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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 6 days ago

François Hollande à Cuba : les raisons d’une visite historique

Mon, 11/05/2015 - 18:12

Pour la première fois, un président français est en visite à Cuba. Pourquoi aucun dirigeant français ne s’est rendu sur l’île auparavant ?
Pendant la Guerre froide, aller à Cuba aurait compliqué les relations avec les Etats-Unis. Par la suite, la France a néanmoins reçu Fidel Castro en 1995. C’était à la toute fin du second septennat de François Mitterrand. Après la crise d’Irak, Nicolas Sarkozy avait envisagé de se rendre sur l’île mais il a été rattrapé par la guerre en Libye. Ce voyage a donc été repoussé jusqu’à cette année. L’annonce du rapprochement entre Washington et Cuba, après 65 ans d’embargo, a néanmoins accéléré cette visite officielle.

Au delà de l’aspect historique, quelle est la symbolique de ce déplacement ?
Cette visite est certes historique sur le fond mais elle vient surtout confirmer les bonnes relations que la France et Cuba entretiennent. Le voyage officiel de François Hollande vient consacrer cet état de fait et intervient en 2015 au moment où l’île va s’ouvrir aux Etats-Unis. Le président a choisi de s’y rendre pour avoir un effet d’entraînement, les partenaires européens, principalement les pays nordiques, étant fortement réservés sur ce processus de normalisation depuis le 17 décembre dernier.
Le rapprochement historique entre La Havane et Washington sera en toile de fond. Quel message veut faire passer François Hollande ?
Le président français veut faire comprendre aux Cubains que normaliser dans un délai proche leurs relations avec les Etats-Unis est une avancée importante mais qu’ils ne doivent pas oublier que la France les a aidés à survivre pendant l’embargo. Cuba occupe une place centrale dans les Antilles mais sa position stratégique sera encore plus renforcée avec la perspective de la levée de l’embargo américain. Sur le plan purement économique, il s’agit aussi de donner une impulsion et de préserver les acquis français.

La présence française est-elle importante à Cuba ?
La France n’est effectivement pas le premier partenaire économique de Cuba, loin derrière la Chine ou le Venezuela mais elle est déjà bien présente à Cuba et a la possibilité de mieux faire dans le secteur agricole, touristique et de la santé par exemple. Les visées de cette visite seront économiques pour les patrons qui accompagnent François Hollande. Air France et Accor, déjà présentes à Cuba, sont attirées par le développement touristique de l’île où se rendent chaque année quelque 100.000 Français. Le but pour François Hollande est de préserver les entreprises françaises à Cuba qui est un marché de plus de 11 millions d’habitants en devenir. Pour toutes ces entreprises , la concurrence sera rude et agressive, autant se préparer dès maintenant.

Visite de François Hollande à Cuba : pour quelle stratégie diplomatique ?

Mon, 11/05/2015 - 18:06

Ce lundi 11 mai 2015, François Hollande est en visite officielle à Cuba. Il est le premier président français depuis l’indépendance de l’île en 1898 à s’y rendre. Comment cela s’explique-t-il ?
Cuba est un petit pays. Indépendamment de son régime politique, Cuba a toujours été très proche des États-Unis, qui historiquement ont interféré dans sa vie intérieure. La France n’a jamais voulu se mêler des affaires cubaines avant que cela ne soit possible, que n’apparaisse une fenêtre d’opportunité. Cette occasion de rapprochement est apparue avec la fin de la division du monde entre l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et les États-Unis, qui a permis une réinsertion de Cuba dans son environnement régional et d’une manière générale, dans le monde.
En 1993, peu de temps après la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS, la France a décidé de voter à l’Assemblée générale des Nations unies en faveur de la résolution qui condamne l’embargo des États-Unis. En 1995, la France, a reçu Fidel Castro. Depuis lors, les relations entre la France et Cuba se sont densifiées et beaucoup de visites ministérielles ont eu lieu. La visite de François Hollande consacre la normalité des relations entre la France et Cuba à un moment où elles pourraient être bousculées par l’irruption, en matière économique et culturelle, des États-Unis. En effet, les deux présidents – cubain et américain – ont décidé le 17 décembre 2014 de normaliser leurs relations, suspendues depuis 1962.

François Hollande et son homologue cubain, Raul Castro, discuteront du développement de liens économiques entre leurs deux pays. Cela se fera-t-il au détriment de la question des droits de l’Homme ? Quelle est la nature actuelle des liens économiques entre les deux pays ? La France peut-elle passer outre la réalité des droits de l’Homme à Cuba ?
Je ne sais pas si la visite du président français se fera « au détriment » de la question des droits de l’Homme. Je n’ai en tous les cas rien lu de tel venant de la part de la présidence de la République française. C’est un commentaire qui a été fait par des associations proches des milieux dissidents, par des associations de droits de l’Homme ou encore des organisations d’opposants au régime cubain. La question des droits et libertés avait gravement perturbé les relations de la France avec la Colombie puis le Mexique, au cours de la mandature de Nicolas Sarkozy. Une nouvelle approche a été mise en application par François Hollande. Elle vise à parler des droits de l’Homme de façon discrète, en tête à tête, et sans tapage médiatique. Cette méthode a permis la libération d’une française incarcérée au Mexique pour un délit de droit commun qui avait provoqué la quasi suspension des relations ministérielles entre ces deux pays. C’est une méthode qui est évidemment beaucoup moins bruyante et médiatique que celle qui été appliquée précédemment. Mais elle a le mérite de ne pas affecter l’ensemble des relations bilatérales. Un chef d’État, doit défendre au mieux la globalité des intérêts nationaux. François Hollande pour préserver les intérêts culturels et économiques de la France à Cuba, comme ailleurs dans le monde, a donc choisi de ne pas faire de déclaration publique spectaculaire sur les droits de l’Homme. Mais il en sera néanmoins question à l’occasion de son dîner de tête avec le président Raúl Castro.
Concernant les relations économiques, la préoccupation française est de préserver les positions acquises par les entreprises françaises à Cuba avant le déferlement prévisible des entreprises nord-américaines. Barack Obama a en effet ouvert le 17 décembre 2014 la voie à une normalisation sans condition avec Cuba. Il a mis entre parenthèses ce qui était exigé jusqu’à aujourd’hui par les États-Unis, le changement de régime, plus de libertés et de démocratie avant de normaliser les relations avec Cuba. Le président américain a considéré que cette politique d’isolement et de sanctions n’avait eu aucun effet et avait eu plutôt comme conséquence d’isoler les États-Unis sur le sous-continent latino-américain. Barack Obama a opté pour une autre stratégie. Elle prendra certainement du temps, compte-tenu des résistances du parlement. Mais le jour où elle arrivera à maturation, il est évident que les entreprises nord-américaines seront très bien placées pour prendre des parts de marché aux entreprises françaises, européennes, chinoises, colombiennes, mexicaines ou encore canadiennes, qui sont pour l’instant présentes à Cuba sans véritable concurrence venue des États-Unis.

Selon vous, ce rapprochement avec Cuba s’inscrit-il dans une stratégie plus large de renforcement de la présence française dans les Caraïbes voire en Amérique Latine ?
Tout le monde a les yeux fixés sur Cuba puisque c’est la première fois qu’un président français y effectue une visite officielle mais aussi en raison du caractère particulier du régime cubain. Pourtant, cette visite de François Hollande s’inscrit dans une stratégie caribéenne, régionale : après Cuba, le président se rendra en Haïti et avant Cuba, il avait réuni les chefs d’États de la région en Martinique, pour une conférence sur le changement climatique et ses incidences dans les grandes et petites Antilles. C’est une stratégie qui est en cohérence avec la diplomatie économique qu’il a mise en place depuis 2012. Elle concerne tous les continents. En Amérique latine, François Hollande a effectué des déplacements au Mexique et au Brésil. Le ministre des Affaires étrangères a visité un grand nombre de pays d’Amérique latine, tout comme le secrétaire d’État au Commerce extérieur ainsi que d’autres ministres. Marisol Touraine, ministre de la Santé, était d’ailleurs à Cuba avant l’arrivée du président Hollande. Ce voyage s’inscrit donc dans une cohérence continentale. Elle vise à assurer une présence économique et culturelle française plus forte, afin de donner à la France des fenêtres extérieures de sortie de crise.
Cuba présente par ailleurs un double intérêt pour la France. L’un est économique, l’autre est d’influence. Nul doute que ces deux considérations sont entrées dans le scénario ayant justifié cette visite.
L’intérêt économique va bien au-delà du modeste marché cubain, qui représente à peine onze millions de consommateurs. L’intérêt économique de Cuba vient de sa situation géographique. L’’île, est une sorte de « porte-avions » entre l’Amérique du Nord, les Amériques du Sud et Centrale, face au Canal de Panama, en phase d’élargissement. Cette position stratégique en fait un lieu privilégié pour développer le commerce maritime et des plateformes d’échanges en matière aérienne pour le tourisme. Un grand port de redistribution de conteneurs est actuellement en construction à Mariel près de La Havane, avec le soutien du Brésil. D’un point de vue économique, c’est dans ces domaines que la France entend se placer sans pour autant négliger quelques grands contrats potentiels.
Concernant l’influence, Cuba symbolise la résistance d’un petit pays face à un géant, les États-Unis. Les frères Castro ont une image positive auprès de leurs homologues latino-américains et caribéens. Il y a quelques mois, Cuba, du fait de cette image a pu présider la Communauté des États d’Amérique latine et de la Caraïbes (Celac). Cuba par ailleurs joue actuellement un rôle dans la recherche de la paix en Colombie. Rendre visite au chef d’État cubain, c’est prendre en compte aussi cette réalité et ce rayonnement.

Hollande en Caraïbe : un retour de la guerre de course ?

Mon, 11/05/2015 - 16:55

Grandes et Petites Antilles sont terres de tourisme. Et peut-être un peu plus. Depuis quelques semaines en effet, les avions officiels côtoient sur les aéroports les vols nolisés par les agences de voyages. Erdogan, le Turc, Hollande, le Français, Obama, le Nord-américain, Poutine, le Russe, Rajoy l’Espagnol, et en septembre prochain, le pape François ont dans le désordre posé ou vont faire stationner leurs aéronefs dans la région. Mais leur venue n’a rien à voir avec le triptyque des vacanciers, « rhum, cigares et soleil ». Assisterait-on alors à une reprise actualisée de la guerre de course des temps passés ?

Dès le XVIIe siècle, les Caraïbes ont été au cœur de contestations impériales. Anglais, Danois, Français, Hollandais, Suédois, ont contesté la domination espagnole. Ces puissances montantes ont grignoté avec succès le domaine insulaire des Habsbourg. Corsaires, pirates, marins officiels de ces différents royaumes ont alors écumé le Golfe du Mexique. A coups de sabre et de canon, ils ont fabriqué une nouvelle carte politique de la Méditerranée américaine.

Erdogan, Hollande, Obama, François et Poutine, n’ont rien de commun avec Henry Morgan, et François l’Olonnais. Ils ont délaissé le bateau pour l’avion et le pistolet pour l’appareil de photo. Leurs visites croisées et parallèles sont rythmées par le seul bruit des médias. Ces va-et-vient d’aujourd’hui rappellent pourtant ceux d’hier. Une sorte de course au trésor commune rapproche à trois siècles de distance ces visiteurs des Antilles. Mais que peuvent-ils donc chercher dans ces îles souvent minuscules, et pour les plus grandes de superficie modeste?

Sans doute ce qui fait courir le monde, depuis que le monde est monde, selon les enseignements de la sagesse populaire. De l’argent et du pouvoir. Hier de l’or, des produits tropicaux, et un accès facile à la terre ferme, les Amériques, centrale, du nord et du sud, garantis par un chapelet de forteresses construites au plus haut des îles. Aujourd’hui de l’influence, ces pays ayant pour la plupart un siège et une voix aux Nations Unies, et une place maritime stratégique au cœur du continent américain.

Le Turc Erdogan a ciblé en février 2015 Cuba, située au centre du dispositif caribéen et deux pays riverains, la Colombie et le Mexique. La Turquie en plein essor économique, cherche à bonifier diplomatiquement cet acquis. Face à ces trois pays il y a Panama, et son canal en voie de modernisation. Et à Port Mariel, à deux pas de La Havane, il y a un port en eaux profondes et une zone franche, construits avec des capitaux brésiliens. La Colombie et le Mexique sont économiquement liés aux Etats-Unis. La Havane et Washington négocient en ce moment la normalisation de leurs relations. Que cela plaise ou déplaise aux Etats-Unis et aux alliés de l’OTAN le chef de l’Etat turc, a profité de la circonstance pour signaler que c’était le bon chemin: « car les sanctions, a-t-il déclaré, ne sont pas de notre point de vue une bonne chose ».

Hollande, le Français, est chez lui aux Antilles. Il entendait le faire savoir et valoriser la plate-forme des DFA (départements français des Amériques). Diplomatie climatique et diplomatie économique ont été sollicitées. Le 10 mai 2015, il a inauguré en Guadeloupe un centre de la mémoire, rappelant le fléau moral imposé par l’Europe à toute la Caraïbe, la traite négrière. Il a réuni en Martinique, le 9 mai 2015, l’ensemble des territoires de la région pour les mobiliser sur les objectifs de la conférence climatique organisée à Paris en fin d’année. Le 11, il effectue une visite officielle à Cuba, la première jamais réalisée par un président français. Le 12 mai, il sera à Haïti, seul état francophone des Grandes Antilles. Façon de rappeler avant la déferlante attendue des Etats-Unis que la France a des intérêts à Cuba et qu’elle entend les préserver. Façon aussi de faire bouger Bruxelles, arc-bouté à la suite de l’Espagne et des anciens satellites de l’URSS sur une coopération conditionnelle avec Cuba, désormais abandonnée par les Etats-Unis.

Obama en effet a surpris son monde le 17 décembre 2014. Ce jour-là, il a en effet annoncé l’ouverture de négociations destinées à normaliser les relations diplomatiques avec Cuba. Le 11 avril 2015, à Panama, à l’occasion du 7e sommet des Amériques, il a devant une forêt de caméras ostensiblement serré les mains de son homologue cubain, Raúl Castro. Les conversations sont complexes. La majorité républicaine s’oppose dans les Chambres à cette normalisation. Mais a déclaré le président soucieux de justifier son prix Nobel de la paix, et sans doute un tantinet agacé par ses opposants, il est temps de tourner la page. La guerre froide est finie. Cuba ne menace pas ou plus la sécurité des Etats-Unis. L’embargo unilatéral paradoxalement isole les Etats-Unis et de moins en moins Cuba, totalement intégré dans la société internationale. Pour bien profiter des difficultés du Venezuela, contraint par la crise de réduire son soutien aux pays de la Caraïbe, Washington doit impérativement revenir dans la course en rétablissant ses relations avec La Havane. Le 10 avril 2015, en Jamaïque, Obama a posé un premier jalon en faisant une offre de sécurité énergétique aux pays de la région désormais privés du pétrole venu de Caracas.

Rajoy l’Espagnol aimerait bien participer à la fête. L’Espagne après tout n’est-elle pas la mère patrie de la plupart de ces Etats? Mais l’Espagne n’a plus de points d’attache territoriaux, comme la France. Elle vit des moments économiques difficiles depuis 2008, qui ont réduit la voilure de son influence. Elle souffre enfin d’une idéologisation de sa diplomatie qui l’a éloigné de Cuba comme du Venezuela. En dépit de démarches répétées, les présidents de Cuba et du Venezuela ont parmi d’autres boudé le sommet ibéro-américain qui s’est tenu à Veracruz (Mexique) les 8 et 9 décembre 2014. Raúl Castro a en revanche mis les petits plats dans les grands pour recevoir l’ex-premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero, le 25 février 2015.
Poutine le Russe en quête de pontages diplomatiques, économiques, et commerciaux, a retrouvé le chemin de Cuba et de ses voisins. Les logiques de la guerre froide remises sur rail par la crise ukrainienne ont repris du service. Le président russe a visité La Havane en juillet 2014. Il a reçu le 9 mai 2015, Raúl Castro, le président cubain. D’autres visites et d’autres accords, avec le Nicaragua, le Venezuela, ont matérialisé ce retour de la Russie dans l’étranger proche des Etats-Unis.

Le Pape François enfin est attendu à Cuba en septembre 2015. Il doit aussi visiter les Etats-Unis et d’autres pays de la région. La réconciliation en cours de Cuba avec les Etats-Unis doit en effet beaucoup à la diplomatie vaticane. Non seulement à celle de François, mais aussi à celles de Jean-Paul II et de Benoit XVI qui tous deux ont travaillé au corps et peut-être à l’âme les autorités cubaines. Bousculée par beaucoup de contentieux mettant en cause l’éthique de ses prêtres, l’Eglise catholique a retrouvé là une légitimité morale. Elle a par la même occasion élargi l’espace d’autonomie du clergé cubain.

Il y a trois siècles, les Européens se disputaient la Caraïbe à coups de canon. La page de la guerre de course est tournée depuis longtemps. Mais les Européens, les Nord-Américains, les Turcs et bien d’autres, gardent un œil vigilant sur des iles géographiquement si bien situées. Les visites se sont multipliées depuis quelques mois. Les uns et les autres à défaut de guerre de course, placent des pions diplomatiques comme économiques, et font.. leurs courses.

Expo universelle, G20 et COP21 : l’agriculture comme thème central dans l’agenda stratégique international

Mon, 11/05/2015 - 16:45

En quoi l’année 2015 est-elle particulière pour les questions agricoles et alimentaires ?
L’agriculture n’est pas un sujet conjoncturel. Loin de là ! Je le dis d’entrée car c’est une évidence pour certains, un rappel pour d’autres. Il n’y a pas une année pour l’agriculture, mais un impératif alimentaire en tout temps et en tout lieu. C’est vieux comme le monde et cette histoire n’est pas prête de se finir. Il faut se nourrir pour vivre et il faut donc produire en agriculture pour assurer la sécurité alimentaire du plus grand nombre de personnes. Or démographiquement, la planète est en croissance continue. Des tensions fréquentes existent dans ce secteur vital puisqu’il arrive que l’offre ne corresponde pas à la demande, provoquant un emballement des prix, que d’autres facteurs peuvent accentuer ou par ailleurs déclencher, comme les accidents climatiques, les problèmes logistiques et bien évidemment les conflits. Guerre, pauvreté et faim sont malheureusement liées.
Aux yeux de l’opinion publique et des non-initiés, il est certain que la crise alimentaire de 2008 aura été un marqueur de cette centralité agricole dans les affaires stratégiques mondiales. Ce fut un tournant puisqu’une attention accrue s’est véritablement porté sur l’agriculture depuis. Il faut d’ailleurs au passage indiquer que l’indice moyen des prix des denrées alimentaires de base, proposé mensuellement par la FAO, n’est toujours pas redescendu en dessous de ses niveaux d’avant crise alimentaire 2008. Le monde se situe dans une séquence particulièrement fragile, quand bien même un repli des prix est enregistré ces derniers mois. Ce repli ne doit pas masquer des enjeux immenses, qui sont structurels, et que l’on résumera ainsi pour faire court : comment produire plus (pour répondre aux besoins humains, animaliers, énergétiques et industriels) mais mieux (pour préserver davantage l’environnement et cesser de commettre certains excès) avec moins de ressources (rareté de l’eau et des sols, financements, etc.).

Mais 2015 est tout de même une année spéciale non ?
En effet, sans être « l’année » de l’agriculture, 2015 n’en reste toutefois pas moins une année chargée en événements mondiaux où la problématique de la sécurité alimentaire sera mise en exergue. La 21ème conférence des parties sur le changement climatique (COP21) se tiendra à Paris en décembre 2015. Ouverte de mai à octobre, l’Exposition universelle de Milan, intitulée « Nourrir la planète. Une énergie pour la vie », représente un autre moment fort de l’année 2015. Le 7ème forum mondial de l’eau, organisé du 12 au 17 avril dernier en Corée du Sud, s’est longuement attardé sur les défis hydriques et l’irrigation. De même, l’année internationale des sols lancée par les Nations Unies en 2015 met en exergue le rôle essentiel de l’agriculture dans la conservation des sols et du foncier agricole dans les politiques de développement. Dans le cadre du G20, la Turquie, présidant le Forum en 2015, a également placé l’agriculture dans ses priorités. Une ministérielle vient de se tenir à ce sujet à Istanbul, le 8 mai dernier.
Les questions liées aux ressources naturelles, aux dérèglements climatiques, à la production agricole, à la croissance inclusive (sociale et territoriale) et à la sécurité alimentaire (socle indispensable à la sécurité humaine) se trouvent donc au cœur d’une année 2015 riche en événements, qui se veut celle des solutions pour un développement plus durable. Incontestablement, ces rendez-vous internationaux positionnent les enjeux agricoles, alimentaires et ruraux au centre de l’attention politique et médiatique. Mais également au cœur des Objectifs de développement durable (ODD) qui seront instaurés dans le cadre du nouvel agenda global du développement post-2015. Celui-ci sera adopté en septembre lors de l’Assemblée générale annuelle des Nations-Unies et constituera une des principales matrices de la coopération internationale pour les quinze prochaines années, comme le fut l’agenda du Millénaire entre 2000 et 2015.

Comment expliquer ce choix thématique sur l’agriculture pour l’Exposition universelle de Milan ?
Les Italiens sont très attachés à l’agriculture et à l’alimentation, et l’Italie est sans cesse soucieuse à bien considérer ces questions dans l’agenda de la coopération internationale. Dans sa propre politique étrangère, les questions agricoles sont d’ailleurs centrales. En présentant en octobre 2006 sa candidature pour l’organisation de l’Exposition universelle en 2015 dans la ville de Milan, le gouvernement italien et les autorités de cette grande ville de Lombardie avaient vu juste sur le plan thématique. En mars 2008, quand le vote final s’est déroulé au Bureau international des Expositions (BIE) pour l’attribution du choix de la ville organisatrice, nous étions en pleine crise alimentaire mondiale ! Cela détermina sans aucun doute pour beaucoup le choix du dossier de Milan intitulé « Nourrir la planète. Une énergie pour la vie ».
Cette Exposition vient de s’ouvrir le 1er mai. Pendant six mois, Milan sera en quelque sorte la capitale mondiale des agricultures du monde et des systèmes alimentaires les plus variés. L’accent est mis sur les pratiques innovantes et les solutions locales adoptées dans les pays et leurs territoires. Milan, capitale traditionnelle de la haute-couture, propose donc la sécurité alimentaire comme sujet à la mode. Mais une mode qui se doit d’être permanente, et en aucun cas passagère. Voilà le message principal de Milan avec cette Exposition. Tournée vers les enjeux d’un développement agricole et alimentaire plus durable et responsable, elle constitue un lieu privilégié de rencontres, de découvertes et de débats, à la fois pour le grand public mais également les décideurs et les scientifiques. Les autorités italiennes se sont beaucoup mobilisées ces derniers mois pour faire de ce Forum à ciel ouvert un grand succès qui puisse apporter des résultats dans la durée en termes de coopération et de diplomatie agricoles mondiales. Outre l’influence de l’Italie dans ce domaine et les retombées économiques locales qu’il ne faut pas déconsidérer avec l’afflux de visiteurs, c’est un pari politique qui est fait avec cette Exposition : comme tant d’autres par le passé, elle vise à léguer des éléments dans la durée. Une charte sera adoptée pour la sécurité alimentaire mondiale, certains pavillons seront utiles par-delà la période de six mois, un Centre de connaissances sera constitué, les meilleures innovations seront primées et partagées. Beaucoup de pays ont leur propre pavillon. Une Exposition, c’est aussi l’expression d’identités nationales et donc des spécificités et des atouts de chacun vis-à-vis des autres. En cela, il est intéressant d’observer sur quels thèmes les accents ont été mis pour chaque pavillon, afin d’obtenir une cartographie des différents modes de représentation actuels de l’agriculture et de l’alimentation par les États de la planète. Coopération donc, mais aussi concurrences indirectes à travers cet événement, car en agriculture, des modèles de développement s’opposent, des visions différentes existent et des stratégies de puissance s’expriment. Il ne faut pas le nier. A Milan, ce sont aussi des jeux de pouvoir qui rythmeront six mois d’Exposition. Plusieurs décideurs s’y retrouveront. Avec plaisir, mais surtout pour négocier et faire avancer des positions. Pour les responsables agricoles du monde, ne pas aller à Milan serait préjudiciable. Rares sont les occasions de voir autant de personnes et de découvrir autant de connaissances en un lieu unique.

Quels sont les principaux enseignements à tirer de la deuxième réunion des ministres de l’Agriculture du G20, tenue à Istanbul le 8 mai ?
D’abord, soulignons que la Turquie préside, après l’Australie et avant la Chine, le G20 en cette année 2015. Créé en 1999, ce Forum connut une véritable impulsion en 2008 pour tenter de résoudre la crise financière internationale et d’esquisser une nouvelle gouvernance mondiale en ce sens. Les matières premières agricoles ont été au cœur de ces travaux, et notamment quand la France avait la présidence du G20 en 2011. La réunion, en juin 2011, à Paris, des ministres de l’Agriculture du G20, fut jugée comme une réussite. Ce forum des vingt économies les plus puissantes de la planète représentent 80% de la production agricole mondiale actuelle. Un Système d’information sur les marchés agricoles (Agricultural Markets Information System, AMIS) avait été lancé pour encourager le partage de données, optimiser les systèmes d’information existants, permettre une meilleure compréhension partagée de l’évolution des prix alimentaires (notamment des céréales) et favoriser le dialogue politique. Pour cette seconde réunion ministérielle sur l’agriculture du G20, la Turquie, grande nation agricole (sur le plan productif et commercial), s’est attelée à poursuivre dans la direction entreprise depuis 2011, tout en concentrant les discussions sur la durabilité des systèmes alimentaires, avec le défi de la lutte contre les pertes et gaspillages de produits agricoles au premier plan. Une plate-forme internationale sera prochainement instituée pour mieux traiter cette problématique et améliorer les dispositifs pour y faire face. Rappelons que selon la FAO, un tiers environ de la production d’aliments dans le monde serait perdue ou gaspillée, faute de conditions techniques et logistiques adéquates en post-récoltes ou de comportements insuffisamment responsables dans la distribution et lors des consommations individuelles. Réduire les gaspillages constitue donc un vrai levier pour réduire les insécurités alimentaires mondiales et renforcer le pouvoir économique des individus. En outre, à Istanbul, les ministres et les chefs des organisations internationales participants (FAO, Banque mondiale, OCDE, PAM, IFAD, IFPRI, CIHEAM) ont insisté dans leur déclaration sur l’importance de parler désormais de « sécurité alimentaire et nutritionnelle », appelant à des approches davantage intégrées entre politiques de développement agricole et celles menées en matière de santé-nutrition. Si le communiqué final adopté reste assez classique et peu novateur, il n’en fut pas moins adopté à l’unanimité grâce aux efforts payants de la présidence turque et de son ministre de l’agriculture, M. Eker. Pivot géopolitique du globe pour de nombreuses raisons, la Turquie joue de plus en plus un rôle central dans les échanges agricoles mondiaux et les débats sur la sécurité alimentaire. Dans l’expression de sa diplomatie, l’agriculture représente donc une force majeure.
Ayant eu la chance d’assister à la réunion à Istanbul, au sein de la délégation du CIHEAM, je termine en disant à quel point fut intéressante l’observation évidente faite à l’écoute des discours des différents ministres. Rapides, ils n’en ont pas moins révélé de profondes divergences d’approches quand il s’agit d’exprimer la vision du pays vis-à-vis de la sécurité alimentaire et nutritionnelle mondiale. Ainsi donc certains ont mis l’accent sur l’importance du commerce (Australie, Chine, Canada, Etats-Unis), des infrastructures et de la logistique (Inde, Arabie Saoudite, Brésil, Suède, Turquie), des investissements en agriculture (Chine, Royaume-Uni), des progrès de la recherche (Australie, Argentine, États-Unis) sur la qualité sanitaire des produits (Japon, Allemagne, Italie) ou encore sur la transparence des marchés (France, Afrique du Sud, Royaume-Uni), le climat (France, Inde, Mexique) et la contribution des femmes (Espagne, États-Unis).

Faut-il relier ces événements (Expo, G20) à la COP21 qui se tiendra à Paris en décembre 2015 ? Si oui, dans quelle mesure la France peut-elle apporter une contribution originale ?
Complément, et ce fut d’ailleurs l’un des points saillant dans le discours du ministre français Stéphane Le Foll prononcé lors de la réunion du G20. Il a appelé à saisir les opportunités offertes par cette séquence 2015 composée de l’Exposition à Milan, du G20 à Istanbul et de COP21 à Paris. « Sécurité alimentaire, lutte contre le réchauffement climatique et paix dans le monde sont intimement liées » a-t-il rappelé. Ces interdépendances sont d’ailleurs mises en exergue sur le site du Pavillon de la France à l’Exposition de Milan. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international, considère lui-même que l’agriculture doit trouver toute sa place dans le processus en cours des négociations sur le changement climatique, n’hésitant pas à indiquer qu’elle est source de solutions autant que victime des évolutions climatiques. À l’occasion du Forum de haut niveau sur l’agriculture et le changement climatique organisé à Paris le 20 février 2015, Laurent Fabius plaida ainsi pour une « agriculture climato-protectrice, c’est-à-dire protégeant la planète et nourrissant la population ». La France joue donc un rôle essentiel pour reclasser l’agriculture à sa juste valeur stratégique dans le cadre du débat climatique mondial. Elle le fait aussi dans le cadre du G20 et dans bien d’autres forums régionaux (notamment en Méditerranée et en Afrique), convaincue que les enjeux alimentaires y déterminent pour beaucoup la stabilité, le développement et la coopération entre les sociétés. Elle a aussi fait la promotion des solutions agro-écologiques dans ce contexte, les situant même comme pratiques incontournablesdésormais dans les champs de l’Hexagone depuis l’adoption en 2014 de la nouvelle Loi d’avenir agricole.
Cette préoccupation sur l’international et sur l’écologie doit s’accompagner par un soutien envers l’agriculture du pays qui continue à être compétitive. La puissance de la France ne peut pas uniquement être cantonnée à la diplomatie et à la coopération technique. L’exportation de produits agricoles stratégiques comme les céréales permet aussi de vitaliser l’économie française et de réduire le déficit commercial du pays. En agriculture, la France n’a pas perdu la bataille de la mondialisation, bien au contraire. Mais c’est vraiment maintenant qu’il faut agir stratégiquement pour éviter qu’un lent déclin ne s’opère silencieusement. Et grâce à la dialectique du « produire plus et produire mieux », la France peut contribuer à répondre aux besoins de la planète sur le plan alimentaire mais aussi sur le plan écologique. Performances diplomatiques, performances économiques et performances environnementales forment trois piliers d’une même stratégie : faire du développement de l’agriculture un moteur de la puissance responsable, et de l’influence durable de la France dans le monde.

 

Sébastien Abis  publiera en juin prochain « Géopolitique du blé. Un produit vital pour la sécurité mondiale » chez Armand Colin/IRIS.

David Cameron mise tout sur l’économie. Les Britanniques vont payer son erreur

Mon, 11/05/2015 - 10:26

La victoire des conservateurs aux élections législatives britanniques est aussi massive que surprenante. Ils ont une centaine de sièges de plus que les travaillistes alors que tous les instituts de sondage donnaient les deux partis au coude à coude.

Vers une sortie de l’Europe ?

Au final, c’est la situation économique qui a compté. Elle est incontestablement bonne : le taux de chômage n’est que de 5,5 %, la croissance de 2,6 % pour 2014. De quoi faire rêver la plupart des pays européens.

Comment, dès lors, a-t-on pu douter de la victoire de David Cameron ? Il y a un hic : les très fortes inégalités sociales qui se creusent et la peur du déclassement qui hante de nombreux Britanniques. Mais aussi le déclassement international du pays.

Ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, souhaitaient la victoire des travaillistes, seuls en mesure de redonner une nouvelle vigueur à leur politique étrangère et la possibilité de rejouer un rôle moteur en partenariat avec les Français, ne peuvent qu’être déçus.

Le maintien au pouvoir de David Cameron risque d’avoir une conséquence majeure : la sortie possible, voire probable, du Royaume-Uni – même si lorsque les indépendantistes du SNP remportent 56 sièges sur 59 en Écosse le terme semble sujet à caution – de l’Union européenne.

David Cameron s’est engagé à soumettre au référendum la question du maintien de son pays au sein de l’UE avant fin 2017. Dans un climat général de fatigue de l’Europe au sein des frontières de l’Union européenne, on peut penser que dans un pays qui n’a jamais eu la fibre européenne le « non » l’emportera.

Une réussite économique, pas géopolitique

Dans sa grande majorité, la presse attise les sentiments anti-européens. Les Britanniques voient dans l’Europe un risque d’immigration massive, une stagnation économique et une perte d’identité nationale. Si le parti anti-européen UKIP a échoué aux élections, c’est en grande partie parce que David Cameron a asséché leur terrain électoral en prenant (et donc en nourrissant) des positions anti-européennes.

Mais, après tout, ne faut-il pas se réjouir de cette clarification ? Puisque Londres a décidé de ne pas jouer son rôle moteur dans la construction européenne, ne vaut-il mieux pas rompre avec un pays qui est un frein ? Et cela ne permettrait-il pas au contraire de donner un nouvel élan à l’Europe ?

Si David Cameron a réussi sur le plan économique, il a largement échoué sur le plan international. C’est sans lui qu’Angela Merkel et François Hollande ont conclu les accords de Minsk avec la Russie et l’Ukraine.

La Chambre des communes a refusé en 2013 de laisser l’armée britannique intervenir en Syrie, le Foreign Office subit des coupes sombres, ainsi que le budget de la défense qui passe en dessous de la barre des 2% du PIB à un tel point que le chef d’état-major de l’armée américaine a émis des commentaires publics négatifs sur l’évolution de l’armée britannique.

L’influence britannique en Europe rétrécit

Vu de Washington, la Grande-Bretagne n’est plus un allié aussi fiable que par le passé. C’est l’Allemagne pour les aspects économiques et la France pour les aspects stratégiques qui sont devenus les partenaires privilégiés.

David Cameron a également rétréci l’influence britannique en Europe. Son influence est réduite et même son pouvoir de nuisance a diminué. Il s’est opposé en vain à la nomination de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. Le parti conservateur a quitté le groupe politique le plus important, le PPE, et cultive un isolement qui n’est pas splendide.

Les demandes de Cameron de réaménager les positions britanniques au sein de l’Union ont été repoussées. La sortie de l’Union européenne risque de s’avérer beaucoup plus coûteuse pour le Royaume-Uni que pour l’Europe. Mais David Cameron a, par sa promesse de référendum, lancé un processus qu’il ne contrôle plus.

Loin de la politique de Tony Blair

Quelle dégradation de la situation par rapport à celle qui prévalait au début de ce siècle ! Tony Blair qui, faut-il le rappeler, voulait que son pays adopte l’euro, avec sa troisième voie, était un leader incontournable d’une Europe sociale-démocrate avec ses partenaires français, allemands, espagnols et portugais. Il avait une influence supérieure à ces derniers aux États-Unis.

La Grande-Bretagne était à la fois influente en Europe et outre-Atlantique. Elle n’est plus ni l’une ni l’autre. C’est certainement l’une des conséquences de la décision catastrophique d’entrer en guerre aux côtés de Washington contre l’Irak en 2003. C’est a partir de là qu’est venue la rétraction actuelle de la Grande-Bretagne sur la scène internationale, qu’une sortie de l’Union européenne va accélérer.

C’est une première pour un président français : pourquoi Hollande se rend à Cuba

Sun, 10/05/2015 - 16:58

Sans le rapprochement entre Cuba et les Etats-Unis, cette visite aurait-elle eu lieu ?
C’est une bonne question, mais il faut replacer cette visite dans son contexte. Ce passage à Cuba s’intègre dans un voyage aux Antilles françaises et dans les Caraïbes (ndlr : après Cuba, le chef de l’Etat ira à Haïti) où François Hollande a abordé la question de la traite négrière etpréparé avec les pays de la région la conférence sur le climat qui aura lieu en décembre à Paris.

Certes, mais rien n’imposait spécifiquement de passer par Cuba.
Tout à fait. Il s’agit probablement d’une opportunité proposée par l’entourage de François Hollande pour symboliser sa « diplomatie économique ». Opportunité qui se combinait très bien avec son agenda politique personnel, la préparation de Cop21 et surtout sa volonté d’encourager ce qui se passe entre les Etats-Unis et Cuba afin de lui donner une dimension européenne.

C’est-à-dire ?
L’Union européenne a un temps de retard dans sa politique de normalisation de ses relations avec Cuba par rapport aux Etats-Unis. Au milieu des années 90, elle avait suivi le durcissement de l’embargo décidé par Washington. Depuis le 17 décembre dernier et l’annonce du dégel par Barack Obama et Raul Castro, elle est obligée de suivre le mouvement. Mais, comme sur chaque sujet de politique étrangère, il est très compliqué de faire converger les 28. En raison des droits de l’homme, les pays nordiques sont réticents à une normalisation, tout comme les anciens pays communistes d’Europe de l’Est. En revanche, la France, l’Italie ou l’Allemagne sont en phase avec la position américaine.

Comment qualifier les relations entre la France et Cuba depuis l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro 1959 ?
Sur le plan strictement bilatéral, elles n’ont jamais rien eu de particulier et n’ont jamais été suspendues. N’oublions pas par exemple que Fidel Castro a été reçu par François Mitterrand à Paris en 1995. Plus récemment, Nicolas Sarkozy avait nommé Jack Lang comme son représentant spécial à Cuba et les visites ministérielles se sont multipliées. Sur le plan économique, de nombreuses entreprises françaises sont aussi déjà présentes à Cuba et beaucoup de touristes s’y rendent.
Bref, il n’y a rien de bien original là-dedans puisque c’est le cas de nombreux pays à l’exception des Etats-Unis. Cette visite de François Hollande ne fait ainsi que conforter ce qui existe déjà. Mais elle est évidemment importante puisque c’est la première d’un président français en exercice dans le pays. Elle a donc une portée symbolique liée à ce qui se passe entre les Etats-Unis et Cuba et avec les autres pays de l’UE.

Accompagné de nombreux dirigeants français, François Hollande semble vouloir, sur le plan économique, placer ses pions pour profiter de la future levée de l’embargo.
Comme nous venons de le voir, la France est déjà bien présente à Cuba. Accorgère des complexes touristiques, Pernod-Ricard exporte le rhum cubain, Alcatel ou Total ont chacun des intérêts dans leur secteur et l’industrie automobile française possède des contrats avec le gouvernement. Sur le plan purement économique, il s’agit donc moins de profiter de cette future levée de l’embargo et de donner une impulsion que de préserver les acquis français.
Le jour où l’embargo sera levé -ce qui prendra encore du temps-, une déferlante américaine va évidemment arriver sur l’île, située à moins de 200 km des côtes de Floride. Pour toutes les entreprises étrangères déjà installées à Cuba, la concurrence sera rude et agressive. Autant se préparer dès maintenant.
En outre, à moyen-terme, grâce à l’élargissement du canal de Panama, Cuba, en face du Mexique, des Etats-Unis, de la Colombie et du canal, bénéficiera d’une position géographique stratégique pour le commerce maritime. Les Brésiliens se sont déjà placés sur ce créneau en construisant un port de porte-conteneurs près de La Havane.

Comme on a encore pu le voir au début de la semaine avec le voyage de François Hollande dans les monarchies sunnites du Golfe, la diplomatie économique ne se marie pas forcément bien avec les droits de l’homme. Que peut-on attendre à Cuba ? Les droits de l’homme sont en effet toujours un dossier délicat à manier. Une chose est sûre : après que Barack Obama a admis que demander la fin du régime communiste ne sert à rien, sinon à le renforcer, la France ne le fera pas. Mais il est possible qu’elle aborde des cas particuliers, de manière discrète.

Une rencontre Hollande-Fidel Castro est-elle possible ?
Quand une personnalité étrangère vient à Cuba, une rencontre avec Fidel Castro est un passage obligé, qu’elle le veuille ou non. Cette rencontre dépend aujourd’hui uniquement de la santé de Castro. Si elle a lieu, elle intéressera bien sûr la presse. Mais ce n’est pas l’essentiel du voyage, loin de là.

L’Algérie

Sat, 09/05/2015 - 16:52

Le nouvel égoïsme territorial : Quels défis pour les États ? Quels enjeux pour la cohésion nationale ?

Thu, 07/05/2015 - 18:05

Laurent Davezies est professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), titulaire de la chaire « Économie et Développement des Territoires». Il répond à nos questions à propos de son ouvrage  récemment paru « Le nouvel égoïsme territorial » (éd. du Seuil et La République des Idées) :
– Qu’entendez-vous par « égoïsme territorial » ?
– Au vu des trois cents mouvements régionalistes existant dans le monde, faut-il selon vous refonder notre modèle d’organisation territoriale ?
– Vous parlez dans votre ouvrage de trois grandes périodes historiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
– Dans quelle mesure la fragmentation territoriale est-elle une boîte de Pandore ? Quels risques représentent l’accession à l’indépendance des régions qui la souhaite ?

 

Qui est Jokowi ?

Thu, 07/05/2015 - 17:40

L’Indonésie est sous le feu des projecteurs. C’est rarement le cas. Il faut même remonter au terrible tsunami au large de Sumatra de décembre 2004 pour voir ce pays trop souvent ignoré figurer en bonne place dans l’actualité internationale. En marge des condamnations à mort (et exécutions dans plusieurs cas) de ressortissants étrangers (dont le Français Serge Atlaoui) jugés coupables par la justice indonésienne de trafics de stupéfiants, c’est le président de l’immense archipel, arrivé au pouvoir à l’automne dernier, qui est l’objet de toutes les attentions. Mais qui est donc ce Joko Widodo, plus connu sous son surnom de Jokowi ? Septième président de la République d’Indonésie depuis l’indépendance, et surtout le cinquième depuis la chute de Suharto en 1999 et la mise en place d’un système démocratique, l’homme fort du quatrième pays le plus peuplé de la planète, plus grand pays musulman, mais aussi première puissance économique de l’ASEAN, a refusé d’accorder la grâce présidentielle aux condamnés. Derrière ce qui est perçu comme une grande fermeté, quel est son profil ? Souvent comparé à Barack Obama (la ressemblance physique et le fait qu’ils ont exactement le même âge n’y sont sans doute pas étrangers) par ses partisans et dans la presse indonésienne qui mettent en avant son grand pragmatisme, Jokowi rompt surtout avec une tradition de dirigeants membres de l’establishment. Issu d’un milieu très modeste (il a même dû travailler dans la petite entreprise de meubles de son père dès douze ans pour payer les frais de sa scolarité), né près de quinze ans après l’indépendance (le 21 juin 1961), il est également perçu par la population comme moins autoritaire et surtout moins corrompu que ses prédécesseurs. Voilà donc des perceptions qui, dans le contexte actuel, sont presque l’opposé de la manière dont le président indonésien est présenté dans les pays occidentaux. Au-delà des idées reçues et des jugements hâtifs, il convient donc de présenter son parcours, ses convictions, mais aussi ses bilans dans ses fonctions successives, à Solo puis à Jakarta.

Une rupture dans la vie politique indonésienne

Listé en 2014 par le magazine Fortune parmi les 50 « plus grands dirigeants de la planète » alors qu’il n’était pas encore élu à la fonction suprême [1], le président indonésien est un personnage atypique. Originaire de Solo (Surakarta), l’un des centres historiques et culturels de Java, et accessoirement le lieu de graves émeutes antichinoises en 1999 et souvent identifié comme un foyer de l’islamisme radical dans l’archipel, Jokowi en fut le maire de 2005 à 2012. Consacrant des résultats jugés remarquables, sa réélection en 2010 fut fracassante, avec 91% des suffrages, et faisait déjà de lui un potentiel présidentiable. En 2012, il était candidat au poste de gouverneur de Jakarta dans un scrutin qui n’était pas gagné d’avance, car Jokowi s’affichait avec un colistier chrétien (dans un pays qui compte 85% de musulmans, et plus encore dans la capitale) et le gouverneur sortant était explicitement soutenu par le président. Pourtant, il a remporté une large victoire avec 54 % des voix, lors d’un scrutin que le magazine local Tempo qualifia d’« élection modèle », renversant « la carte du pouvoir habituellement dominée par une élite alliée au pouvoir de l’argent ». Une fois au pouvoir dans la capitale, il a multiplié les mesures populaires, comme la mise en place d’un réseau de métro qui permettra à terme de désengorger l’immense métropole, et des mesures concrètes dans les quartiers les plus défavorisés. Bien qu’installé seulement deux ans sur le siège de gouverneur de Jakarta, son train de vie très modeste et un souci permanent de transparence lui ont par ailleurs permis de recueillir le soutien des plus démunis et des médias, qui lui furent particulièrement utiles pour l’élection présidentielle. C’est aussi grâce à ce poste prestigieux qu’il parvint à se faire connaitre de tous les Indonésiens. Sa marche vers la présidence en portant les couleurs du PDI-P (Parti démocratique indonésien de lutte) n’en fut que facilitée, et c’est finalement sans grande surprise qu’il s’imposa avec plus de 53% des voix contre Prabowo Subianto, candidat du Partai Gerindra (parti d’inspiration nationaliste créé en 2008), et accessoirement ancien gendre de Suharto. Au sein même du PDI-P, Jokowi se distingue également de Megawi Sukarnopotri, la fille de Sokarno présidente de 2001 à 2004 et battue à deux reprises à l’élection présidentielle par Susilo Bambang Yudhoyono (qui fut au passage, avant Jokowi, le seul président indonésien élu).

Le soutien de Megawi dans l’investiture du PDI-P et la course à la présidentielle joua un rôle évident dans le succès de Jokowi, mais peut-être pas autant que son allure décontractée – il apparait souvent en public vêtu d’une simple chemisette – son goût prononcé pour le hard rock qui le rend populaire auprès des jeunes, et lui valut au passage des critiques pendant la campagne électorale, à coup de décibels parfois insupportables, et sa proximité avec les milieux défavorisés, qu’il visita très régulièrement en tant que gouverneur. Ses détracteurs y voient d’ailleurs la marque d’un populisme auquel il répond par des actions fortes, comme des mesures pour le contrôle des inondations ou le développement de programmes scolaires pour les plus pauvres, et met en avant son propre parcours, d’un milieu modeste jusqu’à la plus haute fonction de l’État. Le New York Times a rapporté à ce sujet des propos qu’il aurait tenus, selon lesquels « maintenant, c’est un peu comme l’Amérique, n’est-ce pas ? Il y a le rêve américain, et ici nous avons le rêve indonésien » [2], comme pour illustrer une rupture avec le passé.

Des défis en cascade

Non issu d’une lignée de dirigeants ni des milieux militaires, Jokowi semble de fait tourner la page des années Sokarno et Suharto et incarne le renouveau de la politique, dans un pays où les élites au pouvoir ne sont pas parvenues à modifier une image négative qui perdure depuis le régime de Suharto et à laquelle sa chute en 1998 n’a pas totalement mis fin. Le successeur de Suharto, Bacharuddin Jusuf Habibie (1998-1999), ouvrit les portes à la démocratie. La liberté de la presse fut rétablie et plus de cent partis politiques furent rapidement enregistrés. La Constitution de 1945 fut de son côté revue en profondeur, avec notamment un code complet des droits de l’homme. Ce processus spectaculaire de démocratisation, caractérisé par l’organisation d’élections libres, fut un succès et ouvrit une ère de modernisation profonde dans l’archipel [3].

Ces avancées ne se sont cependant pas traduites, quinze ans plus tard, par une bonne image des responsables politiques auprès de l’opinion publique. Un rapport intituté Indonesian Governance Index 2012, publié en septembre 2013 par l’organisation Partnership for Governance Reform, montre que la population juge le service public mal organisé, peu efficace, trop couteux, et gangréné par la corruption jusqu’aux niveaux les plus élevés [4]. D’innombrables affaires de corruption impliquant des personnalités politiques importantes ont été ainsi relevées au cours des dernières années, et malgré plusieurs condamnations, l’opinion publique a perdu foi en ses dirigeants.

L’économie indonésienne est de son côté dynamique et pleine de promesses, mais elle reste également fragile et confrontée à une multitude de défis, dont les effets sur la société et la vie politique sont importants [5]. La corruption reste un fléau considérable, et elle a même progressé selon deux rapports rendus publics pendant l’été 2013 [6] ; les déséquilibres économiques et sociaux entre les différentes provinces de l’immense archipel n’ont fait qu’augmenter au cours des deux dernières décennies ; la dépendance aux exportations, très forte dans l’industrie minière, est potentiellement déstabilisante ; et la pauvreté reste très visible. Les transformations de l’économie indonésienne ont eu des effets positifs au niveau macro-économique, en favorisant la croissance du PIB, mais restent trop déséquilibrées [7]. On relève ainsi que l’emploi n’a pas bénéficié de l’industrialisation du pays, et les disparités sociales restent en conséquence très marquées. La crise de 1997 a par ailleurs eu des effets désastreux pour les économies locales, tandis que les grandes entreprises en sont sorties considérablement renforcées [8], au point qu’elles dictent deux décennies plus tard, directement ou à distance, les trajectoires économiques du pays. L’introduction de techniques de microfinance fut de son côté exposée aux réalités locales, et connut une trajectoire aux résultats mitigés [9]. Enfin, dans certaines régions, les mécanismes économiques et sociaux restent très exposés à la résilience d’un conservatisme fortement inscrit dans la société et des pratiques religieuses et sociales que la période coloniale n’a pas éliminées, et qui se sont même parfois renforcées pendant l’occupation hollandaise [10].

Au-delà des symboles et de l’espoir qu’a suscité son arrivée au pouvoir (qui peut dès lors être à la hauteur de l’insatisfaction dans le cas d’un échec), Jokowi sera-t-il, dans la durée, en mesure de répondre aux immenses défis et de modifier en profondeur la relation entre les Indonésiens et leurs dirigeants politiques ? Plébiscité par le public avant même d’être officiellement candidat, son élection a bénéficié d’un soutien populaire en aucune mesure comparable avec celui de ses prédécesseurs, qui n’ont pas su générer d’enthousiasme dans la population. Jokowi pourrait-il poursuivre la lune de miel, et ainsi se démarquer encore plus des différents présidents qu’a connus l’Indonésie depuis 1999, dont la popularité était de manière presque chronique en berne ? S’il réussit ce pari, sa présidence s’inscrira réellement dans une rupture avec le passé. Mais il devra pour ce faire clarifier et au besoin concrétiser ses convictions profondes, et faire face à une multitude de défis.

L’heure des choix ?

C’est ici que l’intransigeance du président indonésien sur la lutte contre le trafic de stupéfiants entre en jeu. A cet égard, il convient d’ailleurs de rappeler quelques faits. D’une part, si l’Indonésie n’a procédé à aucune exécution en 2014, année électorale, il serait erroné de considérer que ce pays se découvre une « passion » soudaine pour la peine capitale, ou que celle-ci serait directement liée à son nouveau président, puisque l’archipel la pratique de façon régulière, bien que dans des proportions modestes face à des pays comme la Chine, l’Iran, ou même les États-Unis. D’autre part, les condamnés à mort qui ont fait la une des manchettes de l’actualité internationale ces dernières semaines ne l’ont pas été depuis l’arrivée au pouvoir de Jokowi, mais bien avant. C’est notamment le cas de Serge Atlaoui, arrêté en 2005, et condamné en 2007. Reste que le président indonésien a refusé d’accorder sa grâce aux condamnés, et c’est sur ce point qu’il est montré du doigt dans les sociétés où la peine de mort est abolie.

Comment donc expliquer cette intransigeance, surtout chez celui qui fut souvent présenté comme un « réformateur » (cette appellation devant cependant être appréhendée avec précaution, la notion de réforme pouvant revêtir une forme très différente selon les régimes politiques et, plus encore, les cultures) ? Il convient d’abord de mettre en relief la marge de manœuvre limitée dont il dispose. Pour s’imposer et imprimer sa marque, le président indonésien a adopté la fermeté, qu’il estime indispensable pour mener à bien les réformes qu’il a promises. Dans ce cadre, la lutte contre le trafic des stupéfiants (dont on peut bien sûr s’interroger sur le fait de savoir dans quelle mesure des condamnations à mort sont efficaces) figure en bonne position. S’ajoute à cela une demande de la population – qui n’est pas étrangère à la victoire de Jokowi l’an dernier – en faveur d’une plus grande indépendance face aux pressions étrangères. En janvier, quelques mois avant l’arrivée au pouvoir de Jokowi, son prédécesseur repoussait sine die une loi minière devant renforcer le contrôle des pouvoirs publics sur l’exploitation des richesses du pays, véritable superpuissance dans le domaine. Cette décision fut le résultat de très fortes pressions des groupes miniers internationaux, inquiets de voir leurs bénéfices baisser comme conséquence directe d’une plus grande mainmise de l’État sur leurs activités – la loi minière devait notamment garantir des partenariats entre groupes étrangers et entreprises indonésiennes. Jokowi est attendu au tournant, par ses supporters autant que ses détracteurs. Il est ainsi hautement probable qu’en se montrant inflexible sur la question des condamnations des ressortissants étrangers, il pense à d’autres enjeux.

A la question « qui est Jokowi ? », devrait donc s’ajouter « que pense Jokowi ? ». En choisissant comme colistier le très expérimenté Jusu Kalla (né en 1942 comme, pour l’anecdote et pour pousser plus loin la comparaison, l’actuel vice-président américain Joseph Biden), le nouveau président indonésien apporte des éléments de réponse. Kalla est issu du Golkar, l’ancienne formation politique de Suharto dont il fut président de 2004 à 2009 et qu’il quitta pour rejoindre Megawi en 2012, occupa plusieurs fonctions ministérielles et fut surtout déjà vice-président, entre 2004 et 2009, lors du premier mandat de Susilo Bambang Yudhoyono, avant d’échouer lui-même à la présidentielle de 2009 (avec 12,5% des voix). Originaire de Sulawesi (Célèbes) – et offrant ainsi un profil moins « javanais » à Jokowi – Kalla est surtout un pragmatique très proche des milieux économiques et financiers, lui-même anciennement dans les affaires et accessoirement étudiant de l’INSEAD à Fontainebleau dans les années 1970. Le nouveau vice-président indonésien est une sorte de caution pour les milieux d’affaires, qui contraste avec le profil « populaire » de Jokowi, qui s’est davantage distingué jusqu’à présent par ses mesures sociales. Le choix de Kalla comme colistier, quelques semaines seulement avant l’élection présidentielle, répondait ainsi à la volonté de Jokowi de présenter un gouvernement associant son parti de centre-gauche à la mouvance conservatrice dont est issu Kalla, qui sont également les deux principaux partis en nombre de sièges au Parlement. Il est en revanche encore difficile, comme le note le spécialiste australien de l’Indonésie Peter McCawley, de savoir si cette alchimie va, dans la durée, se traduire par une libéralisation de l’économie en Indonésie en lien avec l’international, ou au contraire une accélération des réformes sociales à l’intérieur de l’archipel, ce qui nous invite à considérer que Jokowi est à la croisée de modèles socialistes et libéraux [11]. Sans doute les défis économiques et sociaux et la manière dont ils sont évalués par le président détermineront ces orientations, et à ce titre, son intransigeance sur la peine de mort est à replacer dans son contexte et ne saurait à elle-seule résumer son profil et ses positionnements.

[1] The World’s 50 Greatest Leaders (2014), Fortune, 20 mars 2014. / Jokowi occupait le 37ème rang de ce classement dominé par le Pape François et Angela Merkel.
[2] Cité dans Joe Cochrane, “Joko Widodo, Populist Governor, Is Named Winner in Indonesian Presidential Vote”, The New York Times, 22 juillet 2014.
[3] Edward Aspinall, Opposing Suharto: Compromise, Resistance and Regime Change in Indonesia, Stanford, Stanford University Press, 2005.
[4] Arfianto Purbolaksono, “The image of State officials: A response to the results of the Indonesian Governance Index in 2012”, The Indonesian Update, Vol. 8, n°2, août-septembre 2013.
[5] Lire Sarah Anaïs Andrieu, « Indonésie. Une année préélectorale mitigée », in Jérémy Jammes et François Robinne (dir.), L’Asie du Sud-est 2014. Bilan, enjeux et perspectives, Bangkok, IRASEC, 2014, pp. 191-218.
[6] Il s’agit d’un rapport de l’ONG Transparency International-Indonesia (www.ti.or.id). Lire Maya Nawangwulan, “Corruption in Indonesia Increases: Survey”, Tempo, 11 juillet 2013. L’autre rapport, d’Indonesian Corruption Watch (ICW), est paru fin août de la même année, et dresse le même constat.
[7] H. Hill, Indonesia’s Industrial Transformation. Singapore, Institute of Southeast Asian Studies, 1997.
[8] D. A. Narjoko et H. Hill, “Winners and Losers during a Deep Economic Crisis: Firm-level Evidence from Indonesian Manufacturing”, Asian Economic Journal, Vol. 21, n°4, 2007, pp. 343-368.
[9] J. Rosengard, R. Patten, D. Johnston et W. Koesoemo, “The Promise and the Peril of Microfinance Institutions in Indonesia”, Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol. 43, n°1, 2007, pp. 87-112.
[10] Sur ce sujet, lire Mary Zurbuchen (ed.), Beginning to Remember: The Past in the Indonesian Present, Singapore, Singapore University Press, 2005.
[11] Peter McCawley, Joko Widodo’s Indonisia. Possible Future Paths, Canberra, ASPI, septembre 2014.

Ce texte reprend certains passages d’un article publié dans le numéro 183 de la revue Le Débat, mars-avril 2015, intitulé « Indonésie, archipel d’espoirs et d’incertitudes ».

« La conscription en France » – 3 questions à François Cailleteau

Thu, 07/05/2015 - 11:02

François Cailleteau a été chef du Contrôle général des armées puis Inspecteur général des finances. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « La conscription en France, mort ou résurrection ? », aux éditions Economica.

A l’heure où renait une nostalgie pour le service national, vous montrez qu’il était injuste socialement et inefficace militairement. Pourquoi ?

Le service national était devenu inefficace militairement parce qu’il était trop court, par rapport aux besoins d’une armée aux matériels de plus en plus sophistiqués et de moins en moins nombreux. Si le service était court (dix mois en 1992), c’est parce que le volume de chaque classe d’âge était très supérieur aux besoins des armées. Cela ne laissait le choix qu’entre une brièveté et un taux insupportable d’exemption du service dans un pays aussi attaché à l’égalité, au moins formelle, que la France.
Inefficace aussi parce qu’on ne pouvait envoyer que des volontaires, dont l’expérience prouvait qu’ils ne dépassaient guère le dixième des appelés dans les opérations extérieures (OPEX), alors que ces OPEX devenaient, après la fin du bloc soviétique, l’essentiel des missions des armées.
De plus, il était injuste parce qu’environ 30% des jeunes gens en étaient dispensés ou exemptés, pour des motifs souvent discutables, ce qui donnait à la sélection l’allure, soit d’une loterie, soit du règne de la fraude ou du piston.
Enfin, pour ceux qui étaient appelés, les conditions de service étaient très différentes, allant de l’emploi profitable dans une entreprise à l’étranger à celui de fantassin dans les camps de l’est de la France ou de l’Allemagne, en passant par les « planques » largement répandues dans tout l’appareil militaire. Force était de constater que les emplois les plus doux étaient réservés aux bénéficiaires du capital social (études, relations) et qu’au sein des emplois les plus rudes, à l’exception de quelques volontaires, se concentraient les plus démunis de ce capital (faible niveau scolaire, pauvreté, chômage).

Serait-il matériellement possible de faire renaître le service national ?

Le service national obligatoire et principalement militaire, tel qu’il existait jusqu’en 1997, ne peut matériellement pas être remis en place. Les armées ne disposent ni des casernements, ni des équipements correspondant au volume des armées des années 1990. Il y faudrait un énorme effort financier qui serait en outre un non moins énorme gaspillage.
En effet, en partant de l’hypothèse du maintien de l’interdiction d’employer les appelés non volontaires dans les OPEX (et cette hypothèse peut être considérée comme une certitude), les unités composées d’appelés ne pourraient servir qu’à renforcer, dans les tâches les plus basiques (gardes, patrouilles) les forces de police et de gendarmerie. Leur volume serait considérablement supérieur aux besoins, même avec un service très court et un taux très élevé d’exemptions (un service de quatre mois avec un taux d’exemptions et de dispenses de 40% donnerait un effectif permanent de 70 000 appelés).

Un service national obligatoire et principalement civil pose d’autres problèmes. D’abord, il n’est pas sûr qu’il soit juridiquement possible, dans la mesure où il pourrait être considéré comme un travail forcé, interdit par des conventions internationales signées par la France. A supposer cet obstacle levé, on se heurterait ensuite à la question du volume. D’abord, parce que les jeunes femmes ne pourraient évidemment pas en être dispensées du seul fait de leur sexe. Ensuite, parce qu’il serait difficile de pratiquer de forts taux d’exemptions sur la base de l’aptitude physique, puisqu’on ne pourrait exciper des contraintes de l’activité militaire. Cela exigerait donc de faire faire chaque année un service à quelques 700 000 personnes. Même avec une durée très courte du service (et, plus c’est court, moins c’est utile), une organisation de masse devrait être mise en place. Enfin, il faudrait décider de la nature des activités des appelés à ce service. Il faut qu’elles soient utiles, soit à eux-mêmes, soit à la collectivité. Dans le premier cas, on trouverait principalement le rattrapage de formation, mais peut-il être efficace s’il ne s’adresse pas exclusivement à des volontaires suffisamment motivés ? Dans le second cas, le risque est de faire tenir aux appelés des emplois que devraient tenir des salariés.
Toutes ces considérations conduisent à renoncer à l’idée d’un service national universel (et donc obligatoire), qu’il soit principalement militaire ou principalement civil, et à revenir aux idées de service civil volontaire.

Est-ce la bonne réponse aux défis actuels de la société : absence de cohésion sociale, terrorisme, etc. ?

L’histoire nous montre que c’est la cohésion sociale qui a permis le service militaire universel, et non l’inverse. Il ne faut donc pas attendre d’une forme quelconque de service qu’elle pallie toutes les insuffisances que les familles, l’éducation nationale et la société, dans son ensemble, ont laissé s’installer dans les jeunes générations.
Ceci étant, des formes de service volontaire peuvent être utiles pour aider à l’insertion des jeunes dans la vie active et pour répondre au besoin d’engagement d’une fraction de la population jeune. Elles existent déjà et il s’agit seulement de les développer.
Encore faut-il que ce développement se fasse avec un souci d’efficacité et non avec celui de « faire du nombre ». Il faut s’assurer que les volontaires aient une motivation suffisamment forte. De plus, leur service doit être assez long, assez encadré pour être efficace ce qui suppose qu’il ne soit pas trop fait à l’économie.
Quant à lutter contre le terrorisme, pour l’essentiel, laissons cela aux professionnels. Tout au plus, on peut imaginer une forme de service volontaire qui permettrait d’assurer l’essentiel des missions de garde et de patrouille, actuellement confiées à l’armée de terre, au détriment de la préparation des militaires professionnelles aux OPEX ou à celui de leur repos après ces missions exigeantes.

L’engagement des pays du Sud aux Nations unies pour une meilleure restructuration des dettes souveraines

Tue, 05/05/2015 - 18:30

Le 5 décembre 2014, à l’Assemblée générale des Nations unies, cent vingt-sept pays, essentiellement les pays du groupe G77 + Chine rassemblant les pays dits du Sud, ont voté pour une résolution présentée par l’Argentine, visant à mettre en place un cadre légal multilatéral pour la restructuration de dettes souveraines. Déjà en septembre 2014, cent vingt-quatre de ces pays avaient fait adopter, à l’initiative de la Bolivie, une résolution en ce sens.

C’est là un tournant historique, selon Sacha Llorenti, le représentant de la Bolivie au sein de l’organisation. Ce cadre pourrait permettre de lutter contre les pratiques inhumaines des « fonds vautours », fonds d’investissements spéculatifs qui se spécialisent dans le rachat à bas prix de dettes, comme cela a été le cas pour la dette souveraine de l’Argentine, qu’ils ont rachetée lors de la crise économique qu’a traversé le pays dans les années 2000. Ces fonds vautours ont refusé de participer à la renégociation de cette dette (héritée en partie de la période de la dictature, de 1976 à 1983), demandant un remboursement au plus proche de la valeur nominale. En 2013, Thomas Griesa, juge de la Cour de Justice de New York, a donné raison aux fonds vautours et a condamné l’Argentine à payer 100% de sa dette en litige. Les fonds vautours rachètent de la dette à prix cassé, refusent de participer à la restructuration de cette dette et exigent ensuite la valeur totale ainsi que les intérêts des obligations qu’ils ont achetées.

A l’opposé des pays du Sud, seize pays, essentiellement du Nord, comme les États-Unis, le Japon et plusieurs pays européens, ont voté contre cette résolution, estimant que le Fonds monétaire international (FMI) est un lieu approprié pour traiter de ces questions. Cet argument les avantage car ces pays de la Triade, qui ne pèsent qu’un peu plus de 8% des voix aux Nations unies, représentent plus de 45% du pouvoir de décision au sein du FMI. En effet, au sein de ce dernier, les voix sont pondérées en fonction de la richesse de chaque État, système moins démocratique que celui de l’Assemblée générale de l’ONU, où la règle veut que chaque État, riche ou pauvre, dispose d’une voix. En outre, le représentant des États-Unis a justifié le vote de son pays contre cette résolution par le risque d’incertitudes qu’un tel texte pourrait faire peser sur les marchés financiers.
Depuis longtemps, des réseaux progressistes, comme le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde (CADTM) militent pour l’abolition ou la réduction et le rééchelonnement de la dette des pays du Sud.

En février 2015, l’Assemblée générale des Nations unies a élu la Bolivie présidente du nouveau « Comité sur le processus de restructuration de la dette souveraine », un comité plus grand que le groupe G77 + Chine, qui vise à favoriser le développement durable de tous les pays du monde. « Cela sera une fierté pour les Boliviens que nous dirigions ce processus de changement de la nouvelle architecture financière du monde », a affirmé le 3 février dernier le président bolivien Evo Morales, qui a précisé que ce comité œuvrera à ce que les organismes internationaux ne se comportent pas comme « des prédateurs qui arrachent des fonds ou qui donnent des fonds en arrachant des intérêts ». Il s’agit pour Evo Morales de faire en sorte « qu’il n’y ait plus de fonds vautours ».

Pour Sacha Llorenti, une des raisons pour lesquelles la Bolivie a été choisie pour diriger ce Comité tient au fait qu’elle a, au sein du groupe G77+ Chine, donné l’impulsion à la recherche d’un mécanisme pour permettre une juste restructuration des dettes souveraines, et qu’elle est une référence en matière de politique sociale et de gestion de ses finances publiques. Sacha Llorenti a reconnu que « c’est un processus qui n’est pas simple, il est compliqué et difficile, mais c’est pour cela qu’ont été créées les Nations unies, pour mener à bien les processus difficiles et compliqués et pour y parvenir dans le cadre du dialogue et dans le respect des principes de la Charte des Nations unies ».

Le Comité est chargé de mettre sur pied d’ici septembre 2015 un cadre légal multilatéral pour les processus de restructuration des dettes souveraines, ce qui comblerait un vide juridique. Les réunions ont commencé en janvier-février 2015, consacrées à l’analyse des brèches du système de restructuration actuel. Des experts d’organismes internationaux (comme par exemple la Banque interaméricaine de Développement) y ont participé, ainsi que des représentants de divers pays.

Si les Nations unies parviennent à mener à bien cette action, elle constituerait un premier pas pour faire prévaloir des principes humains sur ceux du capitalisme débridé en matière de gestion et de paiement des dettes souveraines, jalon important vers la réduction des inégalités Nord-Sud.

Vers une intensification des relations de la France avec les pays du Golfe ?

Tue, 05/05/2015 - 15:45

François Hollande est en visite officielle au Qatar et en Arabie saoudite. Le développement d’une diplomatie envers les pays du Golfe, parfois critiqués pour leurs atteintes aux droits de l’Homme et à la liberté d’expression, peut-elle être problématique pour la France ?
C’est une question qui revient très fréquemment avec une opposition parfois un peu manichéenne entre Realpolitik et droits de l’Homme. Cette question ne concerne pas uniquement les États du Golfe mais de nombreux autres pays avec lesquels la France entretient des relations sans avoir le même système politique. La France est sensible aux questions des droits de l’Homme mais ces dernières ne peuvent pas constituer l’ensemble de la politique étrangère française. La France, tout comme n’importe quel autre État, ne peut pas entretenir de relations diplomatiques et commerciales uniquement avec des pays qui seraient des démocraties certifiées observant une application totale des droits de l’Homme. Il apparait impossible de demander à un pays membre du Conseil de sécurité des Nations unies de n’avoir des relations qu’avec ses égaux. A partir du moment où la France a une industrie d’armement, l’exportation est une nécessité. Par ailleurs, on ne peut pas dire qu’il y ait un lien direct entre le statut des femmes dans les pays du Golfe et la vente de Rafale. Le refus de vendre des Rafale n’améliorerait pas sensiblement la situation des femmes et leurs droits. D’ailleurs, si la France ne les vendait pas, ce serait les États-Unis qui se précipiteraient sur le marché.
Il faut bien sûr être conscient de la situation et l’évoquer. On ne peut pas négliger les rapports annuels d’Amnesty International ou de Human Rights Watch, mais l’époque où les pays occidentaux faisaient la leçon aux autres pays est révolue. C’est désormais plus dans le dialogue que les choses se font et il est nécessaire que les sociétés bougent en interne. Un chef d’État n’est pas un responsable d’ONG. François Hollande doit prend en compte la dimension des droits de l’Homme, notamment parce qu’elle fait partie de l’ADN français, mais il ne peut pas uniquement tenir compte de cela.

La France est par ailleurs invitée, le mardi 5 mai, à participer à un sommet extraordinaire du Conseil de coopération des États arabes du Golfe, une invitation considérée comme un privilège. Selon vous, comment interpréter cette invitation ?
Effectivement, on voit qu’il y a un raffermissement des liens avec l’Arabie saoudite qui se fait sur un schéma plus général. François Hollande, en arrivant au pouvoir, estimait que Nicolas Sarkozy avait trop privilégié le Qatar et souhaitait rétablir, non pas la priorité, mais un équilibre entre le Qatar, l’Arabie saoudite et les autres États du Golfe. Il a effectivement opéré ce rééquilibrage, tout en conservant des liens avec le Qatar. Cette situation est par ailleurs facilitée par la réconciliation en cours entre le Qatar et ses voisins du Golfe, le Qatar étant moins offensif qu’auparavant sur la question du soutien aux Frères musulmans ou encore sur la mise en accusation du général Al-Sissi en Egypte. On observe également que sur le dossier syrien, les Saoudiens et les Qataris ont une approche de plus en plus commune. Par ailleurs, ce rapprochement entre la France et les États du Golfe intervient aussi sur un fond plus général dans la mesure où ces derniers ont apprécié la fermeté dont Paris a fait preuve vis-à-vis de Téhéran dans la négociation 5+1 sur le programme nucléaire. La France est apparue comme étant plus intransigeante et plus désireuse d’obtenir un accord solide, tandis que les Américains ont été soupçonnés de vouloir un accord à tout prix et non pas un accord qui soit réellement capable d’empêcher l’Iran d’accéder à l’arme nucléaire. Tous ces éléments participent au rapprochement de la France et des pays du Golfe, non seulement sur le plan stratégique, mais également sur le plan économique car de très importants contrats civils d’équipements sont en négociation. On ne peut donc pas uniquement résumer la relation entre la France et les pays du Golfe à la vente de Rafale, pour spectaculaire qu’elle soit. Elle est beaucoup plus large que cela.

Cette visite de François Hollande intervient dix jours avant sa rencontre avec Barack Obama, les 13 et 14 mai. Les États-Unis et la France sont-ils en concurrence d’influence au Moyen-Orient ? La France bénéficie-t-elle de l’amitié des pays du Golfe, au détriment des États-Unis ?
Il est vrai que les pays du Golfe, dans l’ensemble, ont une déception par rapport aux États-Unis. Ils ont le sentiment d’une perte de crédibilité de la garantie américaine, notamment dans sa dimension stratégique. Les pays du Golfe, à tort ou à raison, ont estimé que les États-Unis avaient trop vite abandonné leur soutien à Hosni Moubarak – allié de longue date – au profit des Frères musulmans et qu’ils avaient été trop critiques du renversement des Frères musulmans par le général Abdel Fattah Al-Sissi le 3 juillet 2013. Toutefois, c’est surtout la volonté américaine de rapprochement avec l’Iran qui les inquiète le plus. Les pays du Golfe ont le sentiment qu’un accord ne conduira pas Téhéran à adopter un comportement plus modéré dans la région mais débouchera au contraire sur un Iran plus rassuré, qui pourrait avoir une volonté d’affirmation de sa puissance. De plus, des déclarations de dirigeants iraniens disant que l’Irak, la Syrie et le Yémen font partie de la sphère d’influence de Téhéran ont beaucoup inquiété les pays du Golfe. Enfin, le refus américain face à la volonté française d’opérer des frappes aériennes sur la Syrie après l’usage d’armes chimiques par le gouvernement Assad a ajouté à ce trouble. La France y est vue non pas comme une superpuissance – ce qu’elle n’est pas -, mais comme une puissance qui peut peser sur de nombreux dossiers.
Ceci étant, si la France n’a pas la capacité de prendre le relais de l’influence américaine dans le Golfe, elle peut en revanche répondre aux attentes de ces pays en leur offrant une sorte d’assurance complémentaire. Le signal envoyé à Barack Obama est qu’il n’y a pas de relation de dépendance absolue entre les États-Unis et les pays du Golfe, que ces derniers peuvent trouver d’autres partenaires et qu’il n’existe pas de monopole stratégique américain dans la région.

Is this France’s Own Patriot Act?

Tue, 05/05/2015 - 13:49

What does the new surveillance law passed by Parliament specify?
The idea is to modernize the capabilities of the intelligence services, particularly given the rise of digital media. This legislation is not limited to terrorism. It is designed to prevent organized crime and protect essential interests of foreign policy and essential economic or scientific interests of France.
One of the goals is to legalize activities that until now did not have a legal basis. This law is essentially designed to protect the intelligence services.
A Socialist deputy who is also the President of the Legislative Committee of the National Assembly noted that France is the last Western democracy not to have a formal legal framework covering the activities of its intelligence services.
In France there is 100 percent consensus on diplomacy and defense, and this is part of defense.

Critics see the legislation as a dangerous extension of mass surveillance, and have compared it to the US Patriot Act. Do you agree?
It is partly a response to the Charlie Hebdo attacks in January, but it is not a knee-jerk Patriot Act. It is an attempt to put an appropriate legal framework around intelligence-gathering activities and to include in that legal framework the new types of communications technology.
In one sense, it certainly goes in the direction of the Patriot Act because it formalizes what the intelligence services are allowed to do, but the view in the United States is that the Patriot Act and the response to 9/11 was overdone.
There are a couple of differences between France and the United States on this point. One, the French government is seen as the protector of civil liberties. There have been protests that this legislation will allow the government to spy on us, but I think everybody thinks that the government in France already has a lot of information.
The primary priority of the French people is security. That’s why when the Charlie Hebdo attacks happened there was 100 percent support for the way the security services responded. This legislation updates and fills the gap, something that the Charlie Hebdo attacks made clear needs to be done.
In France, a Constitutional Council has skilled advisors to opine on whether a law is constitutional in advance of it being adopted. In the United States, it could take a generation to know whether a law is constitutional because it has to go through a long appeals process, since the Supreme Court is both the ultimate court of appeals as well as the constitutional court.
François Hollande, with this particular law, is asking the Constitutional Council for an opinion as to the constitutionality of the law in advance of the law being promulgated. This is the first time since 1958 that the President of the republic has actually himself gone to the Constitutional Council and asked for such a clarification. So in terms of protecting civil liberties, the state is doing its job.

Following Edward Snowden’s revelations, many US lawmakers now favor scaling back the National Security Agency’s access to Internet data. How do you explain these divergent approaches?
In France, you don’t have an adversarial government system. In the United States, Congress is there to correct the excesses of the executive. In the United States, things happen because they happen and then they get adjusted afterwards. But in France things are designed in advance to work so that there isn’t an adversarial readjustment.
Today’s legislation won overwhelming approval in Parliament. Following the Charlie Hebdo attacks, did lawmakers feel they had very little political mileage to gain by opposing this law?
There is genuinely a national consensus that part of the state’s job is to provide security and they need a law that needs to be updated to include intelligence-gathering activities that were happening before without a specific legal basis, and to update it so that it includes new communications technologies. That’s a sensible thing to do. This is not a panic reaction.

Vente des Rafale : « Les bons effets de la diplomatie américaine»

Tue, 05/05/2015 - 13:46

Dassault annonce de nouveaux contrats pour 2015. Pourquoi, ces déblocages soudains après de longues années de négociations ?
C’est le résultat d’années de prospection pendant lesquelles Dassault a été à la manœuvre pour essayer de vendre le Rafale. Même si cet avion a été conçu il y a longtemps, il reste dans la modernité. Contre lui, Il n’y avait plus qu’un concurrent, le Gripen (Saab) qui, depuis, a prouvé ses limites. L’Eurofighter n’est lui-même plus candidat à l’export. Il restait le F18 et le F35 américain à susciter encore des espoirs. Mais cet avion prend du retard, accroît ses coûts avec des transferts de technologie qui tardent aussi. Entre-temps, depuis la Libye en 2011, le Rafale est passé à des démonstrations pratiques et reste le seul avion multirôle en service. Aucun avion doté de telles fonctions n’est prévu à l’horizon. Même s’il n’a pas les caractéristiques du F35 ou du F22 de Boeing, du J20 ou du J 31 chinois, le Rafale fait à la fois de la reconnaissance, de la défense aérienne et de l’attaque au sol. C’est l’équivalent de trois avions, d’où l’intérêt pour les pays qui ont des flottes limitées.

Dans cette vente, la France ne doit-elle pas remercier Obama et son alliance avec l’Iran ?
On s’est retrouvés dans la même situation que lorsqu’on a commencé à exporter des Mirage dans les années soixante. À l’époque, nous vendions des avions à l’Inde, à l’Amérique du Sud, alors que nos avions étaient plus chers que leurs concurrents américains. Si ces contrats ont été conclus, c’est parce que ces pays ne voulaient pas être dépendants des États-Unis. Nous renouvelons la même situation. Il est intéressant aussi de constater qu’il y avait eu une brutale marche arrière causée par la décision du Général de Gaulle de décréter l’embargo sur les Mirage vendus à Israël. La conclusion fut un coup d’arrêt de nos ventes. Aujourd’hui, La France espère vendre à des pays opposés à l’Iran, et, de fait, les Sunnites déroulent le tapis rouge à François Hollande. La diplomatie française est plus sur le reculoir que les États-Unis et leur alliance avec l’Iran. Les Américains ont une position plus pragmatique en reconnaissant l’Iran comme un grand pays. Et les États-Unis n’ont pas grand-chose à vendre qui soit réellement adapté aux besoins des pays du Golfe. Permettez-moi de rappeler une chose : la France a hurlé contre l’existence de la peine de mort en Indonésie, mais que fait-elle sinon vendre des avions de chasse à des pays qui appliquent cette sentence ! Évitons la morale.

Reste que c’est une bonne nouvelle pour Dassault, Thales et Safran ?
J’espère que ce sera une bonne nouvelle. Faut-il que les Égyptiens honorent leur contrat ! Pour l’heure, on leur donne des avions en échange d’un prêt. Soyons objectifs jusqu’au bout sur les conditions de financement, car nous vendons à un régime qui n’est pas d’une solidité totale.

Ventes de Rafale : la fin d’une décennie d’échecs ?

Mon, 04/05/2015 - 17:44

Après l’Egypte et l’Inde, et peut-être la Malaisie et les Émirats arabes unis, le Qatar vient d’annoncer à son tour l’achat de 24 avions Rafale. Comment expliquer ce succès après une décennie d’échecs à l’exportation ?
Cela peut paraître étonnant mais cela est un peu dû au hasard. Il y a peu de débouchés pour ce type d’avions. Les échecs sur dix ans, c’est aussi moins d’une dizaine de pays dont certains étaient la chasse gardée des États-Unis comme la Corée du Sud ou Singapour. Avec ces trois contrats, la France atteint un taux de réussite d’environ 30%, ce qui n’est pas mal car il y a en général quatre concurrents sur les marchés à l’exportation : les Américains avec plusieurs types d’avions selon les demandes, les Russes, les Européens avec l’Eurofighter, et le Gripen suédois. Sur les trois contrats, deux d’entre eux étaient attendus car le choix du Rafale était arrêté : celui du Qatar et de l’Inde. En revanche, l’Egypte est une surprise ; la décision finale est liée au refroidissement de ses relations avec les États-Unis.
Une autre raison vient du fait que le Rafale est aujourd’hui à la fois un avion moderne mais éprouvé. Les Américains vont de plus en plus promouvoir le F-35, qui est plus cher, face au Rafale qui, en vieillissant, devient une meilleure option. De plus, le Rafale est un avion qui est régulièrement employé depuis cinq ans dans le cadre des opérations extérieures en Afghanistan, en Libye et au Mali.
En troisième lieu, l’État français et Dassault ont travaillé ensemble pour promouvoir cet équipement, ce qui ne fut pas toujours le cas dans le passé, notamment lors de l’échec au Maroc. On ne peut exporter des équipements aussi stratégiques et aussi chers sans une coordination étroite entre cette entreprise et l’État. Le fait que François Hollande signe en personne le contrat au Qatar, témoigne de l’importance de cette vente.
Enfin – et cela a été peu souligné -, l’Egypte, le Qatar et l’Inde disposaient de Mirage 2000. Les Indiens ont même décidé il y a quelques années de moderniser leur Mirage 2000-5. C’est une preuve de confiance quant à la qualité du matériel qui doit être soulignée.

Que penser de la négociation des contrats de vente des Rafale ? Peuvent-ils être préjudiciables à long terme, notamment ceux concernant l’Inde et le Qatar ?
Pour l’Inde, le contrat qui vient d’être signé ne comprend pas, pour l’heure, de transfert de technologie… et c’est sans doute plus un handicap qu’une bonne nouvelle sur le long terme. A court terme, il est certain que les trente-six avions vendus seront fabriqués en France. C’est de l’emploi garanti pour les cinq prochaines années, notamment en Aquitaine. Sur le long terme, l’Inde souhaite développer son industrie aéronautique militaire et ne peut pas le faire sans partenariat technologique. Nous connaissons parfaitement les mesures à prendre pour conserver une longueur d’avance, même avec des transferts de technologie, et donc limiter les risques de concurrence dans le futur. Le contrat pour la vente de cent vingt-six avions prévu initialement, et qui continuera à être négocié, nous permettrait d’avoir un partenariat avec l’Inde sur le long terme. C’est un choix politique qui est fait, c’est aussi un choix industriel et technologique qui est plus compliqué car il peut nous conduire à des obligations d’assistance technologique qu’il faut maîtriser.
En ce qui concerne le Qatar, on se trouve dans un cas plus classique de troc, c’est-à-dire que le pays acheteur souhaite obtenir des compensations vis-à-vis de son achat, qui ne sont pas directement liés à l’acquisition de Rafale. En l’occurrence, le Qatar aurait demandé des droits de trafic supplémentaires pour sa compagnie aérienne en France sur Nice et Lyon. Dans ce cas, il est donc nécessaire d’arbitrer entre l’intérêt commercial du constructeur aéronautique Dassault et celui d’Air France, qui ont chacun des intérêts qui relèvent de l’intérêt général tant l’impact en termes d’image et d’emploi est important dans les deux cas. Il est sûr que cette vente intervient dans une période très conflictuelle à ce niveau puisque la France et l’Allemagne ont par ailleurs demandé à la Commission européenne de négocier un accord équitable avec les compagnies aériennes du Golfe, accusées de concurrence déloyale.

Ces 84 avions de combat vendus ou en passe de l’être, et bientôt 50 hélicoptères en Pologne, font de l’année 2015 une année record pour la vente d’armes à l’exportation de la France. Peut-on imaginer que cette situation perdure à l’avenir ou n’est-ce finalement qu’une bouffée d’oxygène sans lendemain ?
En moyenne, nous vendons pour six à sept milliards d’euros d’armement par an. En 2015, le chiffre des prises de commandes pourrait avoisiner les dix-huit milliards d’euros. C’est sans précédent. C’est une conjonction extraordinaire et cela va permettre d’alimenter notre industrie pendant cinq à six ans dans la mesure où on ne construit pas 84 avions de combat et 50 hélicoptères du jour au lendemain. Par le passé, nous avions déjà connu une autre année exceptionnelle en 1984, avec un montant de 61 milliards de francs. Si on prend en compte l’inflation, le montant n’était donc certainement pas très éloigné de celui qui sera atteint en 2015. La mesure des ventes d’armes se fait donc plus sur des périodes de cinq ou dix ans. L’objectif pourrait être de maintenir une moyenne de huit à neuf milliards d’euros, plus élevé qu’il ne l’est actuellement, mais en deçà du chiffre que l’on atteindra en 2015.

« It is not important that Britain is not important »

Mon, 04/05/2015 - 13:52

Why is this election important for Britain?
It is important because it represents new political ground. Most of the elections since World War II have returned a clear Labour or Conservative majority. The last one didn’t and proved that a coalition government, which is very unusual in the UK, could actually govern for five years.
This election is a test of whether a multitude of opinions can be expressed without achieving a clear majority in Parliament. The British first-past-the-post system means that if there are only two parties you are going to have a clear majority. Now, in addition to the LibDems, UKIP probably won’t get any seats. The Scottish National Party will take what Labour used to have in Scotland away from them. So it’s becoming a multiparty system and this is the first test of how that multiparty system will evolve.
What is also interesting is that this election is not important for any policy reasons. The probability is that whoever wins, there will not be any big changes.

Why are neither Labour nor the Tories in a position to win a majority?
It’s because neither of them has any ideas. There is no electoral battleground and consequently the campaign has been virtually devoid of substance and the leaders have virtually nothing concrete to propose.

Is foreign policy a factor in these elections?
With respect to foreign policy, it is not important that Britain is not important. There is no question that Britain is in the midst of an identity crisis, but I think it is going back to what it always was, which is a kind of turntable, not really part of Europe, definitely part of the Atlantic, very much an offshore island and one that is capable of supporting a lot of globalized phenomena. France, on the other hand, could not possibly do that because it is at the heart of Europe. It is very strategic about its military. The Brits are not strategic about anything. The Brits are pathetic at strategy, but they are fantastic at keeping calm and carrying on, “muddling through.”
There is minimal substance to this election and very little at stake. The reason why it is said to be the most important British election in a generation has to do with how the political system works, but it’s not about the policies that will be implemented afterwards.

What does a waning Britain mean for the United States? Is the “special relationship” between the United States and Britain still special?
The “special relationship” is waning on both sides. There is an increasing feeling in Europe generally that the United States is simply not as much a part of the strategic equation globally as it used to be.
The United States is seen as having fallen short strategically ever since 9/11. Obama has tried to repair this by means of a strategic retreat. But there is certainly the conviction in Britain that they don’t wish to toady to the American superpower because the American superpower has got it wrong repeatedly. There is no scope for repeating what is perceived as Tony Blair’s rather slavish following of George W. Bush.
The special relationship was born out of a situation of absolute desperation, which was Winston Churchill needing the United States to get into World War II. Indeed, Franklin Roosevelt was quite reluctant to get into an alliance with Britain, which was seen very much as an imperial and imperialist power.
Britain today doesn’t have any significant capability to project power globally. The only member of NATO besides the US that has that ability now is France. Britain’s military is at its lowest level since the 18th century—since England lost the American colonies and the United States came into being. They have no aircraft carrier, they have no homegrown defense industry, and their nuclear capability is essentially controlled by the United States.
The EU has basically discounted Britain as a political actor. Britain does not have that much significance in NATO because its defense capability is quite limited.
From a policy standpoint, the special relationship with the United States is less and less meaningful because there is no appetite amongst the British public to have their government follow a policy made by people in Washington that they disagree with.
There have been articles saying that, viewed from Washington, the special relationship isn’t that special. Viewed from London it’s not really that special either. The fact that the Brits decided to become members of the Asian Infrastructure Investment Bank at the invitation of the Chinese—and against American wishes—just shows that they are going back to historical type, which is to be a kind of international platform. They have little or no domestic industry of their own, they don’t have much besides financial services and media and retail in terms of business sectors, but they are a very globalized place that is excellent at attracting wealth and talent.

Under David Cameron, defense spending has fallen below the suggested NATO minimum of 2 percent of GDP. Is that likely to change?
I don’t think so. If you look at France, there is an absolute determination across all party lines that France should remain globally important in terms of diplomacy and defense. The British version of that is: “We are important anyway. We have the English language. We used to have a big empire.” Britain tends to see things in historical terms. They have no plan for the future.
Cameron’s success in making a coalition government work has been actually pretty impressive. Not that he has got that much done, but he certainly has managed to stay in power and more or less keep the coalition together.

Cameron’s coalition with the LibDems is in question. Where will the LibDems throw their support now?
They’ll support whoever offers them a better deal. Nick Clegg has made it reasonably clear that he is going to feel free to swing to the left or swing to the right. It is pretty certain that neither Labour nor the Conservatives are likely to get a parliamentary majority that enables them to govern on their own. If either of them has a chance to do this, it is probably the Conservatives.
This morning’s polls gave 34 percent support for the Conservatives and 33 percent for Labour. These percentages don’t mean anything more in Britain than they do in the United States in terms of the popular vote. What counts is whether you win seats in Parliament in individual constituencies.
The LibDems are not going to be as big a force as they were, and the SNP could actually end up with more seats than the LibDems. But both the Tories and Labour have ruled out doing a deal with the SNP. Consequently, even with fewer seats than before, the LibDems could still be the kingmakers.

What are the main issues in this election?
Personalities, taxes to some extent, and competency to run the economy. What you would expect to be the main issue after five years of rather ineffectual coalition government would be either a major, visionary strategy for Britain in the 21st century or the desire for some very strong, clear government policy that requires a majority for one party so it can implement its program. But there is no vision of any kind for Britain in the 21st century except muddle through, keep calm and carry on, and being a kind a globalized platform, which Britain is very good at.
Don’t forget: Britain is not a republic. Brits get one vote for one member of Parliament every five years and that’s it. So the British people are not especially politically engaged: they just want the freedom to earn a living, educate their children, amass some wealth, and go on holiday. The election is really about no more than that. And then it becomes, basically: Who do I have more faith in?

[GEOTALK] Situation en Somalie

Mon, 04/05/2015 - 11:41

Action contre la Faim (ACF) et l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) présentent “GEOTALK, improving our world’s understanding” :

Conférence du 16 avril 2015 avec Gérard Prunier, Consultant international pour l’Afrique centrale et orientale, sur la situation en Somalie.
Introduction de Mike PENROSE, Directeur Général d’Action contre la Faim, France. Présentation de Marie SARDIER, Référente Sécurité Alimentaire et Moyens d’Existence, ACF.

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