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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 week 3 days ago

Damas, « the diplomatic place to be »

Thu, 02/01/2025 - 16:48

Depuis la chute de Bachar el-Assad en décembre 2024, Damas est devenu un centre diplomatique mondial. La France, l’Union Européenne, les États-Unis, la Turquie, le Qatar, l’Ukraine et bien d’autres se pressent pour engager des discussions avec le gouvernement provisoire syrien, dirigé par le Premier ministre en charge de la transition : Mohammed al-Bachir du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS). Ces visites abordent des sujets variés : enjeux géopolitiques, reconstruction économique, protection des minorités kurdes et alaouites ou encore lutte contre le terrorisme.

Les puissances mondiales cherchent à sécuriser des intérêts stratégiques, tout en limitant l’influence de la Russie et de l’Iran en Syrie. Cependant, un paradoxe demeure concernant HTS, toujours perçu comme une organisation terroriste par de nombreux pays et organisations. Par pragmatisme politique et, guidés par des intérêts stratégiques, des dialogues ont tout de même lieu avec le pouvoir en place. Celui-ci cherche à apaiser les tensions internes et à se présenter comme un interlocuteur modéré.

Malgré ses avancées diplomatiques, le gouvernement de transition devra faire face à de nombreux défis socio-économiques au cours de la reconstruction de la Syrie.

Trump déjà hyper menaçant

Fri, 27/12/2024 - 15:31

Alors qu’il n’a pas encore officiellement pris ses fonctions de président des États-Unis, Donald Trump multiplie les déclarations controversées. Ces prises de position envoient un message clair au reste du monde : le futur président ne semble pas prêt à modérer ses propos. Ces derniers jours, il a publié une série de messages sur Truth Social, son propre réseau social, visant le Canada, le Groenland et le Panama.

D’abord, il a suggéré que le Canada devienne « le 51ᵉ État des États-Unis », qualifiant même Justin Trudeau de « gouverneur ». Cette insinuation presque annexionniste a été très mal reçue par les Canadiens, provoquant une vague d’indignation. Concernant le Groenland, Trump a réitéré son intérêt pour l’achat de ce territoire stratégique, qu’il considère comme une « nécessité absolue » pour la sécurité nationale américaine notamment en raison de ses ressources naturelles. Le Danemark et le Premier ministre groenlandais ont immédiatement rejeté cette proposition, affirmant que « le Groenland n’est pas à vendre et ne le sera jamais ». Enfin, Donald Trump a critiqué les frais imposés aux navire au niveau du Canal de Panama, des frais qu’il juge excessifs. Il a menacé de reprendre le contrôle du canal, évoquant également la nécessité de contrer toute influence chinoise dans la région. Cette déclaration a une portée symbolique forte, alors que la souveraineté du canal n’a été restituée au Panama qu’en 1999, jusqu’alors sous gestion américaine.

Avec des déclarations évoquant presque les principes de la doctrine Monroe, Donald Trump entame sa présidence en bousculant les relations internationales. Ce début disruptif laisse entrevoir une politique résolument centrée sur les intérêts américains, quitte à heurter les équilibres diplomatiques établis.

Gaza : le génocide de plus en plus souvent évoqué

Mon, 23/12/2024 - 15:24

Chaque jour, le bilan humain à Gaza s’alourdit sous les bombardements intensifs. Des milliers de personnes restent piégées sous les décombres, tandis que d’autres succombent à des conditions de vie désastreuses, faute de nourriture, de soins ou d’eau potable.
Peut-on parler de génocide pour qualifier les actions israéliennes dans la bande de Gaza ? Certains affirment que ce terme ne doit pas être utilisé « à la légère » et qu’il nécessite une réflexion approfondie. Pourtant, il est essentiel de rappeler que la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide existe précisément pour éviter de telles tragédies.
Depuis novembre 2023, des institutions spécialisées et des experts des Nations Unies alertent sur un risque de génocide Cette année, la Cour Internationale de Justice a reconnu un risque plausible de génocide à Gaza. Au cours des dernières semaines, des ONG comme Amnesty International, Human Rights Watch et Médecins sans Frontières ont publié plusieurs rapports documentant des nettoyages ethniques et des crimes de génocide contre les Palestiniens de Gaza.
La mise en place d’un cessez le feu ainsi qu’une prise de conscience de la communauté internationale sont plus pressantes que jamais, alors que les voix dissidentes qui dénoncent les agissements de l’armée israéliennes sont toujours censurées.

Conseil européen de décembre 2024 : quelle stratégie pour l’UE ?

Fri, 20/12/2024 - 18:47

Les dirigeants des vingt-sept chefs d’États se sont réunis ce jeudi 19 décembre à Bruxelles à l’occasion du dernier Conseil européen de 2024. Si Emmanuel Macron était absent en raison de son déplacement à Mayotte, le Conseil s’est tenu en présence du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Une manière de renouveler publiquement le soutien commun à l’Ukraine, alors que l’élection de Donald Trump semble pousser à d’imminentes négociations. En coulisses, pourtant, cette unité affichée est mise à mal par les agendas respectifs des différents États quant à leur relation avec Moscou et leur soutien à Kyiv.

Revenez sur ce sommet aux implications majeures, avec Federico Santopinto, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Europe, stratégie et sécurité.

2024 : Bilan stratégique

Thu, 19/12/2024 - 17:02

La fin d’année approche, et il est temps de dresser un bilan stratégique de 2024. Cette année, marquée par une succession d’événements géopolitiques majeurs, a malheureusement été dominée par des développements négatifs, bien que quelques lueurs d’espoir subsistent.

On peut citer la perspective d’un cessez-le-feu en Ukraine, notamment dans le contexte de la victoire de Donald Trump. Si la prise de territoires par la force russe demeure inacceptable, une pause dans les souffrances humaines et les pertes de vies pourrait offrir un répit bienvenu.

D’autres conflits continuent de s’enliser sans issue apparente. C’est le cas du conflit à Gaza, qui a exacerbé cette année les fractures entre les pays occidentaux et ceux du Sud. Ces tensions se sont accentuées après le mandat d’arrêt controversé émis par la Cour pénale internationale contre Benjamin Netanyahou. Par ailleurs, 2024 a été marquée par une extension du conflit au Liban, entraînant une déstabilisation accrue de la région et contribuant à la chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie.

Le dossier syrien, désormais brûlant, pose des questions cruciales de gouvernance : les erreurs du passé seront-elles répétées ou les acteurs impliqués parviendront-ils à construire une voie d’avenir ? Dans le même temps, des incertitudes planent sur l’ensemble de la région et au-délà : une offensive conjointe d’Israël et des États-Unis contre l’Iran est-elle envisageable ?

A l’échelle planétaire, les BRICS se sont imposés comme le club en pleine ascension en 2024, affichant une volonté claire de contrebalancer l’influence de l’Occident. L’annonce de l’intérêt de de la Turquie pour s’y associer, alors qu’elle est membre de l’OTAN, a notamment marqué l’année. Assiste-t-on à une inversion des rapports de force mondiaux ?

Parallèlement, l’Europe semble s’affaiblir, sous le poids de la guerre en Ukraine et d’un déclin progressif de sa compétitivité industrielle. Des puissances naguère leaders, comme la France et l’Allemagne, sont aujourd’hui confrontées à une instabilité politique et sociale croissante.
Enfin, cette année n’aura toujours pas permis de braquer les projecteurs sur les conflits dits « oubliés ». Au Soudan et en République démocratique du Congo, des violences continuent de faire rage dans une indifférence presque totale du reste de la communauté internationale.

Espérons que l’année 2025 apportera de meilleures nouvelles sur le plan géopolitique, et offrira des perspectives de paix et de stabilité.

Sécurité européenne : la guerre en Ukraine et le « jour d’après »

Thu, 19/12/2024 - 15:59

Quelles options pour préparer l’Ukraine et l’Europe à d’éventuelles négociations et à l’environnement sécuritaire qui en découlera ? La perspective de négociations potentiellement imminentes sur un cessez-le-feu en Ukraine – qui constituerait au minimum un arrêt des combats – devrait pousser les alliés occidentaux à intensifier leur soutien militaire dans les semaines à venir, afin d’assurer à Kyiv une meilleure position dans les discussions. D’autant plus que des négociations défavorables à l’Ukraine seraient également dommageables pour la sécurité européenne. Les Européens auront à l’avenir une responsabilité majeure à assumer dans la défense du continent et la dissuasion de la Russie. Ils auront besoin de s’appuyer sur une industrie de défense renforcée et autonome, et devront surmonter un certain nombre de défis, au premier rang desquels la question du financement de la défense et de l’unité politique.

Vers une accélération du soutien militaire à l’Ukraine ?

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis semble avoir radicalement rapproché l’échéance de négociations sur l’arrêt des combats en Ukraine, à un moment où l’évolution de la guerre prend une tournure défavorable pour Kyiv. L’avancée des troupes russes s’est accélérée au cours des derniers mois, avec un déplacement du front de parfois plusieurs kilomètres par jour. Si des négociations devaient intervenir dans ces conditions, Moscou serait en mesure de soutenir ses revendications maximalistes – l’annexion totale des cinq oblasts ukrainiens partiellement conquis – mettant durablement en danger l’intégrité et la stabilité de l’Ukraine, ainsi que la sécurité à long terme du continent entier. Les Européens ne seraient pas non plus en position favorable et risqueraient de se voir écartés de négociations dont ils auront ensuite à assumer le coût sans avoir pu y faire valoir leurs intérêts. Certains semblent progressivement se mettre en ordre de marche : Emmanuel Macron a réuni Donald Trump et Volodymyr Zelensky à Paris, début décembre, avant de se rendre à Varsovie, où le Premier ministre polonais Donald Tusk dit se préparer pour d’éventuelles négociations « cet hiver ». La Pologne aura au cours du premier semestre 2025 une responsabilité particulière sur la scène politique européenne, puisqu’elle assumera la présidence tournante du Conseil de l’UE. Néanmoins, les Européens apparaissent dans l’ensemble désunis. Ils manquent d’une stratégie claire pour les négociations, voire de la crédibilité nécessaire pour y gagner leur place.

Il ne reste que quelques semaines pour renverser cette double tendance de l’avancée russe et de la fragilité européenne avant que le nouveau président américain ne puisse mettre en œuvre sa promesse de « faire cesser la guerre en 24 heures », qui serait au détriment de l’Ukraine et de l’Europe entière. Pour compliquer le calcul stratégique de Vladimir Poutine et renforcer la crédibilité européenne, intensifier le soutien militaire à l’Ukraine (qui correspond aujourd’hui en moyenne à moins de 0,1 % des PIB respectifs des États impliqués) apparait comme la principale solution.

Les pays d’Europe nordique et baltique allouent régulièrement de nouveaux paquets d’aide et accélèrent les livraisons : le Danemark a déjà transféré l’ensemble de ses capacités d’artillerie aux forces armées ukrainiennes (FAU) et finance désormais la livraison de blindés conjointement avec la Suède qui, elle, accélère la production des véhicules. La Norvège met l’accent sur la défense anti-aérienne et les trois États baltes consacrent chacun environ 0,25 % de leur PIB au soutien à l’Ukraine. L’investissement financier du Danemark devrait, en outre, permettre la livraison de canons automoteurs Caesar de KNDS France en 2025 plutôt qu’en 2026. L’Ukraine a également besoin de renforcer son aviation. Les premiers F-16 sont arrivés en Ukraine cet été dans le cadre de la coalition menée par Copenhague et La Haye – plus d’une soixantaine en tout ont été promis, qui pourraient faire la différence sur le terrain. L’Ukraine pourrait aussi espérer trois à six Mirage français livrés début 2025, faisant suite aux déclarations du président de la République au printemps dernier. Malgré le transfert de systèmes d’armes performants dans le domaine de l’artillerie et des missiles (et bien qu’un type de matériel à lui seul ne puisse faire la différence), le soutien militaire de la France reste perçu comme en deçà de ce qui pourrait être attendu de la première puissance militaire de l’UE, avec des ambitions de leadership au sein de l’Union. Le ministre démissionnaire français des Armées Sébastien Lecornu a notamment admis lors d’une audition parlementaire en octobre que l’objectif fixé dans l’accord bilatéral de sécurité franco-ukrainien de trois milliards d’euros d’aide militaire en 2024 ne serait pas atteint…

Pour espérer reprendre l’avantage sur le terrain, les FAU devraient aussi être capables d’atteindre des cibles militaires sur le territoire russe. La décision de Joe Biden d’autoriser l’utilisation par Kyiv des systèmes ATACMs et de lever les restrictions sur l’usage des missiles SCALP et Storm Shadow livrés par la France et le Royaume-Uni représente donc un pas dans cette direction, même si son impact doit être nuancé : les systèmes en question ont une portée limitée (300 kilomètres pour les ATACMS et 500 kilomètres pour les SCALP/Storm Shadow) et sont disponibles en quantité restreinte, surtout en ce qui concerne les SCALP/Storm Shadow.

Les efforts de soutien militaire pourraient donc être poursuivis et intensifiés, notamment en fournissant à l’Ukraine davantage de missiles de croisière et de munitions d’artillerie, dans la mesure des capacités de production des entreprises européennes. Kyiv aura surtout besoin de nouveaux systèmes de défense anti-aérienne à courte et moyenne portée (au moins 19 systèmes selon le ministre des Affaires étrangères ukrainien) pour protéger ses infrastructures énergétiques cet hiver.

Enfin, l’intensification du soutien pourrait aussi passer par une accélération de la formation des soldats ukrainiens. Le besoin exprimé par l’Ukraine de recevoir des instructeurs sur son sol avait été jugé « légitime » par Emmanuel Macron qui souhaitait donc mettre en place une coalition avec plusieurs partenaires, en dehors du cadre de l’UE en raison de l’absence de consensus sur ce sujet. Non suivi d’effet, ce projet pourrait être remis sur la table pour répondre à l’urgence de la situation et affirmer la détermination européenne.

Les termes d’une éventuelle négociation : gel du conflit contre garanties de sécurité pour l’Ukraine ?

Fin novembre, Volodymyr Zelensky s’est dit prêt à des concessions territoriales provisoires en échange d’un cessez-le-feu et d’une adhésion à l’OTAN. Le président ukrainien renoncerait ainsi temporairement à l’objectif de restauration de l’intégrité territoriale de son pays dans les frontières de 1991. Ces concessions éventuelles dans le cadre d’un gel du conflit doivent être envisagées avec toute la gravité qu’elles imposent. Si elles peuvent permettre un arrêt des combats, aujourd’hui souhaité par une majorité d’ukrainiens et bien sûr souhaitable dans l’absolu, elles seraient aussi lourdes de conséquences aux plans juridique, moral, humanitaire et sécuritaire. Elles acteraient en effet, au moins provisoirement, un recul du droit international face à l’acquisition de territoires par la force. Et en ce sens, la possibilité de gel du conflit s’oppose ici à celle de la signature d’un traité de paix avec Moscou qui scellerait les gains territoriaux russes et constituerait donc une véritable défaite. Mais au-delà de ces questions de principes et de justice, c’est aussi le sort réservé aux habitants de ces territoires qui doit préoccuper. Depuis 2014, le Donbass occupé et la Crimée annexée ont connu la russification forcée visant à effacer l’identité ukrainienne, ainsi que les pertes de libertés collectives et individuelles inhérentes au régime russe. L’invasion à grande échelle de 2022 s’est quant à elle accompagnée d’exactions terribles et de potentiels crimes de guerres commis par l’armée russe : exécutions de civils et de prisonniers de guerre, tortures et violences sexuelles ont déjà été documentées par plusieurs organisations internationales et ONGs. Pour l’ensemble de ces raisons, toute cession, même ponctuelle, de territoires ukrainiens à la Russie laissera des traces profondes dans les mémoires collectives et fragilisera la sécurité de la région entière.

Concrètement, les termes d’un accord de cessez-le-feu doivent pouvoir être acceptés par les deux parties sans que l’une ne puisse se considérer comme trop « perdante ». Certains experts considèrent que les dispositions sur la délimitation de cette frontière de facto pourraient, par exemple, s’inspirer de l’acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) de 1975. Ce texte a été signé en pleine Guerre froide par les États européens – dont la RFA et la RDA – qui « considèrent que leurs frontières peuvent être modifiées, conformément au droit international, par des moyens pacifiques et par voie d’accord. » Une telle phraséologie pourrait rendre possible un accord de cessez-le feu tout en permettant à l’Ukraine de ne pas accepter une modification de la frontière revendiquée par Moscou et donc de geler le conflit sans entériner formellement le gain russe. De telles dispositions devraient être complétées par un monitorage international de la zone de front, sous la forme d’une mission de maintien de la paix pour éviter une reprise des combats.

Des concessions ukrainiennes ne peuvent être envisagées sans des garanties de sécurité fermes et crédibles de la part des alliés occidentaux pour prévenir une reprise de l’agression quand la Russie aura reconstitué ses capacités militaires. Au-delà des aspects purement sécuritaires, ces garanties sont aussi indispensables pour permettre une stabilité relative du pays, le retour des Ukrainiens actuellement réfugiés à l’étranger et la relance économique nécessaires à la reconstruction du pays. Il apparait d’ores-et-déjà que les Européens auront une responsabilité de premier plan dans tout dispositif mis en place pour assurer la sécurité de l’Ukraine – et leur propre sécurité.

Le modèle « Ouest-Allemand » – l’intégration dans l’OTAN des territoires ukrainiens contrôlés par Kyiv – semble pour le moment exclu, faute d’accord entre les alliés sur cette question qui constitue a priori une « ligne rouge » pour Moscou. L’opposition virulente de la Hongrie et de la Slovaquie apparait ici comme un obstacle moins important que les réticences des États-Unis et de l’Allemagne, qui permettent d’ailleurs à d’autres pays européens tout aussi réservés mais moins vocaux de ne pas s’exposer dans ce débat.

D’autres modalités de garanties sont néanmoins envisagées par plusieurs experts pour dissuader la Russie de reprendre sa guerre. La plus crédible – en termes de dissuasion mais pas en termes de probabilité de réalisation – est celle d’un déploiement de soldats occidentaux en Ukraine dans le cadre d’une coalition ad hoc qui pourrait comprendre quelques dizaines de milliers de militaires. Centrée principalement sur la composante terrestre, cette force comprendrait aussi des missions de surveillance aérienne (sur le modèle de la mission Baltic Air Policing de l’OTAN, par exemple). Les Européens constitueraient le gros des troupes et des matériels, actant une prise de responsabilité concrète à travers ce qui représenterait un effort conséquent en termes de personnels mobilisés. Une présence américaine risquerait d’être rédhibitoire pour Moscou mais resterait néanmoins souhaitable, même réduite à une dimension symbolique, pour éviter de sceller un découplage entre l’Europe et les États-Unis. De plus, l’investissement de Washington est nécessaire sur le plan capacitaire, à l’heure où des lacunes européennes persistent notamment dans les domaines du transport stratégique et de l’ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance).

Concrètement, quels pays européens pourraient faire partie d’une telle coalition ? La participation de la France et du Royaume-Uni, premières puissances militaires du continent, semble un prérequis. Les pays nordiques et baltes ayant déjà témoigné leur détermination à soutenir l’Ukraine seraient aussi susceptibles de fournir des contingents, de même que les Pays-Bas. L’investissement de la Pologne, nouvelle puissance militaire européenne en devenir, est également souhaitable, même s’il reste loin d’être acté. Le Premier ministre Donald Tusk a en effet signifié à l’occasion de la récente visite d’Emmanuel Macron en Pologne que l’envoi d’une force européenne de maintien de la paix en Ukraine n’était pas prévu pour l’instant du côté de Varsovie, surtout en dehors du cadre de l’OTAN. La chancellerie allemande a également manifesté sa réticence.

Les autres modalités envisageables de manière complémentaire comportent le déploiement permanent de capacités de défense anti-aériennes en Ukraine et au sein de l’Union européenne. Les projets européens dans ce domaine, comme le bouclier antimissile proposé par la Pologne et la Grèce, devraient donc aussi constituer une priorité du développement capacitaire de l’Europe et pourrait être étendu aux territoires ukrainiens contrôlés par Kyiv.

La formation des soldats ukrainiens devrait aussi se poursuivre notamment dans le cadre de la mission européenne EUMAM (European Union military Assistance Mission in support of Ukraine). Pour l’instant, celle-ci se déroule en Pologne et dans plusieurs pays formateurs, en l’absence de consensus des États membres pour l’implanter en Ukraine. Un cessez-le-feu pourrait conduire à rouvrir cette discussion. Plusieurs États européens ont aussi mis en place des formations spécifiques liées au maniement et à la maintenance de matériels. La France, par exemple, s’est positionnée sur le domaine de l’artillerie et forme les soldats ukrainiens sur les canons Caesar. Ces formations apparaissent nécessaires au-delà de la guerre afin de soutenir l’Ukraine dans la modernisation de ses armées, vers un rapprochement des standards euro-atlantiques. Elles pourraient donc se poursuivre sur le sol ukrainien après un gel du conflit.

Enfin, le soutien à l’industrie de défense ukrainienne déjà mis en place sous l’impulsion des pays nordiques – le Danemark a ouvert la voie en proposant un modèle de soutien financement direct – mériterait d’être poursuivi et étendu, de même que les coopérations industrielles entre l’Ukraine et la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Celle-ci est, en effet, appelée à jouer un rôle fondamental dans la crédibilité de l’Europe en tant qu’acteur de sécurité.

L’industrie de défense : pilier de la sécurité européenne

La question de la crédibilité ne se pose pas seulement vis-à-vis des partenaires de l’UE, mais aussi de ses adversaires. La BITDE doit en effet devenir un élément de dissuasion conventionnelle, par son niveau technologique et ses capacités de production. « Production is deterrence » (la production est la dissuasion) : le désormais fameux mot du sous-secrétaire américain à la Défense Bill LaPlante, prononcé en 2022 alors que les industries européennes et américaine étaient confrontées aux défis de la remontée en puissance, conserve en 2024 et en 2025 toute sa pertinence. Le renforcement des capacités de production européenne de véhicules blindés et de chars, d’artillerie et de munitions, de capacités de défense anti-aérienne et de frappe dans la profondeur sera décisif pour la crédibilité des garanties de sécurité données à l’Ukraine et pour dissuader la Russie de reprendre, voire d’élargir, sa guerre d’agression. En France, par exemple, cet effort commence déjà à se faire sentir sur les segments de l’artillerie et des munitions, ainsi que celui des missiles. KNDS France (qui produit le canon Caesar) et MBDA (premier missilier européen) ont ainsi augmenté leurs cadences, ouvert de nouvelles lignes de production et acheté des stocks importants de matière première et des composants pour passer d’une logique de flux tendus et de production « juste à temps » à la constitution de capacités de production de temps de guerre.

En outre, alors que l’Europe risque un accroissement de ses dépendances vis-à-vis des États-Unis dans le contexte de la guerre en Ukraine, la prise de conscience du caractère stratégique de la BITDE devrait conduire au renforcement de celle-ci. Une communication de 2013 de la Commission européenne soulignait déjà que « la BITDE constitue un élément clé de la capacité de l’Europe d’assurer la sécurité de ses citoyens et de protéger ses valeurs et ses intérêts. […] Elle a pour cela besoin d’un certain degré d’autonomie stratégique : pour être un partenaire fiable et crédible, l’Europe doit être en mesure de décider et d’agir sans dépendre des capacités de tiers. La sécurité d’approvisionnement, l’accès aux technologies critiques et la souveraineté opérationnelle sont donc essentiels ». Pour atteindre ces objectifs, le renforcement des capacités européennes doit donc se concentrer sur des systèmes de conception européenne, et non pas sur du matériel américain produit sous licence sur le territoire européen. Il ne s’agit pas là d’une question de principe mais bien de garantir aux Européens la souveraineté d’utilisation sur les systèmes d’armes en leur possession et leur capacité immédiate de déploiement en cas de besoin, sans avoir besoin pour cela d’une autorisation de Washington. De plus, la production sous licence ou la capacité d’assemblage de systèmes conçus en dehors de l’UE imposera des limites à toute velléité de montée en cadences en cas de nécessité, puisque les européens n’auront pas de contrôle sur les chaînes d’approvisionnement.

L’Ukraine est concernée au premier plan par la nécessité de renforcer son industrie de défense, dont il s’agira de faire une priorité du soutien européen, y compris après un potentiel cessez-le-feu. La BITD ukrainienne a en effet un rôle fondamental à jouer dans la construction d’un potentiel de dissuasion conventionnelle à long terme. Le domaine de l’industrie de défense ukrainien devrait donc faire l’objet non seulement d’un soutien financier mais aussi devenir un vecteur de coopération avec l’industrie européenne, voire d’intégration à l’UE. La vingtaine d’accords bilatéraux de sécurité signés avec l’Ukraine par des pays européens en 2024 comportent, en effet, l’objectif de renforcer la coopération dans ce domaine.

Les coopérations industrielles avec l’Ukraine sont donc déjà impulsées à plusieurs niveaux : industriel, étatique et européen. Dès 2023, plusieurs entreprises européennes ont annoncé leur intention de développer leurs activités en Ukraine et leurs liens avec l’industrie locale. C’est le cas de l’entreprise allemande Rheinmetall, du groupe suédois Saab, du tchèque Czechoslovak Group (CSG), de petites entreprises baltes spécialisées dans la robotique et les drones, et d’autres encore (pour une cartographie complète, voire la note ARES de Daniel Fiott publiée sur le sujet). Les entreprises françaises participent aussi à ce mouvement. Sébastien Lecornu s’était rendu en Ukraine en septembre 2023 pour acter le passage « d’une logique de cessions à partir de nos stocks, à celle de partenariats industriels ». KNDS France va donc coopérer avec des entreprises ukrainiennes dans le domaine de l’artillerie avec la production d’obus de 155 mm et l’ouverture d’un site dédié à la maintenance des canons Caesar en Ukraine. La Commission européenne n’est pas en reste puisque le soutien à l’industrie de défense ukrainienne est l’un des axes du futur programme pour l’industrie de défense européenne (EDIP), auquel les entreprises ukrainiennes seront éligibles au même titre que les États membres. L’UE a également ouvert un bureau pour l’innovation de défense à Kyiv en 2024 pour faciliter les coopérations industrielles.

L’ensemble de ces initiatives de soutien et de coopération devrait permettre à l’Ukraine une plus grande réactivité sur le plan opérationnel – en se concentrant sur les besoins des FAU et en facilitant la maintenance des matériels près du front – et de moderniser son secteur de la défense en harmonisant ses standards industriels et capacitaires avec ceux de l’OTAN. Sur le plan normatif, elles permettraient aussi une intégration progressive au marché de la défense européen avant même l’adhésion officielle à l’UE. La réforme de l’industrie de défense lancée en 2023 par le gouvernement ukrainien pour accroitre la transparence du secteur et y enrayer la corruption s’inscrit aussi dans cette direction. La poursuite du développement de ces coopérations – actuellement encore au stade de prémisses – semble donc importante pour faciliter à terme l’entrée de l’Ukraine dans l’UE et l’OTAN.

Réciproquement, les Européens auront aussi des leçons à tirer de ces échanges avec l’industrie ukrainienne en matière de méthodes de captation et d’intégration rapide de l’innovation, qu’elle soit d’origine civile ou militaire. L’évolution des processus d’innovation est, en effet, l’un des nombreux défis auxquels devra s’adapter le secteur de la défense européenne pour faire face à son nouvel environnement stratégique.

Les défis pour la défense européenne dans un environnement stratégique instable

Une évaluation partagée de l’environnement stratégique et des menaces qui le caractérisent sera nécessaire tant pour la définition des capacités militaires et industrielles à développer en Europe, que pour renforcer l’unité politique de l’Union. Sans pour autant se détourner du voisinage méridional de l’UE et du reste du monde, les États membres devront continuer à composer avec la menace russe qui ne faiblira pas après un cessez-le-feu en Ukraine, du moins à court terme. Au contraire, avec une augmentation de la part de son PIB consacré à la défense pour reconstituer ses capacités militaires, ainsi qu’une présence avancée en Europe via la vassalisation de la Biélorussie et l’occupation partielle de l’Ukraine, la Russie incarnera un danger potentiel de premier plan. Au-delà même de l’hypothèse d’un autre engagement militaire majeur russe, les stratégies d’influence et de stratégies hybrides du Kremlin continueront à déstabiliser le Caucase et l’Europe. Opérations de manipulation de l’information, ingérences dans les processus électoraux, cyber-attaques et sabotages d’infrastructures se multiplient déjà dans le cadre d’une vaste offensive russe contre le continent. Sur les 500 incidents suspects observés cette année en Europe, une centaine ont déjà pu être attribués à la Russie.

Les États frontaliers de la Russie et de la Biélorussie – pays nordiques, baltes, Pologne – continueront eux à considérer Moscou comme la principale source de menaces pour leur sécurité. Et si les pays de la « vieille Europe » qui, certes devront aussi faire face aux crises qui se multiplient ailleurs dans le monde, négligent à nouveau la menace russe après la négociation d’un éventuel cessez-le-feu en Ukraine, ils risquent de perdre la confiance des capitales orientales. Ces dernières verraient ainsi confirmer leur perception de l’indispensabilité de la garantie de sécurité américaine.

La prise de conscience des Européens sur la nécessité d’assumer leurs responsabilités en matière de défense s’est traduite par une forte augmentation des budgets de défense depuis 2022 – avec toutefois un fort gradient géographique et un accroissement plus marqué sur le flanc Est. Aujourd’hui, la majorité des États membres de l’UE allouent l’équivalent de 2% de leur PIB à leur budget de défense (1,9% en moyenne en 2024 selon la projection de l’Agence européenne de défense), quand ils n’étaient que six à atteindre cet objectif en 2021 (États baltes, Croatie, Pologne, Grèce). Les trois États baltes dépassent même la barre des 3 % et la Pologne celle des 4 % de PIB consacrés aux dépenses de défense.

S’il est peu probable que cette tendance se renverse à court terme au vu de la dégradation de l’environnement sécuritaire, la simultanéité d’une conjoncture économique défavorable impliquera des choix budgétaires. Or, les opinions publiques européennes divergent sur la manière de trancher ce « dilemme beurre-canon », révélant un besoin de débat démocratique au niveau national sur le sujet. La soutenabilité de l’effort apparait en outre difficilement conciliable avec la rigueur budgétaire imposée par le Pacte de stabilité et de croissance, par lequel les États membres de l’UE s’engagent à maintenir un déficit inférieur à 3 % du PIB et leur dette publique inférieure ou égale à 60 % du PIB. L’impératif actuel de relance du secteur de la défense européen pourrait-il constituer un motif de nouvelle réforme du cadre fiscal de l’UE ? Cela semble incertain puisqu’il vient justement d’être modifié, mais le cas polonais, par exemple, plaide en faveur d’un assouplissement des règles sur les trajectoires de correction de la dette pour concilier celles-ci avec l’impératif d’augmenter les budgets de défense.

La Commission européenne se mobilise depuis 2022 pour inciter les États membres à synchroniser leurs efforts et cherche des solutions pour augmenter les financements au niveau européen. Le nouveau commissaire européen à la Défense, Andrius Kubilius, souhaite pouvoir mettre 500 milliards d’euros sur la table pour les dix prochaines années, sans attendre le prochain cadre financier pluriannuel en 2028 (le budget de l’UE, déterminé pour une période de sept ans). Plusieurs possibilités sont déjà explorées : utilisation élargie des avoirs russes gelés, révision de la politique de prêt de la Banque européenne d’investissement pour soutenir les investissements dans la défense, création d’un fonds de défense financé par un endettement commun, utilisation des Fonds de Cohésion pour les projets d’infrastructures militaires… Aucune de ces options ne fait l’unanimité pour l’instant. Le volume budgétaire et financier alloué à la défense sera pourtant déterminant pour calibrer le niveau d’ambition de l’approche européenne.

Il sera également essentiel de réaliser ces investissements de manière cohérente à travers l’UE, notamment par le biais d’acquisitions conjointes. Celles-ci sont indispensables pour atteindre la masse critique de commandes permettant aux États de réaliser des économies d’échelle et à l’industrie de redimensionner son modèle de production, ainsi que pour favoriser l’harmonisation des standards capacitaires et donc l’interopérabilité des forces européennes.

Pour affronter ces défis et poursuivre son chemin vers une prise de responsabilité en matière de défense, l’Union européenne aura besoin d’unité et de volonté politique. Au cours des dernières années, la Commission européenne s’est progressivement affirmée dans le domaine de l’industrie de défense et joue aujourd’hui un rôle clé pour promouvoir la coopération entre les États membres, comme en témoignent les initiatives déployées depuis 2022 sur la production de munitions et les acquisitions en commun, ainsi que la publication d’une stratégie industrielle de défense et la proposition d’un programme pour l’industrie de défense européenne. Mais l’exécutif européen ne peut pas tout à lui seul. Le leadership européen en matière de défense devra donc aussi être incarné par les États membres.

La montée en puissance militaire de la Pologne, sa fermeté vis-à-vis de la Russie et son rôle à la tête du Conseil de l’UE à partir du 1er janvier 2025 font du pays le nouvel acteur incontournable de la scène européenne. Mais les avancées de l’UE en matière de défense doivent aussi pouvoir s’appuyer sur les moteurs historiques de la coopération et de l’intégration européenne : la France – avec son expérience au plan opérationnel, sa dissuasion nucléaire et sa posture de longue date en faveur d’une prise de responsabilité des européens sur leur défense – et l’Allemagne, forte de sa puissance économique. Si Paris et Berlin parviennent à sortir de leur crise politique interne respective, les trois pays du triangle de Weimar pourraient avoir, ensemble, le potentiel de renforcer la défense européenne et de démontrer la détermination de l’Union à soutenir et intégrer l’Ukraine. La conciliation des analyses stratégiques et des priorités politiques parfois divergentes de ces trois pays, si elle ne constitue pas un obstacle insurmontable, serait au contraire une garantie d’équilibre et un moteur de coopération et d’intégration.

La future administration Trump et sa stratégie envers la Syrie

Wed, 18/12/2024 - 15:12

La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle du 5 novembre 2024 et son retour imminent à la Maison-Blanche en janvier 2025 devraient avoir de nombreuses répercussions au Moyen-Orient. Sa présidence sera vraisemblablement marquée par un soutien renforcé à Israël et par une hostilité exacerbée envers la République islamique d’Iran. Cette orientation se dessine déjà, comme en témoigne son entretien avec le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, qui a mis en avant leur vision partagée de « la menace iranienne dans tous ses aspects ». La politique de « pression maximale » appliquée lors de son précédent mandat pourrait ressurgir, avec pour objectif principal la préservation des intérêts américains. Le retour de Trump permet aussi de renforcer l’axe établi avec certains pays du Golfe (Bahreïn, Émirats arabes unis et Arabie saoudite), qui voient d’un œil plus favorable le candidat républicain que son prédécesseur démocrate. Le renforcement de ces alliances pourrait intensifier la confrontation avec la République islamique, malgré le récent rapprochement entre Riyad et Téhéran. Si un cessez-le-feu à Gaza est conclu, Donald Trump pourra reprendre les négociations autour d’une normalisation israélo-saoudienne, avec en toile de fond un pacte de défense entre Washington et Riyad. Dans ce contexte, l’offensive rebelle du 27 novembre, qui a conduit à la chute du régime de Bachar Al-Assad le 8 décembre, représente un bouleversement géopolitique majeur que la future administration américaine devra intégrer, bien qu’aucune stratégie claire sur la Syrie n’ait encore été dévoilée. Dans un Moyen-Orient marqué par les guerres menées par Israël et la confrontation avec l’Iran, quelle place peut avoir la Syrie dans la future stratégie américaine ?

Quelles seraient les conséquences du retour de Trump sur les troupes déployées en Syrie ?

Le président de la République turc, Recep Tayyip Erdoğan, a félicité Donald Trump à l’issue des résultats, mais a montré quelques inquiétudes. Par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères, Hakan Fidan, Ankara a fait part de ses incertitudes quant à la potentielle politique de Trump sur la Syrie, tout en l’appelant à reconsidérer ses liens avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Compte tenu des affrontements réguliers entre la Turquie et ce dernier, le soutien apporté par les États-Unis reste un point de tension entre Ankara et Washington.

Au sujet de la présence d’environ 900 soldats états-uniens, Robert F. Kennedy Jr, à qui le ministère de la Santé pourrait être confié, a déclaré que Trump souhaitait leur retrait, afin d’éviter qu’ils soient entraînés dans un conflit entre la Turquie et le PKK. Toutefois, dans le sillage du départ du régime d’Al-Assad et face à une recrudescence de l’État islamique, les États-Unis ont profité de l’instabilité pour effectuer des bombardements dans le centre du pays sur des positions de l’État islamique. À cette menace persistante s’ajoute la volonté de la Turquie de créer une zone tampon pour pouvoir s’attaquer au FDS (Forces démocratiques syriennes) à dominante kurde, soutenue par les États-Unis. Ankara, en tant que partenaire de HTS, ressort victorieux de ces évènements en bénéficiant d’un avantage stratégique lui permettant, ainsi qu’à ses alliés de l’Armée syrienne libre, de mener plus librement des offensives en Syrie. Pour le moment, un retrait des troupes américaines serait précipité et le vide laissé entraînerait vraisemblablement des affrontements entre les différentes factions se disputant le contrôle du territoire et de ses ressources. Les divergences d’intérêts entre les deux membres de l’OTAN refont surface et nécessitent une présence au sol pour préserver les intérêts états-uniens et ceux de ses alliés.

Quelle place pour la Syrie au Moyen-Orient pour les États-Unis ?

Depuis les évènements du 7 octobre 2023, la Syrie s’est retrouvée mécaniquement entraînée dans le conflit régional, notamment en raison des positions israéliennes sur son sol. Pris dans une dynamique complexe, Bachar Al-Assad a dû jongler entre son alliance avec l’Iran et sa volonté de minimiser son implication directe dans les affrontements régionaux. Cette position a entraîné une distanciation entre le régime syrien et le Hezbollah, qui a accusé Bachar Al-Assad d’avoir transmis des informations sensibles sur la présence de cadres iraniens et de membres du « parti de Dieu » aux autorités israéliennes. La « démission » d’Al-Assad, selon le Kremlin, contribue à la fragilisation du dénommé « Axe de la résistance » en fragmentant ses voies d’acheminement, ce qui a entraîné, à l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 310 frappes sur des installations militaires liées à l’Iran et à ses alliés. Benyamin Netanyahou s’est attribué le mérite d’avoir provoqué indirectement la chute d’Assad, tout en rappelant sa « politique de bon voisinage » envers la Syrie lors de la guerre civile et n’a pas montré d’animosité envers les groupes rebelles, tandis qu’une majeure partie des politiciens israéliens, dont Yair Lapid le chef de l’opposition, se sont réjouis de l’affaiblissement de l’axe iranien tout en émettant des craintes quant à la nature du futur pouvoir en place. L’objectif principal d’HTS est d’assurer une unité nationale en prenant en compte les attentes des différentes communautés qui composent la mosaïque syrienne. Sa capacité à assurer la sécurité du territoire qu’il préside participera sûrement à l’adhésion du peuple syrien à son autorité. Cela inclut la lutte contre les restes de l’influence iranienne sur le pays et l’ouverture d’un dialogue avec Israël au sujet de l’arrêt des bombardements et du déploiement de ses troupes. HTS et les autorités israéliennes, vigilantes à l’armement du Hezbollah qui transitaient par la Syrie, possèdent alors un objectif commun ouvrant la porte à une collaboration.

Des négociations devront avoir lieu au sujet du Golan, déclaré comme annexé “pour l’éternité” par Benyamin Netanyahou à la suite du déploiement sur le versant syrien du mont Hermon dans la zone tampon du Golan, bien que les États-Unis souhaitent que cette opération soit temporaire. Ici, l’objectif pour HTS, précédemment affilié à Al-Qaïda, est de se présenter avant tout comme rebelle, et pas terroriste, pour bénéficier d’un soutien international et d’un appui des bailleurs de fonds à la reconstruction. Conscient des sensibilités régionales et internationales, le groupe rebelle cherche à se démarquer des autres mouvements islamistes, tel le Hamas qui lui a apporté son soutien. Bien qu’islamiste et concentré sur un djihad national, HTS doit apparaître comme modéré s’il souhaite pouvoir pérenniser ses victoires militaires et mener à bien la transition politique souhaitée. Dans ce but, l’organisation rebelle a multiplié les contacts diplomatiques, notamment avec les pays arabes et les Nations unies. À cela s’ajoute, sur le plan interne, la déclaration de son leader Mohamed Al-Jolani, de son vrai nom Ahmed Al-Sharaa, affirmant sa volonté de respecter les minorités, religieuses et ethniques, sous son contrôle. Enfin, politiquement, la coalition dirigée par HTS a annoncé une amnistie générale pour les militaires du régime Assad et Al-Jolani, a indiqué que les institutions resteraient pour le moment sous le contrôle du précédent gouvernement nommé par Al-Assad. En Europe, des responsables comme Pat McFadden, ministre des Relations intergouvernementales du Royaume-Uni, ont évoqué la possibilité d’une normalisation au vu des éléments de communication transmis par HTS quant au sort des minorités. Cependant, l’Union européenne reste prudente, attendant des actions concrètes avant d’envisager le retrait de l’organisation de sa liste de sanctions. Aux États-Unis, l’administration Biden, à travers le secrétaire d’État Anthony Blinken, a décidé d’établir un premier contact avec HTS, sans pour autant disqualifier le groupe de terroriste. Bien que Donald Trump ait déclaré ne pas vouloir se mêler de la situation syrienne, une stratégie se doit d’être établie afin d’appréhender les basculements qui ont lieu au Moyen-Orient, notamment pour éviter le renforcement de groupes islamistes plus radicaux. L’administration Trump, qui pourrait être composée d’un soutien à Al-Assad par le biais de Tulsi Gabbard, devra alors clarifier la manière dont elle compte collaborer ou non avec le pouvoir syrien.

Les évènements récents affaiblissent également la Russie, qui n’est pas parvenue à normaliser le régime auprès de la Turquie, qui va devoir négocier le maintien de ses forces militaires en Syrie. Combiné à l’affaiblissement de la République islamique de l’Iran, ce recul pourrait renforcer la position américaine dans la région après le « pivot asiatique ». Dans le sillage des accords d’Abraham, Trump pourrait être tenté de faire adhérer la Syrie à cet axe favorable à Israël, visant à isoler davantage l’Iran tout en contrebalançant l’influence croissante de la Chine, notamment après son rôle de médiateur dans la normalisation saoudo-iranienne.

Trump et l’Amérique latine : quels scénarios ?

Thu, 21/11/2024 - 17:24


Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, dont la politique étrangère est caractérisée par l’unilatéralisme et l’imprévisibilité, pourraient entrainer un certain nombre de bouleversements en Amérique latine. La probable nomination à la tête de la diplomatie américaine de Marco Rubio, fermement anti-communiste, pourrait avoir des répercussions importantes pour les régimes de gauche opposés aux États-Unis (Venezuela, Nicaragua, Cuba) mais aussi pour les pays de centre-gauche comme le Brésil de Lula, tandis que les gouvernements de droite, à commencer par l’Argentine de Javier Milei, pourraient voir leur assise se renforcer. Le protectionnisme promu par Donald Trump pourrait également impacter le Mexique, premier partenaire commercial des États-Unis, tandis que le durcissement de la politique migratoire et les expulsions de masse auront des repercussions certaines sur les sociétés centre-américaines et caribéennes, d’où les flux de migration proviennent majoritairement.

Vers une normalisation du régime syrien en Europe ?

Wed, 20/11/2024 - 16:04

Alors que le conflit syrien stagne depuis quelques années sans qu’aucune force de l’opposition au gouvernement n’émerge, le régime de Bachar Al-Assad est parvenu à s’imposer à nouveau comme le seul interlocuteur crédible pour la diplomatie internationale. Cette situation a permis au régime de se focaliser non plus sur sa survie, mais sur sa normalisation auprès d’États lui ayant été hostiles dans le passé, en atteste sa réintégration dans la Ligue des États arabes le 7 mai 2023. Reconnaissant la pérennité du régime, plusieurs États arabes ont souhaité renouer le dialogue avec le dirigeant syrien en espérant influer sur certains dossiers stratégiques, tels que l’emprise de l’Iran et le trafic de captagon. Les résultats restent pour le moment maigres : seules quelques actions concrètes ont pu voir le jour malgré de nombreuses rencontres officielles.

Cette absence de collaborations avec le régime reflète l’impuissance des diplomaties arabes qui peinent à proposer des contreparties attractives au régime syrien, tout en révélant un obstacle fondamental : l’internationalisation du conflit et les sanctions envers le régime qui en découlent.

Ainsi, les promesses d’investissements avancées par les États arabes, nécessaires à la reconstruction du pays se heurtent aux sanctions internationales, particulièrement celles des États-Unis. À travers son son projet de Assad Regime Anti-Normalization Act of 2023, complétant le Caesar Act de 2019, l’administration états-unienne a souhaité ajouter des dispositions pour bloquer les efforts de normalisation avec le régime syrien, en sanctionnant tout individu ou entité collaborants avec ce dernier. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche ne laisse présager aucun changement de politique pour le moment et le maintien de ces sanctions, qui touchent principalement la population civile, ne fait qu’entretenir le statu quo actuel.

Dans ce contexte, quels sont les partisans de la normalisation avec le régime syrien en au sein de l’Europe ? Quelles sont leurs motivations et les limites de leurs approches ?

Quels pays européens se montrent favorables à une normalisation avec le régime de Bachar Al-Assad ? Comment le gouvernement italien compte-t-il influencer l’approche européenne ?

L’Union européenne a globalement soutenu la politique états-unienne et n’a cessé de rappeler la nécessité d’un processus politique conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU, notamment à l’occasion de l’aide apportée à la Syrie lors des séismes des 5 et 6 février 2023.

Toutefois, certains États membres ont exprimé leur soutien à un rapprochement avec le régime syrien, essentiellement dans le but de lutter contre l’afflux de réfugiés. Parmi eux, le gouvernement italien se démarque et pourrait jouer un rôle moteur dans ce processus de normalisation. Le 20 septembre 2024, l’Italie a quitté le groupe de l’ONU chargé de surveiller les abus en matière de droits de l’homme en Syrie. Ce geste discret témoigne de la volonté du gouvernement italien de ne plus participer à la critique du régime, afin de pouvoir entamer un rapprochement avec celui-ci. En juillet 2024, l’Italie avait déjà pris des mesures en ce sens en nommant un chef de mission permanent à Damas, avec pour objectif de repenser la stratégie de l’Italie envers la Syrie.Ces initiatives s’inscrivent dans la stratégie de Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italienne, cherchant à inciter les pays de l’Union européenne à conclure des accords avec les pays d’origine ou de transit des migrants. Le gouvernement italien agit en établissant des coalitions avec d’autres pays pour créer un mouvement susceptible de faire évoluer les positions des institutions européennes. Dans cette logique, le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tanjini, accompagné de ses homologues de sept autres pays (Autriche, Croatie, Chypre, République tchèque, Grèce, Slovaquie et Slovénie), a exprimé en juillet 2024 sa volonté de réengager le dialogue avec Bachar Al-Assad. En s’adressant à Josep Borrell, haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, les ministres ont proposé de s’engager envers la Syrie pour créer des « conditions de vie décentes » favorisant un « retour volontaire » des réfugiés.

Plus largement, la stratégie du gouvernement Meloni reçoit un certain soutien au sein de l’Union européenne. Alberto Núñez Feijóo, leader du Partido Popular en Espagne, a par exemple exprimé son soutien à « l’approche italienne envers l’immigration ». La montée des partis souhaitant lutter contre l’immigration pourrait ainsi renforcer cette tendance, marquant une rupture avec la politique de sanction. En dehors de l’Union, le Premier ministre britannique Keir Starmer, semble également favorable à l’approche italienne vis-à-vis de l’immigration, son gouvernement étant enclin à parvenir à un accord avec la Syrie ce qui pourrait contribuer à une dynamique plus globale en faveur du régime de Bachar Al-Assad.

Quelles sont les limites politiques au projet du retour des réfugiés en Syrie ? Pourquoi est-ce que la politique européenne ne répond pas de manière adéquate à la crise syrienne ?

Ces approches centrées sur la question des réfugiés soulèvent des interrogations morales et stratégiques.

Selon la commissaire Hanny Megally, le retour des réfugiés en Syrie n’est toujours pas envisageable dans les conditions actuelles en septembre 2024. En liant les « conditions de vie décentes » au retour des réfugiés, les partisans de la normalisation négligent les raisons politiques et sécuritaires qui poussent à l’exil. Par ailleurs, l’expansion de la guerre à Gaza au Liban a engendré un scénario inattendu : le retour de réfugiés syriens du Liban vers la Syrie, un argument qui permet au régime syrien de présenter un narratif rassurant quant à la sécurité de son pays, un atout dans ses efforts de normalisation.

Sur le plan stratégique, cette crise illustre les défis posés par la gestion des flux migratoires en situation de conflit. Ces flux sont difficiles à contenir et donnent lieu à des abus dans les pays d’accueil. Selon l’ONG Human Rights Watch, les Syriens en Turquie sont victimes de traitements illégaux, tels que la détention et la conduite de forces vers la frontière. Ces mesures vont donc à l’encontre du principe de « non-refoulement » de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, qui interdit aux États de renvoyer un individu vers des territoires où il serait en danger. L’utilisation de pays tiers par l’Union européenne, principalement la Turquie, n’a alors pas porté ses fruits, et les tensions autour des réfugiés dans les pays proches, comme le Liban, limitent les options pour restreindre leur arrivée en Europe.

En n’imposant pas de conditions claires pour renouer le dialogue avec Bachar Al-Assad, les États européens ne parviennent pas à offrir des perspectives de sortie de crise au peuple syrien. Dans la mesure où les risques de persécutions persistent, les réfugiés syriens resteront nécessairement hostiles à tout retour. Ces approches sont surtout motivées par des enjeux de politiques internes à ces pays et négligent la complexité de la crise syrienne.

La question de la normalisation avec la Syrie témoigne des ambivalences de la politique étrangère européenne qui ne parvient pas à mettre en œuvre une  position commune et peine à proposer des alternatives constructives.

Que ce soit en maintenant les sanctions ou en renouant le dialogue avec le régime, ces stratégies ne laissent pas présager un changement de nature du pouvoir, qui reste dangereux pour une majorité de la population. Ici, il est essentiel de comprendre la perspective du dirigeant syrien, pour qui le contrôle de la majorité du territoire et la survie de son régime sont prioritaires et ne nécessitent pas de concessions ou de retour des réfugiés.

Changements climatiques et gestion de l’eau : vers une exacerbation des conflictualités ?

Tue, 19/11/2024 - 17:42


Mathilde Jourde, chercheuse à l’IRIS au sein du Programme Climat, énergie et sécurité, répond à nos questions sur les possibles conflits liés à l’eau dans le contexte des changements climatiques.

– Quelles sont les différentes interactions entre eau et conflits ?
– Dans quelle mesure l’eau est-elle facteur de tensions au sein de conflits transnationaux ?
– À l’échelle intranationale, quels sont les enjeux hydriques en termes de conflictualités ?

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Trump a peut-être appris quelque chose

Tue, 19/11/2024 - 16:55

Cela fait moins de deux semaines que Donald Trump a été élu président. Son équipe de transition a lancé ses travaux à la vitesse de la lumière. Quelques jours seulement après la fin de la campagne, Trump avait déjà annoncé bon nombre de ses principales nominations au cabinet, et même certaines nominations à des postes importants mais secondaires. Le contraste entre cette transition et celle d’après les élections de 2016 ne pourrait être plus prononcé.

Les premiers mois d’un mandat présidentiel sont souvent les plus productifs, en particulier si le parti du président contrôle le Congrès. Il peut y avoir une certaine période de lune de miel pour les nouveaux dirigeants, et les leaders efficaces savent qu’il faut en profiter. Plus tard dans le mandat, des crises se produisent, une opposition se forme, le président prend presque invariablement une raclée aux élections de mi-mandat, perdant peut-être sa majorité dans l’une ou les deux chambres. Le moment d’agir est le premier jour.

C’est pourquoi la transition, c’est-à-dire cette période crépusculaire entre les élections début novembre et l’investiture du nouveau président le 20 janvier, est essentielle. C’est le moment pour un président élu de se concentrer sur la constitution d’une équipe cohérente et idéologiquement unifiée, l’élaboration d’options concrètes conçues pour mettre en pratique ses promesses de campagne, et le renforcement du soutien pour ses candidats et ses propositions politiques au Congrès. Un président élu qui gère efficacement la transition a une énorme longueur d’avance le jour où il arrive dans le Bureau ovale. Étant donnée l’importance de cette alternance, la loi américaine prévoit un financement gouvernemental et des bureaux pour les équipes de transition.

La première transition de Trump à la fin de 2016 a été désastreuse, et les effets de cette transition mal préparée se sont répercutés sur sa présidence. Trump a d’abord nommé l’ancien gouverneur du New Jersey, Chris Christie, à la tête de son équipe de transition. Christie a connu un départ lent, et avait quelques difficultés politiques, et Trump l’a licencié quelques jours seulement après le début de la transition. Christie a décrit plus tard la nouvelle équipe comme jetant littéralement à la poubelle les mois de travail que lui et ses collègues avaient préparés. Après le remplacement de Christie par le vice-président élu Pence, trois des enfants de Trump, dont aucun n’avait d’expérience de gouvernement, ont assumé des rôles clés dans le vetting des candidats pour la nouvelle administration. Trump lui-même s’est apparemment peu intéressé aux rouages de la planification de la transition. Souvent, il ne connaissait pas bien les personnes qu’il avait nommées et avait peu d’idée de leurs positions politiques. À la suite de ce processus chaotique, Trump s’est retrouvé, sans surprise, avec une série de choix au sein du cabinet et de la Maison-Blanche qui l’ont constamment déçu. Qu’il s’agisse d’un Attorney General qui a refusé d’annuler les enquêtes sur l’ingérence russe dans son élection ou de secrétaires d’État et de la Défense qui ont plaidé en faveur de politiques auxquelles Trump s’opposait, comme l’accord nucléaire iranien, Trump s’est souvent retrouvé dans les premières années de sa présidence bloqué ou opposé par ses propres représentants. Et il a découvert que même un Congrès contrôlé par les républicains pouvait faire preuve d’une indépendance surprenante.

Si l’on se fie aux deux dernières semaines, Trump a tiré de précieuses leçons de cette expérience. Parmi eux :

Agissez rapidement. Étonnamment tôt dans la transition, Trump a déjà désigné des candidats pour les postes clés du cabinet : secrétaire d’État, Défense, Sécurité intérieure, Intérieur, Santé et Services sociaux, Justice, directeur du renseignement national, directeur de la CIA, ambassadeur des États-Unis à l’ONU. Il a déjà nommé des membres clés du personnel de la Maison-Blanche.  Il a même décidé des nominations à des postes secondaires mais influents qui auront un impact sur son agenda, ambassadeur en Israël ou l’Agence de protection de l’environnement par exemple. Le fait que ces dirigeants de l’administration soient déjà identifiés leur laisse deux mois pour se familiariser avec leurs agences, élaborer des propositions politiques avec l’équipe Trump, et faire du lobbying avec le Congrès. Contrairement à la dernière fois, ces personnes seront préparées, et en phase avec Trump, le jour de l’investiture.

Nommez des personnes que vous connaissez, d’une loyauté sans faille. En 2016, Trump a parfois fait ses choix avec peu d’information ou suivant des suggestions d’autres personnes. Trump aimait l’idée de voir un ancien chef d’entreprise comme lui, par exemple, prenne la tête du State Department, mais il a apparemment nommé Rex Tillerson au poste de secrétaire d’État en grande partie sur la base des recommandations d’experts républicains comme Condoleezza Rice et Robert Gates. Une fois Tillerson à Foggy Bottom, cependant, il était de plus en plus clair qu’il y avait beaucoup de lumière entre eux – même lorsqu’il était encore dans son gouvernement Tillerson a qualifié Trump de « crétin » – et Trump l’a licencié par tweet seulement un an environ après son entrée en fonction. Maintenant, Trump a choisi des personnes qu’il connaît et avec lesquelles il a travaillé… Et qui lui ont personnellement démontré leur fidélité. Certains de ses candidats, comme Marco Rubio ou Elise Stefanik, étaient autrefois des républicains traditionnels, mais sont depuis passés à un soutien total et inconditionnel à Trump et aux politiques MAGA. Beaucoup d’autres doivent toute leur carrière à Trump, ou ont au moins été catapultés par Trump de rôles au Congrès ou dans la politique de l’État sous les projecteurs nationaux. Une expérience pertinente en matière de politique ou de gouvernance est facultative pour les personnes nommées par Trump ; la fidélité à Trump ne l’est pas. Le choix de Trump pour le poste de secrétaire à la Défense – l’homme qui supervisera près de 3 millions de militaires et de civils et un budget de 842 milliards de dollars – n’a essentiellement aucune préparation pour ce poste. Les seules qualifications de Pete Hegseth sont son service en tant qu’officier relativement subalterne dans la Garde nationale de l’armée et sa longue et très amicale relation avec Trump en tant que commentateur de Fox News.

Utilisez les choix du cabinet pour faire valoir un point politique, avec éclat. En 2016, certaines des nominations les plus importantes de Trump, en particulier en politique étrangère, ont été choisis parmi un groupe standard d’experts républicains du Congrès, de l’armée ou du monde des affaires. Il s’agissait souvent de personnes dont la politique était conservatrice, mais relativement conventionnelle, et qui n’était pas toujours en phase avec les approches idiosyncrasiques de Trump.  Cette fois-ci, Trump a fait des nominations spectaculaires qui s’inscrivent pleinement dans sa rhétorique incendiaire. Son choix de Matt Gaetz, l’un des membres les plus violemment pro-Trump du Congrès, en tête du Département de Justice, par exemple, envoie un message clair comme de l’eau de roche : son ministère mettra fin à toute enquête sur Trump et ses alliés et s’intéressera plutôt à ses adversaires. Le choix de Robert Kennedy Jr. – un célèbre théoricien du complot et anti-vaxxer – à la tête de la santé et des services sociaux est une attaque dramatique contre une agence si notablement en désaccord avec Trump sur le Covid-19 au cours de sa première administration. Cette nomination et d’autres font valoir un point politique qui ne sera pas perdu pour son électorat ou son parti.

Assurez-vous que le processus de confirmation n’entrave pas vos candidats. Trump a maintenant compris qu’un processus de confirmation sans heurts au Sénat pour ses candidats est essentiel. De nombreux postes importants nécessitaient l’approbation du Sénat avant de pouvoir aller de l’avant. Malgré le contrôle du Sénat par son parti, les nominations d’un président ne sont parfois pas acceptées ou font l’objet d’un examen minutieux que le président préférerait éviter.  Certaines des nominations les plus controversées de Trump – Gaetz et Kennedy en premier lieu – pourraient rencontrer des difficultés au cours du processus de confirmation, même avec un Sénat très amical. Il a donc appelé le Sénat à prendre immédiatement ses vacances après l’investiture.  Cela lui permettra de faire des recess appointments, qui ne nécessitent pas la confirmation du Sénat. En vertu de la Constitution, ces nominations sont valables jusqu’à la fin de la session suivante du Sénat. Il n’est pas encore clair que le Sénat acceptera cette abdication de ses responsabilités de surveillance, mais Trump exerce un pouvoir énorme dans le caucus républicain, donc ce n’est pas impensable.

Gardez le Congrès de son côté. Au début de son premier mandat, Trump semblait supposer que les membres républicains du Congrès resteraient loyaux, à un homme et à une femme. Bien qu’un Congrès contrôlé par les républicains à son avènement ait adopté une grande partie de son programme, cela n’a pas toujours été le cas. Et à certains des moments les plus tendus de sa présidence, lors de ses impeachments par exemple ou lors de la certification de la victoire de Joe Biden en 2020, des membres républicains du Congrès ont osé s’opposer à lui. Cette fois, Trump a agi très rapidement pour affirmer sa domination sur son parti au Congrès. Il a été particulièrement impliqué dans le choix du chef de la majorité au Sénat. Mitch McConnell, le dernier dirigeant républicain, était un stratège parlementaire exceptionnel mais avait une relation parfois difficile avec Trump. Trump voulait son propre homme. Ici, il n’a pas entièrement réussi, le Sénat ayant choisi le vétéran républicain John Thune pour être à la tête du Sénat plutôt que le loyaliste de Trump, Rick Scott.

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