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Updated: 1 week 21 hours ago

Présidence de la Commission: « House of cards » à Bruxelles

Mon, 07/15/2019 - 23:08

Martin Selmayr est-il en train de planter la candidature de sa compatriote, Ursula von der Leyen, à la présidence de la Commission ? Dix jours après sa désignation surprise, le 2 juillet, par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union, et au vu des prestations de la ministre de la Défense allemande devant les groupes politiques du Parlement européen, on peut sérieusement se poser la question. Elle a tellement pataugé devant les eurodéputés que son élection, qui paraissait acquise mardi à Strasbourg, n’est plus assurée. Or, qui est chargé de piloter cette période délicate de transition entre deux commissions ? Le secrétaire général de l’exécutif européen qui n’est autre que Martin Selmayr, l’homme dont les eurodéputés ont réclamé à deux reprises la tête à la suite de sa nomination frauduleuse en février 2018. Les observateurs et plusieurs capitales européennes, dont Paris, voient dans les débuts chaotiques de leur championne la marque du «monstre» de la Commission, surnom donné à Selmayr.

Le problème d’Ursula von der Leyen est qu’elle a débarqué à Bruxelles sans connaissance des affaires communautaires et sans maîtriser la machine administrative de la Commission, et surtout les subtils équilibres du Parlement. Or il est difficile de devenir une experte en moins de quinze jours, d’autant que, dans le même temps, elle doit convaincre 751 eurodéputés de 28 pays, représentant plus d’une centaine de partis politiques nationaux, répartis entre sept grands groupes politiques de voter pour elle. Sans un appui déterminé des services de la Commission, c’est une tâche impossible. Or, elle ne l’a pas : l’homme qui les dirige, Martin Selmayr, défend d’abord ses intérêts et non ceux de son institution, à la différence des secrétaires généraux du passé.

Garder les rênes

Ainsi, c’est à lui que les conservateurs du PPE doivent leurs divisions lors du sommet qui a duré du 30 juin au 2 juillet. Le dimanche 30 juin, en amont du Conseil européen, la chancelière allemande, Angela Merkel, a demandé à ses homologues conservateurs de nommer la tête de liste des socialistes, le néerlandais Frans Timmermans, à la présidence de la Commission, étant donné que celle du PPE, l’Allemand Manfred Weber, ne réunissait pas une majorité parmi les Vingt-Huit et au Parlement européen. Selmayr a alors encouragé les pays de l’Est, mis devant le fait accompli, à exiger la présidence pour leur famille politique afin de préparer l’élection de «son» candidat, le Premier ministre croate conservateur, Andrej Plenkovic.

Pourquoi une telle manœuvre ? Car Timmermans le détestant cordialement, il savait que sa nomination signifiait la fin de son règne à Bruxelles. Tout comme celle d’un Allemand d’ailleurs, aucun pays n’étant prêt à accepter un président et un secrétaire général, le poste le plus important de la Commission, de la même nationalité. Enfin, un président d’un petit pays, c’était l’assurance pour Selmayr de rester aux commandes : il a construit sa carrière en pilotant durant dix ans une commissaire luxembourgeoise, Viviane Reding, puis un président luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, qu’il a littéralement inventé en l’imposant au PPE en 2014.

Le problème est que ses manœuvres ont été peu discrètes, tant au sein du PPE que du Conseil : «A chaque interruption de séance, Selmayr allait parler à Andrej Plenkovic comme un entraîneur parlant à son boxeur», raconte un ministre européen. Son comportement a tellement agacé les chefs que son départ «est dans le paquet», comme l’explique un responsable français : «Il est convenu que Von der Leyen devra s’en débarrasser et je peux vous dire que Selmayr était livide quand son nom a été prononcé par plusieurs chefs.» Et il ne peut pas compter sur le soutien d’Angela Merkel qui ne lui pardonne pas d’avoir divisé le PPE. Que le départ d’un eurocrate soit réclamé par les Etats, c’est une première.

Verdict mardi soir

Le secrétaire général joue désormais sur deux tableaux pour sauver sa peau : au pire, démontrer à Von der Leyen qu’il est absolument indispensable pour contrôler la Commission ou, au mieux, la faire tomber pour permettre un retour du Premier ministre croate dans la course. Le nom de Plenkovic est d’ailleurs réapparu sous la plume de quelques journalistes proches de lui après les prestations loupées de l’Allemande… Ses manœuvres ont commencé dès la nomination de l’équipe de transition. Au lieu de fournir des haut fonctionnaires de choc pour la préparer au mieux, le secrétaire général a désigné quatre seconds couteaux tout à sa dévotion, car ils lui doivent leur carrière, ce qui lui assure un contrôle total des opérations (1). Ursula von der Leyen a juste pu imposer deux de ses proches du ministère de la Défense, son directeur de cabinet Bjoern Seibert, qui ne connaît pas plus qu’elle la maison qu’elle doit diriger, et son porte-parole, l’ancien journaliste Jens Flosdorff.

Mais la ministre de la Défense n’est pas «la perdrix de l’année»,selon l’expression d’un diplomate. Après ses prestations peu enthousiasmantes devant les groupes politiques, qui ont refroidi ses plus fidèles soutiens, elle a compris qu’elle avait été mal préparée et que son attitude prudente dictée par Selmayr se retournait contre elle. Au point qu’aujourd’hui il n’est pas impossible qu’elle ne doive son éventuelle confirmation qu’aux voix des eurosceptiques et de l’extrême droite (il lui faut 376 voix minimum), ce qui serait tout aussi catastrophique qu’un échec. Ses rapports avec Selmayr se sont brutalement dégradés et Von der Leyen a enclenché l’opération survie appuyée par Berlin et Paris. Seul son discours-programme qu’elle prononcera mardi à 9 heures peut renverser la vapeur avant le vote prévu le même jour à 18 heures. Ces manœuvres dignes de House of Cards montrent que la reprise en main politique de la Commission sera la première mission du futur président.

(1) Sa composition est secrète, mais la voici : Helene Banner (Allemagne), Maria Luísa Cabral (Portugal), Jivka Petkova (Bulgarie), Pauline Rouch (France).

Categories: Union européenne

L’Elargissement sans fin

Sat, 07/06/2019 - 16:12

Ma chronique sur la proposition de la Commission de faire adhérer la Macédoine du nord et l’Albanie.

https://youtu.be/qOV01IJ8HOg

Categories: Union européenne

Le Parlement européen ouvre la voie à la confirmation d'Ursula von der Leyen

Fri, 07/05/2019 - 19:29

L’affaire a été vite expédiée : mercredi matin, en deux tours de scrutin (à bulletins secrets), le Parlement européen élu le 26 mai s’est donné pour nouveau président, l’apparenté socialiste italien et ancien journaliste David Sassoli (Parti démocrate) qui succède à un autre Italien, le conservateur Antonio Tajani, lui aussi ancien journaliste. Il restera en place jusqu’en janvier 2022, date à laquelle il devrait être remplacé par un conservateur du PPE, sans doute l’Allemand Manfred Weber, candidat malheureux à la présidence de la Commission.

Ni les conservateurs du PPE ni les centristes de « Renouveler l’Europe » (RE) n’ont présenté de candidat contre le socialiste. Politiquement, cela signifie que les trois principales familles politiques du Parlement acceptent implicitement le paquet de nominations présentées mardi soir par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement et en particulier les deux noms qui requièrent son vote conforme : Ursula von der Leyen (Allemagne, CDU) pour la présidence de la Commission et Josep Borrell (Espagne, PSOE) pour le ministère des Affaires étrangères européen. « Il n’y a eu aucun accord formel », confirme Stéphane Séjourné, patron de la délégation Renaissance, tout simplement par manque de temps. Les trois groupes ne se sont, en effet, toujours pas mis d’accord sur un programme commun minimum que la future Commission devra respecter, ce qui devrait être chose faite la semaine prochaine.

« Une fois que les socialistes ont annoncé le nom de leur candidat mardi soir, on l’a invité à se présenter mercredi à 8 heures devant le groupe RE », poursuit Stéphane Séjourné : « puis, le groupe a voté à l’unanimité le soutien à sa candidature, ce qui constitue une forme d’accord de notre part ». Le PPE, lui, n’a pas auditionné David Sassoli, se contentant de ne pas lui opposer de candidat.

Certes, il y a des mécontents, tant au sein du PPE que du groupe S&D (socialistes et démocrates), certains ne digérant pas que le système des Spitzenkandidaten - qui veut que la tête de la liste arrivée en tête obtienne la direction de l’exécutif européen- ait été enterré par les Vingt-huit, d’autres que leur tête de liste, Weber pour le PPE, le Néerlandais Frans Timmermans pour les socialistes, ne figure pas dans le paquet final. C’est du côté des eurodéputés allemands, tous groupes confondus, que cela tangue le plus et cela s’est vu dans le résultat du scrutin.

Ainsi, alors que le PPE (182 sièges), le S&D (154) et RE (108) ont un réservoir théorique de 444 voix sur 751, Sassoli n’en a recueilli que 325 au premier tour, loupant de 7 voix la majorité absolue. Soit une déperdition de 119 voix, ce qui est énorme. Au second tour, certains des récalcitrants sont rentrés dans le rang ce qui a permis l’élection de l’Italien avec 345 voix. Où se sont portées ces voix manquantes ? Sans doute, pour la droite, sur le candidat eurosceptique de l’ECR, le Tchèque Jan Zahradil qui a obtenu une seconde place avec 162 voix, alors que son groupe ne compte que 62 élus. Même si on ajoute les 73 sièges d’Identité et démocratie (réunissant notamment la Ligue italienne et le Rassemblement National), qui ne présentait pas de candidat, on n’arrive qu’à 135 voix. Autrement dit, 27 députés de droite ont voté pour Zahradil…

C’est à gauche que la déperdition a été la plus importante, la désignation de von der Leyen menaçant même de dégénérer en crise gouvernementale à Berlin. En effet, l’écologiste Ska Keller a obtenu 133 voix alors que son groupe ne compte que 74 députés, soit 59 de mieux… Ce qui signifie qu’un tiers du groupe socialiste ne soutient pas l’accord de Bruxelles. Parmi les récalcitrants, on peut sans doute compter les 16 Allemands, les 5 Français, les 3 Belges ou encore les 10 Britanniques.

Si le scénario se répète à l’identique, Ursula von der Leyen n’a pas donc trop de souci à se faire : elle dispose d’une majorité en sa faveur, majorité qu’elle va s’employer à consolider avant le 17 juillet, date du vote de confirmation par le Parlement. La ministre de la défense allemande s’est rendue dès mercredi après-midi à Strasbourg, où se déroule cette session constitutive, afin de rencontrer les groupes PPE et RE. Les blessures socialistes étant encore à vif, après l’élimination de leur tête de liste, Frans Timmermans, de la course à la présidence, elle a jugé plus prudent d’attendre quelques jours supplémentaires. Ces blessures expliquent aussi pourquoi les socialistes n’ont finalement pas désigné un député de l’Est pour concourir à la présidence comme le leur suggérait les chefs d’Etat et de gouvernement qui avaient été jusqu’à avancer le nom du Bulgare Serguei Stanishev, président du parti socialiste européen. En effet, la candidature de Timmermans, qui recueillait une majorité au Conseil européen, a été bloquée par les pays d’Europe de l’Est, notamment les quatre du groupe de Visegrad. C’est aussi pour cela que la candidature surprise de la Hongroise Klara Dobrev a été balayée en faveur de celle de l’Italien.

On imagine d’autant plus mal le Parlement rejeter la candidature de von der Leyen qu’il s’agit de la première femme jamais nommée à ce poste et qu’elle dispose de toutes les qualités pour occuper ce poste : dotée d’une expérience gouvernementale, parlant français et anglais, fédéraliste, de droite, mais sociale ce qui la rend compatible avec les centristes et les socialistes. Les combinazione politiciennes qui pourraient aboutir à un refus d’investiture affaiblirait davantage le Parlement que le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement. D’autant que les députés européens ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes si leurs têtes de listes n’ont pas été retenues, puisqu’ils leur ont enlevé toute légitimité en s’opposant, en 2018, aux listes transnationales proposée par Emmanuel Macron.

Au final, on peut noter que les postes de direction de l’Union sont entre les mains des sic membres fondateurs : une Allemande présidente de la Commission (pour la première fois depuis 1967) qui succède à un Luxembourgeois, un Belge, Charles Michel, président du Conseil européen (pour la seconde fois depuis 2009) qui succède à un Polonais, un Italien président du Parlement (avant un Allemand) qui succède à un Italien, une Française, Christine Lagarde à la Banque centrale européenne qui succède à un Italien. Et pour faire bonne mesure, un Espagnol (dont le pays a rejoint l’Union en 1986) ministre des Affaires étrangères qui succède à une Italienne.

Dessin: Vadot

Categories: Union européenne

"Top jobs": jeu, set et match pour Emmanuel Macron

Fri, 07/05/2019 - 09:41

Après plus d’un mois de compétition, les gagnants de «l’Euro top jobs contest» sont, dans l’ordre : présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, (Allemagne, CDU) ; vice-présidents de la Commission, Frans Timmermans (Pays-Bas, social-démocrate), Margrethe Vestager (Danemark, libérale) et Maros Sefcovic (Slovaquie, social-démocrate) ; ministre des Affaires étrangères, Josep Borrell (Espagne, socialiste) ; président du Conseil européen, Charles Michel (Belgique, libéral) ; présidente de la Banque centrale européenne : Christine Lagarde (France, LR). Enfin, la présidence du Parlement sera répartie entre les sociaux-démocrates (le patron du Parti socialiste européen, le Bulgare Sergueï Stanichev est candidat) et les conservateurs du PPE. Il aura fallu trois sommets de rang depuis les élections européennes du 26 mai pour en arriver là, le dernier ayant débuté dimanche soir pour s’achever mardi soir… Et rien n’est encore joué, puisque le Parlement européen devra confirmer le choix d’Ursula von der Leyen, ce qui n’est pas gagné. Une illustration de la complexité grandissante d’une Union à 28 de plus en plus éclatée idéologiquement et qui doit compter avec un Parlement soucieux de jouer son rôle démocratique.

Le casting final est remarquable à plusieurs égards : pour la première fois de l’histoire communautaire, la Commission et la Banque centrale européenne (BCE) seront dirigées par des femmes, cette dernière étant quasiment un club réservé aux hommes. Rien qu’en cela, c’est une vraie révolution. Mais pour atteindre la parité, il a fallu inclure la BCE dans le paquet final, alors qu’il n’en était pas question au départ. Il montre aussi un rééquilibrage en faveur des grands pays, surtout du couple franco-allemand, et confirme que l’Europe reste encore une affaire carolingienne : l’Est doit se contenter d’une vice-présidence de la Commission et d’une demi-présidence du Parlement (deux ans et demi). Enfin, l’UE sera (un peu) moins à droite : Ursula von der Leyen et Christine Lagarde sont de la droite sociale et «Macron-compatible» et les socialistes vont étroitement encadrer la présidente de la Commission.

Galon

Le président français, lui, peut rentrer heureux à Paris. Emmanuel Macron a mené une campagne victorieuse de bout en bout sans s’aliéner ses partenaires. Le système des Spitzenkandidaten (la tête de la liste arrivée en premier aux élections rafle la présidence de la Commission) dont il ne voulait plus, comme beaucoup de pays au demeurant, a été écarté : le Bavarois de la CSU Manfred Weber, tête de liste du PPE, longtemps soutenu par Angela Merkel, la chancelière allemande, peut espérer au mieux obtenir un demi-mandat au Parlement européen. Frans Timmermans, tête de liste socialiste, un temps pressenti à la présidence de la Commission car plus susceptible que Weber d’obtenir une majorité au Parlement, restera vice-président comme dans la Commission sortante et Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, gagne un galon supplémentaire. Et en proposant une Allemande, Emmanuel Macron a écarté le soupçon de germanophobie qui pesait sur lui…

Le système des têtes de liste n’est pas pour autant définitivement mort. Les partis européens ont reçu haut et clair le message envoyé par le président français : sans listes transnationales, pas de Spitzenkandidaten. Pour Macron, c’est seulement si les têtes de listes sont élues par l’ensemble des citoyens européens qu’ils auront la légitimité nécessaire pour s’imposer aux chefs d’Etat et de gouvernement. En attendant, hors de question de se soumettre aux desiderata des caciques des partis politiques européens. Cela étant, le PPE peut malgré tout être satisfait : il conserve la présidence de l’exécutif européen qu’il occupe depuis 1995 (sauf entre 1999 et 2004). C’est la reconnaissance que cette famille politique est arrivée en tête des européennes. En outre, la nomination de Christine Lagarde, ancienne ministre de Nicolas Sarkozy et actuelle directrice générale du Fonds monétaire international, peut être vue comme une autre victoire PPE.

Fibre sociale

Le sommet a failli tourner court lorsque le PPE a pris connaissance du deal concocté par Angela Merkel avec la complicité du social-démocrate Martin Schulz, ancien président du Parlement européen et candidat malheureux à la chancellerie : choisir la tête de liste socialiste pour sauver le système des Spitzenkandidaten. La découverte tardive de ce compromis, dimanche, accepté par Emmanuel Macron lors du G20 d’Osaka, a suscité la révolte des partenaires conservateurs de Merkel… D’où la proposition française de choisir la ministre de la Défense allemande, francophile et francophone et surtout Macron-compatible : fédéraliste, elle est favorable à une Europe de la défense et a montré une vraie fibre sociale lorsqu’elle a été ministre du Travail et de la Famille.

Les socialistes sont plutôt bien servis aussi, avec deux vice-présidences de la Commission, le poste de ministre des Affaires étrangères et une demi-présidence du Parlement européen. Les libéraux-centristes, eux, doivent se contenter de la présidence du Conseil européen, mais ils ont clairement marqué de leur empreinte ce casting.

Furieux

Reste à savoir s’il est acceptable par le Parlement européen. La réponse tombera dans la semaine du 15 juillet, les eurodéputés devant confirmer à ce moment le choix du Conseil européen, dans un vote à bulletin secret. Il est fort douteux qu’ils se lancent dans une guérilla avec les chefs d’Etat et de gouvernement, mais certains s’étranglent déjà : la CDU-CSU, composante principale du PPE, est furieuse que son poulain, Manfred Weber, ait été écarté sans ménagement. En outre, elle n’aime guère Ursula van der Leyen, qui n’a pas été une ministre de la Défense flamboyante.

Côté socialiste, on est excédé que Timmermans ait finalement été écarté : il a d’ailleurs fallu que le Conseil européen interrompe ses travaux durant une heure, le temps qu’Angela Merkel téléphone à ses partenaires sociaux-démocrates pour les calmer. Au final, le paquet de nominations a pu être adopté par consensus. Nul doute qu’il en ira de même au Parlement européen. Sinon, en cas de rejet, l’Union entrera en terre inconnue.

Categories: Union européenne

"Top jobs": et au bout de la nuit, l'échec

Tue, 07/02/2019 - 13:44

Les vingt-huit chefs d’État et de gouvernement de l’Union ont négocié toute la nuit de dimanche à lundi, en vain. Ils se sont séparés à midi sans parvenir à un accord sur le nom de celui qui devra succéder à Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne, alors qu’ils alignent déjà deux sommets de rang sur le sujet, les 28 mai et 20 juin. Ils se retrouveront demain matin à Bruxelles pour essayer d’accoucher d’un compromis avant l’élection du nouveau président du Parlement qui doit avoir lieu mercredi à Strasbourg. « Un échec qui donne une très mauvaise image de l’Europe » s’est agacé Emmanuel Macron, le chef de l’État français.

Ce n’est pas la première fois que les Européens doivent s’y reprendre pour désigner les patrons des différentes institutions : cela a notamment été le cas en 1995, en 2004 et en 2014. Et plus le nombre de pays et de postes augmente, plus l’équation se complique. Pourtant, en marge du G20 d’Osaka de la fin de semaine dernière, Angela Merkel et Emmanuel Macron, qui s’affrontaient jusque-là, sont parvenus à s’entendre, ce qui levait une énorme hypothèque sur l’issue du sommet de dimanche. La chancelière allemande, à la suite d’une rencontre mercredi dernier à Berlin avec son compatriote Manfred Weber, le candidat des conservateurs du PPE, Annegret Kramp-Karenbauer, la patronne de la CDU et le Français Joseph Daul, président du PPE, a suggéré, à la grande surprise de son homologue français, de nommer le Néerlandais Frans Timmermans, actuel vice-président de la Commission chargé de l’État de droit et surtout tête de liste des socialistes européens, président de l’exécutif européen.

Manoeuvre brillante

Autrement dit, elle renonçait à revendiquer ce poste pour le PPE qui considérait pourtant qu’il lui revenait de droit puisqu’il a obtenu une majorité relative lors des élections européennes du 26 mai. Mais il est vrai que, faute d’une majorité qualifiée au sein du Conseil européen (55 % des États représentants 65% de la population) et d’une majorité absolue au Parlement, les groupes socialiste, centriste de Renouveler l’Europe et Vert refusant de voter en sa faveur, la candidature du Bavarois Manfred Weber, président du groupe politique du PPE, n’avait plus aucune chance d’aboutir.

La France, en particulier, a fait valoir depuis longtemps que l’homme n’avait pas la carrure suffisante pour occuper un tel poste, puisqu’il n’a jamais exercé la moindre fonction ministérielle et qu’il ne parle pas français. En outre, Paris, comme d’autres capitales, juge que les Allemands sont surreprésentés au sein des institutions communautaires et qu’il n’est pas nécessaire d’accroitre leur influence. Enfin, nommer un PPE, marqué très à droite qui plus est, Weber étant membre de la CSU, serait ne pas « tenir compte » du résultat des élections, comme l’exigent les traités : certes, les conservateurs sont arrivés en tête, mais ils perdent 36 sièges par rapport à 2014 et ils ne sont victorieux que dans 14 pays sur 28 et dans un seul grand Etat, l’Allemagne. Partout ailleurs, on a assisté à une percée des libéraux, des centristes et des verts, ce qui a rendu numériquement impossible la reconduction de la coalition PPE-socialiste au sein du Parlement qui, depuis 1984, permettait de se répartir les postes…

En se ralliant à Timmermans, Merkel a effectué une manœuvre plutôt brillante afin de sauver le système des têtes de liste (« Spitzenkandidaten »), quitte à abandonner temporairement le contrôle que le PPE exerce depuis 1995 sur la Commission (à l’exception de la période 1999-2004). Ce faisant, elle reconnait aussi qu’il ne s’agit pas d’un scrutin majoritaire à un tour à la britannique où le parti arrivé en tête rafle tout, mais d’un scrutin proportionnel nécessitant de trouver une majorité. Comme le fait remarquer un diplomate, Juncker a perdu le pouvoir au Luxembourg en 2013 alors qu’il avait gagné les élections, un cas de figure fréquent dans les démocraties à scrutin proportionnel. Or si Weber n’a aucune chance de parvenir à réunir une majorité au Conseil et au Parlement, ce n’est pas le cas du socialiste néerlandais.

Le PPE implose

Pour Emmanuel Macron, ce compromis est acceptable, puisque Timmermans a non seulement une expérience ministérielle, il parle français, mais surtout il est proche du centre. En outre, tous les partis ont compris la leçon qu’il leur a infligée depuis un mois : le système des Spitzenkandidaten ne survivra que si des listes transnationales voient le jour. Elles permettront, en effet, aux têtes de liste de se faire élire par l’ensemble des citoyens européens et non pas seulement dans leur pays d’origine, ce qui donnera une légitimité à l’ensemble et obligera les chefs d’État et de gouvernement à se plier au résultat des élections. Ces listes permettront aussi de limiter la mainmise du PPE, l’équilibre actuel des forces politiques dans l’Union garantissant à sa tête de liste (désignée par quelques apparatchiks du parti) d’être nommée automatiquement président de la Commission. Autrement dit, si Macron a eu la tête de Weber, Merkel a maintenu sous respiration artificielle les Spitzenkandidaten. Il a aussi été convenu à Osaka que les centristes hériteraient de la présidence du Conseil européen (pour le libéral belge Charles Michel), le PPE devant se contenter du poste de ministre des Affaires étrangères de l’Union et de la présidence du Parlement pour Manfred Weber (pour deux ans et demi, le mandat étant divisé en deux, mais personne n’a exclu qu’il puisse être reconduit).

Mais les autres chefs de gouvernement du PPE ne l’ont pas entendu de cette oreille. Lors d’une rencontre précédent le début du sommet, dimanche après-midi, Merkel a présenté sa proposition de compromis, puis s’est éclipsé sans chercher à convaincre, sans doute trop habitué à ce que tout le monde lui obéisse au doigt et à l’œil. Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, pourtant « suspendu » du PPE, a sonné la charge : pas question de renoncer à la présidence de la Commission et de se contenter du poste de ministre des Affaires étrangères et d’une demi-présidence du Parlement. Trop humiliant alors qu’actuellement les conservateurs contrôlent le Conseil européen (Donald Tusk), la Commission (Jean-Claude Juncker) et le Parlement (Antonio Tajani). Sans compter que les pays d’Europe de l’Est, en particulier le groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Tchéquie et Slovaquie), mais aussi la Roumanie (pourtant sociale-démocrate), s’opposent par principe à la nomination du vice-président sortant de la Commission qui a osé batailler contre les atteintes qu’ils portaient à l’État de droit…

À partir de là, tout a dérapé. Car le PPE a omis un point : certes il n’y pas de majorité sans lui, mais il ne forme pas non plus une majorité à lui seul ou même avec une seule autre force politique. C’est le cas au Parlement, où le soutien de ses fidèles alliés socialistes ne suffit pas à former une majorité, mais aussi au Conseil européen : désormais, il y a un équilibre quasi parfait entre le PPE (9 sièges), les sociaux-démocrates (8 sièges, qui ont fait un retour en force dans la péninsule ibérique et dans les pays nordiques), et les libéraux-centristes (7 sièges, les autres n’appartenant à aucun groupe politique). Et ces lignes sont brouillées selon que l’on soit de l’Est ou de l’Ouest ou plus ou moins eurosceptique. « On a en réalité assisté à un morcellement du PPE, les socialistes (à l’exception de la Slovaquie et de la Roumanie) et les libéraux-centristes étant demeurés relativement unis », raconte un négociateur. « On a vu une nouvelle génération du PPE, comme la Lettonie, la Croatie et l’Irlande, vouloir faire la peau de l’ancêtre Merkel en lui refusant son compromis », poursuit-il : « en fait, le PPE n’étant plus hégémonique, il n’est plus un lieu de pouvoir et donc n’intéresse plus autant les dirigeants qu’auparavant, ce qui pousse les dirigeants à défendre une vision très nationale ».

Tusk à la ramasse

À cela s’est ajoutée la gestion catastrophique du Conseil par Donald Tusk, son président, qui a mal préparé son sommet en ne renonçant pas à faire le déplacement d’Osaka. Il a enchainé les bilatérales et les multilatérales depuis 18h dimanche soir, en limitant les sessions plénières. « Au bout d’un moment, il faut passer au vote quand on voit qu’il n’y a pas de minorité de blocage », s’énerve un diplomate européen. « On a été bloqué par quatre ou cinq PPE plus l’Italie qui ne sait pas très bien ce qu’elle veut ». « On a à un moment été très proche d’un accord », a reconnu Emmanuel Macron à l’issue du sommet.

La dernière tentative de compromis soumise aux Vingt-huit par Tusk, en milieu de matinée, proposait Timmermans à la Commission, la conservatrice bulgare et proche de Viktor Orban, Kristalina Gorgieva, ancienne commissaire et actuel numéro 2 de la Banque Mondiale, au Conseil européen, la libérale danoise Margrethe Vestager ou le libéral belge Charles Michel au poste de ministre des Affaires étrangères ou de 1ervice-président. Et Manfred Weber et le libéral belge Guy Verhofstadt se partageraient la présidence du Parlement européen. D’autres noms sont toujours dans la boucle et pourraient surgir demain : la ministre de la Défense allemande Ursula von der Leyen (qui pourrait être nommée ministre des Affaires étrangères), le slovaque Maros Sefcovic, commissaire européen depuis 2009 (1ervice-président), ou même le Français Michel Barnier, actuel négociateur du Brexit (président de la Commission). « Cela peut aller très vite mardi matin si Tusk place chacun devant ses responsabilités », estime un diplomate français.

Reste que le paquet qui se dessine confirme la marginalisation des grands pays qui n’obtiendrait aucun poste clef, même si l’Allemagne pourra se consoler avec une demi-présidence du Parlement, voire le poste de ministre des Affaires étrangères. La France, elle, ne désespère pas d’obtenir la présidence de la Banque centrale européenne, le successeur de Mario Draghi devant être nommé à la rentrée au plus tard. La domination de l’Union par les petits États est désormais assumée et les régimes illibéraux d’Europe de l’Est montrent toute leur capacité de nuisance dans les équilibres européens.

Categories: Union européenne

Martin Selmayr au service du Premier ministre croate, Andrej Plenković

Tue, 07/02/2019 - 11:57

Lors du Conseil européen consacré à la nomination du successeur de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, qui s’est achevé lundi midi, plusieurs chefs d’État et de gouvernement ont expressément demandé le départ de Martin Selmayr, le tout puissant secrétaire général de l’exécutif européen. C’est une première, car les chefs n’ont pas l’habitude d’interférer aussi ouvertement dans les affaires internes des institutions. Mais cet Allemand, proche de la CDU-CSU, en agissant comme s’il était le véritable patron de la Commission et en multipliant les coups tordus, a fini par hérisser beaucoup de monde.

Promouvoir la candidature de Plenković

Sa tentative de promouvoir la candidature du Premier ministre croate, Andrej Plenković, 49 ans, patron du HDZ, le parti conservateur nationaliste fondé par le sulfureux Franjo Tudman, et à ce titre membre du PPE, n’a guère été goutée par les chefs qui n’aiment pas qu’on interfère dans leurs affaires. Le nom du Croate est, en effet, brutalement apparu dans quelques journaux lors du sommet du 20 juin comme candidat de compromis : « on sait que cela vient de Selmayr. Comme avec Juncker, il veut chevaucher quelqu’un de faible qui le maintiendra en poste pour gérer la maison », s’agace un diplomate européen. A chaque interruption de séance, on voit Selmayr se précipiter vers le Premier ministre croate et le chauffer comme un entraineur de boxe. Plenkovic a même lâché devant ses partenaires sidérés : « Merkel est le passé, j’ai l’avenir à construire »... Selmay prépare son coup depuis quelques mois en soutenant en sous-main la Croatie dans son différend frontalier avec la Slovénie voisine.

L’affaire remonte à 1991, lors de l’éclatement de la Yougoslavie. Les deux nouveaux pays ne sont pas d’accord sur le tracé de la frontière maritime de la baie de Piran qui est le seul endroit permettant à la Slovénie d’avoir accès aux eaux internationales, une question qui ne se pose pas pour la Croatie qui dispose d’une longue côte maritime. Devant la mauvaise volonté de Zagreb, Ljubljana, membre de l’Union européenne depuis le 1erjanvier 2004, utilise son droit de véto pour freiner le processus d’adhésion de son voisin. Finalement, la Croatie accepte en 2009 une procédure d’arbitrage, ce qui lui permettra de rejoindre l’Union en janvier 2013.

Finalement, à l’issue d’un long processus, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye accorde le 29 juin 2017 à la Slovénie la souveraineté sur la majeure partie de la baie et donc un accès à l’Adriatique, et ce, à compter du 29 décembre 2017. Mais Andrej Plenković , au pouvoir depuis octobre 2016, déclare immédiatement qu’il tient ce jugement pur nul et non avenu. La Commission appelle immédiatement, le 4 juillet 2017, les deux partis à se conformer au jugement. Le service juridique de l’exécutif européen estime même, lors de cette réunion du collège des commissaires, que l’Union doit faire respecter le droit international public dont fait partie cet arbitrage. Ce qui est logique, car cela va permettre d’appliquer les règles de la politique commune de la pêche aux deux pays (respect des quotas notamment). Mais rien n’y fait : Plenković continue de violer l’arbitrage en faisant escorter ses bateaux de pêche par sa police dans les eaux slovènes.

La Commission se range aux côtés de la Croatie

La Slovénie, furieuse, on la comprend, demande à la Commission d’agir et de poursuivre la Croatie devant la Cour de justice de l’Union européenne. Or, celle-ci ne bouge pas. C’est Martin Selmayr, secrétaire général de la Commission depuis mars 2018, qui en donne l’ordre : or, aucune procédure ne peut être ouverte sans sa bénédiction. La Slovénie décide donc d’agir seule en juin 2018 : elle saisit la Cour de justice européenne pour violation des règles de la politique commune de la pêche par la Croatie. La Commission refusant de donner son avis, toujours sur ordre de Selmayr, la Cour lui adresse un questionnaire, une démarche rarissime puisque l’exécutif est normalement toujours présent dès qu’il y a un litige entre États membres, surtout de cette importance.

Et la semaine dernière, en plein processus de négociation pour la succession de Juncker, Selmayr donne à nouveau l’ordre, sans en référer au collège des commissaires, de soutenir la Croatie, c’est-à-dire de remettre en cause le jugement arbitral pourtant approuvé par la Commission en juillet 2018… Et par l’un de ces hasards de l’histoire, le nom de Plenković apparait au même moment dans la presse comme candidat possible de compromis pour la présidence de la Commission. Une candidature baroque : peut-on nommer à la tête d’une institution gardienne des traités un homme qui ne respecte pas le droit international ? Et peut-on laisser au secrétariat général un autre homme qui ne s’embarrasse pas lui non plus du droit dès lors qu’il s’agit de rendre service à ses amis comme vient de le rappeler le 18 juin la Cour de justice ?

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Présidence de la Commission: "baston franco-allemande"

Fri, 06/28/2019 - 09:43

« L’axe franco-allemand n’existe plus. Emmanuel Macron est un révisionniste qui fait tout ce qu’il peut pour détruire la démocratie européenne ». Pis, le chef de l’État français n’est qu’un « germanophobe », bref un raciste. Cette charge toute en subtilité et en élégance, n’est pas signée d’un démagogue exalté, mais de Daniel Caspary, le patron de la délégation au Parlement européen de la CDU, le parti d’Angela Merkel. Ces insultes sont motivées par l’opposition de la France au système des « Spitzenkandidaten » et donc à la nomination du Bavarois de la CSU Manfred Weber, tête de liste du PPE (parti populaire européen, conservateur) à la présidence de la Commission.

Un dérapage isolé ? Que nenni : les autres partis allemands sont au diapason : « ce discours nationaliste transcende les clivages idéologiques et c’est très inquiétant », estime Franziska Brantner, député Grünen au Bundestag. Ainsi, le Vert allemand, Reinhard Bütikofer, a, dans un tweet, traité (sans le citer nommément) le Roumain Dacian Ciolos, président du groupe « Renouveler l’Europe » (RE), de « vassal » de Macron, un mot qui renvoie à la diplomatie européenne d’avant la Première Guerre mondiale, celle de l’équilibre des puissances. La presse germanique n’est pas en reste et alimente à coup d’éditoriaux ce discours contre la « Grande nation », comme l’on dit là-bas en référence à l’Empire napoléonien...

De fait, l’Allemagne semble avoir fait de la nomination d’un Allemand à la tête de l’exécutif communautaire une question d’honneur national, en totale contradiction avec l’esprit européen qui veut que, certes, l’on respecte les équilibres nationaux, mais que la question du drapeau ne soit pas la raison déterminante d’une nomination. « À quel jeu joue les Allemands ? », s’interroge le franco-allemand Daniel Cohn-Bendit, proche d’Emmanuel Macron et ancien président du groupe Vert du Parlement européen.

« Ce nationalisme allemand est nouveau », constate-t-il. Pour lui, c’est Angela Merkel qui en est responsable : « très affaiblie sur le plan intérieur, elle veut montrer qu’elle peut encore s’imposer sur le plan européen. Elle flatte donc le nationalisme allemand qui la sert ». Mais « cette baston franco-allemande complètement dingue », comme la qualifie Yannick Jadot, eurodéputé vert français, est aussi un signal que les partenaires de Berlin « ont ras-le-bol de l’omniprésence des Allemands dans les institutions ». En choisissant un candidat sous-dimensionné pour le poste de président de la Commission, Weber n’ayant été que chef du groupe politique du PPE au Parlement, la CDU-CSU de Merkel a permis à un ressentiment longtemps contenu de s’exprimer. « Les Allemands sont victimes d’un retournement des Européens qui en ont assez de cette Europe allemande », poursuit Jadot. Une analyse partagée par Stéphane Séjourné, le patron de la délégation de LREM au sein du groupe RE : « on sent qu’ils commencent à être très inquiets de la manière dont on les perçoit ».

Les attaques contre le chef de l’État français sont d’autant plus mal perçues qu’il n’est pas opposé à la nomination d’un Allemand à la tête de la Commission, en dépit de leur omniprésence à Bruxelles : pour lui, il l’a répété sur tous les tons, si le PPE présentait Peter Altmaier, le ministre de l’Économie, ou Ursula von der Leyen, la ministre de la Défense, il ne verrait aucun inconvénient à soutenir leur candidature. De même, son opposition au système des Spitzenkandidaten n’est pas une attaque contre la démocratie. En effet, comme toutes nos sources le confirment, il n’y a tout simplement aucune majorité au sein du Parlement en faveur de Weber. « Pour moi, il est mort », tranche Yannick Jadot.

La CDU cherche en réalité à imposer l’idée qu’il ne s’agit pas d’un scrutin proportionnel, mais d’un scrutin majoritaire à un tour à la britannique ou le parti arrivé en tête, même minoritaire, emporte tout. Ainsi, Weber a enjoint, le 23 juin, aux autres groupes politiques, de le soutenir : « j’espère que les eurodéputés socialistes et libéraux défendront la démocratie parlementaire européenne. S’ils décidaient de faire passer les intérêts de certaines capitales avant ceux d’un nouveau Parlement européen fort , ce serait tragique », a-t-il tweeté, au lendemain d’un sommet européen qui a constaté qu’il n’y avait aucune majorité en sa faveur parmi les chefs d’État et de gouvernement… « Que les États demandent donc au Parlement de réunir une majorité sur son nom et on verra », ironise Cohn-Bendit.

« Le système des Spitzenkandidaten, c’est juste un outil pour se répartir les postes et non un outil de démocratie », rappelle Jadot pour qui seules des listes transnationales qui permettraient aux têtes de liste d’être élus par l’ensemble des citoyens européens seraient véritablement démocratiques. Or, la CDU-CSU et donc le PPE n’en ont pas voulu en 2018. Aujourd’hui, Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), la cheffe de la CDU et successeure désignée d’Angela Merkel, en est à promettre la création de ces listes à condition que Weber soit nommé président de la Commission. Un chantage pour le moins maladroit qui en dit long sur la crispation allemande. Cela laissera des traces durables chez les partenaires de Berlin.

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La Cour de justice européenne rappelle à la Commission qu'elle est gardienne des Traités et non des intérêts allemands

Sun, 06/23/2019 - 19:38

L’Allemagne doit remballer sa vignette frappant les seuls voitures et camions étrangers (jusqu’à 130 euros par an). Dans un arrêt de principe, rendu le 18 juin en « grande chambre », sa formation la plus solennelle, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) considère que ce péage constitue une claire violation d’un principe de base de l’Union, la non-discrimination fondée sur la nationalité. Dans cette affaire, ce n’est pas seulement Berlin qui reçoit une leçon, mais aussi la Commission Juncker qui avait décidé de ne pas poursuivre l’Allemagne alors qu’elle est censée être l’inflexible « gardienne des traités ».

Cette vignette discriminatoire, dont le principe a été voté par le Parlement allemand en mai 2015, est un cadeau d’Angela Merkel à la CSU, la branche bavaroise de la CDU, qui en avait fait un argument électoral pour le moins choquant, la pollution ou l’usure des infrastructures n’étant pas seulement le fait des non-Allemands… Face aux hurlements de la France, des Pays-Bas ou encore de l’Autriche, la Commission a envoyé le 18 juin 2015 une lettre au gouvernement allemand exigeant des explications. Peu convaincue par ses réponses, elle a saisi en septembre 2016 la CJUE pour obtenir l’annulation de cette mesure. Mais, à la suite de quelques modifications de détails de la loi allemande, et alors que le fond discriminatoire demeurait, la Commission décide, le 17 mai 2017, de classer cette affaire, laissant pantois tous les connaisseurs du droit européen.

Furieuse de voir ses transporteurs et automobilistes ainsi rançonnés, l’Autriche décide de saisir la Cour de Luxembourg. Mais comme l’article 259 du traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE) lui en fait l’obligation, elle saisit d’abord la Commission. Une réunion de conciliation entre Vienne et Berlin est organisée à Bruxelles le 31 août et… rien. Alors qu’elle a l’obligation de rendre un « avis motivé » dans les 3 mois, la Commission fait la morte. Qu’importe, « l’absence d’avis ne fait pas obstacle à la saisine de la Cour », comme le précise le traité. Et il ne s’agit pas d’un simple retard administratif : elle s’est abstenue d’intervenir devant la CJUE, alors qu’il s’agit d’une question de principe. C’et sans doute ce qui explique que les juges européens aient décidé de se réunir en « grande chambre » : leur arrêt de principe est une vraie piqûre de rappel destinée à une Commission (et à son service juridique) qui semble avoir oublié ses fondamentaux.

Les juges européens notent que, certes, tous les véhicules sont censés payer cette « redevance d’utilisation des infrastructures », mais ceux qui sont immatriculés en Allemagne bénéficient d’une exonération d’un montant équivalent sur la taxe sur les véhicules automobiles »… En clair, « la charge économique de cette redevance ne repose, de facto, que sur les propriétaires et les conducteurs des véhicules immatriculés dans un État membre autre que l’Allemagne », ce qui constitue « une discrimination indirecte en raison de la nationalité et une violation des principes de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services » susceptibles de rendre moins compétitifs, via l’augmentation des prix du transport, les produits et les services provenant d’un autre pays de l’Union.

Ce n’est pas la première fois que la Commission se fait taper sur les doigts pour sa trop grande compréhension des intérêts allemands. Ainsi, en plein « dieselgate », elle a adopté en avril 2016 un règlement dit « d’exécution », c’est-à-dire ne nécessitant pas l’approbation du Parlement européen et des États, soi-disant pour mettre en œuvre la nouvelle procédure d’homologation des véhicules en condition de conduite réelle. Et en toute simplicité, il autorise les diesels à dépasser le niveau maximal autorisé pour les émissions d’oxydes d’azote de 2,1 fois le seuil réglementaire de 8O mg/km en vigueur depuis le 1er septembre 2014, renvoyant sa pleine application à 2023. Le but ? Blanchir les constructeurs automobiles allemands. Furieuses, les villes de Paris, Bruxelles et Madrid ont demandé aux juges européens de l’annuler ce que le Tribunal de l’UE a fait le 13 décembre 2018 en jugeant que la Commission n’avait aucune compétence pour modifier seule un texte législatif…

Dans ces deux cas, c’est l’Allemand Martin Selmayr, alors chef de cabinet - de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission - devenu en sus secrétaire général de la Commission en mars 2018 - qui était à la manœuvre… Est-ce un hasard si c’est le même Selmayr qui a poussé l’exécutif européen à se lancer, en dépit de l’avis négatif de la France, dans la négociation d’un accord commercial avec les États-Unis afin d’éviter que les automobiles produites outre-Rhin soient surtaxées ? Tout comme il pousse à une conclusion précipitée, d’ici à la fin de la semaine, de l’accord commercial avec le Mercosur qui sacrifie les intérêts agricoles français sur l’autel de l’industrie automobile allemande… Bref, la Commission Juncker n’est plus la gardienne des traités européens, mais des seuls intérêts allemands.

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Emmanuel Macron enterre les Spitzenkandidaten. RIP

Sat, 06/22/2019 - 19:27

C’est une belle victoire pour Emmanuel Macron et une défaite en rase campagne pour Angela Merkel. Les Vingt-huit dirigeants européens, réunis hier soir à Bruxelles, ont acté le décès du système des « Spitzenkandidaten » (tête de liste) que le Président français combattait depuis deux ans, alors que la Chancelière allemande le défendait bec et ongles. Exit donc l’Allemand Manfred Weber de la CSU bavaroise, tête de liste du PPE (conservateurs), le Néerlandais Frans Timmermans, tête de liste socialiste, et la Danoise Margrethe Vestager, tête de liste libérale : aucun d’eux ne succèdera à Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne. « Il n’y a eu de majorité sur aucun candidat. Nous nous retrouverons le 30 juin », à 18h, a constaté vers 2 heures du matin, vendredi, Donald Tusk, président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement. « Je constate avec un certain plaisir, satisfaction, oui bonheur, qu’il n’est pas si facile de me remplacer » a ironisé Juncker….

Le Canada Dry de la démocratie

Pour Macron, les Spitzenkandidaten sont à la démocratie ce que le Canada Dry est à l’alcool : une simple apparence, puisque les têtes de liste sont désignées par les seuls partis européens et ne sont pas élues par l’ensemble des citoyens européens, mais seulement par ceux du pays dans lequel elles se présentent. Surtout, l’automaticité imposée par le Parlement européen en 2014 revient en fait à abandonner la présidence de la Commission au PPE pour longtemps, la droite étant assurée de conserver la majorité relative qui est la sienne dans l’Union depuis vingt ans…

Le chef de l’État français a donc proposé, en 2017, de corriger ce système qui donne trop de pouvoirs aux apparatchiks des partis européens, et surtout aux partis nationaux qui les contrôlent (la CDU-CSU allemande alliée au PP espagnol dans le cas du PPE), en créant une liste transnationale pour laquelle l’ensemble des citoyens européens voteraient (chacun disposerait donc deux voix, une pour une liste nationale, l’autre pour la liste transnationale). Dans ce cas la personnalité arrivée en tête aurait la légitimité démocratique pour prétendre au poste de président de la Commission. Mais le Parlement européen a rejeté cette proposition en 2018 à l’instigation de la CDU allemande qui n’avait aucune envie de perdre la main sur le processus de désignation de président de la Commission et de s’en remettre à la volonté populaire. Dès lors, pour Emmanuel Macron, il fallait revenir à la lettre des traités qui donne un pouvoir de proposition au Conseil européen, le Parlement ratifiant ou non ce choix.

Les socialistes espagnols intransigeants

Le choix de Manfred Weber par le PPE et le résultat des élections européennes ont servi les desseins du Président français. En effet, Weber est un politicien nettement sous-dimensionné pour le poste, puisqu’il n’a à son actif que la présidence du groupe PPE au Parlement, et est totalement inconnu des chefs d’État et de gouvernement. En outre, il est Allemand, à un moment où la surreprésentation germanique dans les institutions communautaires commence à faire débat. Enfin, pour la première fois, le couple infernal conservateurs/socio-démocrates qui fait la pluie et le beau temps dans l’Union depuis 1984, n’a pas obtenu la majorité absolue, ce qui a fait entrer dans la danse les ex-libéraux rebaptisés « Renouveler l’Europe » (RE), où siège La République En Marche, et les Verts.

En clair, le PPE, certes arrivé en tête aux élections du 26 mai, doit désormais obtenir l’appui de trois autres groupes pour espérer imposer son candidat au Conseil européen, une tâche impossible. Il a tout fait pour obtenir la signature d’un accord programmatique entre les conservateurs, les socialistes, les centristes et les écologistes avant le début du sommet d’hier, ce qui lui aurait permis d’affirmer qu’il avait une majorité derrière lui. Mais ses partenaires ont refusé de lui faciliter la tâche. Même les socialistes, qui servent pourtant de marche-pieds à la droite depuis vingt ans, ont annoncé hier qu’ils ne soutiendraient pas Weber, à l’image du SPD allemand, qui gouverne pourtant avec Angela Merkel. Il faut dire que le rapport de force au sein du groupe social-démocrate (S&D) a changé depuis que les Espagnols le dominent de la tête et des épaules, comme le montre l’élection d’une Espagnole à sa tête en lieu et place d’un Allemand. Or, Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol a montré à plusieurs reprises qu’il n’avait aucune intention de faciliter la tâche de la droite, que ce soit chez lui ou en Europe. Une attitude intransigeante qui a surpris tant au Parlement qu’au Conseil européen, les Européens ayant perdu l’habitude de socialistes défendant pied à pied leurs convictions…

Un nouveau sommet le 30 juin

Bref, dès avant le Sommet, les jeux étaient faits : aucune majorité au Parlement derrière Weber, aucune majorité au Conseil européen, une dizaine de pays soutenant fermement Macron. Il n’y avait non seulement pas de consensus, mais même pas de majorité qualifiée (55 % des États représentants 65 % de la population) pour soutenir Weber. Ce qui n’a pas empêché la Chancelière allemande de faire de la résistance, elle qui, en 2014, était pourtant farouchement opposée au Spitzenkandidaten à la différence de la France, alors dirigée par François Hollande, qui y voyait un progrès démocratique… Elle a non seulement compris depuis l’intérêt d’un système contrôlé par son propre parti, mais elle a aussi cherché à faire monter les enchères afin d’arracher la présidence de la Banque centrale européenne (BCE) pour le patron de la Bundesbank, le très rigide Jens Weidmann qui a été son conseiller économique. On ne sait si elle a obtenu des assurances sur ce point ou si elle a dû se rendre à l’évidence, mais elle a fini par lâcher Weber. Lors de sa conférence de presse, elle a reconnu que le système des Spitzenkandidaten n’avait de logique que dans le cadre d’une liste transnationale et qu’elle espérait qu’elle serait créée pour les élections de 2024. Il aura donc fallu en passer par un bras de fer pour que la chancelière se range aux arguments de Paris.

L’Élysée voit avec satisfaction la chorégraphie se dérouler exactement comme il le prévoyait. Désormais, les Vingt-huit ont une semaine pour trouver un nom susceptible de recueillir une majorité au Parlement européen dont la session constitutive aura lieu le 2 juillet à Strasbourg avec l’élection de son président. Le portrait robot du successeur de Junker se précise : ce devra être une personnalité de centre droit, c’est-à-dire PPE, mais pas trop, déterminée à approfondir l’Union et, enfin, connue des chefs d’État et de gouvernement. Ils ne sont pas légion à remplir ces critères. Michel Barnier, le négociateur du Brexit ? Parfait pour le rôle, mais trop vieux pour la Chancelière. Christine Lagarde, la directrice générale du FMI qu’Angela Merkel aime bien ? Son nom revient en force. Une fois le président de la Commission désignée, les autres fonctions (présidence du Conseil européen et du Parlement européen, ministère des Affaires étrangères et, même si le poste ne fait pas directement parti du mercato, présidence de la BCE) permettront de satisfaire chacun : équilibre idéologique, géographique et de genre.

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La nouvelle question allemande

Fri, 06/21/2019 - 01:22

Angela Merkel affiche sa tête des mauvais jours. La chancelière allemande sait, à l’issue du sommet post-élections européennes convoqué ce 28 mai à Bruxelles, que son poulain, le Bavarois Manfred Weber, patron du groupe politique PPE (conservateurs) du Parlement européen, n’a plus guère de chance de devenir le prochain Président de la Commission. Une grosse déconvenue pour un pays qui estime que son tour est venu puisqu’aucun de ses ressortissants n’a occupé ce poste depuis Walter Hallstein (1958-1967). Angela Merkel, qui n’a pas l’habitude qu’on lui refuse quelque chose dans l’Union, se fait menaçante : « il faudra trouver un nom qui fasse consensus » entre les chefs d’État et de gouvernement « ce qui nous permettra d’agir sans créer de blessures ». À défaut, prévient-elle, « cela risquera de bloquer le cadre financier 2021-2027 », c’est-à-dire le budget communautaire qui doit être adopté à l’unanimité et dont l’Allemagne est la première contributrice…

Appétit féroce

La chancellerie allemande a même fait comprendre à ses interlocuteurs français, Emmanuel Macron étant à la manœuvre pour barrer la route de Weber, qu’elle mettrait en retour son veto à la nomination du Français Michel Barnier, 68 ans, parce qu’il est temps de passer le flambeau à une autre génération. Le message a bien été reçu à Paris : si un Allemand tombe, un Français suivra. Une logique nationaliste, où les compétences ne jouent plus aucun rôle, qui effraie Daniel Cohn-Bendit, proche de Macron et ancien eurodéputé écologiste : « si on entre dans une guerre des drapeaux, ce sera catastrophique pour l’avenir de l’Union ». Les ambitions germaniques ne s’arrêtent pas à la Commission : Berlin lorgne aussi la Banque centrale européenne (BCE), le mandat de son président, Mario Draghi, arrivant à échéance en novembre. Après un Néerlandais, un Français et un Italien, ne serait-ce pas là aussi le tour d’un Allemand ?

Cet appétit féroce commence à indisposer sérieusement nombre de ses partenaires, au premier rang desquels la France, qui prend tardivement conscience de l’imperium germanique qui s’est subrepticement mis en place à l’occasion de la crise de la zone euro (2009-2012). C’est en effet à ce moment-là que la République de Berlin a pris conscience de sa force, rien ne pouvant se décider dans les domaines économiques et budgétaires sans elle et surtout contre elle. Tous les mécanismes créés pour résoudre cette crise l’ont donc été aux conditions allemandes, c’est-à-dire qu’ils sont restés intergouvernementaux afin de lui donner un pouvoir de blocage (via son Bundestag). Surtout, la conception allemande de ce qu’est une bonne politique économique et budgétaire est devenue le mantra de la zone euro via la réforme du Pacte de stabilité. Bref, les clefs de la zone euro sont désormais entre les mains des Allemands.

Maillage étroit

Pour s’assurer un contrôle de la machine européenne, la CDU allemande et, dans une moindre mesure, le SPD ont patiemment placé leurs ressortissants à tous les niveaux de pouvoir. Le Mécanisme européen de stabilité (MES capable d’emprunter 750 milliards d’euros pour aider un pays), la Banque européenne d’investissement, la Cour des comptes et le Conseil de résolution unique (union bancaire) sont présidés par des Allemands. Dans les autres institutions, ils sont au second rang, mais détiennent en réalité le pouvoir. Ainsi, au Parlement européen, le secrétaire général (Klaus Welle, en place depuis près de 10 ans) et son adjoint sont Allemands, tout comme celui de la Commission (Martin Selmayr) ou du Service européen d’action extérieur (Helga Schmid). Le président de la Commission lui-même, le luxembourgeois Jean-Claude Juncker, ne doit sa place qu’au soutien de la CDU-CSU allemande qui domine totalement le PPE (Selmayr étant un protégé du « parrain » du Parlement, Elmar Brok, un proche de la chancelière). Dans les services, ces Allemands placent des Allemands ou des « germano-compatibles » (culturellement proches d’eux) aux postes clefs : par exemple, au Parlement, la plus importante direction générale, celle qui coordonne les travaux législatifs, les Allemands occupent deux tiers des postes de directeurs et trois cinquièmes des postes de chefs d’unité…

Ce maillage extrêmement étroit explique notamment pourquoi les institutions européennes ne critiquent jamais l’Allemagne, dont le monstrueux excédent commercial (dû à la sous-évaluation de la monnaie unique) déstabilise la zone euro. Seul un budget de la zone euro permettrait de corriger ces déséquilibres, mais Berlin est allergique à toute solidarité financière : elle vient d’ailleurs de le tuer, au grand dépit d’Emmanuel Macron, en le réduisant à un simple instrument d’encouragement aux réformes structurelles, une obsession germanique.

Bref, si l’Allemagne demeure européenne, c’est parce qu’elle a façonné une « Europe allemande », selon l’expression du philosophe allemand Ulrich Beck, qui sert ses seuls intérêts. Or l’Union n’a pas été pensée pour assurer la domination d’un pays – et surtout pas de l’Allemagne. L’ancien ministre des Affaires étrangères, Joschka Fischer, mettait en garde Angela Merkel en 2012 contre cette hubris : « il serait à la fois tragique et ironique qu’une Allemagne unifiée provoque la ruine, par des moyens pacifiques et les meilleures intentions du monde, de l’ordre européen pour la troisième fois ». La bataille pour les postes européens met en lumière cette nouvelle question allemande.

N.B.: article paru dans Libération du 20 juin

Photo: SIPA press

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Amélie de Montchalin: nommer Manfred Weber, c'est ne pas tenir compte des élections européennes

Fri, 06/21/2019 - 01:22

Amélie de Montchalin, la jeune (34 ans) secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, un poste qu’elle occupe depuis mars dernier, explique à Libération pourquoi la France s’oppose à la nomination du conservateur allemand, Manfred Weber, à la présidence de la Commission.

Le PPE revendique le poste de président de la Commission européenne parce qu’il est arrivé en tête lors des élections européennes. Cette revendication vous parait-elle justifiée ?

Ce qui me parait injustifié, c’est de penser qu’il y a une automaticité entre un nombre de sièges acquis au Parlement qui ne représente pas une majorité absolue et la présidence d’une autre institution, la Commission. Les traités sont très clairs : c’est le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement qui propose, à la majorité qualifiée, au Parlement le nom d’une personne qui doit ensuite recueillir une majorité des députés européens. Or aujourd’hui, le paysage parlementaire est chamboulé : les socialistes du S&D et les conservateurs du PPE ne forment plus une majorité absolue à eux deux, les centristes et les verts sont renforcés. Ce résultat montre que les électeurs veulent des changements en matière d’environnement et de climat, d’Europe sociale, de protection des frontières, de défense, etc. Il faut donc d’abord faire un travail sur les projets européens que la Commission devra mettre en œuvre. Je ne pense pas que les électeurs auraient compris qu’au lendemain des élections on leur dise : vous avez refusé de reconduire le condominium conservateurs-socialistes, mais on va nommer le candidat des conservateurs comme s’il ne s’était rien passé. C’est pour cela que les vingt-huit ont mandaté Donald Tusk, le président du conseil européen, pour voir quelles étaient les ambitions du parlement et quelles étaient les personnes qui pouvaient recueillir une majorité afin de permettre aux chefs d’État et gouvernement de faire une proposition au Parlement.

Donc l’Allemand Manfred Weber, tête de liste du PPE, n’est pas la bonne personne ?

La clef est que le prochain président de la Commission réunisse une double majorité, au Conseil et au Parlement. Mais il faut éviter une double crise. D’une part au sein du Conseil, ce qui implique que les chefs d’État et de gouvernement parviennent à un consensus : le pire serait qu’on impose un candidat à un certain pays qui dès lors ne le percevraient pas comme légitime. D’autre part, entre le Conseil et le Parlement, ce qui implique un projet commun aux deux institutions. À partir de là, on trouvera la personne qui correspond à ce niveau d’ambition. Si on commence par poser la question en termes de personne, de nationalité, d’appartenance idéologique, on va dans le mur.

Le problème majeur va être de trouver le bon équilibre des genres, géographique et politique alors qu’il n’y a que quatre postes à pourvoir : présidence de Commission, du Parlement européen, du Conseil européen et le ministre des Affaires étrangères de l’Union.

La bonne nouvelle est que l’Europe est vaste et est portée par beaucoup de femmes et d’hommes politiques de premier plan. Le problème n’est donc pas le vivier. L’objectif de la France est que ces quatre leaders incarnent une vision européenne qui travailleront sur des objectifs concrets. Il faut sortir de la logique du plus petit dénominateur commun.

Reste que le PPE estime que la Commission lui revient de droit et que la CDU-CSU allemande revendique à la fois la présidence de la Commission et la Banque centrale européenne pour l’un des siens…

La question de l’influence allemande dans les institutions communautaires ne se pose pas vu le nombre de postes qu’ils occupent déjà à tous les niveaux. La France estime qu’il faut absolument éviter la confrontation des drapeaux qui serait la négation de l’idée européenne. La seule confrontation utile est celle des idées et des projets.

Lors du sommet européen du 28 mai, la chancelière allemande, Angela Merkel, a fait un lien entre la nomination du prochain président de la Commission et l’adoption du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Cela ressemblait à une menace : si l’Allemagne n’approuve pas la décision prise, elle bloquera le budget européen…

Le budget est l’acte fondateur d’un projet politique. C’est pour cela que j’étais opposée, lorsque j’étais députée,à ce que l’on adopte ce cadre financier avant les élections européennes comme le souhaitaient la Commission ou l’Allemagne : si l’on veut stopper les populistes, il ne faut pas tout verrouiller avant que les citoyens se soient prononcés ! Le message aurait été désastreux : votez pour qui vous voulez, cela ne changera rien… Je ne mettrais donc pas en balance le budget avec la nomination du président, mais il y a un lien : si on porte un projet plan-plan, effectivement, il n’est pas nécessaire d’avoir un budget ambitieux. À l’inverse, si on défend un projet ambitieux pour la nouvelle législature, on devra avoir un budget à la hauteur de cette ambition.

Si le Parlement européen avait adopté la proposition française de créer une circonscription européenne, la question de la présidence de la Commission ne se poserait pas, puisque l’ensemble des citoyens européens auraient pu directement voter en faveur d’un(e) candidat(e).

Effectivement, on aurait pu avoir des personnalités qui auraient fait campagne au nom d’une famille politique dans les vingt-huit États membres et auraient recueilli des voix de l’ensemble des citoyens européens. Dans un tel cas, il n’y aurait rien de choquant à ce que la personne arrivée en tête soit automatiquement désignée président de la Commission. Or, aujourd’hui, ondit qu’un chef de parti qui a été choisi parmi les siens et qui n’a été élu que dans un seul pays a vocation à devenir automatiquement président.Cela ne peut pas fonctionner.

Une des conditions sine qua non pour être nommé président a toujours été que la personne désignée parle français et anglais. Déjà, François Hollande a abandonné cette exigence pour le président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement.

Il est important que le multilinguisme mais aussi la présence du français perdure. L’Union n’est pas un projet jacobin où tout le monde parlerait la même langue et où toutes les institutions seraient regroupées dans la même ville. Cela doit se traduire concrètement dans l’usage des différentes langues de l’Union : le respect du multilinguisme a un sens politique. Mais est-ce que le français est une condition sine qua non ? Je ne peux pas dire, vu la complexité de ce qui nous attend, que nous mettrons notre veto à une personnalité qui ne parle pas notre langue. Il faudra tout au moins l’apprendre.

Le poids de la France à Strasbourg n’est pas celui qu’il devrait être puisque les Français ont élu 22 eurodéputés du Rassemblement national qui n’auront aucune influence. Concrètement, elle ne peut compter que sur 54 eurodéputés, soit le niveau de la Pologne et de l’Espagne…

Il y a aussi dans ces pays des députés qui n’appartiennent pas aux familles politiques qui ont été les plus actives au Parlement. Mais il est vrai que la France a perdu énormément de crédibilité et d’influence depuis 2014, lorsque le FN, dont la volonté de détruire l’Union n’est pas un mystère, est devenu la première délégation hexagonale. Or, les députés européens, bien sûr avec leurs différences idéologiques, portent les sensibilités françaises, par exemple sur l’économie de marché, sur la défense, sur la protection sociale, ce que ne peuvent pas faire les élus du Rassemblement national. Moins de députés français que l’on écoute, c’est moins d’influence française.

On vous a reproché de parler « d’équipe France »…

Je ne regrette pas le terme. Un député européen est à la fois ressortissant de son pays et d’une famille politique. Il est donc normal qu’il soit en lien avec son gouvernement pour connaitre sa position au Conseil des ministres avant de se prononcer comme il l’entend au Parlement. Il reste Français et il essentiel qu’il sache ce que fait son gouvernement, libre à lui de tenir compte de cette position ou non.

Il y a aujourd’hui un grave déséquilibre au sein des institutions communautaires au profit des ressortissants allemands.

Le nombre de Français dans l’encadrement supérieur des institutions est bien meilleur qu’on le pense souvent. Néanmoins, nous menons un double combat pour regagnerdavantage d’influence : pousser les Français à passer davantage les concours de la fonction publique européenne pour alimenter le vivier et valoriser le parcours européen effectué par des fonctionnaires français.

Les premiers pas de La République en Marche (LREM) au Parlement européen ont été pour le moins chaotiques, Nathalie Loiseau ayant dû renoncer à la présidence du groupe centriste « Renouveler l’Europe » parce qu’elle a donné d’elle une image arrogante et méprisante. Une erreur de casting ?

Nathalie Loiseau a fait un choix responsable pour servir notre projet européen : renoncer à briguer un poste politique au sein du groupe pour que les députés Renaissance augmentent leurs chances d’obtenir des postes stratégiques pour faire avancer nos priorités au Parlement européen, à la tête ou au sein des commissions. Notre ambition européenne n’est en rien entamée.

Êtes-vous prêt à siéger dans le même groupe que Ciudadanos qui s’allie avec l’extrême droite espagnole de Vox ?

L’alliance avec l’extrême-droite, même localement, n’est pas une option pour les démocrates progressistes que nous sommes. Notre position est claire. Ensuite, c’est une discussion dont le groupe « Renouveler l’Europe » est responsable.

N.B.: article paru dans Libération du 20 juin

Photo : Roberto Frankenberg

Categories: Union européenne

Présidence de la Commission: qui sera l'euro élu?

Thu, 06/20/2019 - 17:41

Le grand mercato européen sera-t-il bouclé au cours du sommet européen qui s’ouvre aujourd’hui à Bruxelles et se termine demain ? La mère de toutes les batailles sera la désignation du successeur de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission. Ensuite, il sera plus aisé de remplir les autres cases : ministre des Affaires étrangères européen, présidence du Conseil européen (choisi par les seuls chefs) et enfin du Parlement (élus par les eurodéputés), ces fonctions étant des variables d’ajustement qui permettront de respecter la parité hommes-femmes (elle sera parfaite cette fois) ainsi que l’équilibre idéologique et géographique (est-ouest et nord-sud). Même si la présidence de la Banque centrale européenne sera traitée à part, les Vingt-huit l’auront à l’esprit pour soigner d’éventuels égos blessés. L’équation est tellement complexe que les chefs d’État et de gouvernement ont déjà bloqué dans leur agenda, au cas où, la date du lundi 1erjuillet…

« La première partie de l’exercice consistera à rayer des noms », explique un proche d’Emmanuel Macron. En clair, il s’agit d’en finir avec la candidature du Bavarois de la CSU Manfred Weber, la « tête de liste » du PPE (conservateurs). Le chef de l’État français est en effet totalement opposé au système des « Spitzenkandidaten » qui consiste à nommer automatiquement à la présidence de l’exécutif européen la tête de la liste arrivée en tête aux élections européennes. En l’occurrence, le PPE revendique le job puisqu’il reste le principal groupe du Parlement avec 179 eurodéputés (sur 751) devant les socio-démocrates (153) et « Renouveler l’Europe » (RE, ex-libéraux, 106 sièges). Si, en 2014, le Conseil (et François Hollande) avait accepté de nommer Jean-Claude Juncker, tête de liste du PPE, c’est parce que les socio-démocrates le soutenaient et qu’avec le PPE ils formaient une majorité absolue.

Cette fois, il n’existe aucune majorité derrière Weber. Les socialistes sont en effet lassé de servir de marche pied aux conservateurs. Ainsi, à Berlin, le SPD, partenaire de la CDU-CSU au sein de la grande coalition, a refusé que la chancelière le soutienne. Celle-ci est donc paralysée, ce qui fragilise encore plus la candidature du président du groupe PPE au Parlement.

Du côté de RE, où siègent les Français de Renaissance qui en forment l’ossature avec leurs 21 élus, on s’oppose frontalement au système des Spitzenkandidaten, même si la commissaire à la concurrence, la libérale danoise Margrethe Vestager est officieusement leur candidate. Tout comme la France, ce groupe estime que cette automaticité garantit au PPE la présidence de la Commission (qu’il a occupé entre 1995 et 1999 puis depuis 2004) pour longtemps. Et comme RE est désormais indispensable pour réunir une majorité, son poids est déterminant. En revanche les Verts (75 sièges), force d’appoint indispensable pour consolider une majorité, restent attachés à ce système et ils n’ont rien contre Weber dès lors qu’il s’engage à appliquer le contrat de grande coalition actuellement en négociation entre les conservateurs, les socio-démocrates, les centristes et eux…

« Le fait qu’un mois après les élections, il n’y ait toujours ni contrat de coalition ni majorité au Parlement en faveur de Weber montre que le système des Spitzenkandidaten n’est plus considéré comme évident par les parlementaires », souligne un diplomate de haut rang. De même, le sommet extraordinaire du 28 mai a montré qu’il n’y avait pas de majorité qualifiée (55 % des États représentants 65 % de la population) parmi les chefs d’État et de gouvernement, au moins dix pays, dont la France, s’opposant à sa candidature. En outre, beaucoup de pays considèrent qu’il y a déjà trop d’Allemands à la tête des institutions communautaires.

Ensuite viendra le tour du Spitzenkandidat arrivé second, en l’occurrence le socialiste néerlandais Frans Timmermans. Mais il se heurtera à une coalition des pays d’Europe centrale et orientale qui ne pardonnent pas à celui qui a été commissaire chargé de l’État de droit depuis 2014 ses critiques sur leurs dérives autoritaires. « À partir de là, ce sera au tour des candidats de second rang : Michel Barnier, Margrethe Vestager ou même Christine Lagarde », l’actuelle directrice générale du FMI, explique-t-on à l’Élysée. Si aucun de ces noms ne recueille un consensus, on entre dans une zone inconnue. « Il faut bien voir qu’à Vingt-Huit, on ne peut nommer que quelqu’un qui est connu personnellement des chefs d’État et de gouvernement, ce qui est le cas de Barnier ou de Lagarde, mais pas de Weber. On ne peut inventer une candidature en une nuit d’autant qu’il faut s’assurer du soutien du Parlement pour ne pas ouvrir une crise institutionnelle du plus mauvais effet ». Les Vingt-huit ont donc de quoi occuper leur nuit de jeudi…

N.B.: article paru dans Libération du 20 juin

Categories: Union européenne

Emmanuel Macron débranche Nathalie Loiseau

Thu, 06/20/2019 - 17:27

Nathalie Loiseau a loupé son envol. Jeudi après-midi, la tête de liste « Renaissance » a dû renoncer à briguer la présidence de « Renouveler l’Europe » (RE), le tout nouveau nom du groupe politique « Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe » (ADLE), à cause du scandale provoqué par ses propos méprisants à l’égard de plusieurs de ses collègues et dirigeants européens. Une entrée en matière européenne catastrophique pour La République En Marche (LREM) d’autant plus fâcheuse qu’elle affaiblit par contrecoup Emmanuel Macron à un moment particulièrement délicat. En effet, les 20 et 21 juin aura lieu à Bruxelles un sommet, sans doute le premier d’une série, vu l’ampleur des désaccords, consacrés au mercato quinquennal de l’Union (présidence de la Commission, du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, du Parlement européen, ministère des Affaires étrangères de l’Union mais aussi présidence de la Banque centrale européenne) : l’arrogance affichée par Loiseau, sa protégée, ne peut que rejaillir sur lui et susciter la méfiance de ses partenaires.

C’est d’ailleurs le chef de l’État qui a décidé de la « débrancher », comme l’on dit dans son entourage. C’est la fuite de ses propos « off » (non attribuables) tenus devant une douzaine de journalistes qui a signé son arrêt de mort (Libération du 12 juin). Au cours d’un show de 45’, qui a laissé pantelants ceux qui y ont assisté, elle a affiché son arrogance, son mépris et surtout sa méchanceté à l’égard de ses partenaires. Surtout, l’ancienne ministre des Affaires européennes ne s’est nullement excusée, mais elle s’est enfoncée en niant les avoir tenus alors même que tous les journalistes présents les ont confirmés... Si à Paris, ses propos seraient sans doute passés inaperçus dans le flot de vacheries qui constitue le fonds de commerce de la vie politique hexagonale, ce n’est pas le cas à Bruxelles où la diplomatie est la colonne vertébrale de l’Union.

Loiseau n’a manifestement pas compris qu’un groupe politique du Parlement européen n’a rien à voir avec son équivalent français : il est constitué d’un agrégat de partis politiques dont la diversité idéologique, nationale et culturelle est tellement forte qu’elle interdit toute discipline de votes. Autrement dit, le président d’un groupe politique doit déployer des trésors de diplomatie pour tenir uni tout son petit monde. Loiseau, elle, s’est comportée comme si elle arrivait en territoire conquis : avant son « off » catastrophique, elle avait déjà expliqué aux fonctionnaires du groupe ADLE qu’ils n’étaient pas à la hauteur de la tâche qui les attendait et qu’elle avait bien l’intention de les remplacer par ses fidèles : « elle a diffusé une atmosphère de terreur », raconte un eurocrate. Un hubris d’autant plus hors de propos que même si la délégation LREM est numériquement la plus nombreuse du groupe, elle ne pèse que 21 députés sur 108, soit 20 %. En outre, le groupe centriste n’est que le troisième groupe par ordre d’importance au sein d’un Parlement qui compte 751 membres, derrière les conservateurs du PPE et les sociaux-démocrates. Bref, il est nécessaire de se faire des alliés afin de constituer des majorités : c’est exactement le contraire qu’a fait Loiseau, en croyant naïvement qu’un off devant plus d’une dizaine de journalistes avait une chance de tenir...

Cela étant, dès le départ, plusieurs éminences de LREM, n’ont pas caché leurs désaccords avec les ambitions de la tête de liste « Renaissance », car elles n’étaient pas persuadées qu’il était de leur intérêt de réclamer la présidence du groupe. En effet, en vertu des règles en vigueur, chaque délégation nationale a droit, en fonction de son poids, à un certain nombre de points et chaque fonction vaut un certain nombre de points. Or la présidence pèse lourd : ne valait-il pas mieux s’assurer une présidence de Commission, Pascal Canfin visant celle de l’environnement, ainsi que d’autres postes clefs (dont celui de coordinateur) ? Mais Loiseau n’a rien voulu entendre et, avant son faux pas, elle était quasiment assurée de l’emporter sur ses concurrents. Mais depuis, rien n’était plus acquis, les autres délégations nationales ayant fait monter les enchères pour prix de leur soutien. Au final, LREM risquait bien de se retrouver avec une présidence de groupe sans influence, Loiseau étant totalement démonétisée.

L’Élysée a donc décidé de trancher dans le vif. Cela s’est fait avec d’autant plus de facilité qu’elle n’a pas particulièrement brillé pendant la campagne : dans l’entourage du chef de l’État, on estime que seule l’implication personnelle de Macron a permis de limiter la casse (RN ne l’emporte qu’avec moins d’un point de différence). Reste que Loiseau est le choix personnel de Macron, ce qui montre encore une fois qu’il n’est pas un excellent DRH.

LREM ne présentera pas un autre candidat à la présidence du groupe qui pourrait échoir au Roumain Dacian Ciolos, ancien commissaire et ancien Premier ministre (il a effectivement été élu le 19 juin par 60 % des voix). Un épisode qui devrait ramener LREM a davantage de modestie.

N.B.: article paru dans Libération du 14 juin

Photo : Christophe Archambault. AFP

Categories: Union européenne

Parlement européen: Nathalie Loiseau rate son envol

Thu, 06/20/2019 - 17:03

Nathalie Loiseau, dont la campagne européenne a déjà été laborieuse, est devenue un sérieux handicap pour Emmanuel Macron à l’heure où se joue la délicate répartition des postes au sein des institutions communautaires. La tête de liste de « Renaissance » a réussi l’exploit de se mettre à dos l’ensemble de ses partenaires du groupe libéral (ADLE) qu’elle entend pourtant présider, et à faire hurler de rire l’ensemble du Parlement. Bref, un beau suicide politique.

L’affaire commence mercredi 5 juin. L’un des communicants venus de Paris dont Loiseau aime s’entourer, organise un point de presse « off », c’est-à-dire dont les propos ne peuvent être attribués, avec une partie de la presse française (Libération - que «plus personne ne lit» aurait-il dit- ou encore les Échos n’ont pas été invités). Durant une petite heure, l’ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes se lâche devant des journalistes médusés. Éperdue d’arrogance, l’ancienne patronne de l’ENA affiche tout son mépris à l’égard des dirigeants européens et de la plupart de ses collègues. Le Belge Guy Verhofstadt, l’actuel président du groupe libéral qui la soutient pourtant pour lui succéder, a des « frustrations rentrées ». Sophie In’t Veld, l’expérimentée députée néerlandaise, qui vise aussi la présidence du groupe, « a perdu toutes les batailles qu’elle a menées ». Le suédois Frederick Federley, autre candidat, un homme au service de la droite allemande. L’Allemand Manfred Weber, le candidat conservateur à la présidence de la Commission, un « ectoplasme » qui « n’a jamais rien réussi ». L’eurodéputé sortant En Marche Jean Arthuis, qui se démène pour agrandir le groupe sans rien demander en échange, un « homme aigri », etc.. Garance Pineau, la « madame Europe » de LREM, qui assiste à ce grand déballage, abasourdi, envoie alors un message de son smartphone. Manifestement à destination de l’ex-ministre dont le téléphone sonne immédiatement. Après avoir consulté sa messagerie, Loiseau prend la peine de préciser que tout ce qu’elle dit n’engage pas le Président de la République… La tête de liste « Renaissance » ne livre, durant sa prestation, aucune information utilisable : rien sur le changement de nom du groupe réclamé par les Français, le mot « libéral » passant mal en France (« Génération Europe » ? « Alliance des citoyens pour l’Union » ?), rien sur les ambitions françaises, rien sur la future plate-forme du groupe.

L’affaire aurait pu en rester là, chacun ayant eu l’impression d’assister à un défoulement d’une personne en « burn-out ». Mais voilà : un ou plusieurs journalistes présents racontent sa prestation, jugée d’une méchanceté inouïe, à l’un de leurs confrères du quotidien belge francophone Le Soir qui passait par là. Celui-ci ne s’embarrasse du off et publie, dès le lendemain, ce modèle d’arrogance française. C’est la panique dans le camp macroniste qui voit tous ses efforts pour s’offrir une place au soleil dans le Parlement sérieusement compromis, le groupe centriste fort de ses 108 députés (sur 751) étant désormais charnière puisqu’aucune majorité n’existe sans lui. « Les enchères ont immédiatement monté, car Loiseau s’est fragilisée toute seule. Avec leurs 21 élus, les Français sont la principale délégation nationale et pouvaient donc prétendre à la présidence du groupe et à une présidence de commission parlementaire. Ça va désormais être difficile », juge un observateur. En particulier, il n’est plus du tout sûr que Pascal Canfin, numéro 2 de la liste Renaissance, obtienne la présidence de la commission environnement, les Lib Dem britanniques forts de leurs 17 députés, ayant bien l’intention de s’en emparer. Le Roumain Dacian Ciolos, le seul pourtant à avoir l’estime de Loiseau, ayant lui aussi fait savoir qu’il pourrait bien déposer sa candidature à la présidence du groupe histoire d’obtenir une compensation…

À Paris, on est évidemment furieux de cette sortie de route de Loiseau : « il faut qu’on la débranche, elle n’est manifestement pas à la hauteur ». Ses colistiers sont tétanisés et rasent les murs. Ils comprennent d’autant moins leur cheffe que quelques heures avant ce off catastrophique, elle avait envoyé un mail résumant les bonnes pratiques à destination des petits nouveaux d’En Marche : « Un conseil : la jouer modeste et surtout pas arrogants. Les prédécesseurs d’autres familles politiques n’ont pas toujours eu cette finesse. Les Français ont donc une mauvaise réputation à contredire ». C’est particulièrement réussi. Au sein du groupe libéral, on n’est guère surpris par cette arrogance dévastatrice : « elle fait peur à tout le monde, car depuis son arrivée elle affiche son mépris. Pour elle, on est tous des nuls et elle veut tout changer y compris les fonctionnaires du groupe »…

Après la fuite, Loiseau a envoyé un mail de démenti (en anglais) à tous ses collègues du groupe : « J’ai lu un très étrange article dans Le Soir aujourd’hui. Je ne connais pas le journaliste, je ne l’ai jamais rencontré et je pense que je ne le rencontrerai jamais. Surtout, je ne reconnais pas les propos qui me sont attribués. C’est de la pure invention ». Il faut oser. Car démentir des propos tenus face à un journaliste est une chose. C’en est une autre lorsqu’il y a une dizaine de personnes ont tous entendu la même chose. Arrogance, mépris, mensonge, un cocktail détonnant dans un Parlement où la nécessité de parvenir à des compromis entre partis nationaux impose un art consommé de la diplomatie. « On va essayer de rattraper le coup. Avec le Brexit et le départ des Lib Dem, notre position va se renforcer. On va devoir prouver notre sérieux d’ici la mi-mandat, en janvier 2022, lorsque la présidence du Parlement et des commissions parlementaires vont changer ».

N.B.: article paru dans Libération du 12 juin

Photo: Denis Allard

Categories: Union européenne

La Commission et le Parlement européen refusent d’assister à la remise d’un prix de journalisme à Barcelone pour ne pas déplaire à Madrid

Sat, 06/08/2019 - 14:05

Mon article sur le prix catalan Ernest Udina que j’ai reçu vendredi à Barcelone. Avec dedans de vrais morceaux de bêtise eurocratique...

https://www.facebook.com/676243474/posts/10158060266128475?s=676243474&sfns=mo

Categories: Union européenne

Les députés européens catalans déclarés non grata au Parlement européen

Sat, 06/01/2019 - 12:10

C’est un couac de belle ampleur : Carles Puigdemont et Toni Comin, deux indépendantistes catalans qui viennent d’être élus députés européens, n’ont pu pénétrer, mercredi après-midi, dans les locaux du Parlement pour obtenir leur accréditation. La décision a été prise par le président sortant du Parlement européen, l’Italien Antonio Tajani, et son secrétaire général, l’Allemand Klaus Welle, tout deux membres du PPE (conservateurs).

« Lorsque nous sommes arrivés avec d’autres élus espagnols, les huissiers ont demandé de décliner notre identité. Nous avons alors constaté que nos noms étaient en gris sur la liste. Ils ont passé un appel téléphonique et nous ont indiqué qu’ils avaient reçu instruction de refuser l’entrée aux élus catalans », nous raconte Carles Puigdemont, l’ancien président de la Généralité de Catalogne, auteur d’une tentative de sécession ratée en 2017 et qui s’est depuis réfugié en Belgique. « Deux responsables de la sécurité se sont succédés pour nous expliquer que l’Espagne n’avait pas communiqué la liste définitive des députés élus et que Klaus Welle avait donné instruction de ne pas nous laisser entrer. Pourtant, tous les autres élus ont obtenu leur accréditation sans problème », poursuit Puigdemont. « Et ils ont refusé de nous notifier par écrit ce refus d’entrée ! »

Il est vrai qu’en Espagne, on ne devient définitivement député (régional, fédéral ou européen) qu’après avoir prêté serment de fidélité à la Constitution devant la Commission électorale centrale. Mais, pour l’instant, aucun eurodéputé espagnol ne s’est acquitté de cette formalité. En clair, soit les 54 eurodéputés peuvent obtenir leur accréditation, soit aucun. Discriminer uniquement les élus indépendantistes catalans semble donc être une décision politique. D’autant que les autorités du Parlement européen savent que si Puigdemont et Comin se rendent à Madrid pour prêter serment, ils n’ont guère de chance d’en repartir, puisqu’ils font l’objet d’un mandat d’arrêt notamment pour « sédition ». « Pourtant, je suis aussi élu au Parlement catalan et j’ai prêté serment par écrit de Bruxelles », se défend Puigdemont. Mais voilà : le code électoral espagnol exige que les députés européens le fassent sur place, car ils sont considérés comme des députés nationaux (qui, eux, prêtent serment lors de la session constitutive des Cortes) envoyés à Strasbourg. Car chaque Etat fixe dans sa loi nationale les conditions que doivent remplir les élus avant d’être proclamés eurodéputés, et ce, en l’absence d’une loi électorale européenne uniforme.

Le Parlement européen précise d’ailleurs que l’accréditation fournie aux nouveaux élus n’est que provisoire et qu’elle est destinée à leur facilité le travail : elle ne deviendra définitive qu’avec la proclamation, pays par pays, de la liste définitive des élus. Et il lui est déjà arrivé de refuser de la délivrer, par exemple à deux Finlandais qui contestaient le comptage des voix et s’estimaient tous les deux élus. Mais la raison est cette fois différente : les autorités du Parlement, qui sont sûres que Puigdemont et Cormin ne seront pas sur la liste finale, faute de pouvoir se rendre à Madrid, se servent de leur accréditation provisoire pour opposer leur légitimité européenne à la légalité espagnole… Une appréciation toute politique donc, le Parlement européen ne voulant pas se retrouver en porte-à-faux avec un Etat membre.

D’autant n’est pas la première fois que Tajani se comporte en fidèle allié de l’Etat espagnol. En mars dernier, il a ainsi refusé de prêter une salle pour un évènement organisé par des eurodéputés, car Puigdemont devait y prendre la parole. Raison invoquée : problèmes potentiels de sécurité… On se demande bien lesquels, alors que le Parlement européen est devenu Fort Knox depuis les attentats de Bruxelles. Le problème catalan est bien devenu l’angle mort de la construction communautaire et met en évidence que les élections européennes n’ont d’européennes que le nom.

Devant le scandale, le Parlement a décidé, vendredi, de suspendre toutes les accréditations provisoires délivrées aux députés espagnols en attendant que Madrid lui communique la liste définitive de ses députés européens…

Categories: Union européenne

Commission européenne: Manfred Weber est « out »

Fri, 05/31/2019 - 19:35

Le successeur du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission ne sera pas l’Allemand Manfred Weber. Les présidents des groupes politiques du Parlement européen, qui se sont réunis mardi matin, n’ont pu que constater qu’il n’existait aucune majorité pour soutenir la tête de liste du PPE (conservateur) qui est arrivé en tête des élections européennes de la semaine dernière. La balle a donc été renvoyée dans le camp des chefs d’État et de gouvernement où le constat a été identique. La perle rare reste donc à trouver.

Les Vingt-huit avaient prévu de se retrouver dès mardi soir pour un diner informel afin de tirer les leçons des Européennes. Le PPE aurait aimé réitérer le coup de 2014, lorsqu’en accord avec les socialistes et fort de sa première place, il avait imposé au Conseil européen la nomination de Jean-Claude Juncker, leur tête de liste d’alors (« Spitzenkandidat » en allemand). Les chefs avaient accepté de se laisser forcer la main, car le Luxembourgeois était un ancien Premier ministre du Grand-Duché (1995-2013) et faisait donc partie du club. Surtout, conservateurs et socialistes avaient alors la majorité absolue à eux deux. Une époque désormais révolue : le PPE (180 élus sur 751) et les socio-démocrates (146 députés) enregistrent un recul historique et ont besoin d’un troisième groupe pour atteindre la majorité. En clair, sans les centristes (109 députés), ils ne peuvent rien faire.

Mardi matin, le Belge Guy Verhofstatdt, qui préside pour l’instant le groupe réunissant l’ADLE (libéraux) et les Français de Renaissance, a officiellement mis fin aux espoirs de Weber en refusant, avec d’autres présidents de groupes, d’entériner sa candidature. Certes, il a renouvelé son soutien à une résolution votée en février 2017 sur le système des Spitzenkandidaten (la liste arrivée en tête obtient la présidence de la Commission), mais celle-ci faisait explicitement le lien entre sa pérennisation et la création d’une circonscription transnationale (les têtes de liste devant se faire élire par l’ensemble des citoyens européens). Or le PPE a refusé sa création en 2018 afin d’affaiblir Emmanuel Macron qui la défendait.

C’est ce qui a poussé le chef de l’État français à s’opposer à cette nomination automatique, d’autant qu’elle revenait à assurer pour longtemps la présidence la Comission au PPE (qui possède le poste depuis 2004). La désignation par les instances dirigeantes du PPE (en réalité la CDU-CSU allemande) de Weber, qui n’a à son actif que la présidence du groupe politique du PPE et qui ne parle pas français, a achevé de convaincre le Président de rejeter ce système tant qu’une circonscription transnationale ne serait pas créée.

Sa tâche a été facilitée par l’excellente opération qu’il a réalisée dimanche dernier : certes, sa liste, Renaissance, est légèrement devancée par le Rassemblement national, mais avec ses 21 eurodéputés, il devient la force centrale du groupe charnière qu’il forme avec les libéraux, alors que l’extrême-droite, malgré ses 22 élus, ne pèse rien dans l’Assemblée européenne (elle siège dans un groupe de 58 députés totalement isolés). Surtout, Angela Merkel qui soutient le système des Spitzenkandidaten, alors qu’elle s’y opposait en 2014, sans doute parce que le candidat est cette fois Allemand, est considérablement affaiblie par la déroute du PPE et de la CDU. En outre, au sein du Conseil européen, l’équilibre politique a changé : le PPE est désormais à égalité avec les socialistes et les libéraux.

Le diner de mardi soir, qui a suivi une après-midi de rencontres bilatérales, a confirmé ce nouvel équilibre des forces. Un diner auquel n’ont assisté que les chefs qui ont été priés de laisser leur portable à l’extérieur… Curiosité de ce sommet : la présence de la Britannique Theresa May dont le pays aurait dû quitter l’Union le 29 mars dernier.

Merkel a dû reconnaitre de mauvaise grâce qu’il n’existait aucune majorité suffisante pour soutenir Weber. D’ailleurs, lors de sa conférence de presse, elle s’est abstenue de prononcer le nom de Weber dans son propos liminaire. En réponse à une question, elle a répété qu’elle le soutenait, mais que ce n’était pas le cas des socio-démocrates du SPD, son partenaire au sein de la Grande Coalition (GroKo)…

La chancelière a expliqué que le Polonais Donald Tusk, le président Conseil européen, va entamer des négociations avec le Parlement afin de trouver, d’ici le sommet des 21 et 22 juin, une personnalité susceptible de réunir une majorité absolue au sein du Parlement et une majorité qualifiée (55 % des États représentants 65 % de la population)au sein du Conseil. C’est un retour au traité de Lisbonne qui prévoit que les États nomment le président de la Commission « en tenant compte du résultat des élections européennes ».

Les Vingt-huit ont dressé une liste de critères. Ils veulent que le candidat prépare un programme précis traitant de la croissance et de l’innovation, de l’environnement, de la sécurité, de l’immigration, de la politique de défense et de l’Europe sociale. En outre, afin de rentre la pilule plus facile à digérer, cette nomination fera partie d’un paquet qui comprendra aussi les présidences du Parlement et du Conseil ainsi que le poste ministère des Affaires étrangères. La présidence de la Banque centrale européenne fera, elle, l’objet d’une négociation séparée entre les États. Il faudra enfin que la parité hommes-femmes soit parfaite, ce qui est une énorme nouveauté, et que l’équilibre est-ouest, sud-nord et bien sûr idéologique soit respecté. Bref, le candidat idéal sera une femme de l’Est acceptable par la droite, la gauche et le centre. Angela Merkel a cependant mis garde contre une bataille rangée qui laisserait des traces durables et pourrait empêcher l’adoption du cadre financier pluriannuel 2021-2027… De longues nuits de tractations s’annoncent et elles n’aboutiront sans doute qu’à la fin de l’été, comme en 2014 où il avait fallu réunir trois Conseils européens de rang.

Categories: Union européenne

A Bruxelles, la bataille des postes est lancée

Fri, 05/31/2019 - 19:31

La bataille pour la présidence de la Commission a débuté dès dimanche soir, alors que les résultats définitifs des élections européennes n’étaient pas encore connus. Le Français Joseph Daul, qui préside le Parti populaire européen (PPE, conservateurs), a immédiatement revendiqué le poste pour son camp : «Nous avons gagné les élections. Nous ne réclamons qu’un seul poste : la présidence de la Commission pour Manfred Weber», l’Allemand de la CSU «tête de liste» des conservateurs.

Charnière.

Pour Daul, l’affaire ne prête pas à discussion : depuis un accord passé en 2014 entre les groupes politiques du Parlement européen, c’est la tête de la liste arrivée première des élections qui doit s’installer au 13e étage du Berlaymont, là où se trouve le bureau du président de la Commission (système des «Spitzenkandidaten»). Mais c’est aller un peu vite en besogne. L’accord a pu être mis en œuvre à l’époque parce que le PPE allié aux socio-démocrates disposait de la majorité absolue de 376 voix. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. A eux deux, ils n’ont que 326 voix au maximum (180 pour le PPE, 146 pour les socialistes). Il faudra donc convaincre soit le nouveau groupe charnière ADLE-Renaissance (109 sièges) ou les Verts (69 sièges). Mais cela s’annonce difficile. D’une part, on voit mal les écologistes soutenir un membre de la CSU bavaroise. D’autre part, les Français d’En marche, première délégation nationale au sein du groupe centriste, ne veulent pas entendre parler de Weber, jugé sous-dimensionné pour le poste. L’homme n’a jamais exercé la moindre fonction ministérielle et il ne parle pas un mot de français, ce qui est pour le moins gênant à l’heure du Brexit. «Le PPE a placé la barre tellement bas en choisissant Weber que cela ouvre le jeu», se félicite une éminence française.

Le PPE n’est même pas certain de rallier les socialistes autour de la candidature de Weber, ceux-ci ayant rompu le précédent accord de coalition en 2016 en refusant de voter en faveur du conservateur italien Antonio Tajani pour la présidence du Parlement européen. Une prise de conscience tardive d’avoir servi de marchepied à la domination du PPE dans les institutions communautaires depuis vingt ans. Enfin, le PPE n’est plus en position de force : avec 180 élus, il perd 38 sièges par rapport à 2014 et est à son plus bas niveau depuis… 1989, époque où l’UE ne comptait que douze Etats membres. Surtout, la CDU est en fort recul en Allemagne.

Chance.

Afin d’éviter de laisser la main au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement qui n’a pas apprécié de se faire déposséder de son pouvoir de nomination (le Parlement européen se contentait avant 2014 de confirmer son choix), les présidents de groupes se réunissent ce mardi à 10 heures, avant le dîner des 28 prévu le soir même. Mais un accord est improbable : ni ADLE-Renaissance, ni les eurosceptiques, ni la gauche radicale n’accepteront de laisser la main au PPE.

D’autant qu’au Conseil européen, «il y a très peu de chefs qui soutiennent Weber, affirme un diplomate de haut rang. Personne, pas même Merkel, n’a dit que c’était le candidat idéal.» Mieux : onze pays ont déjà dit non, ce qui constitue une minorité de blocage (les nominations se décident à la majorité qualifiée). Ne serait-ce que parce que le PPE occupe la présidence de la Commission depuis quinze ans. La candidature de l’actuel commissaire néerlandais, Frans Timmermans, tête de liste des socialistes, n’a guère plus de chance de prospérer, car il s’est mis à dos les pays d’Europe de l’Est sur la question du respect de l’Etat de droit. Si les Spitzenkandidaten sont écartés, le jeu peut s’ouvrir à d’autres candidats possibles : la libérale danoise Margrethe Vestager, actuelle commissaire à la concurrence, Michel Barnier, le négociateur du Brexit, Christine Lagarde, la patronne du FMI, Dalia Grybauskaite, présidente de la Lituanie, Mark Rutte, Premier ministre néerlandais, Charles Michel, son homologue belge, etc.

Une seule chose est certaine, le poste de président de la Commission fera partie d’un paquet incluant toutes les autres fonctions à pourvoir afin de donner quelque chose à chacun : vice-présidence de la Commission, présidence du Parlement et de la Banque centrale européenne, ministère des Affaires étrangères de l’Union. Une partie d’échecs en trois dimensions.

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Européennes: la poussée europhobe n'a pas eu lieu

Fri, 05/31/2019 - 19:29

L’histoire était écrite d’avance : un tsunami «populiste» et europhobe, amplifié par une abstention record, allait s’abattre sur le Parlement européen et paralyser l’Union. On allait voir ce qu’on allait voir : les électeurs allaient signifier au mieux leur indifférence, au pire leur défiance, pour cette aventure communautaire si éloignée de leurs préoccupations quotidiennes.

Mais les citoyens européens ont décidé de ne pas suivre ce scénario : la participation a atteint un niveau record depuis vingt ans, à 51 % (contre 42,6 % en 2014), et le tsunami annoncé s’est transformé en vaguelette. Bref, les Européens ont envoyé un message de leur attachement à la construction communautaire. Une divine surprise, certes, mais en réalité pas totalement imprévisible. En effet, les sondages Eurobaromètre ont enregistré, depuis le référendum sur le Brexit de juin 2016 et l’élection de Trump en novembre de la même année, un regain prononcé en faveur de l’idée européenne, après le creux historique lors de la crise de la zone euro (2010 et 2012) : 65 % se sentent attachés à l’Europe (et 56 % à l’Union). D’autres enquêtes montrent qu’il n’existe nulle part, et notamment pas en France, de majorité pour suivre le Royaume-Uni dans son aventure solitaire.

Plafond de verre.

Bref, tout s’est passé comme si le Brexit avait réveillé les opinions publiques en leur montrant l’extrême fragilité de l’Union à l’heure où les enjeux dépassent clairement les frontières nationales : environnement, économie, migration, terrorisme, etc. Les séquences électorales nationales qui se sont succédé depuis 2016 ont confirmé cette prise de conscience : cela a d’abord été la défaite du candidat de l’extrême droite autrichienne (FPÖ), Norbert Hofer, lors de l’élection présidentielle de décembre 2016. La séquence s’est poursuivie au printemps 2017 aux Pays-Bas, où le PVV de Geert Wilders n’a pas terminé en tête comme attendu, en Italie, lors des municipales, où le Mouvement Cinq Etoiles (M5S) n’a pas obtenu les résultats espérés, et surtout en France, où Marine Le Pen a subi une défaite plus importante que prévue.

Les partis dits populistes ont appris de cette séquence désastreuse en abandonnant ou en reléguant au fond de leur programme la destruction de l’Europe, le sujet étant devenu un plafond de verre quasi infranchissable. Ainsi, il n’est plus question d’un référendum sur l’euro ou l’appartenance à l’Union depuis que le M5S et la Ligue sont au pouvoir en Italie. Le Rassemblement national a fait de même, tout comme le FPÖ ou les partis d’extrême droite nordiques. Seule l’AfD allemande a fait campagne sur ce thème, ce qui a limité sa progression. Désormais, le mot d’ordre est de changer l’Europe de l’intérieur. Plus de la dynamiter.

Mais cela n’a manifestement pas suffi à rassurer les opinions publiques si l’on en juge par les résultats des européennes. Certes, Matteo Salvini réalise un score historique en Italie en envoyant 28 députés à Strasbourg, mais son allié le RN ne réitère pas son exploit de 2014 : 22 députés contre 24. De même, l’extrême droite a fait moins bien qu’attendu aux Pays-Bas, en Slovaquie ou en Finlande. Et là où elle perce, comme en Flandre avec le Vlaams Belang, c’est dans des pays qui comptent peu de députés, ce qui limite l’effet dans un Parlement aux 751 sièges répartis en fonction de la taille des Etats (74 pour le France, 96 pour l’Allemagne). Ainsi, les fascistes flamands ont obtenu 3 élus, pas de quoi bouleverser les équilibres.

Carottes.

En réalité, le nombre de députés eurosceptiques et europhobes au sens large passe seulement de 151 à 171, essentiellement grâce à la percée de la Ligue. Et encore, on mélange des choux et des carottes, car il n’y a rien de commun entre les Tories, les conservateurs britanniques qui y figurent, et le RN. De même, en dépit des appels du pied de Marine Le Pen, le PiS polonais, qui siège actuellement au sein du groupe ECR (59 membres) avec, précisément, les conservateurs britanniques, n’a aucune envie de se retrouver sur les mêmes bancs qu’elle, pas plus que le Fidesz de Viktor Orbán qui veut rester au sein du PPE (conservateurs).

Il est même impossible d’additionner les 54 députés de l’EFDD - Europe de la liberté et de la démocratie - présidé par Nigel Farage, leader du parti du Brexit et les 58 membres de l’ENL - Europe des nations et des libertés - du duo Le Pen-Salvini : les premiers, y compris l’AfD, jugent les seconds infréquentables. Mieux : les 16 députés italiens du M5S ont annoncé qu’ils voulaient quitter l’EFDD pour rejoindre le groupe centriste ALDE-Renaissance ou, à défaut, créer un groupe propre. S’ils y parviennent, les populistes et l’extrême droite n’auront pas progressé d’un iota par rapport à 2014. Ils régresseront même lors du départ des Britanniques. Surtout, ils resteront divisés en trois petits groupes inconciliables (ECR, EFDD et ENL) qui ne pèseront rien. Les vrais vainqueurs sont donc bien les forces pro-européennes, avec plus de 75 % des élus. Des forces dont la légitimité est plus forte que jamais grâce au regain de participation

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Européennes: les six leçons du scrutin

Mon, 05/27/2019 - 20:42

La cuvée 2019 des élections européennes réserve son lot de surprises, mais confirme aussi les grandes tendances anticipées. En effet, les plaques tectoniques de la vie politique européenne bougent lentement, car l’élection des 751 eurodéputés a lieu dans le cadre de 28 circonscriptions nationales. Surtout, elles ont lieu à la proportionnelle et le nombre de députés varie de 6 à 96 en fonction de la taille du pays. Autrement dit, la percée d’un parti démagogique dans un petit pays disposant d’un nombre limité de députés européens (par exemple 13 sièges pour le Danemark) n’aura pas le même effet que celle d’un parti social-démocrate ou de droite dans un grand Etat (96 sièges pour l’Allemagne ou 74 pour la France). L’analyse du scrutin se complique du fait de la présence inattendue du Royaume-Uni : lorsque le Brexit aura eu lieu, 73 sièges seront libérés dont 27 redistribués entre différents pays. Ainsi, la France bénéficiera de 5 sièges de plus à répartir entre les partis disposant d’élus. La composition des groupes politiques sera donc revue (notamment avec le départ du gros contingent du parti du Brexit de Nigel Farage qui siège à l’EFDD, ou encore des lib-dem qui font partie du groupe centriste ADLE-Renaissance).

Une participation en forte hausse

C’est la principale surprise de ce scrutin, celle que personne n’avait vu venir : la participation atteint 51 % dans l’UE, soit 8 points de plus qu’en 2014. C’est le plus haut niveau depuis vingt ans et la première augmentation significative depuis la première élection du Parlement européen au suffrage universel en 1979 (60,71%), à une époque où il n’avait aucun pouvoir. Curieusement, plus le Parlement en gagnait, au point, depuis le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009, d’être presque sur le même plan que le Conseil des ministres, l’enceinte où siègent les ministres représentant les Etats membres (sauf en matière budgétaire et pour les domaines où le vote à l’unanimité est la règle, comme la fiscalité), plus les citoyens se désintéressaient de l’élection. La participation est passée sous 50% en 1989 et a atteint son point le plus bas en 2009 avec 40,63%, 2014 ayant marqué un léger mieux avec 42,5%. Cette mobilisation des électeurs renforce la légitimité démocratique européenne, montre une européanisation de la vie politique européenne, les enjeux nationaux et européens étant de plus en plus concordant (environnement, migration, économie, sécurité, menaces extérieures), et la prise de conscience, après le Brexit, de la fragilité de la construction européenne.

La fin du duopole conservateurs-socialistes

Là, ce n’est pas une surprise : les conservateurs du PPE et les socialistes du S&D n’obtiennent pas à eux deux la majorité absolue de 376 sièges. Le PPE n’obtient que 180 sièges contre 218 dans l’assemblée sortante, son pire score depuis 1989, et le S&D 146 contre 189, soit 326 sièges. Depuis 1989, sauf entre 2002 et 2004, les deux groupes s’alliaient pour se répartir la présidence du Parlement (2,5 ans chacun) et les présidences des plus importantes commissions parlementaires. Désormais, il faudra en passer par un accord entre au moins trois groupes politiques, sans doute le PPE, S&D et le groupe centriste ADLE-Renaissance (109 sièges). Il n’est pas impossible que les Verts (69 sièges contre 52) soient aussi de la partie. Mais les conservateurs et les socialistes demeureront incontournables : il n’existe aucune majorité alternative de centre gauche ou de droite.

Le centre, groupe charnière

Dans cette nouvelle configuration, le centre, c’est-à-dire le groupe libéral devient le groupe charnière du nouveau Parlement avec 109 élus, bien plus qu’attendu. Ce groupe de faiseurs de rois sera dominé par les 22 Français de LREM qui pourront en revendiquer la présidence. Mais attention : les groupes ne sont pas encore constitués (la date limite est la mi-juin) et leur périmètre pourra varier. Ainsi, il n’est pas certain que tous les libéraux, notamment les Nordiques ou le FDP allemand, restent dans le groupe ADLE-Renaissance, ne serait-ce que parce que LREM est infiniment plus europhile que d’autres partis. Mais en quittant l’ADLE, ces petits partis à l’échelle européenne risquent de se retrouver sur le banc des non inscrits faute de parvenir à former un groupe politique (au minimum 25 députés provenant de 7 pays). Les grandes manœuvres ne font que commencer.

La poussée populiste stoppée

Le score impressionnant de la Ligue italienne de Matteo Salvini (28 élus) ne change rien à l’affaire : la poussée europhobe et eurosceptique a été contenue, voire stoppée contrairement à ce que beaucoup d’observateurs annonçaient. Ainsi, le Rassemblement national a obtenu deux députés de moins qu’en 2014 (22 contre 24) et l’extrême droite a fait moins bien qu’attendu aux Pays-Bas, en Slovaquie ou encore en Finlande. En excluant le Fidesz hongrois qui continuera de siéger au PPE, le nombre de députés eurosceptiques et europhobes passe de 151 à 171, essentiellement grâce à la Ligue. Et encore en comptant les 14 députés italiens du Mouvement Cinq Etoiles (M5S) qui ont déjà annoncé qu’ils voulaient quitter l’EFDD de Farage pour rejoindre le groupe centriste ou, à défaut, créer un groupe propre. S’ils y parviennent, la droite radicale eurosceptique n’aura pas progressé d’un iota (et elle régressera même lors du départ des Britanniques).

Certes, le groupe ENF (Europe des nations et des libertés), créé par Marine Le Pen avec son allié Salvini, passe de 35 à 58 députés, mais reste loin des 100 sièges que la présidente du RN visait. Elle va sans doute essayer de débaucher des troupes des autres groupes anti-européens. Mais la tâche s’annonce ardue, comme l’a montré la campagne, car elle est considérée comme radioactive par de nombreux partis démagogues, comme l’AfD allemande, qui n’ont aucune envie de droitiser davantage leur image. Il est donc douteux que, du moins d’ici le Brexit, il y ait moins de trois groupes démagogues à la droite du PPE, exactement comme aujourd’hui : l’ECR (dont les conservateurs britanniques et les 23 membres du PiS polonais) qui passe à 59 députés contre 73, l’EFDD de Farage (54 députés contre 43) et l’ENF. Une division qui les empêchera de peser sur les travaux du Parlement.

La percée des écologistes

C’est une surprise. On donnait le groupe des Verts en recul alors qu’il passe de 52 à 69 députés, soit un niveau équivalent à celui du groupe libéral pendant la législature 2014-2019. Cette poussée est très inégale, puisqu’elle concerne surtout l’Ouest européen (Allemagne, Irlande, Belgique, France). Ce groupe est renforcé par le parti Pirate tchèque et les indépendantistes catalans.

Un mercato européen imprévisible

Le PPE, arrivé en tête des européennes, comme depuis 1999, a immédiatement revendiqué la présidence de la Commission pour sa tête de liste, le Bavarois de la CSU Manfred Weber. Mais au moins onze Etats, dont la France, s’y opposent, les autres réservant leur position. Seule l’Allemagne le soutient franchement, mais la CDU-CSU enregistre un fort recul, ce qui affaiblit la position d’Angela Merkel. Le problème est qu’il faut un accord entre le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement et une majorité du Parlement, ce qui implique de convaincre au moins une partie du PPE… Et les Verts ont exclu de voter pour un autre candidat qu’une tête de liste déclarée (en allemand, Spitzenkandidat).

Les présidents de groupes politiques se réunissent mardi matin pour arrêter une position commune, juste avant le dîner des 28 chefs d’Etat et de gouvernement qui aura lieu le soir même à Bruxelles pour essayer se mettre d’accord sur les critères que devra remplir le candidat idéal qui sera désigné fin juin. Comme il n’est pas question que les deux institutions se livrent une guerre de tranchées, il est certain que le poste de président de la Commission fera partie d’un paquet incluant toutes les autres fonctions à pourvoir afin de donner quelque chose à chacun : vice-présidence de la Commission, présidence du Parlement et de la Banque centrale européenne, ministère des Affaires étrangères de l’Union. Le jeu s’annonce à la fois très ouvert et très complexe.

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