You are here

IRIS

Subscribe to IRIS feed
Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 19 hours 45 min ago

L’Inde, micropuissance sportive

Thu, 25/07/2024 - 11:21

Les performances sportives indiennes n’ont pas vraiment marqué les précédentes éditions des Jeux olympiques. Déconsidérée par l’État, associée à la pauvreté, et fortement impactée par le système des castes, la pratique du sport en Inde – et notamment de haut niveau – est défavorisée par ce contexte. En dépit de cela, l’Inde se porte candidate pour organiser les Jeux olympiques de 2036. Narendra Modi l’avait signifié à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de la 141e Session du Comité international olympique (CIO) à Mumbai en octobre 2023, soulignant l’enthousiasme national « à l’idée d’organiser des Jeux olympiques. » Le pays souhaite ainsi s’affirmer sur la scène sportive internationale, notamment afin de concurrencer son voisin chinois, qui brille aux JO. Pour ce faire, l’Inde devra fournir des efforts considérables, à commencer par l’établissement d’un système de détection de jeunes talents.

L’analyse de Pascal Boniface.

« Louis XI : ou le joueur inquiet » — 4 questions à Amable Sablon du Corail

Wed, 24/07/2024 - 16:23

Amable Sablon du Corail est responsable du Département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime aux Archives nationales. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son livre « Louis XI : ou le joueur inquiet » aux éditions Alpha Histoire.

1/Mauvais fils, mauvais frère, mauvais époux, mauvais père… Vous faites un portrait assez sévère de Louis XI…

En effet, la personnalité de Louis XI est fort peu engageante. La soif de puissance se manifeste chez lui dès son adolescence et ne le quittera plus — une inclination que l’on trouve plus souvent chez un cadet, voire un parvenu, que chez un homme naturellement appelé à régner, comme c’était le cas de Louis XI, fils aîné de Charles VII. À seize ans, il participe à une révolte armée contre son père et sur son lit de mort, il planifie encore l’invasion de la Bretagne, et maintient son fils de treize ans sous une tutelle étroite. Son père a eu le mauvais goût de vivre trop longtemps, son frère de demander un apanage conforme à son rang, ses cousins des maisons princières de vouloir être associés aux affaires, sa femme de ne pas lui donner de descendants mâles robustes. Comme souvent chez les autocrates, sa crainte permanente du complot est autoréalisatrice, car ses adversaires n’ont pas d’autres choix pour survivre que d’en ourdir. Et pourtant, l’homme ne manque pas de charisme ; il sait séduire, par sa vivacité d’esprit, sa finesse psychologique, son ironie cruelle et son sens de la formule. S’il n’a pas d’amis, il est entouré d’un petit cercle de serviteurs très dévoués, pour la plupart issus de la moyenne noblesse, en qui il a une confiance absolue et auxquels il délègue de très larges pouvoirs.

2/Loin d’un pouvoir absolu, il doit sans cesse passer des compromis aussi bien avec ses alliés que ses rivaux…

L’absolutisme de la monarchie française est en germe depuis le XIIIe siècle. Il ne s’agit pas là d’un projet spécifiquement capétien. La plupart des monarques européens sont flanqués de juristes pétris de droit romain qui proclament la supériorité du pouvoir royal. Les rois de France ont mieux réussi que les autres à traduire dans les faits cette aspiration à concentrer toute la souveraineté dans leur seule personne. Cependant, il faut en effet mesurer toute la fragilité de cet État royal, dont les moyens de coercition sont dérisoires. Pour assurer l’ordre intérieur, dans un royaume d’une quinzaine de millions d’habitants, Louis XI ne dispose que de quelques milliers de sergents royaux, munis d’un bâton fleurdelysé, et d’une armée permanente de moins de 10 000 hommes. L’encadrement policier et militaire est donc 15 à 20 fois inférieur à ce qu’il est aujourd’hui !

Dans ces conditions, les rois de France doivent gouverner par consensus, d’autant plus qu’avec l’effacement des États généraux, dès la fin du XIVe siècle, l’échange politique entre le souverain et ses sujets tend à se réduire aux intrigues de cour et aux révoltes. Louis XI l’a appris à ses dépens au début de son règne : pour avoir heurté de front les intérêts de la quasi-totalité des princes, après avoir disgracié l’ensemble des conseillers et des grands administrateurs de son père, il a dû affronter un soulèvement de très grande ampleur, la Ligue du Bien public, en 1465. Vaincu, Louis XI a dû renouer avec les fondamentaux de la politique de ses prédécesseurs — voire de la politique tout court : ménager les puissants, conclure un pacte implicite avec les élites. La noblesse bénéficie des retombées de la toute nouvelle fiscalité royale, à la cour et dans l’armée – la seule armée permanente d’Europe –, tandis que les grandes villes bénéficient de larges privilèges fiscaux, commerciaux et judiciaires. Il faut également ménager un savant équilibre entre les grandes maisons princières, distribuer avec habileté et équité les pensions, les charges et les honneurs. De cela dépendra la paix intérieure en France jusqu’au règne de Louis XIV inclus.

3/L’agrandissement du territoire du royaume est-il son plus grand succès ?

Sans aucun doute ! Semblable en cela à la plupart des princes de son temps, Louis XI a fait de la « dilatation du royaume » son principal objectif politique, pour ne pas dire le seul. Il y a de ce point de vue un écart majeur avec les attentes de l’opinion éclairée (gens de savoir, légistes, théologiens, officiers du roi, bourgeoisie urbaine, noblesse) et l’idéologie dominante, obsédée par le « bon gouvernement », le « bien commun » ou le « commun profit ». Un royaume bien gouverné est un royaume en paix, dirigé par un monarque gouvernant par conseil, par « mûre et sûre délibération », avec les princes du sang et les grands seigneurs, soutiens naturels de la Couronne : à peu près l’exact contraire de ce qu’a fait Louis XI.

La « dilatation du royaume » s’opère aux dépens des grands princes, qu’ils soient français ou étrangers, que leurs possessions soient situées à l’intérieur ou à l’extérieur du royaume. Louis XI a ainsi annexé le Maine, l’Anjou, la Provence, la Bourgogne, la Picardie, et, provisoirement, le Barrois, la Franche-Comté, l’Artois, le Roussillon et bien d’autres territoires.

Son bilan intérieur est plus mitigé, ou, pour mieux dire, plus clivant. Les uns ont célébré, et continuent de le faire, l’accélération du développement de l’État en France, perçu comme un progrès, préalable nécessaire à une plus grande égalité entre les personnes. Les autres ont déploré la pratique solitaire du pouvoir de Louis XI, son autoritarisme et son arbitraire judiciaire, dont les fameuses cages de fer et quelques exécutions spectaculaires ont perpétué le souvenir dans la mémoire collective.

4/Assez frugal, toujours en déplacement dans le royaume, il semble se tenir à l’écart des plaisirs, du luxe et du faste…

On oublie trop souvent que ce roi a d’abord été formé à la très rude école de la guerre de Cent Ans. Rien n’est plus faux que cette image de roi diplomate prémachiavélien qui lui colle à la peau depuis si longtemps. Louis XI est d’abord un roi-soldat, qu’on devrait rapprocher plus volontiers d’un Henri IV ou d’un Frédéric II de Prusse que des princes italiens de la Renaissance. Son mode de vie, comme sa pratique du gouvernement, en découlent : ses nombreux déplacements, son amour de la nature, des animaux, de la chasse… et un assez net penchant pour les repas bien arrosés et bien fournis, avec des hommes partageant les mêmes goûts. Son rejet absolu de la vie de cour et de ses divertissements raffinés le singularise parmi les souverains de son temps. Il ne faudrait cependant pas en faire un homme austère, refusant le luxe ou les plaisirs de la vie. Le coût de l’hôtel de Louis XI dépasse très largement celui de la cour des ducs de Bourgogne, si brillante et si fastueuse pourtant !

Cet article est également disponible sur le blog de Pascal Boniface et Médiapart.

Kamala Harris, le pari n’est pas gagné d’avance

Tue, 23/07/2024 - 10:44

Il n’est un secret pour personne à Washington que Joe Biden, après s’être accroché à sa candidature comme une moule à son rocher, a négocié avec peu de dignité son retrait de la course à la Maison-Blanche. C’est-à-dire accepter de s’en retirer et de soutenir Kamala Harris en échange de la garantie que personne ne le pousserait à quitter le Bureau ovale d’ici janvier.

Le 46e président des États-Unis, qui avait promis de ne pas se présenter à un second mandat, n’aurait jamais dû en premier lieu être encouragé par le parti démocrate à concourir aux primaires. On parle quand même d’un homme qui, il y a quelques années déjà, introduisait devant les caméras du monde entier, sa petite-fille en la présentant comme son fils Beau, décédé depuis un bon moment. Dans une démocratie saine, Joe Biden ne devrait tout simplement plus être en fonction depuis longtemps.

Malheureusement, la république américaine est souffrante. Cela aussi est un secret de Polichinelle. Il y a du Brejnev chez Biden quand on sait son état de santé. Du Eltsine surtout, quand on connaît son entourage, qui s’est cramponné au pouvoir et l’a isolé depuis plus d’un an des réalités politiques.

Mais bon, dorénavant tout cela est du passé, et the show must go on.

Kamala Harris a toutes les qualités pour être présidente. Que ce soit comme sénatrice ou comme procureure générale de Californie, elle a su faire preuve à plusieurs occasions d’une ténacité et d’un courage exemplaires ainsi que d’un vrai sens politique. Qualités pas si courantes au sein de l’establishment washingtonien. Aujourd’hui, elle paraît faire l’union autour d’elle. Même si c’est en trainant la patte, les ténors démocrates l’ont en grande partie rejointe, la plupart de ses principaux rivaux potentiels, Gavin Newsom et Josh Shapiro, respectivement gouverneurs de Californie et de Pennsylvanie, en tête ont annoncé qu’ils ne se présenteraient pas… Les planètes semblent donc s’aligner. Les délégués officialiseront probablement leur soutien début août et la convention démocrate de Chicago, qui suivra de peu, devrait être une simple formalité. Le bain de sang d’une guerre fratricide entre démocrates, qui aurait été catastrophique, nous étant ainsi épargné. Et aux grincheux qui diront qu’Harris n’aura aucune légitimité en tant que nominée puisqu’elle n’aura pas obtenu sa nomination à la suite d’une sélection, il suffira de répondre qu’elle a remporté les primaires aux côtés de Joe Biden.

Le problème n’est pas là. Il tient à la perception que le peuple américain, dans sa majorité, a de sa personne et de son action depuis près de quatre ans.

Biden et son entourage immédiat n’ont jamais pu encadrer Harris. Les violentes et souvent justifiées attaques de celle-ci durant la campagne des primaires de 2020 à l’encontre de l’ancien vice-président de Barack Obama ont laissé de profondes cicatrices. Depuis, Biden ne s’est jamais vraiment pardonné d’avoir cédé aux pressions de ceux qui l’avaient poussé à prendre l’élue californienne comme colistière. Le mot d’ordre a donc été pendant longtemps de faire payer « celle qui n’a été choisie que parce qu’issue des minorités » en l’éloignant des centres de décisions et en l’isolant le plus possible sur la scène politique intérieure, d’où l’image d’amateurisme qui lui colle injustement à la peau. On se serait presque cru revenu au temps où John Kennedy, jaloux, marginalisait son vice-président Lyndon B. Johnson, pourtant destiné à devenir le dernier grand président américain – du moins pour ce qui est de la politique intérieure.

La bonne gestion de la crise sanitaire par Harris à partir de janvier 2021, comme ses succès dans la lutte contre le réchauffement climatique sur la scène intérieure ou son rôle central dans les discussions sur les infrastructures et les programmes sociaux sont passés inaperçus. Reste l’échec de la politique d’immigration de Biden dont on la rend injustement responsable pour y avoir été impliquée sans y être décisionnaire.

Le premier défi de la très probable candidate du parti démocrate à l’élection de novembre va donc être de se faire connaître pour ce qu’elle est vraiment, c’est-à-dire une femme de talents et d’envergure. Et connaissant le peu d’enthousiasme de la part de ses petits camarades du parti de l’âne à la soutenir réellement, ainsi que la puissance de feu des républicains, le pari n’est pas gagné d’avance.

Entre certains de ses « amis » qui ont déjà fait une croix sur l’élection à venir et se préparent pour 2028, et des adversaires prêts à tout pour revenir au pouvoir, Kamala Harris va devoir mener non seulement la campagne la plus courte de l’histoire récente des États-Unis, mais aussi la plus difficile.

 

——————————–

Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.

 

 

A Global Race against Nvidia’s Stranglehold on the Chip Market

Mon, 22/07/2024 - 16:37

 

In view of the explosion in the AI chip market, the shortage of Nvidia GPUs and their exorbitant prices, many American, European and Taiwanese companies dream of overtaking Jensen Huang’s company. Nvidia’s hegemony is set to endure, given the excellence of its GPUs for AI and the software empire it has built around them. However, there is room for alternative designers and manufacturers. Rémi Bourgeot is an Economist, Engineer, and Associate Fellow at IRIS. Estelle Prin is the Founder of The Semiconductors Observatory.

Beyond investors’ focus on Nvidia’s AI chip empire, tentative alternatives are beginning to take shape. Various credible options are emerging to push back the limits of existing chips. However, Nvidia’s competitors, whether Big Tech giants or cutting-edge start-ups, are faced not only with the technical supremacy of Jensen Huang’s company, but also with the closed environment it has developed around Cuda, its proprietary platform.

Its market capitalization has exploded to around $3,000 billion, making Nvidia the third most valuable American company in the world… Since January 2023, its share price has jumped by almost 450 %. Sales for the last quarter of 2023 reached $22.6 billion, compared with $6 billion for the same period the previous year. As fanciful as Nvidia’s share price may seem, it is in line with the company’s near-monopolistic business reality.

Nvidia rides the AI wave

The company controls between 70 % and 95 % of the design of the various AI chips, positioning itself at the forefront of the current boom. It is crushing competition from AMD, Qualcomm, Amazon and Google. Some Big Tech companies have started designing their own chips for their data centers, in line with the AI boom. But this is a recent phenomenon compared to the long experience of a pure design company like Nvidia.

The latter owes its success primarily to its decade-long focus on AI, the result of a visionary gamble. Parallel computing on GPUs has proven to be well-suited to the countless linear algebra operations that underlie the training of giant neural networks. This resolute reorientation towards AI was not an obvious choice for a company originally specializing in GPUs for video games.

Nvidia also benefits from another major asset: Cuda, its software platform, which enables customers to adapt their own AI models very quickly using the company’s chips. Huang describes Cuda as the operating system (OS) of AI. Owned by Nvidia, it makes customers captive. Developed since 2007 and constantly upgraded, this software platform is now used by the majority of AI model developers worldwide. Cuda has become an international standard.

Emerging alternatives

Alternative approaches to Cuda are emerging. The Triton platform was launched by OpenAI in 2021. Meta, Google and Microsoft are contributing. Intel and AMD are also investing in it to bypass the Nvidia ecosystem.

Given the explosion of the AI chip design market, the shortage of Nvidia chips and their exorbitant prices, many North American, European and Taiwanese companies are dreaming of dethroning the company headed by Jensen Huang. In addition to the efforts of Intel, AMD and giants like Microsoft, Meta and Amazon in the AI cloud, start-ups are demonstrating their boundless creativity.

In California, Cerebras and Groq are developing alternative architectures to increase chip speed at lower cost. The aim of these rival companies is to surpass the efficiency of Nvidia chips, with architectures that are more efficient, less expensive… and consume less energy. For example, Cerebras is developing large chips rather than stacking GPUs, in order to reduce latency.

Nvidia’s hegemony is set to continue, given the excellence of its AI GPUs and the software empire it has built around Cuda to exploit them. However, the demand and interest from investors and Big Tech is such that alternative designers and manufacturers of AI chips can exist. It’s a matter of betting on original, even disruptive approaches, focusing on chip efficiency, as well as availability and price.

 

This article was originally published by Les Echos in French.

Retrait de Biden : trop tard pour éviter la victoire de Trump ?

Fri, 19/07/2024 - 17:23

L’étau se resserre autour de l’élection présidentielle américaine du 5 novembre 2024. Alors que Donald Trump se montre triomphant à la suite de sa tentative d’assassinat, côté démocrate, Barack Obama a demandé à ce que Joe Biden, en mal de popularité, se retire. Cela pourrait être le cas dans les prochaines semaines, d’autant plus qu’arrive, au mois d’août, la convention démocrate à Chicago. Elle sera un moment clé qui déterminera le ou la vice-présidente de la ou du candidat du camp démocrate qui sera officiellement investi à l’issue de cette convention.

Le point de vue de Pascal Boniface.

Le sport en Russie : un instrument de « guerre hybride » contre l’Occident ?

Fri, 19/07/2024 - 15:25

À l’aune des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS, responsable du programme Sport et géopolitique, vous propose un rendez-vous régulier pour étudier les enjeux géopolitiques du sport.

Dans ce quinzième épisode, Lukas Aubin explique comment la Russie de Vladimir Poutine a construit son propre système politico-économico-sportif : la sportokratura. Arme de séduction, de construction nationale et de projection d’une certaine image de marque du pays à l’étranger, la Russie de Vladimir Poutine a fortement investi le domaine du sport, à la fois sur le plan intérieur et international. La Russie organise les plus grands évènements sportifs internationaux, des JO au mondial de football en passant par la Formule 1, développant ainsi un véritable sport power. Avec la désoccidentalisation du monde et les tensions géopolitiques avec l’Occident, la Russie se mue aujourd’hui comme leader d’un ordre sportif international alternatif, en témoignent les Jeux des BRICS et les Jeux de l’Amitié organisés cette année en Russie. Qu’est-ce que la sportokratura russe ? Comment le sport en Russie sert-il d’instrument pour faire face à l’Occident ? Nouvelle vidéo de Lukas Aubin.

Entretien avec David Rigoulet-Roze – Les conséquences de la guerre à Gaza sur la situation syrienne (1/2)

Thu, 18/07/2024 - 15:59

Depuis le 7 octobre 2023, l’actualité du Moyen-Orient est concentrée sur la guerre entre Israël et le Hamas. Un peu plus à l’Est, la Syrie reste instable et connaît une recrudescence de violences entre les différentes forces en présence. Le conflit en cours à Gaza a-t-il des conséquences directes ou indirectes sur la situation syrienne ?
La guerre entre Israël et le Hamas a des conséquences plus ou moins directes sur la situation syrienne. Il se trouve que le territoire syrien – celui sous contrôle du régime de Damas soit environ 65 % du territoire de la Syrie dans son ensemble -, est l’« hôte » dont le consentement a été contraint par les circonstances, de mandataires pro-iraniens, dont le Hezbollah chiite libanais qui avait été largement partie prenante du soutien militaire à Bachar el-Assad durant la décennie passée de la guerre civile aux côtés d’autres milices chiites comme la Liwa Fatemiyoun (constituée d’Afghans chiites) ainsi que la Liwa Zaiynabiyoun (constituée de Pakistanais chiites). Sans parler de la présence effective de nombre d’officiers iraniens de la force Al-Qods, projection militaire régionale du Corps de gardiens de la révolution.

Or, Israël a toujours prévenu qu’il ne tolérerait pas une présence pérenne de ces acteurs non-syriens à ses frontières immédiates, ce qui explique que le territoire syrien se retrouve donc régulièrement la cible de frappes israéliennes depuis des années – l’ancien chef d’état-major de Tsahal, Gadi Eizenkot qui prenait sa retraite, avait même révélé dans un entretien au New York Times en date du 13 janvier 2019 que l’Etat hébreu avait effectué ces dernières années des centaines, sinon des milliers de frappes sur la Syrie [1] -, et qu’elles se sont multipliées dans le prolongement de la guerre à Gaza. Le fait est que l’actuel porte-parole de Tsahal, l’amiral Daniel Hagari, a récemment confirmé le 3 février dernier qu’Israël avec frappé à de multiples reprises plus de cinquante cibles sur le territoire syrien : « Nous avons attaqué des infrastructures du Hezbollah en Syrie » depuis le 7 octobre, avait-il indiqué lors d’un point presse. « Nous avons attaqué au sol et par voie aérienne plus de 50 cibles », avait-il ajouté, alors que l’armée israélienne admet rarement ses opérations en Syrie. Cela n’excluait pas non plus des éliminations plus ciblées comme celle d’un général iranien de la force Al Qods. Le 25 décembre, déjà, une frappe aérienne israélienne avait tué Sayeed Razi Moussavi, un général iranien des Gardiens de la révolution en charge des transferts d’armes et de fonds à destination des mandataires pro-iraniens – en l’occurrence le Hezbollah libanais – et un ancien proche du général Qassem Solemaini tué le 3 janvier 2020 à l’aéroport de Bagdad par une frappe américaine, dans le quartier de Sayeda Zeinab, situé à proximité d’un sanctuaire musulman chiite éponyme, près de Damas. Israël avait poursuivi sa politique d’élimination ciblée de profils de HVT (High Value Target). Douze personnes, dont cinq conseillers des Gardiens de la révolution iranienne, ont été tuées le 20 janvier suivant à Damas par une frappe imputée à l’Etat hébreu. Elle avait visé un bâtiment de quatre étages dans le quartier de Mezzé, en banlieue de Damas, où se serait tenue une «  réunion de chefs pro-Iran », selon l’OSDH – l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, une ONG basée à Londres qui suit dans le détail l’actualité syrienne et qui, à partir d’un réseau de sources sur le terrain établit des bilans chiffrés des victimes du conflit armé en Syrie. Parmi les victimes auraient figuré notamment le général Hojatollah Omidvar (également connu sous les noms de Yousef Omidzadeh, Sardar Haj Sadiq Omidzadeh, Abu Sadegh et Haj Sadegh) le responsable en Syrie des services de renseignements de la force Al Qods, ainsi que son adjoint connu sous le nom de Hajj Gholam ou Moharram, ainsi qu’Ali Aghazadeh, Hossein Mohammadi et Saeed Karimi. De fait, ce n’est pas le régime de Damas en tant que tel qui se trouve visé mais les mandataires pro-iraniens et les infrastructures sur place permettant le transfert d’armes vers le Liban.

Bachar el-Assad est en quelque sorte un « obligé » de Téhéran dont le soutien militaire a été déterminant pour la survie du régime de Damas durant la guerre civile. Il peut difficilement se soustraire à cette situation qui fait de la « Syrie utile » sous contrôle du régime de Damas – notamment les deux aéroports stratégiques que sont celui de Damas et d’Alep – un hub vital pour le transfert d’armes iranien au profit de son mandataire libanais du Hezbollah. Ce n’est pas un hasard s’ils sont régulièrement visés par l’Etat hébreu, comme le 29 mars 2024, lorsque l’aéroport d’Alep avait fait l’objet d’une frappe ciblée faisant 42 victimes, dont 36 soldats du régime syrien – en quelque sorte « victimes collatérales » de frappes ne les visant pas spécifiquement – et cinq membres du Hezbollah. L’OSDH avait déjà recensé, fin mars 2024, une trentaine d’attaques sur le sol syrien depuis le début de l’année 2024, dont 21 frappes aériennes et huit attaques à la roquette au cours desquelles Israël aurait ciblé de nombreuses positions en Syrie, détruisant près d’une soixantaine de cibles, dont des bâtiments, des entrepôts d’armes et de munitions, des quartiers généraux, des centres de recherche militaire et des véhicules. Ces frappes visant des cibles à Damas, Deraa, Homs, Al-Qunetra, le port de Tartous, Deir Ez zor, Alep, auraient tué plus d’une centaine de combattants et blessé une cinquantaine d’autres : il s’agirait de 13 membres de la Force Al Qodsdes Gardiens de la révolution ; de 19 membres du Hezbollah libanais ; 12 activistes irakiens ; 23 miliciens syriens rattachés aux « Forces de défense nationale » (Quwat ad-Difa’a al-Watani), un groupe paramilitaire syrien organisé par le régime syrien en collaboration avec l’Iran ; 10 combattants issus des milices mandataires pro-iraniennes ; enfin, pas moins de 38 soldats du régime de Damas proprement dit [2]. Un régime qui se retrouve dans l’« oeil du cyclone ». La preuve en a été fournie avec la frappe non-revendiquée effectuée le 1er avril 2024 sur l’annexe consulaire du consulat iranien à Damas, laquelle avait éliminé les deux principaux gradés de la Force Al-Qods, en l’occurrence le général de brigade Mohammad Reza Zahedi en charge de la Syrie et du Liban et son adjoint en Syrie, Mohammad Hadi Haji Rahimi ainsi que cinq autres officiers. Certes, ce n’est pas le régime syrien en tant que tel qui était visé, mais cela témoigne de sa fragilité et de son exposition aux conséquences du 7 octobre 2023 dont il tente, autant qu’il le peut, de se préserver. Et ce, nonobstant son appartenance théorique à l’« axe » de ladite « résistance à Israël » (al milhwar al mouqawama en arabe) regroupant, outre l’exception du Hamas sunnite, une myriade de mouvements essentiellement d’obédience chiite, au premier rang desquels le Hezbollah libanais, les milices pro-iraniennes en Syrie, la nébuleuse de la « résistance islamique en Irak », ainsi que les Houthis zaydites du Yémen. L’axe de la Mouqawama dont le régime de Damas constitue aujourd’hui le « maillon faible ».

De fait, un message sans ambiguïté aurait été transmis à Bachar al-Assad par les Israéliens qui l’auraient averti de ne pas servir de manière pro-active de sanctuaire à ces mandataires iraniens installés sur son sol, faute de quoi cela conduirait immanquablement au renversement du régime de Damas [3], déjà durablement affaibli par une décennie de guerre civile. La Syrie ne veut donc surtout pas se retrouver entrainée dans un conflit mais les paramètres lui échappent largement alors même qu’elle vise à une forme de « normalisation » dans son espace régional arabe, avec non sans paradoxe l’appui de la Russie, laquelle recherche une forme de stabilisation régionale en capitalisant sur le fait d’avoir « sauvé » le régime de Damas à partir de l’intervention aérienne russe à l’automne 2014.

Nouvelle mission militaire en Haïti

Thu, 18/07/2024 - 12:59

En proie à une situation politique très instable et une violence endémique, Haïti reçoit, au moins jusqu’à l’automne prochain, une Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) téléguidée par le Kenya et sous mandat des Nations unies. Alors que 80 % de la capitale est aux mains des gangs et groupes armés, cette force internationale a pour mission d’assurer la sécurité d’un État failli. Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe, revient sur la situation politique haïtienne et le déploiement de cette force armée internationale.

« Les États prédateurs » — Francois-Xavier Carayon

Thu, 18/07/2024 - 12:11

François-Xavier Carayon est consultant en stratégie. Il poursuit en parallèle une activité de recherche consacrée aux questions d’économie politique internationale et de finance éthique, disciplines qu’il a enseignées à HEC et IRIS Sup. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Les États prédateurs », aux éditions Fayard.

1/Les États investisseurs seraient-ils aussi des États prédateurs ?

Mon enquête fait la lumière sur la manière dont certains États se transforment en prédateurs sur les marchés internationaux, et particulièrement sur le marché européen. Quand un État investit à l’étranger, il ne représente pas la même menace qu’un fonds ou une multinationale privée.
Pour comprendre le phénomène, il faut remonter un peu en arrière. Dans les années 1980 et 1990, le rôle de l’État dans l’économie semble voué à reculer. Les vagues de privatisations déferlent, non seulement dans le monde « développé », mais aussi dans celui « en développement », y compris en Chine.
Mais la plupart des grandes puissances du « Sud global » en sont revenues. À partir des années 2000, elles ont décidé de redonner un rôle majeur à l’État actionnaire. Hier gestionnaire des services essentiels de l’économie domestique, l’État actionnaire devient chez elles investisseur, avec un goût prononcé pour les marchés étrangers.
Par leurs investissements transnationaux, les États peuvent bien sûr aller chercher du rendement financier traditionnel, sans volonté d’influence sur les actifs sous-jacents. Mais ils tendent aussi, de façon croissante, à promouvoir leurs intérêts politiques par des acquisitions ciblées.
Par leurs investissements publics, les puissances étrangères peuvent chercher à accroitre leur autonomie stratégique (comme Singapour ou l’Arabie saoudite dans l’agroalimentaire), renforcer leurs alliances (comme le Qatar en France), mais aussi construire leur domination stratégique sur les nations rivales (comme la Chine dans les métaux critiques ou l’électronique). Quand ces États prennent un poids critique dans certains secteurs vitaux de notre économie ou qu’ils prennent le contrôle de nombreuses infrastructures critiques, ils se dotent d’un levier de menace géopolitique.
Les investisseurs publics étrangers peuvent aussi chercher à prendre le contrôle de nos meilleurs atouts industriels ou technologiques. Cela constitue alors une menace à notre prospérité collective, à notre emploi et notre croissance.

2/Selon vous, de peur de se couper de la manne des capitaux étrangers, nos dirigeants s’accrochent à tout prix à l’ouverture des marchés ?

Nos dirigeants sont conscients que notre croissance économique est largement tributaire des capitaux étrangers. Ils ont raison.
Pour autant, il faut être capable de distinguer les investissements qui nous profitent de ceux qui nous asservissent ou nous appauvrissent. Aujourd’hui, les dispositifs français et européens de filtrage des investissements étrangers sont insuffisants pour détecter et entraver les menaces. D’abord parce que les investisseurs publics étrangers sont de plus en plus subtils et discrets : ils ciblent des entreprises de petite taille, des sociétés non cotées, réalisent des investissements greenfield… et le tout parfois via des cascades de sociétés d’investissement rendant quasi invisibles les donneurs d’ordre réels. Ensuite parce que nos dispositifs manquent de moyens et pèchent encore trop souvent par naïveté. Qui plus est, ils ne sont pas autorisés à défendre nos intérêts purement économiques : ils se contentent de nous protéger — avec plus ou moins de succès — des investissements menaçant l’ordre public, la sécurité publique ou la défense nationale.
Je révèle dans ce livre des dizaines d’acquisitions qui sont passées sous les radars. Les entreprises rachetées appartiennent à de nombreux secteurs clés de notre économie : biotechnologies, robotique industrielle, aéronautique, édition scientifique, etc. Je fais aussi le clair sur les infrastructures critiques passées sous pavillon étranger, comme les réseaux électriques et les réseaux gaziers d’une partie du sud de l’Europe, ou encore quatorze ports européens.

3/Quels sont les fonds souverains dont nous devons le plus nous méfier ?

Les fonds chinois sont à bien des égards les plus menaçants, et notamment le China Investment Corp (CIC) qui gère à lui seul plus de 1 300 milliards de dollars.
Mais il ne faut pas sous-estimer les velléités des investisseurs publics venus du reste du monde. Les outils d’investissement développés par Pékin essaiment un peu partout en Asie (Corée du Sud, Malaisie, Inde, Kazakhstan…) et au Moyen-Orient (Arabie saoudite, EAU, Koweït, Qatar…), y compris dans des pays considérés comme ultralibéraux, tels que Singapour. Leur puissance de feu se compte généralement en centaines de milliards de dollars.
Pour lever une partie des doutes légitimes qui pèsent sur ces investisseurs publics, une mesure simple consisterait à exiger la transparence de l’ensemble de leurs investissements durables à l’étranger. C’est déjà une règle que s’applique à lui-même le fonds norvégien, le Government Pension Fund-Global (GPFG), qui se trouve être le plus gros fonds souverain au monde. Cette mesure — que pourrait porter le Fond Monétaire International (FMI) ou le Conseil de Stabilité Financière (CSF) — aurait le mérite d’encourager des échanges financiers ouverts et pacifiés qui profitent réellement à chacun.

4/Vous écrivez que, chantres de l’ouverture, les présidents américains ont dans le même temps construit l’un des marchés nationaux les plus protégés du monde développé…

Oui, les Américains ont élaboré un dispositif de filtrage des investissements étrangers robuste : le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS). Il permet de protéger les menaces à la sécurité nationale au sens large, incluant la sécurité économique du pays.
D’autres pays libéraux se sont dotés d’outils de protection également vigoureux. C’est le cas de l’Australie ou encore du Canada, qui a développé le concept intéressant de « bénéfice net national » pour déterminer le bienfondé d’un investissement étranger sur son sol.
Quand certaines voix courageuses appellent à muscler nos protections (on les retrouve partout sur l’échiquier politique, d’un Arnaud Montebourg à gauche, à un Olivier Marleix à droite), on trouve toujours des partisans béats du libre-échange pour s’inquiéter du risque de rétorsions étrangères. Les renforcements récents des dispositifs anglo-saxons nous enseignent pourtant qu’ils n’ont pas d’effet négatif sur l’attractivité du territoire, à condition que ces derniers présentent des atouts en termes de qualité de la main d’œuvre, de fiscalité et de fluidité juridico-administrative.
D’une certaine façon, le défi qui nous est posé par les États prédateurs est une chance. Il nous offre l’opportunité de briser un certain nombre de tabous, à commencer par le droit de protéger nos intérêts en entravant le marché libre. C’est là un enjeu décisif dans la compétition internationale : pas seulement pour nous prémunir des menaces venues des puissances en développement, mais aussi pour assumer, enfin, des rapports de force plus francs et virils avec les États-Unis, éternel allié, éternel rival.

Cet article est également disponible sur le blog de Pascal Boniface et Mediapart.

Les conflits en mer de Chine | Expliquez-moi…

Thu, 06/06/2024 - 17:12

Véritable carrefour entre les océans Indien et Pacifique, la mer de Chine est un espace hautement stratégique en ce qu’elle est un point de passage vital pour les économies des pays qui la bordent; un quart du commerce mondial y transite. Cet espace est de fait le théâtre de différends maritimes et territoriaux entre les pays riverains mais aussi le lieu de remise en cause du droit international de la mer. Les États côtiers se disputent la souveraineté de plusieurs îles et récifs de cet espace qui leur offriraient des droits sur les eaux territoriales et les zones économiques exclusives de ces terres émergées. À ces conflits régionaux s’ajoute la présence d’acteurs extérieurs faisant de la région une priorité dans leurs agendas de politique étrangère. C’est en particulier le cas des États-Unis.

Dans cette vidéo agrémentée de cartes, de photos et d’infographies, retour sur les conflits en mer de Chine, les multiples revendications des États riverains, et en particulier les ambitions chinoises, mais aussi l’implication d’acteurs extérieurs à la région.

BRICS+: Towards a New International Order?

Thu, 06/06/2024 - 16:48

With Egypt, Ethiopia, Saudi Arabia, the United Arab Emirates and Iran joining the BRICS at the beginning of 2024, the group now embodies a group of influential states on the international stage, representing 46% of the world’s population and 29% of global GDP. While 2024 is synonymous with an important electoral year for several BRICS members, further enlargements could take place in the coming years. Are we heading for an alternative international order? What are the strategic advantages of the BRICS+? Can they embody the voice of the global South? Interview with Jean-Joseph Boillot, Associate Research Fellow at IRIS, specialised in the Indian economy and the emerging world.

A new mandate for Vladimir Putin in Russia, a historic setback for the African National Congress (ANC) in the South African elections, a narrow victory for Narendra Modi in India, new elections to come in Iran following the death of Ebrahim Raissi and in Ethiopia… 2024 is a pivotal electoral year for many BRICS+ countries. Should we expect any repercussions from these elections on the international agenda of the BRICS+ states?

Quite possibly, as the BRICS+ are a fairly heterogeneous group. All it takes, as we saw in Argentina, is for Javier Milei, a pro-American liberal, to be elected to leave this group. But what is interesting is to see that, even with the Indian elections, the results of which returned Narendra Modi with a small majority, most of the countries of the so-called ‘Global South’ are fundamentally united, with a strong internal consensus to finally free themselves from the Western international order known as Bretton Woods. So, with one or two exceptions, there can be changes of government without undermining this very strong consensus. And while some would like to see the BRICS+ as a confrontational anti-Western club, in reality it is clear that, with Saudi Arabia, the United Arab Emirates and Egypt joining the group recently, the consensus is more along the lines of multi-alignment, rather like India, which has recently moved closer to the United States without severing its relations with Russia, for example. For the time being at least, elections in the developing world do not seem to be challenging this majority consensus in the South, and I am not talking about fake elections like the one in Russia with the election of Putin.

Since the expansion of the BRICS+ at the beginning of 2024, what analysis can be made of the group’s economic expansion? What are its strengths and strategic advantages?

We can see that the myth of a BRICS+ grouping that is more powerful than the Western economies and capable of turning the tables has not been borne out, nor are the BRICS+ a marginal phenomenon in the evolution of the world economy. What we can see is that the BRICS+ are more a fairly flexible grouping, born of the political will of the countries of the South to be taken seriously in international forums – which are still largely dominated by the West – rather than an alternative world order, except no doubt in Moscow’s mind. One example of this is Russia’s assumption of the BRICS presidency this year, because Brazil held the G20 presidency and could not do both. If you look at the way Russia is leading the preparatory sessions for the Kazan summit in October, you will see that the agenda is relatively empty. There are hardly any meetings, and no decisions have been taken. On the monetary front, for example, there was the idea of a common currency, but this has not progressed.

In a way, this reassures us that, instead of moving towards a confrontational world between two blocs, we are moving towards a South-North confrontation, but within the existing international architecture and in particular around institutions that need to be reformed, such as the International Monetary Fund (IMF) and the World Bank, which are still largely dominated by Western countries, unlike the United Nations, where the countries of the South are much more represented.

It should be noted, however, that the entry of Saudi Arabia, Iran and the United Arab Emirates is tending to reinforce a certain ‘cartelisation of the world’ under the BRICS umbrella in the key areas of raw materials, food, energy and metals. Some countries in the South now have strong political leverage over the critical raw materials they claim. This poses a problem, because most of the so-called countries of the South are not in fact producers of these raw materials. There is therefore a risk that within the BRICS+ club, there will not be a confrontation for the time being, but a difficulty in finding a point of balance between the interests of the producer countries and the interests of the consumer countries. For example, Africa, one of tomorrow’s giants in raw materials, is being courted by China, but also by Russia and the Gulf States. The challenge for the continent will be to avoid becoming dependent on this cartel.

With Thailand having recently applied to join the BRICS+ and numerous countries such as Mexico, Algeria and Turkey likely to join the group, what are the possible horizons for the BRICS+? Can they embody in a homogeneous way the voice of the so-called ‘global South’?

It seems unlikely that not only will the BRICS+ become a structured organisation, but that the club will be able to be ‘THE’ voice of the countries of the South. The reason for this is that a majority of countries tend to adopt positions of multi-alignment, of double-dealing between Western countries and the emerging or re-emerging powers of the South in the broad sense of the term, including Russia. The vast majority of the developing world does not wish to fall into a dependency that would be Russian-Chinese, for example. Those who gave during the Cold War, such as Angola, are now biting their fingers. The expansion of the BRICS, which will continue – albeit very probably at a moderate pace – relatively dilutes power within the organisation and prevents any one group from gaining the upper hand. This explains why progress has been so slow on the question of a monetary alternative to the dollar, or on actual disbursements from the BRICS bank, which is now headed by a Brazilian.

We would therefore be moving more towards what could be described as a meeting forum, and in particular a pre-G20 forum – since the BRICS have got into the habit of meeting before every G20 or other major international summit, with the aim of harmonising the positions of the South and collectively influencing decisions, as the G7 countries did. It is therefore rather positive that the BRICS are being enlarged to include countries that represent visions and interests that are a little different from those of the five founding countries, such as Algeria, Indonesia, Vietnam and Thailand, which seems to be serious about its application. It will also be interesting to see whether the election of Mexico’s new president alters the country’s thinking about joining the club at a time when the United States is totally opposed.

In the four possible scenarios described by French researcher Julien Vercueil, it seems that we are heading towards a scenario of continued expansion of the BRICS rather than its break-up and decline, as some had thought. But in this expansion scenario, rather than the world economy being divided between the South and the North, we would be moving towards growing contestation leading progressively to reforms of the global economic order. This seems the most likely scenario, given the way the first enlargement was carried out. The second enlargement may not take place in 2024 because India and Brazil are not very keen on it. So the countries that have applied will certainly have to wait until 2025. But what’s a year when you’re talking about reforming the architecture of the world?

 

Translated by Deepl.

BRICS+ : vers une recomposition de l’ordre international ?

Thu, 06/06/2024 - 16:17

 

Avec l’arrimage de l’Égypte, de l’Éthiopie, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Iran au sein des BRICS début 2024, le groupe incarne aujourd’hui un ensemble d’États influents sur la scène internationale, représentant 46 % de la population mondiale et 29 % du PIB global.  Alors que 2024 est synonyme d’année électorale importante pour plusieurs membres des BRICS, de nouveaux élargissements pourraient intervenir dans les prochaines années. Va-t-on vers un ordre international alternatif ? Quels sont les avantages stratégiques des BRICS+ ? Peuvent-ils incarner la voix du Sud global ? Entretien avec Jean-Joseph Boillot, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de l’économie indienne et du monde émergent.

Nouveau mandat pour Vladimir Poutine en Russie, revers historique pour le Congrès national africain (ANC) aux élections sud-africaines, victoire étriquée pour Narendra Modi en Inde, nouveaux scrutins à venir en Iran à la suite de la mort d’Ebrahim Raïssi et en Éthiopie… 2024 constitue une année électorale charnière pour de nombreux pays des BRICS+. Doit-on s’attendre à d’éventuelles répercussions de ces élections sur l’agenda international des États des BRICS+ ?

Ce serait fort possible car les BRICS+ forment un ensemble assez hétérogène. Il suffit, comme on l’a vu en Argentine, que Javier Milei, libéral proaméricain, soit élu pour sortir de ce groupe. Mais ce qui est intéressant, c’est de voir que, y compris avec les élections indiennes dont les résultats reconduisent Narendra Modi avec une petite majorité, la plupart des pays dit du « Sud Global » sont fondamentalement unis avec un fort consensus interne pour enfin s’affranchir de l’ordre international occidental dit de Bretton Woods. Il peut donc y avoir des alternances sans que cela remette en cause ce consensus très fort à une ou deux exceptions près. Et si certains voudraient que les BRICS+ soient un club anti-occidental confrontationnel, dans la réalité on voit bien qu’avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte qui ont intégré le groupe récemment, le consensus évoqué concerne davantage sur des positions de multi-alignement, un peu comme l’Inde qui s’est plutôt rapprochée des États-Unis ces derniers temps sans rompre ses relations avec la Russie par exemple. Pour l’instant en tout cas, les élections dans le monde en développement ne semblent pas remettre en cause ce consensus majoritaire au Sud, et je ne parle pas des fausses élections comme en Russie avec l’élection de Poutine.

Depuis l’élargissement des BRICS+ début 2024, quelle analyse peut-on délivrer sur l’expansion économique du groupe ? Quels sont ses forces et avantages stratégiques ?

On s’aperçoit que le mythe d’un groupement BRICS+ plus puissant que les économies occidentales et capable de renverser la table ne se vérifie pas, sans non plus que les BRICS+ soient un phénomène marginal pour l’évolution de l’économie mondiale. Ce que l’on observe, c’est que les BRICS+ sont plus un regroupement assez souple, issu d’une volonté politique des pays du Sud d’être pris au sérieux dans les enceintes internationales – dominées encore aujourd’hui très largement par le monde occidental – plutôt qu’un ordre mondial alternatif, sauf sans doute dans la tête de Moscou. En témoigne justement la présidence des BRICS assurée cette année par la Russie parce que le Brésil à la présidence du G20 et ne pouvait assurer les deux. Quand on regarde la façon dont la Russie anime les sessions préparatoires du sommet de Kazan qui aura lieu en octobre, on remarque que l’agenda est relativement vide. Il n’y a quasiment pas de réunions, ni de décisions prises. Sur le plan monétaire par exemple, il y avait cette idée de monnaie commune, mais qui n’a pas avancée.

Cela rassure d’une certaine façon sur le fait que, au lieu d’aller vers un monde confrontationnel entre deux blocs, l’on se dirige plutôt vers une confrontation Sud-Nord mais à l’intérieur de l’architecture internationale existante et notamment autour d’institutions qu’il s’agit de réformer comme le Fond monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale largement dominés par les pays occidentaux encore à la différence des Nations unies où se retrouvent beaucoup plus les pays du Sud.

Il faut cependant noter que l’entrée de l’Arabie saoudite, de l’Iran ou des Émirats arabes unis tend à renforcer une certaine « cartellisation du monde » sous le parapluie des BRICS dans les domaines clés des matières premières, alimentaires, énergétiques et des métaux. Certains pays du Sud possèdent désormais un levier politique fort sur les matières premières critiques qu’ils revendiquent. Cela pose problème parce que la majorité des pays dits du Sud ne sont en réalité pas producteurs de ces matières premières. Ils risquent donc d’y avoir à l’intérieur du club des BRICS+, non pas un affrontement pour l’instant, mais une difficulté à trouver un point d’équilibre entre l’intérêt des pays producteurs et l’intérêt des pays consommateurs. À titre d’exemple, l’Afrique, un des géants de demain dans les matières premières, est courtisée par la Chine mais aussi par la Russie et les pays du Golfe. Tout le jeu pour ce continent va être d’éviter de tomber dans la dépendance vis-à-vis de ce cartel.

Alors que la Thaïlande a déposé il y a peu sa candidature pour rejoindre les BRICS+ et que de nombreux pays comme le Mexique, l’Algérie ou la Turquie pourraient rejoindre le groupe, quels sont les horizons possibles pour les BRICS+ ? Peuvent-ils incarner de façon homogène la voix dite du « Sud global » ?

Il semble peu probable que l’on s’achemine non seulement vers une organisation structurée des BRICS+, mais aussi vers une capacité du club à être « LE » porte-parole des pays du Sud. La raison en est qu’une majorité de pays sont plutôt sur des positions de multialignement, de double jeu entre les pays occidentaux et les puissances émergentes ou réémergentes du Sud au sens large de Russie comprise. L’immense majorité du monde en développement ne souhaite pas tomber dans une dépendance qui serait russo-chinoise par exemple. Ceux qui ont donné pendant la guerre froide, comme l’Angola, s’en mordent aujourd’hui les doigts. L’élargissement des BRICS qui va se poursuivre – mais très probablement à vitesse modérée – dilue relativement le pouvoir dans l’organisation et empêche un groupe de prendre l’ascendant. Ceci explique qu’on aille si lentement sur la question d’une alternative monétaire au dollar, ou bien encore dans les décaissements effectifs de la banque des BRICS pourtant dirigée désormais par une brésilienne.

On irait ainsi plutôt vers ce qui pourrait être qualifié de forum de rencontre et notamment un forum pré-G20 – puisque l’habitude a été prise par les BRICS de se réunir avant chaque G20 – ou autre sommet international important, avec l’objectif d’harmoniser les positions du Sud et de peser collectivement sur les décisions comme le faisaient d’ailleurs les pays du G7. Il est donc plutôt positif d’avoir un élargissement des BRICS à des pays qui représentent des visions et des intérêts un peu différents des cinq pays fondateurs, comme l’Algérie, l’Indonésie, le Viêtnam ou la Thaïlande qui semble sérieuse dans sa candidature. Il sera aussi intéressant d’observer si l’élection de la nouvelle présidente du Mexique infléchit la réflexion du pays dans son souhait de rejoindre le club alors que les États-Unis y sont totalement opposés.

Dans les quatre scénarii possibles décrits par le chercheur français Julien Vercueil, il semble que l’on se dirige vers un scénario de poursuite de l’expansion des BRICS plutôt que vers son éclatement et son déclin, comme certains le pensaient. Mais dans ce scénario d’expansion, plutôt que d’aller vers un découpage de l’économie mondiale entre le Sud et le Nord, on se tournerait vers une contestation croissante conduisant progressivement à des réformes de l’ordre économique mondial. Cela semble être le scénario le plus probable compte tenu de la façon dont le premier élargissement s’est fait. Le second élargissement ne se fera peut-être pas en 2024 parce que l’Inde et le Brésil n’y sont pas très favorables. Les pays qui ont fait acte de candidature vont donc certainement devoir attendre 2025. Mais qu’est-ce qu’une année quand on parle de réformer l’architecture du monde…

Mexique : la victoire historique de Claudia Sheinbaum

Thu, 06/06/2024 - 14:13

Claudia Sheinbaum, candidate du Mouvement de la régénération nationale (Morena) et ancienne maire de Mexico, a été élue présidente de la République mexicaine le 2 juin dernier. Première femme élue dans le pays, elle prendra la succession d’Andrés Manuel López Obrador à compter du 1er octobre 2024, l’occasion de revenir sur les résultats marquants de ces élections générales puisque les Mexicains et Mexicaines étaient également appelé(e)s aux urnes pour élire leur Congrès. Quels sont les enseignements du succès historique de Claudia Sheinbaum et des élections générales ? Quelle reconfiguration politique nationale à la suite de ce scrutin ? Quels seront les défis de la nouvelle présidente ?

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe, revient sur l’actualité politique mexicaine.

Joe Biden face au bilan de sa politique étrangère

Thu, 06/06/2024 - 10:07

Après sa visite en France, qui a lieu ces jours-ci, un sommet crucial de l’OTAN, prévu à Washington du 9 au 11 juillet, attend le président américain, qui, bientôt en fin de mandat, doit faire face au triste bilan de sa politique étrangère.

Bien évidemment, si l’on compare à Trump, qui n’était que chaos et incompétence, il n’y a pas photo. Néanmoins, si l’on est quelque peu de bonne foi, il faut bien reconnaître que les années Biden, en ce qui concerne l’international, auront été cruelles.

Cruelles pour l’Amérique, qui aura vu son influence diminuer encore un peu plus, et pour le bloc occidental en général, entraîné par celle-ci, à qui le Sud global a cessé de faire crédit, notamment à cause du double standard pratiqué à Gaza et en Ukraine.

La première erreur majeure a été de conditionner le retour des États-Unis dans l’accord sur le nucléaire iranien à la stricte conformité de l’Iran aux termes de 2015 et à de nouvelles négociations sur les missiles balistiques. Alors que ce sont les États-Unis qui s’étaient unilatéralement retirés du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, sous l’administration Trump en 2018, conduisant ainsi l’Iran à augmenter son enrichissement en uranium et à réduire sa coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il aurait été plus adroit que l’administration Biden fasse un geste de bonne volonté à l’égard de Téhéran en retournant d’abord dans l’accord avant de poser ses légitimes exigences. Cela n’aurait rien changé sur le fond, mais tout sur la forme, et nous n’en serions peut-être pas là aujourd’hui. Aussi imparfait qu’ait été l’accord voulu par Obama, et aussi antipathique soit le régime des Mollahs, le JCPOA avait au moins le mérite d’avoir stabilisé un tant soit peu la région.

La deuxième erreur de Joe Biden en matière de politique internationale, d’ampleur historique celle-ci, concerne bien sûr l’Ukraine.

Les lecteurs de ces correspondances savent que, fils d’une Ukrainienne et ayant de la famille non loin de la ligne de front des accords de Minsk, j’ai dès le 24 février 2022 condamné l’invasion illégale menée par Poutine, président mafieux s’il en est. Ils se souviennent peut-être aussi que j’ai plaidé, au début de la guerre, pour une réaction « musclée » de l’OTAN, à savoir la création d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine, comme l’avait demandé Zelensky. C’était, selon moi, le seul moyen de calmer le jeu et d’amener le président russe, dont l’armée s’était révélée incapable de parvenir jusqu’à Kiev, à la table des négociations.

Ce n’est pas l’option qui a été choisie par Washington. Au lieu de cela, il a été décidé d’armer les forces ukrainiennes et de les pousser à poursuivre encore et encore une guerre qu’elles ne pourront probablement, et malheureusement, pas remporter, ni à court terme, ni à moyen terme – le long terme n’existant pas puisqu’elles seront sans doute lâchées par l’Amérique d’ici là -, faute d’hommes et de matériel en nombre suffisant.

Puisque nous savions que sans le déploiement risqué de troupes alliées sur le sol ukrainien, ce qui aurait probablement débouché sur une nouvelle guerre mondiale, la bataille était perdue d’avance, il a été irresponsable de ne pas inviter Volodymyr Zelensky à négocier lorsque, à l’automne 2022, l’Ukraine se trouvait, sinon en position de force, du moins dans une position favorable dans le Donbass. Une occasion manquée qui risque de ne pas se représenter.

La défaite ukrainienne qui semble donc se profiler ne serait pas seulement celle de Kiev, mais aussi celle de la politique d’un président américain prisonnier du prisme de la guerre froide. Cette politique, vide de stratégie, aura consisté en grande partie à mener une guerre par procuration avec la Russie, sans objectif précis, si ce n’est celui de pousser l’Ukraine à se battre jusqu’à une improbable « victoire finale ».

Enfin, troisièmes et quatrièmes erreurs significatives : l’approche sans vision du conflit israélo-palestinien, adoptée par le 46e président des États-Unis tout au long de son mandat, qui n’a jamais vraiment tenté de relancer le processus de paix et la solution à deux États, ainsi que son manque de consistance dans sa relation avec Benyamin Netanyahou, qu’il déteste pourtant.

Un manque de consistance qui aura conduit Joe Biden et son entourage à condamner les massacres commis par Tsahal dans la bande de Gaza tout en lui fournissant les armes nécessaires pour les perpétrer et qui aura obligé les États-Unis à construire un port artificiel à plus de 320 millions de dollars afin d’acheminer l’aide humanitaire aux Gazaouis, car Israël soumet les points d’accès terrestres à des contrôles drastiques.

D’autres incohérences de la diplomatie américaine actuelle pourraient être relevées, comme les sanctions contre Cuba, décidées par Trump et maintenues par son successeur, qui pourtant, lorsqu’il était vice-président, avait été à l’origine de la reprise des relations avec La Havane. Mais l’image qui restera indélébilement attachée à la politique internationale de Biden, et qui aura donné le ton pour la majorité des Étatsuniens, est la débâcle de Kaboul en août 2021.

Biden n’est évidemment pas responsable du désastre afghan dans son ensemble, mais cette débandade sans précédent pour la puissance américaine est son œuvre et porte sa signature. Alors que rien ne poussait les États-Unis à la précipitation, c’est lui qui s’est obstinément accroché à la date du 31 août pour conclure le retrait américain négocié par son prédécesseur.

Cette fin chaotique est alors perçue comme une défaite humiliante, révélant l’échec de la politique étrangère américaine et la mauvaise gestion des conflits. Tétanisé devant ses écrans, le peuple américain a vu sa puissance militaire, puissance qu’on lui disait sans pareille dans l’histoire humaine, mise en échec par « des paysans munis de kalachnikovs et roulant sur des mobylettes », pour citer un commentateur de télévision.

Joe Biden est un homme sincère, pétri de bonnes intentions, mais un homme définitivement prisonnier du passé et donc dépassé par les défis géopolitiques du monde actuel. Dans la crise ukrainienne, il a entraîné l’Amérique et ses alliés dans une impasse, tandis que ses adversaires ont consolidé un bloc sino-russe, allié à la Corée du Nord et à l’Iran, et soutenu par l’Afrique du Sud, ainsi que par de nombreux autres États à travers le monde, peut-être même l’Inde.

L’élection de novembre ne se jouera évidemment pas sur l’internationale, mais ce thème sera néanmoins présent dans les débats. Joe Biden se retrouvera alors confronté à un bilan dont peu de ses prédécesseurs ont souffert pendant qu’ils faisaient campagne pour leur réélection. Pour trouver une situation similaire, il faut remonter à l’époque de Jimmy Carter.

——————————–

Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.

India: a Pyrrhic Victory for Narendra Modi

Wed, 05/06/2024 - 16:52

It was a mixed victory for outgoing Indian Prime Minister Narendra Modi. For the first time since 2014, the government strongman and his BJP party have lost the absolute majority they held in Parliament. With a clear increase in the number of votes cast, the opposition, and in particular the Indian National Congress party, is calling this a ‘moral defeat’ for Modi and the BJP. The outcome of 77 days of voting raises a number of questions. How were the elections conducted? What lessons can be drawn from the results? Could this have an influence on India’s international positions? Olivier Da Lage, Associate Research Fellow at IRIS, specialising in India and the Arabian Peninsula, provides some answers.

What was the political, economic and social context in which the Indian legislative elections were held? With 970 million voters expected, the largest elections in history, how did the voting go?

The actual polling took place in seven phases between 19 April and 1 June, a total of 77 days! This was an exceptionally long period, even though it is usual in India for voting to take place in several phases, given the size of the country. This means that the security forces responsible for ensuring that the electoral process runs smoothly can be deployed to the various States in turn. But this extension of the voting period has the effect of changing the tone of the campaign as it progresses. Some candidates have not yet been declared, and operations have already been completed in other parts of the country. The campaign themes also evolve according to how the campaign is perceived at the start (and of course also according to the themes specific to each region). All in all, the elections themselves took place in a calm and orderly manner, apart from a few localized incidents of violence that are customary in the country’s electoral history. However, the operations were also marked by the opposition’s strong defiance of the Election Commission, a constitutional body made up of three people appointed by the government and which had just been reshuffled by Prime Minister Narendra Modi. The fact that the Election Commission, contrary to custom, refused to publish the absolute figures for voter turnout, contenting itself with giving percentages – before changing its position, abruptly and without explanation, added to the confusion, as did the refusal to confirm, until the day before the count, that the ballot papers sent in by post would be counted before starting to count the results from the voting machines. At the end of the campaign and at the start of the voting process, Prime Minister Narendra Modi’s BJP was tipped as the clear winner, even announcing that it was aiming for 400 of the 543 seats in the Lok Sabha (National Assembly). In the outgoing legislature, the BJP had an absolute majority with 303 seats, making the NDA alliance with subsidiary parties that were not in a position to influence decisions superfluous. But as time went by, feedback from the field showed that the BJP candidates were encountering more difficulties than expected and that the Modi ‘magic’ was no longer working as well as it had in the past. The BJP’s entire campaign was based on the Prime Minister’s personality and his programme for the next five years was very general and largely summed up in the slogan ‘Modi ki guarantee’ (Modi’s guarantee). There was growing nervousness in the ranks of the outgoing majority as the Prime Minister, in his rallies and interviews, accused the Congress Party of borrowing its programme from the Pakistan Muslim League and of wanting to strip Hindu women of their gold jewellery and give it to Muslims. While Modi’s 2014 campaign was based on the theme of good governance and his 2019 campaign on the security of the country’s borders, in 2024 he gave the impression that he was attacking India’s 200 million Muslims, while at the same time defending himself.

With Narendra Modi and the Bharatiya Janata Party (BJP) widely tipped to win a third term in office, what analysis can be made of the results? What other lessons can be drawn from these elections?

The BJP lost the absolute majority it had held since 2014 and strengthened in 2019. It must have sensed the risk, because during the campaign it resurrected the NDA Alliance, which had been virtually non-existent since 2014. Shortly before, however, the BJP president had hinted that, in time, there would be only one party in India: the BJP. With his allies, including the unpredictable head of the Bihar government Nitish Kumar, who had been at the origin of the alliance of 28 opposition parties united within the INDIA coalition before joining the ruling coalition in a turnaround of which he is a master, Narendra Modi can still count on a majority in parliament. But on the one hand, his allies are likely to pay dearly for their support and limit Narendra Modi’s alleged desire to radically transform India into an officially Hindu state. On the other hand, this Pyrrhic victory is a personal slap in the face for the outgoing head of government, whose power was also personalised. For its part, the Congress party escaped the fading that threatened and its electoral strategy of alliance with regional parties paid off for it and its partners, enabling the opposition to return in force to the Lok Sabha, even if it remains in the minority.

What influence will these elections have on India’s international ambitions?

Probably none. On the one hand, the foreign policy that would have been pursued by a government led by the Congress party would hardly have been very different from that pursued by Narendra Modi. On the other hand, the fact that the opposition obtained a more than honourable score can be presented as a denial to those who claimed that the ‘largest democracy in the world’ was no more than an ‘electoral autocracy’. But above all, the geopolitical realities have not changed with the results published on 4 June: China is still India’s neighbour and its power is perceived as a threat by both India and Western countries. The latter will therefore continue to court New Delhi, while India will pursue its policy of ‘multi-alignment’, which consists of remaining friendly with Russia and Israel while being close to Arab countries and the West. So far, this policy of tightrope walking has been fairly successful for India, whose growth rate (8.2% for the 2023-2024 financial year) is attracting a great deal of commercial interest from its partners, particularly in the West.

 

Translated by Deepl.

Inde : une victoire à la Pyrrhus pour Narendra Modi

Wed, 05/06/2024 - 14:39

C’est une victoire en demi-teinte pour le Premier ministre indien sortant Narendra Modi. Pour la première fois depuis 2014, l’homme fort du gouvernement et son parti du BJP perdent la majorité absolue qu’ils détenaient au Parlement. Avec une nette progression dans les suffrages, l’opposition, et notamment le parti du Congrès national indien, évoque une « défaite morale » pour Modi et le BJP. Le dénouement de ces 77 jours de scrutin soulève ainsi plusieurs interrogations. Comment se sont déroulées ces élections ? Quels sont les multiples enseignements à tirer des résultats ? Peut-il y avoir une influence sur les positions indiennes à l’international ? Éléments de réponse avec Olivier Da Lage, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de l’Inde et de la péninsule arabique.

Dans quel contexte politique, économique et social se sont tenues les élections législatives indiennes ? Avec 970 millions d’électeurs attendus, plus grandes élections de l’histoire, comment s’est déroulé ce suffrage ?

Le scrutin proprement dit s’est déroulé en sept phases qui se sont étirées du 19 avril au 1er juin, soit 77 jours au total ! Cette durée a été exceptionnellement longue, même s’il est habituel en Inde que le vote se déroule en plusieurs phases, compte tenu de l’étendue du pays. Cela permet de déployer dans les différents États à tour de rôle les forces de sécurités chargées de veiller à ce que les opérations électorales se déroulent dans l’ordre. Mais cette extension de la durée de vote a pour effet de modifier la tonalité de la campagne au fur et à mesure de l’avancement dans le temps. Certaines candidatures ne sont pas encore déclarées que les opérations sont déjà achevées dans d’autres régions du pays. Les thèmes de campagne évoluent aussi en fonction du ressenti des débuts de la campagne (et bien sûr également des thématiques propres à chaque région). Tout bien considéré, les élections proprement dites se sont déroulées dans le calme et dans l’ordre, si l’on excepte quelques violences localisées et qui sont habituelles dans l’histoire électorale du pays. Mais les opérations ont également été marquées par une vive défiance de l’opposition à l’encontre de la Commission électorale, un organe constitutionnel composé de trois personnes nommées par le gouvernement et qui venait d’être remanié par le Premier ministre Narendra Modi. Le fait que la Commission électorale, contrairement à l’habitude, ait refusé de publier les chiffres absolus de la participation électorale, se contentant de donner des pourcentages – avant de changer de position, abruptement et sans explication, a ajouté à la confusion, tout comme le refus de confirmer, jusqu’à l’avant-veille du dépouillement que les bulletins envoyés par la poste seraient décomptés avant de commencer à compter les résultats des machines à voter. En fin de campagne et au début des opérations de vote, le BJP du Premier ministre Narendra Modi était donné grand gagnant et annonçait même viser 400 sièges sur les 543 que compte la Lok Sabha (Assemblée nationale). Dans la législature sortante, le BJP disposait de la majorité absolue avec 303 sièges, rendant superflue l’alliance NDA avec des partis supplétifs qui n’étaient pas en mesure de peser sur les décisions. Mais au fil du temps, les échos du terrain ont montré que les candidats du BJP rencontraient plus de difficultés que prévu et que la «magie » Modi ne fonctionnait plus aussi bien que par le passé. Or, toute la campagne du BJP s’est faite sur la personnalité du Premier ministre et son programme pour les cinq ans à venir était très général et se résumait largement au slogan « Modi ki guarantee » (la garantie de Modi). On a alors pu sentir une nervosité croissante dans les rangs de la majorité sortante tandis que dans ses meetings et ses interviews, le Premier ministre a accusé le Parti du congrès d’emprunter son programme à la Ligue musulmane pakistanaise et de vouloir dépouiller les femmes hindoues de leurs bijoux en or pour les donner aux musulmans. Alors que la campagne de Modi en 2014 s’était déroulée sur le thème de la bonne gouvernance et celle de 2019 sur la sécurité aux frontières du pays, en 2024, il a donné le sentiment de s’en prendre aux 200 millions de musulmans indiens, tout en s’en défendant par ailleurs.

Annoncé grand favori pour un troisième mandat, quelle analyse peut-on faire des résultats de Narendra Modi et du Bharatiya Janata Party (BJP) ? Quels sont les autres enseignements à tirer de ces élections ?

Le BJP a perdu la majorité absolue qu’il détenait depuis 2014 et renforcée en 2019. Il a dû sentir le risque, car en cours de campagne, il a ressuscité l’Alliance NDA qui était virtuellement inexistante depuis 2014. Peu auparavant, le président du BJP avait pourtant laissé entendre qu’avec le temps, il n’y aurait plus qu’un seul parti en Inde : le BJP. Avec ses alliés, y compris l’imprévisible chef du gouvernement du Bihar Nitish Kumar qui avait été à l’origine de l’alliance des 28 partis d’oppositions réunis au sein de la coalition INDIA avant de rejoindre à la coalition au pouvoir par un revirement dont il a le secret, Narendra Modi peut toujours compter sur une majorité au parlement. Mais d’une part, ses alliés vont probablement monnayer cher leur soutien et limiter les volontés que l’on prête à Narendra Modi de transformer en profondeur l’Inde pour en faire un État officiellement hindou, d’autre part, cette victoire à la Pyrrhus est un camouflet personnel pour le chef du gouvernement sortant dont le pouvoir était aussi personnalisé. Pour sa part, le parti du Congrès échappe à l’effacement qui menaçait et sa stratégie électorale d’alliance avec des partis régionaux s’est avérée payante pour lui comme pour ses partenaires, ce qui permet à l’opposition de revenir en force à la Lok Sabha, même si elle y demeure minoritaire.

!function(){"use strict";window.addEventListener("message",(function(a){if(void 0!==a.data["datawrapper-height"]){var e=document.querySelectorAll("iframe");for(var t in a.data["datawrapper-height"])for(var r=0;r

Quelle peut être l’influence de ces élections sur les ambitions internationales indiennes ?

Probablement aucune. D'un côté, la politique étrangère qu'aurait menée un gouvernement dirigé par le parti du Congrès n'aurait guère été très différente de celle conduite par Narendra Modi, d'autre part, le fait que l'opposition ait obtenu un score plus qu'honorable peut être présenté comme un démenti à ceux qui affirmaient que la « plus grande démocratie du monde » n'était plus qu'une « autocratie électorale ». Mais surtout, les réalités géopolitiques n'ont pas changé avec les résultats publiés ce 4 juin : la Chine est toujours la voisine de l'Inde et sa puissance perçue comme une menace à la fois par l'Inde et les pays occidentaux. Ces derniers vont donc continuer de courtiser New Delhi et pour sa part, l'Inde poursuivra sa politique de « multialignement » qui consiste à rester amie avec la Russie et Israël tout en étant proche des pays arabes et des Occidentaux. Jusqu'à présent, cette politique de funambulisme a plutôt réussi à l'Inde dont le taux de croissance (8,2 % pour l'exercice budgétaire 2023-2024) suscite bien des convoitises commerciales chez ses partenaires, notamment occidentaux.

 

Pages