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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 6 days ago

Pomp and circumstance in Beijing: The Chinese military flexes its muscles

Thu, 03/09/2015 - 11:34

About 12,000 troops will parade through Tiananmen Square in Beijing tomorrow to celebrate the 70th anniversary of Japan’s surrender to the allies in World War II. China’s leadership is ostensibly using the anniversary as an opportunity, to use the Chinese phrasing, to celebrate “victory in the World Anti-fascist War and the Chinese people’s War of Resistance against Japanese Aggression.”

But really, the purpose is to display its modernized weaponry ahead of several key international visits by President Xi Jinping. For Western leaders, the parade has proven a diplomatic nightmare: The Chinese have pressured them to attend, but they realize that the event is aimed at celebrating the country’s new international assertiveness (and perhaps to sideline a rather bloody summer on the Chinese stock markets).

It’s the present, stupid

Sixty-six years after the end of the war, the world has been learning how to deal with a new China—now a powerful country with a strong economy and an increasingly well-equipped military. China’s defense budget has seen a double-digit increase for the past 25 years, and the country now has J-15 fighter jets, Z-19 attack helicopters, and a truck-mounted version of the DF-41 intercontinental missile. There is little doubt the parade will be impressive both in precision and display.

In spite of how the Chinese leadership spins it, the parade is not just about history—it’s also about the present and the future. China is using it as a moment to show off its strengths and assert a stronger role in the Asia-Pacific region (as tensions in the South China Sea remain high), if not the world.

The red carpet

One interesting sight will be the VIP box: Which heads of state will actually attend? Confirmed leaders include Russian President Vladimir Putin (who himself hosted Xi Jinping last May for a huge victory parade in Moscow); South African President Jacob Zuma; Venezuelan President Nicolas Maduro; Sudanese President Omar Hassan al-Bashir (who has an international arrest warrant against him); and—somewhat unexpectedly considering World War II sensitivities in the region—South Korean President Park Geun-hye. Park will attend ceremonies, but not the parade. North Korean leader Kim Jong Un will not be present, nor will Japanese Prime Minister Shinzo Abe.

Fellow leading industrial nations countries don’t want to put Japan in a bind, but no one is willing to offend China. Hence, state leaders have responded to the standing Chinese invitation with an array of contortions. In the end, no Western leader will attend: President Barack Obama—who will be hosting Xi Jinping in the United States in a few weeks—will be represented by U.S. Ambassador to China Max Baucus. Unlike for the launch of the Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) earlier this year, Washington didn’t pressure other Western leaders to avoid Beijing. This wasn’t necessary, as those governments all had their own reasons for staying away. Even the German president—a largely ceremonial figure—has declined. So has his French counterpart François Hollande, who will travel to China in October to discuss climate issues; French Foreign Minister Laurent Fabius will attend instead. Italy will also be represented by its foreign minister. As for the United Kingdom, Prime Minister David Cameron chose to wait for the Chinese state visit to London in October to meet Xi in person. Britain is represented by a former Conservative cabinet minister, Kenneth Clarke. Even more surprising is the list of retired statesmen: former German Chancellor Gerhard Schroeder, who is known to have engaged with Russia’s Putin after leaving office in 2005, will be in there, like his friend and former U.K. counterpart Tony Blair.

Enough troubles

The U.S.-China relationship is already complicated enough and needs no further upsets. While China flexes its muscles with a parade, America is in the middle of a presidential campaign during which candidates—such as Republican Wisconsin Governor Scott Walker, who recently called on President Obama to cancel Xi’s visit—are openly criticizing China. For his part, Donald Trump claimed that “China would be in trouble” should he become president, adding: “The poor Chinese.” Although these kinds of comments cannot be taken too seriously, they will require even more diplomatic skills on the part of the current administration, and its successor, to fully restore fully the U.S.-China dialogue.

In these circumstances, it is no surprise that Washington has shown little interest in attending the Beijing events. Nor does the Obama administration want to be part of a demonstration of assertiveness weeks before a state visit to Washington by President Xi. History tells us that U.S.-China relations are going to get even more interesting than a parade.

 

 Article originally published in the Brookings Institute website.

Traité international sur le commerce des armes : un nouveau modèle de régulation ?

Thu, 03/09/2015 - 09:47

Benoît Muracciole, président de ASER, qui a participé à la Conférence des États parties au Traité sur le commerce des armes (TCA), à Cancún, répond à nos questions :
– La position commune de l’Union européenne en 2008 sur les exportations d’armes des pays membres prévoyait déjà des restrictions d’exportations. En quoi le TCA peut-il devenir un nouveau modèle de régulation sur le commerce des armes ?
– Le secrétariat du TCA et son président siégeront à Genève. Concernant la mise en application effective, où en est-on ? Quelles sont les perspectives d’une signature des Etats-Unis et quid de la ratification de la Russie, de la Chine et de l’Inde ?
– Plusieurs ONG insistent sur l’application des mesures et leur véritable transparence concernant le commerce d’armes conventionnelles. Les Etats sont-ils prêts à communiquer publiquement l’ensemble des informations concernant leurs ventes d’armes ?

Révolte populaire à Beyrouth : le meilleur et le pire, espoirs de changement et risques de dérive

Wed, 02/09/2015 - 16:20

Les manifestations qui secouent la capitale libanaise, initialement motivées par la crise des ordures, semblent dégénérer et l’on ne sait plus vraiment quelles sont les revendications des organisateurs et quels sont les objectifs ultimes. Que vous inspire ce mouvement social ?
La situation est en effet extrêmement confuse et inspire des sentiments mitigés. C’est typiquement l’une de ces situations où les émotions et la raison ne se retrouvent pas forcément sur la même longueur d’onde. Ce mouvement incarne à la fois le meilleur et le pire de ce que le Liban peut offrir. Il porte de grands espoirs et d’immenses risques.
Ce qu’il y a d’intéressant, c’est la mobilisation, que l’on n’a pas vu depuis fort longtemps, de vastes franges jusque-là marginalisées de la société libanaise, issues de tous les communautés religieuses et de tous les milieux sociaux, autour de slogans économiques et sociaux, infiniment légitimes, loin des atavismes et des réactions pavloviennes, loin des traditionnelles manifestations communautaires, partisanes ou identitaires.
A l’heure où le Liban est profondément polarisé politiquement et idéologiquement, qu’il est l’un des champs de bataille où se joue la guerre par procuration irano-saoudienne, des dizaines de milliers de Libanais se sont spontanément mobilisés, non pas pour répondre à l’appel de leurs leaders communautaires, mais pour réclamer la dignité, pour protester contre la corruption endémique, l’incurie et l’incompétence de la classe politique.
La crise des ordures a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et l’on a assisté à une agrégation rapide de tous les mécontentements, à un effet boule de neige qui a permis la réussite de la grande manifestation, largement pacifique, de la place Riyad El Solh. Ce succès a fait paniquer la classe politique et tous les leaderships traditionnels qui se partagent le pouvoir depuis des décennies. Embarrassés, ces derniers tentent tantôt maladroitement de récupérer ce mouvement, et tantôt l’accusent de conduire le pays vers l’inconnu.
Le fait d’avoir commencé à briser le carcan d’impuissance et d’avoir transcendé les clivages stériles est l’un des acquis considérables de ce mouvement. Autre point positif, la focalisation sur des questions économiques et sociales concrètes, qui touchent à la vie quotidienne des citoyens, plutôt que sur les métadiscours liés à l’identité ou au contexte régional, sur lequel les Libanais n’ont que peu d’influence.
Mais le véritable problème réside dans l’absence de perspectives claires qui permettraient de transformer l’initiative et d’aboutir au changement politique escompté. Au-delà de son côté initialement bon enfant, le mouvement de protestation peine à sortir de l’amateurisme, les risques de récupération et de dérapages sont énormes, les slogans fluctuent de jour en jour, les organisateurs sont assez peu connus et leurs objectifs ne sont pas vraiment clairs. En outre, il serait illusoire de penser que le « système » pourrait être affaibli et se remettre en cause aussi facilement. Ce système a encore de la ressource, les leaders communautaires continuent de tenir leurs troupes, ils ne se laisseront pas renverser et il y a fort à craindre que cette révolution balbutiante se fera rapidement étouffer, confisquer ou kidnapper comme tant d’autres mouvements de ce type. Chacune des mouvances politiques libanaises a des arrière-pensées et s’efforcera de tuer dans l’œuf toutes les velléités de réformes.
Par ailleurs, certains slogans soulevés par les manifestants sont tellement vastes qu’ils en viennent à manquer leurs cibles. Dire que toute la classe politique est corrompue peut sembler juste et légitime, mais si l’on cible tout le monde, on dilue tellement la responsabilité qu’on rend l’accusation insignifiante. Si tout le monde est corrompu, plus personne ne l’est vraiment… Les réformes ne peuvent naître que de revendications précises, claires, étudiées et ciblées. Quand elles sont trop vagues, les grandes imprécations permettent de servir d’exutoire à la colère populaire mais ne font que noyer le poisson et font le jeu du conservatisme et du « système », qui joue sur la peur du chaos.
Le Liban compte énormément de conservateurs frileux, communautaristes et chauvins, une droite dure rétive à toute réforme, et il compte aussi un nombre non négligeable de révolutionnaires exaltés voulant mettre à bas tout le système, une gauche radicale d’inspiration anarchiste, parfois sympathique mais très brouillonne et souvent contreproductive. Face à ces deux mouvances, ce qui manque au Liban, ce sont des réformateurs raisonnés, libéraux, sociaux-démocrates ou progressistes, qui ont les compétences techniques nécessaires et qui pourraient faire évoluer le système et le démocratiser sans jeter le bébé avec l’eau du bain. Ceux qui sont dans cet état d’esprit se font soit éjecter violemment par le système, soit récupérer et corrompre par l’un des deux grands axes régionaux.
John Kennedy disait fort justement que « ceux qui rendent impossible la révolution pacifique rendront inévitable la révolution violente. » Les manifestations récentes illustrent parfaitement ce blocage libanais : c’est un pays où les réformes, même modestes, sont systématiquement torpillées par le pouvoir, et comme la révolution est impossible, elle prend tous les trente ans la forme d’une déferlante de violence.
Les slogans de ces derniers jours oscillaient entre des demandes révolutionnaires et des revendications réformistes. Heureusement, à côté des slogans du type « tous pourris », et « mettons à bas tout le système en faisant tabula rasa », sont apparues des revendications plus constructives et plus réfléchies. Des revendications appelant à l’adoption d’une loi électorale équitable qui permettrait le renouvellement des élites, à la sortie de la confusion permanente entre le spirituel et le temporel, à la mise en place de mécanismes pour imposer l’accountability, pour les droits des femmes, pour assurer la transparence dans la gestion des appels d’offre, pour mettre fin aux monopoles qui étouffent l’économie libanaise, et des appels à une refondation du système sur des bases plus saines… A commencer bien sûr par la nécessaire élection d’un président de la République.

En effet, le Liban est privé de président de la République depuis plus d’un an. Quelles en sont les raison et y-a-t-il une issue à cette crise institutionnelle ?
Depuis l’expiration du mandat de Michel Sleiman, les députés libanais se sont déjà réunis 27 fois pour tenter d’élire un président et à chacun de ces 27 rounds, le quorum requis n’a pas été atteint. Soit dit en passant, nous sommes encore loin du record mondial, qui est détenu par la Turquie. En 1980, à l’expiration du mandat du président Fahri Korutürk, les députés turcs ont tenu pas moins de 115 séances pour tenter d’élire l’un des deux généraux en retraite qui étaient candidats à la présidence, mais aucun des deux n’a jamais obtenu les deux tiers des voix nécessaires. Après la 115ème séance, cela s’est terminé par l’interruption du processus électoral et par un coup d’Etat mené par un troisième général, le fameux coup d’Etat du général Kenan Evren.
Au Liban, on commence à entendre des voix réclamer un scénario à l’égyptienne et qui souhaitent voir l’armée prendre le pouvoir. Mais dans un pays comme le Liban encore plus qu’ailleurs, cette idée ne peut-être que stérile et dangereuse. Le Liban n’a pas besoin d’un régime militaire, d’un « homme providentiel » ou d’un « sauveur », il a besoin d’un Etat impartial et d’institutions solides. Tout le reste n’est que chimères. Le drame vient du fait que le Liban n’a jamais accédé à une authentique souveraineté. Son Etat, faible et impotent, son système de partage des dépouilles et le phénomène de clientélisation des communautés font qu’il demeure entièrement dépendant du jeu des puissances régionales, qui exploitent les angoisses existentielles des communautés libanaises. Le déblocage de la crise présidentielle ne pourra venir que d’une détente irano-saoudienne ou du moins d’une décision internationale de mettre le Liban temporairement à l’écart de ce grand affrontement qui se joue aujourd’hui en Syrie, en Irak et au Yémen.

En l’absence de déblocage régional, et compte tenu des tensions dans les rues de Beyrouth, quels sont les principaux risques de dérive ?
Ils sont nombreux car ces manifestations interviennent dans un contexte où toutes les institutions sont sclérosées ou bloquées. Il n’y a pas de président de la République, le parlement s’est autoprorogé dans des conditions très douteuses, le conseil constitutionnel est paralysé, le conseil économique et social est aux abonnés absents, l’armée libanaise est en situation de surextension et doit lutter simultanément sur plusieurs fronts, le gouvernement est une auberge espagnole dans laquelle toutes les factions sont représentées, se partagent le fromage et se neutralisent mutuellement…. Si le gouvernement devait chuter, aucun mécanisme institutionnel ne prévoit ce qu’il adviendrait.
Chacun des deux camps soupçonne l’autre de manipuler la révolte citoyenne. La confusion règne. Le ministre de l’Intérieur, proche de l’Arabie saoudite, a accusé le Qatar de soutenir les manifestants. Des proches du Hezbollah ont insinué que certains des organisateurs étaient proches des Etats-Unis. Le général Aoun les a carrément accusé de lui avoir « volé ses slogans ». Le mouvement du 14 mars craint quant à lui que le Hezbollah ne profite du désordre ambiant pour emmener le pays vers une nouvelle assemblée constituante qui sortirait des accords de Taëf et chercherait à renégocier les quotas communautaires.
A ce stade, les manifestants ont intelligemment rejeté toute récupération et ont refusé toute participation des responsables politiques à leurs mouvements. Les seuls hommes politiques qui trouvent grâce aux yeux de la jeunesse en colère sont Ziyad Baroud et Charbel Nahas, deux anciens ministres réformateurs qui ont incarné, chacun à sa manière, une nouvelle façon de faire de la politique, en rupture avec l’esprit milicien, le féodalisme, le clientélisme et l’affairisme ambiants.
Mais la société civile elle-même est profondément divisée. Il ne faut pas céder à la tentation de voir dans la société civile libanaise un chevalier blanc sans peur et sans reproche qui ferait face à une classe politique corrompue. Cette société civile est à l’image de la société libanaise, avec beaucoup de qualités, une résilience remarquable, mais aussi beaucoup de défauts, beaucoup de contradictions et beaucoup de frustrations. Si cette colère populaire est intelligemment canalisée, si elle parvient à se doter d’une feuille de route qui soit à la fois ambitieuse et réaliste, si elle trouve un leadership moins brouillon et plus professionnel, ce mouvement pourrait être la première pierre sur le chemin d’un Liban nouveau. Si, par contre, les manipulations, les récupérations, le venin du confessionnalisme, les mesquineries et petitesses prennent le dessus, ce qui est le plus probable, le Liban paiera encore une fois le prix fort.

Conflit ukrainien : une sortie de crise est-elle possible ?

Tue, 01/09/2015 - 15:38

Les dirigeants russes, allemands et français se sont entendus pour obtenir un nouveau cessez-le-feu de la part de Kiev et des séparatistes pro-russes à partir du 1er septembre. Où en sommes-nous vraiment ? Y-a-t-il une chance pour que les accords de Minsk II, prévoyant l’arrêt des combats entre l’Ukraine et la région du Donbass, soient effectivement respectés ?
Il y a, hélas, très peu de chances que ce cessez-le-feu perdure davantage que les précédents. Il ne suffit pas d’affirmer à nouveau le retrait des armes lourdes d’un calibre supérieur à 100 millimètres de la ligne de front. Avec des armes automatiques et des mortiers, le risque de dérapage demeure tout autant lorsque les positions des belligérants sont proches. Tant qu’une zone démilitarisée de plusieurs dizaines de kilomètres de large ne séparera pas physiquement les combattants, avec, si possible une force d’interposition comme nous l’avions fait avec l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, provocations et accrochages se poursuivront avec, à la clé, le risque d’un nouvel embrasement général. Tant que Kiev ne sera pas prêt à accepter un recul stratégique de ses forces, que les séparatistes ne peuvent se permettre compte tenu de l’exigüité de leur territoire, que le Président Porochenko ne sera pas en mesure d’imposer l’obéissance aux bataillons de représailles tels Azov ou Dniepr, voire de les désarmer, la guerre continuera car l’on sait que, dans une large mesure, ce sont les troupes de Kiev qui violent le cessez-le-feu. Malheureusement les violentes manifestations qui ont eu lieu à Kiev devant la Rada, opposant les ultra-nationalistes ukrainiens aux forces de l’ordre, à propos de la révision constitutionnelle introduisant une dose d’autonomie pour les oblasts de Donetsk et de Lougansk, n’incitent pas à l’optimisme. Porochenko est confronté à une fraction déterminée qui est prête à un nouveau Maïdan, et donc prête à le renverser, s’il accorde la moindre concession aux séparatistes.

Dans ce contexte d’affrontements et de division autour du projet de loi vers une plus grande autonomisation des régions de l’Est de l’Ukraine, que faut-il attendre des prochaines élections locales ? Auront-elles également lieu dans les régions pro-russes ?
Ces élections, quoiqu’il advienne, peuvent-elles réellement avoir une valeur démocratique ? Il faut rappeler que plusieurs partis politiques structurant traditionnellement la vie politique ukrainienne, le Parti des régions et le Parti communiste, ne peuvent plus faire entendre leur voix en Ukraine. Il est évident que la campagne électorale et le scrutin n’auront lieu nulle part dans des conditions de transparence et de sérénité, quel que soit le côté de la ligne de front où l’on se trouve. Toute personne, a fortiori tout candidat, qui prônera la paix et le compromis avec les séparatistes, peut s’attendre à être la cible des miliciens de Pravy Sektor et de Svoboda. De même, tout partisan du dialogue avec Kiev est condamné aux pires difficultés en zone séparatiste compte tenu des haines suscitées dans la région par les bombardements ukrainiens. La tenue d’élections dans le Donbass à une date qui n’est pas celle retenue par les autorités de Kiev, sous l’égide des autorités séparatistes, est aussi un facteur de tension supplémentaire.

L’Ukraine a récemment bénéficié d’une restructuration de sa dette privée avec une réduction à hauteur de 20% (environ 16 milliards d’euros). L’Ukraine peut-elle sortir de cette crise financière et économique, plombée un peu plus par les tensions et les violences à l’Est de l’Ukraine ?
L’Ukraine n’est pas encore sortie de cette crise. Premièrement parce qu’elle doit encore 3 milliards de dollars à la Russie, remboursables avant le 20 décembre, et que celle-ci n’a certainement pas l’intention de consentir à un délai. Ensuite parce que la situation économique se dégrade de plus en plus rapidement dans le pays, bien trop vite pour que tous les moratoires sur la dette et toutes les aides accordées soient en mesure d’enrayer la dégradation du pays. Selon les estimations, le PIB ukrainien devrait reculer de 9 à 15% en 2015 alors qu’il a déjà accusé une baisse de 7,5% en 2014. Kiev a choisi de couper les liens qui l’unissent depuis toujours avec son principal partenaire commercial, la Russie. L’Ukraine, qui n’a pas trouvé dans l’Union européenne le partenaire de substitution espéré, en paie logiquement le prix. Pour des mois, voire des années sans doute, le pays est condamné à vivre sans cesse au bord de la cessation de paiement. Enfin, la constante tension qui règne à Kiev, entre les ultra-nationalistes et les autorités, n’est pas de nature à encourager les investissements dans un pays que la plupart des industries fuient déjà compte tenu de la corruption endémique.

Elections anticipées, PKK, Daech : les défis d’Erdoğan

Tue, 25/08/2015 - 18:20

Erdoğan a confirmé la tenue d’élections législatives anticipées pour le 1er novembre 2015. Cette décision était-elle attendue ? Son parti peut-il ressortir renforcé de ce suffrage ?
Oui, cette décision était prévisible. On se souvient qu’au début du mois de juin dernier se tenaient les élections législatives et l’AKP, bien que toujours premier parti politique représenté au parlement, avait connu une relative érosion électorale et, surtout, n’était pas parvenu à obtenir une majorité absolue au parlement. Or, nous savons qu’une des obsessions d’Erdogan est de parvenir à une réforme constitutionnelle en Turquie et que, pour ce faire, il lui fallait la majorité qualifiée. Or, le résultat des élections ne lui permettait pas d’atteindre cette majorité et l’empêchait ainsi de parvenir à un changement de constitution visant à présidentialiser le régime. Malgré des négociations, aux mois de juillet et août, pour parvenir à la mise en place d’un gouvernement de coalition, il ne me semble pas qu’Erdoğan y était en réalité favorable. A mon sens, le président turc considérait, au-delà de ses déclarations publiques, qu’il fallait procéder à des élections législatives anticipées. Et, espère-t-il, obtenir un meilleur score. C’est bien là tout l’enjeu car la totalité des sondages d’opinions effectuées en Turquie depuis une dizaine de jours – bien qu’à prendre avec précaution -, donnent à peu près les mêmes résultats que ceux des élections du mois de juin. Pour l’heure, et malgré les tensions extrêmes qui existent actuellement du fait des affrontements militaires, on n’observe pas de transfert de l’électorat sur un quelconque parti et, en tout cas, pas sur l’AKP. Le projet d’Erdoğan de procéder à de nouvelles élections anticipées de façon à atteindre un meilleur score et de parvenir à une majorité qualifiée au parlement, n’est pas gagné à l’avance. C’est bien là tout l’enjeu de la bataille électorale qui s’ouvre ces jours-ci et qui va se décliner pendant plus de deux mois en Turquie.

La question kurde semble être au centre de la politique du gouvernement turc. En continuant à désigner le PKK comme organisation terroriste, le gouvernement turc souhaite-t-il reconquérir l’électorat nationaliste turc et ferme-t-il les portes à une résolution politique et pacifique du conflit ? Comment comprendre les affrontements actuels entre l’armée et le PKK ?
La question kurde est depuis longtemps au centre de la vie politique en Turquie et constitue même le principal défi politique qui se pose à la société turque depuis maintenant de nombreuses années. La société et le régime politique turcs ne pourront se démocratiser jusqu’au bout sans avoir résolu cet épineux et lancinant dossier. Le PKK est depuis bien longtemps qualifié d’organisation terroriste, par la Turquie, certes, mais aussi par l’Union européenne et les Etats-Unis. Ceci étant posé, le problème est qu’il est désormais – et depuis déjà quelques temps – partie au problème et donc partie à la solution. On ne peut pas uniquement répéter qu’il s’agit d’une organisation terroriste qu’il faut combattre militairement, au risque de ne pas comprendre pourquoi, depuis maintenant près de trois ans, des négociations avaient lieu avec le PKK. Ceux avec qui on négociait au cours de ces derniers mois sont ainsi redevenus les ennemis principaux aujourd’hui. On peut alors parler d’une incohérence politique qui est pour le moins problématique en termes de méthodologie et qui a des conséquences politiques et militaires préoccupantes. Je crains qu’Erdoğan ait tiré un trait sur la possibilité d’une résolution politique de la question kurde alors qu’il avait pourtant fait preuve ces derniers mois, malgré tout ce que l’on peut lui reprocher, d’un certain courage en acceptant l’ouverture des négociations avec le PKK.
Nous sommes aujourd’hui dans une nouvelle séquence, et il semble malheureusement que l’hypothétique résolution politique de la question kurde en Turquie est désormais derrière nous. C’est bien sûr conjoncturel, et il sera nécessaire – j’espère le plus tôt possible – de revenir autour d’une table pour discuter. Pour l’heure, nous sommes dans une période de bras de fer et d’affrontements militaires sévères, certaines villes turques sont contrôlées par des milices liées au PKK proclamant ces derniers jours leur autonomie. Il y a même certaines localités dans l’Est de la Turquie où le Mouvement de la jeunesse révolutionnaire patriote (organisation contrôlée par le PKK) a décidé de creuser des tranchées et d’élever des barricades pour empêcher que les chars et les véhicules blindés de l’armée turque ne pénètrent dans ces villes.
Il me semble que le gouvernement turc tente d’instrumentaliser cette tension dans le but de capitaliser une partie de l’électorat nationaliste et parvenir à remporter une majorité absolue aux élections législatives de novembre. C’est un calcul évidemment extrêmement dangereux car jouer la polarisation pour des raisons électorales risque de déchirer durablement le tissu social de la Turquie.

La Turquie a finalement rejoint la coalition anti-Daech menée par les Etats-Unis alors qu’elle s’est longtemps tenue à l’écart dans le conflit. Comment comprendre ce changement de positionnement ?
Depuis maintenant quatre ans, il y a la volonté systématique de la part d’Erdoğan et des autorités politiques turques d’en finir avec le régime de Bachar al-Assad en Syrie. C’est une véritable obsession politique qui a induit des prises de décisions très hasardeuses. Nous savons que depuis maintenant plusieurs années, il y a eu, au minimum, une forme de complaisance de la part des autorités turques à l’égard de groupes djihadistes et notamment de Daech. Dans cette logique de volonté d’en finir avec Bachar al-Assad, il fallait s’appuyer sur toutes les composantes de l’opposition au régime, politique pour le moins dangereuse.
Puis il y a eu l’attentat du 20 juillet dernier, à Suruç, attribué à Daech. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Le fait que Daech ne soit pas contrôlable et ose même organiser des attentats contre les civils sur le sol turc a entraîné un changement de position politique de la part d’Erdogan et du gouvernement. Ce changement était d’ailleurs déjà à l’œuvre depuis plusieurs mois puisqu’on constatait la multiplication d’arrestations dans les milieux liés à Daech en Turquie, mais l’attentat de Suruç a été l’élément déclencheur de l’engagement de la Turquie contre Daech.
Autre facteur, les autorités politiques turques qui misaient sur la chute rapide de Bachar al-Assad se sont pour le moins trompées. Bachar al-Assad, même s’il est très affaibli, est toujours présent. Les autorités turques ont compris qu’il y avait nécessité d’un changement de pied dans leur approche et leur gestion du dossier syrien.
Par ailleurs, les Etats-Unis ont fait pression pour que la Turquie prenne toute sa place au sein de la coalition et c’est chose faite même si l’intensité des combats contre Daech est beaucoup moins affirmée que celle mise en œuvre contre le PKK.

Attentats de Charlie, Ukraine, Grèce… Le bon bilan diplomatique de François Holland

Sun, 23/08/2015 - 18:25

Alors que va s’ouvrir le 24 août la désormais traditionnelle « Semaine des ambassadeurs », quel bilan tirer de l’action diplomatique de François Hollande depuis 2012 ?

Si les résultats positifs en matière économique et sociale sont encore loin d’être visibles, l’action extérieure semble satisfaire les Français.

Les sondages montrent que s’ils sont mécontents sur le premier point, ils accordent un satisfecit à l’exécutif pour le second. Les Français ont apprécié l’attitude du président après les attentats des 7 et 9 janvier. Laurent Fabius (Affaires étrangères) et Jean-Yves Le Drian (Défense) sont d’ailleurs les plus populaires des ministres.

C’est une maigre consolation pour François Hollande car c’est avant tout sur les questions économiques et sociales que se jouera son éventuelle réélection de 2017.

Mais François Hollande a tout de même décrispé, avec un certain nombre de pays, les relations bilatérales qui s’étaient dégradées lors du quinquennat précédent. L’énergie et le sens de la formule de Nicolas Sarkozy avaient parfois créé une crispation. La relation est plus tranquille avec nos partenaires européens. Les malentendus, parfois graves, que l’on a pu avoir avec le Japon, la Chine, l’Inde, la Turquie, le Brésil, l’Algérie ou encore le Mexique, ont été dissipés.

L’intervention militaire au Mali constituera un acte majeur du quinquennat. Certes la situation est encore fragile mais il faut se demander ce qui se serait passé en cas d’inaction française. Les djihadistes auraient tout simplement pris Bamako. L’équivalent d’un État islamique en Afrique aurait été créé.

Au-delà du pire qui a été évité, ce sont les modalités de l’intervention qui doivent rester en mémoire : réactivité dans la décision (alors que l’on accuse Hollande de procrastination), intervention faite à la demande des autorités nationales avec le soutien de la population, recherche d’un soutien international aussi bien régional qu’à l’ONU, et surtout (ce qui n’a pas été fait en Libye) réflexion sur le jour d’après.

L’intervention militaire doit toujours se faire dans la recherche d’une solution politique. On peut également penser, même si la situation reste fragile, que l’on a probablement évité un génocide en République centrafricaine.

L’action de la France face à la crise ukrainienne a également été positive. Des sanctions ont été prises contre Moscou (pour préserver un consensus européen), mais il n y a pas eu suivisme des Américains. Le contact a été conservé. Malgré les critiques, François Hollande a maintenu l’invitation de Poutine aux cérémonies anniversaire du débarquement en Normandie. Il s’est rendu à Moscou pour le voir en décembre 2014.

Tout ceci a pu déboucher sur des accords de Minsk en février, grâce au couple franco-allemand. Là encore, il demeure une très grande fragilité de la situation. Mais la solution diplomatique a prévalu au détriment de celle consistant à mettre de l’huile sur le feu en livrant de façon inconsidérée des armes à l’Ukraine.

De même, alors que plus grand monde ne croyait possible d’éviter le Grexit, l’intervention de la France a été décisive pour trouver une solution de compromis acceptable par Berlin et Athènes.

Tant sur le dossier ukrainien que sur le grec, les reproches de prudence et de manque d’énergie adressés à François Hollande ont été pris à contrepied. Il n’a jamais été dans les déclarations spectaculaires, satisfaisantes pour les médias ou une partie du public.
La recherche du consensus et un sens de la synthèse, certainement travaillé dans sa vie politique antérieure, lui ont permis de trouver un point d’équilibre. Il y a manifestement une méthode Hollande privilégiant la patience et la discrétion.

L’accord trouvé sur le nucléaire iranien est à mettre au crédit de Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères et du Développement international, que certains accusaient de néo-conservatisme. Le fait de durcir les conditions n’a pas empêché de trouver un accord, mais l’a rendu beaucoup plus solide et plus opposable à ceux qui voulaient privilégier une solution militaire.

Il est peu probable que, dans son discours du 25 août devant les ambassadeurs, François Hollande livre une vision globale du monde. Il est avant tout pragmatique et n’aime pas être enfermé dans un cadre conceptuel – pour lequel Fabius a plus de goût.

Dans ses trois derniers discours, il avait ainsi plutôt abordé les questions diplomatiques sujet par sujet. Il peut considérer que cela ne l’empêche pas d’être efficace. Ce n’est pas faux. On peut néanmoins regretter que cela suscite une moins grande adhésion à notre politique au-delà de nos frontières. L’image de la France à l’étranger, c’est aussi cette capacité dont nous sommes crédités à pouvoir penser de façon globale.

Insécurités humaines : notre perception des menaces est-elle biaisée ?

Fri, 21/08/2015 - 15:03

Bernard Dreano est président du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (CEDETIM). Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « (In)sécurités humaines : Les luttes pour la paix au XXIe siècle » (AAPM-Éditions Non Lieu, 2015) :
– La fin de la guerre froide n’a pas permis l’essor d’un monde pacifique, bien au contraire. Mais vivons-nous dans un monde plus dangereux qu’auparavant ? Le sentiment d’insécurité grandissant des populations est-il justifié ?
– Comment expliquer l’apparente impuissance et absence de solutions de la communauté internationale face à l’émergence de nouveaux acteurs tels que Daech ?
– Quel rôle les mouvements citoyens seront-ils amenés à jouer dans les luttes pour la paix à l’avenir ?

L’annulation du contrat Mistral : le choix de la raison

Thu, 20/08/2015 - 19:01

Avec toute la croyance et tous les espoirs que l’on pouvait avoir quant à une issue heureuse de la vente des bateaux Mistral à la Russie, les chances que ceux-ci soient livrés apparaissaient de plus en plus en plus minces et l’annulation du contrat au début du mois d’août 2015 n’est malheureusement que la conclusion la plus prévisible de cette affaire. Il y eut beaucoup de commentaires sur le sujet tant sur la vente elle-même et sur son annulation que sur le coût du remboursement. Le moins que l’on puisse dire est qu’en général ces commentaires manquent singulièrement de nuances sur un dossier qui est complexe tant sur le plan politique que sur le plan commercial.
Sur un plan politique, la position « naturelle », et la plus opportune de la France n’est pas d’être alignée sur les Etats-Unis ou l’Otan ni d’être « pro-russe » et ce, si on reprend le jargon de nombre de commentateurs. La fin de la guerre froide a ouvert une période qui devait être mise à profit pour mettre en place une politique de sécurité pan européenne qui englobe la Russie et pour nouer un partenariat stratégique avec ce pays, nécessaire tant pour des questions de sécurité que pour des raisons économiques.

Le résultat de cette politique au moment du début de la crise ukrainienne était bancal et explique pour partie la situation actuelle. La Russie a dramatiquement souffert de son insertion dans l’économie de marché dans les années 90. Sur le plan de la sécurité, le dialogue avec la Russie s’est inscrit dans le cadre de l’Otan ce qui était paradoxal puisque l’organisation avait été constituée en 1949 pour faire face à la menace soviétique. Quand Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir au début des années 2000, son objectif était donc de redresser la Russie sur le plan économique et politique. Autocrate à la fibre patriotique « sur-développée », son objectif fut donc de regagner le terrain perdu en termes d’influence, de ne plus céder un pouce de terrain face à ce qu’il considère comme un expansionnisme occidental. L’Otan en tant que telle n’était pas et n’est pas une menace pour la Russie mais Vladimir Poutine et la Russie considèrent que c’est une menace. Les Occidentaux ont toujours négligé cette perception russe.

Quant à la France, elle va vivre ces années dans une forme d’insouciance face à des développements qui ne peuvent conduire qu’à une forme de crispation avec la Russie. Le partenariat stratégique entre la France et la Russie se noue bien de fait au niveau économique mais, parallèlement, il n’y a pas de vrai dialogue politique. Le cadre bilatéral ne traite pas vraiment des questions de sécurité. Nous n’avons pas durant cette période essayé d’influer sur la politique de l’Union européenne, notamment sur les effets potentiellement négatifs de la politique de voisinage à l’Est ou sur celle de l’Otan. Quant à la Russie, elle a repris, face à cette situation, sa bonne vieille tactique utilisée du temps de la guerre froide qui consiste à essayer de diviser les Occidentaux par le biais des dialogues bilatéraux et d’avoir une politique de renseignement agressive qui n’est pas faite pour rassurer sur les intentions russes.

Quand la perspective de pouvoir vendre les bateaux Mistral à la Russie s’est ouverte, nous étions dans cette situation « d’entre-deux », la Russie est devenue le parfait « frenemy ». D’un côté, il y avait toujours de la part de la France cette volonté de nouer un partenariat stratégique avec la Russie. Les Etats-Unis et Barack Obama avaient également lancé en 2009 leur politique du « reset », preuve que l’objectif restait d’avoir un rapport apaisé avec ce pays. Mais les Etats-Unis sous la présidence Bush ont eu une attitude ambigüe dans la crise géorgienne, donnant le sentiment qu’ils soutiendraient le président Saakashvili en cas d’opération militaire en Ossétie du Sud et précipitant sans doute par là même le déclenchement du conflit. De plus, l’OTAN a décidé depuis le sommet de Bucarest d’avril 2008 que « l’Ukraine et la Géorgie avaient vocation à rejoindre l’Otan », et le désaccord sur le volet européen de la défense anti-missile persiste malgré la nouvelle mouture de ce projet présentée par Barack Obama en septembre 2009 qui repousse à 2016 la date de déploiement des systèmes susceptibles de remettre en cause la force de dissuasion russe. La relation de sécurité avec la Russie est donc passablement dégradée, ce qu’a traduit le discours de Vladimir Poutine à la conférence sur la sécurité de Munich, en février 2007, véritable réquisitoire contre la politique de sécurité des Etats-Unis.

La décision de la France de signer le contrat Mistral ne fut donc pas aisée à prendre en 2011. Les administrations des ministères concernées étaient divisées et il en allait de même dans la classe politique où le débat transcendait les clivages entre les deux principales familles politiques même si ce débat restait feutré.

Dans un tel cas de figure, il faut essayer d’être le plus objectif possible et nous avions à notre disposition la position commune de l’Union européenne de 2008 qui définit les lignes directrices encadrant les exportations d’armes des pays membres de l’Union européenne. Le quatrième critère de celle-ci dispose notamment :
« Les Etats membres ne délivreront pas d’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que le destinataire envisagé utilise l’exportation en question de manière agressive contre un autre pays ou pour faire valoir par la force une revendication territoriale.
Lorsqu’ils examineront ces risques, les Etats membres tiendront en compte notamment les éléments suivants :
a) L’existence ou la probabilité d’un conflit armé entre le destinataire et un autre pays.
b) Une revendication sur le territoire d’un pays voisin que le destinataire a, par le passé, tenté ou menacé de faire valoir par la force.
c) La probabilité que l’équipement soit utilisé à des fins autres que la sécurité et la défense nationales légitimes du destinataire. »

Etant donné la situation qui résultait du conflit géorgien de 2008, on ne pouvait balayer d’un revers de main les lignes directrices en matière d’exportation de la position commune sur les exportations d’armement. La légalité de la vente du Mistral à la Russie devait donc être discutée à l’aune de ce texte. Peut-on dire qu’il y avait un risque « manifeste » d’utilisation du Mistral pour faire valoir par la force une revendication territoriale ? En 2011, sans doute pas. Il n’y avait alors aucune raison de penser que la situation puisse se dégrader en Géorgie et certainement pas en Ukraine. C’est la réponse qui fut en tout cas donnée par le président Sarkozy qui autorisa la signature du contrat et qui ne fut pas remise en cause par François Hollande lors de son élection à la présidence de la République en 2012.
A cette époque, la France ne fut pas le seul pays européen à avoir considéré que l’on pouvait vendre des armes à la Russie. Les Espagnols et les Néerlandais étaient en 2011 nos concurrents pour vendre les porte-hélicoptères que souhaitaient acquérir les Russes. Nous avons vu avec l’embargo sur les exportations d’armes décrété en juillet 2014 que l’entreprise allemande Rheinmetall avait dû annuler un contrat pour un centre d’entraînement et de formation militaire pour un montant de 100 millions d’euros. Quant à l’Italie, elle était peut-être le pays le plus engagé sur des projets de coopération structurelle avec celui d’un sous-marin commun entre l’entreprise italienne Fincantieri et l’entreprise russe Rubin et des projets de vente de blindés fabriqués par Iveco. Faire de la Russie un ennemi « rétro-actif » est donc pour le moins exagéré, même si la question des exportations d’armement vers ce pays devait naturellement faire débat dès 2011.

Quand l’embargo sur les exportations d’armes de l’Union européenne est décidé en juillet 2014, la situation est bien différente. La Russie a téléguidé le référendum en Crimée dans des conditions ne respectant pas la constitution ukrainienne et ce, quelle que soit la légitimité du résultat. La guerre fait rage dans l’Est de l’Ukraine et la Russie fournit de l’aide aux insurgés du Donbass.

A ce moment-là, la règle non écrite qui existe depuis la fin de la guerre froide et qui a été mise en vigueur durant les guerres balkaniques devait s’appliquer : recherche d’une solution diplomatique à la crise et embargo sur les exportations d’armes aux belligérants, ce qu’est devenue indirectement la Russie. La France va alors obtenir que les bâtiments Mistral soient écartés de l’embargo au motif que le contrat avait été signé en 2011 avant l’embargo. En réalité, dès ce moment-là, il est impossible de livrer les Mistral. Mais il n’y a pas de raison de se précipiter. En juillet 2014, les bâtiments n’ont pas fini d’être construits et il n’y a donc pas de licence d’exportation à délivrer pour opérer le transfert en douane. Il faut de toute manière donner sa chance à la négociation et à la résolution de la crise : la Russie n’est pas un ennemi mais nous ne pouvons pas livrer le bâtiment tant que la crise ukrainienne n’est pas réglée. En octobre de l’année dernière, j’ai ainsi écrit qu’il fallait différer la livraison des Mistral le temps de trouver une solution à la crise, ajoutant toutefois qu’il fallait avoir une perspective claire de chance de succès à la mi-2015 car nous ne pouvions différer éternellement cette livraison. Le retard à livrer nous mettait en effet dans une situation peu confortable : paiement de pénalités pour retard dans l’exécution du contrat, frais de gardiennage, qui ne pouvaient durer indéfiniment. Il en allait de même pour les Russes qui avaient payé les bateaux et qui étaient en droit de les obtenir. A cette époque, un confrère américain m’avait critiqué pour ne pas avoir prôné l’annulation pure et simple du contrat et m’être prononcé pour une simple suspension de la livraison. A mon sens, annuler le contrat en octobre 2014 revenait à qualifier la Russie d’ennemie, ce qui était en l’état une vision subjective, seule la résolution de la crise ukrainienne dans des conditions satisfaisantes devant être le critère permettant la livraison ou non du bateau, c’est-à-dire en se basant sur une vision objective de la situation. Or, en octobre 2014, nous pouvions encore donner du temps au temps quant à la livraison du bateau alors que les accords de Minsk, signés en septembre 2014, fixaient les bases théoriques d’un règlement du conflit ukrainien.

Aujourd’hui, la situation est la suivante : grâce aux efforts communs de la France et de l’Allemagne, les accords de Minsk ont acquis une légitimité internationale. Il reste maintenant à les appliquer et on peut espérer un règlement de la crise même si malheureusement les combats ont repris récemment dans le Donbass. Mais la perspective de règlement définitif de cette crise devrait dépasser la fin de l’année, terme fixé par les dits accords. Ce délai est donc désormais incompatible avec un calendrier raisonnable de livraison des bâtiments. On ne peut pas imaginer une livraison des bateaux à la mi-2016, un an et demi après leur construction. La pérennisation du contrat Mistral n’est donc plus possible, ce que la Russie et la France ont constaté d’un commun accord en annulant le contrat. Nous ne pouvions livrer le bâtiment aujourd’hui car, si l’on se réfère à la position commune, le risque de voir les bâtiments être utilisés pour des revendications territoriales subsistent encore et ce, tant que la crise ukrainienne n’est pas réglée.

Enfin, il faut noter que la France a parallèlement refusé, lors du dernier sommet de l’OTAN à Newport en septembre 2014, que soit décidée la livraison d’armes à l’Ukraine afin de pouvoir jouer un rôle constructif dans le règlement du conflit et d’éviter une escalade des opérations militaires dans l’Est de l’Ukraine. La France applique donc bien la règle qui devrait être appliquée par tous : pas de livraison d’armes tant qu’une solution à la crise n’a pas été trouvée.

Ainsi, la décision de la France de ne pas exporter les bâtiments Mistral est une décision conjoncturelle liée au non règlement de la crise ukrainienne. C’est une décision raisonnable, que l’on pourrait rattacher au principe de précaution, qui ne présage absolument pas de nos rapports futurs avec la Russie puisque les objectifs que nous nous étions fixés à l’issue de la guerre froide, nouvel ordre de sécurité en Europe et partenariat stratégique avec la Russie, restent pleinement valables.

Sur le volet commercial, la situation est également moins caricaturale qu’on ne la présente parfois. Il faut tout d’abord rappeler que les bâtiments de projection et de commandement (BPC) sont des matériels de guerre soumis à une législation particulière en matière d’exportation. On ne vend pas n’importe quelle arme à n’importe qui. Et il s’écoule en général plusieurs mois ou plusieurs années entre le moment où un contrat est signé et le moment où le matériel est livré après fabrication. Or, la situation internationale, qui justifie l’autorisation ou le refus d’exporter, peut changer entre les dates de signature des contrats et les dates de livraison des matériels. L’annulation du contrat Mistral n’est donc pas un événement exceptionnel. C’est une situation plus fréquente qu’on ne le croit et il n’y a pas que la France qui est soumise à ce type d’imprévu.
Rien que pour la France, on peut citer comme exemples de ventes d’armes qui ont été annulées, celle du sous-marin construit pour l’Afrique du Sud et dont la livraison a été bloquée en 1977 du fait de l’embargo décidé face au régime d’apartheid pratiqué par l’Afrique du Sud, ou l’arrêt des ventes d’armes à l’Irak suite à la guerre du Golfe de 1990 après que le Koweit eut été envahi par l’Irak. Plus proche dans le temps, il y eut l’embargo sur les exportations d’armes vers la Libye du colonel Kadhafi en 2011 qui a été décrété quatre ans après qu’un accord de coopération militaire ait été signé, l’embargo conduisant à stopper la modernisation des missiles anti-char Milan. Il avait même été envisagé de vendre des Rafale à la Libye. Dans tous ces cas de figure, il est heureux que « la parole de la France » n’ait pas été respectée.
Sur les estimations du coût du remboursement du Mistral, beaucoup de choses ont également été dites sachant… que nous ne savons rien. Nous ne connaissons pas les termes du contrat signé avec les Russes, qu’il s’agisse de son montant, de son contenu exact, des différentes clauses en cas d’annulation. Pour l’heure, nous ne connaissons pas non plus le coût exact du remboursement, donné à environ 1 milliard d’euros, sachant que ce montant sera communiqué au Parlement. Or, certains parlent d’un coût pour la France d’1,5 milliards à 2 milliards d’euros, des chiffres qui paraissent bien exagérés si on fait preuve d’un tant soit peu de bon sens.
Il faut en effet rappeler que le contrat a été signé avec DCNS, STX construisant la coque. Cela veut dire que, pendant trois ans, les ouvriers de STX et DCNS ont pu travailler grâce à ce contrat et à l’argent russe, que les tôles et les équipements ont dû être achetés et que donc toute la chaîne de sous-traitance française impliquée sur la fabrication des Mistral a pu vivre grâce à ce contrat. En remboursant les Russes, tout se passe donc aujourd’hui comme si c’était l’Etat français qui avait commandé ces deux bâtiments et non les Russes. L’argent de l’Etat a ainsi servi à payer des entreprises françaises et des emplois ont été générés ou préservés grâce à la commande de ces deux bateaux. On ne peut donc dire que cet argent a été perdu ; il est simplement, tant que les bateaux ne sont pas revendus à un autre pays, mal employé puisque la marine française n’a pas besoin de ces deux bâtiments.

Il a également été évoqué dans le coût des deux bateaux la marge bénéficiaire de DCNS de 350 millions d’euros. Cela voudrait dire que DCNS fait une marge de près de 30% sur ses ventes, puisque les deux bateaux ont été vendus 1,2 milliards d’euros. Cette nouvelle devrait ravir le PDG de DCNS et ses actionnaires, l’Etat et Thales, et faire pâlir de jalousie les entreprises d’armement américaines. Avec une telle marge, il est clair que tous les fonds d’investissement vont se ruer pour investir dans les entreprises françaises de défense… Plus sérieusement, il suffit de regarder les bilans financiers de n’importe quelle entreprise pour comprendre qu’une marge bénéficiaire de simplement 10% est extrêmement rare dans le monde industriel. Ce chiffre n’est pas sérieux.

Le coût de gardiennage et de maintenance serait de 5 millions d’euros par mois ? On ne connait pas son montant mais on peut penser que c’est la maintenance qui représente la part la plus importante de ce chiffre et non le gardiennage. Toujours est-il que tant que les bateaux ne sont pas vendus, et si cette somme, qui n’a jamais été officiellement confirmée, est exacte, cela représente 60 millions d’euros par an, soit 5% de la valeur du contrat. C’est à la fois beaucoup en valeur absolue et peu rapporté à la valeur du contrat. Cela explique aussi qu’il était possible d’attendre un peu avant d’annuler le contrat avec la Russie.

Il reste le coût de démontage du matériel russe dont on ne connait pas le montant mais qui est de toute manière largement inférieur au coût du montage. En effet, lors du montage des équipements, il fallait intégrer les matériels russes à un système complexe et les tester, tâches qui n’ont plus lieu d’être lors du démontage. Quant au coût du montage d’équipements de remplacement, il ne peut se comprendre… que si nous trouvons un nouvel acquéreur. Il est aujourd’hui impossible de déterminer le montant des équipements de substitution des équipements russes puisque nous n’avons pas d’acheteur pour le moment et que donc nous ne connaissons pas ses besoins. De plus, ces nouveaux équipements devront être payés par l’acquéreur. Si celui-ci est un pays du Golfe, sans industrie de défense, il est probable que les équipements vendus pourront être français et non russes, ce qui fera un profit supplémentaire pour l’industrie de défense française.
En tout état de cause, on ne peut à la fois, pour calculer la charge supportée par l’Etat, additionner le coût des bateaux si nous ne les vendons pas et les coûts des équipements à intégrer si nous les vendons sans prendre en compte, dans ce dernier cas, le bénéfice de la nouvelle vente des Mistral. Dans le premier cas de figure, le coût sera celui qui sera présenté au Parlement français, c’est-à-dire plus ou moins 1 milliard d’euros, sachant que cet argent a déjà bénéficié aux entreprises françaises et aux emplois en France.

Si les bateaux sont revendus, l’objectif sera bien entendu pour l’Etat français de se rembourser intégralement. Cela ne sera sans doute pas totalement possible (coût de démontage des équipements russes, frais de gardiennage et de maintenance, sur le contrat) mais le coût n’avoisinera certainement que quelques dizaines de millions d’euros et non d’1,5 milliards à 2 milliards d’euros comme l’ont annoncé certains. Les dettes ne se multiplient pas comme les pains, et c’est bien heureux.

Les abysses : un enjeu géopolitique ?

Mon, 10/08/2015 - 14:00

Cyrille P. Coutansais est directeur de recherches au Centre d’études stratégiques de la Marine. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de « Abysses » la publication du Centre d’études stratégiques de la Marine (Études marines, N°8 – Juin 2015) :
– Existe-t-il une compétition entre les États pour la conquête des abysses, à l’image de la course à l’espace que l’on a connu entre l’URSS et les États-Unis ?
– Quels sont les enjeux à venir des abysses et la place de la France ?
– Quid de la législation internationale pour encadrer l’exploitation des fonds marins, notamment en vue de leur préservation ? Existe-t-il une gestion collective de ce patrimoine commun de l’humanité ?

L’Espagne en crise iconoclaste, de Catalogne en Galice

Mon, 10/08/2015 - 11:00

Le 27 septembre 2015 les électeurs de Catalogne espagnole renouvellent leur parlement. Cette consultation n’a rien d’ordinaire. D’abord parce qu’elle a été anticipée. Et ensuite et surtout parce que la rupture du calendrier, voulue par Artur Mas, président de la Généralité (nom officiel de la « Région » autonome) a dramatisé le vote. Choisir la liste qu’il soutient, lui donner une majorité, sanctionnerait selon son propos la pose de la première pierre de l’indépendance catalane.

Parallèlement d’autres Espagnols, qui peuvent d’ailleurs être aussi catalans, ont symboliquement renoué avec le passé républicain de l’Espagne. Les nouvelles équipes de gauche alternative issues des dernières élections municipales ont dès leur accession aux responsabilités, marqué symboliquement leur rupture avec les compromis dynastiques de la transition démocratique des années 1976-1978. La monarchie parlementaire clef de voûte du « cambio » construit ces années-là est contestée de Barcelone à Vigo en passant par Madrid.

Ces deux contestations n’ont pas été concertées. Même si on peut trouver des ponts entre indépendantisme catalan et républicanisme. L’un des acteurs indépendantistes, la gauche républicaine catalane (ERC), revendique depuis longtemps sa double vocation. Mais de façon générale Podemos, les plates-formes de gauche alternative, et les indépendantistes catalans, se définissent et agissent en parallèle. Chacun agit en cohérence avec son idéologie particulière, indifférente à d’autres logiques.

Il n’y a pas donc d’effet de pince potentiellement porteur de rupture. Pourtant les uns, les indépendantistes, et les autres, les alternatifs, bousculent les compromis difficilement construits après la mort du dictateur Francisco Franco Bahamonde. Comme tout compromis celui de la Constitution de 1978 répondait à l’exercice du genre. Il donnait partiellement satisfaction aux uns et aux autres. Aux uns, les cadres de la dictature, oubli et impunité étaient assurés. Ils ont pu se présenter aux élections, devenir députés, sénateurs et pour certains ministres. La monarchie et l’unité nationale, référents idéologiques de la dictature, étaient inscrites dans le marbre de la loi fondamentale. Les autres, l’opposition démocratique clandestine, étaient également et paradoxalement amnistiés. Leurs partis ont été reconnus, communiste, socialistes, comme nationalistes basques et catalans. Un système fédéral inavoué leur avait été avec la démocratie parlementaire concédé.

Le compromis, de circonstance, a bon an mal an tenu jusqu’en 2008. D’autant plus que ses contestataires les plus virulents, l’organisation ETA, en refusaient les termes par la voie des armes. La perpétuation d’un terrorisme rejeté par les majorités, y compris au Pays basque et en Catalogne, garantissait la pérennité de cette cote mal taillée en 1978. L’ETA a suspendu ses activités en 2011. Les Espagnols ont été brutalement privés des retombées sociales et financières de la transition par la crise de 2008. Le chômage est passé de 8 à 25%. Salaires, Etat de bienfaisance, ont été parallèlement révisés à la baisse.

Le ras le bol lisible dans les chiffres active un retour de neurones. Côté balcon, le gouvernement s’efforce de parer au coup de vent. Il se félicite de la productivité retrouvée. La croissance est effectivement de retour. L’emploi a timidement repris. Mais côté jardin, la population en risque de pauvreté est passée de 26 à 29% de 2010 à 2014. Le chômage qui était de 24% est aujourd’hui à 22%. Et ceux qui ont du travail ont un salaire nettement inférieur aujourd’hui à celui qu’ils percevaient en 2008. La perte de pouvoir d’achat serait selon des chercheurs de la Fondation Fedea, de 8% en nominal et de 17% en intégrant l’inflation. Rien d’étonnant donc que les Espagnols, si l’on en croit l’institut Eurostat, ne soient pas en 2015 contents de leur sort. Ils sont en 18e place européenne, en dessous de la moyenne, dans l’échelle de satisfaction mesurée par les enquêteurs de Bruxelles.

Les trous dans la ceinture, l’éloignement du terrorisme, ont éveillé la mémoire. Les nationalistes catalans ont jugé que le moment était propice pour faire avancer leurs ambitions. Le discours, tenu par Artur Mas, président de l’exécutif et leader du parti Convergence, est simple, simpliste disent certains observateurs, il est vrai non catalans pour la plupart. La crise vient de Madrid. La Catalogne paye trop au pouvoir central. Alors qu’elle reçoit moins que ce qu’elle donne. Cet argent pourrait être utilement mobilisé pour aider les Catalans à s’en sortir. Mieux dit-il, les Catalans pourraient bénéficier d’un mode de vie à la suédoise.

Les équipes alternatives, à Barcelone, Madrid et Valence, ont ranimé un autre récit. Elles font leurs comptes et entendent présenter une facture globale sociale et politique aux autorités en place. La gauche de la clandestinité était républicaine. Elle a accepté en 1978, la monarchie, l’impunité des crimes commis par la dictature, pour obtenir le droit d’exister au grand jour, au bénéfice du mieux vivre des Espagnols les plus pauvres. La monarchie, le Roi Juan Carlos, sa famille, ont ces dernières années été à la Une des faits divers. Alors que la majorité des Espagnols mangeait de la soupe à la grimace. Les partis héritiers de la transition font le dos rond. Les élections générales approchent. La tentation de réviser les compromis d’hier est de plus en plus forte. Les alternatifs ont dépoussiéré le drapeau de la République. La perpétuation de la monarchie est sur la table.

Le mal vivre prolongé chambarde les esprits. D’autant plus que la transition démocratique, ses équilibres délicats, sont bien loin. Ses artisans sont pratiquement tous hors-jeu, de droite à gauche. Les nouvelles générations ne sont tenues par rien d’autre que des institutions bâties sur le sable de l’oubli. Les contestataires de la crise ont toute latitude dans un tel contexte, de remettre les équilibres institutionnels en question. Le désordre des interpellations sociales, nationales et politiques laisse paradoxalement une marge de flottaison aux partis de la transition démocratique, le PSOE et le Parti populaire. Les indépendantistes catalans butent sur la primauté donnée au social par les alternatifs. Podemos est débordé par la diversité foisonnante de ses soutiens.

Seule finalement la monarchie pourrait être la victime expiatoire et commode des impasses actuelles. Le 23 juillet 201,5 le buste de Juan Carlos Ier, a été retiré de la salle de délibération du conseil municipal de Barcelone. Le lendemai,n la mairie de Saragosse, en Aragon, débaptisait un bâtiment, jusque-là portant le nom du souverain actuel Philippe VI. Cadix, en Andalousie, a suivi le mouvement. Son maire a retiré le portrait officiel du Roi placé sur l’un des murs de son bureau. D’autres municipalités, en Galice notamment, s’apprêtent à suivre ce geste iconoclaste. Le ras-le-bol a manifestement trouvé là une soupape d’évacuation d’effet immédiat, spectaculaire et symboliquement forte. La course de taureaux qui présente les mêmes avantages, pourrait accompagner la famille royale.

Les hibakusha, passeurs de mémoire nucléaire

Sat, 08/08/2015 - 18:00

Chaque année, les 6 et 9 août, les villes de Hiroshima et de Nagasaki s’accaparent ces lignes publiées par Albert Camus dans Combat le 8 août 1945, soit entre les deux explosions nucléaires : « Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison ». Les deux dernières phrases de ce texte resté célèbre – le premier qui s’interrogeait sur le sens à donner à la bombe atomique – ne sauraient mieux résumer la mission qui échoit désormais aux deux cités et aux témoins de leur destruction. Ceux que la bombe a épargnés, les hibakusha. Le terme japonais hibakusha, qui signifie littéralement « personnes affectées par une explosion » désigne en effet plus communément les survivants des explosions nucléaires de Hiroshima et Nagasaki. Tandis qu’on commémore le soixante-dixième anniversaire de la destruction de leurs villes, les voix désormais tremblantes des hibakusha ont plus que jamais une résonnance particulière, au service d’une mémoire nucléaire qu’il convient d’entretenir au-delà de leurs témoignages.

On relève plusieurs catégories d’hibakusha, certains étant des témoins « directs » des explosions nucléaires, qu’ils en aient ou non subi les effets, et d’autres étant des victimes « indirectes », le plus souvent nés de parents exposés aux radiations dégagées par les bombes atomiques. De manière plus précise, on dénombre même quatre catégories différentes : les personnes présentes dans un rayon de quelques kilomètres au moment des explosions de Hiroshima et de Nagasaki ; les personnes se trouvant dans un rayon de deux kilomètres de l’épicentre dans les deux semaines suivant les explosions ; les personnes exposées aux radiations ; et les bébés se trouvant dans le ventre de leur mère, celle-ci appartenant à une des autres catégories. On remarque bien ici que si la première catégorie concerne des victimes « directes », les trois autres sont plus difficiles à déterminer et à évaluer. Elles concernent également un nombre beaucoup plus important de personnes, dont les séquelles physiques, psychologiques ou sociales justifient le statut d’hibakusha. C’est ce qui explique le nombre important d’hibakusha, comptabilisé encore de nos jours à près de 190 000 personnes dans l’archipel. Dans les faits, le gouvernement japonais continue de reconnaître de nouveaux hibakusha, sur la base de documents permettant de valider ce statut.

La liste complète des hibakusha est répertoriée à Hiroshima et Nagasaki, et leur total depuis 1945 en incluant les morts et les vivants est d’environ 450 000 personnes, dont environ 65% à Hiroshima et 35% à Nagasaki. Contrairement aux idées reçues, qui se traduisirent malheureusement trop souvent par des discriminations et des exclusions, les hibakusha ne furent pas nécessairement irradiés, l’appellation regroupant comme nous l’avons vu des catégories plus larges. Ils se rejoignent cependant sur la force de leurs témoignages portant sur l’utilisation de la bombe atomique, et leur rôle de passeurs de mémoire face au droit à l’oubli.

En plus d’être les témoins de la bombe, les hibakusha racontent également les années difficiles qui suivirent les explosions nucléaires, le deuil des morts, la reconstruction de quartiers réduits à néant ou encore la difficile réinsertion sociale, évoqués précédemment, et leurs récits sont ainsi à certains égards la face cachée du miracle japonais. Leur message est paradoxalement celui de l’espoir, et de la nécessité d’éliminer les armes nucléaires. Mais les décennies passent et les hibakusha sont vieillisants, quand ils ne sont pas disparus. Et demain ? Combien seront-ils quand Hiroshima et Nagasaki célébreront le quatre-vingtième anniversaire de leur destruction ? Et quand partira le dernier hibakusha, comme est parti le dernier poilu de la Première guerre mondiale ? Derrière ces questions, c’est l’héritage dans la longue durée des témoins du feu nucléaire qui est en jeu. Pour qu’il reste inoubliable, leur témoignage doit désormais être porté par des générations plus jeunes, associant bien sûr le travail des historiens et des responsables des structures consacrées à la mémoire de Hiroshima et Nagasaki, mais aussi des artistes et de la société civile. La tentation nucléaire du Japon marque une rupture, non pas dans le risque de voir ce pays se doter de l’arme suprême, mais en ce qu’elle brise un tabou. Les enjeux du débat ont ainsi progressivement glissé vers des questions plus sécuritaires que morales, face auxquelles les hibakusha sont impuissants, et leur page de plus en plus avancée est leur plus gros handicap. Dans un avenir proche, la question du nucléaire militaire pourrait ainsi se faire, si on n’y prend garde, sans que Hiroshima et Nagasaki ne soient présentés comme autre chose que les vestiges d’un autre temps. La survie du devoir de mémoire au-delà de la disparition des hibakusha : là sera l’un des principaux défis des mouvements antinucléaires et de tous ceux qui souhaitent que leur message soit perpétué.

Hiroshima l’inévitable

Wed, 05/08/2015 - 18:23

L’utilisation de la bombe atomique à Hiroshima il y a soixante-dix ans ne fut sans doute pas nécessaire à la capitulation du Japon. Les forces japonaises étaient considérablement réduites et totalement dispersées, les capacités industrielles ne permettaient plus de produire des armes en quantité suffisante, et les diplomates japonais étaient engagés dans des pourparlers précédant la reddition. Ce constat fut à l’origine de multiples études qui critiquent depuis les années 1960 la stratégie atomique adoptée par Washington, arguant du fait qu’il aurait été possible de faire l’économie des bombardements nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki. Les révisionnistes remettent ainsi en cause les arguments apportés par Washington pour justifier l’utilisation de la bombe, tels que la fin de la guerre, ou l’économie de vies humaines, en particulier dans les rangs des forces armées américaines. Et pourtant, malgré la validité de ces arguments, ceux-ci se contentent d’explorer la rivalité Washington-Moscou. Or, en y ajoutant des réflexions sur la politique intérieure américaine, force est de constater que la bombe atomique pouvait difficilement ne pas ne pas être utilisée à l’été 1945, ce qui fait de Hiroshima un évènement dramatique, mais à bien des égards et dans le contexte de l’époque, inévitable.

La situation politique dans laquelle se trouvait le président Harry Truman, récemment élevé à la fonction suprême suite au décès de Franklin Roosevelt, joua incontestablement un rôle important, le chef de l’Exécutif souhaitant marquer le début de sa présidence, afin de faire taire les éventuelles critiques concernant sa crédibilité, et imposer son style. Les relations entre l’Exécutif et le Congrès, qui constituent l’un des aspects les plus complexes du fonctionnement de la démocratie américaine, permettent également d’apporter de précieuses explications sur les raisons justifiant l’utilisation de l’arme nucléaire. Projet présidentiel tenu secret, la bombe atomique permettait, en étant utilisée, de justifier des dépenses pharaoniques et d’asseoir la position de la Maison Blanche par rapport au Congrès sur les questions de politique extérieure.

Les relations entre les hautes autorités militaires américaines furent également déterminantes. Les responsables de la Navy, de l’Army et de l’émergente Air Force avaient à cœur de mettre en avant leurs capacités afin de s’imposer et de bénéficier de budgets avantageux. La bombe atomique joua un rôle déterminant dans ces rivalités, et favorisa, conjointement avec le bombardement stratégique, la montée en puissance du vecteur aérien, véritable révolution stratégique.

L’utilisation de la bombe atomique a également offert aux autorités américaines la possibilité d’envisager une nouvelle manière de faire la guerre et de concevoir la relation avec les puissances rivales. L’avènement de l’arme nucléaire est considéré comme une révolution dans les affaires militaires en ce sens qu’elle élargit le déséquilibre entre les Etats la possédant et ceux n’y ayant pas accès, créant une situation d’asymétrie capacitaire qui, si elle était à l’avantage de Washington, allait également s’avérer être l’élément déterminant dans la motivation des Etats proliférants et adversaires potentiels, parmi lesquels l’Union soviétique figurait au premier rang des alliés devenus indésirables. D’une certaine manière la bombe atomique fut à la fois une arme d’anticipation de la Guerre froide, et un des éléments responsables de la course aux armements, par les avantages déterminants qu’elle offrait. C’est en ce sens que, dans les relations entre les grandes puissances, elle ouvrit indiscutablement une nouvelle ère.

A la version officielle, qui met en avant le caractère difficile de la poursuite des opérations militaires, et le sacrifice humain qu’aurait supposé une poursuite des hostilités, s’opposent donc les thèses révisionnistes, qui insistent sur le fait que le Japon était, d’une façon ou d’une autre, au bord de la capitulation, que les autorités américaines le savaient, et qu’en conséquence l’utilisation de la bombe atomique n’était pas nécessaire. En fait, si effectivement l’arme nucléaire aurait pu ne pas être utilisée, sans que cela n’ait d’incidence sur le conflit avec le Japon, les autorités américaines ne pouvaient pas prendre le risque de poursuivre la guerre, tandis que les scientifiques leur avaient apporté un moyen d’y mettre un terme. Par ailleurs, comme nous l’avons noté, de nombreux paramètres eurent pour effet de réduire la marge de manœuvre des dirigeants américains, à tel point que le choix de ne pas avoir recours à l’arme nucléaire devenait presque impossible. Ainsi, nous pouvons considérer qu’en août 1945, Washington ne pouvait pas ne pas utiliser le nouvel engin contre le Japon. Partant de ce constat, les dirigeants américains, Truman en tête, réfléchirent aux différents avantages que pouvaient leur procurer la nouvelle arme, notamment dans la confrontation avec l’Union soviétique, mais de façon plus générale dans un contexte marqué par l’émergence des Etats-Unis au rang de superpuissance. Il y eut donc un « moment nucléaire » permettant d’asseoir la puissance américaine, et de provoquer une rupture dans les relations internationales, ouvrant véritablement une nouvelle ère. Mais ce moment était inévitable, considérant que le refus de recourir à l’arme la plus puissante jamais produite aurait été accueilli de façon très négative par l’opinion publique américaine, et ses représentants politiques les plus directs, à savoir les parlementaires. Ainsi, le projet Manhattan fut détourné de ses objectifs initiaux, mais à partir du moment où la Maison Blanche avait décidé de se lancer dans l’aventure nucléaire, et dans la mesure où le projet avait abouti avant la fin des hostilités, il était difficile, voire impossible, de reculer.

La fuite en avant de Recep Tayyip Erdoğan

Mon, 03/08/2015 - 09:00

Depuis plusieurs jours, une double offensive militaire est lancée par les autorités politiques turques contre l’Organisation Etat islamique (Daech) et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Pour de multiples raisons, le pays est ainsi entré dans une nouvelle séquence politique, pleine d’incertitudes, dont il serait bien présomptueux de prétendre prévoir comment elle va se conclure. Les conséquences potentielles de la situation sont toutefois extrêmement préoccupantes.

La raison avancée par le président et le gouvernement turcs relève de la nécessité de combattre les organisations terroristes qui menaceraient la Turquie. Cette préoccupation est parfaitement légitime mais il semble alors stratégiquement bien inconséquent de lancer au même moment une offensive contre deux adversaires dont on sait que les capacités militaires sont efficientes grâce à leur expérience, leur entraînement et leur discipline. Surtout, une offensive militaire doit toujours s’articuler à des objectifs politiques clairement définis et énoncés. De ce point de vue, en dépit du fait que Daech et le PKK soient tous deux qualifiés de terroristes, la comparaison entre les deux organisations ne résiste pas à l’analyse. Leur histoire, leurs dynamiques politiques, leurs modalités d’action, leurs objectifs ne sont pas comparables et il est problématique que, sous le couvert de lutte contre le terrorisme, d’autres objectifs soient en réalité à l’œuvre. Essayons donc de décrypter les véritables enjeux.

Le fiasco de la gestion de la crise syrienne

Pour ce qui concerne Daech, l’événement qui précipite les décisions turques est l’attentat perpétré, le 20 juillet 2015, à l’encontre de jeunes militants réunis dans la ville de Suruç pour préparer l’envoi d’équipes de volontaires désirant participer à la reconstruction de la ville de Kobané, qui s’est soldé par la mort de 32 d’entre eux. En réalité, on avait déjà constaté, au cours des derniers mois, une modification de la politique de la Turquie à l’égard de Daech. Si les relations entre les autorités turques et cette dernière ont été pour le moins troubles par le passé, une forme de laissez-faire et de complaisance d’Ankara à l’égard des groupes djihadistes combattant en Syrie ayant été maintes fois soulignée, un raidissement était à l’œuvre depuis plusieurs mois. Le gouvernement d’Ankara, constatant en effet que Daech s’avérait totalement incontrôlable, a commencé à procéder à de nombreuses arrestations d’individus suspectés d’être militants ou sympathisants de l’organisation djihadiste ainsi qu’à celle, sous fortes pressions européenne et étatsunienne, de nombreux apprentis djihadistes qui tentaient de la rejoindre en passant par la Turquie. Il est aussi clair, même si les chiffres avancés à cet égard sont absolument invérifiables, que des cellules dormantes de Daech sont organisées en Turquie et trouvent un terreau fertile de recrutement parmi les presque 2 millions de réfugiés syriens qui vivent désormais dans le pays. Cette prise de distance d’Ankara s’est également manifestée par la décision, au début de l’année 2015, conjointement avec l’Arabie saoudite et le Qatar, de soutenir l’« Armée de la conquête » en lutte contre le régime de Bachar Al-Assad. « Armée de la conquête », dont l’une des principales composantes est le Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda. On ne peut qu’être dubitatif quant à cette décision de soutenir une branche du djihadisme contre une autre, ce qui ne peut se comprendre que par le fiasco de la gestion turque de la crise syrienne.

Obsédée, depuis quatre ans, par son objectif de faire chuter le régime syrien, Ankara n’a en effet pas hésité à soutenir, sans grand discernement, tous les combattants rebelles et s’est brûlé les ailes. Facteur aggravant, les pronostics maintes fois formulés sur l’imminence de la chute de Bachar Al-Assad se sont avérés totalement erronés et indiquent l’incapacité de Recep Tayyip Erdoğan à saisir les réalités politiques d’un pays pourtant voisin et avec lequel il partage plus de 900 km de frontières. A cet égard, les positions turques devenaient d’autant plus intenables que chacun comprend désormais que la coalition anti-Daech dirigée par les Etats-Unis ne se fixe pas comme objectif l’élimination pure et simple du président syrien mais cherche confusément une formule de transition politique en Syrie. La position jusqu’au-boutiste turque devenait alors de plus en plus difficile à tenir, ce qui explique, aussi, qu’après des mois de refus, les autorités turques ont enfin accepté que les avions de la coalition puissent utiliser les bases militaires turques, principalement celle d’Incirlik, pour organiser les opérations de bombardement. Il y a donc une véritable évolution des positions turques à l’égard de Daech, que l’attentat de Suruç a contribué à cristalliser. D’après les observateurs, il semble néanmoins que l’intensité des bombardements turcs contre des bases de Daech soit beaucoup moins forte que ceux organisés à l’encontre des bases du PKK.

Les enjeux de la question kurde

Il est tout d’abord singulier que, sous vocable de lutte anti-terroriste, Ankara n’hésite pas à bombarder Daech en même temps que ceux qui, en Syrie, combattent cette même organisation avec la plus grande efficacité, en l’occurrence les combattants du PKK. Cela procède au mieux d’une incohérence stratégique, au pire d’un autre projet, non exprimé celui-là. Comment comprendre, en effet, que des bombardements massifs ciblent les combattants d’une organisation avec laquelle des négociations ont été initiées depuis l’automne 2012 pour tenter de parvenir à un compromis politique sur la question kurde. Ce processus, dit de résolution, était certes pour le moins fragile et semblait de facto gelé depuis des mois. Cela ne retire néanmoins pas le mérite de Recep Tayyip Erdoğan d’avoir contribué à lever un tabou sur ce dossier et d’avoir tenté de faire bouger les lignes sur ce qui constitue probablement le défi le plus important à relever pour la société turque.

Nul ne peut, en effet, douter qu’il n’y aura pas de solution militaire à la question kurde et que seule la voie politique peut permettre de la résoudre. En réalité deux questions se posent avec force. La première renvoie à ce que les autorités turques perçoivent avec beaucoup d’inquiétude comme l’affirmation politique régionale du PKK et/ou de sa projection syrienne, le Parti d’union démocratique (PYD), qui contrôle désormais les zones kurdes autonomes dans la zone frontalière turco-syrienne. On comprend aisément que cette montée en puissance pose un problème existentiel à Ankara, qui n’hésite pas à considérer cette autonomisation des zones kurdes en Syrie comme la création d’une entité hostile à sa frontière. La deuxième nous ramène sur la scène politique intérieure et réside dans les scores électoraux réalisés par le Parti démocratique des peuples (HDP) lors des élections législatives du 7 juin dernier qui, avec la constitution d’un groupe parlementaire de 80 députés, a anéanti le projet de réforme constitutionnelle présidentialiste souhaité par Recep Tayyip Erdoğan. Il apparaît de plus en plus clair que ce dernier veut faire payer au HDP cet affront, ce qui permet de saisir l’enquête judiciaire ouverte contre Selahattin Demirtas, les bruits récurrents de levée de l’immunité parlementaire de certains députés, voire la dissolution pure et simple de ce parti. Cette éventualité, si elle venait à se concrétiser, induirait un accroissement dangereux des tensions et de la polarisation politique déjà extrême au sein du pays. En dépit de ces risques, le président turc veut visiblement désormais procéder à des élections anticipées et la guerre en cours constitue à ses yeux un incontestable moyen de reconquérir l’électorat nationaliste qui s’était éloigné de lui en juin dernier. Recep Tayyip Erdoğan veut apparaître comme le seul capable de défendre le pays agressé par de multiples ennemis et joue la stratégie de la tension. La guerre se décrypte donc en partie par des raisons de politique intérieure, ce qui est pour le moins irresponsable.

Le paramètre iranien

Enfin, dernier paramètre, la question de l’Iran, souvent sous-estimée, mais qui pourtant constitue une clé de compréhension de la crise actuelle qu’on ne peut négliger. L’accord conclu, le 14 juillet, sur le nucléaire iranien va bouleverser le jeu diplomatique et stratégique régional en rendant à l’Iran l’influence perdue au cours des dernières années. Téhéran a vocation à redevenir dans la prochaine période un partenaire majeur des grandes puissances, notamment des Etats-Unis, sur l’échiquier régional. D’où les infléchissements de la politique de la Turquie, les bombardements contre Daech, l’autorisation donnée aux Etats-Unis d’utilisation des bases aériennes du Sud-Est de la Turquie et la perspective de la création, acceptée par Washington, d’une « zone de sécurité », d’une centaine de km de longueur et d’une quarantaine de profondeur le long de la frontière syro-turque, qui devrait permettre à une partie des réfugiés syriens de se regrouper mais aussi de couper les unes des autres les zones géographiques contrôlées par le PYD. Aux yeux des autorités politiques d’Ankara, tout faire donc pour se réinsérer dans le jeu politique régional, resserrer les liens avec les Etats-Unis et ne pas se laisser distancer par Téhéran.

Une situation délétère

Ces quelques brèves remarques soulignent la complexité d’un nouveau conflit auquel la Turquie est désormais partie et qui constitue une équation à multiples inconnues. Constat des graves erreurs à répétition de la gestion de la crise syrienne, instrumentalisation d’enjeux de politique intérieure, défis constitués par la question kurde, concurrence avec l’Iran… l’ensemble constitue un cocktail explosif et infiniment préoccupant. La logique de guerre enclenchée est dangereuse car nul n’est en réalité véritablement capable de la contrôler. Il est impérativement nécessaire que les autorités politiques d’Ankara se ressaisissent et que les intérêts des citoyens turcs redeviennent la boussole des décisions du gouvernement.

« Un nouveau rêve américain » – Trois questions à Sylvain Cypel

Sat, 01/08/2015 - 11:19

Sylvain Cypel est journaliste, spécialiste des États-Unis. Il répond à mes questions à propos de son dernier ouvrage « Un nouveau rêve américain » (Ed. Autrement).

L’élément ethno-racial a-t-il pris le pas sur l’enjeu socio-économique aux États-Unis ?
Cela a été évident lors des élections présidentielles de 2012. A l’époque, les États-Unis étaient loin d’avoir surmonté les conséquences de la crise financière de 2008-2010. L’emploi n’avait pas retrouvé son niveau d’avant-crise. Beaucoup d’emplois industriels avaient été perdus. Un chômage des jeunes durable était apparu, phénomène très nouveau aux Etats-Unis, et beaucoup devaient abandonner leurs études pour éviter de se sur-endetter. Certes, le sentiment général était que l’économie s’améliorait, mais la campagne républicaine, axée sur l’échec de la politique socio-économique de Barack Obama, n’a pas eu l’impact escompté. Au contraire, Barack Obama a finalement été réélu de manière assez aisée. Et il l’a été prioritairement sur des enjeux de société. D’abord, il a fait le plein parmi ceux que l’on appelle aux Etats-Unis les « minorités ». Obama a recueilli plus de 70 % des suffrages des Américains d’origine hispanique ou asiatique, et plus de 90 % de ceux des Afro-américains. Cet élément a été déterminant. De plus, les femmes ont voté à 55 % pour lui. Les ressortissants des minorités ont rejeté massivement la logique des propositions avancées par le camp conservateur : de la réduction des aides sociales aux mesures plus répressives à l’encontre des immigrés. A l’inverse, les démocrates leurs sont apparus beaucoup plus disposés à favoriser leur intégration. Quant aux femmes, tous les sondages montrent que sur les enjeux sociétaux, comme l’accès à une assurance santé universelle, le droit à l’avortement ou la limitation des ventes d’armes, elles sont désormais bien plus progressistes que les hommes.
Aujourd’hui, les difficultés socio-économiques restent beaucoup plus graves aux États-Unis que ne le laissent croire les seules données économiques car la répartition des fruits de la croissance retrouvée sont toujours presque uniquement dévolus aux plus aisés. Les inégalités sociales continuent de s’accroitre. Mais on a vu récemment, avec la multiplication d’assassinats de jeunes noirs par la police et l’attentat contre une église noire de Charleston, combien les enjeux « raciaux » restaient prégnants dans ce pays. Il est trop tôt pour savoir quelles seront les thématiques qui domineront la campagne en vue de l’élection présidentielle de novembre 2016. Mais il est clair que si le parti républicain poursuit dans la voie qu’il a choisie depuis huit ans, il sera de nouveau aisé pour le candidat démocrate de mobiliser en sa faveur une coalition desdites « minorités ».

L’homme blanc qui se sent en danger fournit 80% des troupes du Tea Party
Le Tea Party est effectivement un regroupement massivement blanc. Et le mâle blanc en constitue l’ossature : il lui fournit près des deux-tiers de ses membres. Ce regroupement politique apparait comme une tentative de résister au phénomène le plus marquant aux États-Unis aujourd’hui : cette société se « mondialise » plus qu’aucune autre au monde, et à un rythme plus rapide que n’importe où ailleurs. Avec un million de nouveaux arrivants chaque année, presque tous issus d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique, et des populations immigrées faisant plus d’enfants que les autres Américains, le basculement est annoncé par les démographes pour 2042 : les « Blancs seulement », ceux qui ne s’identifient pas autrement lors du recensement, seront devenus minoritaires aux États-Unis. Ils ne seront plus que 43 % en 2060.
D’ores et déjà, la montée en puissance des « non-Blancs » se manifeste dans tous les domaines de la vie sociale, économique et politique. C’est ce qui effraie la partie des Blancs les plus conservateurs – surtout les hommes –  qui éprouvent le sentiment de perdre à la fois leur domination, qu’ils perçoivent implicitement comme légitime, et le mode de vie qui y correspond. C’est d’autant plus vrai qu’une part massive de ces classes moyennes blanches, longtemps privilégiées dans le système économique américain, a été emportée par la crise et voient son niveau de vie régresser depuis des années. Au lieu d’en rendre responsable le système économique du capitalisme financier, elles s’en prennent à la concurrence montante des minorités. La rage de cette part de la population est d’autant plus vive qu’elle se sent impuissante à modifier le cours des choses.

Les jeunes se détournent-ils de l’idée de l’« exceptionnalisme américain » ?
Cela semble indubitable parmi les jeunes urbains des grandes villes américaines et de leur proximité. L’« exceptionnalisme américain », c’est l’idée que les États-Unis ont par nature une mission universelle et sont destinés à diriger le monde. Républicain ou démocrate, il n’est pas un candidat en campagne électorale qui oubliera de déclarer que l’Amérique est « la plus grande nation au monde ». En même temps, Obama a mené sa politique internationale en tenant compte des limites de la puissance américaine et en s’appuyant sur le sentiment croissant aux États-Unis que le pays, contrairement à ce qui a été pensé au sortir de la Guerre froide, n’a plus les moyens de décider ni d’agir seul comme il l’entend – et surtout, que la calamiteuse guerre en Irak a démontré combien cette attitude peut lui être néfaste.
Les républicains, eux, dénoncent l’affaiblissement international de leur pays et prônent le rétablissement de la « grandeur » américaine, qu’Obama aurait ternie. Mais la réalité est qu’avec le temps, les États-Unis perdent leur primauté dans de très nombreux domaines, hormis le secteur militaire et la haute technologie. Là encore, l’Homme blanc enragé, à l’identité malheureuse et beaucoup plus prompt que les autres Etatsuniens à dénoncer un « déclin » de l’Amérique qu’il impute aux bouleversements que vit sa société, se sent de plus en plus isolé et perdu. Mais aujourd’hui la plupart des Américains éduqués qui s’ouvrent au monde – et ils sont de plus en plus nombreux, Blancs inclus – jugent que la coopération est à la fois nécessaire et préférable à la domination.

What future – in the short term – for the Six-Party Talks?

Thu, 30/07/2015 - 15:40

In June 2015, will the Six-Party Talks process be only nominally alive? Initiated in 2003 following the North Korean regime’s sudden withdrawal from the Nuclear Non-Proliferation Treaty (NPT), this collective forum comprised of representatives from China, Japan, South Korea, North Korea, Russia, and the United States has languished in a semi-vegetative state for the past six years. Yet again, the fault for this lies with Pyongyang, with its abrupt decision to quit the Six-Party Talks (SPT) in April 2009 in the aftermath of a United Nations resolution sanctioning the country for carrying out a new (illegal) ballistics testing. So far, the sixth round of this ambitious collective initiative aimed at finding a peaceful and balanced solution regarding the North Korean nuclear weapons program was the last. But a seventh could quite possibly be called for in the coming months…
The permanent unpredictability of the Democratic People’s Republic of Korea (DPRK) regime, its renewed propensity to explore the limits of (verbal) provocation (towards both the South Korean and American administrations), and the understandable reservations of several participants to the process (Washington, Seoul) regarding the seriousness and « sincerity » of the DPRK to comply with past agreements, might prolong the current paralysis, at least until the end of this year. And this despite Beijing’s constant and worthy efforts over the last few years to revive this complicated initiative.
So, in summer 2015, should we consider this collective mechanism as dormant or simply dead in the water? Or, to the contrary, as a still-relevant initiative ready to be revived?

Trying to answer this tricky question requires adopting a three-point methodology, as much to hedge our bets as to adapt to the genuine unpredictability of the North Korean stance on this specific matter. Hence, three working hypotheses have been selected to approach the « truth, » a highly volatile concept in the context of the DPRK regime.

Working hypothesis n°1 deliberately adopts a pessimistic approach with the following premise: Pyongyang has no serious intention of complying with the rules of the SPT, to honor its past commitments, or to adopt the appropriate behavior requested to restart the process. Here, the DPRK regime mainly sees the SPT framework as a tool, a leverage, or a delaying tactic in an attempt to appear “engaged” – more or less – on the international community’s radar without compromising any of its assets. In this hypothesis the North Korean regime does not want to take any steps forward to create the appropriate environment necessary for productive talks or fulfill the preconditions demanded by the other SPT participants.

Working hypothesis n°2 is more optimistic, based on the premise that for specific reasons known only to the North Korean leadership, Pyongyang is committed to readjusting its position and policies and to create a favorable environment with the five other members of the SPT. This would allow for a seventh round to take place in the short term, with Seoul and Washington responding favorably to this more constructive – and relatively unexpected – approach, with the backing of Beijing and Moscow.

Positioned somewhere in between the two above options, working hypothesis n°3 adopts a more realistic and pragmatic perspective. According to its premise, the North Korean government would eventually be interested in resurrecting – step by step – the dormant SPT process; not for the sake of pleasing Seoul, Washington, Moscow, Tokyo, or Beijing, or to present a more favorable face to the international community, but rather to keep alive a channel of communication with Washington. In this scenario, Pyongyang is attempting to portray itself – for as long and as shrewdly as possible – as the « good guy » wishing to repent. This allows the regime to extract benefits (security guaranties; humanitarian, financial, and economic assistance; energy; etc.) while buying its time to achieve a larger goal (e.g. to complete its ballistic and nuclear programs) by reducing external pressure. With this pragmatic approach, neither Washington (with presidential elections looming in November 2016) nor Seoul would feel compelled to fall into the trap by allowing the resurrection of the collective mechanism.
With Pyongyang’s habit of favoring hard-to-defend defiant posturing, one can certainly not take for granted the veracity any of these three possible premises; the DPRK may currently be working on a set of different options, be it a more radical approach (e.g. a more aggressive posture to put pressure on Washington and Seoul) or a less expectable by welcome conciliatory approach (e.g. set of confidence-building measures with Seoul, Washington, and Beijing). Time will tell.

Let us come back to our three-tier methodology and dedicate some more time to each of them to assess the merit of our approach in view of recent events in and around North Korea.

Working hypothesis N°1, the pessimistic assessment: the DPRK is not serious about creating the necessary conditions for a rebirth of the Six-Party talks and is not motivated to do so.
Looking back over information coming out of North Korea over the past few months, even if an open-minded approach is adopted, it is difficult to distinguish any significant decisions, postures, or declarations indicating a desire by Pyongyang to prepare the field for serious participation in dialogue or the negotiation process.

– The North Korean leadership remains as provocative as ever: North Korean Diplomats disrupted a UN human rights panel in New York in early May; Pyongyang threatened the United States with a nuclear attack on April 26; the North Korean regime slammed South Korean President Park’s speech on the sinking of the ROKS Cheonan in late March; North Korean media called the attack on the American ambassador in Seoul a « deserved punishment » in early March; Pyongyang said there would no longer be any chance for inter-Korean dialogue in early March; « North Korea threaten missile attack on anti-Pyongyang leaflets » (Yonhap news agency, March 2); « N. Korea says it won’t talk with ‘gangster-like’ U.S » (Yonhap, February 4); « N. Korea ridicules former S. Korean president over memoir » (Yonhap, February 4); « North Korea Tests Five Missiles » (New York Times, February 8); etc. This list – telling, but not exhaustive (!) – speaks for itself.

– Invitations and suggestions to adopt a more constructive policy remain largely if not totally unheard: « U.S. urges N. Korea to show denuclearization commitment » (Yonhap, April 17); « DPRK rules out dialogue with Japan » (Xinhua, April 2); « UN presses North Korea to Account for Abductions » (New York Times, March 9); « North Korea negative about six-way nuclear talks » (Yonhap, March 2); « U.S. urges N. Korea to cease threats after missile launches » (Yonhap, February 2). Here again, there are no obvious signs of any desire by Pyongyang to extract itself from diplomatic isolation.

– Recent positive examples in international diplomacy (e.g. West-Iran and Southeast Asia-Burma talks) seem to be disregarded: « N.K. fails to learn lesson from Iran nuclear deal » (Yonhap, April 22). In June 2012, Robert King, then-US envoy on North Korean human rights issues, suggested to Pyongyang to take similar steps (political and economic reforms) to those recently taken by Burma, arguing that the benefits for the Burmese regime (e.g. sanctions eased then lifted; investors flocking the country; return to the global stage) were self-evident. Three (long and agitated) years later, this sage advice has manifestly not been espoused by Pyongyang.

Working hypothesis N°2, the optimistic projection: Pyongyang is committed to readjusting its policy to create a favorable environment with the five other members of the SPT, allowing for a seventh round to take place before the end of 2015.
Consider here that despite Kim Jong-un’s rather poor, if not terrible, record since coming into power in December 2011 (and now that the three-year long period of mourning is over), Pyongyang and its current leadership feel more compelled – under parallel pressure from Beijing and Moscow – to partly give up its brinkmanship policy and try to reintegrate (after a long absence) into the club of responsible nations. In this scenario, going forward would start by convincing Washington, Seoul, and Tokyo of a genuine political will to leave the current deadlock and embark upon a more cooperative chapter.
That said, we have so far not witnessed any tangible signs from Pyongyang giving credit to this bold thesis, to say the least. We cannot not interpret the polite refusal of Kim Jong-un to attend World War II celebrations in Moscow on May 9 – despite the personal invitation of Russian President Vladimir Putin – as supportive of this theory. Nor can we consider that the recent civilian inter-Korean representatives meeting in Shenyang (China, May 5) – dedicated to preparatory talks on plans to jointly celebrate the 15th anniversary of the historic inter-Korean Summit (June 13-15, 2000, in Pyongyang) – necessarily indicates a change of strategy by the North Korean regime.
However, after eight years of permanent defiance, of verbal/frontal opposition with both the Blue House and the White House, the North Korean leadership under young Kim Jong-un may finally recognize that its hard-line posturing has not achieved as much as expected (despite two nuclear tests and a long series of ballistic missile tests, not to mention the torpedoing of the South Korean Cheonan corvette in the Yellow Sea) and that it may be time to reassess the benefits of this strategy.
This reassessment comes during a period of uncertainty regarding the identity of the next US president, his/her political party, and stance on non-proliferation issues. In the meantime, the North Korean regime could finally consider that the current Blue House policy vis-à-vis Pyongyang – no more free gifts [1] to the North but the door always open for discussion, negotiation, and reconciliation – may be worth giving a try; a position that probably finds some supporters in Beijing still working hard to keep the idea of a possible and desirable resurrection of the talks alive.

Working hypothesis N°3, the pragmatic vision: the « talks only to talk, » to buy some time until…
Based on past experience, numerous disappointments, and various unpleasant surprises when dealing with Pyongyang and its highly sophisticated nuclear policy, one cannot escape the need to consider the likelihood of a less glamorous and more realistic assessment of its probable short-term commitment vis-à-vis the sleepy SPT. The assumption here is that the least open and least democratic regime in Asia may pretend to be interested in the rebirth of this dormant, and may even go as far as to start responding favorably to the demands of the five other participants, but remains fundamentally much more motivated by the project of buying time (while extracting assistance and various benefits from the international community, a tactic Pyongyang has proven itself comfortable with) for a ‘higher’ purpose…

Excluding this scenario may present some risks. True, many governments (including major ones like Beijing, Moscow, Seoul, and possibly Tokyo) may be eager to reopen a « dialogue » with Pyongyang after such a long deadlock and its many highly tense phases. But there is a significant difference between (misguided?) eagerness and reality on the ground. Keeping the door open for genuine negotiations while excluding any step towards this action in absence of tangible commitments from Pyongyang – a policy consistently observed by the Obama administration since 2008 and President Park Geun-hye since 2012 – does not at all imply gullibly reading into any conciliations from the DPRK as a radical shift of policy or the promise of happier, easier, and rosier tomorrows.
Having achieved an Asian foreign policy (partial) success in Burma – with President Thein Sein adopting a reformist agenda – the White House under its current tenant is not willing, a year and a half before the end of his final term (-January 2017), to take the politically suicidal risk of being fooled by a regime more willing to nominally engage the powerful nation than to heed its words; a dictatorial regime that, incidentally, regularly threatens to use nuclear-armed intercontinental ballistic missiles to strike targets on US soil. Along with the relative « Burmese success, » President Obama’s foreign policy achievements include the significant betterment of bilateral relations with Tehran and Havana, an undeniably remarkable legacy that the 44th president of the United States will not want to sacrifice on the altar of the unpredictable Pyongyang.
At the same time, several members of the SPT, including Seoul and Beijing, were remarkably active in the early days of May 2015. On May 5, the South Korean Special representative for Korean Peninsula Peace and Security Affairs (Hwang Joon-kook), shortly after a meeting in Washington with his American counterpart (Ambassador Sung Kim, special representative for North Korea policy), declared: « As a result of close consultations among the five parties, there is a degree of consensus formed on conditions for the resumption of six-party talks. Based on this, we are pushing for unconditional exploratory talks [2]. » A bold and encouraging statement that did not go unnoticed in East Asia and beyond; the following day (May 6) this headline appeared in the Indian press: « S. Korea Seeks ‘New Momentum’ with China to revive N. Korea Nuclear Talks [3]. »
And if, against all odds, the SPT were in fact on the verge of an unexpected resurrection?

In light of the latest information to trickle out of the secretive corridors of power in Washington, Seoul, Beijing, or Moscow, these three opposing scenarios – and the many others not included here for reasons of brevity – lead us now to envisage a series of four short questions/answers to extend the thinking on the sometimes elusive Six-Party Talks matter. A set of provocative interrogations to get us started:

Is the resumption of the talks truly desirable?
First of all, in the event the North Korean regime follows up on the idea to join the recently much-discussed « exploratory talks » (without any preconditions), reviving this sleepy forum would entail: meeting and talking to Pyongyang, being ready to listen to (some of) its demands, and – eventually, after some (positive) steps, time, and (eventual) progress – to consider the possibility of delivering something to this reclusive state. This could be anything that could be celebrated as a great victory by the regime, and its hyperactive propaganda apparatus, to bolster domestic legitimacy; nothing that would in fine pressure the North Korean leadership to modify its policies or consider even low-level reforms.
The « exploratory talks, » if confirmed and meaningful enough to survive the year, will in any case not count on the indispensable strong American engagement. At the moment, the current US administration has not the time, the authority, nor any desire to assume the entailed risks (even with the likely prospect of another Democrat victory in the November 2016 elections) to engage in a serious deal with the North Korean regime.

Seoul: beneficiary or hostage of the SPT?
Obviously, and even if Pyongyang keeps on thinking that its first and foremost interlocutor on the nuclear and disarmament issues remains Washington, there is no state more concerned by any move – positive or dramatic – engaged by the defiant North Korean regime than Seoul. This premise remains valid under the current administration of President Park Geun-hye, whose consistently bold, balanced, and open-minded policy vis-à-vis her difficult and often abrasive northern neighbor should be commended.
Since her very first day in office in February 2013, the first female head of state in the Korean Peninsula has consistently repeated that the end of this exhausting and costly state of crisis with the North lies in dialogue, reconciliation, and a common future. In January of this year she confirmed again that she was willing to hold a summit meeting with North Korean leader Kim Jong-un without any pre-conditions. « My position is that to ease the pain of division and to accomplish peaceful unification, I am willing to meet with anyone, » President Park said. « If it is helpful, I am up for a summit meeting with the North. There is no pre-condition [4]. » A month later, she instructed her staff to prepare a « roadmap for Korean unification »; such a reunification could bring an « economic bonanza [5] » to neighboring countries as well as the two Koreas. Politically speaking, this policy is indisputably courageous, considering the very low return on investment so far and the total absence of the most elementary respect shown to her [6] by the North since she took office two years ago.

Can the international community (excluding the SPT participants) put some ‘real pressure’ on the eventual revival of the Talks?
The plain truth is that in 2015, the international community at large remains extremely weak when it comes to dealing with North Korea, the most isolated country on the planet in the 21st century. The most powerful international institutions (United Nations, IMF, World Bank) do have a certain capacity – but no real authority – to intervene in the volatile and complicated North Korean equation. Likewise, the inter-Korean dispute remains out of reach for the European Union – an otherwise influential regional institution – due to reasons of distance and geography. The fact that Pyongyang disregards the authority of such supranational entities and is much more interested in dealing face to face with Washington does not facilitate the task.
Incidentally, and to be frank, this situation is not considered a tragedy by influential capitals, in Europe as well as in the Middle East or Asia. Being involved in far-away and quasi-intractable issues usually does not bring much in the way of dividends to bold candidates.

Should we welcome the recent reconciliation between Pyongyang and Moscow?
Despite being personally invited to Moscow by President Putin to attend World War II celebrations (May 9), and after a long silence, Kim Jong-un finally declined the invitation [7]; Kim Yong-nam, president of the Presidium of the Supreme People’s Assembly of the DPRK (the ceremonial North Korean head of state), will travel to Russia to attend the ceremony on behalf of his boss. Whatever the reasons behind this not-so-unexpected volte-face by the North Korean leader, they will probably not harm the diplomatic rapport [8] Moscow and Pyongyang have managed to (re)build over the last few years (during which time relations between Pyongyang and Beijing were suffering a spectacular cooling [9]). However, the attractiveness of Russia on the world stage has been considerably reduced in the wake of its dangerous maneuvering in Crimea and in the context of the current Ukrainian crisis. For the moment, the « benefits » of this new honeymoon between North Korea and Russia – two (relatively) isolated actors – remain to be seen as far as the SPT are concerned, even if some signs suggest possible advantages [10].

*****
Despite a recent surge of track one and track two diplomacy activities mechanically generating some level of hope, no one – even in secretive Pyongyang – can take for granted the eventual resuscitation of the Six-Party Talks in the short-to-medium term. The obvious and respectable goodwill towards this dormant forum displayed by several main players (Seoul, Beijing) will inevitably be confronted by the unpredictable, pathologically-defiant, and risk-prone Pyongyang under the still partly obscure and little documented leadership of the young Kim Jong-un. Political and domestic issues impacting others (presidential elections in the USA in November 2016) will play a major role as well in the still uncertain future of this crucial initiative, while the « rest » of the international community, largely out of the picture in this « small Great game, » will patiently and powerlessly hope for a positive evolution in the strategic and volatile Northeast Asia region.

References:
[1] « Seoul spurns Pyongyang’s call for lifting sanctions, » Yonhap news agency, May 7, 2015.
[2] Yonhap, May 5.
[3] Indiaeveryday, May 6.
[4] Reuters, January 11, 2015.
[5] Korea Times, February 16, 2015.
[6] The Diplomat, April 29, 2014.
[7] New York Times, April 30, 2015.
[8] ‘’DPRK, Russia ink protocol after inter-governmental meeting’’, Xinhua, April 27, 2015. ‘’ Western Relations Frosty, Russia Warms to North Korea’’, New York Times, March 11, 2015.
[9] An easing is however observed between Pyongyang and Beijing in May 2015, as noted in the following article: ’’N. Korean official calls ties with China ‘precious treasure’’, Yonhap, May 7, 2015.
[10] ‘’Xi’s visit to deepen, celebrate China-Russia relations’’, Xinhua, May 6, 2015. One can assume that a closer Moscow-Pyongyang connection associated with a strengthening Moscow-Beijing axis (two partners of the SPT) may be in a position to deliver some positive benefits vis-à-vis North Korea.

Analyze presented by Olivier Guillard during the World Korean Forum organized in Paris in June 2015.

Canada : de l’antiterrorisme à l’islamophobie

Tue, 28/07/2015 - 16:08

Dans un rapport rendu le 8 juillet 2015, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense canadien a établi une liste de vingt-cinq recommandations visant à « combattre la menace terroriste au Canada ». Quels que soient les éléments de langage mobilisés, le terrorisme dit « islamiste » demeure la cible prioritaire et, sous cet angle, le comité ne fait que suivre une ligne stratégique déjà ancienne, confinant à l’islamophobie.

Signé par une majorité de sénateurs conservateurs, ce rapport souligne avant tout le danger auquel seraient confrontés les citoyens canadiens, eu égard à la montée du terrorisme de type islamiste tant à l’échelle internationale qu’à l’échelon canadien, tout en alléguant, par ailleurs, l’aspect « multidimensionnel » de cette menace. Ce qui étonne, à la lecture de ce texte, c’est qu’à l’inverse d’un rapport rendu en 2014 sous la direction du ministre de la sécurité publique, il prenne systématiquement pour cible la menace « islamique fondamentaliste » (sic). Or, comme l’indique Sylvain Guertin, chef du Service des enquêtes sur la menace extrémiste de la Sûreté du Québec, lors de son audition devant le comité, les dossiers liés à la radicalisation islamiste constituent moins d’un quart des dossiers ouverts par son service, derrière ceux dédiés aux activistes d’extrême droite. Mais, de cette dernière menace, le rapport ne dit mot.

Malgré ses précautions langagières, le document peine à voiler les schèmes ethnocentristes qui le sous-tendent. Se prévalant d’être les représentants « d’une société civilisée », les rédacteurs du rapport exhortent le gouvernement canadien à « affaiblir et vaincre les forces les plus sauvages ».

De fait, sous des dehors libéraux, les sénateurs ne parviennent pas totalement à dissimuler le fond islamophobe de leur discours, particulièrement patent dans un point précis du rapport. Il s’agit d’une critique adressée à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), en raison du soutien passager qu’elle a apporté à un texte rédigé sous la houlette de plusieurs associations musulmanes canadiennes, et auquel elle a participé : United against terrorism. Ce texte, diffusé à l’échelle internationale, a pour objectif de prévenir les risques de radicalisation afin d’empêcher ab initio que des actions terroristes puissent être entreprises. Cependant, plusieurs recommandations inscrites à la fin de ce document, qui visent à éviter tout amalgame entre religion musulmane et terrorisme soi-disant « islamiste », semblent avoir provoqué l’ire des sénateurs. Parmi elles :
– La section 5.1 : « Do not conflate religiosity with radicalization or conflate religious devotion with a propensity to commit acts of violence. »
– 5.2 : « … Avoid terms such as “Islamist terrorism”, “Islamism” and “Islamic extremism” in favor of more accurate terms such as “al-Qaeda inspired terrorism”. »
– 5.6 : « … Muslims are very diverse culturally, in religious observance and ethnicity. Do not brush them as one monolithic group and assign guilt by association. »

Ces recommandations paraissent particulièrement congrues de la part d’une communauté organisée vivant dans une démocratie libérale aux aspirations multiculturalistes. Néanmoins, les sénateurs condamnent fermement la participation de la GRC à l’élaboration de ce texte, sans pour autant fournir d’explications claires à ce sujet. Cela n’a rien d’étonnant. Comme j’ai pu le montrer dans une tribune passée, le Canada pâtit de contradictions structurelles inhérentes à son système sociopolitique, fondé de jure sur des valeurs dites universelles mais qui, dans les faits, entendent protéger un modèle « occidental » juché sur des racines culturelles judéo-chrétiennes.

C’est la raison pour laquelle il convient d’entendre les vingt-cinq recommandations du comité sénatorial non seulement suivant une logique sécuritaire, mais comme participant également à la construction d’un arsenal juridique au service d’une guerre culturelle, sinon civilisationnelle. Les sénateurs le suggèrent eux-mêmes : « Les Canadiens doivent faire preuve de vigilance puisque l’extrémisme violent est une menace réelle, tant pour leur vie que pour leur mode de vie. » Face aux projets, comme ceux de United against terrorism, qui ouvrent la voie à une lutte commune contre le terrorisme dans une perspective intégrative de la société, les sénateurs répondent par un discours de défiance visant la communauté musulmane. La logique suit celle du projet avorté de Charte des valeurs québécoises : le modèle multiculturaliste, en tant qu’horizon sociétal, subit les assauts de la radicalisation, non seulement des mouvances extrémistes prétendument islamistes, mais aussi des instances dirigeantes canadiennes elles-mêmes.

Le nouvel égoïsme territorial – 3 questions à Laurent Davezies

Fri, 24/07/2015 - 10:57

Laurent Davezies est professeur au CNAM. Il a travaillé, comme chercheur et expert, sur les mécanismes du développement territorial en France et dans les pays industriels ou en développement. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Le nouvel égoïsme territorial : le grand malaise des nations », Coéditions Seuil- La République des idées.

La prolifération étatique vous parait-elle inéluctable ?

Inéluctable, non. Nous ne sommes pas dans la tragédie antique dans laquelle des dieux capricieux nous dictent les évènements. On est dans le registre des idées et de l’action des hommes. Pour autant, beaucoup d’éléments, à certains égards rationnels, se combinent aujourd’hui pour pousser à la fragmentation des nations. Elle est du reste en cours actuellement (Belgique, Yougoslavie, Royaume Uni, Espagne, Tchécoslovaquie, sans parler des événements du Moyen Orient à l’Afrique Sub-Sahélienne…).

Face à une mondialisation qui, quand même, a réussi à sortir des centaines de millions d’individus de la pauvreté, mais qui a ébranlé le cadre des relations interterritoriales, entre les nations et en leur sein, on assiste à un mécanisme généralisé de repli sur soi. Compétition économique sauvage et généralisée -adossée à des conventions internationales qui ont, pour le moment, plus libérés qu’encadrés les échanges commerciaux- qui promeut le « chacun pour soi » ; changement technologique vers une économie de l’information qui ne peut se développer que dans les régions les plus développées ; fin du keynésianisme territorial, avec l’ouverture des frontières, qui faisait que les régions pauvres qui étaient hier aidées par les régions riches de leur pays, contribuaient par leur consommation à la croissance de ces dernières ; crise généralisée des finances publiques qui remet en cause les puissants mécanismes de solidarité redistributive inter-territoriale entre les régions au sein des nations, montée d’idées de démocratie de proximité, de gestion collective de « biens communs » locaux, de circuits courts, de monnaies locales, etc.

Bizarrement, ce sont aujourd’hui les territoires riches qui gagnent à ces bouleversements et qui sont aussi aujourd’hui les principaux moteurs de la fragmentation des nations, alors que ce sont les plus pauvres et vulnérables qui en souffrent le plus ! Les riches Flandre belge, pays basque espagnol, Catalogne, « Padanie », comme hier Slovénie et Croatie, rejetant la charge de la solidarité inter-régionale, sont – ou ont été- les moteurs de la fragmentation nationale. Plus généralement, dans le monde, la lutte pour les ressources devient le principal facteur de recomposition des nations.

Quels en seraient les dangers ?

Les dangers de cette dynamique sont nombreux. D’abord, parce qu’elle a un effet de boule de neige. N’oublions pas que les pays occidentaux restent des prescripteurs idéologiques majeurs pour le reste du monde. Donner droit de cité ici à des idées et des mouvements indépendantistes, par exemple avec le referendum écossais et peut être demain catalan, légitime partout ailleurs dans le monde de tels mouvements. On peut penser ou espérer raisonnablement qu’ici, de tels changements se feraient sans violence et dans le contrat. Rien n’est moins sûr ailleurs dans le monde (on le voit déjà avec les affaires kurdes, ouïghours ou ukrainiennes…Plus généralement, 90% des conflits actuels dans le monde sont intra-nationaux).

La fragmentation des nations pilotée par des intérêts économiques (souvent habillés de considérations identitaires) conduit à un monde plus inégal –et donc dangereux- et moins développé – par une répartition plus restreinte des fruits de la croissance et par de nouveaux obstacles aux mobilités-. Elle rend les accords internationaux plus difficiles, avec une multiplication d’acteurs égoïstes et non coopératifs, alors que les urgences, en termes de sécurité collective, d’environnement ou de lutte contre les mafias, appellent aujourd’hui à une gouvernance mondiale plus efficace. L’achat du vote de micro-États à l’ONU est à la portée de toutes les bourses, ou la corruption générale au sein de narco-États par les mafias, ne sont pas des risques, mais des réalités d’aujourd’hui qui ne demandent qu’à se répandre dans de nouveaux pays. L’Europe, par exemple, qui est la partie la plus riche et développée du monde –et la plus expérimentée sur le plan militaire !-, n’a toujours pas de politique et d’instruments de défense commune et les nouveaux petits pays qui en font partie n’ont pratiquement pas de budget de défense…
Dernier point, tous ces nouveaux petits pays, plus homogènes socialement, affranchis de la charge de la solidarité interterritoriale, constituent, par une sorte de dumping financier public, une concurrence considérée comme non déloyale vis-à-vis de grands pays à fortes disparités et solidarités internes.

Au niveau national, vous estimez que la décentralisation est devenue illisible. Pourquoi ? Comment y remédier ?

Face à ces tensions, la décentralisation, qui s’est généralisée dans le monde depuis trente ans constitue un médicament à la posologie mal maîtrisée : elle peut aussi bien contenir les mouvements autonomistes que les renforcer. Plus grave, nous n’avons aucune théorie ou doctrine politique articulée sur la question du partage du pouvoir démocratique entre plusieurs niveaux de gouvernement. Nous n’avons pas d’Aristote, de Platon, de Cicéron ou de Montesquieu de la décentralisation démocratique. Nos territoires ont été découpés par les guerres ou pour les prévenir (Clisthène avec les dèmes à Athènes ou Sieyès avec les départements en France, ont créé des entités sub-nationales sans autre principe que tactique).
La théorie économique dispose d’une doctrine, avec le « fédéralisme fiscal », qui ne prend en compte –et d’une façon abusivement abstraite- que le seul avantage du consommateur-contribuable et pas celui des nations ou des groupes sociaux (qui ne sont pas des agents économiques). Cette approche fait plus de mal que de bien dans le contexte actuel et n’est, du reste, appliquée intégralement dans aucun pays.

Les pays européens, qui constituent encore un modèle d’organisation de l’action publique, ont pourtant autant de dispositifs de décentralisation qu’il y a de pays membres, sans que ressorte le moindre principe de théorie politique explicite ou implicite. Par une sorte de vaste bricolage gaussien, les dispositifs y sont aussi différents que s’ils y avaient été établis au hasard !
Il ne s’agit donc pas de refonder les principes de l’organisation territoriale des nations, afin de contenir, tout en satisfaisant leurs aspects légitimes, les tensions régionalistes, mais de les fonder. Vaste programme…

Egypte : le cocktail explosif de la répression politique et du terrorisme

Wed, 22/07/2015 - 11:16

Deux ans après la destitution de l’ex-président Frère musulman Mohamed Morsi, comment qualifieriez-vous l’atmosphère politique égyptienne ? Que reste-t-il des manifestations et soulèvements de l’année 2011 ?
Malheureusement, il ne reste formellement pas grande chose de ces mouvements de contestation. Ce qui prévaut depuis le coup d’État organisé par l’armée en juillet 2013 contre Mohamed Morsi, seul président égyptien à avoir été élu au suffrage universel, est la répression. Celle-ci vise principalement les Frères musulmans, mais on peut considérer que toutes les forces démocratiques, tous les partis ainsi que toutes les organisations qui s’inscrivaient dans la logique du soulèvement de janvier 2011, sont également ciblées par le pouvoir. Cependant, ce sont les Frères musulmans qui paient le prix fort de cette situation puisqu’on évalue aujourd’hui environ à 1400 le nombre de morts dans les manifestations qui ont été organisées depuis le coup d’État et on estime – le chiffre est évidemment sujet à caution – entre 20 000 et 40 000 prisonniers politiques qui seraient issus principalement du mouvement des Frères musulmans. L’ex-président Mohamed Morsi a été condamné à mort par le nouveau régime, la presse est muselée et il n’y a plus aucune liberté fondamentale assurée. On constate également le retour dans les couloirs du pouvoir d’un certain nombre de caciques de l’ancien régime de l’époque Moubarak. Se sont développés une sorte d’hystérie anti-islamiste et anti-Frères musulmans, doublée d’un nationalisme égyptien exacerbé par le pouvoir. La situation est donc infiniment difficile et le bilan très préoccupant.
Le seul élément qui, à défaut de nous rendre optimiste, peut nuancer ce tableau très noir, est qu’en dépit de la répression, aucun des problèmes fondamentaux de l’Egypte n’a été réglé, notamment les problèmes sociaux. Sans oublier que l’économie égyptienne va au plus mal malgré les aides internationales, des États-Unis, et de certains États arabes du Golfe, Arabie saoudite en tête. Immanquablement, dans les semaines, les mois ou les années à venir, de nouveaux mouvements de contestation verront le jour car la vie quotidienne de l’immense majorité des Égyptiens n’est pas tenable. On peut imaginer que les révoltes de 2011, même si elles connaissent une parenthèse actuellement, ont laissé des traces et restent présentes dans la mémoire de nombreux Égyptiens qui tôt ou tard se remobiliseront. On peut conclure que la situation présente est catastrophique, tant du point de vue politique et des libertés, que du point de vue économique.

La péninsule du Sinaï connaît une forte instabilité en raison du groupe « Province du Sinaï » (anciennement Ansar Bait al-Maqdis), apparu en 2011 suite au désordre post-révolutionnaire en Egypte. Pourquoi l’Egypte a-t-elle en quelque sorte délaissé la péninsule du Sinaï depuis tant d’années ? Selon vous, la gestion, purement répressive, de ce fléau sécuritaire par les autorités ne contribue-t-elle pas à aggraver la situation ?
Premièrement, il faut savoir que le Sinaï est une zone de non-droit. C’est un territoire qui a été occupé par les Israéliens après 1967, puis rendu à l’Egypte suite aux accords de paix signés entre ces deux États en 1979. Selon ces accords israélo-égyptiens, le Sinaï devient alors une zone démilitarisée. Par conséquent, c’est une zone sur laquelle, depuis plusieurs décennies, les forces armées égyptiennes n’avaient que très peu de contrôle.
Ainsi, le Sinaï, comme toute zone de non-droit, est progressivement devenu la zone de tous les trafics, qu’ils soient humains, de marchandises, etc. Mais la situation s’est considérablement dégradée depuis une petite dizaine d’années et tout particulièrement depuis les troubles révolutionnaires du début 2011. Un certain nombre de groupes djihadistes se sont cristallisés dans cette zone, alimentés par des Égyptiens ayant fait le djihad en Afghanistan, puis en Syrie, et qui sont désormais revenus en Egypte. Ces facteurs ont abouti à la création du groupe « Province du Sinaï », qui a fait allégeance à l’État islamique en novembre 2014. En raison des méthodes utilisées par Daech telles que les exécutions sommaires, filmées et diffusées, ainsi que du défi très compliqué et préoccupant que le groupe représente pour la stabilité générale en Egypte, le pouvoir a choisi de mener une gestion strictement et purement répressive de la situation. Il est parfaitement compréhensible que la répression soit nécessaire pour combattre un groupe affilié à Daech, mais le pouvoir égyptien ne peut pas se contenter de détruire les maisons de ceux qu’il suspecte d’être des complices de Daech ou de bombarder par voie aérienne des villages ou des bourgs entiers dans le Sinaï. Cette gestion purement répressive ne donnera pas de résultats à l’avenir mais, au contraire, contribue d’ores et déjà à la radicalisation de ceux qui sont déjà très mobilisés contre le pouvoir égyptien. Par conséquent, il est nécessaire que d’autres options, politiques mais également économiques, soient mises en œuvre dans cette région, ce qui est évidemment plus facile à dire qu’à réaliser dans une zone presque entièrement désertique.
Enfin, le dernier paramètre qui semble important réside dans le fait qu’au vu de la répression très violente en cours contre les Frères musulmans, une partie des jeunes au sein de cette organisation, constatant le manque de perspectives politiques sur la scène nationale, se radicalisent et parfois même pour certains d’entre eux s’enrôlent dans le groupe « Province du Sinaï ». Un renforcement de ce groupe en termes de recrutement est donc possible et est même amplifiée par la politique uniquement répressive choisie par le pouvoir égyptien. La situation est donc, là encore, particulièrement inquiétante puisque de facto, l’armée ne veut pas aller combattre au sol. Les moyens utilisés par le pouvoir ne sont ni efficaces, ni efficients pour éradiquer ce groupe affilié à Daech.

Peut-on craindre que la présence d’un groupe affilié à l’État islamique dans une zone aussi sensible que le Sinaï ait des répercussions plus larges dans la région ?
La grande inquiétude, qui n’est d’ailleurs pas propre au cas de l’Egypte, est que Daech se soit d’ores et déjà constitué une nouvelle filiale sur le territoire égyptien. L’Egypte reste, malgré toutes ses difficultés, le plus grand pays du monde arabe et le potentiel pivot de la vie politique dans la région, même si au cours des dernières années son influence a diminué. En conséquence, l’extension d’un groupe lié à Daech, non seulement au Sinaï mais également sur le reste du territoire égyptien, serait véritablement un pas en avant vers la décomposition politique régionale.
L’autre facteur immédiat est la longue frontière qui existe entre le Sinaï et Israël. Il semble probable que Daech, tôt ou tard, organisera des attentats, des bombardements, des tirs de roquettes, etc., en direction d’Israël. Cela serait là encore un pas en avant dans la décomposition régionale puisque les Israéliens n’accepteront évidemment pas cette situation. Or, nous savons que tout est envisageable quand les Israéliens ont décidé de faire régner l’ordre quelque part, ce qui induit un élément supplémentaire de déstabilisation. Quoi qu’il en soit, il est clair que l’enjeu dépasse largement le seul cadre géopolitique égyptien.

A German Europe?

Tue, 21/07/2015 - 10:49

Reports of a profound Franco-German rift over Greece are exaggerated. The rhetorical confrontation over the third Greek bailout rather tends to hide the reality of the current situation, in which Eurozone governments are unwilling to challenge Germany’s management in-depth. While the German government is being criticised for its tough tactics and the harsh austerity measures that it is imposing upon Greece, a number of national governments are increasingly wary that Germany’s stance might publicly appear to be anti-euro, thereby hindering their own political mantra — which centres on convergence towards a particular view of the German economic model.

It is particularly important to take account of the sociological change that has occurred in France and most western-European countries over the past four decades, as public administration circles have largely tightened their hold on both politics and the corporate sector. Against this background, the quest for an idealised model has shaped the action of most European leaders, who were keen to apply indisputable recipes, dubiously deemed liberal. The notion of a single European currency has mainly emerged in France within top administrative circles, which were desperate to find a new direction for European integration — an idea that would allegedly favour stability, increase Europe’s prestige and, most importantly, spur further convergence towards Germany.

In the aftermath of the Bretton Woods system’s collapse in the early 1970’s, European governments struggled to stabilise their exchange rates. Meanwhile, the constant game of exchange rate adjustment was felt as a humiliation by those governments that had to manage weaker currencies. Alignment with the deutschemark then began to be regarded as the ultimate goal of economic policy-making. An entire intellectual corpus emerged, which consisted in establishing the conditions for rapid monetary convergence. The economic cost of that convergence process was never properly appraised, although it would rapidly spiral out of control. Italy is a good example of that trend, as its stock of public debt surged (and nearly doubled) in the 1980’s and 1990’s while the Banca d’Italia set sky-high interest rates in order to combat inflation and stabilise the lira’s exchange rate versus the mark — pushing long-term interest rates and Italy’s debt burden upwards as a result. The break-up of the exchange rate mechanism (ERM) in 1992-93 was the result of the Bundesbank’s insistence on combating inflation upsurges, which were stemming from Germany’s reunification process, regardless of the situation in countries such as Britain, which were facing recession and could hardly afford to defend their exchange rate through interest rate hikes. That, however, did not alter the mood among most European policy circles. The Banque de France managed to stick to its strong franc policy, throwing France’s manufacturing sector onto a deflationary path that never ended [1], while the likes of Italy and Britain experienced massive depreciation. This experience, which was perceived as humiliating, would irremediably keep the United Kingdom away from joining the currency union. Meanwhile, most other European governments, notably in Italy, failed to identify the beneficial effects of the post-ERM depreciation and later welcomed the single currency as a means to preclude any new “monetary humiliation.”

In many respects, the single currency is older than it seems, as its sociological roots date back to the “snake in the tunnel” in the 1970’s. As such, the process of monetary unification has shaped two generations of political party cadres and technocrats in Western Europe. The euro’s management is often described as obscure and explosive by most commentators in other parts of the world, who are prone to believe that a trend of fierce opposition should eventually arise among Eurozone national governments over rescue programmes that are doomed to failure. This dynamic does not seem to have materialised so far, even when the likes of Alexis Tsipras have been elected by a desperate electorate. It should be remembered that the Greek Prime Minister sent what amounted to a capitulation letter to Eurozone authorities on 30th June, five days ahead of the national referendum over bailout measures. Mr Tsipras certainly never had the intention to reject a fresh austerity programme and was looking for a way to galvanise the Greek public while sticking to the Byzantine rules of the European game. His overall strategy went tragic when it led to bank closures, capital controls and an economic standstill, which will leave scars for years. Despite the current turmoil, Mr Tsipras is likely to have a bright future within the EU institutional system in the decades ahead.
On a different note, François Hollande was elected in 2012 on the pledge to renegotiate the so-called fiscal compact with Germany. At that time, the electoral promise was taken seriously although it was very unlikely to be fulfilled and the then socialist candidate made no secret that he had no personal reluctance towards austerity. More recently, the French President fiercely opposed any idea of a Grexit at a time when his approval would have been needed had Angela Merkel decided to put that solution forward. This however does not mean that the French government opposes Germany’s management of the Eurozone. Quite the contrary, the French government would like Germany to embody an even stronger leadership, but one that would be indisputably compatible with the preservation of the Eurozone, at any cost. In this respect, France’s stance is very stable, along the political line that was previously dubbed “Merkozy.” There was a palpable sense of embarrassment in France and other Eurozone countries, in recent months, when Germany appeared increasingly tired of devising a political plan to keep Greece in the euro and willing to subordinate the euro’s preservation to national political issues. Meanwhile, given the widespread unease with the German government’s tough methods, most Eurozone governments have felt the need to distance themselves from Germany, on the rhetorical front. An example of this includes the restructuring issue. No one among Europe’s politicians believes that the Greek debt could be made sustainable long-term without a massive adjustment. Germany insists on limiting restructuring to so-called reprofiling techniques (extending maturities and lowering interest payments further), and sticks to its decision to preclude any outright write-down, although that kind of relief is badly needed. While other European governments, inspired by the International Monetary Fund, are now pressing for a restructuring, they too increasingly favour a mild one, under the shape of a reprofiling. Oddly, several political leaders implied that they were contending with Germany on that issue although they were obviously in sync with the Chancellor. This contradictory mix of alignment with the German government and rhetorical bravado causes unhealthy confusion.

François Hollande pledged, in his traditional 14th of July interview, to promote the ideas of Eurozone economic governance – notably with the creation of a parliament – and fiscal convergence with Germany. Far from a confrontational approach, this leaves little doubt as to his vision for the Eurozone. Nonetheless, his commitment actually makes the situation even more difficult to grasp as a German Eurozone is not necessarily appealing to most Germans. Germany, under the leadership of Gerhard Schröder and Angela Merkel, has developed a largely national perspective on policy-making, particularly on economic matters. The Euro has undoubtedly been used by Germany in order to rebuild its massive trade surplus through wage moderation policies in the 2000’s, thus offsetting the effects of reunification a decade earlier. Meanwhile, a lasting trade surplus close to 7% of gross domestic product (GDP) is pointless, even in the eyes of the most conservative economists and policy-makers. Admittedly, when listening to Wolfgang Schäuble, one could think that German political leaders aim at achieving a Germanised Europe. Although it might sound surprising to those little accustomed to German politics, the finance Minister is actually a European federalist, and as such belongs to a minority within the German right. Mr Schäuble does have a vision for Europe — that of a currency union tightly supervised by his country according to German standards made European law. Mrs Merkel’s mindset is certainly more in line with the general public. Although the finance minister’s tough legalistic style makes him highly popular in Germany – even more so than the Chancellor – his particular kind of pro-European beliefs are shared by few in his home country, especially within his own political family.

The notion of a German leadership for Europe is at odds with post war trends, when Konrad Adenauer founded the Christian Democratic Union (CDU). A Rhineland Catholic, he successfully reached out to conservative Protestant politicians in order to create a political movement that aimed at westernising Germany for good and putting an end to his country’s “special path” (Sonderweg) [2]. While the widespread reference to the Third Reich, when judging the German government’s stance, is pointless, the implicit insistence on the part of other European governments that Germany should take the economic lead – while opting for a slightly more conciliatory style – has been derailing the historical process of European normalisation for four decades. Germany, like any other European nation, should not be expected to rule over the Eurozone but to simply manage its own economy – precisely what a majority of Germans want – in a cooperative manner. Conversely, no excessive austerity measures should have ever been imposed upon any Greek government in exchange for bailout funds. The current political status quo that consists in implementing depressionary bailout programmes while maintaining the Eurozone in its current form is noxious. European politics will have to move towards decisive choices.
[1] Since 1992, manufacturing prices have declined by 9 percent in France, while they have risen 28 percent in the UK and 11 percent in Germany. Source: European Commission, Ameco Database, Price Deflator of Gross Value Added: Manufacturing Industry, data retrieved on 17th July 2015.
[2] Sources: “Der Weg nach Westen”, Manfred Görtemaker, Spiegel Special 1/2006; “Kein Visionär oder Eiferer, sondern ‚praktisch und rheinisch‘“, Jacques Schuster, Die Welt, 2 may 2001; “CDU und Kirche: Den Katholiken geht das politische Personal aus“, Spiegel Online, 11 March 2012

Climat : L’engagement du Pape François peut-il faire la différence ?

Fri, 19/06/2015 - 17:12

François Mabille, Professeur de Sciences politiques au sein de la Faculté Libre de Droit, répond aux questions de l’IRIS pour l’Observatoire géopolitique du religieux :
– Qu’est-ce qu’une encyclique ?
– Peut-on évaluer l’impact d’un tel document sur les négociations en cours sur le changement climatique ?
– Qu’est-ce qu’entend le Pape par « écologie intégrale » ?
– Le changement de modèles, notamment économique et technologique, présuppose-t-il la constitution de contre-modèles par l’Église catholique semblable à un « catholicisme politique » ?

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