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House of cards à Bruxelles

Sun, 03/17/2019 - 19:37

Voici la version longue de mon enquête parue dans Libération du 15 mars avec des révélations supplémentaires.

Bruxelles, lundi 17 décembre 2018, 7h30. Laura Pignataro demande à Lorenza B., l’amie chez qui elle loge depuis quelques jours, d’accompagner sa fille de 14 ans à l’arrêt du bus pour l’école. Elle ne sent pas bien, se justifie-t-elle. Dès que les deux femmes se sont éloignées, Laura monte au dernier étage du bâtiment et se jette dans le vide. Elle meurt sur le coup. La police belge conclue rapidement à un suicide. Un de plus dans un pays particulièrement touché par ce fléau (entre 140 et 200 par an à Bruxelles). Laura laisse derrière elle sa fille, qui vit désormais chez son frère Andrea à Milan, et son mari, Michel Nolin, un Français. Pourquoi cette Italienne de 50 ans s’est-elle suicidée ? Personne ne le saura jamais avec certitude, puisqu’ellen’aurait laissé aucun mot pour expliquer ce geste définitif et sans appel qui a laissé tout son entourage familial et professionnel totalement désemparé.

Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Car Laura Pignataro était quelqu’un qui comptait dans la « bulle européenne ». Cette brillante juriste italienne, fille d’un haut magistrat, formée en Italie, aux Etats-Unis, en France et en Espagne, faisait partie du groupe très fermé des hauts fonctionnaires de la Commission : directrice, l’une des trois plus hautes fonctions de la fonction publique européenne (juste après celles de directeur général et directeur général adjoint), elle travaillait depuis 1992 à la Commission et depuis 1995 au sein de son prestigieux service juridique (SJ). En juin 2016, elle a été promue à la tête de la direction des ressources humaines du SJ, en clair de veiller à la légalité des nominations. C’est cette fonction qui lui a fait jouer un rôle clef dans la gestion de l’affaire Martin Selmayr, du nom de l’ancien chef de cabinet allemand de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, propulsé, en février 2018, en violation des règles du statut de la fonction publique européenne, au poste de secrétaire général de l’institution, la tour de contrôle par laquelle tout passe (ou trépasse).

«Panique en interne»

Un scandale, révélé par Libération, qui n’en finit pas de provoquer des vagues : après avoir dénoncé un véritable « coup d’Etat » en avril 2018, le Parlement européen a exigé le 13 décembre la démission de Selmayr par une écrasante majorité de 71 % des voix. Emily O’Reilly, la médiatrice européenne, à la suite d’une enquête accablante, a confirmé, le 4 septembre, la violation « de l’esprit et de la lettre » des règles de l’Union, la procédure de nomination ayant été « manipulée ». Celle-ci a confirmé, dans un second rapport publié le 11 février, son appréciation de la gravité de l’affaire. Qu’importe ! Pour la Commission « tout a été fait dans les règles » et elle exclut toute démission de Selmayr.

Le suicide de Laura Pignataro n’est pas anodin. C’est un rouage essentiel de l’affaire qui a disparu. Tout commence pour la directrice du SJ le 28 février 2018 lorsque la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, devant l’ampleur du scandale médiatique, ouvre une enquête sur le « Selmayrgate ». Elle envoie dans la foulée une liste de 134 questions à la Commission. « Ca a été la panique en interne », raconte un eurocrate (1) : « le problème est que le service juridique n’a pas été saisi de la nomination de Selmayr en amont comme cela aurait dû être le cas, ce qui aurait permis de verrouiller sa nomination. Tout a été réglé entre le cabinet du président et la direction générale des ressources humaines dirigée par la Grecque Irene Souka, une fidèle de Selmayr, car ils savaient que le SJ se serait opposé à cette magouille ».

Justifier l’injustifiable

Mais là, pas d’autre choix que de l’appeler en renfort pour limiter les dégâts : Selmayr lui demande de justifier juridiquement une nomination purement politique qui n’a pas respecté les procédures internes. La tâche s’annonce impossible. Comment justifier que Juncker et Selmayr aient gardé le secret pendant plus de deux ans sur le départ à la retraite anticipée que projetait le secrétaire général sortant, le Néerlandais Alexander Italianer ? Pourquoi sa retraite n’a été annoncée que le mercredi 21 février en pleine réunion du collège des 28 commissaires quelques minutes après la nomination au poste de secrétaire général adjoint de Martin Selmayr ? Est-ce que le fait que celui-ci ait été promu dans la foulée secrétaire général sur proposition de Juncker par les commissaires n’a pas été prévu à l’avance ? Comment expliquer une telle promotion expresse sans appel à candidatures, du jamais vu dans l’histoire de la Commission, surtout pour quelqu’un qui n’a jamais dirigé un service de sa vie puisqu’il a fait toute sa carrière comme porte-parole puis comme chef de cabinet ? Sur quel texte se fonder pour éviter que l’on pense que sa nomination comme secrétaire général adjoint n’avait qu’un but, être en position de décrocher le graal de la direction du secrétariat général ?

Une réunion pour rédiger les réponses est convoquée le samedi 24 mars à 14h30 par le cabinet Juncker. Sont assis autour de la table : l’Espagnol Luis Romero, directeur général du service juridique, l’Allemand Bernd Martenczuk, son assistant, Laura Pignataro, l’Espagnole Clara Martinez Alberola, cheffe de cabinet du Juncker, l’Estonienne Marit Sillavee, assistante de Selmayr, l’Allemand Michael Hager, chef de cabinet du commissaire chargé du personnel, Gunther Oettinger, la Grecque Irene Souka, directrice générale chargée des ressources humaines, accompagnée de deux de ses adjoints, et l’Autrichien Alexander Winterstein, porte-parole adjoint. Au beau milieu de la réunion, Martin Selmayr, accompagnée de son âme damnée, Mina Andreeva du service du porte-parole, entrent dans la salle. Aussitôt, Romero se lève et quitte la salle. Car l’arrivée du secrétaire général dans une réunion consacrée à élaborer sa défense constitue un conflit d’intérêts majeur. L’article 11 bis du statut des fonctionnaires dispose en effet que « dans l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire ne traite aucune affaire dans laquelle il a, directement ou indirectement, un intérêt personnel ». Plutôt que de partir, Romero aurait dû exiger que Selmayr quitte la salle, ce qu’il n’a pas fait. Et Pignataro n’a pas osé le suivre de son propre chef : « Romero l’a froidement laissé tomber. Il l’a laissé seule », analyse un fonctionnaire qui a été impliqué dans l’enquête sur le Selmayrgate. Le fait qu’elle ait été nommée à son poste en juin 2016 par… Selmayr lui-même (le SJ dépend du cabinet du président) explique aussi sans doute qu’elle soit restée. C’est Selmayr, juriste lui-même, qui va dicter au service juridique les réponses à apporter… La réunion se termine à 3 heures du matin.

Comme il fallait s’y attendre, les eurodéputés ne sont absolument pas convaincus par l’argumentaire de la Commission qu’ils jugent boiteux. Ils rédigent un second jeu de 61 questions. Les réponses sont préparées le lundi de Pâques, le 2 avril, par la même équipe et, comme la première fois, Selmayr débarque accompagné d’Andreeva. « Laura, en sortant de ces réunions, était dans une colère noire : elle savait qu’elle avait participé à prise illégale d’intérêts », confie l’un de ses amis. « C’est une juriste exagérément loyale à l’institution, quelqu’un qui n’est pas politique du tout. Elle a vite compris que la nomination de Selmayr était illégale, mais elle a essayé de sauver ses fesses en justifiant une violation de la loi. Lors de cette seconde réunion, elle lui a même dit que ce qu’elle faisait était un scandale, mais qu’elle le faisait pour l’institution ». Le Parlement reste insensible aux trésors d’imagination déployés par Selmayr et son équipe pour justifier l’injustifiable. Dans une résolution largement votée le 18 avril, il qualifie sa nomination de « coup d’Etat » et demande que la nomination de Selmayr soit « réévalué ». La Commission refuse tout net.

«Gorge profonde»

En mai, c’est au tour de la médiatrice européenne, saisie par les socialistes français, d’entrer dans la danse. Elle commence son enquête dans une atmosphère tendue. Son équipe peut consulter des documents, mais à condition de laisser leur smartphone à l’entrée et elle doit travailler sous la surveillance du service de sécurité. Emily O’Reilly demande l’accès au serveur de la Commission, ce qui lui est refusé. Elle exige alors, en juillet, la transmission de tous les courriels concernant la nomination de Selmayr. Nouveau refus. Mais, là, Laura Pignataro passe outre de son propre chef : elle estime de son devoir de répondre aux demandes de la médiatrice et devient ainsi sa « gorge profonde ». « Je ne peux pas lui mentir, c’est impossible, j’ai donné tous les dossiers à la médiatrice, m’a-t-elle raconté », rapporte l’un de ses proches.

Selmayr n’apprend pas immédiatement la « trahison » de celle qu’il considère comme son bouclier juridique. Preuve de sa confiance maintenue, il la charge dans le plus grand secret, durant l’été, de préparer les contours de la future ambassade de l’Union à Londres, alors que ce n’est absolument pas son rôle. Selmayr, qui se verrait bien ambassadeur au Royaume-Uni s’il ne survit pas au départ de Juncker, imagine un véritable ministère doté de plus de 200 fonctionnaires... Le service européen d’action extérieure (SEAE) dirigé par Federica Mogherini chargé de gérer les ambassades de l’Union n’apprécie pas qu’on marche ainsi sur ses plates-bandes, selon des sources diplomatiques. Le 17 décembre, le jour du suicide de Laura Pignataro, Helga Schmid, la secrétaire générale du SEAE envoie une lettre désagréable à Selmayr dans laquelle elle lui demande sèchement de s’occuper de ses oignons. Déjà, en juillet, le SEAE a réussi à empêcher la prolongation du mandat de l’ambassadeur de l’Union à Washington, l’Irlandais David O’Sullivan, jusqu’en mars 2020, Selmayr ayant un temps envisager de s’y faire parachuter (une tentative révélée par Libération).

Le rapport de la médiatrice, publié en septembre est accablant : il apparait clairement que sa nomination comme secrétaire général a été préparé dès le mois de janvier et qu’elle n’a jamais fait aucun doute pour ceux qui ont été impliqué et ont fait semblant de participer à une procédure de recrutement totalement bidonnée dès le départ. Tout y est : les mails internes, les documents word modifiés heure par heure… Selmayr comprend à ce moment-là que Pignataro est à l’origine des fuites. Il la charge de répondre à la médiatrice et lui impose de n’en parler à personne. La voilà de nouveau obligée de mentir. Le secrétaire général l’appelle parfois au milieu de la nuit pour lui donner ses directives… Les réponses sont publiées le 4 décembre.

Laura Pignataro n’en peut plus de tordre ainsi le droit et de mentir. Le 12 décembre, selon des confidences qu’elle a faite à des personnes de son entourage, elle affirme qu’elle se serait « trompée de carrière ». « Je suis finie. Tu ne peux pas imaginer ce que j’ai été obligé de faire ces dernières semaines ». Selon cette source, « elle avait l’air terrifiée par l’hostilité de Selmayr ». Le lendemain,l’un de ses proches raconte, que « ses propos étaient devenus incohérents, elle lui a expliqué qu’elle n’avait pas enregistré ses présences et que sa carrière était finie ». Quatre jours plus tard, elle saute dans le vide.

Pas de condoléances pour Laura

Le directeur général du service juridique, Luis Romero, apprend son suicide lors d’une réunion avec ses directeurs à 9h25. Il ne leur dit rien. Il demande simplement : « que savez-vous de Laura ? » Puis il quitte la réunion. Les eurocrates du SJdécouvriront le drame par un message publié sur l’intranet du SJ et non sur le fil général : « Luis Romero a le regret de devoir nous faire part de la triste nouvelle du décès de Laura Pignataro ».

Le pire est à venir : ni Martin Selmayr, ni Gunther Oettinger, le commissaire chargé de l’administration, ni Jean-Claude Juncker ne viendront voir le personnel du service juridique. Et aucun d’eux ne jugera utile d’envoyer ses condoléances à la famille, ni d’assister (ou de se faire représenter officiellement) à la crémation qui a lieu le 21 décembre à Bruxelles. En revanche, « ce jour-là, tous les fonctionnaires ont reçu un message de Selmayr nous souhaitant de bonnes fêtes. On était tous choqués », raconte l’un de ses amis. Même absence le 31 janvier lors de la cérémonie organisée en sa mémoire… Pourtant Selmayr connaissait personnellement Laura Pignataro, puisqu’il la nommée à son poste et a travaillé avec elle durant dix mois. Et tout le monde se rappelle que Juncker n’a pas hésité à assister, le 27 octobre 2016, aux obsèques de Maria Ladenburger, la fille d’un conseiller juridique de la Commission, violée et assassinée par un demandeur d’asile afghan. Là, juste l’indifférence.

Dès sa mort connue, les services de sécurité de la Commission mettent son bureau sous clef. Alors que l’enquête de la police belge est bouclée en quelques jours, il l’est encore à ce jour. Une pratique tout à fait inhabituelle selon nos informations. L’exécutif européen refuse de dire si une enquête interne a été menée pour connaitre les raisons de ce suicide : burn out ? Harcèlement moral ? Problèmes personnels ? Des questions que toute entreprise devrait se poser d’autant que le service juridique a connu six suicides en 12 ans (sur environ 250 personnes). « La Commission est l’un des plus mauvais employeur sur terreur. Humainement, c’est un endroit horrible », confie un directeur de l’institution. Selmayr déclarait d’ailleurs à Libération en décembre 2017 : « on exagère beaucoup ma brutalité, alors que la brutalité fait partie intégrante de cette maison ».

Selmayr récompense ses amis

A nos question, Alexander Winterstein, le porte-parole adjoint, a sèchement répondu : « c’est une question entièrement privée. Je n’ai aucun commentaire à faire ». Nous envoyons un second jeu de questions. La réponse, rédigée après que nous nous soyons entretenu avec un Luis Romero dévasté, est nettement plus humaine : « Laura Pignataro était une excellente et brillante juriste et une collègue très appréciée au sein de la Commission européenne. Son décès a été un choc pour tous les collègues qui ont eu le privilège et la chance de la connaitre et de travailler avec elle ». Mais rien sur l’absence de condoléance ou l’éventuel harcèlement moral dont aurait pu être victime Laura Pignataro : « nous ne souhaitons pas commenter sur (ces) spéculations sans fondement que tu soulèves dans ton message ».

Des raisons autre que professionnelles pourraient-elles expliquer son geste ? Ceux que nous avons pu interroger décrive une femme aimant la vie, ambitieuse, croquant la vie à belles dents, sportive accomplie (plongée, tennis, ski alpin). « Son geste est difficile à comprendre, elle était gaie, forte et énergique », se rappelle l’un de ses anciens patrons, Giulano Marenco, directeur général adjoint du service juridique aujourd’hui à la retraite : « elle ne donnait pas l’impression d’être dépassée par quoi que ce soit ». On sait que sa situation personnelle était compliquée. Son mari, Michel Nolin, un Français fonctionnaire du service juridique, bataillait depuis de longues années contre la Commission, car il estimait ne pas avoir eu la carrière qu’il méritait. Il a même porté plainte devant la Cour de justice (et a perdu). Or, sa femme a été nommée à un poste où elle risquait de devoir traiter du cas de son mari, position pour le moins inconfortable. Les relations du couple s’étaient tellement dégradées qu’elle s’était d’ailleurs réfugié chez son amie avec sa fille quelques jours avec son acte fatal. Sa fille n’a d’ailleurs pas été confié au père, mais au frère de Laura, Andrea…

Le poste de Pignataro a été publié le 4 mars, presque trois mois après sa mort. On sait déjà que Selmayr va nommer l’un de ses fidèles, Allemand comme lui. Le nouveau directeur aura le premier accès à l’ordinateur de Laura Pignataro. En attendant, le secrétaire général sait se montrer fidèle à ceux qui l’ont servi : la directrice générale chargée des ressources humaines, Irène Souka, qui a été un rouage essentiel dans la nomination du secrétaire général a vu, en décembre dernier, son départ à la retraite retardée jusqu’en 2020, avec son mari, Dominique Ristori, DG chargé de l’énergie, alors qu’ils ont déjà bénéficié d’un report d’un an le 21 février 2018, le jour de la nomination du secrétaire général. Même chose pour le fonctionnaire néerlandais Henk Post qui a géré au jour le jour le parcours de Selmayr : à deux ans de la retraite, il vient d’être nommé conseiller spécial avec le grade de directeur général, ce qui lui assurera de très confortables revenus.

(1) Toutes nos sources ont requis l’anonymat

Dessin de Vadot rien que pour ce blog. Merci à ce talentueux dessinateur!

Categories: Union européenne

Selmayrgate: pour la médiatrice européenne, la Commission est dans un déni de réalité

Tue, 03/12/2019 - 16:51

Comme le sparadrap du capitaine Haddock dans « l’affaire Tournesol », la Commission européenne n’arrive pas à se débarrasser du « Selmayrgate ». Loin de s’éteindre, la polémique sur la nomination de l’Allemand Martin Selmayr, l’ancien chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, au poste de secrétaire général de l’exécutif européen n’en finit pas de faire des vagues à Bruxelles. Qualifiée de « coup d’Etat » par le Parlement européen en avril dernier, cette promotion a aussi été jugée illégale par la médiatrice européenne, l’Irlandaise Emily O’Reilly, dans un rapport du 4 septembre qui décrit dans les moindres détails la façon dont Selmayr a sciemment violé les règles du statut de la fonction publique européenne pour s’emparer du plus haut poste de l’administration communautaire.

Mais la Commission reste droit dans ses bottes : elle continue à affirmer qu’elle a respecté toutes les règles et a envoyé sèchement paitre tant le Parlement que la médiatrice. Les eurodéputés, furieux, ont fini par exiger sa démission le 13 décembre par 71 % des voix et la médiatrice, dans un rapport final daté du 11 février, maintient l’ensemble de ses accusations. Autant dire que la fin du mandat de Juncker, qui s’achève le 31 octobre, est gravement terni par cette affaire de prévarication et que le prochain président de la Commission devra sans doute s’engager à se débarrasser de cette encombrant personnage. Emily O’Reilly a répondu aux questions de Libération.

Pourquoi l’affaire Selmayr est-elle grave ?

Martin Selmayr est une personnalité emblématique de la Commission à qui le Président Juncker accorde une grande confiance. Or les conditions rocambolesque de sa nomination comme secrétaire général, que Libération a révélé, ont alimenté le narratif des populistes et des eurosceptiques qui affirment que l’Union européenne est une bureaucratie anonyme et élitiste éloignée des peuples. Il est frappant de constater que cette affaire a largement dépassé la « bulle bruxelloise » pour intéresser le monde entier.

Pourtant, la Commission affirme que ce n’est pas la première fois que l’on nomme de cette façon un secrétaire général.

Les faits parlent d’eux-mêmes. Le milliers de pages que nous avons examiné montrent que Martin Selmayr n’avait pas l’ancienneté suffisante pour être nommé directement secrétaire général, contrairement à tous ses prédécesseurs à ce poste. Aussi, la Commission a organisé sa promotion comme secrétaire général adjoint dans le seul but de le nommer quelques minutes plus tard secrétaire général. Nous avons découvert au moins quatre irrégularités juridiques dans le processus de nomination et c’est beaucoup.

La Commission n’a pourtant reconnu aucune erreur ou manipulation…

D’habitude, lorsque nous discutons d’un cas avec la Commission, même lorsqu’il s’agit d’un cas difficile, nous parvenons toujours à trouver un point d’accord. Il n’y a pas un rejet total à accepter les faits que nous leur présentons comme cela est le cas depuis le début de l’affaire Selmayr. Cette attitude n’a aucun précédent alors qu’elle est seule à refuser de voir la réalité : le Parlement, les médias et moi-même avons tous constaté la même chose, sauf la Commission ! Elle se comporte comme une mère qui regarde son fils militaire défiler et s’exclame : « regardez, aucun ne suit la cadence à l’exception de mon fils ». Il est frappant qu’en dehors de la Commission, personne n’ait réfuté ou contesté les résultats de notre enquête.

Martin Selmayr n’aurait-il pas dû démissionner ?

Ce n’est pas à moi de le dire. Je constate simplement que la Commission affirme qu’elle a respecté l’esprit de la loi, ce qui n’est absolument pas le cas. Les dispositions du statut des fonctionnaires européens pour pourvoir le poste de secrétaire général n’ont pas été respectées, c’est un fait. En le niant, elle se décrédibilise. Il est regrettable que la Commission ait adoptée cette attitude, car cela nuit aux missions de l’institution que l’on doit servir, qui sont de protéger l’intérêt général, et à son image auprès des citoyens. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’une grande partie des fonctionnaires de la Commission partagent mon avis.

Ce qui me sidère dans l’attitude de la Commission est que la recommandation que j’ai faite n’était pas très difficile à suivre. Je n’ai pas prescrit le départ de Martin Selmayr, j’ai simplement proposé qu’elle procède différemment la prochaine fois. Il était donc relativement facile pour eux de répondre : « nous avons retenu la leçon et la prochaine fois, nous agirons différemment après avoir parlé au parlement et au conseil des ministres et blablabla ». Mais non. Ils se sont braqué et ont tout rejeté en bloc, les faits et les recommandations. Cela étant, on peut perdre une bataille et gagner la guerre : je pense qu’à l’avenir, on ne pourra plus nommer un secrétaire général dans de telles conditions. Le tollé causé par cette affaire, la colère exprimée, la façon dont cela a été utilisée pour nuire à la réputation de la Commission et de l’Europe, cela ne peut pas être ignoré. Je suis persuadé que la sanction, c’est la révélation de ce qui s’est passé, ce qui empêchera qu’on agisse ainsi à l’avenir.

L’affaire Selmayr n’est pas isolée : toutes les institutions procèdent à des nominations politiques en tordant les règles…

Mon travail consiste à amener un changement culturel. Si la Commission finit par accepter de changer ses modes de nomination des hauts fonctionnaires, cela va avoir un impact sur le parlement et le conseil des ministres. Ainsi, lorsque José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission, a été embauché par Goldman Sachs, cela a provoqué une prise de conscience des conflits d’intérêts qui existaient depuis longtemps et a poussé les institutions à durcir les règles pour les prévenir. D’autant que ce genre de scandales amène les citoyens à s’intéresser davantage à l’Union. Lorsque je voyage, je constate que les gens savent maintenant qui sont M. Selmayr et M. Juncker. Quand je rentre chez moi, les gens s’intéressent à ce que je dis. Cette prise de conscience de ce qui se passe dans la bulle européenne constitue une pression bienvenue en faveur des réformes.

Finalement, Martin Selmayr a peut-être rendu service à l’Union?

Et sans aucun doute, il s’en attribuera le mérite ! (rires)

Photo: Photo Albert Facelly

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 8 mars

Categories: Union européenne

Emmanuel Macron en appelle aux citoyens européens pour changer l'Europe

Sat, 03/09/2019 - 18:57

En s’adressant directement aux « citoyens d’Europe », Emmanuel Macron prend acte de son isolement politique dans l’Union. Un an et demi après son discours-programme de la Sorbonne, en septembre 2017, le constat ne peut plus être esquivé : aucun gouvernement ne soutient ses ambitieux projets de réforme d’une Europe que le chef de l’État juge « amollie » et « en danger ». Le président le plus europhile que la France se soit donné depuis François Mitterrand a vu son élan se briser dans les sables mouvants merkeliens. Sa lettre aux Européens se lit donc comme une manœuvre audacieuse ou désespérée de se relancer sur le théâtre communautaire en passant par-dessus la tête des classes politiques nationales.

Le cœur de sa tribune n’est pas l’énumération de ses projets, qui n’ont quasiment aucune chance de voir le jour en l’état, mais dans son appel final aux citoyens. Il demande, en effet, la mise en place d’une « Conférence pour l’Europe afin de proposer tous les changements nécessaires à notre projet politique, sans tabou, pas même la révision des traités ». Outre les représentants des institutions communautaires et des États, elle associerait des « panels de citoyens, auditionner(ait) des universitaires, les partenaires sociaux, des représentants religieux et spirituels » pour définir « une feuille de route ».

Emmanuel Macron se situe ainsi délibérément hors des traités européens qui prévoient déjà la possibilité de mettre en place une « Convention européenne » destinée à réviser les traités. Mais il s’agit d’une instance formelle uniquement composée de représentants des États et des institutions communautaires. Sa proposition de « Conférence » se situe à mi-chemin entre la Convention et les Consultations citoyennes sur l’Europe qu’il a lancé en 2018 qui n’ont guère mobilisée en dehors de l’Hexagone… Sans doute grisé par le succès du grand débat national qu’il mène tambour battant, le chef de l’État espère qu’en mettant au défi ses partenaires de consulter leur peuple, il parviendra cette fois à ses fins.

Tous les sondages le montrent : l’attachement à l’Union et à l’euro est de plus en plus fort depuis le fiasco du Brexit. Mais, en même temps, les citoyens manifestent leur mécontentement vis-à-vis de l’Europe telle qu’elle est en votant de plus en plus nombreux pour des partis démagogues et/ou d’extrême droite. C’est un véritable défi existentiel pour l’Union : comment est-il possible que le projet européen qui a été conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale comme un barrage à l’autoritarisme et au fascisme se retrouve à nouveau confronté à ses vieux démons ?

Pour Emmanuel Macron, sortir du statu quo actuel qui fait le lit des nationalistes est donc vital. Mais il évite curieusement le sujet central du malaise européen, celui de la démocratie, du contrôle de ce qui se décide à Bruxelles. Pas un mot sur une zone euro dont les institutions échappent à tout contrôle parlementaire alors qu’elles pèsent sur les choix économiques et budgétaires des États ; pas un mot sur la Commission devenue un « moloch bureaucratique » ; et pas un mot sur le nerf de la guerre, le budget (de l’Union ou de la zone euro) dont les recettes et les dépenses devraient être votées par un Parlement. En fait, le Président de la République évite tout ce qui a déjà fâché les chrétiens-démocrates allemands...

En lieu et place, il propose de créer de nouvelles institutions : Agence européenne de protection des démocraties, Conseil européen de sécurité intérieure pour gérer les flux migratoires, force sanitaire européenne, instance de supervision européenne des plates-formes numériques, Conseil européen de l’innovation. Le problème est que ces missions sont déjà en tout ou partie assurées par les institutions communautaires actuelles : s’agit-il de déshabiller la Commission pour remettre le pouvoir aux États ou à des agences indépendantes ? Le vrai problème n’est-il pas plutôt celui de ses compétences, du contrôle démocratique et de ses moyens budgétaires ? Ainsi, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui assure déjà le « contrôle de nos aliments » a surtout besoin d’être réformée et de moyens budgétaires. De même, la « Banque européenne du climat pour financer la transition écologique » ne risque-t-elle pas de faire double emploi avec la Banque européenne d’investissement ?

Il propose aussi de changer les priorités de l’Union en remettant « à plat de l’espace Schengen » - afin de lier suppression des contrôles fixes aux frontières et politique commune d’asile-, en créant une « préférence européenne », en réformant le droit de la concurrence et la politique commerciale ou encore en fixant un salaire minimal dans chaque État membre dont le niveau serait fixé chaque année par Bruxelles.

Emmanuel Macron sait que ses propositions sont désormais partagées pas une bonne partie de la population européenne qui veut davantage de protections. C’est son pari : si le débat sur l’Europe que veulent les peuples est lancé, la dynamique pourrait tout balayer sur son passage. Mais ses partenaires le savent aussi.

N.B. : version longue de l’article paru dans Libération du 5 mars.

PHOTO LUDOVIC MARIN. AFP

Categories: Union européenne

Le véto à la fusion Alstom-Siemens relance le débat sur la politique de concurrence

Wed, 02/20/2019 - 20:02

« Il y aura un avant et un après Alstom-Siemens : les règles de concurrence doivent servir l’intérêt européen ». Bruno Le Maire, le ministre des Finances, ne décolère pas, en public et en privé, après le veto posé par la Commission, le 6 février, à la fusion entre les deux géants du rail européen, alors que la concurrence chinoise menace tous les fleurons industriels du vieux continent. Et pour une fois, Berlin est sur la même longueur d’onde que Paris : même si l’Allemagne a toujours fait discrètement de la politique industrielle, désormais elle en proclame haut et fort la nécessité après avoir été traumatisée par le rachat, en 2016, de Kuka, l’un de ses fleurons robotique, par le chinois Midea. Le 19 février, Bruno Lemaire et Peter Altmaier, le ministre de l’économie (CDU) allemand, ont ainsi rendu public un «manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIe siècle». Même les Néerlandais commencent à y réfléchir, c’est dire.

Or, une politique industrielle conséquente passe par une réforme des règles de concurrence afin qu’elles ne jouent pas au détriment des seules entreprises européennes comme aujourd’hui. L’affaire de « l’Airbus du ferroviaire » est typique de l’aveuglement d’une Commission qui dispose d’une compétence exclusive en la matière et qui « fait de la politique de concurrence comme au XXe siècle », comme le dénonce Bruno Le Maire. En effet, sous prétexte que la Chine ne sera pas présente sur le marché européen de la très grande vitesse et de la signalisation ferroviaire (elle est présente dans tous les autres segments) avant 5 ou 10 ans, elle considère qu’il est hors de question de restreindre la concurrence en Europe dans l’intervalle. Pour Berlin et Paris, on est là dans l’irrationalité la plus totale : se mettre en ordre de bataille lorsque l’ennemi est déjà dans la cité, c’est la certitude de perdre la guerre. On l’a vu déjà avec la mondialisation : l’Union n’a pas voulu croire que la Chine aurait les capacités de la concurrencer dans les secteurs à forte valeur ajoutée et a donc accepté un libre échange inégal : en effet, ce pays manipule sa monnaie, subventionne ses entreprises, refuse d’ouvrir son marché intérieur, ne respecte aucune norme sociale ou environnementale, etc..

Pour Paris, « tous les dogmes sur lesquelles a été bâtie l’Union depuis 1957 se sont effondrés : la démocratie ne triomphe pas dans le monde, sa sécurité n’est plus garantie par les États-Unis, elle ne parvient pas à stabiliser son voisinage par le simple jeu de l’élargissement et l’exemplarité européenne se retourne contre elle, les pays tiers refusant de respecter les règles du jeu ». Résultat, ce qui paraissait impensable il y a encore quelque mois, une remise à plat des règles de concurrence, prend corps. Plusieurs idées sont avancées par le document franco-allemand : tenir compte du marché mondial et plus seulement européen, ne plus apprécier l’état du marché à l’instant T, mais aussi son évolution future, donner un droit d’évocation au Conseil des ministres (l’organe où siègent les États), comme cela existe en France, définir des secteurs sensibles où les rapprochements sont nécessaires (ferroviaire, satellitaire, intelligence artificielle, etc.), valider la prise de contrôle temporaire par un Etat dans une entreprise afin d’assurer son développement à long terme, développer le financement public de l’innovation... La France souhaiterait aussi que la Commission valide des fusions a priori contraires aux règles en plaçant ces entreprises nouvelles sous surveillance.

Au delà de la politique de concurrence, Berlin et Paris veulent que l’Union exige la réciprocité comme condition d’accès à son marché, notamment pour ses marchés publics. Bref, l’Europe veut cesser d’être l’idiote utile de la mondialisation.

Photo: DR

Categories: Union européenne

Alstom-Siemens: une "erreur économique" au bénéfice de la Chine

Mon, 02/11/2019 - 19:01

La Commission est-elle schizophrène ? Alors qu’elle ne cesse de vanter les mérites de la mondialisation, elle persiste à juger la concurrence dans un cadre strictement européen, voire national, comme si le reste du monde n’existait pas. Le veto posé, hier, par la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, à la fusion Siemens-Alstom va, en effet, empêcher la constitution d’un « Airbus » ferroviaire capable de résister à des géants tels le chinois CRRC, le numéro 1 mondial du secteur qui pèse deux fois plus que les deux entreprises réunies. « Une erreur économique » qui « va servir les intérêts » de la Chine, selon Bruno Le Maire, ministre français des Finances qui ne décolère pas, à l’image de ses partenaires allemands.

Pour la Commission, qui a une compétence exclusive en matière de concurrence, cette fusion aurait donné une position dominante, voire monopolistique, à Siemens-Alstom sur le marché européen de la très grande vitesse et de la signalisation ferroviaire. Pour elle, la concurrence chinoise n’est pas un argument puisque « CRRC réalise 90 % de son chiffre d’affaires en Chine », comme l’a expliqué Margrethe Vestager lors d’une conférence de presse. « Aucun fournisseur chinois n’a jusqu’ici participé à une offre publique en Europe pour vendre sa signalisation, ni fourni un TGV hors de Chine. Il n’y a aucune perspective d’entrée des Chinois sur le marché européen », a-t-elle poursuivi. Autrement dit, la Commission a pris sa décision en se fondant sur le seul marché européen et en le considérant tel qu’il est à l’instant T.

Pour Nicolas Petit, spécialiste du droit de la concurrence européen, professeur à l’Université de Liège et « visiting fellow » à l’Université de Stanford aux États-Unis, « il s’agit d’un problème de méthode interne à la Commission, pas d’une question idéologique qui verrait les néo-libéraux s’opposer aux tenants d’une politique industrielle européenne comme le croit les autorités françaises. Il n’y a rien dans le règlement de 1989, révisé en 2004, instaurant le contrôle des fusions-acquisitions sur la façon dont s’apprécie le « marché pertinent » ». C’est la Commission qui, au coup par coup, décide de l’étendue du marché qu’elle prend en considération pour déterminer si une fusion aura des effets négatifs sur la concurrence : en 2000, elle a ainsi posé son véto à la fusion des constructeurs scandinaves Volvo et Scania, car elle aurait créé un quasi-monopole sur la production des camions en Scandinavie. Une décision contestée, car le marché était à l’évidence européen et non local. En revanche, elle a accepté la création d’Airbus, un monopole européen, le marché des avions étant mondial. Si elle s’est contentée d’apprécier les effets de la fusion Siemens-Alstom sur le seul marché européen, c’est parce que le ferroviaire reste segmenté. Pour l’instant.

Et c’est le second problème de la méthode employée par la Commission : elle refuse de se projeter dans l’avenir alors qu’elle « devrait prendre en compte l’évolution du contexte à long terme », estime Nicolas Petit. Il est, en effet, difficile d’improviser un champion européen lorsque des mastodontes chinois ou autres auront pénétré le marché européen. « Le problème chinois n’est pas nouveau », souligne Nicolas Petit : « leurs entreprises sont dopés par les subventions, la manipulation monétaire, la protection de leur marché national, ce qui impose de se préparer à les affronter très en amont ». Autrement dit, l’arrivée de CRRC n’est qu’une question de temps.

Bref, la politique de concurrence de la Commission n’a pas vraiment évolué depuis les années 90 alors que le contexte a radicalement changé. Elle semble avoir oublié que si le contrôle des fusions-acquisitions n’a été instauré qu’au début des années 90, c’était pour permettre aux entreprises nationales de se consolider librement afin d’atteindre la taille nécessaire pour affronter le marché intérieur de 1993. Ce n’est qu’ensuite qu’il a été jugé nécessaire de veiller à ce que les fusions n’aboutissent pas à des monopoles ou des oligopoles privés nuisant aux consommateurs et à l’innovation. Mais avec la mondialisation, les paradigmes ont changé : il faut désormais que les entreprises européennes aient une taille mondiale. L’Europe peut-elle ainsi se permettre de compter environ 130 opérateurs de téléphonie, soit 3 à 5 par pays, alors qu’il n’y en a que 4 en Chine et 4 aux États-Unis ? Sur le plan de la concurrence, l’Europe est certes un modèle, mais qui n’a aucune chance de survivre à terme. Le véto à la fusion entre Siemens et Alstom aura au moins le mérite de mettre le sujet sur la table : la France et l’Allemagne veulent désormais renégocier le règlement de 1989 révisé en 2004 afin de contraindre la Commission à changer de méthodes.

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Les démagogues ne veulent plus quitter la zone euro

Wed, 01/30/2019 - 18:25

Ma chronique dans La Faute à l’Europe sur France Info.

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Michel Barnier se voit "déjà en haut de l'affiche".

Sun, 01/27/2019 - 17:43

Michel Barnier se voit « déjà, En haut de l’affiche », comme le chantait Charles Aznavour. L’actuel négociateur du Brexit, l’ancien commissaire (deux fois), l’ancien ministre français des Affaires européennes puis étrangères, a, en effet, commencé sa campagne pour succéder à Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission, en novembre prochain. Depuis quelques semaines, il multiplie les discours programmatiques espérant manifestement que les contacts étroits qu’il a noués avec les 27 chefs d’État et de gouvernement au cours des deux années de négociations du Brexit lui permettront enfin de décrocher le Graal lors du Conseil européen du mois de juin qui suivra les élections européennes. A 68 ans, celui qui est en politique depuis 1973 (45 ans quand même) aimerait enfin sortir des rôles de second couteau auquel il est abonné et parvenir enfin en pleine lumière.

Les «Spitzenkandidaten», une expérience non concluante

Le Français estime avoir sa chance, car le système des Spitzenkandidaten est mort. Il ne s’est imposé en 2014 que parce que la tête de la liste PPE (conservateur) arrivée en tête, en l’occurrence Juncker, avait le profil du poste : ancien premier ministre du Luxembourg et ancien négociateur du traité de Maastricht, l’homme était connu, y compris du grand public, et alors respecté par ses pairs.

Mais l’expérience n’a pas été concluante, Juncker, un homme prématurément vieilli, fatigué, usé, ayant laissé les clefs de la Commission à son chef de cabinet, l’Allemand Martin Selmayr. En outre, les deux principaux partis politiques européens ont commis l’erreur de désigner des troisièmes couteaux totalement inconnus du grand public et des chefs d’État et de gouvernement : l’Allemand Manfred Weber de la CSU bavaroise pour le PPE et le Néerlandais Franz Timmermans, commissaire européen sortant, pour les socialistes. Les libéraux, troisième force politique, ont tout simplement décidé de ne pas concourir à cette course d’éclopés.

Enfin, Emmanuel Macron est totalement opposé à ce système qui donne tout le pouvoir au Parlement européen, ou plutôt au petit cercles des dirigeants des partis politiques européens qui n’ont absolument aucune légitimité. Pour le chef de l’État français, il faut que la tête de liste soit issue d’une liste transnationale afin de lui donner une légitimité transeuropéenne. Or le Parlement européen, sous l’influence de ses caciques, a refusé de la créer, ce qui redonne de facto la main au Conseil européen.

Le jeu est ouvert

Le jeu est donc particulièrement ouvert, aucun candidat évident ne s’imposant. Ce qui a toujours été le cas par le passé : ce n’est jamais le favori ou celui qui est donné comme tel qui s’impose au final. Barnier est certes macron-compatible, mais sa candidature n’a une chance d’aboutir que si Paris n’est pas intéressé par un autre poste autrement plus sensible, celui de président de la Banque centrale européenne, qui doit aussi être pourvu en juin. Ce sera l’un ou l’autre, mais pas les deux. Pour l’instant, la France n’a pas vraiment fait son choix, même si François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France se verrait bien à Francfort.

Le problème de Barnier est sa longévité en politique, plus que son âge, qui n’est vraiment pas le signal d’un renouvellement ou d’une relance du projet européen. Surtout, c’est l’homme lige de Martin Selmayr qui l’a nommé au poste qu’il occupe actuellement et l’a étroitement contrôlé durant toutes les négociations du Brexit. L’Allemand parie depuis longtemps sur sa nomination à la tête de l’exécutif européen comme nous le révélions en février 2018, afin d’assurer sa survie. Car l’ancien chef de cabinet de Juncker, que l’on surnomme « le monstre » à Bruxelles, est sous le feu des critiques depuis que Libération a révélé comment il avait violé le droit européen pour se faire nommer secrétaire général de la Commission, 71 % des eurodéputés exigeant même sa démission (résolution adoptée en décembre). Barnier président, cela signifierait qu’en réalité la Commission resterait sous la coupe de Selmayr, le Français n’étant pas particulièrement réputé pour son courage. Bref, comme dans la chanson d’Aznavour, l’affaire pourrait finir tristement pour Barnier : « Si je suis dans l’ombre, Ce n’est pas ma faute, C’est celle du public qui n’a rien compris, On ne m’a jamais accordé ma chance »

photo: AFP - EMMANUEL DUNAND

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Elections européennes: l'extrême-droite et la droite radicale parviendront-elles à s'unir?

Thu, 01/24/2019 - 01:09

Faut-il craindre une déferlante «populiste» et europhobe lors des élections européennes de mai ? L’arrivée au pouvoir du Mouvement Cinq Etoiles (M5S) et de la Ligue en Italie, du FPÖ en Autriche, la percée de l’extrême droite du SD en Suède, de Vox en Andalousie tout comme le mouvement des gilets jaunes en France peuvent le laisser penser. Le Rassemblement national (RN) français, qui a déjà lancé sa campagne, en fait le pari comme le montre son slogan : «On arrive !»

Pourtant, le nombre de députés europhobes ou populistes ne devrait pas beaucoup varier. En effet, ces partis sont en recul ou affaiblis dans plusieurs pays (Pays-Bas, Danemark, Pologne). Ou alors, ils sont déjà largement présents : ainsi, le Front national est arrivé en tête en 2014 avec 24 eurodéputés (même s’il n’en reste que 16 dans le groupe aujourd’hui), un score qu’il n’a guère de chance d’améliorer. Surtout, le Brexit va priver les eurosceptiques du Parti conservateur (19 sièges) et les europhobes de l’Ukip (19 députés)… Une compilation des sondages déjà effectués montre que les démagogues de droite pourraient passer de 151 dans une Assemblée à 751 sièges à une fourchette comprise entre 153 et 168 députés dans une Assemblée réduite à 705 membres après le Brexit. Même si on ajoute la Gauche radicale (GUE) et la cinquantaine de sièges qu’elle devrait conserver, l’euroscepticisme progresserait (de 20 à 24% des sièges), mais sans bouleverser l’échiquier politique européen.

Le vrai enjeu est ailleurs : les démagogues seront-ils capables de s’unir pour peser sur les travaux parlementaires, ce qu’ils n’ont jamais réussi à faire jusque-là, leur seul point commun étant leur détestation de l’Union ? Une alliance entre gauche et droite radicales étant exclue, la question se pose uniquement pour les partis de droite radicale style Droit et Justice (PiS) en Pologne, pour les démagogues purs style M5S et pour les partis d’extrême droite comme le RN, le Vlaams Belang belge, le VVD néerlandais, etc. Pour l’instant, ils sont éclatés entre trois groupes (les conservateurs eurosceptiques de l’ECR, l’EFDD formé autour de l’Ukip et du M5S, l’ENF dont la colonne vertébrale est formée du RN et de la Ligue), sans compter quelques non-inscrits trop radioactifs comme le Jobbik hongrois ou l’Aube dorée grecque.

Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien et patron de la Ligue, a entamé des travaux d’approche avec le fidesz hongrois de Viktor Orban, le PiS polonais et le FPÖ autrichien, en vain pour l’instant. De même, le M5S acceptera-t-il de siéger avec le RN et Vox au risque de perdre définitivement son identité ? Nul ne peut dire s’il y aura un, deux ou trois groupes à la droite du PPE, le groupe conservateur.

Est-il imaginable, comme le rêve l’idéologue de la droite radicale américaine Steve Bannon, que le PPE, qui devrait rester le premier groupe, même affaibli (entre 180 et 188 députés contre 218), s’allie avec ces partis eurosceptiques et europhobes ? Cela paraît improbable, car son unité n’y résisterait pas.

N.B.: article paru dans Libération du 21 janvier

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L"euro, bouclier de la crise des gilets jaunes

Wed, 01/23/2019 - 16:41

L’euro a fêté son vingtième anniversaire le 1er janvier. Aujourd’hui, il n’est plus un sujet de débat politique et même les partis «populistes» ont remisé la sortie de la monnaie unique européenne au fond de leur programme, à l’image du Rassemblement national en France, du Mouvement Cinq Etoiles en Italie, ou du Parti de la liberté en Autriche. Il faut dire que la sortie de l’euro est devenue un repoussoir puissant puisque 64 % des citoyens de la zone euro y sont attachés, seuls 25 % voulant le quitter (sondage Eurobaromètre).

Le mouvement des gilets jaunes en France offre une nouvelle fois l’occasion de constater l’efficacité du bouclier qu’il offre aux pays de la zone euro qui, désormais, n’ont plus rien à craindre des marchés quelle que soit la gravité des crises nationales qu’ils traversent. Imaginons un instant que le franc existe toujours alors que l’Hexagone est politiquement paralysé depuis des mois. Que se passerait-il ? Il suffit de regarder les précédentes crises équivalentes.

Dans un premier temps, les investisseurs étrangers, mais aussi français, auraient fui massivement le pays, non pas pour punir les manifestants, mais tout simplement pour placer leur argent dans des pays plus stables qui ne mettent pas en péril leurs investissements et surtout leur assurent une rentabilité suffisante. Conséquence : le franc aurait perdu inéluctablement du terrain, notamment face au mark allemand, la monnaie européenne alors jugée la plus sûre. Pour défendre sa valeur et retenir les investisseurs, la Banque de France n’aurait pas eu d’autre choix que d’augmenter les taux d’intérêt à court terme, ce qui se serait répercuté sur le loyer de l’argent réclamé par les banques commerciales aux entreprises et aux ménages. Résultat, le ralentissement de l’économie dû à la crise se serait accentué.

De même, les taux d’intérêt réclamés par les investisseurs pour prêter de l’argent à la France à moyen et long terme grimperaient face aux incertitudes. Ce qui accroîtrait la charge d’une dette qui dépasserait rapidement le niveau de 100 % du PIB. Pour y faire face et éviter une dégradation des comptes publics qui accentuerait encore la fuite des capitaux - les marchés doutant de la capacité de la France à rembourser - l’exécutif n’aurait d’autre choix que de couper dans la dépense publique, seule variable d’ajustement qu’il contrôle, ce qui dégraderait encore l’activité économique.

Certes, la dévaluation du franc serait, dans un premier temps, favorable aux exportations. Mais tous les produits importés, comme le pétrole ou le gaz, augmenteraient mécaniquement. Cette inflation importée dégraderait le pouvoir d’achat et la consommation, et donc l’activité économique. Bref, sans l’euro, la crise des gilets jaunes aurait été une catastrophe économique. En revanche, grâce à lui, la croissance a certes ralenti, mais le taux de change de la monnaie unique n’a pas bougé d’un iota, pas plus que les taux d’intérêt, la France ayant emprunté la semaine dernière à un taux record…

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Comment sortir du piège du Brexit?

Sat, 01/19/2019 - 20:35

Les partisans d’un Brexit « dur » ont incontestablement marqué un point : après le rejet de l’accord de divorce par la Chambre des communes, un « no deal », c’est-à-dire une sortie brutale de l’Union européenne (UE) le 29 mars, semble plus probable que jamais, même si une majorité de députés britanniques reste hostile à une telle perspective catastrophique pour l’économie du pays. Désormais, et faute d’une solution miracle immédiatement disponible, le seul moyen d’éviter ce « hard Brexit » serait que le gouvernement de Theresa May demande un délai supplémentaire à ses futurs ex-partenaires, voire retire unilatéralement sa demande de sortie de l’Union (article 50 du traité sur l’UE).

«On ne va pas sacrifier les intérêts des Européens»

En tout état de cause, la clef du Brexit se trouve à Londres et nulle part ailleurs comme l’a reconnu Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, en appelant « le Royaume-Uni à clarifier ses intentions dès que possible ». « Nous attendons maintenant ce que la Première ministre propose », lui a fait écho la chancelière allemande, Angela Merkel. Puisque ce sont les Britanniques qui ont décidé, lors du référendum du 23 juin 2016, de quitter l’Union, il leur revient de dire comment ils entendent le faire tout en respectant les « lignes rouges » fixées par ses partenaires. Or, celles-ci n’ont pas bougé : « On ne va pas sacrifier les intérêts des Européens pour régler un problème de politique intérieure des Britanniques », a ainsi martelé le chef de l’État français, Emmanuel Macron, lors de son dialogue avec les maires : « La pression est du côté de la Grande-Bretagne », puisqu’elle sera la première « perdante d’un « no deal »».

De fait, il n’est pas question de renégocier le volumineux accord de retrait péniblement conclu en novembre dernier (585 pages, trois annexes et une déclaration politique de 26 pages). « On a été au bout de ce qu’on pouvait faire dans l’accord », estime Emmanuel Macron. « La marge de négociation est proche de zéro » confirme-t-on dans son entourage. Une position d’autant plus ferme que, vu l’ampleur du rejet, il n’y a guère de chance que des changements à la marge, les seules imaginables pour l’Union, satisferaient une majorité de députés britanniques.

Prolonger le délai

Parmi les idées évoquées pour gagner du temps, la prolongation du délai de deux ans prévu par l’article 50 entre son activation et la sortie effective. Il faudrait que Londres la demande et que les 27 l’acceptent à l’unanimité. Or, pour Alain Lamassoure, eurodéputé conservateur, ce serait un « piège » : « les députés qui n’ont pu se mettre d’accord en trois ans ne le feront pas en trois semaines », tranche-t-il. À Paris, on estime aussi qu’un tel report ne pourrait être accordé qu’à condition que Londres ait un plan précis susceptible de réunir une majorité à la Chambre des communes. Or, ce n’est absolument pas le cas, ce qui rend l’extension de l’article 50 sans objet : « il faut sortir de cette approche qui consiste à demander une minute de plus au bourreau avant qu’il ne fasse son office », tranche un proche du gouvernement.

Sans compter qu’un délai supplémentaire poserait des problèmes juridiques, les élections européennes devant avoir lieu en mai prochain. Il faudrait d’une part se mettre d’accord sur la durée de ce délai, ce qui dépendra largement de la capacité de Theresa May à élaborer une solution qui soit acceptable à la fois par la Chambre des communes et par l’Union, et, d’autre part, trancher la question de leur participation aux institutions communautaires. Ce qui passera par un amendement aux traités qui devra être ratifié par les vingt-huit parlements. Trois solutions sont possibles : soit le Royaume-Uni organise des élections européennes, soit elle maintient ses députés actuels en fonction, soit elle envoie des députés nationaux pour siéger à Strasbourg. La question de la répartition des 73 sièges actuellement occupés par les eurodéputés britanniques qui a déjà été décidée (27 ont été attribués à des pays gravement sous-représentés comme la France (+5 sièges), le reste étant gelé pour les futurs élargissements) ne pose pas de problème, puisque le texte a prévu ce cas de figure : la composition du Parlement ne serait tout simplement pas modifiée dans un premier temps. La nouvelle répartition n’entrera en vigueur que lors de la sortie effective du Royaume-Uni.

Renégocier les traités européens

Autre possibilité hautement improbable : un retrait unilatéral de l’article 50, une possibilité reconnue par la Cour de justice européenne dans un arrêt de principe du 10 décembre dernier. Mais cela impliquerait soit un nouveau référendum, soit des élections législatives anticipées valant référendum... Ce retrait pourrait certes n’être que temporaire, rien n’empêchant Londres d’activer à nouveau l’article 50 dans un ou deux ans… Un cauchemar pour l’Union qui vivrait pour longtemps au rythme du Brexit.

À Paris, on commence à envisager, pour sortir par le haut de ce tête-à-tête impossible avec Londres, de profiter de cette crise pour remettre sur la table l’ensemble des traités afin de créer cette Europe à géométrie variable qu’Emmanuel Macron a esquissé lors de son discours de la Sorbonne en septembre 2017. Cela permettrait de régler au passage le problème britannique en créant un statut « d’État proche » associé à l’Union au sein d’un partenariat économique et politique. Un second cercle serait constitué du marché unique et des valeurs fondamentales. Un troisième, d’une zone euro fédérale… Mais faut-il entamer une telle négociation avec le Royaume-Uni encore à bord, c’est-à-dire avec son droit de véto, ou attendre le choc cathartique d’une sortie chaotique ? La réflexion ne fait que commencer.

N.B.: article paru dans Libération du 17 janvier

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« Il faut achever l’euro », le livre

Sun, 01/06/2019 - 21:02

Mon nouveau livre est en vente dans toutes les bonnes librairies depuis le 2 janvier (666 pages, 22,50€). Un sacré travail qui raconte la construction de la monnaie unique depuis 1968.

Je ne sais pas combien d’entre vous sont encore présents sur ce blog depuis la disparition des commentaires du site de Libé, en septembre dernier. Je n’ai aucune information sur leur retour. Comme je vous l’ai dit, vous pouvez discuter sur mes pages Facebook ouvertes à tous.

J’en profite aussi pour souhaiter une excellente année 2019, même si je crains le pire pour la France.

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L'Union européenne reste fragile face au choc américain

Fri, 12/28/2018 - 23:56

Il y a presque douze ans, en février 2007, la crise des « subprimes » éclatait aux États-Unis. Dix-huit mois plus tard, elle a entrainé l’Europe dans la plus grave crise financière, bancaire et économique depuis 1929, une crise dont elle mettra huit ans à sortir et dont les stigmates sont toujours présents. Sommes-nous à la veille d’un choc de même ampleur ? Sans doute pas. Mais une nouvelle fois, l’Europe, largement dépendante de la locomotive américaine, va souffrir : non seulement elle ne dispose pas de relais suffisants de croissance, mais ses faiblesses structurelles la rendent particulièrement vulnérable aux chocs externes.

« La crise américaine qui s’annonce ne sera pas de même nature qu’en 2007 », souligne Philippe Waechter, économiste chez Ostrum Asset Management. Cette fois-ci, la crise ne sera pas financière et bancaire, mais avant tout économique : les États-Unis risquent d’être confrontés à une récession dans les 12 à 18 mois qui viennent. C’est du moins la conviction des marchés, comme le montre l’inversion en cours de la courbe des taux : dans peu de temps, il sera plus cher d’emprunter à 2 ou 5 ans qu’à 10 ans, alors que cela devrait être l’inverse. Cela indique que les investisseurs pensent qu’il y a un risque de tempête à court terme.

Cette conviction doit essentiellement à la politique de Donald Trump. En particulier, la guerre commerciale tout azimut déclenché par le président américain, mais aussi les tensions diplomatiques causées par son unilatéralisme agressif, commencent à produire des effets délétères sur le commerce mondial. Un indicateur ne trompe pas : après une croissance du trafic des conteneurs, qui représente 80 % des biens échangés dans le monde, de 6 % en 2017, elle n’est plus que de 2 % en 2018. Ce qui entraine mécaniquement une baisse des investissements, la confiance dans le commerce mondial diminuant. Autre élément inquiétant qui, lui, n’est pas imputable à Trump : la normalisation de la politique monétaire de la Réserve fédérale, dont les taux sont passés de 0 à plus de 2%, a des effets déstabilisateurs sur les pays émergents, les capitaux placés chez eux étant rapatriés aux États-Unis, ce qui impactera leur croissance et partant la croissance mondiale.

Le problème, pour l’Union, est que son activité économique n’est pas folichonne (2,1% en 2018 pour la zone euro contre 2,4 % en 2017 et moins de 2% espérés en 2019) et qu’elle est donc exposée au moindre coup de vent extérieur : « si la croissance reste à 4 % en Asie, il est clair que l’Europe n’a pas beaucoup d’atouts pour attirer les investisseurs », tranche un économiste de l’OCDE. D’autant qu’elle est totalement « absente de la guerre technologique que se livrent les États-Unis et la Chine », souligne Philippe Waechter, « ce qui est très inquiétant sur le long terme ».

Autre facteur de risque pour l’Union, les incertitudes politiques qu’elle accumule comme à plaisir : crise des gilets jaunes en France ; poussée de partis d’extrême droite ou démagogiques partout, ce qui pourrait se traduire par un Parlement européen ingouvernable en mai 2019 et une Commission gravement affaiblie ; renouvellement de la moitié du directoire de la Banque centrale européenne et bien sûr le Brexit qui constituera un choc plus ou moins brutal selon qu’il sera avec accord ou pas…

Enfin, l’Union et surtout la zone euro ne sont pas dotées d’une autonomie de décision leur permettant de répondre à un choc économique. En effet, ce sont les États qui dictent la marche à suivre et en particulier l’Allemagne qui a imposé sa vision de la politique économique durant la crise de 2010-2012. En clair, Berlin s’opposera fermement, y compris en s’emparant des leviers du pouvoir à la Commission et à la BCE, à toute politique budgétaire accommodante pour faire face au choc qui s’annonce, ce qui va aggraver ses effets et déstabiliser davantage la zone euro à son profit, l’Allemagne apparaissant comme le seul pays vraiment sûr pour les marchés…

Seules bonnes nouvelles pour l’Europe : l’union bancaire a permis un considérable renforcement des banques de la zone euro, ce qui leur permettra d’absorber un choc équivalant à celui de 2007, et le prix du pétrole restera bas pour longtemps. Deux airbags, c’est peu pour éviter les effets du ralentissement à venir.

N.B.: article paru dans Libération du 27 décembre

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Le Parlement européen exige la démission de Martin Selmayr

Fri, 12/21/2018 - 16:54

Martin Selmayr doit démissionner ! Le Parlement européen a durci le ton pour obtenir le départ de l’omnipotent secrétaire général allemand de la Commission qui s’est emparé de son poste le 21 février à la suite d’un véritable «coup d’Etat» interne, comme il l’a dénoncé en avril - mais sans appeler à son départ- sans que cela ait eu le moindre effet.

Jeudi, les eurodéputés, réunis en session plénière à Strasbourg, n’ont pas fait dans le détail en estimant en substance que la Commission n’a pas grand-chose à envier à la Hongrie de Viktor Orban dans ses pratiques internes. En effet, pour eux, elle «n’a pas respecté les principes de transparence, d’éthique et d’état de droit dans la procédure qu’elle a utilisée pour nommer Martin Selmayr». Ils déplorent donc «vivement la décision de la Commission de confirmer M. Selmayr […] malgré les nombreuses critiques émises par les citoyens de l’Union et le préjudice que cela cause à la réputation de l’Union». Pour le Parlement, aucun doute, «M. Selmayr doit démissionner de son poste». Des phrases extrêmement dures figurant dans une résolution, adoptée à une écrasante majorité, sur le rapport annuel de la médiatrice de l’Union, Emily O’Reilly, qui, en septembre, avait, elle aussi, estimé que la nomination de Selmayr était illégale.

La volonté du Parlement d’avoir la peau de ce haut fonctionnaire proche de la CDU allemande est d’autant plus déterminée que la Commission Juncker a traité par le mépris tous ceux qui ont osé remettre en cause sa nomination. Rien d’étonnant puisque Selmayr est le président de l’ombre de l’exécutif européen, puisqu’il cumule les fonctions de secrétaire général, de chef de cabinet (de facto) et de sherpa (négociateur international) de Jean-Claude Juncker qui n’est plus que l’apparence titubante du pouvoir. Autrement dit, c’est lui qui fait la politique de cet organe, aucun commissaire n’osant l’affronter…

Un pouvoir démesuré, sans précédent dans l’histoire communautaire, qui se renforce au fil du temps. Ainsi, il n’a pas renoncé, comme je l’avais annoncé en février dernier, à démanteler le service juridique de la Commission qui joue le rôle du Conseil d’Etat français auprès du gouvernement. Ainsi, Selmayr ne pourra plus être contredit par personne...

Pourtant, les d’eurodéputés estimaient, pour justifier leur refus de censurer la Commission en avril dernier, que les jours de Selmayr étaient comptés du seul fait que ses manœuvres pour s’emparer des leviers du pouvoir avaient été exposées au grand jour (d’abord par Libération, puis par le Parlement et la médiatrice). Or, celui-ci a réussi, contre toutes attentes, à consolider son pouvoir au point qu’en interne beaucoup estiment qu’il a désormais de bonnes chances d’être maintenu à son poste. Non seulement il place ses femmes et ses hommes partout et écarte les gêneurs afin de verrouiller l’appareil, mais il a parfaitement compris que son sort se jouait à Berlin : il fait donc tout pour complaire à son pays d’origine et s’érige en défenseur des intérêts allemands.

Le hasard faisant bien les choses, l’un de ses amis, Peter Altmaier, actuel ministre de l’Economie et proche d’Angela Merkel, est donné comme prochain commissaire allemand, ce qui lui donnera un point d’appui non négligeable. Il parie aussi sur le fait que si l’Allemagne accepte que le futur président de la Commission soit un Français, elle exigera en rétribution que le poste de secrétaire général reste à un Allemand et donc à lui... Le Français le mieux placé pour remplacer Juncker étant Michel Barnier, qui lui doit son poste de négociateur du Brexit, n’aura aucun mal à assumer ce petit Yalta.

Bref, le Parlement européen se rend compte qu’il a fait une grave erreur en sous-estimant le pouvoir de nuisance de «l’homme le plus intelligent de la Commission», celui sans qui «rien ne fonctionnerait», comme il l’explique sans fausse modestie à ses visiteurs. Son appel à la démission apparaît bien vain devant la détermination de Selmayr de se maintenir coûte que coûte au pouvoir.

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Zone euro: Berlin douche les ambitions de Macron

Tue, 12/18/2018 - 18:27

Emmanuel Macron a dû se contenter du minimum, loin, très loin des ambitions affichées lors de son discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017 dans lequel il appelait à une « refondation » de l’Europe d’ici à 2024 autour d’une zone euro quasi-fédéral. La « réforme » actée vendredi, par le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, se contente, pour l’essentiel, de confirmer la création d’une simple « ligne budgétaire » au montant non déterminé qui sera réservée aux dix-neuf pays membres de la zone euro au sein du budget de l’Union. Un maigre bilan qui s’explique par les réticences allemandes face à toute intégration supplémentaire qui mettrait en péril le « bon argent allemand », pour reprendre l’expression de Peer Steinbrück, l’ancien ministre des finances social-démocrate.

Berlin s’oppose au fédéralisme

Dans son discours de la Sorbonne, le Président de la République a plaidé pour un budget de la zone euro, non pour voler au secours des déficits publics, mais pour investir et disposer de « moyens face aux chocs économiques », car « un État ne peut, seul, faire face à une crise lorsqu’il ne décide pas de sa politique monétaire ». Un budget qui serait abondé par la taxe européenne sur les géants du numérique, la taxe carbone voire une partie de l’impôt sur les sociétés et qui pourrait atteindre plusieurs points du PIB de la zone euro. Il a aussi demandé la création d’un poste de ministre des finances européen (fusion du poste de commissaire aux affaires économiques et monétaires et de celui de président de l’Eurogroupe) chargé de piloter le Pacte de stabilité et la coordination des politiques économiques ainsi que l’instauration d’un contrôle parlementaire de la zone euro.

Il s’est immédiatement heurté à Berlin qui n’a guère envie de se lancer dans une réforme de la zone euro qu’elle domine de la tête et des épaules : son fonctionnement intergouvernemental (c’est-à-dire géré par les États) lui confère, en effet, un droit de véto sur toutes les grandes décisions, un pouvoir qui lui serait retiré en cas de fédéralisation. L’accord de grande coalition de janvier 2018 entre les conservateurs et les socio-démocrates a semblé dégager la voie, puisqu’il reprenait en grande partie ses idées. Mais une fois installés au pouvoir, le SPD n’a pas montré plus d’allant que la CDU.. Il faudra quelques centaines d’heures de négociations pour enfin aboutir, lors du sommet franco-allemand de Meserberg (nord de Berlin) du 19 juin 2018 à un compromis : Berlin accepte certes la création d’un budget de la zone euro d’ici 2021, mais à l’intérieur du budget à 27, ce qui donnera à des pays non membres de la monnaie unique un droit de véto… Même si aucun chiffre n’est avancé, il ne devrait pas dépasser les 100 milliards sur 7 ans, loin des ambitions de Macron, et pourrait servir à financer « l’innovation et le capital humain » et « à financer de nouveaux investissements et venir en substitution des dépenses nationales ». Il pourrait aussi jouer le rôle de « stabilisation macroéconomique », soit par le biais d’une « suspension temporaire de la contribution au budget de la zone euro pour les pays touchés par un choc significatif », soit en alimentant un « fonds européen de stabilisation du chômage » qui ferait des prêts aux systèmes nationaux afin que l’État touché par une augmentation brutale des demandeurs d’emploi ne perde pas ses capacités de manœuvre. Rien, en revanche, sur le ministère des Finances de la zone euro ou le contrôle parlementaire…

Un budget de la zone euro réduit à la portion congrue

Les Vingt-sept ont finalement revu ce compromis à la baisse, à la grande satisfaction de Berlin : cet « instrument budgétaire », qui ne s’appellera pas « budget » pour satisfaire les Pays-Bas, servira seulement à financer les investissements dans l’innovation, la recherche et le capital humain. Le reste, c’est-à-dire sa fonction de stabilisation, est renvoyé à plus tard. Quant à son financement, il demeure mystérieux : la taxe sur les transactions financières (TTF) que Paris et Berlin voulaient lui affecter est toujours dans les limbes et l’Allemagne a réduit à la portion congrue l’impôt sur les géants du numérique (taxation de 3% du chiffre d’affaires des revenus tirés de la publicité et non plus de la vente de données) pour ne pas déplaire à Washington…

De même, le Mécanisme européen de stabilité (MES), doté d’une capacité de prêts de 750 milliards d’euros, continuera à être contrôlé par les États, et surtout les grands États, comme le voulait Berlin. En outre, il sera désormais chargé de préparer avec la Commission les programmes d’austérité que devront respecter les États de la zone euro qui ne pourraient plus se financer sur les marchés. La seule concession obtenue par Paris est que le MES puisse prêter de l’argent à un pays qui a un problème de liquidité (et non de solvabilité) sans exiger en retour une cure d’austérité : en clair, il s’agit des pays qui respectent le Pacte de stabilité, mais qui se heurtent à une méfiance des marchés, par exemple à la suite d’une crise bancaire.

Enfin, et là aussi c’est un progrès, les Dix-neuf ont accepté que le MES joue le rôle de « backstop » (filet de sécurité) ultime dans l’Union bancaire : à partir de 2024, le Conseil de résolution unique (CRU), qui dépend de la Banque centrale européenne, pourra y faire appel en cas de grave crise bancaire, dans la limite de 140 milliards d’euros si l’argent (70 milliards collectées auprès des banques) du Fond de résolution unique est insuffisant. Mais Berlin a bien veillé que l’activation du MES soit conditionné au feu vert de son Parlement (dans les 24 ou les 12 heures selon les cas)… Et elle continue à s’opposer à toute garantie européenne des dépôts.

Bref, comme François Hollande et Nicolas Sarkozy avant lui, Emmanuel Macron doit se contenter des miettes que l’Allemagne veut bien lui laisser…

N.B.: article paru dans Libération du 15 décembre

Photo: AP

Categories: Union européenne

Brexit: "You can check out any time you like, But you can never leave"

Fri, 12/14/2018 - 19:47

«Le Brexit est un véritable cauchemar», soupire une diplomate d’un pays d’Europe de l’Est. Le sommet européen des chefs d’Etat et de gouvernement- qui se réunit jeudi et vendredi à Bruxelles - va, une fois encore, être préempté, au détriment de sujets importants comme l’avenir de la zone euro ou les migrants, par une question que les Vingt-Sept espéraient avoir réglée fin novembre, avec l’accord de divorce conclu entre les négociateurs des deux rives de la Manche.

«Les Britanniques n’arrivent pas à savoir ce qu’ils veulent et on se demande s’ils vont arriver à quitter l’Union», s’interroge la diplomate. De fait, les interminables convulsions de la classe politique britannique depuis le référendum du 23 juin 2016 amènent à se poser la question. Certes, l’article 50 du traité sur l’UE, introduit par le traité de Lisbonne de 2007, prévoit bien une procédure de sortie, celle-là même qu’utilise Londres. Mais ce qui est juridiquement possible est-il économiquement et même politiquement réalisable ? Le Royaume-Uni est en train de répondre par la négative, au grand dépit de tous les europhobes. En effet, les liens juridiques, économiques, politiques entre un pays et l’Union sont si profonds que les rompre revient à se couper les deux jambes alors que le but affiché est de remporter un 100 mètres.

Après avoir affirmé en septembre 2016 qu’il n’était pas question pour le Royaume-Uni d’adopter un statut à la turque (union douanière), à la suisse (des accords bilatéraux permettant d’avoir accès au marché intérieur secteur par secteur, mais en appliquant les règles communautaires) ou à la norvégienne (accès total au marché intérieur en échange de l’application sans condition des lois européennes), la Première ministre, Theresa May, a dû effectuer une courbe rentrante en prenant conscience des dégâts qu’une rupture totale causerait à son économie, mais aussi au processus de paix nord-irlandais, qui reste fragile. D’où la cote mal taillée de l’accord de divorce qui ne satisfait personne : ni les «brexiters» les plus durs, ni ceux qui voudraient rester dans l’Union.

Aventure suicidaire

Et c’est bien le nœud du problème : en voulant faire trancher par référendum la question européenne qui pourrissait la vie du parti conservateur, David Cameron, l’ancien Premier ministre, a réussi à diviser profondément le peuple britannique en deux parts égales, les brexiters et les «remainers» (ceux qui veulent rester). Autrement dit, la vie politique britannique va, pour longtemps, être empoisonnée par un sujet que le référendum de 2016 était censé régler une fois pour toutes. Pourtant, le précédent de 1975 aurait dû servir d’avertissement. Deux ans après son adhésion, le Royaume-Uni a organisé une consultation pour la confirmer. Bien que le résultat ait été massivement positif, cela n’a rien réglé.

Le Brexit a cependant eu un effet positif. Il a fait prendre conscience à ses partenaires à quel point l’aventure était suicidaire. En effet, il revient à se priver des avantages du marché intérieur et à ne plus pouvoir peser sur le destin de l’Union sans rien en retirer en échange. Ce n’est pas un hasard si personne n’a été tenté de suivre ce précédent, y compris les pays les plus eurosceptiques : Hongrie, Pologne, Suède ou encore Danemark.

«Hotel California»

Si se séparer de l’UE est difficile, voire impossible, les six mois qui viennent le diront, on sait d’ores et déjà que quitter la zone euro relève du pur fantasme. La démonstration en a été apportée par la Grèce au premier semestre 2015. Alors que la gauche radicale de Syriza était déterminée à tenter l’aventure si ses partenaires ne cédaient pas à ses exigences, elle a dû y renoncer en dépit du référendum du 5 juillet 2015 rejetant le programme d’austérité négocié avec la zone euro en échange de son aide financière.

Le 14 juillet, Alexis Tsipras, le Premier ministre, a expliqué qu’une étude, commandée au printemps précédent sur les conséquences d’un Grexit, l’avait convaincu qu’il s’agissait d’une folie : non seulement la Grèce aurait dû quitter l’UE, une simple sortie de l’euro étant impossible, mais elle se serait retrouvée ipso facto en faillite puisqu’incapable de se financer sur les marchés. D’ailleurs, aucun pays n’a même envisagé d’abandonner l’euro durant la crise de 2010-2012 et, aujourd’hui, 64 % des Européens sont convaincus des bienfaits de la monnaie unique. «C’est pour cela qu’il faut soigneusement se préparer avant d’adhérer à l’Union et à l’euro, car il n’y a pas de retour possible», admet un diplomate européen. Bref, l’UE, c’est l’Hotel California des Eagles : «We are all just prisoners here, Of our own device […] You can check out any time you like, But you can never leave» («Nous sommes simplement tous prisonniers ici, De notre propre initiative […] Tu peux régler ta note quand tu veux, Mais tu ne pourras jamais partir»).

N.B.: article paru dans Libération du 13 décembre 2018

Categories: Union européenne

Brexit: la quadrature du cercle

Fri, 12/14/2018 - 19:44

Theresa May espère que ses bientôt ex-partenaires européens auront la bonté de lui lancer une bouée de sauvetage pour lui éviter la noyade. Après avoir dû piteusement reporter sine die le vote de la Chambre des communes sur l’accord de retrait de l’Union du Royaume-Uni, la Première ministre a entamé ce mardi une mini-tournée européenne afin d’essayer d’arracher d’ultimes concessions sur l’épineuse question de la frontière entre les deux Irlandes juste avant le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de jeudi et vendredi. Ce mardi, elle a rencontré le Premier ministre néerlandais Mark Rutte à La Haye, la chancelière Angela Merkel à Berlin, et, enfin, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, ainsi que Donald Tusk, le président du Conseil européen, à Bruxelles. Mercredi matin, elle aura un entretien téléphonique avec Emmanuel Macron après la tentative avortée de ce week-end, le chef de l’Etat ayant été occupé par la crise des gilets jaunes.

Quelles concessions peut faire l’Union à Theresa May ?

Le ton est pour l’instant très ferme : Juncker et Tusk ont martelé, mardi, qu’il n’était «pas envisageable» de renégocier le volumineux contrat de divorce (585 pages plus trois protocoles) conclu fin novembre après vingt mois de difficiles négociations. C’est «le seul accord possible», a confirmé la ministre déléguée française aux Affaires européennes, Nathalie Loiseau. «Il n’y aura certainement aucune promesse que nous allons rouvrir la question et renégocier», a surenchéri son collègue allemand, Michael Roth. «Tout dépend de ce qu’on appelle concession», euphémise-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat français, «car il n’y a rien sur le fond qui soit à la fois acceptable par les Vingt-sept et susceptible de faire changer d’avis les députés britanniques opposés à l’accord». En particulier, il est hors de question de prévoir dans la «déclaration politique» accompagnant le contrat de divorce que le «filet de sécurité» («backstop») sera limité dans le temps comme le demandent une partie des députés conservateurs : «par définition, il ne peut y avoir de trou dans un filet de sécurité», ironise-t-on à Paris.

Ce backstop sera activé à l’issue de la période de transition (2021 ou 2022) si jamais aucun accord sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union n’est trouvé afin de maintenir ouverte la frontière entre les deux Irlandes. Il prévoit que la Grande-Bretagne restera dans l’union douanière (et donc ne pourra pas conclure d’accord de libre-échange avec des pays tiers) et l’Irlande du Nord dans le marché intérieur des marchandises, et ce, sans limite de temps. «En revanche, s’il s’agit simplement de dire que l’on fera tout pour éviter l’activation du backstop et que si on l’active on fera tout pour en sortir le plus vite possible, on le fera. Mais est-ce que cela suffira à aider Madame May», s’interroge un proche d’Emmanuel Macron. «C’est vraiment aux Britanniques de trouver une solution interne, de savoir ce qu’ils veulent. Si on fait semblant de négocier pour finalement se retrouver avec un refus du Parlement britannique juste avant le 29 mars 2019 [date de sortie prévue, ndlr], ce sera encore pire et là on risque vraiment un «no deal»», poursuit cette même source.

Pourquoi la frontière nord-irlandaise bloque-t-elle le Brexit ?Cette frontière, longue de 499 kilomètres qui compte 275 points, est un lieu de passage crucial pour l’économie irlandaise qui exporte la majorité de ses produits vers l’Union via l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni. Dans l’autre sens, les deux tiers des exportations d’Irlande du Nord vont vers le sud de l’île. Toute installation de postes frontaliers, tout contrôle ou ajout de bureaucratie risquent de perturber la fluidité des flux des marchandises. Cette absence de frontière physique est le résultat du Good Friday Agreement (GFA, accord du Vendredi saint) du 10 avril 1998 qui a mis fin à trente ans d’une guerre civile larvée (3 500 morts). Son objectif principal est de minimiser l’importance de la frontière, perçue comme le symbole des désaccords entre les communautés unionistes (pour le maintien au sein du Royaume-Uni) et les républicains (pour une réunification avec le sud). Sa portée politique est donc immense puisqu’il symbolise la pacification de l’île. Le retour d’une frontière physique pourrait aboutir à un retour des violences dans une communauté où les tensions restent vives, un risque «réel» selon George Hamilton, le chef de la police irlandaise.

Que peut-il se passer d’ici au 29 mars 2019 ?

Le nombre de scénarios possibles est vertigineux. Si les députés britanniques, rassurés par les «concessions» des Vingt-sept, adoptent l’accord de retrait avant le 21 janvier, la route est claire pour une sortie de l’UE. En revanche, s’ils estiment les concessions insuffisantes et rejettent l’accord, May aura du mal à se maintenir au pouvoir. Elle pourrait alors démissionner après un vote des députés conservateurs qui la contraindrait à céder sa place à un autre député de son parti. Ou l’opposition, le Labour, pourrait lancer une motion de défiance. Si elle perdait ce vote, la porte serait alors ouverte à des élections générales anticipées. La Première ministre pourrait aussi interpréter le rejet de l’accord comme un refus du Brexit et retirer unilatéralement l’article 50. Un jugement de la Cour de justice européenne a confirmé lundi cette possibilité. Ou alors Theresa May ou un autre Premier ministre pourrait estimer que seul un nouveau référendum permettrait de sortir de l’impasse. Il faudrait alors résoudre le casse-tête de la ou les questions à poser : «rester ou sortir de l’UE ? Brexit avec l’accord conclu ou sans accord ?» Enfin, si l’accord est rejeté et qu’aucune solution alternative n’est trouvée, la solution par défaut est un «no deal», un épilogue extrêmement douloureux tant pour le Royaume-Uni que pour l’Union.

N.B.: article cosigné avec Sonia Delesalle-Stolper (à Londres)

Categories: Union européenne

L'extrême-droite surfe sur la vague des "gilets jaunes"

Tue, 12/11/2018 - 15:26

Voir Emmanuel Macron, le jeune chef de l’Etat français, assiégé dans son palais de l’Elysée par des émeutiers en jaune réjouit tout ce que la planète compte de démagogues et de régimes autoritaires, de Donald Trump, le président américain, à Recep Tayyip Erdogan, son homologue turc, en passant par la République islamiste d’Iran ou encore Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien et patron de la Ligue, parti d’extrême droite. Tous affichent leur soutien au mouvement des gilets jaunes et espèrent désormais ramasser la mise politique à quelques mois des élections européennes de mai 2019.

Samedi, à Bruxelles, où défilaient un petit millier de gilets jaunes locaux, Steve Bannon, l’ancienne «éminence noire» de Donald Trump, a retrouvé sa comparse Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national, et le Vlaams Belang, le parti fasciste flamand, pour dénoncer, lors d’un meeting, le «pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières» de l’ONU. Ce «pacte avec le diable» selon Marine Le Pen, préparerait le «grand remplacement» des blancs par les Africains et les Arabes, l’une des «infox» qui a connu un grand succès sur certains réseaux des gilets jaunes.

« Paris brûle »

Pour Bannon, qui rêve d’exporter la révolution conservatrice trumpienne sur le Vieux Continent, les «jaunes» sont l’équivalent de la classe moyenne blanche américaine qui a porté Trump au pouvoir : «Dans les petits villages, dans les zones rurales de France et dans les rues de Paris, les gilets jaunes, les «déplorables» de France, sont exactement les mêmes personnes qui ont élu Donald Trump […], le même type de personnes qui ont voté pour le Brexit. Ils veulent avoir le contrôle de leur pays, ils croient en l’Etat nation.» De fait, l’absence de diversité dans le mouvement des gilets jaunes n’a pas échappé à ce fin politique.

Marine Le Pen l’a parfaitement compris aussi : «A l’heure où dans mon pays se déroulent des évènements d’une gravité inquiétante, au moment même où les Français, guettés par la misère, des travailleurs et retraités pauvres se révoltent pour leur pouvoir d’achat et leur dignité, […] il est indécent d’envisager toute nouvelle immigration. […] Il est indécent de continuer à dilapider les aides sociales de nos pays dans des politiques insensées de distribution de notre argent à la terre entière, lorsque nos compatriotes n’ont plus les moyens de se soigner, de se déplacer, de se loger et parfois même pas les moyens de manger.» «Paris brûle, Londres est en crise. Le pacte mondial de Marrakech sur les migrations est mort avant sa signature», a martelé Steve Bannon.

Europe divisée

Même si ce pacte est juridiquement non contraignant et réaffirme le «droit souverain des Etats» à définir leur politique migratoire, qu’importe ! Ce texte, qui recense les principes et droits existants (défense des droits de l’Homme, des enfants) et formule 23 objectifs pour aider les pays à faire face aux migrations, offre le moyen rêvé de faire le lien entre angoisses identitaires, refus de l’immigration et peur du déclassement. Ce n’est pas un hasard si les pays européens dirigés par des populistes – ou les comptant dans leur majorité – ont décidé de ne pas le signer, offrant ainsi au monde le visage d’une Europe profondément divisée.

En Belgique, le gouvernement dirigé par le libéral francophone, Charles Michel, se retrouve même en lambeau après le départ, dans la nuit de samedi à dimanche, de la N-VA, le parti indépendantiste et de droite radicale flamande, qui a refusé d’être associée à ce Pacte. Certes, le parti de Bart De Wever, le premier parti de Flandre, continuera à soutenir le gouvernement Michel, mais uniquement sur les textes économiques, afin d’éviter d’anticiper les élections législatives de mai prochain. Une cure de «semi-opposition» qui lui permettra d’occuper l’espace dont comptait s’emparer le Vlaams Belang. L’affrontement entre nationalistes identitaires et europhiles a déjà commencé, il sera brutal et les premiers ont déjà une longueur d’avance.

N.B.: article paru dans Libération du 10 décembre

Photo: Photonews via Getty images

Categories: Union européenne

Transport routier: l'Union met fin au dumping social

Thu, 12/06/2018 - 09:20

Après le durcissement de la directive sur les travailleurs détachés, en juin 2017, Emmanuel Macron a remporté une seconde victoire lundi soir à Bruxelles que peu de monde croyait possible. La France a, en effet, obtenu que le transport routier international soit mieux encadré afin à la fois d’améliorer les conditions de travail des chauffeurs et de lutter contre la concurrence déloyale. « C’est une vraie victoire pour l’Europe sociale », se réjouie l’écologiste française Karima Delli, la présidente de la Commission transport du Parlement européen. Cette illustration de « l’Europe qui protège », pour reprendre le slogan du chef de l’État, tombe au meilleur moment, en plein conflit des « gilets jaunes ».

Pourtant, en juin 2017, le gouvernement français avait été rudement critiqué par l’opposition pour avoir accepté de disjoindre la question des routiers du règlement plus général du détachement. La raison était double : éviter de coaliser l’Espagne et le Portugal, très dépendants du transport routier, et les pays de l’Est grands fournisseurs de main-d’œuvre bon marché corvéable à merci. D’autre part, le transport est un secteur spécifique, puisque son essence est la mobilité, qui ne peut obéir aux mêmes règles que le détachement d’un maçon, par exemple : c’est d’ailleurs pourquoi la Commission européenne a déposé un « paquet mobilité » en mai 2017 traitant de la question.

Le calcul a été payant. Au terme de 18 mois de négociation et 15 heures de discussion de rang, la France a obtenu lundi que le transport routier soit couvert par la directive sur le détachement des travailleurs prévoyant une « rémunération égale » à celle des locaux pour les opérations de « cabotage ». Par exemple si un camion fait une livraison de Pologne en France et recharge et décharge dans l’Hexagone (3 opérations autorisées pendant 7 jours), le routier sera payer comme un Français. La seule exemption concerne les « opérations bilatérales consistant en un aller et retour d’un État membre à un autre », comme l’a précisé Elisabeth Borne, la ministre chargée des transports. Rien de choquant dans cette exemption, puisqu’il serait difficile de faire varier la rémunération du routier en fonction des pays traversés pour une simple livraison… De même, pour éviter une concurrence déloyale, les camions étrangers qui font du cabotage dans un pays devront le quitter pendant 5 jours avant d’y revenir.

Les droits sociaux des routiers sont aussi renforcés. Ainsi, l’interdiction de prendre son temps de repos dans la cabine de son camion, déjà décidé par la Cour de justice européenne, est confirmée : le patron devra leur payer un hôtel. De même, ils auront un droit au retour régulier, toutes les 3 à 4 semaines, dans leur pays d’origine. Enfin, s’ils effectuent de longs voyages, ils pourront prendre deux repos hebdomadaires réduits consécutifs, mais ils devront obligatoirement être suivis d’un repos normal pris au pays.

Surtout, les contrôles seront accrus, à la fois en renforçant la lutte contre les sociétés « boites aux lettres », qui se contentent de fournir de la main-d’œuvre à des compagnies étrangères, et en rendant obligatoires les « tachygraphes intelligents » dès 2022 pour les camions neufs et dès 2024 sur tous les autres camions (au lieu de 2034 proposé par la Commission).

Preuve que le sujet est particulièrement sensible : presque tous les pays d’Europe de l’Est ont voté contre ce texte (sauf la Slovaquie, la Tchéquie et la Slovénie), la Roumanie s’abstenant, alors que l’Europe de l’Ouest s’est prononcée en sa faveur à l’exception notable de Malte et de la Belgique… Une vraie différence avec la réforme de la directive sur le travail détaché, où les seules opposantes avaient été la Pologne, la Hongrie, la Lettonie et la Lituanie.

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L'Allemagne, ce pays où l'enlèvement international d'enfant est légal

Wed, 12/05/2018 - 10:21

Mieux vaut éviter d’avoir un enfant avec un(e) Allemand(e) si on n’est pas soi-même Allemand et/ou si l’on ne vit pas en Allemagne. Nulle germanophobie mal placée dans ce conseil, mais un simple constat : si la séparation tourne mal et que le parent allemand décide de repartir en Allemagne avec l’enfant (ou les enfants), la justice germanique, dont le bras armé est le tout puissant office d’aide sociale à l’enfance (Jugendamt), refusera à jamais qu’il quitte le sol allemand au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Or, Berlin viole ainsi le droit international (convention de La Haye de 1980 sur l’enlèvement international d’enfants et de 1993 sur l’autorité parentale) et le droit européen (règlement de 2003 en phase finale de révision et jurisprudence de la Cour de justice européenne).

Faute de statistique, on ne connait pas le nombre d’enfants ainsi enlevés à l’affection de l’un de leur parent depuis 1950, mais il se monte sans doute à plusieurs milliers voire dizaine de milliers. Cela fait une vingtaine d’années que les institutions communautaires, mais aussi la France, les unions franco-allemandes étant très nombreuses, essaient de traiter à l’amiable ces drames dont on ne soupçonne guère les ravages. En vain. Le Parlement européen, saisi régulièrement par des pétitions de parents non allemands victime d’un enlèvement international d’enfant, a décidé de hausser le ton contre l’Allemagne, puisque ce pays est le seul de l’Union à refuser d’appliquer le droit européen (l’Autriche, qui avait la même interprétation de l’intérêt de l’enfant, est rentrée dans le rang). Le 29 novembre, par 307 voix contre 211 et 112 abstentions, il a adopté une résolution ciblant uniquement Berlin, ce qui est sans précédent et montre l’agacement des eurodéputés.

La résolution décrit le système mis en place outre-Rhin pour refuser d’exécuter les décisions judiciaires européennes ordonnant le retour des enfants. Outre l’interprétation extensive, puisant sa source dans une loi du régime nazi, de l’intérêt de l’enfant qui est toujours de rester auprès de son parent allemand en Allemagne, même en cas de violence ou d’abus avéré contre le parent non allemand, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe estime que l’Allemagne n’a pas à exécuter une décision de justice européenne si l’enfant, même de moins de 3 ans, n’a pas été entendu par le juge… Surtout, le pouvoir du Jungendamt est proprement terrifiant : c’est lui qui recommande au juge la décision à prendre et peut décider de mesures temporaires (comme la tutelle) sans aucun appel possible. Il peut aussi s’opposer au droit de visite du parent non allemand, imposer sa présence lors des visites ou refuser que le parent non allemand parle dans sa langue maternelle à son enfant…

Cette volonté de placer l’Allemagne au-dessus de tout n’est pas exceptionnelle. Il est révélateur d’un comportement plus général de ce pays qui a le plus grand mal à respecter les normes qu’il souhaite que les autres appliquent. Au fond, c’est l’ancien ministre des Finances social-démocrate allemand, Hans Eichel, qui a vendu la mèche, en novembre 2003. Alors que ses collègues lui faisaient remarquer que Berlin avait violé le Pacte de stabilité et qu’il fallait donc qu’il accepte des sanctions, il a lâché sur les yeux sidérés de l’assemblée : « mais enfin, le Pacte n’a jamais été conçu pour s’appliquer à l’Allemagne » !

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