entre les chefs d’Etat et de gouvernement, qui se retrouvent pour leur quatrième sommet par téléconférence depuis le 10 mars, ce jeudi à 15 heures, va donner une première indication du rapport de force et des zones de compromis possibles sur la création, proposée par la France soutenue par une majorité de pays, d’un «fonds de reconstruction», doté de 1 000 à 1 500 milliards d’euros, soit entre 10 % et 15 % du PIB de la zone euro.

«Les désaccords sont trop grands»

Car personne ne s’attend à ce que ce sommet soit conclusif : «Les désaccords sont encore trop grands, le débat va continuer d’autant que nous n’avons pas une vision claire des effets du choc économique», explique-t-on à l’Elysée. Giuseppe Conte, le chef du gouvernement italien, est sur la même longueur d’onde : «Je n’accepterai pas de compromis au rabais : soit nous gagnons tous, soit nous perdons tous», a-t-il martelé ce mercredi. Tous les regards sont en réalité tournés vers le gouvernement allemand dont le peu d’appétence, c’est une litote, pour tout ce qui ressemble à une mutualisation des dépenses et des dettes, n’est plus à démontrer. S’il accepte la création d’un fonds de reconstruction alimenté par une dette commune, ses alliés autrichiens, néerlandais, finlandais, danois, suédois et baltes auront le plus grand mal à rester en marge.

Si la France, soutenue notamment par l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande ou encore la Slovénie, veut mutualiser les dépenses à venir, c’est dans l’intérêt bien compris de tous. Car, comme on le souligne à Bercy, «derrière ces questions économiques, il y a des enjeux politiques». En effet, si les pays du sud de la zone euro sont abandonnés à eux-mêmes, ils risquent de décrocher : ils n’ont aucune marge de manœuvre budgétaire et, vu les sommes fabuleuses à emprunter, les taux d’intérêt risquent de grimper rapidement au fur et à mesure de l’explosion des dettes publiques. Certes, la BCE est là pour limiter la flambée des taux, mais son action ne pourra pas empêcher une profonde dégradation des comptes publics. Surtout, cela posera la question de son rôle qui est d’assurer la stabilité des prix et non pas de financer les Etats, ce qui risque d’aboutir à des affrontements internes à l’institut d’émission de plus en plus violents.

Décrochage nord-sud

Autrement dit, le décrochage économique entre le Nord et le Sud (la France se situant à mi-chemin) qui a débuté en 2007-2008 avec la crise financière, va s’accentuer. Une situation intolérable pour les pays du Sud, ceux du Nord réalisant une large part de leurs excédents grâce à la sous-évaluation de l’euro qui leur profite à plein. Or, depuis 2010, ils ne réinvestissent pas leurs excédents de capitaux dans la zone euro, ce qui la déstabilise chaque jour davantage… En clair, le Nord s’enrichit grâce au marché unique et à l’euro, mais n’en fait pas profiter ses partenaires.

L’accentuation de ce déséquilibre et la crise économique et sociale qui ira avec seront une bénédiction pour les populistes, qui pourront à juste titre faire valoir que l’Europe, qui les prive de toutes armes contre la concurrence de plus en plus déloyale du Nord, nuit aux intérêts nationaux des pays du sud. Combien de temps l’Union pourra-t-elle tenir à ce rythme ? Comme on le rappelle à Bruxelles, si la crise des migrants, qui n’a touché que marginalement l’Italie, a amené Matteo Salvini au pouvoir, qu’en sera-t-il demain ?

«La mutualisation de la dette est acquise»

Or, si la zone euro et l’Union s’effondrent, les pays du nord en souffriront aussi : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark ou les Pays-Bas doivent uniquement leur richesse à l’existence d’un marché unique. Sans parler des conséquences géopolitiques : Berlin ne sera plus entouré d’alliés, mais de pays qui ne seront pas prêts à lui pardonner son égoïsme. Ce n’est pas un hasard si Giuseppe Conte lui rappelle lourdement qu’elle doit sa puissance actuelle à son intégration à la construction communautaire en 1950 et à la restructuration de sa dette de guerre en 1953. Enfin, c’est la place de l’Europe dans le monde qui se joue, notamment face à une Chine qui estime que son modèle a montré sa supériorité et entend bien modeler le futur à son image. Bref, tout le monde joue gros dans cette affaire et chacun sait qu’il manie un baril de nitroglycérine : «C’est pour cela que les lignes bougent très vite en Allemagne, au Danemark et dans d’autres pays», souligne-t-on à Bercy, et qu’il faut «laisser le débat mûrir». Pour Paris, «l’idée de mutualiser la dette est désormais quasiment acquise, ce qui était inimaginable il y a un mois».

Dans un premier temps, et afin d’y voir plus clair sur les besoins de financement, la Commission va être chargée de cartographier, secteur par secteur, pays par pays, les effets de la crise et les besoins. C’est seulement ensuite que la discussion pourra réellement s’engager. Plusieurs hypothèses sont sur la table : soit le fonds de reconstruction à la française, soit le budget communautaire, soit une combinaison des deux. Le fonds, d’une durée de cinq ans, serait géré par la Commission qui lèvera de la dette garantie par l’Union à des taux particulièrement attractifs. Les sommes récoltées serviraient à soutenir les secteurs les plus impactés par l’arrêt de l’économie, à financer la relance et les investissements du futur (5G, intelligence artificielle, etc.). Le remboursement de cette dette émise à vingt ans serait fait par les Etats non pas en fonction de ce qu’ils ont reçu, mais de leur part dans le PIB communautaire.

Un emprunt à quelques-uns ?

L’Espagne propose, elle, des obligations perpétuelles dont les intérêts seraient payés par le budget européen alimenté par de nouvelles ressources (taxe carbone aux frontières, taxe sur les émissions de CO2, taxe sur les géants du numérique). La Commission est, elle aussi, favorable à l’utilisation du budget européen pour la période 2021-2027 : l’idée serait, d’une part, de l’augmenter (jusqu’à 3 % du PIB communautaire contre 1,114 % dans la proposition actuelle) grâce à de nouvelles ressources propres ne dépendant pas du bon vouloir des Etats, afin qu’il serve de garantie pour lever des emprunts sur le marché. Ce qui reviendrait de fait à mutualiser la dette. Paris n’est pas opposé à un tel compromis, même s’il juge le budget moins souple que son fonds de reconstruction.

Reste que rien n’est gagné. En cas de blocage allemand, Paris n’exclut pas de lancer une émission limitée aux seuls pays intéressés. «Si le mouvement est lancé, l’opinion publique allemande fera pression pour y participer comme le montrent les sondages, parie-t-on à Paris. Berlin ne pourra pas assumer son égoïsme.»

Categories: Union européenne

Ursula von der Leyen, Allemande ou européenne?

Fri, 04/24/2020 - 17:22

Pour la première fois depuis sa prise de fonction le 1er décembre dernier, Ursula von der Leyen s’est exprimée à la télévision française, jeudi soir. A l’issue de l’interview, le présentateur de France 2, Julian Bugier, a chaudement remercié la présidente allemande de la Commission pour sa «rare prise de parole». Une ironie bien involontaire, car si elle est effectivement très avare de ses propos dans les médias européens, elle est omniprésente dans les journaux, les radios et les télévisions allemandes. Comme si elle n’avait pas réalisé qu’elle n’était plus la ministre de la Défense d’Angela Merkel.

Excuses

Or, depuis la crise du coronavirus, la parole européenne est plus que jamais nécessaire, surtout après les ratés du début. Si les Etats européens ont réagi en ordre dispersé pour défendre leur population face à cette pandémie, la Commission, elle, est carrément passée à côté de son sujet. Elle a longtemps nié la réalité de la crise sanitaire, montrant notamment une superbe indifférence à l’égard d’une Italie submergée, un raté qu’Ursula von der Leyen a finalement reconnu en présentant ses excuses au peuple italien, le 2 avril, dans une lettre publiée par la Repubblica.

Excuses réitérées le jeudi 16 avril devant le Parlement européen : «Il est vrai […] que trop peu ont réagi à temps lorsque l’Italie avait besoin d’aide au tout début. Et oui, pour ces raisons, il est juste que l’Europe dans son ensemble présente ses excuses les plus sincères.» Alors qu’elle aurait pu mobiliser le mécanisme de protection civile européen ou envoyer une aide d’urgence dès la mi-février, Ursula von der Leyen a tergiversé durant six semaines, comme l’ont démontré nos confrères du site Bruxelles 2, sans être capable de livrer une quelconque explication.

Omniprésente dans les médias allemands

En réalité, il en existe une : la présidente de la Commission continue à agir comme une Allemande et non comme une Européenne. Or Berlin ne croyait pas à l’expansion de l’épidémie. Ainsi, le 24 janvier, l’Allemagne s’est opposé à la demande de la présidence croate de l’Union de convoquer une réunion d’urgence des ministres de la Santé des Vingt-Sept sur le coronavirus. Von der Leyen a même engueulé, fin février, ses commissaires qui ont voulu mettre le sujet à l’ordre du jour des réunions ministérielles ou ont commencé à s’exprimer dans leurs médias nationaux. Preuve de cet aveuglement : lors de la conférence de presse qu’elle a donnée pour ses 100 jours, le 6 mars, elle n’a même pas prononcé le mot de coronavirus… Il a fallu que les chefs d’Etat et de gouvernement se réunissent le 10 mars pour qu’elle réalise être passée complètement à côté de son sujet.

Gaffes

Mais loin d’en tirer les conséquences en termes de communication, elle a continué à ne s’exprimer quasi exclusivement que dans les médias germaniques, tout en multipliant les gaffes : sans en discuter avec ses commissaires, elle a ainsi qualifié, le 28 mars dans une interview à l’agence DPA, les «coronabonds» de «slogan», ou encore proposé, le 12 avril dans le quotidien populaire Bild-Zeitung, de confiner les vieux jusqu’à la fin de l’année… Des propos qui peuvent passer en Allemagne, mais pas en Europe où les sensibilités sont différentes.

Autant d’éléments qui montrent qu’elle n’a toujours pas pris la mesure de son rôle. Et qu’il y a urgence à y remédier. Ses commissaires commencent d’ailleurs à se révolter contre son équipe de communication bien trop germanique, car ils paieront tous le prix de cette inexistence politique.

Photo John Thys. AFP

Categories: Union européenne

Solidarité financière: Emmanuel Macron tente de faire plier le nord

Wed, 04/22/2020 - 16:59

«Même si on trouve toujours des gens qui chouinent face au côté «bonapartiste» d’Emmanuel Macron, presque tout le monde à Bruxelles reconnaît que sans lui, l’Union se serait fracassée sur le coronavirus», analyse un haut fonctionnaire européen. De fait, après quelques jours de flottement, début mars, au moment où les autorités françaises prenaient conscience de l’importance de la pandémie et multipliaient les mesures unilatérales (comme la réquisition des masques et des respirateurs), le chef de l’Etat a ensuite résolument joué européen. Dès sa première allocution télévisée consacrée à la crise du Covid-19, le 12 mars, il met ainsi en garde contre «le repli nationaliste», le virus n’ayant «pas de passeport», et appelle à prendre des mesures «en Européens, à l’échelle européenne». Par contraste, le 18 mars, la chancelière Angela Merkel, pour son premier discours sur le sujet, ne prononce même pas le mot «Europe»…

Cette absence allemande a d’ailleurs contribué à mettre en valeur l’activisme de la France sur la scène européenne. Tout commence le lundi 9 mars, lorsqu’Emmanuel Macron appelle Charles Michel, le président du Conseil européen, qui s’activait déjà de son côté pour essayer de convaincre les Vingt-Sept de se coordonner davantage. Il lui suggère de réunir par visioconférence dès le lendemain les chefs d’Etat et de gouvernement. Ce sommet est le premier acte du retour d’une UE jusque-là totalement apathique.

Tabou

Le moment ne doit rien au hasard, le week-end des 7 et 8 mars ayant changé la perception de la crise. D’une part, tous les Etats membres sont désormais touchés, ce qui fait du Covid-19 un problème commun. D’autre part, l’Italie vient de décider de confiner le nord du pays avant d’étendre la mesure au sud, ce qui rend urgente la coordination de la réponse sanitaire, mais aussi économique. Toutefois, en dépit de ce sommet du 10 mars appelant à une «réponse commune», les Etats continuent, dans l’affolement, à prendre des mesures unilatérales : fermeture de certaines frontières intérieures, mesures sanitaires désordonnées, plans de soutien à l’économie non coordonnés. Il faudra un second Conseil européen de rang, le 17 mars, pour mettre enfin de l’ordre tant dans la gestion des frontières que dans les réponses sanitaire et économique.

Mais la solidarité entre riches et pauvres reste tabou. Pour le nord de l’Europe, chacun devra se débrouiller pour faire face aux coûts immenses de la reconstruction. «Dès la mi-mars, nous commençons à préparer l’après pour éviter qu’un pays comme l’Italie ne se retrouve seul, incapable de se financer sur les marchés et finalement tombe entre les mains des populistes», commente un conseiller de l’Elysée. Mais l’Italie n’est pas le seul problème : l’Espagne, le Portugal ou encore la Grèce rencontreront beaucoup de difficultés aussi, ce qui risque d’accroître encore les divergences existantes entre le Nord et le Sud. Il faut donc aller vers plus de solidarité financière y compris, comme le demande Giuseppe Conte, le Premier ministre italien, en lançant des «coronabonds», ce qui reviendra à mutualiser les dettes liées à la crise du Covid-19.

Noms d’oiseaux

Emmanuel Macron sait qu’il ne peut pas compter sur le gouvernement allemand, totalement engoncé dans ses vieux a priori économiques. Pour faire avancer la fédéralisation de la zone euro, puisque c’est de cela qu’il s’agit, le chef de l’Etat s’appuie donc sur Giuseppe Conte et Antonio Costa, son homologue portugais, deux hommes qui se sont révélés dans la crise et qui ne sont pas du genre à se soumettre sans combattre. «Nous cherchons toujours le franco-allemand, mais nous assumons désormais nos désaccords avec l’Allemagne», reconnait-on à l’Elysée. Ainsi, le 25 mars, Paris cosigne avec huit partenaires, mais sans Berlin, une lettre appelant à la création d’un «instrument de dette commun». Le sommet du 26 mars se termine sans surprise sur un échec, le «club des radins» (Allemagne, Autriche, Finlande et Pays-Bas) n’entendant rien céder. Mais cet affrontement violent, les noms d’oiseaux ayant même volé entre les dirigeants européens, contribue à faire bouger les lignes, comme l’espérait le Président français.

Le 9 avril, les ministres des Finances se mettent finalement d’accord sur une réponse budgétaire commune qui pourra atteindre 500 milliards d’euros. Désormais, la pression est maximale pour faire tomber le dernier bastion, celui des «coronabonds». Le sommet du 23 avril s’annonce donc dramatique, mais Macron est décidé à ne rien lâcher. Il sait que mégoter sur la solidarité européenne dans une crise de cette ampleur, c’est condamner l’Union à une mort lente.

Photo: Stéphane Lemouton. Sipa

Categories: Union européenne

Déconfinement: un feuille de route européenne

Fri, 04/17/2020 - 21:12

L’Europe va-t-elle mieux gérer son déconfinement que son confinement ? Cela devrait être à sa portée après le chaos total engendré par l’extension de la pandémie du coronavirus, lorsque chaque Etat membre a réagi en solo, sans aucune concertation européenne, ce qui a abouti à de sévères frictions politiques entre eux sans pour autant stopper la propagation de la maladie. Pour ce faire, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, et Charles Michel, le président du Conseil européen, ont rendu public, mercredi, une «feuille de route», un document de 15 pages, commandé par les vingt-sept Etats lors de leur sommet du 26 mars, afin de coordonner la remise en activité des économies à l’arrêt depuis plus d’un mois.

Des «kits» d’autodiagnostic

Le but est d’éviter des mesures contradictoires qui pourraient relancer la pandémie, celle-ci «ne pouvant se combattre à l’intérieur des frontières», ou provoquer des ruptures des chaînes d’approvisionnement déjà mises à rude épreuve par les fermetures de frontières. Les deux présidents plaident donc pour que les Etats, qui restent pleinement souverains pour décider du rythme de la levée du confinement, se concertent a minima entre eux et informent la Commission avant toute prise de décision. Pour eux, trois critères devront être préalablement remplis : une décrue significative et durable du nombre de nouveaux cas, une capacité suffisante du système hospitalier pour traiter les malades, et, enfin, la mise en place de tests de détection menés à une large échelle combinés avec la possibilité de placer les malades en quarantaine.

Ils plaident aussi pour la création d’une application mobile européenne qui, sur une base volontaire et en respectant l’anonymat, permettrait de prévenir une personne qu’elle a été en contact avec un porteur du Covid-19, mais aussi de tracer les interactions entre les gens afin de prévenir l’apparition de nouveaux foyers. Pour faciliter ce travail de détections, ils proposent que des «kits» d’autodiagnostic soient mis à la disposition du public.

Un confinement prolongé pour les groupes à risques ?

Pour les deux présidents, la levée du confinement ne pourra qu’être graduelle, limitée dans un premier temps aux mesures qui n’ont qu’un impact local et surtout réversible en cas de regain de la pandémie, par exemple en instaurant un «cordon sanitaire». La réouverture des frontières intérieures devra se faire dès lors que les conditions épidémiologiques seront les mêmes dans les régions frontalières. Quant aux frontières extérieures de l’Union, la décision sera prise en fonction de l’évolution de la pandémie dans le monde… En attendant, la Commission va mettre en place un système d’alerte rapide pour parer à toute interruption des chaînes d’approvisionnement.

Jusqu’à la découverte d’un vaccin, la feuille de route plaide pour que les règles de distanciation physique et d’hygiène restent en vigueur pour les personnes, mais aussi dans les lieux publics et les transports. De même, elle recommande que l’utilisation des masques soit imposée dans tous les lieux publics fermés. La proposition la plus explosive est celle d’un déconfinement différencié : les groupes les plus vulnérables identifiés (personnes âgées, malades chroniques, malades mentaux) pourraient rester confinés plus longtemps si un Etat le décide.

Autant dire qu’il va falloir s’habituer à vivre avec le virus, comme le reconnaissent les deux présidents, jusqu’à ce qu’un vaccin et un traitement soient découverts. Pour accélérer les choses, la Commission va organiser, le 4 mai, en coordination avec l’Organisation mondiale de la santé, une « conférence des donateurs » afin de lever des fonds pour la recherche. « C’est notre meilleure chance collective de vaincre le virus », a expliqué Ursula von der Leyen.

Categories: Union européenne

Le président du conseil européen de la recherche rate sa sortie

Fri, 04/17/2020 - 21:10

L’affaire a fait du bruit dans le landerneau bruxellois : le président du Conseil européen de la recherche (CER), l’Italo-Américain Mauro Ferrari, en poste depuis le 1er janvier, a claqué la porte le 7 avril en accusant le conseil scientifique composé de 21 membres, le véritable organe décisionnaire de cette agence qui distribue chaque année entre 1 et 2 milliards d’euros à des équipes de recherche, d’avoir refusé de lancer un appel d’offres afin de découvrir un vaccin contre le coronavirus. «Je suis extrêmement déçu par la réponse européenne», a-t-il déclaré au Financial Timesqui a révélé l’affaire : «J’en ai vu assez […], j’ai perdu foi dans le système lui-même.»

L’Europe une nouvelle fois incompétente, l’histoire est presque trop belle, une aubaine pour la presse britannique toujours friande de ce genre de ratés communautaires. Et c’est bien le cas, car la réalité est infiniment plus triviale : Ferrari, un médecin spécialiste des nanotechnologies, a en réalité été viré par le conseil scientifique (qui a statué à l’unanimité) le 27 mars, avec le soutien de la commissaire à la Recherche, la Bulgare Mariya Gabriel.

«Au mieux économe de la vérité»

«Il s’est montré infâme avec le personnel et s’est mis à dos, par son attitude, toute la communauté scientifique. Pire : il est en conflits d’intérêts», car il a des liens avec des sociétés commerciales, en particulier avec une entreprise américaine de biotechnologies, Arrowhead Pharmaceuticals, détaille un membre du conseil scientifique. «Dès lors, il passait plus de temps aux Etats-Unis, où il enseigne en plus à l’université de Washington, qu’à Bruxelles. La Commission lui a offert un poste de conseiller spécial à la direction générale de la recherche, mais il a préféré partir sur un coup d’éclat.»

Dans un communiqué sanglant, publié le 8 avril, ce dernier a donc détaillé les raisons de son limogeage en accusant Ferrari d’être «au mieux économe de la vérité». «Le professeur Ferrari a fait preuve d’un manque total d’appréciation de la raison d’être du CER», qui attribue des bourses aux chercheurs présentant des projets. Autrement dit, il fonctionne selon une logique «bottom-up» (de la base au sommet) et non «top-down» (du sommet vers la base), ce qui signifie que le CER ne peut lancer d’appels à proposition «sur des sujets spécifiques, car l’un de ses principes directeurs est que nos chercheurs sont libres de poursuivre les objectifs qu’ils définissent et de décider sur quoi ils souhaitent travailler».

«Promouvoir ses propres idées»

En outre, il «a fait preuve d’un manque d’engagement envers le CER, ne participant à de nombreuses réunions importantes […] et ne défendant pas le programme et la mission du CER lorsqu’il représentait ce dernier», Ferrari cherchant surtout «à promouvoir ses propres idées». Enfin, sur le coronavirus, le conseil scientifique rappelle qu’il a financé plus de 50 projets de recherches fondamentales «qui contribuent à la réponse à la pandémie»actuelle, pour environ 100 millions d’euros. Une somme à laquelle il faut ajouter les programmes de recherches appliquées financés directement par la Commission (plus de 200 millions d’euros).

Reste une question : comment le conseil scientifique a-t-il pu se planter à ce point ? En réalité, parce que la nomination du président du CER, nommé pour cinq ans, lui échappe largement. En effet, c’est un comité de sept membres présidé par Mario Monti, ancien commissaire européen et ancien Premier ministre italien, qui sélectionne les candidatures et en retient trois. Le conseil scientifique fait ensuite son choix : «On a eu les dossiers le temps d’un dîner au restaurant et on a choisi Ferrari, car c’était le moins pire des trois», explique l’un de ses membres… En clair, le travail a été mal fait en amont. Beaucoup de bruit pour rien.

Photo: Photo Giselle Yeung. AP

Categories: Union européenne

L'Union solidaire, sous conditions

Tue, 04/14/2020 - 21:26

Ceux qui redoutaient une nouvelle nuit de négociation pleine de bruits et de fureur au cours de laquelle les Ving-sept auraient une nouvelle fois étalé leurs divergences ont poussé un souper de soulagement. Le compromis sur le financement de la relance de l’économie européenne après la crise du coronavirus a été bouclé par les ministres des Finances, par visioconférence, en moins d’une demi-heure, entre 21h30 et 22h, jeudi 9 avril, après une série de bilatérales destinée à se mettre d’accord sur les derniers détails et à peaufiner chaque mot du communiqué final. « Aujourd’hui, nous avons répondu à l’appel de nos citoyens en faveur d’une Europe qui protège » avec « des propositions audacieuses qui semblaient impossibles il y a quelques semaines à peine », a plastronné Mario Centeno, ministre des finances portugais et président de l’Eurogroupe (l’instance réunissant les 19 ministres des Finances de la zone euro élargie pour l’occasion aux Vingt-sept). Un succès qui a donné lieu à un festival d’autofélicitations : « Un grand jour pour la solidarité européenne », pour l’Allemand Olaf Scholz, « une proposition ambitieuse » pour son collège italien, Roberto Gualtieri, « un pas majeur vers plus de solidarité européenne », pour Bruno Le Maire.

«Monsieur non»

Afin d’éviter la répétition du scénario noir de la nuit de mardi à mercredi, les vingt-sept grands argentiers ayant négocié en vain 16 heures de rang, la chancelière allemande, Angela Merkel, le Président français, Emmanuel Macron, et le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, le « Monsieur non » européen, ont pris l’affaire en main. Il fallait à tout prix, en pleine pandémie, afficher une forte unité européenne, même si sur le fond les divergences restent fortes. Ils sont parvenus jeudi en fin de matinée à un compromis qui a rassuré les Néerlandais, mais au prix de beaucoup de non-dits sur le futur « plan de reconstruction » voulu par la France et ses partenaires du sud de l’Europe.

Il faut savoir que le débat ne porte déjà plus sur la réaction immédiate à la crise du coronavirus : de fait, la Banque centrale européenne a injecté plus de 1000 milliards d’euros dans le système sans compter des prêts géants aux entreprises à court de liquidités ou encore la Commission a suspendu le Pacte de stabilité budgétaire et les règles de concurrence européenne, ce qui a permis aux États de décider de plan de soutien à leur économie représentant en moyenne 10 % de leur PIB. « Quand on voit ce qu’on a fait en un mois, c’est incroyable », se félicite un diplomate d’un grand pays : « on a tiré les conséquences des crises précédentes en utilisant très vite et très fort tous les instruments à notre disposition ».

«Anticiper»

Depuis deux semaines, le débat porte sur ce qu’il faudra faire dans un second temps : « cette fois, on n’attend pas d’être au bord du précipice, comme on l’a fait lors de la crise de la zone euro, on essaye d’anticiper », note un diplomate français. Et c’est là que ça coince, les États du nord de l’Europe s’accrochant à leurs vieilles lunes, en particulier le refus d’une trop grande solidarité financière avec leurs partenaires. C’est l’idée italienne de lancer des « coronabonds », c’est-à-dire des emprunts européens destinés à financer les dépenses de reconstruction, qui a réveillé les fantasmes d’un « club med » vivant aux crochets des pays du nord forcément vertueux…

C’est pourquoi les Pays-Bas se sont opposés à ce que le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui peut prêter jusqu’à 700 milliards aux États ne pouvant plus se financer sur les marchés, soit activé sans condition comme le demandaient ses partenaires afin de financer en partie la reconstruction. Pour eux, tout prêt du MES doit être conditionné à un plan de rigueur budgétaire, ce qui est un non-sens dans une crise qui n’est pas due à une mauvaise gestion des finances publiques nationales. Mais Amsterdam voyait là, comme Berlin au départ, un début de mutualisation des dettes. Au final, le compromis prévoit que le MES pourra prêter sans aucune condition à tous les pays de la zone euro qui le demandent jusqu’à 2 % de leur PIB (34 milliards pour l’Italie par exemple), mais uniquement pour financer les « coûts directs et indirects liés aux soins de santé, à la guérison et à la prévention » dans le cadre du coronavirus. Il s’agit d’une « ligne de précaution » qui ne sera activée que si un État voit ses coûts de financement augmenter sur les marchés… « En clair, le MES ne servira pas en réalité », commente un diplomate européen.

«Fonds de reconstruction»

De même, les Néerlandais ont réussi à écorner SURE, le fonds de 100 milliards d’euros qui va épauler les systèmes d’assurance chômage des États le temps que durera la pandémie. La Commission voulait lancer, pour le financer, des emprunts garantis par les Etats avant de repréter à taux préférentiel les sommes réunies aux pays qui le demandent. Désormais, l’exécutif européen devra d’abord utiliser les marges existantes dans le budget européen, qui lui permettent d’emprunter sur les marchés, avant de demander la garantie des États. Toujours cette peur d’être engagé auprès du « club med »…

Mais la vraie bataille est à venir. Et elle s’annonce violente. Mises bout à bout, les sommes réunies par l’Union atteignent à peine plus de 500 milliards d’euros, une somme à laquelle il faut ajouter les 27 plans nationaux. Autant dire que les capitales européennes ont conscience qu’il faudra aller beaucoup plus loin à l’image des États-Unis qui ont déjà mis sur la table 2200 milliards de dollars… D’où l’idée française d’un « fonds de reconstruction » géré par la Commission destinée relancer l’économie, soutenir les secteurs les plus en difficulté, mettre en œuvre une politique industrielle européenne dans le domaine de la santé et, enfin, financer le Pacte vert et le développement du numérique. Un fonds qui serait alimenté par des emprunts européens. Cette proposition figure bien dans les conclusions de l’Eurogroupe, « même s’il reste tout à faire », reconnait-on à Paris. Car la France veut une véritable mutualisation des dettes : chaque État rembourserait ces emprunts en proportion de son PIB sans considération pour les sommes qu’il a reçues. Ce qui passera mal dans les pays du nord. Reprise des hostilités d’ici la fin du mois d’avril, lorsque la Commission présentera sa proposition de budget européen revu à la hausse…

Photo Ludovic Marin. AFP

Categories: Union européenne

Jean-Claude Juncker: "Exclure les coronabonds est de courte vue"

Tue, 04/14/2020 - 21:08

Le gouvernement néerlandais assume son rôle de « bad guy » de l’Union européenne. Le ministre des Finances du royaume batave, Wopke Hoekstra, a fait échouer, une nouvelle fois, une réunion des ministres des Finances des Vingt-sept consacrée à la réponse économique à la crise du coronavirus. 16 heures de discussions par vidéoconférence et apartés téléphoniques, qui ont débuté mardi 7avril à 16h30, n’ont pas permis de trouver un accord. Et pourtant la discussion ne portait pas sur « LE » sujet qui fâche, les « coronabonds » ou emprunts européens destinés à financer la reconstruction de l’Union, délibérément mis de côté, mais sur un sujet a priori plus consensuel, l’activation du Mécanisme européen de stabilité (MES) habilité à prêter jusqu’à 700 milliards d’euros aux pays de la zone euro.

Pour Hoekstra, le pays qui demanderait l’aide du MES devra se soumettre à un plan de rigueur budgétaire, comme ont dû le faire dans le passé l’Irlande, le Portugal, Chypre et la Grèce ! Seule « exception » concédée par le Néerlandais : si l’emprunt est destiné à couvrir les frais de santé. Cette « conditionnalité » est évidemment totalement inacceptable pour la quasi-totalité des pays de la zone euro : elle a, en effet, été prévue lors de la crise de la zone euro pour redresser les comptes publics d’un État ayant mal géré ses comptes publics, ce qui n’est pas le cas avec la crise actuelle qui touche tout le monde en même temps. Ce blocage néerlandais est « contreproductif, incompréhensible et intenable », commente-t-on à l’Élysée.

Les travaux reprendront jeudi. L’attitude néerlandaise laisse mal augurer du sort des « coronabonds » : « il faut que le sujet reste ouvert pour les chefs d’État et de gouvernement ». Seule consolation : les Vingt-sept ont donné leur accord de principe pour que la Banque européenne d’investissement crée un fonds de garantie destiné aux entreprises doté de 25 milliards d’euros, ce qui permettra de lever sur les marchés jusqu’à 200 milliards. De même, ils ont donné leur feu vert à l’initiative SURE de la Commission : il s’agit d’un instrument doté de 100 milliards d’euros qui seront prêtés aux États pour couvrir une partie du coût du chômage partiel. Il sera alimenté par des prêts contractés sur les marchés par l’exécutif européen.

Libération a demandé à Jean-Claude Juncker, l’ancien président de la Commission européenne (2014-2019) et ancien président de l’Eurogroupe (2005-2013), comment il jugeait la réponse européenne à la crise du coronavirus.

Après l’échec du conseil des ministres des Finances de mardi, n’y a-t-il pas de quoi désespérer de l’Europe ?

Si on devait espérer de l’Europe, il y a longtemps que j’aurais perdu tout espoir ! Ce qui fait que je ne fais jamais trop d’illusions à son sujet. Il m’aurait semblé normal que les Vingt-sept marquent leur ardeur à mettre en œuvre sans condition le Mécanisme européen de stabilité (MES). D’autant que le MES ne sera pas suffisant pour relancer nos économies. Bloquer son usage parce qu’on tient obstinément, idéologiquement, religieusement à la mise en place d’une conditionnalité sévère est irresponsable.

Au-delà du MES, ne faudrait-il pas aller plus loin dans la solidarité financière européenne ?

Bien sûr ! D’ailleurs, la Commission a déjà fait des propositions en matière de cofinancement du chômage partiel ou encore a mis en place un programme d’aide aux PME. Il faut aller au-delà : pour moi, le plus important est d’augmenter considérablement, je le dis avec force, le cadre financier pluriannuel 2021-2027, que ma Commission a proposé en 2018 et qui n’est toujours pas adopté, afin qu’il contribue à la résolution de la crise économique. Je sais qu’il y a des États membres qui considèrent que ce que j’avais proposé est déjà trop élevé alors même qu’il ne s’agissait que de maintenir le niveau actuel de dépenses en tenant compte du Brexit. Mais il est désormais évident que, vu l’ampleur de la crise, il faut utiliser le budget européen comme un instrument de solidarité réactif.

Êtes-vous en faveur de la création d’une « capacité d’emprunt européen » comme le proposent une dizaine de pays européens, dont la France ?

C’est l’une des solutions possibles. En décembre 2010, en qualité de président de l’Eurogroupe, j’avais proposé la création d’eurobonds afin que tous les membres de la zone euro bénéficient du même taux d’intérêt. Mais il faut bien faire la différence avec les « coronabonds » : il ne s’agit pas de mutualiser les dettes nationales du passé, une idée contre laquelle la moitié de l’Europe s’était élevée, mais de mutualiser la dette qui naitra de la mise en place des moyens budgétaires nécessaires pour répondre à la crise du coronavirus. Il s’agit d’organiser solidairement ce financement de la crise actuelle en cumulant les différents instruments : Banque européenne d’investissement, MES, budget européen et enfin « coronabonds ».

Comprenez-vous pourquoi l’Allemagne ou les Pays-Bas demeurent hostiles à un emprunt européen ?

Je comprends seulement qu’on ne puisse pas les mettre en œuvre demain matin : même si on se mettait d’accord sur leur principe, cela prendrait des mois et des mois pour adopter l’architecture de la gouvernance des coronabonds. Il est clair que la réponse immédiate n’est pas là. Mais les exclure à tout jamais de l’arsenal européen me semble de courte vue. Les pays du sud auront l’impression que les États du nord dit vertueux ne sont pas prêts à partager solidairement le fardeau de la crise. C’est un geste de solidarité et le refuser n’est pas le comportement à adopter. Ça, je ne le comprends pas du tout.

Comment jugez-vous la réponse de l’Union à cette crise ?

Les premières réactions furent nationales, car le cadre de référence reste national. J’attribue ce réflexe au fait que l’Union ne dispose que de compétences très limitées en matière de santé publique. C’est un défaut de construction des traités européens qui a contraint la Commission à rester spectatrice au début de la crise. Si elle avait disposé de compétences propres, elle aurait pu être un lanceur de pré-alerte ce qui aurait pu permettre de prendre en temps utile les mêmes mesures partout et d’éviter des fermetures désordonnées de certaines frontières intérieures. Mais, après le conseil européen des chefs d’État et de gouvernement du 10 mars, elle a pris au sérieux le rôle de coordination que les États lui ont confié et a agi avec une célérité remarquable : réouverture des frontières intérieures, mise entre parenthèse du Pacte de stabilité, souplesse des règles encadrant les aides d’État, proposition d’un financement commun du chômage partiel, etc.

Mais la Commission aurait pu sortir de ses compétences et proposer un plan d’action ?

Au moment de la crise grecque, en 2015, on m’a signifié que la Commission devait s’en tenir à ses compétences. Il est facile de l’accuser la Commission de tous les maux, mais imaginons qu’elle n’existe pas, le désordre aurait continué !

L’avenir de l’Union n’est-il pas compromis si les peuples ont l’impression que la solidarité financière n’existe pas ?

Je vois un risque que les pays du sud se détournent du projet européen si l’Union ne sait pas réagir avec l’élan de solidarité qu’il faudrait. Antonio Costa, le Premier ministre portugais, a qualifié de « répugnants » les propos curieux, erronés, scandaleux du ministre des Finances néerlandais qui demandait un audit des politiques budgétaires des pays du sud. Le discours des Pays-Bas consiste à dire qu’ils n’ont pas à payer les dettes des autres : mais il ne s’agit pas de payer les dettes du passé, mais d’organiser le financement futur des coûts de la crise.

La crise actuelle met-elle davantage en péril le projet européen que les crises précédentes, comme celle de la zone euro ?

D’un point de vue strictement politique, cette crise se révèlera moins douloureuse et dangereuse si l’on fait les choses comme il faut. Je m’explique. Lors de la crise financière, certains États membres se sont retrouvés dans une situation grave à cause de leur comportement fautif dans leur conduite budgétaire : on avait donc beaucoup de mal à justifier la solidarité dans les pays qui se croient budgétairement plus vertueux. Cette fois-ci, il est beaucoup plus facile à expliquer aux opinions publiques, car nous menons une guerre commune contre un fléau invisible.

L’Europe se fera que dans les crises disait Jean Monnet…

J’ai toujours regretté qu’il faille des crises pour que nous soyons à même de nous ressaisir. Gouverner c’est prévoir. Et prévoir cela aurait été de donner des compétences en matière de santé à l’Union au lieu de nous accrocher à nos vieux logiciels.

N.B. : Interview parue dans Libération du 9 avril

Photo Stéphane Remael

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La démocrature hongroise au banc des accusés

Sun, 04/12/2020 - 19:36

Les conservateurs du PPE (parti populaire européen) n’en finissent pas de se déchirer sur le cas de Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, qui s’est arrogé, le 31 mars, les pleins pouvoirs pour une durée illimitée (avec suspension du Parlement) en profitant de la pandémie du coronavirus. Dès le lendemain, 13 partis de 11 pays (Suède, Finlande, Belgique, Pays-Bas, Tchéquie, Slovaquie, etc.), sur les 82 que compte le PPE, ont demandé l’exclusion du Fidesz, le parti d’Orban, déjà « suspendu » depuis mars 2019 pour ses dérives autocratiques. Le président des conservateurs européens, le Polonais Donald Tusk, est sur la même ligne : il juge les mesures d’urgence hongroises «moralement inacceptables».

Mais aucun des partis de droite des grands pays n’a signé cette lettre –les seules signatures qui sortent du lot est celle de Kyriakos Mitsotakis, le Premier ministre grec et son homologue norvégienne, Erna Solberg- qui dénonce « une claire violation de la démocratie libérale et des valeurs européennes ». La CDU-CSU allemande qui, de fait, dirige le PPE, le Parti populaire espagnol ou les Républicains français sont restés aux abonnés absents. Mais le nombre de signataires est suffisant pour que l’exclusion du Fidesz soit soumise au vote de la prochaine assemblée politique prévue en juin (normalement…).

La pression sur le PPE devient d’autant plus forte que quatorze gouvernements -l’ensemble des pays d’Europe de l’Ouest à l’exception de l’Autriche- ont cosigné, la semaine dernière, une déclaration dans laquelle, sans citer nommément la Hongrie, ils se déclarent « profondément préoccupés par le risque de violation des principes de l’État de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux découlant de l’adoption de certaines mesures d’urgence » qui « devraient être limitées à ce qui est strictement nécessaire, être proportionnées et provisoires par nature ». Le fait que l’Allemagne, dirigée par une grande coalition CDU-SPD, se soit jointe à ce texte, montre que le vent a clairement tourné. De même, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, et membre de la CDU, se dit prête à agir contre la Hongrie : «Il y a un nombre conséquent d’États membres qui ont mis en place des mesures d’urgence et je le comprends». Mais elles doivent s’appliquer «pour une durée limitée dans le temps » et dans le but de « protéger la santé des citoyens et permettre une riposte rapide de la part du gouvernement».

Cela étant, le Parlement européen a demandé, en septembre 2018, à ce que l’article 7 du traité européen soit activé afin de constater qu’il existe « un risque clair de violation grave des valeurs européennes », première étape pouvant mener à de très hypothétiques sanctions (car décidées à l’unanimité). Mais comme il faut une majorité de 22 pays sur 27 pour lancer l’article 7, la résolution est restée sans suite.

Quant à l’exclusion du Fidesz du PPE, il est douteux qu’elle soit menée à son terme, l’intérêt du groupe politique au Parlement européen étant de garder ses 13 élus : avec ses 187 députés, il reste de loin le premier groupe, loin devant les socialistes (147) et les centristes de Renew Europe (98)… Viktor Orban le sait et il en joue. Jeudi, dans une lettre adressée à l’un des trois sages nommés par le PPE afin d’évaluer la situation dans son pays, l’Autrichien Wolfgang Schüssel, il a affirmé consacrer « tout mon temps à sauver la vie du peuple hongrois » et ne pas avoir de temps à perdre avec les « fantasmes » sur son exclusion. Bon prince, il accepte cependant d’en discuter une fois la crise terminée.

Photo Zoltan Matha AP

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Le "club des radins" lâche du lest

Tue, 04/07/2020 - 18:01

Le coronavirus décime une à une les vaches sacrées de l’Union européenne. Après le Pacte de stabilité budgétaire et les règles de concurrence mis entre parenthèses, les profondes entorses à la libre circulation et au libre-échange, le retour de la politique industrielle, c’est désormais une forte solidarité financière, jusque-là impensable, qui pourrait voir le jour. En effet, les lignes bougent très rapidement : le « club des radins » (Allemagne, Autriche, Finlande et Pays-Bas), qui a brutalement refusé, lors du sommet européen du 26 mars, la création d’un « instrument de dette commun », se montre désormais plus ouvert à l’idée d’affronter de conserve la crise économique qui vient.

Révolte

« Il y a eu un effet boomerang que ces quatre pays n’avaient pas anticipé », analyse un diplomate européen : « leur brutalité, leur indifférence à la situation sanitaire de l’Italie ou de l’Espagne, a suscité un vent de révolte. Apparaitre comme égoïstes dans une crise sanitaire qui touche tout le monde, ils ne pouvaient pas faire pire ». Non seulement leurs partenaires les ont critiqués sans s’embarrasser, pour une fois, de formules diplomatiques, mais une partie de leur opinion publique et de leur classe dirigeante les ont lâchés à l’image du président de la banque centrale néerlandaise, Klaas Knot : « dans cette période, où l’on voit des camions circuler avec des cadavres à la recherche de crématoires, l’accent doit être mis sur la solidarité » européenne. Ce grand argentier, qui fait partie des « faucons » de la Banque centrale européenne, a rappelé que les Pays-Bas devaient leur prospérité à l’Union et qu’éviter son délitement était de leur intérêt national. Ou encore à l’image de l’ancien vice-chancelier social-démocrate, Sigmar Gabriel, qui s’est interrogé : «si nous ne sommes pas maintenant prêts à partager notre richesse alors je ne sais pas ce qui va advenir de cette Europe».

Depuis, une semaine, le débat dans ces pays n’a pas cessé, ce qui les a conduits à assouplir leur position et à proposer une « réponse européenne » à la crise. Ainsi le très rigoriste social-démocrate Olaf Scholz, le ministre allemand des Finances, se dit « prêt à la solidarité, mais une solidarité bien pensée ». « Dans cette période extraordinaire, nous avons suspendu toutes nos règles », explique-t-on à l’Élysée : « si on en reste là, c’est-à-dire au laisser-faire national et on verra qui s’en sortira, on pourra logiquement nous rétorquer après la crise : mais alors pourquoi on nous emmerde en temps normal ? » Autrement dit, « la réponse communautaire, c’est-à-dire la solidarité en temps de crise, n’est pas une option, sinon c’est tout le projet européen qui s’effondre ». Le club des radins commence à en prendre conscience.

Blocage psychologique

Mais les « coronabonds », c’est-à-dire un emprunt européen destiné à financer les dépenses liées à la crise du coronavirus, restent toujours aussi inacceptables pour Berlin ou Amsterdam. Pourtant, il ne s’agit pas de mutualiser de la vieille dette, mais simplement d’apporter une garantie commune à des levées d’emprunt ce qui assurerait un taux particulièrement bas. C’est seulement en cas de défaut d’un État (très improbable, vu l’action de la BCE qui garantit sans limites les dettes de la zone euro) que cela coûterait de l’argent aux États garants…

Un blocage psychologique qui explique que ces pays sont plutôt favorables à l’activation du Mécanisme européen de solidarité (MES), un organisme intergouvernemental (qui décide à l’unanimité des gouvernements) pouvant lever jusqu’à 700 milliards d’euros sur les marchés financiers. L’idée serait qu’il puisse prêter de l’argent aux pays qui en ont besoin sans le plan de rigueur qui y est normalement associé. Le problème est que ces prêts sont normalement réservés à des États qui n’ont plus accès au marché, ce qui n’est le cas de personne aujourd’hui. Les Pays-Bas proposent en plus la création d’un fonds de 10 à 20 milliards d’euros alimenté par des contributions nationales (Amsterdam se dit prêt à mettre au pot 1,5 milliard d’euros) : l’argent serait donné sans condition. « Ce n’est pas suffisant, mais c’est une idée intéressante qui permet de discuter », note un diplomate français. Une autre piste qui fait l’unanimité est l’utilisation de la Banque européenne d’investissement qui peut emprunter et prêter plusieurs dizaines de milliards d’euros : « ça passera par une augmentation de son capital, mais la BEI a montré à quel point elle était efficace ».

«Champs des possibles»

Bruno Le Maire, le ministre des Finances français, a présenté, mercredi, la proposition de la France : un « fonds de sauvetage européen » géré par la Commission d’une durée de vie de 5 à 10 ans et destiné à financer « les programmes dédiés pour renforcer les systèmes de santé et relancer l’économie ». Il serait alimenté par un impôt de solidarité ou une contribution des États membres et pourrait émettre des obligations avec la garantie commune des Vingt-sept. Autre « brique », selon le mot d’un diplomate, le fonds SURE proposé jeudi par la Commission qui vise à offrir, pendant la durée de la crise, un filet de sécurité minimal destiné à financer les dépenses d’assurance chômage des États membres : l’Union emprunterait 100 milliards d’euros sur les marchés avec la garantie commune des États membres avant de les reprêter aux pays qui en ont le plus besoin.

Enfin, la Commission a annoncé qu’elle allait modifier sa proposition de « cadre financier pluriannuel » pour la période 2021-2027, « ce qui reste le meilleur instrument possible à condition qu’il soit clairement plus ambitieux et plus conséquent que la proposition Juncker », dit-on à l’Élysée

« Le champ des possibles apparait », commente satisfait un diplomate européen de haut rang : « d’autres propositions vont suivre, Rome et Madrid préparant une initiative commune ». Il reviendra aux ministres des Finances qui se réunissent mardi 7 avril de lister les options et la décision finale reviendra aux chefs d’État et de gouvernement.

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Coronabonds: touche pas au grisbi !

Wed, 04/01/2020 - 18:30

Les obligations européennes, ou eurobonds, c’est nein, neen, ei pour le «club des radins» (Allemagne, Autriche, Finlande et Pays-Bas), comme il l’a martelé lors du sommet européen de jeudi. Les quatre estiment en avoir déjà assez fait pour limiter les conséquences économiques du coronavirus en donnant leur blanc-seing à l’action de la Banque centrale européenne (BCE) et en suspendant le Pacte de stabilité budgétaire. Que certains n’aient pas les moyens de remettre en marche leur économie en KO technique n’est pas leur problème, et il n’est pas question que l’Union emprunte sur les marchés pour les financer.

Le risque italien

Un égoïsme assumé et un rien méprisant que ne supportent plus leurs partenaires, lassés de se faire administrer des leçons par des pays qui sont les principaux bénéficiaires du marché unique et surtout de l’euro, dont la sous-évaluation leur permet d’encaisser de fabuleux excédents commerciaux. Surtout, il est totalement incompréhensible : n’est-il pas dans leur intérêt que les Etats les plus touchés par la pandémie se remettent le plus vite possible, non seulement pour continuer à exporter, mais aussi pour éviter un délitement de l’euro et de l’Union qui sera inéluctable si les populistes ramassaient la mise, notamment en Italie ? Dit autrement, la mutualisation des pertes est un investissement dans l’avenir économique et géopolitique des radins : si l’Europe s’effondrait à cause de leur égoïsme, non seulement le club des radins y laissera beaucoup de plumes sur le plan économique, mais il aura de véritables ennemis à ses portes…

Il faut bien comprendre que l’attitude des radins est purement idéologique, car les eurobonds ne leur coûteraient pas un euro, puisqu’il s’agirait d’emprunter avec une garantie commune. Seule la faillite d’un pays, totalement improbable puisque la BCE garantit sans limite les dettes des pays de la zone euro, les obligerait à mettre la main au portefeuille… Les eurobonds, c’est en réalité un signal de solidarité. La refuser, c’est menacer tout l’édifice européen, comme l’a dit samedi Jacques Delors, l’ancien président de la Commission qui est sorti d’un long silence.

Rassurer les radins

«On ne sortira pas de cette affaire à 27 ou à 19», soupire-t-on à Paris tant le blocage est grand. La réflexion sur d’autres voies possibles a déjà commencé. L’activation du Mécanisme européen de stabilité (MES) est l’une des pistes : l’idée est de l’autoriser à emprunter sur les marchés (il peut lever jusqu’à 700 milliards d’euros) afin de financer les dépenses de reconstruction. Ce serait des «coronabonds» qui ne diraient pas leur nom. L’aspect rassurant pour les radins est que les parlements nationaux devront donner leur feu vert à chaque levée de fonds.

Une autre piste est de passer par le budget européen. On pourrait soit augmenter le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, en cours de négociation, bien au-delà des 1,13 % du RNB européen (revenu national brut) proposé par la Commission. Ou, dans un premier temps, voter un «budget de guerre», selon l’expression d’un haut fonctionnaire européen, pour 2021. A Paris, on évoque une augmentation de 20 à 30 %, soit 30 à 40 milliards d’euros (en 2019, le budget était de 150 milliards). Le problème est qu’il faudra là aussi un vote à l’unanimité des 27. Or, le club des radins, renforcé par la Suède, a exigé, lors du sommet des 20-21 février, que le CFP ne dépasse pas 1 %. Et le coronavirus ne semble pas avoir terrassé leur amour de l’austérité.

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L'après coronavirus sera politique

Wed, 04/01/2020 - 18:20

Le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz, et la présidente de la BCE, Christine Lagarde, à Bruxelles le 17 février

L’Union européenne a appris ses gammes. En 2007-2008, lors de la crise financière, puis en 2011-2012, lors de la crise de la zone euro, elle avait agi trop peu, trop tard en privilégiant le national sur l’européen. Aujourd’hui, elle a frappé vite et fort, tant sur le plan monétaire, avec l’intervention massive de la Banque centrale européenne (BCE), que budgétaire, avec la suspension du pacte de stabilité, pour amortir le choc de la mise à l’arrêt des économies européennes pour cause de coronavirus (lire pages 2 à 5). Mais beaucoup d’Etats, dont la France, estiment que cette réaction sans précédent à une crise sans précédent reste insuffisante. Pour eux, il faut dès maintenant préparer l’après, qui se jouera non seulement sur le plan économique mais surtout politique, les populistes étant en embuscade. Les Vingt-Sept, réunis jeudi 27 mars par visioconférence, pour la troisième fois en trois semaines, ont donc lancé les travaux de sortie de la pandémie.

«Bonne crise»

«On a été surpris par la brutalité de la crise au départ, c’est vrai,reconnaît-on à l’Elysée, mais on peut se préparer dès maintenant à la sortie de la pandémie.» Pour Emmanuel Macron, c’est l’occasion d’aller enfin plus loin dans l’intégration communautaire, notamment en mutualisant les coûts induits par la lutte contre le coronavirus et la longue reconstruction économique qui s’annonce. Avec tous les guillemets possibles, on estime à Paris qu’il «ne faut pas gâcher une bonne crise» en revenant au statu quo ante. Le problème, comme d’habitude, est que les Etats membres sont divisés.

Pour l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande ou encore les Pays-Bas, l’Union a déjà été aux limites de son action et ils estiment avoir beaucoup fait en acceptant que l’orthodoxie budgétaire soit mise entre parenthèses et en souscrivant sans trop rechigner aux mesures de la BCE. Mais pour eux, tout cela reste temporaire. «Une fois la crise terminée - nous espérons que ce sera le cas dans quelques mois -, nous reviendrons à la politique d’austérité et, dès que possible, à la politique de l’équilibre budgétaire», a ainsi clamé mardi Peter Altmaier, le ministre allemand de l’Economie, chrétien-démocrate proche de la chancelière Angela Merkel.

D’autres, en particulier les pays du sud de l’Europe particulièrement frappés par cette crise, ne sont absolument pas de cet avis. Dans une lettre adressée mercredi à Charles Michel, le président du Conseil européen, neuf chefs d’Etat et de gouvernement (France, Belgique, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Portugal, Slovénie et Espagne), soutenus par le Parlement européen, estiment que «nous devons prendre des décisions extraordinaires pour limiter les dommages économiques» causés par «les mesures extraordinaires que nous prenons pour contenir le virus».

Outre l’arsenal déjà déployé, ils proposent de créer «un instrument de dette commun émis par une institution européenne pour lever des fonds sur le marché, sur la même base et au bénéfice de tous les Etats membres, assurant ainsi un financement stable à long terme des mesures requises pour faire face aux dégâts causés par cette pandémie». En clair, ces pays veulent briser le tabou nordique des eurobonds - ou emprunts européens - afin de mutualiser les pertes dues à la crise.

«Il ne s’agit pas pour l’instant de dire tel montant sous telle forme[c’est-à-dire via le Mécanisme européen de stabilité ou via le budget communautaire, ndlr], explique-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron, car cela tuerait le débat» ; «Mais il faut l’assumer.» L’idée est d’envoyer aux marchés le signal que l’Union est solidaire et qu’elle aidera tous ses Etats à se financer à bon compte, quel que soit le montant de leur dette publique.

Imprévisible

Cette fois-ci, personne ne peut dire que la crise est due à tel Etat en particulier qui aurait mal tenu ses comptes. Tout le monde est touché en même temps par un choc extérieur imprévisible. «Si on commence à dire que l’Italie n’avait qu’à faire davantage d’efforts dans le passé pour avoir davantage de marge de manœuvre pour refuser toute solidarité, le coût politique sera énorme», poursuit-on à l’Elysée.

De fait, si la solidarité européenne ne va pas au-delà de la gestion du choc initial, les populistes empocheront la mise : «Si l’Italie se retrouve dans un marasme économique total sous le regard indifférent de l’Europe, on aura de nouveau Salvini au pouvoir. Il ne faut pas oublier que la gestion de la crise migratoire de 2015 a donné l’impression aux Italiens qu’ils étaient seuls et ça a donné le Mouvement Cinq Etoiles et la Ligue au gouvernement. Cette fois, ça sera pire», prévient un proche du chef de l’Etat français. En clair, si rien n’est fait, le coût économique se doublera d’un coût politique faramineux qui pourrait emporter l’Union…

La clé est allemande, comme toujours : si Berlin dit à nouveau non, les eurobonds resteront à jamais le monstre du Loch Ness du marais européen. Mais on se veut optimiste à Paris : «La chancelière a conscience du risque italien», qui représente aussi un danger pour l’Allemagne si le marché intérieur et l’euro se délitent. Le problème est qu’elle est affaiblie, en fin de mandat, et que la CDU, son parti, n’est pas encline à se montrer solidaire de ses voisins.

On espère au moins qu’elle acceptera que le débat se poursuive. Un projet de conclusion, qui non encore validé à l’heure où nous écrivons ces lignes, prévoit de «faire tout ce qui sera nécessaire dans un esprit de solidarité», y compris, «le cas échéant», de «nouvelles actions». Bref, la porte vers des eurobonds reste ouverte.

Photo: F. Lenoir. Reuters

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Coronabonds: «Répugnant», «châtelain», les noms d’oiseaux volent entre les Vingt-sept

Wed, 04/01/2020 - 18:19

Antonio Costa

Les couteaux sont tirés. Une large majorité d’Etats européens ne supportent plus l’égoïsme et la morgue du «club des radins» (Allemagne, Autriche, Finlande et Pays-Bas). «Leur comportement de châtelain européen s’adressant à leurs sujets est insupportable», grince-t-on à Paris. Le demi-échec du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, jeudi soir, Berlin et ses alliés s’étant opposés à la création d’un «instrument de dette commun», a fait sauter le couvercle des rancœurs accumulées.

Vendredi matin, Antonio Costa, le Premier ministre portugais, s’en est violemment pris à l’attitude «répugnante» du ministre des Finances néerlandais, Wopke Hoekstra, qui a demandé à la Commission d’enquêter sur les raisons de l’absence de marge de manœuvre budgétaire de certains pays pour faire face à la crise du coronavirus : «C’est d’une inconscience absolue et cette mesquinerie récurrente mine totalement ce qui fait l’esprit de l’Union et représente une menace pour son avenir», a-t-il lancé.

«Répugnant et hypocrite»

La ministre des Affaires étrangères espagnole, Arancha González, a de son côté comparé sur Twitter l’attitude des «radins» à celle de l’équipage du Titanic réservant les canots de sauvetage aux premières classes : «Nous sommes ensemble dans ce bateau européen qui a heurté un iceberg inattendu. Nous partageons tous le même risque et nous n’avons pas le temps de discuter de prétendus billets de 1ère et 2e classe […]. L’histoire nous tiendra pour responsables de ce que nous faisons MAINTENANT.» Luigi Di Maio, le chef de la diplomatie italienne, a écrit sur sa page Facebook : «Nous attendons de la part de nos partenaires européens de la loyauté, nous attendons que l’Europe fasse sa part, parce que les belles paroles, on ne sait pas quoi en faire.»

Cette colère officiellement exprimée est partagée, mezza voce, par la France et une bonne partie des Etats membres. «Les Néerlandais sont ceux qui gueulent le plus fort contre toute solidarité, comme on l’a vu lors de la discussion sur le budget européen 2021-2027 ou [jeudi] sur les «coronabonds», mais l’Allemagne est pire que les Pays-Bas : elle est non seulement répugnante mais hypocrite puisqu’elle se cache derrière eux», tacle un diplomate européen. Ambiance.

«Je déconseille à qui que ce soit d’en reparler»

Le sommet de jeudi soir a buté sur «l’instrument de dette commun»proposé par neuf pays à l’initiative de la France : Belgique, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Portugal, Slovénie et Espagne, auxquels se sont ralliés en cours de discussion Chypre et la Slovaquie, soit 11 pays de la zone euro sur 19 (les Baltes et Malte restant silencieux). L’idée est que ces emprunts soient «émis par une institution européenne pour lever des fonds sur le marché»afin d’assurer «un financement à long terme stable des mesures requises pour faire face aux dégâts causés par cette pandémie».

Pas question d’entrer dans une telle discussion pour le «club des radins». Dès lundi, Peter Altmaier, le ministre allemand de l’Economie, un chrétien-démocrate proche de la chancelière Angela Merkel, a prévenu sur un ton martial qu’il «déconseillait à qui que ce soit de reparler» de la création d’eurobonds ou d’emprunts européens. «Ces Etats ne supportent pas que les pays du Sud qu’ils estiment avoir sauvés durant la crise de la zone euro réclament encore quelque chose», explique un diplomate de haut rang.

Angela Merkel a juste proposé que la piste du Mécanisme européen de stabilité (MES) soit explorée par les ministres des Finances : doté d’une capacité d’emprunt de 700 milliards d’euros, il pourrait mettre à la disposition des pays qui en ont besoin (mais après un vote du Bundestag…) une ligne de crédit de précaution sans aucune conditionnalité s’ils avaient des difficultés d’accès aux marchés. Mais c’est répondre à côté, puisque la Banque centrale européenne garantit déjà qu’aucun Etat de la zone euro n’aura de difficultés à se financer et que de telles lignes de crédit n’équivalent pas à une mutualisation des dépenses liées à la pandémie…

60 % du PIB de la zone euro favorable aux «coronabonds»

L’Italien Giuseppe Conte a immédiatement fait part de son mécontentement : «Je veux une réponse forte et adéquate, aurait-il lancé. Il s’agit ici de réagir avec des instruments financiers innovants et réellement adéquats à une guerre que nous devons mener ensemble pour la gagner le plus rapidement possible.» Antonio Costa et l’Espagnol Pedro Sánchez sont aussi fermement montés au front, tout comme Emmanuel Macron, qui a fait valoir qu’il ne s’agissait pas seulement de sauver Schengen en maintenant les frontières intérieures ouvertes comme lors du sommet du 17 mars, mais le projet européen. Le Grec Kyriákos Mitsotákis a par ailleurs fait remarquer que les «coronabonds» étaient soutenus par des pays représentant 60% du PIB de la zone euro.

Finalement, une formule consensuelle a été trouvée pour sauver la face : le MES sera bien sollicité mais «notre riposte sera renforcée, en tant que de besoin, par d’autres actions arrêtées de manières inclusive, à la lumière de l’évolution de la situation, en vue de mettre en place une riposte globale». Reste qu’à l’issue du sommet, Merkel a répété son opposition aux eurobonds… D’où la salve tirée vendredi par le Portugal, l’Espagne et l’Italie. L’Union européenne est décidément bien malade.

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Amélie de Montchalin: "penser l'après européen du coronavirus dès maintenant"

Sun, 03/29/2020 - 18:02

Amélie de Montchalin, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, dresse un premier bilan critique de la réponse européenne à la crise du coronavirus. Elle appelle à davantage d’intégration communautaire afin de préparer la sortie de crise.

Les premiers réflexes face à la pandémie ont été nationaux, chacun agissant comme si l’Europe n’existait pas. Après soixante-dix ans de construction communautaire, n’est-ce pas désespérant ?

Les Etats sont passés par trois phases : une phase d’observation, car le coronavirus ne s’est pas manifesté de la même façon et n’est pas arrivé en même temps partout. Puis, c’est vrai, une phase de sidération et de précipitation qui a conduit à des décisions sanitaires et économiques purement nationales et parfois irrationnelles. Ce n’est pas un hasard si tout ce qui relève de la coordination entre les gouvernements, ce que j’appelle agir en Européens, n’a pas pleinement fonctionné. Ainsi, il a été très difficile de convoquer les ministres de la Santé des Vingt-sept au début du mois de février, car la pandémie ne concernait alors que très peu de pays. Et, enfin, une phase de sursaut et de mobilisation collective qui a débuté lorsqu’on a réussi à tenir, le 10 mars, le premier Conseil européen par visioconférence à l’initiative du président de la République. Depuis, on fait des progrès tous les jours, les Etats ayant compris que l’action solitaire n’est pas efficace et peut même être dangereuse pour la vie et le travail de leurs concitoyens…

Et les institutions communautaires ?

La Commission et la Banque centrale européenne (BCE) ont agi vite et fort quand la crise est devenue aiguë. Ce qui a bien fonctionné aussi, et c’est important, c’est la coopération infranationale, entre les régions frontalières, à l’image de ce qui se passe concrètement entre le Grand Est, les Länder allemands, le Luxembourg et la Suisse (transfert et accueil de patients dans les hôpitaux ou circulation des travailleurs frontaliers, notamment les personnels médicaux).

Les fermetures désordonnées des frontières intérieures auraient pu conduire à une catastrophe économique…

C’est vrai, mais, depuis, on s’est coordonné afin d’éviter d’interrompre les chaînes d’approvisionnement, ce qui aurait provoqué une crise alimentaire et aggravé la crise sanitaire. Cela étant, la question a perdu de son acuité puisque le confinement quasi généralisé a changé l’objet de ces contrôles frontaliers : il s’agit désormais de s’assurer que chacun reste bien chez lui. Aujourd’hui, on agit en Européens.

Sur le plan économique aussi le désordre a été grand, chacun annonçant des plans de soutien sans se coordonner.

Il y a eu des réponses nationales et une réponse européenne avec les annonces de la BCE, de la Commission (fonds de soutien, règles de concurrence, réserve stratégique, etc.) mais aussi de la BEI et des régulateurs bancaires. L’important, c’est de bien coordonner la nature et l’ampleur des réponses apportées. C’est ce que sont en train de faire les ministres des finances.

Ne faut-il pas aller plus loin en lançant enfin un emprunt européen pour mutualiser les dépenses liées au coronavirus ?

Il est certain qu’il faudra faire beaucoup plus pour sortir de cette crise. Nous devons envoyer les bons signaux. Cela peut passer par la mobilisation du Mécanisme européen de stabilité (MES) ou par d’autres instruments de solidarité et de soutien. Mais il n’y a pas encore de consensus sur ce sujet.

L’Union a montré qu’elle n’était pas si rigide que cela puisque en l’espace de quelques jours, c’est tout le logiciel budgétaire et économique qui a été réécrit.

Mais nos règles elles-mêmes prévoyaient ces possibilités ce qui montre qu’elles sont d’une grande souplesse ! On l’a vu avec l’activation de la clause d’exemption générale du Pacte de stabilité et de croissance. On l’a vu aussi avec la réglementation sur les aides d’Etat qui ont été assouplies pour permettre aux Etats de soutenir leur économie. Il n’y a pas eu de débat sur ce sujet. Ce ne sont pas les dogmes en eux-mêmes qui sont le sujet, c’est notre capacité à agir ensemble une fois qu’on les a levés pour répondre à la crise.

Cette crise ne montre-t-elle pas à quel point le débat sur le budget communautaire 2021-2027 a été lunaire : se battre pour quelques décimales autour de 1% du PIB européen alors que les sommes qui sont aujourd’hui mobilisées pour combattre la crise sont 4 ou 5 fois plus importantes ?

On n’échappera pas à un bilan des retards et des manquements accumulés, révélés par la crise du coronavirus et nous n’avons pas attendu l’épidémie pour le dire. La crise actuelle montre qu’on ne négocie pas un budget en le déconnectant de nos ambitions. Si l’on veut avoir par exemple des moyens de gestion de crise, des réserves stratégiques en matériel médical, des chaînes de production pharmaceutiques ou de produits alimentaires autonomes, cela va demander de vrais moyens budgétaires. Il faut donc que l’on sache ce que l’on veut faire ensemble, savoir si l’on veut être moins dépendant de l’extérieur en matière d’approvisionnement stratégique, savoir si l’on veut être plus réactif en matière de gestion de crise et plus solidaire ? Et si certains n’ont pas envie de changer de logiciel, il faudra aussi qu’on en tire les conséquences sur notre destin commun.

Les Etats n’auraient-ils pas dû donner des compétences fortes en matière de santé à l’Union après l’alerte du Sras en 2003 ?

La période éprouvante que nous vivons nous a permis de voir ce qu’on est capable de faire ensemble à tous les niveaux et qui était impensable avant la crise, de la santé à l’économie. Mais il ne faut pas s’arrêter là : comme c’est la première fois que les pays européens sont touchés simultanément par une crise d’une telle ampleur, cela offre l’occasion de penser l’après dès maintenant. Le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement de jeudi devrait lancer ce travail. En parallèle, la conférence sur l’avenir de l’Europe que nous avons proposée est plus que jamais nécessaire : elle devra notamment identifier les grands risques qui nécessiteront une action européenne. Il n’est pas, par exemple, question d’organiser les lits d’hôpitaux dans toute l’Europe depuis Bruxelles. En revanche, il est logique que la recherche médicale soit coordonnée au niveau européen tout comme la collecte des données épidémiologiques.

Les libertés publiques ont été mises entre parenthèses dans la plupart des Etats européens : n’est-on pas en train de basculer collectivement dans un modèle d’Etat autoritaire ?

Le coronavirus n’est pas une pause dans l’Etat de droit en Europe et il ne peut pas tout justifier. Nous sommes et resterons extrêmement vigilants sur ce point comme nous l’avons toujours été.

Est-on entré en démondialisation voire en déseuropéanisation ?

Il est clair qu’en matière de médicament, il est nécessaire de relocaliser nos productions sanitaires pour être moins dépendant de l’étranger. Cela doit se faire au niveau européen : personne n’a la capacité de tout produire seul. Je le répète : le plus grand risque de cette crise est le délitement de l’Union, si on oublie d’agir en Européens et que l’on se prive d’une vraie capacité, de vrais moyens de réaction et de décision collective face aux crises. Il faudra tirer les bonnes leçons du coronavirus.

Photo Julien Mattia. Le Pictorium

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Le coronavirus a eu la peau du Pacte de stabilité

Fri, 03/27/2020 - 23:26

Le coronavirus a fait une victime inattendue, le sacro-saint Pacte de stabilité budgétaire. Les vingt-sept ministres des Finances de l’Union ont décidé à l’unanimité, lundi, de faire jouer la «clause dérogatoire» du Pacte introduite en 2011, en pleine crise de la zone euro, comme l’a proposé la Commission européenne vendredi. On est au-delà de «l’interprétation souple» des règles puisqu’elles sont tout simplement suspendues, une première dans l’histoire de la monnaie unique lancée en janvier 1999.

Constatant un «ralentissement économique grave», causée par les mesures de confinement et les fermetures des frontières destinées à lutter contre la pandémie, les Vingt-Sept ont jugé qu’il fallait permettre aux Etats de ne plus respecter, pour une durée indéterminée, le plafond des 3% de déficit public, ce qu’ils ont déjà décidé de faire en annonçant une série de plans de soutien à l’économie d’un montant équivalent à 2% du PIB de la zone euro. «Le recours à cette clause garantira la souplesse nécessaire pour prendre toutes les mesures utiles pour soutenir nos systèmes de santé […] et pour protéger nos économies», ont-ils expliqué dans un communiqué. L’Allemagne et les Pays-Bas, les «pères la rigueur» de la zone euro, n’y ont rien trouvé à redire, bien au contraire.

Eviter faillites d’entreprises et licenciements massifs

C’est donc le chemin inverse à celui emprunté lors de la crise de la zone euro (2010-2015) qu’ont décidé de suivre les Vingt-Sept. Car cette fois, il ne s’agit pas d’un choc asymétrique, les marchés se défiant des pays gérant mal leurs comptes publics, mais d’une crise qui touche tout le monde. Il faut donc amortir la violence de la crise au maximum, celle-ci ne devant pas durer plus de trois mois : si l’on veut non seulement se donner les moyens de lutter contre la pandémie, mais surtout permettre aux économies de repartir rapidement, il faut éviter au maximum les faillites d’entreprises et les licenciements massifs. A défaut, l’Union s’enfoncerait dans une longue récession.

C’est aussi pour cela que la Banque centrale européenne a sorti le grand jeu en mettant sur la table au moins 1 050 milliards d’eurosafin de racheter des obligations publiques et privées de la zone euro, mais aussi en en relançant son programme de prêts bon marché à long terme aux banques et aux entreprises et en allégeant les contraintes en fonds propres pesant sur les banques, ce qui devrait leur permettre de prêter plus de 1 800 milliards aux opérateurs économiques.

Mutualiser une partie des coûts

Au-delà, il faudra aller plus loin en mutualisant une partie des coûts engendrés par cette crise, tous les Etats n’ayant pas les moyens d’emprunter à bon compte sur les marchés ; à l’exemple de l’Italie déjà fortement endettée (130% de son PIB). Deux idées, jusque-là aussi taboues que la suspension du Pacte, sont sur la table : soit lancer des «corona bonds», c’est-à-dire un emprunt européen destiné à financer les dépenses liées au coronavirus, soit activer le Mécanisme européen de solidarité (MES) doté d’une capacité d’emprunt de 700 milliards d’euros en l’autorisant à prêter sans condition aux Etats qui en ont le plus besoin.

C’est cette dernière piste qui est privilégiée pour rassurer Berlin et Amsterdam : le MES étant un organisme intergouvernemental, ce sont leurs Parlements qui auront le dernier mot…

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Les coulisses du bras de fer entre Boris Johnson et Emmanuel Macron

Thu, 03/26/2020 - 19:22

Tout était prêt pour fermer la frontière entre la France et le Royaume-Uni dès vendredi soir. Le matin même, Emmanuel Macron a appelé le Premier ministre britannique, Boris Johnson, pour le prévenir : s’il persistait à ne prendre aucune mesure pour enrayer la progression de la pandémie de coronavirus sur son territoire, la France n’aurait d’autre choix que de refuser l’entrée sur son territoire à tous les voyageurs provenant du Royaume Uni, c’est-à-dire de le considérer comme un pays tiers. Et tous les autres Etats européens auraient fait de même, ce qui aurait été une très mauvaise nouvelle pour l’économie britannique et la politique de «benign neglect» («douce négligence») du gouvernement. «On a dû clairement le menacer pour qu’il bouge enfin», reconnait-on à l’Elysée. L’ultimatum fixé, «BoJo» a dû se résoudre à «demander», non sans réticence, aux pubs, cafés, bars, restaurants et autres lieux de rassemblement social, comme les théâtres, les cinémas et les salles de sport de fermer à compter de vendredi soir.

Boris Johnson a bougé sous la menace

Lorsque les Vingt-Sept ont décidé, le 17 mars, de fermer pour trente jours leurs frontières extérieures, le Royaume-Uni, qui a quitté l’Union le 31 janvier, a néanmoins bénéficié d’une exception :«Juridiquement, il fait partie du marché intérieur jusqu’au 31 décembre 2020 et on est toujours très intégrés économiquement, explique-t-on à Paris. Il fallait donc que Londres ferme ses frontières extérieures avec nous. En outre, il y avait la question de la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord qu’il fallait maintenir ouverte.» Mais devant le refus persistant de Johnson de bouger, même Dublin s’est dit prête à fermer sa frontière avec Belfast, quelle que soit la portée symbolique de l’évènement. En effet, si les négociations du Brexit ont pris autant de temps, c’est notamment pour maintenir ouvert le passage entre les deux parties de l’île, comme le prévoit l’accord du Vendredi saint de 1998 qui a mis fin à la guerre civile nord-irlandaise.

Mais si Johnson a bougé sous la menace, on est encore très loin du confinement italien, espagnol, français ou belge. Mais on estime à Paris «qu’il va y venir». Reste que d’autres pays européens refusent aussi de telles mesures extrêmes. Ainsi, en Allemagne, «il y a un aspect traumatique à obliger les gens à rester chez eux et à déployer la police dans la rue, estime-t-on à l’Élysée. Aux Pays-Bas et en Suède, ce sont des sociétés ouvertes, mais il y a un fort sens de la responsabilité individuelle comme le montre la chute de 85% de la fréquentation des transports publics néerlandais». Cela étant, depuis quinze jours, toutes les mesures sanitaires convergent petit à petit vers davantage de rigueur.

Gestion des frontières intérieures

Le problème le plus délicat que doivent gérer les Vingt-Sept reste celui de la fermeture plus ou moins stricte des frontières intérieures. Lors du dernier sommet européen, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont mis d’accord pour qu’il n’y ait pas d’interruption du flux de marchandises, ce qui entraînerait des ruptures d’approvisionnement, ou de la circulation des travailleurs frontaliers. «Cette question exige une gestion fine et très politique,explique-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron. On ne doit pas laisser les populistes, qui sont en embuscade, accuser les gouvernements d’être responsables de l’extension de l’épidémie. En même temps, on ne peut, en les fermant totalement, accréditer l’idée qu’un virus peut être stoppé par un contrôle de police. C’est une ligne de crête.»

Photo: GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

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Tir de barrage de la BCE contre le coronavirus

Mon, 03/23/2020 - 21:26

La Banque centrale européenne (BCE) a accru l’intensité de son tir de barrage à un niveau sans précédent afin d’essayer de limiter les dégâts économiques du coronavirus. Dans la nuit de mercredi 18 mars à jeudi 19 mars, elle a décidé d’injecter dans le système 1050 milliards d’euros d’ici la fin de l’année en rachetant les dettes émises par les États et les entreprises. Il s’agit d’une limite basse, car « il n’y a pas de limite à notre engagement envers l’euro », a tweeté dans la nuit Christine Lagarde, la présidente de la BCE : « Les temps extraordinaires nécessitent une action extraordinaire ». Décryptage.

· Pourquoi l’intervention de la BCE est devenue nécessaire.

La BCE espérait que les États la dispenseraient d’intervenir à nouveau en décidant d’une action européenne coordonnée et massive. Or, lundi, lors de l’Eurogroupe, l’enceinte où siègent les dix-neuf ministres des finances de la zone euro, et mardi, lors du sommet européen, ils se sont essentiellement contentés de valider les plans de soutiens nationaux aux économies (qui représentent quand même 2 % du PIB européen) en faisant sauter les limites fixées par le Pacte de stabilité budgétaire. Rien, en revanche, sur l’activation du Mécanisme européen de stabilité (MES) doté d’une capacité d’emprunt de 700 milliards d’euros ou sur la création d’une capacité d’emprunt européen afin de financer les dépenses exceptionnelles des États, ce que Giuseppe Conte, le Premier ministre italien, a nommé des « coronabonds ». Et ce n’est pas le fonds de soutien de 37 milliards d’euros proposé par la Commission qui allait impressionner les marchés, ceux-ci ne comprenant que les très gros chiffres.

C’est cette réponse déséquilibrée qui a causé de fortes tensions sur le marché obligataire. En effet, comme les déficits vont plonger et les dettes publiques exploser (sans doute vingt points de plus pour la France), les investisseurs ont commencé à vendre la dette des États dont les comptes publics ne sont pas jugés sains : Grèce, Italie, Portugal, France et Espagne. Conséquence : les taux d’intérêt ont commencé à grimper sur le marché secondaire (celui de la revente, de la dette d’occasion si l’on veut) et à s’écarter dangereusement du Bund allemand, l’actif considéré comme le plus sûr du monde. Cela a notamment été le cas pour les emprunts grecs et italiens (dont les taux ont triplé en quelques jours, à 3 %). À terme, cela aurait posé la question de l’accès aux marchés pour certains de ces pays et partant d’un éventuel défaut. Un cauchemar.

La BCE n’avait donc pas le choix : faute d’une réponse adéquate des gouvernements, il lui fallait agir vite afin d’éviter une répétition du scénario de 2010-2012 où les atermoiements des États, mais aussi des banquiers centraux de l’époque, avaient fini par coûter cher en termes de croissance et de chômage.

· Que va faire la BCE ?

« C’est un très bon paquet, il y a tout ce qu’il faut pour éviter tous les risques de dislocation de marché », nous a déclaré Laurence Boone, l’économiste en chef de l’OCDE. Dans la nuit de mercredi à jeudi, le conseil des gouverneurs a décidé de racheter sur le marché secondaire tant les dettes des États de la zone euro que les obligations émises par les entreprises (y compris les titres de dette de moins de 6 mois afin de rétablir leur trésorerie) pour un montant de 750 milliards d’euros pour les dix mois qui viennent. Cette somme s’ajoute aux 120 milliards décidés la semaine dernière et aux 20 milliards d’euros par mois du « quantitative easing » européen (assouplissement monétaire) relancé en novembre dernier par Mario Draghi, après sa mise en sommeil en décembre 2018 (ce premier programme qui a commencé en mars 2015 a permis le rachat de 2600 milliards d’euros d’obligations publiques et privées, soit 20% du PIB de la zone euro). Soit un total mensuel de 117 milliards d’euros par mois, alors que le rythme du premier QE destiné à éviter la déflation n’a pas dépassé 80 milliards par mois…

Ce nouveau programme, baptisé « programme de rachat d’urgence face à la pandémie », ne s’arrêtera que lorsque la crise du coronavirus sera terminée et en tous les cas pas avant la fin 2020. Les sommes mises sur la table pourront même être augmentées. Un montant propre à dissuader les marchés d’affronter le mur de l’argent que vient de dresser la BCE et à éloigner durablement toute crise de la dette qui se serait ajoutée à la crise économique et à la crise sanitaire. Les taux grecs (la Grèce ayant de nouveau accès aux marchés, ses emprunts sont inclus dans ce nouveau programme) et italiens ont d’ailleurs spectaculairement diminué dès l’annonce de ce paquet. Preuve s’il en est que Francfort a bien un rôle à jouer pour éviter un trop grand écart de taux entre les emprunts d’État de la zone euro, contrairement à une déclaration malheureuse de Christine Lagarde, jeudi dernier, qui avait accru la tension sur les marchés…

S’il n’y a pas eu de discussion sur la nécessité de frapper fort au sein du Conseil des gouverneurs, même les faucons des banques centrales allemande, autrichienne et néerlandaise, en ayant convenu, en revanche la seconde mesure est moins bien passée. En effet, la BCE a décidé de s’affranchir des limites posées lors du premier QE : un rachat équilibré des dettes entre les Etats en fonction de leur poids dans le PIB de la zone euro et une limitation à 33 % du stock de dettes existantes. Ainsi, elle pourra se concentrer sur les pays en grande difficulté comme l’Italie sans devoir intervenir sur le marché allemand qui n’a pas besoin de son assistance. « Ce qui donne une très grande souplesse à notre intervention » se réjouit-on à Francfort. À cet ensemble de mesures se rajoutent celles décidées la semaine dernière comme la réactivation du programme LTRO (prêt à long terme aux entreprises) à un taux de -0,75%. Sans oublier la décision du Conseil de supervision unique (SSM), le gendarme bancaire de la zone euro placé sous l’autorité de la BCE, d’autoriser les banques à ne plus respecter les exigences en fonds propres fixés depuis la crise de la zone euro afin de libérer de l’argent.

· Le « paquet » de la BCE sera-t-il suffisant ?

Emmanuel Macron, le chef de l’État français, qui avait critiqué jeudi dernier l’insuffisance des décisions de la BCE, a, cette fois, apporté « son plein soutien aux mesures exceptionnelles prises ce soir ». Il a immédiatement enchainé : « à nous États européens d’être au rendez-vous par nos interventions budgétaires et une plus grande solidarité financière au sein de la zone euro. Nos peuples et nos économies en ont besoin ». Une allusion directe à l’incapacité des Vingt-sept, la semaine dernière, de s’entendre sur la création d’eurobonds, un serpent de mer européen, même si le gouvernement allemand est cette fois moins hostile que précédemment à cette idée. Car il y aurait une logique à mutualiser les dépenses liées à la crise du coronavirus puisqu’elle touche les dix-neuf pays de la zone euro, ce qui allégerait le poids pesant sur les budgets nationaux des États les plus fragiles. L’idée qui est actuellement sur la table, et dont discuteront les chefs d’État et de gouvernement lors de leur sommet du 26 mars, est d’autoriser le MES à prêter de l’argent aux États pour couvrir ces dépenses extraordinaires. Ce serait des « coranabonds » qui ne diraient pas leur nom et qui permettraient à l’Allemagne et aux Pays-Bas de contrôler le montant et l’affectation des sommes dégagées. En effet, le MES est un organisme intergouvernemental qui permet à l’Allemagne d’exercer son véto. « Ce serait un moyen de la tranquilliser », note un observateur.

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Charles Michel: "cette crise va nous forcer à changer nos paradigmes économiques et sociaux"

Mon, 03/23/2020 - 21:06

Pour Charles Michel, le président du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, le caractère exceptionnel de la crise du coronavirus va obliger l’Union européenne à changer de logiciel économique pour faire face tant aux conséquences sanitaires de la pandémie qu’à la récession qui s’annonce. Cet entretien a été réalisé le 18 mars par trois quotidiens, le Standaard (néerlandophone belge), le Soir(francophone belge) et Libération.

Les sommets européens des 10 et 17 mars insistent sur la nécessaire coordination européenne, mais chaque Etat membre prend des mesures nationales sans consulter personne…

Les pays européens ont été confrontés ces dernières semaines à la montée en puissance de cette pandémie et son appréhension et son traitement ont rapidement évolué dans le temps. Il y a deux semaines, nous avons compris qu’il fallait affirmer un vrai leadership politique européen, les quelques initiatives prises par les institutions communautaires étant insuffisantes. D’où les sommets des chefs d’Etat et de gouvernement des 10 et du 17 mars qui ne se sont pas contentés de quelques phrases générales, mais ont adopté un programme d’action très concret. Nous avons soutenu les mesures prophylactiques de plus en plus radicales prises au plan national, car elles poursuivent toutes le même objectif : il faut réduire la contamination, même au prix de la modification de nos comportements traditionnels. Dans le même ordre d’idée, nous avons décidé de fermer pour trente jours les frontières extérieures de l’UE et nous avons adopté des principes sur la gestion des frontières intérieures. Ensuite, l’accent a été mis sur la recherche scientifique afin de trouver rapidement un vaccin et sur la mobilisation de moyens de protection. Enfin, nous avons donné un signal politique fort afin de limiter les conséquences économiques et sociales de la crise : nous ferons tout ce qui est nécessaire en utilisant tous les outils dont on dispose.

On ne peut pas dire que les institutions communautaires aient particulièrement brillé au début de la crise. Il a fallu le sommet du 10 mars pour réveiller tout le monde, même si désormais, elles essayent de rattraper le temps perdu…

Il est vrai que les Etats membres ont pris la mesure du caractère inédit et exceptionnel de cette crise à des moments différents, ce qui explique le désordre des premières semaines. Il faut bien avoir conscience qu’on n’est plus dans le même monde qu’il y a deux ou trois semaines. De ce point de vue, il est exact que la réunion du 10 mars a été un moment clef puisque au plus haut niveau des Etats on a décidé de tenir ensemble. Et en moins d’une semaine, on a réussi à faire des progrès substantiels dans l’harmonisation des mesures sanitaires, dans la mobilisation des moyens de recherche ou encore sur les frontières.

Pourtant, entre la Belgique et les Pays-Bas, les mesures sanitaires ne sont pas du tout les mêmes.

Tous les Etats membres ont décidé de prendre les mesures nécessaires afin de limiter la propagation du virus pour permettre à nos systèmes de santé de pouvoir réagir de manière adéquate sans être débordés. On voit d’ailleurs que les mesures nationales convergent petit à petit. Mais il ne faut pas oublier que l’UE n’est pas un Etat, ce ne sont pas les Etats-Unis d’Amérique, mais vingt-sept Etats souverains : les mesures sanitaires sont donc formellement prises sur le plan national.

Si en matière économique, les compétences de l’UE sont plus fortes qu’en matière de santé, on a néanmoins vu que les Etats ont agi chacun dans leur coin sans se préoccuper de la moindre coordination. L’Eurogroupe de lundi et le Conseil européen de mardi n’ont, en réalité, que donné un habillage européen à des plans nationaux. Où sont les instruments purement européens, comme l’activation du Mécanisme européen de stabilité (MES) pour venir en aide aux Etats qui n’ont pas de moyens budgétaires, l’augmentation du budget communautaire ou la création d’obligations européennes ?

Nous avons effectivement besoin de cette double dimension. D’une part, les Etats doivent activer les leviers dont ils disposent dans le domaine budgétaire et c’est pour cela que nous avons demandé à la Commission de la souplesse dans l’application du Pacte de stabilité et des règles relatives aux aides d’Etat. D’autre part, l’Union européenne doit agir pour nous protéger collectivement : l’activation du MES et la suspension du Pacte de stabilité sont des leviers dont elle dispose. On en parlera lors du sommet européen qui aura lieu la semaine prochaine. Quant aux obligations européennes, il est un peu tôt pour en parler : il faut d’abord que l’on soit d’accord entre nous avant de communiquer sur ce sujet.

Ne faut-il pas doter l’UE de compétence en matière de santé, par exemple en créant l’équivalent du CDC d’Atlanta ? Le fait que la stratégie néerlandaise soit celle du Royaume-Uni qui a exclu jusqu’à présent tout confinement n’envoie-t-il pas des signaux contradictoires et angoissants aux opinions publiques ?

L’UE est ce que les Etats en décident. La réalité institutionnelle est que la réponse sanitaire peut être stimulée par l’UE, mais qu’elle relève en dernier ressort de la souveraineté de chaque pays. On ne peut pas reprocher à l’Europe tout et son contraire, l’accuser à la fois de ne pas agir et lorsqu’elle a la compétence pour agir l’accuser de confisquer la souveraineté nationale… Mais, à court et moyen terme, le débat n’est pas institutionnel : quand la maison brûle, on ne s’occupe pas de la facture d’eau ! On doit travailler avec les moyens existants pour sauver des vies et limiter l’impact économique et social de la crise. A l’avenir, il sera sans doute nécessaire de tirer les leçons institutionnelles de cette crise.

Quelle est la leçon la plus importante de cette crise ?

Cette crise extrêmement sérieuse et sans précédent par sa nature, son ampleur, son caractère inconnu et imprévisible. Elle va démontrer que par l’unité, on peut s’en sortir : aucun pays ne pourra remporter seul la bataille contre le coronavirus, limiter les pertes en vies humaines et les impacts sur notre prospérité. C’est en rangs serrés qu’on va réussir à gagner cette guerre.

Les Etats ont-ils tiré les leçons de la crise de la zone de 2010-2015 ? Autrement dit, vont-ils éviter de réagir trop peu, trop tard ?

Il faut reconnaître que les Etats ont été totalement surpris par cette crise sanitaire : on est en terra incognita. Mais on a manifestement tiré les leçons du passé : je sens une volonté beaucoup plus forte que lorsque j’étais Premier ministre de Belgique de travailler ensemble, car il y a une conviction beaucoup plus forte que l’on ne pourra que s’en sortir ensemble. Et cette crise va nous obliger à modifier très rapidement nos paradigmes tant sociétaux qu’économiques : tout le monde en est conscient.

Photo: FRANCOIS LENOIR / REUTERS

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L'Union se muscle pour résister au coronavirus

Fri, 03/20/2020 - 19:46

Après 70 ans de construction communautaire, l’Europe reste un combat. Les vingt-chefs d’État et de gouvernement se sont à nouveau réuni mardi 17 mars après-midi, par visioconférence, désormais la modalité des rencontres européennes, pour « montrer que l’Union agit pour combattre le coronavirus », selon les mots d’un diplomate européen. Ce n’est pas gagné : le sommet du 9 mars, il y a une semaine, qui appelait déjà à une « approche commune » n’a pas empêché dès le lendemain la multiplication de mesures nationales parfaitement incohérentes, chacun agissant comme si l’Union n’existait pas : fermeture des frontières intérieures de l’Union d’intensité variable, mesures sanitaires désordonnées, du laisser-faire au confinement général, plans de soutien à l’économie non coordonnés. D’où la réunion de mardi soir destinée à essayer de remettre un peu d’ordre.

«Pas efficaces sur le plan sanitaire et néfastes sur le plan économique»

À l’issu de ce sommet virtuel, David Sassoli, le président du Parlement européen, s’est réjoui que « l’Europe contrebalance l’égoïsme et le manque de coordination entre les gouvernements nationaux face à la crise du COVID-19 ». La décision la plus spectaculaire prise par les Vingt-sept est la fermeture totale des frontières de l’Union pour un mois proposée par la Commission, mais dont la mise en oeuvre relève de la souveraineté de chaque État. Ils ont aussi accepté le plan de la Commission visant à limiter les effets du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures afin préserver le marché unique : Emmanuel Macron, le chef de l’État français, a d’ailleurs dénoncé ces « mesures non coordonnées » qui « ne sont pas efficaces sur le plan sanitaire et néfastes sur le plan économique ». L’idée est d’inciter les États à ne procéder à des contrôles sanitaires que d’un côté de la frontière, contrôles qui devront être « proportionnés » et « non discriminatoires ». De même, afin de ne pas interrompre les flux de marchandises et donc la chaine d’approvisionnement, des « voies vertes » seront instaurées pour faciliter les passages des camions.

«Tout ce qui est nécessaire»

Enfin, les Vingt-sept ont endossé les conclusions de l’Eurogroupe de lundi qui a donné un habillage européen aux plans d’aide nationaux aux économies. Dans un communiqué particulièrement musclé, les dix-neuf ministres des Finances de la zone euro ont affirmé leur « forte détermination à faire tout ce qui est nécessaire » (to do whatever it takes) pour répondre à la récession qui s’annonce. Une formule qui n’est pas innocente : c’est celle qu’avait employée Mario Draghi, l’ancien patron de la BCE, en juillet 2012 pour annoncer que l’institut monétaire de Francfort allait racheter à tour de bras des bons d’État, ce qui a mis fin à la crise de la zone euro.

L’Eurogroupe a ainsi donné sa bénédiction aux mesures nationales de soutien à l’économie - qui représentent jusqu’à présent 1 % du PIB de la zone euro – et accepte de laisser filer les déficits publics (soit 1% du PIB supplémentaire pour l’instant). À cela s’ajoutent les mesures de trésorerie, comme le paiement différé des impôts, qui pèsent environ 10 % du PIB européen… Enfin, l’Eurogroupe n’a pas exclu de mobiliser le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui dispose d’une force de frappe de 700 milliards d’euros si un État rencontre des difficultés de financement. Et cette fois, pas question d’imposer un plan de rigueur qui serait contreproductif.

Réveil

Le sommet du 9 mars n’aura cependant pas été totalement vain en sonnant la mobilisation générale des institutions communautaires. La Commission est enfin sortie de son sommeil : création d’un fonds de soutien de 37 milliards d’euros aux systèmes de santé, aux entreprises et aux travailleurs touchés par l’arrêt des économies ; interprétation souple du Pacte de stabilité budgétaire afin de permettre aux États de laisser leur déficit public plonger et des règles sur les aides d’État afin de laisser les gouvernements voler au secours de leurs entreprises ; aide de 80 millions d’euros à la très performante société pharmaceutique allemande CueVac qui a fait l’objet d’une véritable tentative d’OPA de l’administration Trump pour s’assurer l’exclusivité du futur vaccin qu’elle met au point, somme à laquelle s’ajoute 100 millions d’euros pour la recherche d’un vaccin, interdiction d’exportation hors de l’Union du matériel de protection et facilitation de leur importation, autorisation donnée au « Mécanisme européen de protection civile » d’acheter des masques ou des respirateurs, etc..

De même, la Banque centrale européenne (BCE), lors de sa réunion du 12 mars, a décidé d’augmenter le niveau de son « quantitave easing » de 120 milliards d’euros sur un an en le concentrant sur le rachat d’obligations bancaires plutôt que sur les obligations d’État et en relançant son programme de LTRO (prêt à long terme aux entreprises) à un taux de -0,75%. Dans le même esprit, le Conseil de supervision unique (SSM), le gendarme bancaire de la zone euro placé sous l’autorité de la BCE, a autorisé le même jour les banques à ne plus respecter les exigences en fonds propres fixés depuis la crise de la zone euro afin de libérer de l’argent. Enfin, la Banque européenne d’investissement (BEI) va mobiliser 8 milliards d’euros qui, grâce à « l’effet de levier », pourraient générer jusqu’à 20 milliards d’euros de prêts aux entreprises.

Ne pas agir trop tard et trop peu

Cet ensemble spectaculaire, qui rompt avec l’attentisme de la période 2007-2012, montre que les États ont appris leurs leçons : pas question d’agir trop tard. Mais est-ce assez ? On peut sérieusement en douter : la seule réponse ne peut-être qu’européenne pour limiter la casse et surtout pour relancer l’économie des Vingt-sept après l’orage. En effet, les budgets nationaux ne sont pas extensibles à l’infini et la remontée des taux des emprunts d’État montre que les marchés commencent à s’inquiéter. Si une crise des dettes souveraines s’ajoute à la crise sanitaire et à la crise économique, l’Europe n’y survivra pas.

Le seul moyen de répondre durablement à cette crise est de rouvrir le projet de budget européen pour la période 2021-2027 et de le doter de vrais moyens au lieu de se battre sur des décimales (1,13 % du PIB européen ou 1 % ?) ; de mobiliser rapidement le MES ; et, enfin, de lancer des emprunts européens afin d’allouer cette ressource nouvelle aux États qui en ont le plus besoin. Les Vingt-sept seront-ils capables d’aller aussi loin ? « Dans les crises, on invente au fur et à mesure », espère un diplomate européen : « déjà, on assiste à un réarmement des États et des mentalités ». Bref, il n’est pas exclu qu’une Europe bien différente émerge de la pandémie du coronavirus.

Photo: Aris Oikonomou. AFP

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Le coronavirus ronge l'Union

Thu, 03/19/2020 - 20:09

Un rideau de fer s’abat sur l’Europe. Les uns après les autres, les États de l’Union soit ferment totalement leurs frontières aux personnes (Danemark, Estonie, Tchéquie, Slovaquie, ou Lituanie), soit partiellement (Allemagne, Autriche, Italie, Lettonie, Pologne, Slovénie), une liste qui évolue d’heure en heure… De même, les mesures sanitaires varient fortement d’un État à l’autre, tout comme les mesures de soutien à l’économie. Tout se passe comme si l’Union n’existait plus, chacun décidant dans son coin. Il aura fallu moins de 24 heures pour que la coordination souhaitée par les Vingt-sept, lors du sommet européen du 9 mars, ne soit plus qu’un souvenir. La pandémie de coronavirus va-t-elle avoir raison de la construction communautaire bien plus surement que les nationaux-populistes ?

Car ce retour du national met en péril l’ensemble de l’édifice européen, le grand marché sans frontières intérieures, sa pierre angulaire, au premier chef. C’est pourquoi Emmanuel Macron, le chef de l’État français, jeudi, a mis en garde contre « le repli nationaliste. Ce virus n’a pas de passeport (…) Nous aurons sans doute des mesures à prendre, mais il faut les prendre pour réduire les échanges entre les zones qui sont touchées et celles qui ne le sont pas. Ce ne sont pas forcément les frontières nationales. Il ne faut céder là à aucune facilité, aucune panique. Nous aurons sans doute des mesures de contrôle, des fermetures de frontières à prendre, mais il faudra les prendre quand elles seront pertinentes et il faudra les prendre en Européens, à l’échelle européenne, car c’est à cette échelle-là que nous avons construit nos libertés et nos protections ». Vendredi, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a surenchéri : des contrôles aux frontières peuvent être mis en place, comme le prévoit le code frontières Schengen, mais de «manière proportionnée» et «être basés sur un avis scientifique et une évaluation des risques», ce qui n’est pas actuellement le cas.

Des appels qui n’ont pour l’instant pas été entendus : le chacun pour soi semble s’installer pour longtemps, la thématique trumpienne du virus « étranger » ayant fait des ravages. Or ce pandémonium européen (qui est le reflet de celui qui existe en Allemagne où chaque Land décide dans son coin) risque non seulement de rendre plus difficile la lutte contre la propagation du virus (pourquoi respecter la distance sociale ici si ailleurs on fait ce qu’on veut ?), mais d’en aggraver les conséquences économiques en interrompant totalement les flux de personnes, de marchandises et de services. Car il y aura un après pandémie qui risque de se chiffrer en millions de chômeurs, en entreprises faillies, en vies détruites. Les Etats ont déjà pris des mesures pour limiter la casse, mais là aussi sans coordination, ce qui risque de déstabiliser encore plus le marché intérieur : si l’Allemagne a les moyens d’aider ses entreprises, ce n’est pas le cas de l’Italie qui dès lors n’aura d’autre choix que de bloquer les marchandises allemandes pour ne pas aggraver la crise chez elle… Le détricotage de l’Union est enclenché et il n’est pas sûr que la démondialisation annoncée ne se traduise pas par une « déseuropéanisation ».

N.B.: article paru lundi sur le site

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Coronavirus: la Commission lâche la bride aux Etats

Sun, 03/15/2020 - 15:55

L’Union européenne ouvre grand ses vannes budgétaires pour empêcher la crise du coronavirus de dégénérer en crise économique. Ainsi, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a confirmé vendredi que son administration allait appliquer le Pacte de stabilité avec une «flexibilité maximale», en clair laisser les 19 Etats de la zone euro s’éloigner de l’équilibre budgétaire, voire franchir à nouveau le plancher des 3 % du PIB de déficit public. Dans le même esprit, les aides d’Etat, jusque-là soigneusement bridées par Bruxelles, vont être généreusement validées.

Cartouches

Autant dire que, cette fois-ci, il n’est pas question de faire trop peu trop tard, comme lors de la crise financière (2007-2008) ou pendant celle de la zone euro (2010-2015) : agissant à contretemps, sous l’impulsion de l’Allemagne, on avait au contraire appuyé sur le frein budgétaire, ce qui s’était traduit par un ralentissement économique dont les Européens ont mis dix ans à sortir. Lors du sommet extraordinaire de mardi, les chefs d’Etat et de gouvernement ont donc indiqué qu’ils étaient «prêts à recourir à tous les instruments nécessaires. Nous réagirons en particulier à toute incidence en termes de liquidités et de soutien aux PME et aux secteurs particulièrement touchés ainsi qu’à leurs salariés». Un «signal de disponibilité», comme l’expliquait un proche d’Emmanuel Macron.

La Banque centrale européenne (BCE), qui estime avoir déjà tiré l’essentiel de ses cartouches pour soutenir la croissance depuis cinq ans, a enjoint, jeudi, aux Etats d’agir rapidement. Christine Lagarde, sa présidente, a appelé, lors d’une conférence de presse, à «une réponse budgétaire ambitieuse et coordonnée» fustigeant au passage «la complaisance et la lenteur» des gouvernements européens. «Les Etats membres doivent être encouragés à prendre toutes les mesures nécessaires» pour soutenir leur économie, a martelé de son côté, vendredi, Ursula von der Leyen. Pour donner l’exemple, elle a annoncé que la Commission va créer un fonds de 37 milliards d’euros (et non plus de 25 comme elle l’avait dit mardi), destiné à limiter l’impact du coronavirus sur l’économie des Vingt-Sept et qu’elle allait garantir 8 milliards d’euros de prêts aux 100 000 entreprises les plus touchées par la crise.

«Encaisser le choc»

Mais l’Allemagne lui a volé la vedette en mettant sur la table un plan d’aide aux entreprises qui prendra la forme de prêts d’une valeur de départ de 550 milliards d’euros : «Il n’y a pas de limite vers le haut, c’est le message le plus important», a martelé Olaf Scholz, le ministre des Finances. «C’est une initiative sans précédent dans l’histoire de l’après-guerre», a souligné Peter Altmaier, le ministre de l’Economie. La plupart des pays de la zone euro ont annoncé des mesures de soutien à leur économie, mais dans une moindre proportion. Ainsi, en France, Bruno Le Maire, le ministre des Finances, a évoqué des «dizaines de milliards», sans plus. En Espagne, le gouvernement a déjà mis sur la table 18,2 milliards d’euros alors qu’en Italie, le pays le plus touché par la pandémie, seul un plan de 7,5 milliards d’euros a été annoncé. Le problème est que toutes ces mesures ne sont absolument pas coordonnées contrairement à ce que souhaitent la BCE et la Commission.

Lundi, l’Eurogroupe, l’instance qui réunit les ministres des Finances de la zone euro, va essayer de mettre un peu d’ordre. «Je suis convaincue que l’Union européenne peut encaisser ce choc, a prudemment pronostiqué Ursula von der Leyen. Mais chaque Etat membre doit assumer pleinement ses responsabilités et l’Union européenne dans son ensemble doit être déterminée, coordonnée et unie.» Ce n’est pas gagné.

N.B.: article paru dans Libé du 14 mars

Photo: John Thys. AFP

Categories: Union européenne

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