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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 6 days ago

Victoire de l’opposition vénézuélienne aux élections : et maintenant ?

Mon, 07/12/2015 - 18:03

L’opposition vénézuélienne a remporté les élections législatives pour la première fois en seize ans. Est-ce une surprise ? Comment expliquer ce tournant ?
L’opposition remporte une nette victoire dans le contexte d’une forte participation. C’est effectivement une première depuis les débuts de la Révolution bolivarienne. A cette heure, la Table pour l’unité démocratique (MUD) gagne 99 sièges sur les 167 à pourvoir. Le chavisme en obtient, lui, 46. Il reste 22 sièges qui ne sont pas encore attribués. Le Conseil national électoral (CNE) finalise les décomptes. Si la MUD en remporte douze parmi ces vingt-deux, elle obtiendra alors la majorité qualifiée des 2/3 qui lui permettra de disposer de tous les pouvoirs possibles à l’Assemblée.
Les résultats s’inscrivent de fait dans la tendance haute de ce qu’on pouvait observer ces dernières semaines. Ce n’est donc pas à proprement parler une surprise. Ce qui est remarquable, c’est la qualité démocratique du Venezuela, pays pourtant souvent mis à mal par les médias internationaux et les formations proches de l’opposition, qui ont en général assez facilement tendance à condamner le pays pour ses soi-disant dérives autoritaires. On a en réalité assisté à un modèle de journée civique et démocratique : 75% de participation au vote, un contexte de tranquillité totale, une reconnaissance immédiate des résultats de la part de Nicolas Maduro qui a reconnu sa défaite et remercié l’ensemble des Vénézuéliens pour la bonne tenue des élections. Pourtant, les médias internationaux – dont les nôtres – annonçaient, eux, le pire : campagnes de fraudes élaborées par le gouvernement, pressions et violences politiques, etc. Une nouvelle fois, il se confirme qu’il existe une distorsion problématique dans le traitement médiatique et idéologique de ce pays. En réalité, le problème le plus préoccupant venait au final de l’opposition qui avait refusé, avant l’élection, de s’engager à reconnaître les résultats, quels qu’ils soient. Cet engagement était pourtant une exigence de la délégation de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) présente sur place. Le message de la MUD était clair : « Nous reconnaîtrons les résultats si nous gagnons, pas si nous perdons ».
Désormais commence une nouvelle étape et une question est posée à la MUD, coalition d’organisations très diverses dont le programme commun s’est essentiellement résumé jusqu’ici à son rejet du gouvernement et de la Révolution bolivarienne. Que va-t-elle faire de cette victoire maintenant qu’elle est majoritaire dans cette Assemblée qui siègera du 5 janvier 2016 à janvier 2021 ? Va-t-elle privilégier la guérilla politique et juridique contre Nicolas Maduro et son gouvernement ? Chercher à l’empêcher de gouverner et de terminer son mandat ? Va-t-elle proposer des solutions concrètes aux problèmes économiques et sociaux des Vénézuéliens ? Si oui, lesquelles ? Va-t-elle conserver son unité ? Autre interrogation : le chavisme va-t-il être capable de se régénérer après cette défaite qui, à mon sens, exprime en premier lieu une sanction populaire contre la situation économique et sociale, les phénomènes de corruption et d’insécurité, etc., davantage qu’une adhésion au projet de l’opposition dont on peine à dessiner les contours.

En quoi l’expérience de la cohabitation sera-t-elle un défi pour la démocratie vénézuélienne ? Va-t-on vers une recomposition des forces politiques avec l’instauration d’un contrepoids ou bien vers une paralysie politique à travers la limitation des pouvoirs du Parlement ?
C’est assez difficile à dire car c’est la première fois depuis 1998 que la droite remporte une élection majeure. C’est un précédent. Cette forme de cohabitation n’est pas à confondre avec celle à la française, le régime politique n’ayant rien à voir. Le modèle vénézuélien est de type présidentialiste, proche du modèle américain, c’est-à-dire avec des pouvoirs assez forts du côté du gouvernement et du président. Ce dernier a toute latitude pour conserver et nommer son gouvernement, sans passer par l’Assemblée nationale. Avec une majorité simple (ou dite « absolue ») de 84 député(e)s, la nouvelle majorité a, elle, le pouvoir, par exemple, d’approuver le budget de l’Etat ou celui des dépenses de la Banque centrale, de discuter et d’approuver tout projet de loi fiscale et de crédit public. Elle a également la possibilité de mettre en place des commissions d’enquête. Elle autorise aussi, selon la Constitution, « la nomination du procureur général de la République et des chefs de missions diplomatiques permanentes ». Avec une majorité de 100 députés (majorité des 3/5e) – il lui manque un siège pour le moment -, elle peut entre autres approuver – ou pas – les lois habilitantes (ordonnances présidentielles) et voter des motions de censure contre le vice-président et les ministres. Avec 111 députés, elle dispose d’une majorité qualifiée des 2/3 et peut alors voter l’organisation d’une assemblée constituante, un projet de réforme constitutionnelle, un projet de loi organique (ou de modification des existantes). Ces initiatives sont ensuite soumises à référendum. Avec une telle majorité, la MUD peut également élire et révoquer des magistrats du Tribunal suprême de justice, du Conseil national électoral, soumettre des projets de lois à référendum populaire.
On sait que le premier projet de la MUD est de proposer une loi d’amnistie et de réconciliation pour obtenir la libération de M. Léopold Lopez, condamné à 13 ans de prison pour incitation à la violence à l’encontre du gouvernement. La Constitution donne en effet à l’Assemblée le droit de « décréter des amnisties ».
Les Vénézuéliens cherchent des solutions concrètes à la crise économique et à la gestion du modèle de développement du pays. Ce message est envoyé à la fois à l’opposition et au gouvernement. Ce sont sur ces thèmes que l’on verra dans le temps se dessiner le nouveau rapport de forces entre l’Assemblée et le gouvernement. Et se préciser la crédibilité des acteurs.

Certains affirment que la défaite du chavisme fait écho aux élections présidentielles argentines du mois de novembre. Partagez-vous ce point de vue ?
Oui, en partie. Aujourd’hui, les trois pays les plus affectés par l’importante crise économique et financière en Amérique latine sont l’Argentine, le Brésil et le Venezuela, où on assiste à des situations de récessions lourdes ou de croissance faible. Ces pays sont moteurs dans l’animation de la vie politique et géopolitique latino-américaine (notamment pour ce qui concerne l’intégration régionale). La victoire de M. Macri en Argentine est un signal qui montre qu’il y a un reflux des forces progressistes latino-américaines ou, plus précisément, de l’hégémonie de la gauche sur cette partie du continent. Cela étant, ce n’est pas la fin brutale d’un cycle qui verrait l’arrivée triomphale des oppositions de centre-droit et de droite, le processus étant plus complexe. En Argentine, M. Macri a gagné sans être plébiscité et de nombreux pouvoirs restent à l’ancienne majorité. Au Venezuela, il y a une alternance partielle dont on peut penser qu’elle débouchera sur une séquence d’instabilité politique plus forte si la polarisation de la société se confirme. Au Brésil, il y a une crise qui impacte tous les acteurs du système politique d’opposition et de majorité qui subissent un discrédit chaque jour plus grandissant. De ce point de vue, il n’y a pas véritablement d’homogénéité sur la nature de ce reflux incontestable mais complexe.

Venezuela 6 décembre, Argentine 22 novembre 2015 : alternances électorales et recompositions diplomatiques

Mon, 07/12/2015 - 17:32

L’Amérique latine peut-être, l’Amérique du Sud sans doute, est certainement à un tournant. Celui-ci est d’abord politique. Les majorités nouvelles ayant accédé au pouvoir à Caracas le 6 décembre et à Buenos Aires le 22 novembre affichent des convictions libérales et anti-étatiques. Ces dispositions contrastent avec celles nationalistes et dirigistes des équipes sortantes. Mais le tournant est aussi diplomatique. Les vainqueurs de Caracas comme ceux de Buenos Aires entendent réconcilier leurs pays avec les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon. Prendre donc une distance avec les orientations qui, ces dernières années, privilégiaient les relations Sud-Sud, pour restaurer un lien Nord-Sud.

Le renouveau politique latino-américain des années 2000 avait en effet bouleversé la donne régionale. Abandonnant les politiques économiques dites du « consensus de Washington », les majorités nationales-progressistes arrivées au pouvoir avaient inventé une diplomatie de l’autonomie. Nationalisations ou prise de contrôle directe par l’Etat de sociétés publiques, en Argentine, en Bolivie, au Venezuela, avaient donné aux gouvernements les moyens financiers de fabriquer du social. Elles leur avaient donné également la capacité de distendre les cordons ombilicaux historiques avec l’Europe et les Etats-Unis. Des réseaux régionaux avaient été créés, ALBA (Alliance Bolivarienne des peuples de notre Amérique), CALC (Sommets d’Amérique latine et de la Caraïbe), UNASUR (Union des nations d’Amérique du sud). Des alliances avaient été nouées avec d’autres continents, ASA (Amérique du sud-Afrique), ASPA (Amérique du sud-Pays arabes). Le Brésil avait consolidé des relations extra-continentales avec l’Afrique du Sud et l’Inde au sein du groupe IBAS et dans les BRIC avec les mêmes, plus la Chine et la Russie.

Ces choix diplomatiques avaient un fondement économique, la Chine. La Chine en Amérique latine comme en Afrique est devenue dans les années 2000 la locomotive du développement. Fer brésilien, cuivre chilien, pétrole vénézuélien, soja argentin, viande uruguayenne, ont alimenté la machine économique chinoise. La Chine a proposé sa coopération. Ses dirigeants ont visité à plusieurs reprises les pays de la région. Des rencontres au sommet ont été mises en place. La baisse de régime de l’économie chinoise a réduit la demande en produits primaires latino-américains. Argentine, Brésil, Chili, Venezuela sont entrés en difficulté. Quelque part le résultat des législatives argentine et vénézuélienne acte la chute d’un modèle économique, diplomatique et finalement électoral.

L’alternance globale portée par ces résultats est d’autant plus significative qu’elle vient après d’autres évènements régionaux qui en confortent la tendance. En 2014, la victoire présidentielle au Brésil de Dilma Rousseff avait été lue comme une perpétuation des années Lula. Pourtant, les législatives, qui s’étaient déroulées en parallèle, avaient réduit l’espace parlementaire du parti présidentiel, le PT (parti des travailleurs). Le parlement brésilien désormais contrôlé par de groupes d’intérêts locaux, des « lobbies » agro-industriels, des élus évangélistes, a très vite freiné puis bloqué toute les initiatives présidentielles. Ses représentants affichent ouvertement leur sympathie avec les vainqueurs des consultations argentine et vénézuélienne. Le Brésil depuis ses élections de 2014 est ingouvernable et de plus en plus perméable à l’air du temps, celui de Buenos Aires et de Caracas.

Le centre de gravité diplomatique latino-américain se déplace à l’Ouest, vers le Pacifique. En 2012 les Etats riverains de cet océan, prenant en compte leurs pesanteurs géoéconomiques et leurs orientations libérales, se sont constitués en Alliance du Pacifique. Mexique, Colombie, Pérou et Chili ont depuis consolidé leur union. A la différence du Brésil et du Venezuela, ces quatre pays ont des taux de croissance positifs. Au point d’acquérir un pouvoir d’attraction sur certains pays d’Amérique centrale et même sur l’Uruguay, pourtant membre du Mercosur (marché commun des pays du Sud, Argentine-Brésil-Paraguay-Uruguay-Venezuela). A peine élu, Mauricoi Macri, nouveau chef d’Etat argentin, a lancé l’idée d’une association Mercosur-Alliance du Pacifique.

Les Etats-Unis ont parallèlement repris la main perdue dans les années 2000. Le projet de marché commun américain, de l’Alaska à la Terre de feu, la ZLEA, avait été enterré au sommet hémisphérique de Mar del Plata (Argentine) en 2005, par Hugo Chavez, Nestor Kichner, et Lula. Les Etats-Unis ont proposé en 2015 un traité de libre-échange transpacifique aux pays riverains, Chine exceptée. Les pays de l’Alliance du Pacifique sont partie prenante du projet. Cuba, a trouvé un terrain d’entente, anticipant les évolutions économiques et électorales vénézuéliennes avec les Etats-Unis. Les relations diplomatiques rompues unilatéralement par Washington en 1961 ont été rétablies en 2015. Prenant acte de la crise financière de Petrocaribe, organisation de coopération pétrolière entre le Venezuela et les pays antillais, les Etats-Unis ont pris le relai.

Les élections argentine et vénézuélienne de cette fin d’année 2015 consolident une évolution en cours depuis plusieurs mois. La Chine, on l’a dit, est au centre de ces évolutions. Elle reste pourtant en dépit du reflux de sa demande en produits latino-américains et du ressac économique, électoral provoqué par ce repli, un acteur incontournable pour tous les pays de cette région, quelles que soient leurs options programmatiques et idéologiques. La Chine a rappelé aux vainqueurs des consultations d’Argentine et du Venezuela que la raison commerciale, économique et diplomatique du XXIe siècle, est bien loin des proclamations idéologiques de Bandoeng en 1955. Le communiqué officiel rendu public par le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères le 23 novembre 2015, au lendemain des élections argentines est de ce point de vue éclairant : « La Chine félicite ce lundi Mauricio Macri pour sa victoire (…) L’Argentine est un grand pays d’Amérique latine et une économie émergente. L’association stratégique intégrale de la Chine et de l’Argentine s’est développée de façon favorable (…) la Chine est ouverte à tout approfondissement de cette coopération (…) au bénéfice du développement mutuel des deux pays ». Une déclaration voisine a été faite le 7 décembre suivant au lendemain des législatives vénézuéliennes. « Nous espérons, a indiqué Mme Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, que vous pourrez maintenir la stabilité et le développement. La Chine est disposée à poursuivre le travail en commun, pour consolider l’amitié et élargir la coopération dans le commercer comme dans d’autres domaines ».

L’armée japonaise se féminise… à petits pas

Mon, 07/12/2015 - 12:45

Le Japon a de grandes ambitions sous le mandat du Premier ministre Shinzo Abe et notamment de redonner du poids et des moyens à son armée.

Mais à moyen terme si rien ne change, « le Japon sera sans doute contraint, dans le même temps, de réduire son armée : avec une cohorte de seulement 10 millions d’hommes de la tranche 20 à 40 ans en 2050, il ne pourra pas maintenir ses forces au niveau actuel », comme l’expliquait une note dès 2008.

Au Japon, où le nombre d’hommes âgés de 18-26 ans éligibles était de 900 000 en 1994 ; ce nombre sera ramené à environ 600 000 au cours des prochaines années, et la conscription ne sera pas une solution possible en raison des restrictions constitutionnelles, souligne la revue militaire Res Militaris.

La solution serait d’augmenter la part des femmes dans les forces armées japonaises. Cela correspondrait aussi au vœu plus général de Shinzo Abe de renforcer la place des femmes dans le marché du travail et la société japonaise.

« L’embauche des femmes a beaucoup de sens », a déclaré récemment au magazine Quartz Robert Dujarric, directeur de l’Institut des études asiatiques contemporaines à l’université Temple à Tokyo.
« Chaque armée moderne élargit les possibilités pour les femmes. Et depuis que le Japon tombe dans l’oubli démographique, trouver de jeunes hommes va être difficile… ».

Lente ascension

Après la Seconde guerre mondiale, les femmes ont d’abord été admises comme infirmières dans la nouvelle force armée japonaise. En 1967, elles ont été autorisées à des postes administratifs dans les forces terrestres, et en 1974 dans les forces aériennes et maritimes. Le premier ministre Tanaka Kakuei a initié une législation pour ouvrir d’autres postes pour les femmes à l’écart des métiers de combat « en ligne avec leur nature ! » (sic).

Cette première ouverture aux femmes a été largement motivée par la pénurie de main-d’œuvre au Japon et étant donné les réalités complexes des relations entre civils et militaires de la guerre froide dans un État où l’armée en tant qu’institution a été discréditée, et les soldats traités avec mépris et méfiance, les politiques militaires ont été largement ignorées et considérées comme non pertinentes par la société…

Rôle encore limité

Mais ce qui a stimulé les politiques actuelles des FAD par rapport aux femmes a été la ratification
de la Convention de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) en 1986 et l’adoption d’une loi sur l’opportunité d’emploi civil égal (Civilian Equal Employment Opportunity Law, EEOL).

Ce projet de loi spécifique a forcé les FAD à ouvrir leurs portes. En 1993, les trois forces armées ont commencé à recruter des femmes, et elles ont été inscrites dans l’Académie de défense nationale en 1992. Leurs « débuts » internationaux sur le terrain datent de 1996 quand des femmes ont été déployées dans des unités de transport de troupes des opérations de maintien de la paix dans les hauteurs du Golan. Elles ont aussi été déployées au Timor oriental et plus récemment en Irak.

Selon une décision du ministère de la Défense de 2008, les femmes sont en principe autorisées dans tous les positions. Pourtant, la liste des exceptions à la règle reste impressionnante. Ces mesures d’exception reposent « sur un examen complet de la protection de la maternité, de la possibilité de combat direct, de la sécurisation de la vie privée entre les hommes et les femmes, et de l’efficacité économique » !

Les FAD se réservent le droit de révoquer ou suspendre d’autres missions si ces conditions ne sont pas remplies. Heureusement, les dernières restrictions levées par le Bureau pour la promotion de l’égalité des sexes du ministère de la Défense ont ouvert des postes aux femmes sur des frégates, des navires dragueurs de mines, et des hélicoptères de patrouille.

Mais alors que 14 000 (5,4 %) des 259 800 personnel en uniforme qui servent dans les forces d’autodéfense japonaises (FAD) sont des femmes, leur rôle reste clairement plutôt limité.
Par comparaison, elles sont 14 % dans les forces américaines et 11 % en Allemagne.

Et aux Etats-Unis, les choses évoluent très vite. Au même titre que les hommes, des femmes « pourront conduire des chars d’assaut », « mener des soldats d’infanterie au combat », ou bien être membres des forces spéciales comme les Bérets verts ou les Navy Seals, a expliqué jeudi 3 décembre le secrétaire à la Défense américain Ashton Carter dans une conférence de presse au Pentagone.

Au Japon, en revanche, les femmes sont souvent encore décrites comme des « beautés féminines en uniforme ». L’année dernière, les FAD ont embauché Azusa Yamamoto, une mannequin habituée aux bikinis, qui a posé en costume militaire pour son calendrier 2014 pour prétendument « relever le moral » des troupes !

Cette focalisation exagérée sur la féminité des femmes japonaises, leur pureté et leur « maternité » ne servent qu’à souligner les valeurs traditionnelles qui sanctifient la maternité et mettent l’accent sur l’obligation des femmes à procréer plutôt qu’à défendre la nation. Il s’agit donc d’un problème culturel et il reste à voir si le gouvernement japonais va chercher à supprimer à la fois barrières sociales et institutionnelles aux femmes dans les FAD ou s’il va continuer à mettre l’accent sur le rôle « approprié » de chaque sexe et de promouvoir l’image traditionnelle de la femme comme une victime faible ayant toujours besoin d’un « Protecteur mâle ».

Un rapport récent du gouvernement japonais affirme que la culture du travail nippone, dominé par des codes masculins, doit s’adapter afin de refléter son époque. Le modèle selon lequel les hommes travaillent de longues heures pendant que les femmes restent au foyer est obsolète.

Point positif, le ministère de la Défense a quadruplé son budget marketing à un niveau encore modeste de 200 millions de yens (1,6 millions de dollars) en 2015 (voir pages 24 et suivantes du document budgétaire : « Promouvoir des mesures pour soutenir davantage l’engagement de personnel féminin ») pour des publicités à la télévision et à la radio, des vidéos en ligne, des visites de campus, des bannières publicitaires pour les trains, et d’autres méthodes diverses pour convaincre plus de jeunes hommes et de femmes à rejoindre l’armée. La proposition de budget pour l’année 2016 ajoutera encore 100 millions de yens.

Dès 2015, différentes mesures ont été prises dans le budget de la défense pour améliorer la condition des femmes, par exemple pour « remettre en état les installations de baignade des femmes à l’école de formation des officiers de la Force d’auto-défense terrestre » ou encore « 20 millions de yens pour le développement de la formation, etc., pour l’éveil de la conscience, l’élimination de la mentalité traditionnelle des rôles entre les sexes dans le milieu de travail… ».

Lentement, le changement arriverait-il dans l’empire du Soleil levant ?

COP21 : le point au cinquième jour de négociations

Fri, 04/12/2015 - 12:30

La COP21, rendez-vous crucial des négociations internationales sur le dérèglement climatique, a débuté lundi 30 novembre.

Cette première journée a été marquée par une mobilisation sans précédent et la venue sur le site du Bourget, qui accueille la conférence, de 150 chefs d’Etat et de gouvernement. Ils se sont succédé à la tribune dans le cadre d’interventions limitées à trois minutes (durée qu’aucun dirigeant n’a respecté), dans les salles plénières Loire et Seine, rappelant les enjeux de la conférence et les positions de leur pays dans les négociations. Ce premier exercice a confirmé les lignes de clivage existantes. Barack Obama a ainsi pris soin de ne pas prononcer le terme contraignant dans son allocution, ce à quoi l’on s’attendait après les déclarations de John Kerry début novembre. Très attendu, le Premier ministre indien Narendra Modi a pour sa part réaffirmé son attachement aux principes d’équité et de responsabilité commune mais différencié, insisté sur la nécessité d’un engagement ambitieux et sincère des nations développées, tout en rappelant que nous avions encore besoin des énergies conventionnelles. La Chine, sur la même longueur d’onde, a souligné son engagement dans la transition énergétique et insisté sur l’importance de la lisibilité des engagements financiers post 2020 des pays développés.

Les pays de l’ALBA, par la voix de Rafael Correa (Equateur) et Evo Morales (Bolivie), ont pour leur part pointé du doigt la responsabilité du système capitaliste dans la dégradation générale de notre environnement, tout en demandant, entre autres, que les technologies bas carbone deviennent des biens communs de l’humanité ou encore que soit constituée une Cour internationale de justice environnementale arguant que si la dette économique devait être remboursée, il n’y avait aucune raison pour que la dette écologique fasse exception.

Les pays africains tels le Niger ou l’Afrique du Sud, conscients de leur vulnérabilité car déjà concernés par les impacts du dérèglement climatique, ont insisté sur la nécessité de renforcer la prise en compte des questions d’adaptation, et ne pas faire l’erreur de se concentrer sur les seuls objectifs de réductions des émissions (atténuation).

Les Etats y sont également tous allés de leur définition de l’accord souhaité, qualifié, entre autres et selon les orateurs, de « global », « ambitieux », « équitable », « contraignant », « transparent », « souple », « équilibré », « juste », « pérenne », « différencié », « progressif », « solidaire ».

Au final, peu de surprise lors de cette journée d’ouverture si ce n’est l’agitation et un certain désordre liés à la présence d’une telle délégation de dirigeants.

Les négociations ont réellement débuté dès lundi soir où se sont tenus les premières sessions, avec pour objectif, pour les deux cochairs, de proposer à la présidence française de la CCNUCC, et donc à Laurent Fabius, une première version du texte dès le samedi 5 décembre à midi. Toutefois, les discussions continuent, comme prévu, d’achopper sur plusieurs points (caractère contraignant, progressif de l’accord, financement). Ce démarrage poussif a aussitôt fait l’objet de critiques du ministre des Affaires étrangères français et des ONG, la crainte du syndrome de Copenhague étant dans tous les esprits. Les blocages ont été constatés dès le jeudi 3 décembre avec la diffusion d’une première version du pré-texte sur le site de la CCNUCC, qui rassemblait encore trop de crochets (1400), donc trop d’options (250) de pages (50) selon le décompte de la Fondation Nicolas Hulot. Un consensus semblerait se faire jour autour de la question du caractère évolutif de l’accord, dont les objectifs de réductions d’émissions pourraient être révisés tous les cinq ans. Il faudra attendre la semaine prochaine pour le vérifier.

Des annonces encourageantes ont été proférées : constitution d’une Alliance solaire internationale avec un objectif d’investissement de 1000 dollars d’ici 2030 pour développer les capacités de production d’électricité à partir du solaire, dans les pays en développement ; des engagements financiers supplémentaires du Canada, de la Suisse, de l’Allemagne, du Royaume-Uni ; la création par la Chine d’un fonds chinois de coopération Sud-Sud ; le lancement d’une coalition pour le leadership en matière de tarification du carbone ; plusieurs déclarations de différents acteurs annonçant leur volonté de retirer leurs investissements dans les énergies fossiles. Ces dispositions devront toutefois faire l’objet d’un suivi.

Si l’on ne peut que se satisfaire des multiples initiatives ambitieuses et intéressantes et du foisonnement de rencontres et d’échanges, plutôt stimulants, les incertitudes persistent sur les principaux points de blocage de la négociation, et rien ne permet pour l’heure de tabler sur leur véritable dépassement d’ici le 11 décembre. S’il ne faut pas attendre de la COP21 qu’elle règle l’ensemble des problématiques liées au changement climatique, elle doit être le rendez-vous des engagements et des volontés et envoyer un signal tangible, tracer une trajectoire, donner une direction et une impulsion. Manquer cette opportunité de signer un accord global, significatif même sans être réellement contraignant, serait un réel échec.

La responsabilité de protéger – 3 questions à Jean-Baptiste Jeangène Vilmer

Fri, 04/12/2015 - 10:52

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, juriste et docteur en science politique et en philosophie, est enseignant à Sciences Po et titulaire de la chaire d’études sur la guerre du Collège d’études mondiales. Il répond à mes questions à l’occasion de son dernier ouvrage « La responsabilité de protéger », paru aux éditions PUF dans la collection « Que sais-je ? ».

La responsabilité de protéger (R2P) permet-elle de n’être pas limité au choix de l’inaction face à l’inadmissible et de l’ingérence, politique de puissance déguisée en choix moral ?

Exactement. L’enjeu est de sortir du faux dilemme entre ne rien faire et faire obligatoirement usage de la force armée. Ces deux extrêmes étalonnent le débat mais il y a entre eux de nombreux paliers, sur lesquels insiste la R2P.

Depuis 2009, celle-ci est organisée en trois piliers. Le premier, qui consiste dans la responsabilité permanente incombant à l’Etat de protéger ses populations, implique notamment le renforcement et la mise en œuvre des instruments juridiques (adhésion aux traités, élaboration d’une stratégie nationale, etc.). Le deuxième, qui consiste dans l’engagement pris par la communauté internationale d’aider les États à s’acquitter de ces obligations, implique de la diplomatie préventive, des mesures incitatives, un renforcement de la capacité des États et de l’assistance en matière de protection. Le troisième pilier affirme qu’en cas de défaillance de l’État, la communauté internationale peut répondre à la crise par différents moyens, tels que la pression politique, la médiation et, enfin, la coercition. Cette dernière peut encore s’exprimer de différentes manières, comme des sanctions ou la saisine de la Cour pénale internationale, avant d’en venir à l’usage de la force armée qui, elle-même, connaît plusieurs degrés.

On voit donc à quel point le réductionnisme « R2P = intervention militaire », pourtant très courant, est faux ! Pour la R2P, l’intervention militaire n’est certes pas exclue, mais elle n’est que le dernier recours de son troisième pilier. L’amalgame « R2P = ingérence », populaire en France, est encore plus faux car l’ingérence est une immixtion sans titre, c’est-à-dire une intervention illégale, alors que la R2P, lorsqu’elle implique une intervention armée en dernier recours, requiert l’autorisation du Conseil de sécurité.

L’intervention en Libye n’a-t-elle pas sonné le glas de la responsabilité de protéger, par un changement de mission en cours de route ?

Premièrement, je ne crois pas que le mandat initial ait été dévoyé. On lit partout que la résolution 1973 n’autorisait qu’à mettre en place une zone d’exclusion aérienne pour protéger Benghazi, sans aucune troupe au sol, et qu’elle a été détournée au profit d’un changement du régime. Pourtant, que dit le texte ? Avant même de parler de la zone d’exclusion aérienne (§6-12), il autorise les intervenants « à prendre toutes mesures nécessaires (…) pour protéger les populations et les zones civiles (…) tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère » (§4). Il s’agit donc d’une autorisation générale, dont la zone d’exclusion aérienne n’est que l’une de ses mesures et non la seule, pour protéger les populations où qu’elles se trouvent, et qui n’exclut pas toute troupe au sol mais seulement une force d’occupation (pour éviter une dérive à l’irakienne), ce que les forces spéciales ne sont pas.
Ceux qui estiment que les intervenants ont débordé le mandat de la résolution 1973 en Libye doivent en outre répondre à la question suivante : était-il possible de « protéger les civils » sans renverser Kadhafi, alors qu’il était la principale menace qui pesait sur eux ? Il faut ici distinguer clairement les objectifs des moyens : le changement de régime n’était effectivement pas autorisé comme un objectif dans la résolution 1973, mais rien ne permet de dire qu’elle l’excluait comme moyen ultime, c’est-à-dire comme l’une des « mesures nécessaires » pour protéger les civils. Les bombardements avaient pour but d’affaiblir le régime puisque c’est lui qui menaçait les civils. Ce n’est pas parce que cet affaiblissement a précipité sa chute que l’on peut en déduire que l’objectif initial était de le renverser. Tout cela bien entendu n’excuse en rien l’impréparation des intervenants à la gestion de l’après, et l’échec de la communauté internationale à gagner la bataille de la reconstruction.

Deuxièmement, je ne crois pas non plus que l’intervention en Libye ait tué la R2P. Elle a réveillé des questions que l’insistance sur la prévention avait endormies les années précédentes, et qui sont les problèmes structurels classiques de toute intervention : la temporalité (savoir quand commencer et où s’arrêter), l’effet positif (contrefactuel, donc impossible à prouver), la motivation (la relation entre la morale et les intérêts), la sélectivité (accusation de « deux poids, deux mesures ») et la transition (gagner la paix). Le relatif échec la R2P en Libye est celui de la responsabilité de reconstruire.

En 2011 et 2012, on pouvait trouver un relatif « effet libyen » dans les diplomaties, qui s’est traduit par une réticence de certains États, même défenseurs du concept, à l’utiliser pour ne pas effrayer leurs partenaires. L’intervention avait rendu la R2P toxique. Mais cela n’a pas duré et, avec le recul, on peut désormais conclure que ni l’intervention en Libye ni celle en Côte d’Ivoire – qu’on a accusé des mêmes maux au même moment – n’ont discrédité le concept.

La preuve en est que la R2P poursuit sa croissance. Elle n’est pas moins mais beaucoup plus invoquée par le Conseil de sécurité depuis la Libye (4 résolutions entre 2005 et 2011, contre 30 depuis 2011). Les participants au débat annuel de l’Assemblée générale sont chaque année plus nombreux (44 en 2010, 46 en 2011, 59 en 2012, 70 en 2013, 81 en 2014, 89 en 2015). De plus en plus d’États ont des « centres de liaison » (focal points) de la R2P pour intégrer la prévention dans leurs politiques intérieure et étrangère (en août 2015, le Rwanda était le cinquantième à rejoindre ce réseau). Dix ans après son adoption par l’Assemblée générale, la R2P fait l’objet d’un relatif consensus sur ce qu’elle est et sur le fait que les États ont cette responsabilité. C’est la question de savoir comment la mettre en œuvre qui reste controversée, en particulier lorsqu’elle implique des mesures coercitives comme l’a montré l’affaire libyenne, mais la crise de 2011 n’a pas remis en cause la croissance globale de la R2P.

La responsabilité de protéger a-t-elle un avenir ?

Malheureusement oui, dans la mesure où les crimes qu’elle entend couvrir (génocide, crime contre l’humanité, nettoyage ethnique et crime de guerre) ne sont pas prêts de disparaître. On peut bien sûr la trouver insuffisante, voire impuissante. Après tout, elle n’est jamais qu’un appel politique, et devrait le rester : il n’y a pas d’obligation juridiquement contraignante d’intervenir pour prévenir ou mettre fin à ces exactions. Elle dépend donc de la volonté politique des États et c’est sa principale faiblesse. Mais elle a tout de même réussi, en une quinzaine d’années, à se diffuser et façonner des attentes sur la manière dont le Conseil de sécurité devrait répondre aux atrocités de masse.

Cela ne veut pas dire qu’il le fait toujours, comme en témoigne le cas de la Syrie, mais l’indignation suscitée confirme que la R2P est bien une norme. La R2P est une obligation de comportements, pas de résultats. Elle est une responsabilité d’essayer, pas de réussir. Ce qui signifie que les échecs de la R2P ne sont pas des preuves de son inexistence en tant que norme.
Il y a toujours eu et il y aura toujours des interventions. La R2P peut ambitionner de les fonder davantage sur des critères préétablis, multilatéraux et consensuels. Une chose est sûre cependant : la concurrence des préoccupations, dans un contexte où les moyens sont limités et affectés prioritairement à des questions sécuritaires, économiques et diplomatiques que les gouvernements considèrent plus pressantes, fait que les États continueront de répondre aux atrocités au cas par cas, en fonction des circonstances et des intérêts en jeu. Autrement dit, la R2P se heurtera toujours à la volonté politique des États, dont toute action dépend.

De quoi Poutine est-il le nom ?

Fri, 04/12/2015 - 09:18

Dans son célèbre ouvrage Tolstoï ou Dostoïevski, paru en 1960, l’éminent critique littéraire de Cambridge George Steiner soulignait que pour connaître le secret du cœur d’un homme ou d’une femme, il suffisait de lui demander lequel des deux auteurs avait sa préférence, tant il est vrai que chacun des deux géants de la littérature russe incarnait une vision du monde et offrait une interprétation de la politique, de l’histoire et de la condition humaine radicalement différente de celle de l’autre.

Spécialiste de Tolstoï à l’université de Virginie, Andrew Kaufman a soutenu plus récemment dans The Daily Beast que Vladimir Poutine, qui apprécie les deux écrivains, a malheureusement privilégié la tradition de Dostoïevski, celle de la croyance en un exceptionnalisme russe, porteur d’une mission de régénération et d’unification du monde slave, plutôt que la tradition humaniste et universaliste de Tolstoï, embrassant la diversité du monde par-delà les différences de culture, de nationalité ou de religion.

Si seulement Poutine avait adopté la vision de Tolstoï, nous dit Kaufman, il aurait sauvé son âme et la situation géopolitique de la planète serait bien différente. Chez Tolstoï, aucun nationalisme cocardier, aucun roulement de tambour, aucun triomphalisme messianique, mais un patriotisme respectueux de l’égalité et de la dignité des peuples.

Pour lui, et c’est d’ailleurs là la grande leçon de Guerre et Paix, la force vient de l’humilité et non pas de l’hubris, de la grande fraternité de l’esprit plutôt que d’une volonté de s’imposer brutalement aux autres, de la résistance digne face à l’adversité plutôt que du renoncement aux valeurs morales. Tolstoï avait compris qu’en jouant les matamores, en faisant étalage de ses muscles et de sa virilité machiste, on allait au-devant de bien des déconvenues et qu’on plantait en fait les germes de sa propre destruction.

Comme l’a montré l’historien Paul Kennedy, dans toute l’histoire des empires, on retrouve une constante : l’hubris entraîne la surextension (imperial overstretch), qui elle-même provoque le déclin. Si l’Amérique est aujourd’hui contrainte de se retrancher temporairement et de se recentrer sur ses problèmes intérieurs, c’est également parce qu’une croyance béate en l’exceptionnalisme américain et un nationalisme chauvin (jingoism) l’avaient conduit, sous l’administration Bush-Cheney, à surestimer ses forces et à s’embourber dans des guerres aussi inutiles que destructrices pour son image, ses finances publiques et sa stature internationale. La blessure du 11 Septembre avait conduit l’Amérique à plonger tête baissée dans le piège tendu par Ben Laden. Le maximalisme et la bien mal pensée « guerre globale contre le terrorisme » ont eu pour effet d’approfondir les lignes de faille et de démultiplier les situations de chaos sur lesquels le terrorisme prospère.

C’est aussi une blessure narcissique profonde, celle de l’humiliation des années Eltsine, qui fait naître aujourd’hui un revanchisme russe dont nous voyons les conséquences en Ukraine et en Syrie. Dans un Moyen-Orient qui a souffert des interventions occidentales irréfléchies, beaucoup voient le retour de la Russie comme un nécessaire rééquilibrage, qu’ils accueillent favorablement. Mais n’est-on pas en train de répliquer un même schéma pernicieux qui depuis le XIXe siècle fait de cette région un éternel champ d’affrontement des puissances ?

De quoi Poutine est-il le nom ? Du retour en force, sur la scène internationale, d’un nationalisme intransigeant, d’un autoritarisme débridé, d’une volonté, au nom du refus de l’humiliation, de faire étalage d’une puissance surjouée, peut-être pour masquer la crainte d’une impuissance réelle, liée à un affaiblissement structurel, démographique et économique de la Russie. À court terme, les politiques musclées de Poutine, son pragmatisme froid, son réinvestissement de l’espace eurasiatique, son bras de fer psychologique avec l’Occident peuvent engranger des résultats spectaculaires, mais il y a fort à parier qu’elles ne finissent à moyen terme par susciter un retour de bâton dont la Russie ne manquerait pas de payer le prix.

Entre-temps, le poutinisme triomphe, non seulement en Russie, mais sur la scène internationale, où percent un peu partout des hommes dont le tempérament répond aussi à plusieurs des critères que Theodor Adorno avait notés dans ses Études sur la personnalité autoritaire. Confrontés à des crises géopolitiques, économiques, identitaires, les populations recherchent désespérément des hommes forts et des postures viriles, certains sociologues parlent même de « demande despotique ». Shinzo Abe au Japon, Narendra Modi en Inde, Erdogan en Turquie, et à leur manière Donald Trump aux États-Unis ou Sarkozy et Valls en France, s’efforcent de répondre à cette soif d’autorité, avec maints effets de manche et coups de menton, qui à défaut de faire avancer le schmilblick, viennent donner aux populations apeurées l’illusion que dans un océan qui tangue, il y a un capitaine à la barre, fut-il un fier à bras égocentrique sans la moindre vision d’avenir.

Russie-Turquie : une guerre diplomatique ?

Thu, 03/12/2015 - 17:04

Après la destruction par les Turcs d’un bombardier russe le 24 novembre, les représailles économiques russes s’intensifient envers la Turquie. Quelles sont-elles et quel impact cet affrontement indirect a-t-il sur la relation russo-turque ?
Il y a d’abord l’embargo décrété par la Russie, qui doit prendre effet à compter du 1er janvier sur les produits agricoles turcs : volailles, fruits, légumes, certains condiments et épices. Mais comme l’a rappelé Vladimir Poutine, « la Turquie ne perdra pas que des tomates ». Des restrictions vont être mises en place pour l’embauche de travailleurs turcs sur le marché russe, envers les sociétés turques du secteur du transport, tandis que les entreprises turques du bâtiment devront obtenir l’aval des autorités russes pour décrocher tout nouveau contrat dans le pays en 2016. Les Turcs désirant se rendre en Russie vont de nouveau être obligés de demander un visa, dont ils étaient jusqu’ici exemptés. Enfin, la Russie a appelé ses ressortissants en Turquie à quitter le pays et a suspendu les vols charters entre les deux Etats afin de tarir la ressource du tourisme russe en Turquie, où se rendent chaque année entre 3 et 4 millions de ressortissants. Mais on peut aussi imaginer que ces sanctions aillent plus loin, comme la Russie le laisse entendre. On sait que les Russes, consécutivement à la décision européenne de les sanctionner dans le cadre des évènements d’Ukraine, ont décidé d’annuler en décembre 2014 le projet de gazoduc South Stream, qui devait relier la Russie aux Balkans via la Mer Noire, pour lui substituer un gazoduc aboutissant en Turquie, TurkStream. Or, la Russie vient de rompre les négociations avec la Turquie. Et alors que de plus en plus d’Européens souhaitent la fin de la politique de sanctions vis-à-vis de la Russie, Manuel Valls s’est récemment prononcé dans ce sens récemment à l’Assemblée nationale dans le cadre de la constitution d’une grande coalition contre l’Etat islamique avec la Russie. On ne peut exclure que ce qui a été annulé il y a un an entre les Russes et leurs partenaires européens soit remis au goût du jour. Il est certain, quoi qu’il en soit, qu’à l’heure où la Turquie irrite nombre d’Etats, son double jeu vis-à-vis de l’Etat islamique étant connu de tous, Ankara aurait mieux fait de ne pas abattre cet avion. Son isolement va sans doute s’en trouver sensiblement accentué.

L’accusation de la part de Moscou de l’implication de la Turquie dans le financement de Daech est-elle fondée ? Cette situation va-t-elle compliquer les efforts de coalition internationale contre l’Etat islamique ?
L’Etat islamique vend bel et bien son pétrole à la frontière de la Turquie et les autorités turques ferment les yeux sur la noria de camions-citernes circulant entre leur territoire et les zones contrôlées par l’EI. La Turquie est ainsi complice des terroristes dans la mesure où si elle décidait de fermer hermétiquement sa frontière, elle serait en mesure de très vite tarir la majeure partie des sources de revenus de l’EI. Par ailleurs, Ankara ferme aussi les yeux sur les combattants qui gagnent la Syrie depuis son territoire. Donc les déclarations de Vladimir Poutine sont parfaitement fondées. Quant à la coalition contre l’Etat islamique, il est difficile de la monter avec des pays qui ne veulent pas combattre ce dernier. On a beaucoup reproché à la Russie de ne pas limiter ses frappes à l’EI. Mais, selon certaines estimations, les Turcs frappent en moyenne sept fois plus les Kurdes, nos alliés, que les troupes de l’EI… La Turquie sert de base de départ pour des attaques américaines contre l’EI, ouvre son espace aérien aux appareils français bombardant l’EI depuis le Charles de Gaulle, mais se garde bien, elle, de trop précipiter la fin de ceux qu’il faut bien appeler ses protégés.

Lors de la rencontre diplomatique entre Hollande et Poutine, quels ont été les points d’accord sur la coopération franco-russe dans la lutte contre Daech ? Comment la Russie vit-elle son « retour en grâce » sur la scène diplomatique ?
Il s’agit d’échanges de renseignement entre services, de coordination sur le terrain entre forces russes et françaises. Quant à un « retour en grâce » de la Russie sur la scène diplomatique, l’expression me semble mal choisie. En premier lieu parce que la Russie n’a jamais été isolée sur cette dernière. Lorsqu’on l’a dite mise au ban de la communauté internationale, on sait bien que cette dernière, pour ceux qui emploient cette expression, ne désigne que les Etats-Unis et leurs alliés de l’Union européenne, soit un peu plus de 12% de la population mondiale. Par ailleurs, ce n’est pas Vladimir Poutine qui est venu à Paris demander l’aide des Français, c’est François Hollande qui est allé à Moscou demander l’aide de la Russie. La diplomatie française a ainsi effectué un virage à 180 degrés, en souhaitant une coopération franco-russe dont on ne voulait pas entendre parler auparavant, voire une coordination sur le terrain contre Daech avec les forces de Bachar al-Assad, option que Laurent Fabius a proposé mais a de toute évidence beaucoup de mal à endosser compte tenu du revirement complet auquel il se trouve contraint par rapport à ses précédentes prises de position. Les autorités russes, dans ce cadre, doivent donc discrètement jubiler.

Dopage et corruption : quelles sont les conséquence de ce lundi noir sur l’athlétisme mondial ?

Thu, 12/11/2015 - 11:20

Le scandale de corruption au sein de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) est-il une surprise ? Est-il encore plus dévastateur que celui de la Fifa ?
Plusieurs éléments doivent être distingués. D’une part, la révélation de dopage n’est malheureusement pas une surprise, dans une discipline où de nombreux cas ont été révélés depuis les années 1990. L’affaire Balco en 2003 – au cours de laquelle plusieurs grandes stars américaines, comme Marion Jones ou Tim Montgomery avaient été suspendus – est le dernier coup de tonnerre en date.
En revanche, et ce qui surprend dans ce nouveau scandale, c’est indéniablement l’ampleur de la manipulation qui aurait été organisée. Ainsi, au cours de la conférence de restitution du rapport de la commission indépendante de l’AMA (composée de Richard Pound, Richard Mc Laren et Gunther Younger), le 9 novembre, Dick Pound n’a pas hésité à parler de la mise en place d’un système de dopage systématisé, impliquant tout à la fois les autorités sportives, mais aussi les services secrets russes, le FSB. Si le rapport vise particulièrement la Russie, la Commission précise qu’il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg et que d’autres pays étaient impliqués. Sont ainsi cités le Kenya, le Maroc ou la Turquie.
Ce dopage, d’ampleur nationale, nous ramène à des pratiques existantes dans le domaine du sport au cours de la guerre froide, où la course aux médailles était devenue un enjeu de puissance et les compétitions sportives le prolongement de l’opposition entre Est et Ouest. Les contrôles effectués lors des compétitions, ainsi que l’ouverture d’archives, notamment celles de la RDA, de l’URSS mais aussi de la RFA, avait permis de constater la mise en place d’un dopage d’État. Avec la multiplication des révélations, de la prise de conscience des risques sur la santé, mais aussi de la montée en puissance de la lutte anti-dopage depuis la fin du XXe siècle, on pensait avoir vu disparaître ces pratiques.
S’il s’agit de corruption sportive, on ne peut la comparer au scandale qui secoue la FIFA, l’échelle étant totalement différente. Dans un cas, la corruption ne concerne que certaines personnes, principalement à sa tête ; dans l’autre, il semblerait que ces pratiques touchent absolument tous les niveaux, à la fois des athlètes, des entraîneurs, de la fédération nationale d’athlétisme mais aussi la fédération internationale. Chose inédite, la fédération nationale allait même jusqu’à faire chanter ses propres athlètes. La Commission indépendante dénonce un système, tournant vraisemblablement autour de Lamine Diack, ancien président de la fédération d’athlétisme, qui a quitté son poste en 2015, directement impliqué et mis en examen la semaine dernière ainsi que deux de ses fils. Dans le cas de l’athlétisme, il s’agit de l’intégrité même du sport et de la compétition qui est menacée. Dick Pound n’a ainsi pas hésité à déclarer que les « Jeux de Londres avaient été sabotés par ce dopage ». On ne peut donc pas comparer ces deux types de corruption, à la fois dans leur nature, et dans leur ampleur.

Quelles conséquences ce scandale pourrait-elle avoir sur la Fédération d’athlétisme de Russie ? Pourrait-elle se voir priver des Jeux olympiques l’an prochain ?
C’est une question qui a été tout de suite posée lors de la conférence de presse. Les conséquences, sportives et politiques, seront assurément très importantes. D’un point de vue sportif, la commission indépendante d’enquête a recommandé à la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) de suspendre à vie certains entraîneurs et athlètes, mais aussi de suspendre le laboratoire de contrôle anti-dopage pour lequel il a été démontré qu’il y avait eu des malversations et destructions de preuves. En outre, la Commission a aussi demandé la suspension de la fédération russe d’athlétisme de toutes les compétitions sportives, et donc, notamment pour les Jeux olympiques. Cette requête a été bien prise en compte par l’IAAF qui a aussitôt demandé à la fédération russe de rendre des comptes avant la fin de la semaine. Pour Dick Pound, il considère « qu’une participation aux Jeux Olympiques de Rio ne sera possible qu’au prix d’une remise en ordre rapide et crédible de leur fédération ». Par ailleurs, le conseil de la fédération internationale d’athlétisme doit se réunir les 26 et 27 novembre à Monaco. En outre, ces révélations remettent en cause les performances russes lors des dernières compétitions, notamment les championnats du monde d’athlétisme de 2013 et les Jeux olympiques de Londres en 2012.
D’autre part, les conséquences de ce scandale seront éminemment politiques puisque cela touche non seulement directement la Fédération et le Comité national olympique russe qui, rappelons-le, est extrêmement puissant sur la scène sportive internationale et donc, influent politiquement. En outre, compte tenu de la situation géopolitique actuelle, la Russie se trouve, une nouvelle fois, pointée du doigt, voire mise au ban, accusée d’avoir manipulé des compétitions. A la suite de la publication des conclusions de la commission indépendante, Vladimir Poutine a appelé à une collaboration avec les autorités sportives internationales, tout en souhaitant voir les autorités nationales mener une enquête interne, signe d’une volonté d’apaisement.

Le dopage organisé concerne-t-il d’autres pays ? Quel rôle va jouer Interpol dans cette affaire de corruption présumée liée au dopage ?
Le rapport de la commission indépendante portait principalement sur la Russie en décrivant le système institutionnalisé et démontrait que les autorités, sportives comme politiques, ne pouvaient pas ne pas être au courant. Toutefois, d’autres pays ont été cités comme la Turquie, le Kenya ou le Maroc, non seulement en matière d’athlétisme mais aussi dans d’autres sports comme la natation, le ski de fond ou l’aviron.
Concernant Interpol, il va coordonner l’enquête internationale, opération Augeas, dont l’objectif va être de travailler avec les pays membres concernés. Il a notamment été fait mention de Singapour qui pourrait avoir été au centre de cette affaire. En parallèle de l’enquête internationale lancée contre Lamine Diack, des accusations de corruption passive, active, de blanchiment de fond et d’association de malfaiteurs ont été formulées. Interpol intervient logiquement dans cette affaire, compte tenu de l’accord de coopération signé entre l’AMA et Interpol en 2009 pour lutter contre le dopage et la corruption.

L’impasse de la stratégie de déni d’Al-Sissi

Tue, 10/11/2015 - 14:30


Entretien avec Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, autour de l’impasse de la stratégie de déni du président égyptien Al-Sissi.

Le « Balardgone » : quel impact sur la politique de défense de la France ?

Mon, 09/11/2015 - 16:46

François Hollande a inauguré le nouveau siège du ministère de la défense à Balard, surnommé le « Pentagone à la française ». Que cela va-t-il changer dans la politique de défense et la gestion des armées ?
En termes de politique de défense et de gestion des armées, cela ne doit normalement pas changer grand-chose. Cependant, deux aspects sont attendus. Premièrement, il s’agit de réaliser des économies. On se souvient qu’il y a eu des interrogations et des débats relatifs à ce contrat sous forme de partenariat public/privé et donc sur l’économie réelle pour le ministère de la Défense. Le regroupement du ministère de la Défense sur le site de Balard va lui permettre de revendre certaines emprises qui étaient au centre de Paris, et permettre des rentrées financières. Le second avantage attendu est de recentrer sur le même lieu tous les services centraux du ministère. En effet, avant l’inauguration du « Balardgone », les services étaient éclatés dans Paris et en région parisienne. Or ces services ont besoin de travailler ensemble. En termes d’efficacité, on doit attendre une bien meilleure intégration de la politique de défense concernant les décisions prises au niveau du ministère. Le grand intérêt est donc avant tout l’unité de lieu.

On assiste à une multiplication des interventions françaises sur des théâtres extérieurs, représentant un coût estimé à 1,128 milliards d’euros pour 2015. Pour autant, la France a-t-elle les moyens de ses ambitions ? Les armées françaises ne sont-elles pas en train de s’épuiser ?
Il y a effectivement un risque d’épuisement étant donné le nombre actuel d’opérations extérieures. François Hollande a été élu sur le retrait des troupes en Afghanistan, ce qui a été fait, et un budget d’opérations extérieures qui devait diminuer. Dans le budget de la défense, ces opérations extérieures sont provisionnées à hauteur de 450 millions d’euros, contre 650 millions auparavant. Au vu du coût estimé en 2015, il s’agit là d’un doublement voire d’un triplement. Ceci est lié à la menace terroriste qui justifie nos opérations au Mali, en Irak puis en Syrie. Si nous prenons l’exemple du Mali, nous avons réussi à stopper en 2013 l’avancée des différents groupes menaçant Bamako, donc à réduire leur menace. Toutefois, celle-ci s’est en partie reconstituée et il y a maintenant une liaison avec le sud de la Libye et l’implantation de Daech. La grande difficulté vient ainsi du fait que l’on soit seul sur le terrain ce qui nous oblige à durer dans le temps. Si on lutte militairement contre ces groupes, on ne peut pas être seul. Il est certain que l’on n’y arrivera pas s’il n’y a pas des coalitions qui se constituent au-delà des pays occidentaux. Ce sont aussi et avant tout des problèmes régionaux, notamment en Syrie, et c’est aux acteurs de la région de trouver une solution politique, même si les Occidentaux peuvent y apporter une aide.

L’Elysée vient par ailleurs d’annoncer le déploiement du porte-avions Charles-de-gaulle pour participer aux opérations contre Daech permettant de doubler le potentiel militaire français dans la région. A quels objectifs répond cette décision ?
Il y a un objectif militaire qui consiste à renforcer les forces de la coalition contre Daech. Cela étant, jusqu’alors, on ne peut pas dire que l’implication militaire française soit significative ou décisive. La question est d’ailleurs de savoir s’il y a besoin d’une implication militaire française face à Daech en Syrie. En réalité, le principal objectif est avant tout politique : celui de nous réintroduire dans la négociation afin de trouver une solution politique en Syrie. Autour de la table des négociations lors de la première réunion à Genève il y avait les Américains, les Russes, les Turcs, les Saoudiens, et les Européens étaient absents. Le porte-avions est donc avant tout déployé afin de consolider notre position diplomatique, davantage que pour un véritable résultat militaire.

Que peut-on attendre des élections législatives en Birmanie ?

Fri, 06/11/2015 - 17:59

Des élections législatives vont se tenir ce dimanche 8 novembre en Birmanie. Quels sont les enjeux de ce scrutin historique ? Peut-on s’attendre à des élections libres et équitables ?
En premier lieu, nul doute qu’il s’agit d’un scrutin particulier dans l’atypique paysage politique birman. Il s’agit des premières élections générales depuis un quart de siècle (1990), le scrutin de 2010, boycotté par l’opposition et sensiblement ‘’arrangé’’ par la main experte de l’ancienne junte, n’ayant pas valeur de référence en la matière. De la sorte, ce rendez-vous électoral s’inscrit dans une dimension effectivement historique.
Le Président Thein Sein, le chef des armées Min Aung Hlaing ou encore le Président de la Commission électorale n’ont eu de cesse de répéter ces dernières semaines leur volonté d’organiser un scrutin aux atours ‘’libres et honnêtes’’. Les 32 millions d’électeurs birmans, une communauté internationale vigilante et impliquée (notamment par le déploiement d’observateurs étrangers, une grande première là encore), ne demandent rien de plus.
Cependant, placer trop haut les attentes sur le sujet apparait quelque peu décalé avec la réalité d’une scène politique birmane toujours retorse, laquelle demeure encore offerte aux irrégularités diverses et variées (cf. listes électorales incomplètes ; erreurs ou aberrations signalées), notamment dans l’hypothèse où le parti actuellement au pouvoir (USDP, pro-militaire) subirait un revers électoral ébranlant trop durement la proverbiale sensibilité des hommes en uniforme…

Aung San Suu Kyi a affirmé sa volonté de vouloir diriger le pays en cas de victoire de son parti. Une victoire de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) est-elle possible ?
Les électeurs birmans éliront dimanche non le Président mais les parlementaires (Chambre haute ; chambre basse ; parlement régionaux). La Constitution en vigueur réserve avant tout scrutin un quart des sièges dans les diverses assemblées aux militaires. Ce texte constitutionnel façonné par et pour les militaires, dans une Birmanie officiellement post-junte depuis 2011, réserve également au chef des armées le privilège (fort) de nommer sans en référer à qui que ce soit le ministre de l’Intérieur, celui de la Défense, celui enfin des Questions frontalières. Des prérogatives majeures à maints égards.
Si la Ligue Nationale pour la Démocratie – la principale formation pro-démocratie de l’opposition – d’Aung San Suu Kyi veut avoir les coudées assez franches pour être en mesure de peser sur la nomination post-scrutin du prochain chef de l’Etat (en l’état, cela ne sera pas La Dame de Rangoun, une disposition sur mesure de la Constitution l’empêchant de briguer ces fonctions), elle doit a minima remporter 67% des sièges dans la chambres haute et basse du Parlement. Ainsi, il n’est pas certain que le parti au pouvoir (USDP), ainsi que les partis ethniques, lui en laissent la possibilité.

La Banque mondiale prédit une croissance en forte augmentation pour la Birmanie, après avoir été ruinée par 50 ans de junte militaire. Dans quel contexte économique et social se tiennent ces élections ?
Ces trois dernières années, la croissance du PIB brut birman a été très convenable (PIB + 7,6% en moyenne annuelle). Lorsque l’on se déplace en 2015 dans la désormais très active et dynamique ancienne capitale Rangoun (premier centre urbain du pays et capitale économique de la nation birmane), ce, après l’avoir connu assoupie si ce n’est léthargique il y a quelques années encore à peine, on mesure à l’œil nu combien la transition démocratique (toute insuffisante et loin de la perfection soit-elle), ainsi que la mise en œuvre des réformes et d’une relative ouverture, ont mécaniquement fait naître très rapidement un appel d’air évident sur l’économie.
Cependant, si ce cadre nouveau profite de toute évidence à certains segments – ‘’privilégiés’’ et urbains en priorité -, il demeure encore fort loin d’être ressenti par la majorité de la population pour qui les bénéfices socio-économiques concrets de la croissance restent très marginaux ; il n’est qu’à se déplacer dans les campagnes, vers les Etats frontaliers ‘’ethniques’’, où perdurent les conflits entre guérillas ethniques armées et forces régulières, pour s’en convaincre.
A l’avant-veille de ce scrutin particulier à maints égards, les aspirations primaires des 55 millions de citoyens birmans ne sont pas uniquement politiques, partisanes, mais également très pragmatiques : en 2015, le revenu annuel par habitant est en Birmanie inférieur à 1000 euros, soit un des plus bas de toute la région Asie-Pacifique.

Le nucléaire, solution pour la lutte contre le changement climatique ?

Thu, 05/11/2015 - 17:11

Lorsque l’on s’intéresse à la question du nucléaire, les problématiques environnementales surgissent immédiatement. Avant même de mentionner la technologie, la compétitivité économique ou les aspects régaliens de l’énergie atomique, l’environnement est la première question qui apparait quand est prononcé le mot « nucléaire ». Les détracteurs de l’énergie atomique pointent invariablement la gestion des déchets issus de la production électrique, signe pour eux du danger structurel lié à la fission de l’atome sur un plan énergétique. Par contre, peu de voix s’élèvent pour s’interroger sur les bénéfices éventuels que peut apporter le nucléaire dans l’optique de la lutte contre le changement climatique. Le sujet pourrait presque apparaitre tabou. Heureusement la COP 21 qui se tient cette année à Paris offre l’opportunité de s’y intéresser en profondeur.

Une solution pertinente ?

Il appartient ainsi de poser un regard dépassionné et critique sur la question des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de l’énergie pour comprendre si, oui ou non, le nucléaire est une solution pertinente pour équilibrer la délicate balance énergétique des pays qui regroupe accès à l’énergie, sécurité énergétique et lutte contre le changement climatique. Des études ont ainsi été menées sur la question des émissions de gaz à effet de serre – majoritairement de CO2 dans ce cas – du secteur électrique.

La plupart des travaux s’intéressent à l’ensemble du cycle de vie des installations de production d’électricité nucléaire, prenant en compte la totalité de la chaine de valeur allant de l’extraction d’uranium au retraitement des déchets en passant par la construction et l’opération des centrales. Le rapport The Role of Nuclear Energy in a Low Carbon Energy Future de l’OCDE paru en 2012, synthétise les résultats de nombreux travaux scientifiques pour aboutir à la conclusion suivante : le nucléaire est, en moyenne, une énergie particulièrement peu émettrice de CO2. Alors que le charbon, première source d’énergie de l’OCDE et, de fait, de nombreux pays européens, émet en moyenne 888 tonnes de CO2 par GWh produit et le gaz naturel 499 t/GWh, le nucléaire s’établit à 29 t/GWh soit à peu près l’équivalent des énergies les moins émettrices, l’hydraulique et l’éolien (env. 26 t/GWh).

Les émissions en amont du process

Néanmoins la production d’électricité elle-même n’émet quasiment pas de CO2 puisque la quasi-totalité des émissions est due à l’amont du cycle (extraction de l’uranium) et à la construction des installations. Cela signifie donc pour notre pays qu’il est particulièrement vertueux, au niveau de son secteur électrique dans l’optique de la lutte contre le changement climatique. En effet si l’on s’intéresse aux émissions de CO2 de la France, tous secteurs confondus, celles-ci s’établissent à 370 000 kt en 2014 (données EDGAR ; Commission européenne) à comparer avec les 840 000 de l’Allemagne, les 5 300 000 des Etats-Unis et les plus de 10 millions de la Chine. Au niveau des émissions par habitant, la France atteint les 5,7 tonnes, à comparer là aussi avec les 10,2 tonnes pour l’Allemagne, 8,5 tonnes pour la Pologne, 7,5 tonnes pour le Royaume-Uni ou 6,4 tonnes pour l’Italie. En comparant la France aux autres grands pays européens, par l’économie ou la population, il apparait que notre pays est bien plus sobre en carbone que ses voisins.

Augmenter la part du nucléaire?

Cette sobriété, comparativement au niveau de développement et d’industrialisation de notre pays, est avant tout due à la faiblesse des émissions du secteur de l’énergie. En effet l’électricité produite en France est très majoritairement – environ aux trois quarts – issue du nucléaire. Les choix politiques opérés dans les années 70 à la suite du premier choc pétrolier, ont eu non seulement un effet majeur sur les approvisionnements énergétiques français ainsi que sur le développement d’une filière d’excellence mais aussi un impact non-négligeable sur la lutte contre le changement climatique.
Le nucléaire est ainsi une énergie particulièrement importante au regard des objectifs climatiques fixés par le GIEC.

De nombreux rapports – le scénario 450 de l’Agence Internationale de l’Energie par exemple – pointent ainsi la nécessité d’augmenter résolument la part du nucléaire dans le mix énergétique mondial, laquelle n’est pour le moment que de 6% environ. Le nucléaire possède l’avantage de permettre de disposer d’une puissance installée importante pour chaque réacteur, tout en émettant peu de gaz à effet de serre. Toutefois c’est une énergie qui nécessite une maitrise technologique certaine et une attention toute particulière aux aspects de sureté et de sécurité. Là encore notre pays, en tant que leader technologique, dispose d’atouts indéniables pour envisager un futur sobre en carbone, pour la France et le monde.

Rencontre entre les Présidents chinois et taïwanais : quels enjeux ?

Thu, 05/11/2015 - 10:10

Une rencontre entre les Présidents Xi Jingping et Ma Ying-Jeou aura lieu le 7 novembre à Singapour. C’est un événement exceptionnel, annoncé au dernier moment. Une rencontre d’un tel niveau ne s’était jamais produite. Depuis 1949, la Chine de Pékin et celle de Taipei se sont séparées et opposées dans une compétition de légitimité où la première a réussi à s’installer dans la place du plus fort.

En 66 ans, on est passé du conflit armé à la guerre froide, puis à un dialogue informel et des échanges pragmatiques. La position de Pékin n’a jamais changé : l’île doit revenir dans le giron de la République populaire. Toute tentative d’accéder à l’indépendance et même la tenue d’un référendum interne à Taïwan sur le sujet serait un casus belli qui justifierait une reconquête militaire de l’île. A contrario, la position taïwanaise est beaucoup plus évolutive. La petite « République de Chine », longtemps gouvernée de manière dictatoriale par Tchang Kaishek, puis son fils, a beaucoup évolué depuis l’abolition de la loi martiale (15 juillet 1987). Elle est devenue une vraie démocratie où l’opinion publique s’exprime fortement et très librement. Alors que toutes les relations avec le continent ont longtemps été bannies, elles sont maintenant normales et faciles, au point que des dizaines de milliers d’entrepreneurs taïwanais passent désormais leur vie à cheval entre les deux rives. On voit aussi de nombreux touristes venus du continent, même si ceux-ci sont désormais bien plus des « étrangers », apporteurs de devises, que des « cousins ». Politiquement, des contacts informels – de plus en plus haut niveau – ont été pris entre les deux rives.

A Taïwan, deux grands partis se disputent le pouvoir. D’un côté, le Kuo Ming Tang (KMT), qui fut longtemps parti unique, prône toujours la réunification (« un pays deux systèmes »). De l’autre, le Parti démocratique populaire (DPP) s’est construit sur une base indépendantiste. A l’heure actuelle, ce qui caractérise très majoritairement l’opinion publique taïwanaise est la volonté de maintenir le statu quo actuel, qui permet de faire des affaires et de vivre en paix avec le continent tout en ne subissant pas le régime de Pékin. La candidate du DPP, Tsai Yingwen, incarne bien cette pensée en prônant, plutôt que l’indépendance, un maintien du statu quo et un refus de toute concession qui pourrait affaiblir cette position.

Il faut donc replacer cette « rencontre historique » dans son vrai contexte, qui est celui d’une campagne électorale. Depuis que Taïwan est une démocratie, le positionnement vis-à-vis de Pékin est devenu un enjeu majeur de tous les scrutins nationaux. Sachant que la Chine continentale est toujours tentée de s’ingérer dans ce débat. Elle l’a fait de manière outrancière en 1996, en tirant des missiles à proximité de l’île. Cela avait été très contre-productif et avait favorisé l’élection du candidat qu’elle voulait faire battre. Beaucoup plus discrète par la suite, Pékin se réveille cette année, en voyant le KMT en très mauvaise position et tente de favoriser le candidat « réunificateur » par le biais d’une rencontre inédite. La première candidate choisie par le KMT, Hung Hsiu-chu, avait été l’objet d’un consensus par défaut, aucun des leaders du « vieux parti » n’ayant osé prendre le risque d’une défaite annoncée. Hung s’était rapidement disqualifiée en tenant un discours radical et très dépassé, préalable à une réunification complète. Elle a été débarquée par son parti, qui a choisi comme nouveau candidat à la présidentielle un de ses éléphants, Eric Chu (Secrétaire général du KMT, Maire du « Grand Taipei » et qui a déjà rencontré le Président Xi) qui avait pourtant juré qu’il ne se présenterait jamais. Il importe donc, dans une tentative de dernière minute, de présenter Chu comme un « modéré ». D’où le communiqué du cabinet présidentiel qui présente la rencontre Ma-Xi comme permettant de « préserver la paix et de maintenir le statu quo ». Cet affichage de changement de cap en faveur du maintien du statu quo, systématiquement rejeté par le KMT depuis toujours, est ce que semble désirer la très grande majorité de la population de l’île. On peut aussi facilement imaginer que Pékin, qui craint avant tout le succès de la candidate « indépendantiste » Tsai Yingwen, fait tout pour aider le candidat « réunificateur modéré» du KMT. Et pourrait même être à l’initiative de cette surprenante rencontre, immédiatement dénoncée comme une manipulation électorale par le DPP.

La légitimité de l’actuel Président taïwanais étant au plus bas, on imagine mal que la rencontre du 7 septembre, qui sera vue par beaucoup de ses concitoyens comme un renoncement de plus de la part du KMT, puisse aboutir à des résultats concrets. Un communiqué de la Présidence taïwanaise a même explicitement précisé qu’il n’y aurait ni accord, ni communiqué commun et que Ma ferait une conférence de presse pour expliquer sa position. Il sera par contre intéressant d’observer l’exploitation qui en sera faite -ou non- par Pékin et, éventuellement, par Eric Chu.

Le rugby, en voie de « footballisation » ?

Wed, 04/11/2015 - 16:52

Quel bilan peut-on dresser de cette Coupe du monde de rugby ?
On peut dresser un bilan de cette Coupe du monde à travers deux angles : d’une part, l’aspect purement organisationnel et d’autre part, l’analyse du résultat.
Concernant l’aspect organisationnel, il est clair que cette 8ème édition est un indéniable succès. Parvenant à réunir 2,5 millions de spectateurs, avec une moyenne de 51 000 par match (soit l’une des plus importantes depuis le début de l’histoire de la compétition), l’Angleterre (et le Pays de Galles) a également connu un succès touristique important avec la présence sur son sol d’environ 460 000 visiteurs étrangers. A titre de comparaison, lors de la Coupe du monde organisée en France en 2007, le nombre de visiteurs avait été estimé à 350 000. La comparaison avec la Coupe du monde de 2011 n’est, quant à elle, pas significative, compte tenu de son organisation en Nouvelle-Zélande (distance, prix élevés des billets d’avions, etc). En outre, cette coupe du monde est aussi positive sur le plan économique puisque, selon certaines études, on estime ainsi qu’’1,4 milliards d’euros seront injectés dans l’économie britannique.
Concernant l’analyse du résultat, il ne s’agit pas de s’intéresser à l’aspect purement sportif, mais plutôt analyser les résultats dans une globalité. Fait inédit depuis 1987, on assiste à un triomphe incontestable des nations du Sud (Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Australie et Argentine), face aux nations du Nord, comme peuvent en témoigner les quatre matchs de quart de finale. Une fois ce constat fait, doivent se poser des questions essentielles : comment expliquer ce succès de l’Hémisphère Sud, et donc, en creux, cette déroute de l’Hémisphère nord ? Plus précisément, cela met en lumière un paradoxe : comment expliquer que la France soit considérée comme l’un des meilleurs championnats du monde, attirer autant d’excellents joueurs, bénéficier d’un système de formation reconnu et dans le même temps, ne pas arriver à s’imposer sur la scène internationale ? L’exemple de l’Angleterre est identique. Un travail de fond doit donc être mis en place, avec la nécessité d’une réforme et d’une prise de conscience à la fois au niveau national et européen. Au niveau du Tournoi des Six Nations, considéré comme l’un des plus grands de la scène rugbystique, les six nations qui s’affrontent, censés incarner un haut niveau de rugby, sont incapables de s’imposer face à des équipes du Sud.
D’autre part, certains commentateurs critiquaient le manque de suspense au cours de cette compétition. Si, effectivement, le résultat final confirme les prédictions, il serait inopportun d’ignorer la performance de certaines équipes. Considérée comme demi-finaliste surprise, l’Argentine est pourtant une nation importante du rugby depuis déjà plusieurs années. Participante à toutes les Coupes du Monde, elle s’est distinguée en quart de finale en 1999 et en demi-finale en 2007. Cela illustre une culture du rugby prononcée, avec des centres de formation performants et un accent mis par la Fédération du rugby argentine sur les performances à l’international. C’est dans ce sens que l’Argentine a rejoint le tournoi des Tri-nations (devenu dès lors le Rugby Championship). Cet effort pour apparaitre sur la scène internationale du rugby est comparable avec le Japon. Tombeur surprises de l’Afrique du Sud dès son premier match, il a surpris le monde du rugby par la qualité de son jeu. Cela n’a pourtant rien d’étonnant compte tenu de leur préparation en amont de cette compétition, de la qualité de leur championnat et des investissements financiers et personnels. Dans cette optique, c’est l’archipel nippon qui organisera la prochaine Coupe du monde en 2019, symbole de la volonté d’imposer le rugby japonais sur la scène mondiale.

L’émergence du rugby sur la scène médiatique est-elle le signe d’une plus grande internationalisation ?
La mondialisation du rugby est en effet de plus en plus importante. Il y a une volonté manifeste d’ouvrir le rugby à travers notamment l’organisation de nouvelles compétitions comme le rugby à 7 au cours des prochains Jeux olympiques, par la valorisation et la diffusion du rugby féminin mais aussi d’un point du vue géographique avec l’accueil de la prochaine Coupe du monde par le Japon en 2019. Cette démarche a été voulue par Bernard Lapasset, président de World Rugby (anciennement appelé International Rugby Board) qui s’inscrit dans une logique de démocratisation du rugby. Sa volonté était en effet de ne pas cantonner ce sport dans l’hémisphère sud entre les quatre nations principales (et les Tonga, Fidji et Samoa), et entre les six nations de l’hémisphère nord, mais au contraire, d’ouvrir le rugby à d’autres pays désireux de prendre part à l’organisation d’évènements. Toutefois, s’il existe une volonté de sortir le rugby des pays dits « classiques », on reste toujours dans un univers assez confidentiel où seules quelques nations sont capables de remporter la Coupe du monde (4 pour l’instant, en l’occurrence). Certains pays comme la Roumanie, la Géorgie, la Namibie ou l’Uruguay sont certes présents mais, en dépit du bon jeu proposé, ont très peu de chance de pouvoir rivaliser (en raison de l’absence de moyen, de l’amateurisme du sport, du manque d’infrastructure mais aussi de volonté « politique »).
D’autre part, cette émergence du rugby peut aussi s’expliquer par sa capacité à donner, ou à se donner, une image positive, axée sur l’entre-aide, l’esprit d’équipe, la combativité, le dépassement de soi. Qualités que l’on peut observer dans les publicités des groupes partenaires, et qui sont systématiquement mises en avant. Il favorise ainsi une popularité grandissante. Cela a pu expliquer à la fois la médiatisation de ce sport, universel et parlant au plus grand nombre, et développer son internationalisation.
En dépit de l’émergence du rugby sur cette scène médiatique internationale, de nombreux défis devront être relevés au cours des prochaines années. On parle souvent d’un risque de « footballisation » du rugby. Pour continuer à se développer, le rugby va devoir apprendre à ne pas tomber dans ce travers.

Le conflit israélo-arabe : un accord impossible ?

Wed, 04/11/2015 - 11:09

Jérusalem connaît une nouvelle vague de violences. Certains vont jusqu’à parler d’une troisième Intifada. Le mot vous semble-t-il approprié ?
Le terme renvoie à l’idée de soulèvement. Ce à quoi on assiste en ce moment, ce sont plutôt des initiatives isolées. Il n’y a pas de slogan général, si ce n’est la défense de Jérusalem et de l’esplanade des mosquées. Mais ça signifie quand même quelque chose. C’est la traduction en actes violents de l’état d’exaspération et de désespoir de la jeunesse palestinienne. C’est la génération Oslo, celle qui a vécu l’échec des accords. Quand vous parlez d’actualité, c’est aussi l’anniversaire de l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Il faut rappeler qu’il a été assassiné par un extrémiste juif qui avait pour objectif de faire échouer les accords d’Oslo…

Ces derniers mois, on a moins parlé du conflit israélo-palestinien « au profit » du djihadisme au Moyen-Orient. Quelle est l’articulation entre les deux ?
En l’état actuel, il n’y a pas de connexion, de relation. Les djihadistes n’ont pas la cause palestinienne comme revendication première, loin s’en faut ! Ils ne sont pas mus par ce conflit. Leurs principaux ennemis sont d’abord incarnés par les Chiites. Le problème, c’est que les nationalismes qui alimentent le conflit israélo-arabe connaissent une évolution religieuse. Il y a une emprise du religieux dans ce qui était à l’origine des nationalismes relativement classiques, avec libération nationale et création d’un État indépendant. Cette dérive pourrait être finalement récupérée par les djihadistes pour transformer la cause palestinienne en cause purement religieuse. Vous avez aussi une partie de la droite israélienne qui tend à plaquer une grille de lecture religieuse au conflit. Les références à la Bible sont devenues omniprésentes dans les discours politiques. On ne parle plus par exemple de Cisjordanie mais de Judée Samarie.

Le thème c’est : « l’accord impossible ». Est-ce vraiment mort ?Le problème, c’est que l’on s’interroge sur l’existence même d’une volonté de trouver un accord. La volonté est là côté Palestinien, c’est celle exprimée par l’Autorité palestinienne. C’est vraiment du côté israélien que la question se pose. Le secrétaire d’État américain John Kerry, lors de la dernière tentative de relance des négociations, a reconnu que le blocage était dû essentiellement à la rigidité de la position israélienne. Les Israéliens considèrent qu’il est possible de négocier tout en continuant la colonisation. Ce que les Palestiniens refusent.

L’Algérie malmenée

Tue, 22/09/2015 - 17:44

Le limogeage mi-septembre du général Mohamed Médiène, alias Tewfik, chef du département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), vient couronner le parachèvement du pouvoir du clan présidentiel. Après plusieurs mois de guerre de tranchée, Abdelaziz Bouteflika a saisi l’opportunité de se débarrasser de cet encombrant officier supérieur.

Dans la nuit du 16 au 17 juillet derniers, au moins trois hommes ont tenté de s’introduire dans la résidence médicalisée de Zéralda, sur le littoral à l’ouest d’Alger, où le président de la République a élu domicile depuis sa longue hospitalisation à Paris début 2014. Repérés par les membres de la garde présidentielle, qui ont fait usage de leurs armes, les assaillants se replient dans la forêt voisine. Que s’est-il passé ? Etait-ce une tentative d’attentat contre la personne du président ? Selon plusieurs sources, le rapport remis au chef de l’Etat évoque « une intrusion, sans trace de douilles ». Aussitôt, plusieurs proches de Bouteflika sont appelés à faire valoir leur droit à la retraite : le chef de la garde républicaine, le directeur général de la sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP), qui relève directement du DRS. Enfin, le chef de la direction de la Sécurité intérieure (DSI, contre-espionnage), le général Ali Bendaoud, pourtant proche et zélé serviteur du président est remercié et mis à la retraite d’office sans explication.

Cet épisode a été peu commenté à Alger, où il est toujours difficile d’obtenir ou de vérifier des informations. Au-delà de la dimension sécuritaire, cet incident révèle les tensions et les luttes internes au sérail.

La succession en ligne de mire

Affaibli par la maladie, Bouteflika n’a pas perdu son sang-froid ni son sens aigu des rapports de force. Patiemment et progressivement, il a repris en main les principales manettes du pouvoir réel et placé des fidèles aux postes stratégiques. Dans ce jeu d’ombre, c’est la succession que le président et son entourage préparent et qu’ils veulent contrôler de bout en bout.

La chute des revenus tirés de la vente des hydrocarbures sur le marché mondial, inquiète le régime, qui craint les réactions d’une population dont la détérioration des conditions de vie ne cesse de s’accentuer.

Pour ne pas avoir envisagé de réformer le système de gouvernance qui régit l’Algérie depuis 1965, date du coup d’État de Boumédiène, Abdelaziz Bouteflika pourrait bien être confronté à un trou noir politique et social. Le contrat sur lequel fonctionne le pays depuis plusieurs décennies a été rompu. Les différentes alliances nouées pour préserver le régime et assurer la redistribution selon des critères très précis ont volé en éclat : alliance civilo-militaire, pouvoir discursif des légitimités, capacité du régime à garantir la sécurité et redistribuer la rente.

Cet équilibre ne fonctionne plus. l’Algérie est confrontée à de multiples défis qu’elle ne parvient pas à gérer et dont elle n’a pas anticipés les conséquences. Le mode de fonctionnement hérité de la guerre froide a atteint ses limites, et il ne semble pas pouvoir survivre à l’actuel chef de l’Etat. Dans ce contexte, quel peut-être l’évolution d’un pays central pour la stabilité de la région ?

Résilience ?

L’irruption au Maghreb de Daech permet au régime de réaménager l’autoritarisme et de grignoter des espaces de démocratie. Face au terrorisme, la sécurité a supplanté les débats, chacun doit se déterminer par rapport à ce facteur dont on ne veut pas faire un acteur. La diabolisation des terroristes de Daech est prétexte pour faire tomber tous ceux qui tentent de porter un projet alternatif. Plus de place pour les processus ou l’idée d’une transition par la négociation.
Rien ne permet, à ce jour, d’entrevoir une volonté de résilience du régime. Bien au contraire, la situation sécuritaire à ses frontières le renforce dans l’idée de « tenir bon », un choix plus ou moins encouragé par ses partenaires européens et américains. D’autant que les nouvelles élites économiques ou politiques font pression pour maintenir le statu quo et gagner du temps pour poursuivre leur enrichissement. Dans le cas de l’Algérie, les nouvelles alliances se tissent à l’extérieur du pays. Habile politicien, diplomate chevronné, Bouteflika comprend que la pérennité de son clan dépend en partie de sa capacité à donner des gages, notamment à la France, et des garanties quant aux intérêts de ses alliés, en échange d’une bienveillante « inattention » à la situation politique du pays. Certains à Alger n’hésitent pas à affirmer que la reprise en main de l’appareil sécuritaire a été longuement préparée durant la convalescence parisienne du président de la République. Voire en concertation avec certains cercles influents de l’appareil d’Etat français. Quoi qu’il en soit, les faits sont têtus : malgré un pouvoir renforcé et un soutien occidental sans faille, le régime est de plus en plus contesté en interne, les revendications sociales sont en hausse et les capacités financières en baisse limitent les champs d’action pour contenir la grogne.

Face à ces multiples crises et à l’autisme du pouvoir, les conséquences à court terme pourraient conduire à un affrontement à l’intérieur du sérail. Cette hypothèse ne garantit en aucun cas la stabilité de l’Algérie, au contraire, elle apporte plus de confusion et moins de légitimité à ceux qui pourraient prendre les rênes du pays sans passer par les urnes.

Changement de la politique de défense japonaise : quel impact régional ?

Tue, 22/09/2015 - 16:58

Comment se caractérise l’environnement sécuritaire régional en Asie ?
La première chose qu’il faut avoir en tête quand on s’interroge sur l’environnement sécuritaire du Japon, c’est le fait qu’il a face à lui un adversaire désigné : la Corée du Nord. Cette dernière dispose de moyens offensifs de grande ampleur contre le Japon puisque les missiles balistiques nord-coréens sont capables de frapper n’importe quel point de l’archipel japonais. On peut ainsi considérer que les décisions qui sont proposées aujourd’hui par le cabinet de Shinzo Abe sont en partie justifiées par cette menace sécuritaire réelle qui, bien évidemment, va de pair avec le caractère instable du régime nord-coréen et donc la possibilité dans le cas d’une escalade de voir ce régime se lancer dans une offensive.
Bien sûr, ce n’est sans doute pas en pensant essentiellement à la Corée du Nord que les milieux conservateurs ont décidé de réinterpréter cette constitution. C’est davantage le référent à la Chine qui est mis en avant ou qui permet d’alimenter cette nouvelle posture stratégique. Le Japon s’inquiète de manière presque tous azimuts de la montée en puissance chinoise. Il s’inquiète également de son déclassement économique et de sa perte d’influence dans la région, notamment face à l’Asie du sud-est où on a vu des offensives fortes de la part de la Chine au cours des deux dernières décennies. Enfin, il s’inquiète de la montée en puissance militaire chinoise. Rappelons que le 3 septembre dernier, la Chine a procédé à cette grande parade militaire dans laquelle elle fait la démonstration de sa force. Dans le même temps, les deux pays sont engagés dans un différend maritime de grande ampleur autour des îles Senkaku et Diaoyu. Nous faisons face à une période très tendue entre les deux pays qui inquiète du côté japonais et peut justifier le fait de renforcer, non seulement ses capacités de défense, mais surtout cette possibilité d’avoir recours aux forces armées de manière à défendre les forces de l’archipel mais aussi les alliés éventuels, en particulier les Etats-Unis, dans le cas d’une confrontation avec un adversaire potentiel.

Dans quelle mesure cette interprétation de la constitution est-elle significative des débats actuels sur la sécurité au Japon ?
Il convient d’abord de rappeler que ce n’est pas la première fois que les Japonais se trouvent divisés sur cette interprétation de la constitution. On peut même estimer que depuis qu’elle est entrée en vigueur après la Seconde Guerre mondiale, sous l’autorité des Etats-Unis, il y a eu de manière assez constante des oppositions entre un mouvement qualifié de pacifiste, très favorable à cette constitution pacifiste et à cet article 9 qui contraint l’emploi de la force sur les théâtres extérieurs, puis de l’autre côté des conservateurs qui eux étaient plus enclin à vouloir permettre au Japon de pouvoir se lancer dans des opérations extérieures. Il n’y a ainsi rien de nouveau. On peut même dire que les débats les plus vifs ne sont pas ceux auxquels on assiste depuis maintenant quelques semaines, avec des manifestations de grande ampleur, qui restent malgré tout inférieures à celles qu’on a pu constater dans les années soixante ou soixante-dix où il y avait des oppositions véritablement sociétales au sein du Japon. Aujourd’hui c’est moins marqué ; on le voit d’ailleurs avec les réactions à cette décision qui a été actée le 18 septembre dernier. Il n’y a pas eu d’énorme mouvement consécutif à cette décision. On a l’impression que les Japonais restent encore dans l’attente. Toutefois, on relève des différences très nettes, non seulement dans l’appréciation qui est à donner de ce rapport du Japon à son environnement sécuritaire mais aussi et surtout des interprétations différentes sur ce que le pays doit incarner comme valeurs et quel doit être le message que le pays doit faire passer à ses voisins et au reste du monde. Ce sont des vieux débats qui font référence aux crimes de l’armée impériale japonaise, à Hiroshima, à un passé qui reste très présent et qui s’invite de manière régulière dans la société japonaise mais que l’on va retrouver aujourd’hui en convergence avec un environnement sécuritaire jugé, à tort ou à raison, instable et potentiellement dangereux.

Quelles sont les réactions régionales de ce changement de la politique de défense japonaise ?
C’est la question la plus importante dans cette nouvelle décision. On relève une possibilité qui semble se confirmer déjà avec l’accueil favorable des Philippines. On semble voir deux camps qui vont progressivement se mettre en place.
D’un côté des pays se montrent inquiets de cette nouvelle posture japonaise et le font savoir en manifestant une hostilité très forte, comme la Chine ou la Corée du Sud. Du fait de leurs différends, ils s’inquiètent de cette nouvelle posture qu’ils estiment potentiellement déstabilisante pour la région. D’autres pays, parce qu’ils entretiennent une rivalité, en particulier avec la Chine, vont accueillir favorablement cette nouvelle prise de position forte de la part de Tokyo tels que les Philippines, sans doute le Viêtnam, dans une moindre mesure Taiwan, et de manière plus large l’Inde qui est engagée depuis plusieurs années dans un dialogue stratégique avec le Japon, soit tous les pays qui s’inquiètent eux aussi pour des raisons qui leurs sont propres de cette montée en puissance chinoise et voient plutôt d’un bon œil le fait que le Japon prenne des responsabilités sur cette question.
Quand on met en perspective cette dimension régionale, on se rend compte que c’est toute une donne qui peut être modifiée et on entre dans une nouvelle forme d’équilibre stratégique dans la région.

États-Unis : les dangereuses visions du monde des candidats républicains

Mon, 21/09/2015 - 18:19

Même ceux qui en 2008 étaient raisonnablement, et donc modérément, optimistes sur la politique étrangère qu’Obama pourrait poursuivre, ont été déçus. Nous savions qu’il n’avait pas de baguette magique mais qu’il éviterait, contrairement à son prédécesseur, de provoquer des catastrophes. Il était évident qu’il ne pourrait pas facilement réparer tous les dégâts provoqués par ce dernier. On pouvait simplement espérer qu’il défendrait l’intérêt national américain avec plus de clairvoyance que son prédécesseur.

Son discours du Caire sur le Proche-Orient avait suscité des espoirs; il a été impuissant à faire avancer la cause de la paix au Proche-Orient.

Son prix Nobel de la paix a été trop anticipé. Il restera, comme éléments positifs, la réconciliation avec Cuba et l’accord nucléaire avec l’Iran. Espérons que les États-Unis signent l’accord de Paris sur le changement climatique en décembre pour améliorer ce maigre bilan. Mais, même les déçus d’Obama risquent de le regretter profondément si un Républicain venait à être élu en 2016.

Le 16 septembre, un débat opposait les onze candidats républicains et était centré sur les questions de politique étrangère. Sur la question la plus importante du moment, la crise migratoire en Europe, chacun a fait assaut de fermeté anti migrants. Nul ne s’est aventuré à dire ce que pouvaient faire les États-Unis pour contribuer positivement à cette crise. On peut concevoir que le sujet n’est pas réellement porteur d’un point de vue électoral. Ce qui est plus inquiétant c’est que l’Union européenne n’a pas été mentionnée une seule fois dans le débat, pas plus que la France.

Le fidèle allié britannique peut éprouver une certaine déception. Le Royaume-Uni n’a pas non plus été évoqué lors du débat. Donald Trump a proposé de laisser Bachar el-Assad et Daech se battre, même jusqu’au bout. Une sorte de réinvention du dual containment, qui n’offre guère de grandes perspectives. Il a également reconnu être mal à l’aise avec les « noms arabes ».

C’est par rapport à la politique à l’égard de la Russie que l’on peut le plus s’inquiéter. Poutine a été traité de gangster par Marco Rubio, qui propose d’aller à Moscou rencontrer ses principaux opposants. Une bonne manière certainement d’avoir de belles photos mais le meilleur moyen de les décrédibiliser totalement aux yeux de la population russe et de nourrir la propagande de Poutine sur le fait que ceux qui le critiquent sont des agents de l’étranger.

Carly Fiorina, qui a marqué des points en mettant en cause Trump, a des idées assez simples sur la politique étrangère. Elle pense ne pas avoir à discuter avec le président russe. C’est tout simplement oublier qu’y compris au pire de la guerre froide, il y eut des contacts entre Washington et Moscou. Elle veut, au contraire, reconstruire la sixième flotte et développer le programme de défense antimissile, et même lancer des exercices militaires « agressifs » (sic) dans les États baltes et envoyer des milliers de soldats en Allemagne. Ainsi, affirme-t-elle, Poutine recevra le message. On peut douter que l’Allemagne soit enthousiaste à l’idée de recevoir des renforts américains. Mais peut-elle pense-t-elle pouvoir agir sans consulter Berlin.

Bien sûr, l’accord nucléaire avec l’Iran a été remis en cause. Fiorina proposait même d’appeler le guide suprême pour lui demander de permettre des inspections américaines sur la plupart des installations militaires iraniennes. Nul doute que Khamenei (qui par ailleurs, petit détail, n’a jamais été en contact direct avec les responsables américains, laissant cela au Président et au gouvernement) obéisse immédiatement à cet ordre. Et que les autres pays qui ont négocié l’accord (Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne) apprécient ce changement unilatéral et brutal.

Les candidats ont insisté sur le fait de rebâtir la force militaire américaine, et sur la nécessité de voir les États-Unis de nouveau être leaders dans le monde.

C’est simplement aberrant. L’illusion d’un monde unipolaire, que la catastrophique guerre d’Irak aurait dû définitivement faire voler en éclats, revient à une époque où elle est moins possible que jamais. Le manque de connaissance et compréhension du monde extérieur pour la plupart des candidats républicains est tout simplement hallucinant et annonciateur d’immenses dangers pour le monde et de cruelles désillusions pour Washington.

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