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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Ce que cache la rhétorique enfantine du président Donald Trump

Tue, 30/05/2017 - 12:35

Quelles sont les principales caractéristiques de la rhétorique du président américain ?

La communication de Trump est à l’image de sa vision du monde, binaire. Le vrai s’oppose au faux (lui-même ayant sa propre interprétation de la vérité), les bons aux méchants, les amis aux ennemis, les gagnants aux perdants. Cette vision très simple n’exclut pas le fait que la rhétorique du président américain soit contrôlée et partie intégrante d’une stratégie de communication populiste. Certains le qualifient d' » enfant  » pour signifier son immaturité dans le job ; en tout cas, le milliardaire s’est plaint régulièrement depuis son élection de la difficulté du métier de président.

De plus, Trump a horreur de la complexité, dès que ça devient un jeu à plusieurs bandes, il donne l’impression de décrocher. Est-ce que la technicité de certains dossiers l’ennuie? Est-ce qu’il ne les comprend pas? Sans doute un peu de tout cela. Il a, de plus, gardé son fonctionnement d’homme d’affaires. Dans son monde ce sont les  » winners  » et les  » losers « , on fait des  » deals « . Mais ce raisonnement ne peut pas s’appliquer à la politique, notamment la politique étrangère.

Par ailleurs, la communication de Trump est incantatoire. Par les mots et souvent seulement par eux, le milliardaire pense agir sur le réel. Cette stratégie a très bien fonctionné en campagne, cependant elle ne peut pas avoir le même succès sur le long terme. Lors de sa visite récente en Israël, Trump a affirmé vouloir conclure un  » ultimate deal  » (accord ultime) pour résoudre le conflit israélo-palestinien, mais sans proposer de mesures concrètes pour autant. C’est un exemple typique.

Enfin, Trump a adopté une rhétorique qu’on pourrait qualifier d’énergique, voire d’insultante. Ses discours et ses tweets sont ponctués de nombreux points d’exclamation, d’anaphores, de majuscules, comme s’il s’exprimait à l’oral et qu’il criait. On retrouve une communication similaire chez Berlusconi, Sarkozy et Marine Le Pen. Le champ lexical est restreint et demeure toujours le même tandis que sont matraquées des phrases présentées comme des vérités, mais qu’on ne peut démontrer. Chez Trump il y a également une posture viriliste, par opposition à un Obama qualifié de  » faible  » par les Républicains pendants 8 ans.

Trump cherche-t-il à émouvoir ou à convaincre ?

A persuader par l’émotion, pas à convaincre. Tout le ressort des  » fake news  » (informations mystifiées ou imitées) qu’il utilise, s’appuie sur le ressenti des choses, ce qui n’est pas rationnel, fait appel à des croyances personnelles, à l’émotion, à l’intuition aussi, ce qu’on peut appeler le  » bon sens populaire  » auquel il faudrait autant, voire davantage faire confiance qu’à l’information présentée dans la grande presse nationale.

A l’issue des trois débats contre Hillary Clinton, tous les observateurs ont dit que celle-ci avait gagné car elle prenait en compte la complexité du réel et la technicité des dossiers, alors que lui revenait toujours aux mêmes choses – la Chine, la grandeur perdue de l’Amérique, la désindustrialisation, le politiquement correct, etc. Mais, convaincre ne suffit pas aujourd’hui, il y a d’autres choses qui entrent en ligne de compte, ce qui fait que le  » fact checking  » (vérification des informations) ne suffit plus. C’est l’un des grands enseignements de cette campagne.

Au sein de l’électorat de Trump, certains se sont rendu compte que leur candidat avançait de fausses informations et que c’était du spectacle, du théâtre. Mais ils ne lui en tiennent pas rigueur. Les gens qui ont voté pour lui le soutiennent et ne s’attardent pas sur ses mensonges, l’exagération dont il fait preuve et ses propos outranciers, au mieux, parce qu’ils voient d’autres qualités chez lui, ou adhèrent à ses propos sexistes, racistes et démagogiques, au pire.

Sa rhétorique est-elle susceptible de causer des problèmes diplomatiques et/ou politiques dans le futur ?

Trump simplifie sa rhétorique comme tout populiste afin de se positionner comme proche du peuple, comme pouvant se mettre à son niveau, développant par là sa stratégie anti-establishment. Cependant, cette rhétorique pose déjà des problèmes sur le plan international.

A l’issue du G7, Merkel a appelé l’Europe à se prendre en mains en affirmant qu’il serait désormais de plus en plus difficile de compter sur les Etats-Unis. Le discours caricatural et égoïste du milliardaire sur des sujets tels que le terrorisme, le climat, le protectionnisme ou l’immigration a fragilisé un peu plus la crédibilité de Trump à l’international.

Au niveau national, le parti républicain – sous l’étiquette duquel il est devenu président – se montre de plus en plus circonspect quant à sa personnalité jusqu’au-boutiste et sa méconnaissance des dossiers. Trump inquiète sur plusieurs thèmes dont la santé, la fiscalité, la dette fédérale, entre autres.

Dans son pays, Trump est très impopulaire, ce n’est donc pas uniquement grâce à sa communication qu’il a gagné. Le phénomène Trump n’est qu’un exemple des tentations populistes qui existent dans de nombreux pays occidentaux.

Trump président : l’Europe au défi

Wed, 24/05/2017 - 10:35

Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS, répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux 9e Entretiens européens d’Enghien organisés par l’IRIS et la Ville d’Enghien-les-Bains le 20 mai 2017 :
– En quoi le multilatéralisme représente-t-il un défi pour Donald Trump ?
– Comment se définit la ligne de politique étrangère menée par Donald Trump ?
– Avec la venue prochaine de Trump sur le continent, comme l’Union européenne doit-elle réagir ?

Réception de Poutine : Macron s’inscrit dans la ligne gaullo-miterrandiste

Tue, 23/05/2017 - 19:31

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Pour Macron, un escalier géopolitique à trois marches : l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique !

Mon, 22/05/2017 - 17:38

L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République suscite beaucoup d’attentes à l’international, preuve en est que la France reste un grand pays pour de nombreux observateurs étrangers. Cette élection constitue également une promesse. Le renouvellement générationnel, que ce président incarne, explique en partie cet enthousiasme. Il faut aussi reconnaître ses positions courageuses en matière de politique extérieure, quelque peu dissonantes par rapport aux tendances du moment. En plaidant pour une ouverture sur les autres, pour les opportunités que la mondialisation des échanges propose, et pour une profonde conviction européenne, le nouvel entrant à l’Élysée a mené une campagne clairvoyante sur ces lignes directrices qui nourrissent l’action de la France à l’international.

Sans nier les difficultés actuelles dans l’hexagone et sur le continent, ni celles d’un monde où tout s’accélère et dans lequel les inégalités s’accroissent, Emmanuel Macron arrive au pouvoir en affichant beaucoup de convictions sur les atouts de la France. Cela n’est sans doute pas mauvais pour le moral des Français, habitués aux alertes des « déclinologues » ces dernières années. C’est aussi générateur d’attentes à l’étranger.

Bien qu’elles ne doivent pas être exclusives et contraignantes pour une action globale, trois perspectives se combinent à nos portes et peuvent être considérées comme les trois marches d’une vision stratégique pour ce quinquennat. Emmanuel Macron, l’européen, doit aussi être méditerranéen et africain. Pour la France, c’est le triple horizon stratégique de sa politique étrangère.

L’Europe, la première marche

Le président n’a jamais manqué de souligner son attachement à la construction européenne et sa volonté de refonder des dynamiques de confiance ayant permis par le passé aux États du continent de se solidariser autour de secteurs clefs. Emmanuel Macron sait très bien qu’une telle relance politique en Europe passe en partie par l’efficacité du couple franco-allemand. Ce n’est pas un hasard si son premier déplacement à l’étranger fut à Berlin, le 15 mai, dès le lendemain de sa prise de fonction. L’idée est belle et bien d’agir sans attendre la fin de la phase d’apprivoisement mutuel qui caractérise souvent la relation franco-allemande quand s’installe un nouveau dirigeant. La composition du gouvernement témoigne par ailleurs d’un ancrage européen et d’une propension germanophile qui n’a pas échappé aux partenaires d’outre-Rhin.

Alors évidemment, il convient de ne pas se perdre en conjecture ! L’Europe n’est pas dans un état de forme olympique. Ni sur le plan politique, ni sur le plan socio-économique. L’’actuel président de la Commission européenne ne cesse de pointer une situation de « polycrise », tant les problèmes s’amoncèlent. Finances, dérives nationalistes ou populistes, Brexit, tensions migratoires, inconnues stratégiques dans le voisinage de l’Europe… Le président français ne saurait ignorer ces enjeux. Mais pour les traiter avec discernement, faut-il sombrer dans le pessimisme et préconiser la paralysie ? L’Europe s’est construite dans des moments de crise ou lorsque les virages de l’Histoire l’ont poussée vers l’avant. Afin de redonner de l’élan collectif, il importe pour la France d’avoir un dialogue constructif avec Berlin. C’est en agissant de concert que les deux pays pourront convaincre les autres États membres, à travers une approche fondée sur le dialogue et la recherche de solutions.

Pour rassurer les opinions sur le rôle de l’Europe et pour montrer que la protection des populations est plus grande à l’échelle européenne, il faut des actes concrets rendus possibles par des projets de long-terme. Cesser de changer les règles et les politiques si souvent, fédérer sur des secteurs clefs, raviver l’esprit de la construction européenne pour en faire l’horizon mobilisateur : ces chantiers sont complexes mais sans aucun doute essentiels si l’Europe veut retrouver du souffle. Dans le dossier du Brexit par exemple, Londres doit-elle seule fixer le tempo ? Dans celui de la défense européenne, faut-il attendre les annonces de Washington pour bâtir un système moins dépendant de la puissance américaine ? Et puis, autre exemple, n’est-il pas opportun d’explorer davantage les avantages d’un scénario où l’Europe ne ferait pas tout, opérant donc uniquement sur des questions stratégiques continentales et sans chercher à normer certains détails de la vie ordinaire des populations ? Quand les procédures et le court-termisme dominent le paysage au détriment des idées et des stratégies, l’Europe ne construit pas : elle avance à reculons comme une écrevisse. Tout objectif de refondation passe nécessairement par une projection de long-terme. Pour se remettre en mouvement, l’Europe doit savoir où se diriger. Emmanuel Macron doit contribuer à réorienter cette boussole rouillée.

La Méditerranée, la seconde marche

La priorité de politique étrangère de la France, c’est l’Europe. Et celle-ci doit d’abord et avant tout se concentrer sur sa cohésion, sa construction et son projet intérieur. Mais l’Europe ne saurait tourner le dos à la Méditerranée. Ce voisinage méridional s’avère prioritaire sur tout autre région du monde : les défis y sont immenses, connus et imbriqués. Cessons de ne pas vouloir regarder les réalités en face : une Méditerranée turbulente constitue un handicap majeur sur le parcours de la refondation européenne. Mais les dénouements ne sont ni dans la fermeture avec des murs, ni dans le vœu pieux d’une union de la Méditerranée. Dix ans après le sommet de Paris qui en avait formulé l’hypothèse, le panorama régional s’est profondément transformé. Pire, il s’est dégradé. Le multilatéralisme en Méditerranée ne fonctionne que sur des initiatives concrètes, adaptées aux besoins réels des populations ou capables de rassembler les États riverains sur des enjeux devenus si complexes que seules des réponses collectives pèsent véritablement. Dans ce registre se trouvent notamment les questions du climat, de l’eau, de la sécurité alimentaire, des infrastructures, sans oublier l’emploi, notamment des jeunes. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir déserter les rivages méditerranéens, du Sud comme du Nord, à la recherche d’un avenir meilleur.

L’Europe, dans sa politique de voisinage en direction de la Méditerranée, va devoir faire des choix thématiques et ne plus chercher à tout traiter. Les ressources budgétaires sont limitées. Par ailleurs, certains dossiers ne peuvent être appréhendés sans tenir compte des jeux de puissance qui dépassent de loin les acteurs européens. Sur la guerre en Syrie, dans le conflit israélo-palestinien ou la gestion des instabilités au Sahel, l’Europe, et encore moins la France, ne peuvent agir isolément. Mais elles doivent prendre part à cette responsabilité collective qui consiste à trouver des solutions pour faire baisser la température au thermomètre des tensions qui traversent cette vaste région. Cela ne signifie pas pour autant un suivisme aveuglant sur les politiques américaines. L’Europe et la France, comme cela avait été fait dans la décennie 1990, ont vraisemblablement des atouts à faire valoir pour différencier leur stratégie dans la zone des autres grandes puissances et apparaître comme des partenaires crédibles aux yeux des pays nord-africains et proche-orientaux.

La France, attendue comme locomotive dans les initiatives de l’Europe en Méditerranée, serait fort inspirée de préparer ces prochains mois un agenda post-2020 pour concentrer les actions de la décennie à venir autour de quelques sujets phares. Cela passe par plus de cohésion dans les positions européennes en direction de la région et plus de synergies entre le déclamatoire et l’action. Un seul exemple de cohérence à trouver : maximiser le soutien aux pays qui réforment et qui progressent en matière de transition démocratique. Pour se refonder, l’Europe doit espérer des progrès en matière de stabilité, de croissance et de dialogue respectueux dans son voisinage méditerranéen. Emmanuel Macron doit contribuer à donner de la visibilité et des moyens à tous ceux qui, de la société civile aux institutions, en passant par les entreprises et les scientifiques, œuvrent pour une Méditerranée positive et ouverte.

L’Afrique, la troisième marche

Après la priorité européenne et la nécessité méditerranéenne, comment ne pas se projeter sur le défi africain ? C’est la troisième marche de cet escalier géopolitique que le président de la République peut gravir tout au long de ce quinquennat. En se rendant au Mali pour son premier voyage extra-communautaire, Emmanuel Macron n’a pas simplement rappelé que la France était engagée militairement dans les affaires sahélo-sahariennes pour contrer la menace djihadiste. Le message est aussi celui d’une perspective stratégique dans laquelle le prisme sécuritaire est à considérer à l’aune des enjeux de développement sur le continent. « Les Afriques » sont en ébullition : beaucoup de zones en difficulté, peu d’espaces de prospérité et de stabilité. La révolution démographique tarde dans certains pays à se mettre en œuvre. Ce sont deux milliards d’habitants qui sont attendus en 2050, soit un décuplement de la population depuis 1950 ! La croissance économique est disparate et insuffisante. Produire plus mais mieux : les pays africains, sur de nombreux secteurs – à commencer par l’agriculture -, doivent à la fois augmenter leurs rendements, veiller aux empreintes sur l’environnement et adopter les nouveaux outils numériques. Quatre révolutions simultanées à mener donc, pour proposer des trajectoires de développement propices à la sécurité, à l’emploi et à la viabilité sur le continent.

Dans une communication récente (avril 2017), l’Europe a défini les grands axes pour donner un « nouvel élan » au partenariat avec l’Afrique. Peu commenté, ce document mérite l’attention. Il est intéressant d’observer notamment l’évolution du curseur sur la question migratoire. Pour atténuer les mobilités de détresse vers l’Europe, l’approche n’est pas de barricader le Vieux-continent aux flux de migrants qui traversent la Méditerranée (quand bien même l’idée n’est pas non plus d’ouvrir toutes grandes les portes !) ; mais d’investir sur les territoires ruraux, les secteurs agricoles et halieutiques, la formation professionnelle, l’organisation des filières de production à même de créer de la valeur ajoutée sur place et donc de l’emploi… Pour renforcer la résilience sociétale en Afrique, comme en Méditerranée, l’Europe et la France seraient en effet bien mieux inspirées de miser sur ces enjeux de développement local que d’axer la coopération sécuritaire sous le seul angle militaire. Il en faut, mais cela doit se conjuguer avec des initiatives en faveur de la sécurité humaine. D’ailleurs, ce sont aussi ces éléments qui nourrissent de plus en plus les réflexions stratégiques de l’Allemagne vis-à-vis du continent africain, comme cela est actuellement exprimé dans le cadre de leur présidence du G20.

Pour se refonder, l’Europe doit penser à l’Afrique en termes de risques et d’opportunités. Ne pas nier les problématiques et les vulnérabilités, mais ne pas non plus ignorer la responsabilité de contribuer à apporter plus de stabilité et plus de perspectives d’avenir à ces populations africaines, dont le destin géopolitique ne saurait être celui de la migration forcée. D’innombrables initiatives en Afrique émergent. D’immenses progrès se réalisent. Des talents multiples s’activent pour développer le continent. Ces dynamiques positives doivent être soutenues pour cesser de regarder l’Afrique avec l’unique crainte de la voir exploser.

Réélection d’Hassan Rohani, entre politique d’ouverture et incertitudes internationales

Mon, 22/05/2017 - 14:32

Samedi en Iran, Hassan Rohani a été réélu dès le premier tour avec environ 57% des voix et une forte participation. L’analyse de Thierry Coville, chercheur à l’IRIS.

Cette victoire dès le premier tour avec une forte participation est-elle révélatrice d’une adhésion massive de la société iranienne à la politique d’ouverture de Rohani ? Comment expliquer l’échec des conservateurs ?

La réélection de Rohani dès le premier tour avec un très fort taux de participation révèle deux choses. Tout d’abord, qu’il existe une adhésion à sa politique. Une part de la population iranienne reconnaît en effet que Rohani est un modéré et qu’il reprend clairement à son compte le programme des réformateurs, existant depuis la fin des années 1990, notamment lorsqu’il parle de défense des libertés individuelles, des droits des femmes, et d’ouverture culturelle et politique. Néanmoins, cette réélection révèle aussi – en particulier de la part des jeunes iraniens des grandes villes – un vote contre les ultras conservateurs. La société veut éviter l’arrivée des radicaux au pouvoir, qu’elle considèrerait comme un retour en arrière.

Pour expliquer l’échec des radicaux, on ne met pas assez en avant le fait qu’ils ont beaucoup souffert de la période de Mahmoud Ahmadinejad. Une partie de la population iranienne associe les radicaux à l’ancien président, que ce soit en termes de populisme économique et de polarisation de la société, de répression forte, ainsi que de tensions maximales avec le reste du monde. Le camp des radicaux a maintenant du mal à faire disparaître ce lien de la tête des Iraniens et ce refus de revenir à la période Ahmadinejad s’exprime notamment au sein des classes moyennes et aisées.

L’échec des ultras conservateurs peut aussi s’expliquer par des éléments sociologiques. La population iranienne devient de plus en plus moderne, urbaine et éduquée. Elle ne se reconnaît donc pas dans le discours ultra d’Ebrahim Raïssi, qui énonçait de façon assez populiste qu’il allait tripler les subventions pour les plus pauvres ou créer des emplois sans vraiment expliquer comment. Le discours de Raïssi était également méfiant envers l’étranger, déclarant qu’il fallait être plus dur en comparaison avec le gouvernement Rohani jugé trop « gentil ». La population iranienne ne se reconnaît plus dans ce discours et demande plutôt une ouverture politique et économique, un Iran « normalisé » et « moderne » avec un État de droit. La défense des libertés individuelles tient notamment à cœur aux Iraniens, dont la défense par Rohani a beaucoup joué dans sa réélection. Au contraire, Raïssi était mal à l’aise et n’a jamais répondu directement aux critiques de Rohani sur ce sujet car il sait très bien que son camp refuse absolument toute ouverture politique et culturelle.

À quels défis Rohani va-t-il devoir faire face sur le plan intérieur ?

Le défi économique est prioritaire et Rohani a notamment été mis en question sur ce sujet. Il ne faut pas oublier que 40% des Iraniens ont tout de même voté pour Raïssi et si Rohani était resté sur le terrain économique, le résultat de l’élection aurait sans doute été différent. Alors qu’existe un mécontentement au sujet de la corruption et des inégalités, le président réélu doit aussi parvenir à diminuer le taux de chômage dans le pays. L’économie iranienne a besoin de stabilité et Rohani doit mettre en place des conditions économiques qui permettent de faire face aux évolutions démographiques environ 700 000 personnes arrivent chaque année sur le marché du travail iranien.

Deux grands chantiers attendent Rohani. Le premier est la privatisation : le secteur privé doit prendre davantage d’importance dans le pays et l’État de droit doit assurer une meilleure justice commerciale. C’est véritablement le secteur privé qui pourra créer les emplois car le public, qui contrôle 80% de l’économie, n’a plus vraiment les capacités de le faire. Cependant, cela pose problème du fait des intérêts rentiers existant dans le secteur public, notamment vis-à-vis des fondations qui refusent la privatisation.

Le deuxième grand chantier consiste à attirer davantage d’investissements étrangers pour permettre l’ouverture de l’économie iranienne et des transferts de technologies, afin d’améliorer la compétitivité des secteurs non-pétroliers et pétroliers. On voit là le lien entre la politique extérieure et la politique économique iranienne : plus les tensions extérieures diminueront, plus il sera facile d’attirer les investissements étrangers. La question des sanctions reste aussi posée, notamment celles américaines qui continuent à paralyser le pays. Les grandes banques européennes refusent toujours d’intervenir en Iran et tant que ce sera le cas, on voit mal comment le pays pourra attirer des investissements étrangers.

D’autres chantiers sont aussi importants et portent les attentes de la population. L’ouverture politique par exemple importe la société iranienne, qui attend notamment la libération des deux leaders réformateurs, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi. Le président ne contrôle certes pas le judiciaire mais on peut noter que, comme par hasard, des opposants emprisonnés il y a quelques semaines viennent d’être libérés. La question de défense des droits des femmes est aussi un sujet central. Certes, des femmes ont obtenu des postes importants dans l’administration régionale mais il faut que Rohani poursuive ces efforts. Enfin, l’ouverture culturelle est aussi un enjeu et il n’est pas anecdotique que des concerts aient été interdits par les durs.

En visite à Riyad, Donald Trump a appelé les pays arabes à « isoler l’Iran ». Comment se profile la relation entre Washington et Téhéran pour le deuxième mandat de Rohani ?

La relation entre Trump et Téhéran semble plutôt mal partie… L’accord sur le nucléaire avait été possible grâce à deux présidents – Barack Obama et Hassan Rohani – prêts à négocier. Or, aujourd’hui, Donal Trump recycle la littérature des années 1960 du danger communiste, maintenant incarné par le terrorisme iranien et la diabolisation de Téhéran, qui serait responsable de tous les problèmes du Moyen-Orient. Rohani et son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, sont prêts à négocier mais tant que Trump ne sera pas sur cette ligne, il leur sera difficile de pouvoir faire avancer les choses. D’autant plus que les durs en Iran reprochent à Rohani d’avoir fait trop de concessions sur l’accord sur le nucléaire.

Rohani a promis de faire lever le régime des sanctions, ce qui impliquerait des négociations avec les États-Unis. Mais comment le président iranien va-t-il essayer de négocier avec Washington et faire lever les sanctions ? Rohani n’est pas le seul à décider en Iran et il faut aussi prendre en compte le guide, qui ne va sans doute pas laisser une marge de manœuvre totale au président. Côté états-unien, Trump va-t-il continuer sur sa politique en dépit de la réélection de Rohani ? On peut espérer qu’à Washington, des experts davantage pragmatiques mettront fin au discours caricatural envers l’Iran. Les discours américains néo-conservateurs au Moyen-Orient et en Iran dans les années 2000 n’avaient fait que renforcer le camp des durs à Téhéran et augmenter les tensions ; on voit donc mal quels sont les bénéfices que retirera Trump à moyen-terme de cette politique de la tension.

Sylvie Goulard à la tête du ministère des Armées ou la multiplication des symboles de la nouvelle présidence française

Mon, 22/05/2017 - 12:00

Le choix de remplacer Jean-Yves Le Drian – qui rejoint le Quai d’Orsay – par une européiste convaincue à la tête de ce ministère régalien, ainsi que le changement de nom de ce dernier, laissent entrevoir des éléments de compréhension de la politique qu’entend mener Emmanuel Macron en matière de défense. Le nouveau président de la République use de symboles marquants en ce début de quinquennat.

Pour une relance de l’Europe de la défense

Sylvie Goulard hérite donc du portefeuille de la Défense. Il s’agit de la deuxième fois dans l’histoire qu’une femme prend la tête de ce ministère – après Michelle Alliot Marie entre 2002 et 2007.

Juriste de formation, Sylvie Goulard a été élue en 2009 et réélue en 2014 au Parlement européen.  Véritable fer de lance d’Emmanuel Macron sur les questions européennes tout au long de sa campagne présidentielle[1], elle fut auparavant conseillère de Romano Prodi lorsque ce dernier était à la tête de la Commission européenne (2001-2004). Mais la nouvelle ministre des Armées possède aussi une expérience de l’Allemagne. Elle a fait partie de l’équipe de négociateurs français lors de la réunification de l’Allemagne, avant de retourner au service de la prospective du ministère des Affaires étrangères en charge des questions européennes. C’est à ce poste qu’elle noua de nouveaux liens avec ses homologues allemands. Un atout qui a très certainement orienté le choix du nouveau président de la République, soucieux de renouer un lien fort avec l’Allemagne.

Cette nomination vient confirmer l’orientation européenne que veut impulser Emmanuel Macron. Et pour cause, la construction et la consolidation d’une défense européenne est l’une des mesures phare proposée par le nouveau président, objectif défendu durant sa campagne présidentielle. Dans son programme, on peut retrouver ainsi sa volonté d’agir pour une Europe de la défense qu’il qualifie « d’indispensable »[2].

De plus, Emmanuel Macron doit probablement estimer que la France – tout comme les autres États européens désireux d’avancer en la matière – bénéficie d’une fenêtre d’opportunité. L’élection de Donald Trump et le changement de comportement de l’administration américaine sur la scène internationale doit pouvoir permettre à l’Union européenne d’utiliser activement les outils législatifs et institutionnels dont elle dispose pour permettre le développement d’une base de défense européenne solide.

Au cœur de ce projet, le couple franco-allemand, qu’Emmanuel Macron entend mettre au premier plan, pourrait être un élément moteur. Sa première visite officielle extérieure à Berlin pour rencontrer la Chancelière Angela Merkel, au lendemain de son investiture officielle à l’Elysée en est le symbole.

De la « Défense » aux « Armées » : une rhétorique symbolique

Deuxième symbole important dans cette nomination, la rebaptisation du ministère de la Défense en ministère des Armées. Ce changement peut s’interpréter de deux manières différentes, toutes deux complémentaires.

Tout d’abord, de par la Constitution, le président de la République est chef des armées (article 15). Cela peut donc montrer la volonté affichée d’Emmanuel Macron de son rôle prééminant dans la détermination de la politique de défense de la France.

Cela fait aussi référence à l’histoire de ce ministère. En effet, celui-ci a pris dans le passé une seule fois cette dénomination, quand le général de Gaulle fut président de la République de 1958 et 1969. Ce n’est qu’à partir de la présidence de Georges Pompidou que le ministère prendra le nom de ministère de la Défense nationale, même si l’appellation « ministre des Armées » refera brièvement son apparition sous le gouvernement de Pierre Messmer (1972-1974). La dénomination de ministère de la Défense, qui a donc prévalu jusqu’à cette année, sera adoptée à partir de la présidence de Valery Giscard d’Estaing en 1974.

Il s’agit ensuite de redonner un positionnement majeur aux forces armées. Cette nouvelle appellation porte avec elle l’idée que le soldat doit être au cœur des problématiques de défense. D’abord parce que les forces armées françaises sont aujourd’hui pleinement engagées à travers le monde et sur différents théâtres d’opérations : bande sahélo-saharienne, lutte contre Daech en Irak, en Syrie dans le cadre de l’opération Chammal, présence de bâtiments de la Marine nationale sur plusieurs mers du monde, ainsi que sur notre territoire avec l’opération Sentinelle. Ensuite, parce que la condition des militaires est aujourd’hui affectée par cette activité intense ou par les difficultés des familles de soldats à s’adapter à des carrières caractérisées par des mutations fréquentes. À sa manière, le nouveau président souhaite leur montrer que la République veillera à leur condition durant les cinq années qui viennent.

Et cela n’est pas le fruit du hasard si le jour même de son investiture officielle, Emmanuel Macron s’est rendu au chevet de soldats blessés à l’hôpital militaire de Percy à Clamart, après avoir fait la promesse que son premier déplacement irait en direction des forces armées françaises.

Depuis son accession à la tête de l’État, Emmanuel Macron multiplie les gestes symboliques. Reste à voir maintenant comment les signaux forts qui sont donnés – engagement européen, attention accrue au sort des militaires – se traduiront concrètement dans les mois qui viennent.

[1] Sylvie Goulard a rejoint le mouvement En Marche ! en 2016 pour militer aux côtés d’Emmanuel Macron.
[2] Il s’agit de l’objectif n°2 du programme de défense porté par Emmanuel Macron pour la présidentielle 2017, et son mouvement En Marche ! https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/defense

« Un chant d’amour : Israël-Palestine, une histoire française » – 4 questions à Alain Gresh & Hélène Aldeguer

Mon, 22/05/2017 - 11:24

Alain Gresh, spécialiste du Proche-Orient, est directeur d’Orient XXI. Hélène Aldeguer, dessinatrice, illustre les articles de la rubrique « Va comprendre » d’Orient XXI. Ils répondent à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Un chant d’amour : Israël-Palestine, une histoire française », aux éditions La Découverte.

Pourquoi avoir choisi la bande-dessinée pour vous exprimer ?

Il s’agit d’abord de toucher un public nouveau, différent. Avec la bande-dessinée, on emmène le lecteur dans un récit vivant, en mettant en scène l’Histoire et en donnant la parole à la société française pour transmettre des émotions et une atmosphère. Utiliser cette forme de narration, c’est aussi rendre compte que l’image a nourri cette « passion française ». Nous montrons comment les personnages, qu’ils soient des politiques, des diplomates, des intellectuel-le-s, des journalistes ou des manifestant-e-s ont été bousculés par des photos et des vidéos qui sont à l’origine de débats, de scandales, de revirements d’opinions – des images du siège de Beyrouth en 1982 à celle prises par l’équipe de Charles Enderlin de la mort du petit Mohammed Al-Doura, en passant par celles de la première Intifada…

Pour scénariser 50 ans d’Histoire en seulement 192 pages dessinées, nous avons joué avec le gaufrier pour rythmer le récit, en rompant sa linéarité par des illustrations pleine page. Dans le livre, des faits méconnus ou oubliés sont mis en avant, parfois de façon spectaculaire : ainsi la Une de France-Soir, au matin du 5 juin 1967, annonçant « Les Egyptiens attaquent Israël » – alors que c’est le contraire qui s’est produit – ou l’illustration quelques pages plus loin des Palestiniens expulsés par Israël durant la guerre de 1967, alors invisibles dans la presse française. On prend ainsi conscience du parti pris des médias à l’époque.

Lorsque le général de Gaulle rompt avec Israël en 1967, il doit affronter la presse et l’opinion publique, très hostiles à sa décision. Pouvez-vous développer ?

Contre l’ensemble de la classe politique (à l’exception des communistes), contre nombre de gaullistes, contre les médias, le général de Gaulle va condamner l’attaque israélienne de juin 1967 contre les pays arabes. Il n’agit pas par hostilité à Israël, encore moins par antisémitisme. Non seulement il a une grande admiration pour les réalisations du mouvement sioniste – on rappelle ses échanges épistolaires avec Ben Gourion – mais il a continué, malgré l’embargo sur les armes décrété en 1967, à fournir jusqu’en 1969 les pièces de rechange indispensables à l’aviation israélienne. Ce que de Gaulle condamne, c’est le pays qui a pris la responsabilité de déclencher les hostilités car il comprend les conséquences dramatiques de cette agression pour la région. Il faut relire son avertissement lors de sa fameuse conférence de presse de novembre 1967 : « Maintenant, Israël organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation, qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste une résistance qu’à son tour il qualifie de terroriste. » La ligne fixée par de Gaulle pour la politique française va se maintenir jusqu’à la signature des accords d’Oslo en 1993, ce qui confirme le côté visionnaire de ses positions.

D’où vient l’importance prise par le CRIF (Conseil représentatif des Institutions juives de France) dans le paysage politique français, quasiment inexistante en 1967 ?

Plusieurs facteurs ont joué. D’abord, l’arrivée d’une vague de juifs d’Afrique du Nord qui a profondément renouvelé la communauté (il faudrait plutôt utiliser ce terme au pluriel) juive française. Ensuite, une redécouverte (que l’on constate à travers le monde) de l’identité juive, notamment après la guerre de 1967, souvent identifiée à la solidarité avec Israël. Ces évolutions ont poussé un CRIF, jusque-là plutôt discret, à s’affirmer sur la scène publique à la fin des années 1970, notamment en faisant de la solidarité avec Israël un des piliers essentiels de son action. Enfin, il faut insister sur les ingérences israéliennes. On en donne plusieurs exemples dans la BD : par exemple, comment un diplomate israélien a contribué à la naissance du mouvement Renouveau juif à partir de 1980, dont un des objectifs était de lutter contre une invitation de Yasser Arafat à Paris. Aucun pays étranger n’intervient autant sur la scène française. C’est le gouvernement français, dans une déclaration rédigée personnellement par de Gaulle en janvier 1969 qui notait : « Il est remarquable, et il a été remarqué, que les influences israéliennes se font sentir d’une certaine façon dans les milieux de l’information ». Mais c’était une autre époque, aucun responsable français n’oserait aujourd’hui tenir de tels propos.

Comment expliquer l’histoire d’amour entre la France et Israël qui survit à tous les drames stratégiques, même la présence forte de l’extrême droite au sein du gouvernement israélien ?

C ‘est effectivement stupéfiant. Le président français François Hollande, lors d’un dîner à Jérusalem en novembre 2013 avec le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, a déclaré vouloir déclamer « un chant d’amour pour Israël et pour ses dirigeants ». D’où le titre de notre bande dessinée. On se croit revenu au temps de l’alliance de 1956 entre la vieille SFIO et le parti travailliste israélien dans la pitoyable aventure de la guerre de Suez, celle qui a suivi la nationalisation par Nasser de la compagnie du canal le 26 juillet 1956. Au moins, à l’époque, le parti travailliste se réclamait de la gauche !

Il faut inscrire cette évolution, qui remonte au milieu des années 2000, dans le cadre du rapprochement de la France avec les États-Unis et l’OTAN, porté par la conviction qu’Israël est son allié dans la lutte contre le terrorisme et l’islamisme. À droite comme au Parti socialiste, Paris a abandonné l’idée d’une politique autonome de la France à l’égard de Washington.

Notre BD met en lumière un « tournant silencieux » de la diplomatie française sur le Proche-Orient ces dix dernières années. En principe, rien n’a changé : la France reste favorable à la création d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël et elle condamne la colonisation. Mais Paris s’est engagé dans un resserrement des relations bilatérales avec Tel-Aviv, quelle que soit la politique israélienne à l’égard des Palestiniens.

Paris a abandonné le rôle d’avant-garde sur le dossier diplomatique tenu dans les années 1980 : c’est la France qui avait promu, contre les États-Unis, Israël et une partie des pays européens, l’acceptation des principes qui fondent le droit international : le droit à l’autodétermination pour les Palestiniens, la nécessité de négocier avec l’OLP. Depuis les accords d’Oslo, la France (et l’Union européenne) se contente de financer l’Autorité palestinienne et laisse la diplomatie aux mains des États-Unis. Or, on sait que ces derniers sont tout sauf un médiateur impartial. Paris se borne à demander la reprise des négociations entre l’OLP et Israël, en « oubliant » que l’on n’a pas face à face deux interlocuteurs égaux, mais un occupant et un occupé.

Sarkozy affirmait, au lendemain de son élection en 2007, que le rapprochement avec Israël permettrait à Paris de peser sur la politique de Tel-Aviv. Au moins lui, à la fin de son mandat, reconnaîtra qu’il s’était trompé et expliqua au président Obama que Netanyahou était « un menteur ». Rien d’équivalent chez Hollande à l’issue de son mandat ! Il faut aussi constater que c’est sous sa présidence que le gouvernement a accentué sa campagne assimilant antisionisme et antisémitisme et confirmé sa volonté de criminaliser le mouvement pacifique de boycott d’Israël.

La réélection de Rohani « change le rapport de forces en sa faveur »

Mon, 22/05/2017 - 09:53

Quelles sont les attentes des électeurs qui ont choisi de réélire Hassan Rohani ?

Les attentes sont énormes. Il y a actuellement beaucoup de problèmes économiques et sociaux dans le pays et notamment la question du chômage chez les jeunes entre 15 et 24 ans (le taux de chômage des jeunes sur cette tranche d’âge s’élevait à 27,8 % au printemps 2016). Cela peut expliquer en partie le score obtenu. Il symbolise également le souhait de la population envers M. Rohani de continuer sa politique d’ouverture vers l’Occident avec une démarche plus conciliante et plus diplomatique à son égard. Entre autres, l’accord sur le nucléaire a contribué à améliorer la situation du pays. Le peuple place aussi beaucoup d’espoirs dans la défense des droits de l’homme, des libertés individuelles et de l’ouverture culturelle.

Dans quelle mesure pourra-t-il gouverner librement sous la coupe du guide suprême ?

Cette élection va laisser des traces puisqu’elle change le rapport de forces en faveur de Hassan Rohani. Il a été très offensif à l’égard du guide suprême durant la campagne, ce qui a même surpris ses propres partisans. Les Iraniens croient fortement au pouvoir du vote et Rohani sait qu’il ne pourra pas décevoir. Il a placé la barre très haut pendant la campagne et si rien ne change, cela pourrait même remettre en question la stabilité de l’Iran. Or la situation est compliquée. Le guide suprême a toujours beaucoup de pouvoir et garde la mainmise sur le judiciaire et le militaire. Les radicaux ont cependant conscience de l’état de la société et savent qu’il faut lâcher du lest, sinon ils risquent d’engendrer de la colère chez les jeunes. Rohani va donc devoir jouer de ce rapport de force, tout en étant obligé de composer et négocier pour gouverner afin de montrer sa capacité à réformer.

Quelles sont les leçons politiques à tirer du résultat du scrutin pour le camp conservateur ?

C’est une défaite cuisante pour les radicaux, qui s’ajoute à celle des législatives de 2016. Il n’est pas possible de nier l’importance du résultat du scrutin. Malgré la mobilisation du guide suprême ou encore de la chaîne de télévision nationale en faveur d’un populisme total, cela n’a séduit que les populations rurales et les moins éduquées. Ce vote montre notamment les traces qu’a laissées Mahmoud Ahmadinejad derrière lui. Les conservateurs sont automatiquement associés à lui. La population se méfie particulièrement de leur programme en matière de libertés individuelles. Mais les radicaux n’ont pas l’intention de capituler. Il faut donc rester prudent, car en dépit de leur défaite, ils contrôlent toujours plusieurs pans du pouvoir iranien.

Paris 2024 : À nous la victoire ?

Fri, 19/05/2017 - 16:15

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Le chef de l’État intérimaire, Michel Temer, accusé de corruption : où va le Brésil ?

Fri, 19/05/2017 - 15:56

Suite à la révélation de corruption accusant le président brésilien Michel Temer, oppositions, grande presse et bourse réclament sa démission. L’analyse de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

Ce scandale pourrait-il mener à la destitution ou à la démission du président Michel Temer ? Quelle serait alors l’alternative politique envisageable ?

Les faits reprochés au président pourraient effectivement le conduire à démissionner. À la suite de révélations similaires, le sénateur et président du Parti social-démocrate brésilien (PSDB) – candidat malheureux aux présidentielles de 2014 -, Aecio Neves, vient de se voir retirer son mandat de sénateur. Il a en conséquence démissionné et remis à disposition du PSDB sa charge de président du parti. Sa principale collaboratrice – qui se trouve être sa sœur – est actuellement en prison. Ainsi, pour le même type d’accusation, ce sénateur a été contraint de s’écarter du jeu politique.

Le cas du président Michel Temer est certes différent. En tant que président de la République, il bénéficie d’un statut judiciaire particulier – comme dans d’autres pays. Cela étant, compte-tenu de l’ampleur du scandale, combien de temps va-t-il pouvoir résister ? Déjà une demi-douzaine de demandes de destitution ont été présentées à la justice brésilienne par des parlementaires. Beaucoup d’élus considèrent que la meilleure solution serait que le président présente volontairement sa démission. Néanmoins, si effectivement sous la pression des élus, de la presse – en particulier du groupe Globo, dont le rôle avait déjà été très important en 2016 pour la destitution de Dilma Rousseff – de la bourse et de la rue, Michel Temer démissionnait, une grande inconnue demeurerait : dans quelles conditions le Brésil pourrait-il être dirigé jusqu’aux prochaines élections d’octobre 2018 ? La Constitution prévoit l’organisation d’élections pour suppléer la vacance au sommet de l’État survenue durant les deux premières années d’un mandat présidentiel. Ce délai étant dépassé, c’est au vice-président d’assurer la fin du mandat. Le pays est déjà dans ce cas de figure puisque l’an dernier, la présidente Dilma Rousseff, élue en 2014, a été écartée du pouvoir par un coup d’État parlementaire dont les motivations strictement politiques n’ont rien à voir avec des scandales de corruption – contrairement à ce que disent souvent les médias français. La Constitution ne prévoit pour une nouvelle relève en fin de mandat présidentiel qu’une seule option : l’élection de l’éventuel successeur du chef de l’État, ou du vice-président intérimaire, par un candidat élu par les parlementaires. Or, quand on connaît l’état politique et éthique du Parlement élu en 2014, il est difficile de penser que cette solution serait acceptée comme satisfaisante par les Brésiliens.

La destitution constitutionnelle, au cas où le président refuserait de démissionner, suppose la mise en œuvre d’une procédure initiée par les élus. Dilma Rousseff avait été instruite par une commission d’enquête créée avec l’aval et les encouragements du président du Congrès de l’époque, Eduardo Cunha, actuellement emprisonné pour corruption. Celui-ci, avec une majorité d’élus eux-mêmes accusés de corruption, avaient écarté la présidente en détournant les dispositifs requis par la Constitution. Cette dernière ne prévoit une relève présidentielle que dans le cas où une violation grave de la Constitution et de la morale publique était constatée. Ce cas de figure pourrait être appliqué avec pertinence pour destituer Michel Temer. Mais cette voie apparait peu crédible compte tenu du sinistre moral, politique et économique ambiant, de même que du discrédit du Parlement et des élus.

En quoi la corruption représente-t-elle un sujet particulièrement sensible au Brésil ?

La corruption est un thème de débat sociétal et politique dans tous les pays se trouvant dans une situation socio-économique compliquée, ce qui est le cas du Brésil. Depuis le rétablissement de la démocratie dans le pays, le fonctionnement du système politique et des règles électorales pose des problèmes récurrents, politiques comme éthiques. Dans ce pays fédéral, le système électoral éclate la représentation partisane. Ainsi, depuis le rétablissement de la démocratie, tous les gouvernements ont été à majorité composite avec des têtes de file venant la plupart du temps du PSDB ou PT (les deux grands partis). Cependant, ces partis ont toujours été très minoritaires au Parlement et ont donc dû négocier avec cinq à dix autres formations, plus ou moins importantes. Bien souvent, des compensations sont exigées par ces alliés de circonstance, ce qui ouvre la voie à toute sorte d’abus et de fait, de corruption.

La réforme politique et électorale est un serpent de mer de la vie politique brésilienne. Tout le monde sait qu’il faudrait assainir la vie politique en modifiant le mode d’élection pour simplifier le fonctionnement de la vie partisane, ainsi que procéder à de profondes réformes institutionnelles. Néanmoins, aucun président n’a eu soit le courage d’affronter les petits partis du Congrès, soit n’a eu la capacité de pouvoir le faire. La crise de l’an dernier a été démonstrative de ces dysfonctionnements. Les députés politiques opposés au programme économique de Dilma Rousseff ont voté sa destitution, alors qu’ils étaient en théorie membres de sa majorité. Ils ont basculé de la majorité vers l’opposition du jour au lendemain, du fait de leur manque de « consistance » idéologique et morale. Dilma Rousseff a fait l’objet d’une manipulation parlementaire et politique visant à l’écarter du pouvoir pour changer de politique économique et sociale. Parallèlement, des collaborateurs des présidents Lula et Rousseff ont été mis en examen et condamnés pour des faits de corruption, relevant du mode de fonctionnement institutionnel brésilien, signalé supra.  L’ex-président Lula a fait l’objet de poursuites nombreuses, qui n’ont pas abouti mais qui se sont accentuées depuis l’an dernier.

Mais l’affaire actuelle, qui vise Michel Temer, l’ex-sénateur Aecio Neves, ainsi que leurs amis politiques du PMDB et du PSDB, a révélé qu’une fois lancée, la justice ne peut pas s’arrêter aux affaires concernant le seul PT : tout le système étant gangrené, de fil en aiguille tous les partis politiques sont aujourd’hui sur la sellette. On assiste, comme en Italie avec l’opération « Mani pulite », à l’explosion du système politique brésilien, ce qui pose trois sortes de problèmes. Le premier concerne la gouvernabilité du pays. Le deuxième a trait au devenir de la démocratie brésilienne. Le troisième concerne les conséquences sur le contexte économique déjà difficile dans lequel est plongé le pays depuis plusieurs années.

Un an après sa prise de fonction controversée, quel est le bilan global de la présidence Temer ? La multiplication des manifestations illustre-t-elle une crise politique et socio-économique d’une ampleur sans précédent dans le pays ?

Le président Temer est arrivé au pouvoir au terme d’un coup d’État parlementaire, alimenté par un certain nombre d’élus proches des milieux d’affaires et des medias dominants. Ceux-ci considéraient la politique suivie par Dilma Rousseff et le PT comme trop favorable aux catégories populaires, empêchant la mise en œuvre d’une autre politique économique, nécessaire au rétablissement « des grands équilibres ». Selon eux, le Brésil se devait de pratiquer une politique d’austérité, coupant dans les budgets sociaux et d’investissements et réorientée vers les États-Unis et l’Europe.

Conformément à cette orientation, Michel Temer a pris des mesures d’austérité. La plus spectaculaire a consisté à geler le budget de l’État fédéral pendant vingt ans au niveau de celui de 2016. Cela a provoqué des troubles et des revendications sociales, ainsi qu’un regain de popularité pour l’ex-président Lula. Ces mesures n’ont par ailleurs pas redressé la situation de l’économie. La croissance n’est toujours pas au rendez-vous, tandis que le chômage réel s’élève aujourd’hui à 24% de la population active, soit deux points de plus qu’en 2016. La crise que vivait le Brésil à l’époque de Dilma Rousseff, loin de s’atténuer, s’est donc approfondie. C’est peut-être l’une des clefs des révélations faites par le journal brésilien O Globo, qui avait aussi été à la manœuvre pour la destitution de Rousseff et que l’on retrouve en première ligne aujourd’hui. Les milieux d’affaires sont insatisfaits. Michel Temer n’a non seulement pas su redresser la situation économique mais il n’a pas réussi non plus à arrêter les processus judiciaires en cours, qui déstabilisent la plupart des grandes entreprises brésiliennes ayant donné de l’argent aux partis politiques. Le délateur à l’origine des déboires de Michel Temer n’est rien moins que Joesey Batista, le patron du numéro 1 mondial de la viande froide, JBS.

Peut-on concilier valeurs et diplomatie ?

Fri, 19/05/2017 - 10:41

Jean de Gliniasty est ancien diplomate, directeur de recherche à l’IRIS. Il répond à nos questions à propos de son ouvrage « La Diplomatie au péril des ‘valeurs’ : pourquoi nous avons eu tout faux avec Trump, Poutine et d’autres… », paru aux éditions L’Inventaire :
– En quoi la notion de « valeur » est-elle opposée à celle de « diplomatie » ?
– Comment expliquer qu’au nom d’intérêts commerciaux, des États puissent mettre de côté leur attachement à des valeurs ?
– Pourquoi malgré l’échec des États-Unis en Irak, la France tente toujours d’exporter des valeurs universelles à l’étranger ?
– En quoi la France a-t-elle « eu tout faux » avec Donald Trump et Vladimir Poutine ?

De Hollande à Macron, quelle politique pour la France en Asie ?

Thu, 18/05/2017 - 15:11

L’arrivée aux commandes du président de la République Emmanuel Macron, et de son Premier ministre Édouard Philippe correspond aussi à celle d’une nouvelle génération de dirigeants français face à l’Asie. Le rôle du nouveau ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui s’est rendu régulièrement en Asie pendant son quinquennat au ministère de la Défense, sera bien entendu essentiel.

Édouard Philippe a une pratique concrète – au niveau local – de la Chine. En tant que maire du Havre, ville portuaire tournée vers l’Atlantique mais aussi, par extension, les autres océans, le nouveau chef du gouvernement a pu développer des relations de haut niveau avec la Chine. Le Havre a ainsi accueilli à cinq reprises la convention d’affaires China-Europa, devenue entre 2006 et 2014 l’un des rendez-vous prisés des entreprises chinoises en Europe. Le maire du Havre s’est de son côté rendu à plusieurs reprises en Chine, notamment pour rencontrer le Premier ministre Li Keqiang en novembre 2013 à l’occasion d’une réunion Chine-UE sur les questions urbaines, et pour co-présider l’édition chinoise de la convention China-Europe dans la ville de Shenyang en septembre 2014.

Le « couple exécutif » Macron-Philippe prend la suite de François Hollande dont on se souvient en 2012 qu’il avait – grâce à son conseiller diplomatique d’alors, le sinologue Paul Jean-Ortiz – finement orchestré sa politique asiatique. Nommé sherpa pour les questions internationales alors qu’il avait effectué presque toute sa carrière en Asie, « PJO » avait pour acolyte à l’Élysée un certain Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint de la Présidence de la République en charge des questions économiques.
Parmi les réussites de Paul Jean-Ortiz, décédé en juillet 2014, la France était parvenue à établir des relations de confiance avec la plupart des pays asiatiques, et pas seulement la Chine (qui eut maille à partir avec Nicolas Sarkozy) et le Japon. Dès 2012, l’Asie du Sud-Est devient un objectif-clé pour l’Élysée. Sous le mandat de François Hollande, de nombreux pays d’Asie-Pacifique ont reçu une visite présidentielle : de l’Inde au Japon, en passant par la Corée du Sud, la Malaisie, les Philippines, le Laos, Singapour, la Chine, le Vietnam, l’Indonésie et l’Australie ; ce qui s’ajoute aux nombreuses visites du Premier ministre ou de ministres entre 2012 et 2017.

Le poids de la défense

L’industrie de la défense française entretient depuis longtemps des liens étroits avec la région. La Malaisie, l’Indonésie et Singapour sont notamment des clients de longue date de Thalès et DCNS. En 2016, l’Australie a passé une commande de 40 milliards de dollars pour des sous-marins construits par DCNS. Quant à l’Inde, elle a passé commande de 36 avions Rafale à Dassault Aviation pour 8,8 milliards de dollars, également l’an dernier.

Dans ce contexte, la nomination au Quai d’Orsay du très respecté ministre sortant de la Défense Jean-Yves Le Drian, longtemps maire de Lorient, autre ville portuaire connue pour son industrie militaire navale, est déjà remarquée en Asie. Car le patron de la région Bretagne est un ministre de la Défense intéressé par l’Asie : en juin 2016, lors du Shangri-La Dialogue à Singapour (réunion annuelle des spécialistes de défense en Asie), il avait surpris les participants en proposant la mise en place de patrouilles navales de l’Union européenne en mer de Chine. Les accords de défense avec l’Asie du Sud-Est ou avec l’Inde, c’est sous son mandat qu’ils ont été renforcés.

Au moment où Pékin multiplie les initiatives en Asie du Sud-Est, le discours de 2016 de l’ex-ministre de la Défense avait été compris comme une volonté française de peser sur le débat stratégique dans la région. La France, comme la plupart des Européens, s’était félicitée du jugement du Tribunal arbitral international de La Haye le 12 juillet 2016 concernant la mer de Chine du Sud – une décision qui dénonçait le renforcement de la présence chinoise sur plusieurs des îles contestées. « Si nous voulons réduire les risques de conflit, il convient de défendre le droit de la mer », ajoutait le ministre.

Stratégiquement, la marine française dispose d’une présence non négligeable dans le Pacifique : en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et sur Wallis et Futuna (sans oublier l’Océan Indien). Détentrice du deuxième domaine maritime mondial, la France travaille également en étroite coopération avec les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande – autres puissances maritimes régionales – à travers le groupe de coordination quadripartite sur la sécurité maritime dans le Pacifique. La France est aussi l’un des soutiens de la politique de l’Union européenne en mer de Chine, portée par la Haute représentante Federica Mogherini. On peut compter sur la nouvelle ministre de la Défense Sylvie Goulard pour mettre en exergue la coopération européenne dans ce secteur-clé.

L’autre grand sujet asiatique qui attend le nouveau gouvernement français concerne la montée en puissance économique de la Chine. A l’image du sommet dit des « Nouvelles routes de la soie » (Belt and Road Initiative) qui vient de se tenir à Pékin en présence d’une trentaine de chefs d’État ou de gouvernement – mais pas la France, élections obligent -, la Chine ne cesse de pousser ses pions sur le plan économique en direction de l’Europe. C’est ainsi qu’en 2016, les investissements directs chinois ont atteint 35 milliards de dollars, soit une hausse de 77 % par rapport à l’année précédente. Plusieurs pays européens, dont la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Pologne et l’Italie avaient rejoint en tant que membres fondateurs la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures, lancée par Pékin en 2015. Des projets tels que la construction d’une ligne de train à grande vitesse Belgrade-Budapest confiée à un groupe chinois, ou la gestion du port du Pirée (Athènes) assurée par un autre groupe chinois, ne peuvent laisser indifférents.

Du coup, les propositions présidentielles d’Emmanuel Macron de renforcer la cohésion européenne face à la Chine, puissance commerciale et investisseur global, semblent raisonnables. Le nouveau président a perçu la Chine comme acteur économique majeur lors de son passage ministériel à Bercy entre 2014 et 2016, et a vécu de près la visite d’État du président chinois Xi Jinping (à l’occasion du cinquantième anniversaire des relations diplomatiques) en avril 2014. Le programme de Macron mentionnait explicitement la nécessité de collaborer avec Pékin (et avec New Delhi) sur les questions climatiques, dans le prolongement de l’accord de la COP21 à Paris. Concernant les investissements chinois, le nouveau président fait la part des choses : on ne peut pas demander que les Chinois nous achètent des Airbus et refuser qu’ils investissent dans l’aéroport de Toulouse, avait-il déclaré. L’ancien ministre de l’Économie a également visité l’Inde, le Japon et la Corée du Sud, autant de pays ayant tissé des relations étroites avec la France pendant la présidence Hollande.

On est loin des propositions protectionnistes de l’ex-candidate à la présidentielle Marine Le Pen, qui avait dénoncé lors d’une séance au Parlement européen « le quasi-libre échange avec la Chine provoquant la destruction des millions d’emplois européens et français, et leur remplacement par des employés chinois ». Cinq mois après le discours de Xi Jinping à Davos, dans lequel il se faisait le chantre de la mondialisation, la question chinoise ne risque pas de disparaître du débat politique. Dans le cadre de la campagne pour les élections législatives des 11 et 18 juin, il y a fort à parier que le débat sur la place réservée à l’Asie soit au minimum abordé par les candidats à la députation, ainsi que par les principaux ministres chargés des relations internationales, Jean-Yves Le Drian (Europe et Affaires étrangères) et Bruno Le Maire (Économie).

Donald Trump destitué : un scénario envisageable ?

Thu, 18/05/2017 - 14:49

Le président états-unien accumule les scandales politiques, au point que certains évoquent la possibilité d’un impeachment. Le point de vue de Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS.

Comment interpréter les agissements, décriés, de Donald Trump envers la justice états-unienne ?

Le limogeage brutal, le 9 mai dernier, du directeur du FBI James Comey, puis les justifications discordantes des différents porte-parole du président – que celui-ci a même contredits en renchérissant sur son compte Twitter -, montrent que rien ne va plus à Washington.

Cette semaine, le New York Times a dévoilé que Donald Trump avait demandé à Comey d’arrêter d’enquêter sur Michael Flynn, son éphémère conseiller à la sécurité nationale. Celui-ci avait été remercié en février dernier car il est soupçonné d’avoir laissé entendre aux Russes, avant même sa prise de fonction à la Maison blanche, que Trump annulerait les sanctions contre Moscou sur la question ukrainienne, ce qui est illégal. Le président aurait notamment formulé cette demande à Comey – cela a son importance – après l’éviction de Flynn.

La veille de cet article du New York Times, le Washington Post a révélé que Trump avait déclassifié des informations secrètes sur les modus operandi de Daech (en particulier sur la manière de commettre des attentats dans les avions). Selon le journal, le président aurait communiqué ces renseignements lors d’une réunion dans le bureau ovale au ministre russe des Affaires étrangère et à l’ambassadeur russe aux États-Unis. Une « course à l’enquête russe » s’est engagée entre les deux grands quotidiens nationaux, que Trump critique sans cesse et qui n’ont donc pas de raison de lui faire de cadeau. C’est pour cela aussi que la comparaison avec le Watergate est souvent évoquée, car ce sont deux journalistes du Washington Post qui ont fait tomber Richard Nixon. Trump risque de payer le prix de son goût du conflit et du clivage, oubliant que la grande presse nationale est un contre-pouvoir redoutable, surtout quand elle est attaquée comme c’est le cas depuis la dernière campagne présidentielle.

Comey a rédigé des notes après ses échanges avec le président relatant la teneur de leurs conversations. C’est donc, pour l’heure, sa parole contre celle de Trump. Mais ce dernier a une image de menteur et de manipulateur qui lui colle à la peau ; sa crédibilité est donc plus qu’entachée.

Le Congrès s’intéresse de près à cette affaire. Jason Chaffetz, président républicain de la commission de surveillance du travail gouvernemental à la Chambre des représentants, a envoyé une lettre le 16 mai au directeur par intérim du FBI pour lui demander de lui faire parvenir « tous les mémos, notes, résumés et enregistrements relatifs à une quelconque communication entre Comey et le président ». De plus, un procureur spécial vient d’être nommé par le département de la Justice pour mener une enquête sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle et sur un éventuel lien avec l’entourage de Trump. Il s’agit d’un ancien directeur du FBI, Robert Mueller, qui a servi sous G. W. Bush et Obama et qui est très respecté de part et d’autre de l’échiquier politique.

La suite dira si Trump a commis une faute juridique mais il est évident qu’il a commis en tout cas une, et même plusieurs, fautes politiques. Le président agit comme s’il craignait quelque chose et comme s’il paniquait qu’on le découvre.

Diplomatiquement, quelles peuvent être les conséquences de la supposée révélation par de Donald Trump d’informations confidentielles à la Russie ? Est-il alors réellement envisageable qu’il soit destitué alors que le Congrès est majoritairement républicain ?

En soi, la déclassification d’informations secrètes par le président n’est pas illégale mais elle le décrédibilise auprès des alliés, notamment d’Israël d’où semblent venir ces informations. La presse israélienne a laissé entendre que le projet de voyage officiel de Trump en Israël pourrait être repoussé, bien que cela ne semble pas être le cas pour l’instant. Le président états-unien s’isole sans doute un peu plus chaque jour sur la scène internationale ; ses alliés peuvent alors être tentés de le court-circuiter et de privilégier les réseaux diplomatiques et des services secrets pour partager des informations confidentielles.

Mitch McConnell, le leader de la majorité républicaine au Sénat, demande à ses troupes de se concentrer sur l’agenda au Congrès mais les élus démocrates sont vent debout. Quelques élus républicains – seront-ils plus nombreux dans les prochains jours ? – font notamment la comparaison avec le Watergate, à l’image de John McCain.

Cependant, la procédure de destitution n’est pas près d’être engagée et encore moins d’aboutir. La mise en accusation doit être votée par la Chambre des représentants à la majorité simple, puis un procès du président serait engagé devant le Sénat, sous la présidence de la Cour suprême. Une majorité des deux tiers est alors nécessaire pour mettre en cause la responsabilité pénale individuelle du président et le destituer. La forte majorité dont Trump dispose à la Chambre des représentants et celle, plus modeste, au Sénat le protègent actuellement d’une destitution. Il est utile de rappeler qu’en 1974, Nixon n’avait la majorité ni au Sénat, ni à la Chambre des Représentants et que la procédure d’impeachment n’est pas allée jusqu’au bout mais l’a poussé à la démission.

Dans l’histoire des États-Unis, une telle procédure n’a, pour l’heure, jamais abouti. Mais le seul fait qu’on évoque cette éventualité quatre mois après son arrivé à la Maison Blanche montre combien Trump est fragile et peu légitime, ce qui l’irrite d’autant plus : il ne supporte pas d’avoir été mal élu – il a obtenu trois millions de voix de moins qu’Hillary Clinton. C’est un cercle vicieux, potentiellement dévastateur parce que Trump multiplie les coups de force, voire les « crises d’autoritarisme » pour montrer qu’il est le chef ; en oubliant qu’il est en démocratie et qu’il y a des règles.

Certains observateurs invoquent aussi le 25e amendement de la Constitution américaine, qui permet entre autres de démettre le président de ses fonctions s’il est jugé inapte par son cabinet ou le Congrès. On n’en est pas là non plus mais il est évident que chez ses adversaires, et même dans son propre camp, toutes les options sont actuellement étudiées pour se débarrasser de lui.

Face à ces nombreux scandales, le bilan global de la présidence Trump depuis son investiture n’est-il donc que négatif ?

Décidément, l’ombre de la Russie plane sur cette présidence Trump… D’autant que Vladimir Poutine prend aujourd’hui encore sa défense ! Trump, qui ne cesse de dire qu’il existe un complot contre lui, ne fait qu’alimenter un peu plus la thèse – bien plus tangible celle-ci – d’une corruption de son entourage, et peut-être de lui-même, avec les autorités russes dont le rôle dans sa victoire en novembre dernier n’est sans doute pas nul.

Concernant son bilan, il a échoué sur plusieurs de ses promesses (immigration) ; est très fragile sur d’autres (réforme de la santé, vote du budget fédéral au Congrès) ; en a enterré certaines (sanctions contre l’Iran, politique commerciale et monétaire agressive contre la Chine) ; et a fait volte-face sur de nombreux sujets de politique étrangère (OTAN, relations avec l’Union européenne, etc.). Néanmoins sur d’autres thèmes de l’agenda, comme la lutte contre les droits des femmes et le retour en arrière sur la protection de l’environnement, il a donné des gages aux ultra-conservateurs. C’est aussi pour cela qu’ils le soutiennent encore. Mais pour combien de temps ?

« La diplomatie au péril des valeurs » – 3 questions à Jean de Gliniasty

Thu, 18/05/2017 - 10:50
Jean de Gliniasty est directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions russes. Ancien ambassadeur de France au Sénégal, au Brésil et en Russie, il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « La diplomatie au péril des valeurs :  pourquoi nous avons eu tout faux avec Trump, Poutine et d’autres », aux éditions lInventaire. En quoi l’invocation des valeurs est-elle incompatible avec la défense de nos intérêts géopolitiques ?

Nos valeurs constituent le socle de la société française et une base, à peu près partagée par tous en Europe Occidentale, sur laquelle s’édifie l’Union européenne. Mais cet héritage commun, condition de la construction européenne (les principes de Copenhague), ne permet pas pour autant une action efficace pour la paix et la stabilité dans le monde et plus particulièrement dans notre voisinage. Au contraire l’invocation permanente de nos valeurs dans notre action extérieure est perçue comme une immense hypocrisie camouflant des intérêts de puissance et nous conduit souvent à des erreurs d’analyse, sources d’affaiblissement de notre politique étrangère et de nouveaux troubles dans notre environnement géopolitique (Libye, Syrie, Ukraine…). C’est une véritable idéologie des relations internationales que l’on a appelée « néo-conservatisme » aux États-Unis et qui s’oppose à une vision raisonnée des rapports de force internationaux, des buts que nous devons poursuivre et des moyens pour y parvenir. Le droit d’ingérence, devenu la responsabilité de protéger, est une invention française qui a souvent été perçue, dans le monde arabe notamment, comme un nouvel esprit de croisade dès lors qu’il court-circuitait les processus intergouvernementaux, à l’ONU ou ailleurs, communément admis comme le seul moyen légal de régler les problèmes internationaux. La méfiance qu’il suscite affaiblit le message et risque de discréditer notre politique extérieure car nous sommes souvent obligés d’agir selon l’adage « deux poids, deux mesures » et d’épargner les puissants.

Cette invocation des valeurs peut-elle être le masque d’une politique de puissance ?

C’était sans doute le cas des États-Unis sous Georges W. Bush en Irak, qui voulait remodeler le Moyen-Orient au profit de son pays. Cela a été aussi le cas pour la France sous Napoléon où l’idéologie révolutionnaire coïncidait presque totalement avec les intérêts de puissance de la France. À l’heure actuelle, c’est plus ambigu. L’idéologie de l’interventionnisme au nom des droits de l’homme et de la démocratie, exacerbée par l’immédiateté de l’information et par les réactions émotionnelles de l’opinion publique, peut inspirer des actions irréfléchies. C’est aussi que la notion d’intérêt national a perdu de sa clarté : doit-on raisonner en Occidentaux, en Européens, en Français ? Dans l’incertitude, les « valeurs » font office de boussole : la politique qu’elles induisent est défendable devant l’opinion et suscite le consensus auprès de nos alliés. Donc, paradoxalement, l’invocation des « valeurs » peut aussi camoufler une démission, une renonciation par le gouvernement à son autonomie d’analyse et d’action.

Vous mettez en lumière un danger potentiel de la réintégration dans l’OTAN qui passe inaperçu, « distraire les meilleurs cadres de notre armée d’un théâtre majeur pour la France : l’Afrique ». Pouvez-vous développer ?

L’Afrique est un des derniers théâtres où les intérêts spécifiques de la France sont évidents et où notre pays a encore les « moyens de sa politique ». La stabilité et le développement de ce continent sont des facteurs importants pour l’avenir de notre pays (terrorisme, francophonie, migrations, relations commerciales…). Nos meilleurs soldats y ont été formés sur le terrain dans la connaissance des réalités locales et souvent dans l’expérience du combat. Traditionnellement, ils constituaient les hauts cadres de l’armée française et le « cursus » africain se retrouvait dans les parcours de nos chefs d’État-Major et de la plupart des titulaires de grands commandements. Il est à craindre que l’immense machine bureaucratique de l’OTAN ne suscite une nouvelle génération de cadres, imprégnés d’une pensée militaire formatée, auréolés d’une prétendue technicité et d’une expérience multilatérale assez standardisée et promis aux carrières les plus brillantes. Cette situation que connaissent la plupart de nos alliés risque de se produire en France. Elle marquerait une étape supplémentaire dans l’uniformisation de notre armée et, contrairement à ce que pensent ceux qui se réjouissent de cette évolution, un obstacle à la construction d’une défense européenne autonome.

France and Germany Remain in a Stalemate on the Euro

Tue, 16/05/2017 - 16:53

Despite the general relief over the far right’s defeat in France, the idea that this electoral outcome marks the ebb of the global populist tide is somewhat illusory. When it comes to its economic implications for Europe in particular, the notion of a long-term normalization seems to rely on the assumption that populism amounts to little more than a bout of political fever – which is expected to dissipate as a result of structural reforms and a federal inflexion of European politics. The likely persistence of populism in the coming years will require a more accurate understanding of Europe’s imbalances and the ills of national economies, especially on the technological front.

French officials tend to insist on the symbolic nature of economic reform and the need to send the right signals to Brussels and Berlin. The main paradox of this administrative line of thought consists in understating the root causes of the French economic malaise, and the actual change needed to tackle mass unemployment and spur technological catch-up. Its proponents expect economic salvation to come from an institutional turning point at the European level and the embrace of a common official doctrine, perhaps more than from an actual rebalancing in terms of competitiveness.

It is often said in Paris that German Chancellor Angela Merkel has a secret plan for a leap towards federalism and a “union of transfers” in the Euro zone, which would eventually loosen the grip on the French economy. “After effort comes comfort,” as the French saying goes. That plan would allegedly be activated once Paris has done its “homework” and restored its credibility, by means of fiscal consolidation and labour market reforms. Although these beliefs could appear to be substantiated by some inner knowledge of German politics, they rather illustrate a trend of misunderstanding among national elites in Europe.

The notion of potentially unlimited transfers is taboo to a vast majority of Germans, across the political spectrum. The establishment of a small and symbolic common budget for the Euro zone, or an investment mechanism, might be considered acceptable, under strict conditions. Meanwhile, an administrative construct allowing for massive transfers would not only be controversial, it would be rejected as unconstitutional.

Economic debates obviously take place in Germany too, and there would be no point in ignoring the gap that separates various schools of thought. Yet, the reality of these debates does not quite fit with what French administrative circles identify as being Germany’s vision for an integrated Europe. Very few people in Germany advocate the kind of federal construct that is nevertheless presented, in Paris, as being Berlin’s plan for a brilliant future when everyone has done its fiscal homework. Even though Emmanuel Macron’s campaign was judged very positively by the Great Coalition in Berlin, the news of his election was also accompanied with sharp comments on the risk that Germany might have to pay the bill for new institutional initiatives.[1]

Even Martin Schulz, the social-democratic chancellor candidate, when he discussed the issue of debt pooling during his time as President of the European Parliament made it clear that these talks merely took place for the sake of intellectual speculation. Even though he clearly opposes such plans, his timid conceptual foray into the subject of debt pooling is nonetheless being used by his opponents as an argument to discredit his current electoral bid.

Despite some clear red lines, a growing number of German economists – although still a minority – lament their country’s unbalanced economic model, of which the trade surplus is the most striking illustration. Germany’s current account surplus neared 9 percent of GDP in 2016 (or almost $300bn, more than that of China, whose economy is three times as large.) Some of these economists subsequently advocate more domestic investments and wage hikes. Their efforts, in a tense intellectual environment, should undoubtedly be hailed as courageous. It is of equal importance, however, for their European counterparts not to indulge in wishful thinking over institutional constructs that will never materialize.

“Sending positive signals to Berlin,” as French officials often put it, will not suffice either to restore competitiveness or to convince Germany to embark on a system of unlimited transfers that would make up for unlimited economic imbalances. Despite winning by a large margin, Emmanuel Macron will have to tread a fine line in a context of severe political tensions. Marine Le Pen has undoubtedly proved incompetent and unable to break with her party’s long history of extremism. After defeating such a controversial and antagonizing adversary, Macron has not yet received a strong mandate to carry out radical reforms.

The politics of “positive signals” would carry the risk of producing yet another series of crablike steps with no overall strategy — a pattern that has dominated French politics for the past four decades. There is an obvious need for reforms that would help to stimulate France’s fossilized business scene and, at the same time, of a genuine economic stabilization at the European level. Illusions over the “Franco-German couple” (as the French emphatically call what is commonly known in Germany as “German-French relations” or “cooperation”) might further delay adjustments that are urgently needed, especially on the industrial front.

French manufacturing has remained stuck in midrange production over the past couple of decades. The loss of competitiveness induced by the euro’s introduction and Germany’s strategy known as “Agenda 2010” has been magnified by the French industry’s lack of modernization. This failure results not so much from a lack of capital in the corporate sector as from timorous investment decisions, under the weight of an ever growing bureaucratic burden. Automation in particular lags behind other industrialized nations. Although robots are particularly suited for the car industry, which helped Germany to modernize fast thanks to its specialization on the sector, France’s lag persists even when accounting for sector specialization.

Populism fuels antagonistic visions which remain trapped in the often superficial distinction between supply-side and demand-side strategies. The idea of an electoral split between an educated elite that benefits from globalization and a working class relegated to peripheral areas is backed by statistical evidence in France, as in most other industrialized nations. Meanwhile, it paradoxically perpetuates the vain and sketchy vision of a divide between enlightened visionaries and a mass of workers doomed to be replaced by machines…

It is true that the rigidity of the French labour market and high labour costs (given the current industrial positioning) fuel unemployment. An equally worrying pattern has emerged, however, in terms of investments, while France suffers from weak productivity gains and a particularly low level of potential growth per capita (which barely reaches 1 percent per annum).

An economic strategy that would only focus on labour market deregulation and lowering labour costs might help to reduce unemployment in the short term and regain market shares to some extent. Without addressing productivity and technological issues, it would however fail to remedy the imbalances facing France and Europe more generally. While automation might destroy low-skilled jobs on the short term, technological backwardness remains, on the other hand, the most certain path to long-term mass unemployment.

The race to the bottom that is currently taking place in the EU not only aggravates imbalances among nations and generations; it further distracts policymakers’ attention away from the most urgent reforms in terms of modernization and innovation. The economic model that has dominated Euro zone policies so far has proved economically short-sighted and fuels a dangerous spiral. As popular discontent is far from receding, there is no alternative to a genuine and ambitious rebalancing among European economies.

[1] “Deutsche Politiker kritisieren Macrons Europapläne”, Spiegel Online, 9 May 2017

 

Le dialogue franco-allemand reste dans l’impasse sur l’euro

Tue, 16/05/2017 - 16:51

Malgré le soulagement suscité par la défaite de l’extrême droite, l’idée selon laquelle l’élection présidentielle française marquerait le reflux de la vague populiste apparaît toutefois illusoire. En ce qui concerne ses implications européennes en particulier, l’espoir d’une normalisation de long terme repose sur l’hypothèse que le populisme relèverait d’un simple accès de fièvre politique appelé à se dissiper sous l’effet de réformes structurelles et d’une inflexion fédérale de la politique européenne. La probable persistance du populisme dans les années à venir devrait rendre nécessaire une compréhension politique plus approfondie des déséquilibres européens et des failles qui affectent les économies nationales, en particulier sur le plan technologique.

Les responsables politiques français ont tendance à insister sur la nature symbolique des réformes économiques et sur le besoin d’envoyer les « bons signaux » à Bruxelles et à Berlin. Le principal paradoxe de cette approche administrative tient de ce qu’elle consiste à minimiser les racines des difficultés économiques, ainsi que la nature des changements requis pour combattre le chômage et permettre un certain rattrapage technologique. Ses promoteurs semblent attendre davantage le salut économique d’un tournant institutionnel à l’échelle européenne et de la mise en avant d’une doctrine commune, que d’un rééquilibrage effectif en termes de compétitivité.

Il est fréquent d’entendre, à Paris, qu’Angela Merkel aurait un plan secret visant à procéder à un saut fédéraliste et à mettre en place une sorte d’union de transferts au sein de la zone euro ; ce qui permettrait, dès lors, de desserrer l’étau qui pèse sur l’économie française. Ce plan serait prétendument activé une fois que Paris aurait « fait le boulot » et restauré sa crédibilité, en réduisant son déficit public et en réformant le marché du travail. Bien qu’il puisse sembler, à première vue, que ces attentes découlent d’une connaissance étroite de la politique allemande, elles illustrent davantage l’incompréhension qui tend à s’installer entre les diverses élites européennes.

L’idée de transferts potentiellement illimités est taboue aux yeux d’une large majorité d’Allemands, par-delà les clivages partisans. La mise en place d’un budget commun à la zone euro ou d’un mécanisme d’investissement pourrait être envisagée s’il s’agit de montants limités et si elle s’accompagne de strictes conditions budgétaires. À l’opposé, une construction administrative qui permettrait des transferts massifs ne serait pas seulement l’objet de controverses, elle serait jugée anticonstitutionnelle.

Il ne s’agit en aucun cas de nier l’existence de débats économiques en Allemagne, comme dans les autres pays, ni d’ignorer le fossé qui sépare les diverses écoles de pensée. Néanmoins, la réalité de ces débats ne correspond pas vraiment à la vision que les responsables politiques français attribuent à l’Allemagne en ce qui concerne l’intégration européenne. On peine à trouver outre-Rhin des partisans du type de construction fédérale que l’on présente pourtant souvent en France comme la vision qu’aurait Berlin pour un avenir radieux où les déficits publics auraient été supprimés. Bien que la campagne d’Emmanuel Macron ait été jugée très positivement par la Grande coalition, l’annonce de son élection a été accompagnée de commentaires acerbes sur le risque que l’Allemagne ait à payer la facture de nouvelles initiatives institutionnelles.[1]

Même Martin Schulz, candidat social-démocrate à la Chancellerie, a pris soin de préciser lorsqu’il discutait de la question d’une mutualisation des dettes publiques à la tête du Parlement européen que ces considérations relevaient de la pure spéculation intellectuelle. Bien qu’il soit clairement opposé à de telles mesures de mise en commun, sa timide incursion intellectuelle dans ce sujet controversé lui vaut de voir sa candidature régulièrement discréditée.

Malgré d’évidentes lignes rouges, de plus en plus d’économistes allemands – bien que toujours minoritaires – déplorent les déséquilibres du modèle économique allemand, dont l’excédent commercial est l’illustration la plus frappante. L’excédent courant allemand s’est approché en 2016 de 9% du PIB (ou environ 300 milliards de dollars, soit plus que l’excédent de la Chine, qui a un PIB environ trois plus important que celui de l’Allemagne). Sur cette base, certains parmi ces économistes préconisent un accroissement des investissements domestiques, ainsi que des hausses de salaires. Leur effort doit naturellement être salué, dans un contexte intellectuel tendu. Il est toutefois d’égale importance que leurs confrères européens ne se complaisent pas dans la contemplation d’improbables constructions institutionnelles.

« Envoyer des signaux positifs à Berlin », comme l’énoncent souvent les responsables français, ne suffirait ni à restaurer la compétitivité française, ni à convaincre l’Allemagne de se lancer dans un système de transferts aussi illimités que les déséquilibres qu’ils seraient censés compenser. Malgré son écrasante victoire, Emmanuel Macron doit faire face à un contexte politique particulièrement troublé. Marine Le Pen s’est montrée à la fois incompétente et incapable de rompre avec la longue tradition d’extrémisme de son parti. En vainquant une adversaire aussi controversée, le nouveau président français ne semble pas avoir obtenu un mandat pour mettre en œuvre des réformes radicales.

Une politique de « signaux positifs » risquerait de produire une nouvelle série de mesures dépourvues de stratégie de fond, conformément à la tendance des quatre dernières décennies. Le besoin de changement pour stimuler une économie française sclérosée est évident, tout comme celui d’un véritable rééquilibrage européen. Les illusions quant au « couple franco-allemand » (ce que les Allemands désignent, au passage, de plus en plus comme une simple « relation » ou « coopération ») risquent de retarder encore davantage les ajustements les plus urgents, en particulier en ce qui concerne les questions industrielles.

Le secteur manufacturier français reste confiné dans une production moyen de gamme depuis une vingtaine d’années. La perte de compétitivité liée à l’introduction de l’euro et à la stratégie allemande connue sous le nom « d’Agenda 2010 » a été amplifiée par le manque de modernisation de l’industrie française. Cet échec ne résulte pas tant d’un manque de capitaux dans le secteur que de décisions d’investissement peu audacieuses, sous le poids d’un fardeau bureaucratique toujours plus important. Le processus d’automation en particulier a pris un retard important sur les autres pays développés. Bien que la robotique soit particulièrement adaptée au secteur automobile – ce qui donne naturellement un avantage à l’Allemagne en la matière -, le retard français demeure, même en prenant en compte l’effet de spécialisation.

Le populisme nourrit des visions antagonistes qui restent toutefois enfermées dans l’opposition souvent superficielle entre politique de l’offre et politique de la demande. L’idée d’un clivage électoral entre une élite éduquée qui bénéficie de la mondialisation et des couches populaires reléguées aux zones périphériques se confirme statistiquement, aussi bien en France que dans nombreux pays développés. Pour autant, ce constat semble, paradoxalement, perpétuer la vision vaine et caricaturale d’un fossé entre une élite éclairée et une masse de travailleurs qui seraient condamnés à être remplacés par des machines…

Il est vrai que la rigidité du marché du travail français et les coûts salariaux élevés par rapport au positionnement industriel actuel tendent à alimenter le chômage. Mais un phénomène tout aussi inquiétant s’est fait jour en ce qui concerne les décisions d’investissement, alors qu’il apparait que la France souffre de faibles gains de productivité et donc d’une basse croissance potentielle (d’à peine 1% par an) si l’on prend en compte la dynamique démographique du pays.

Une stratégie économique qui se focaliserait uniquement sur la dérégulation du marché du travail et l’abaissement des coûts salariaux permettrait d’abaisser le taux de chômage un certain temps et, dans une certaine mesure, de restaurer des parts de marché à l’exportation. Toutefois, une stratégie qui négligerait le problème de la productivité et de l’évolution technologique ne permettrait pas de remédier aux déséquilibres qui affectent la France et l’Europe. Bien que l’automation détruise certains emplois à court terme, le retard technologique reste la voie la plus certaine vers le chômage de masse sur le long terme.

Le nivellement par le bas qui caractérise actuellement les relations économiques au sein de l’Union européenne, sur le plan salarial et technologique, ne fait pas qu’aggraver les déséquilibres entre pays et entre générations ; il détourne également l’attention des responsables politiques des mesures les plus urgentes en ce qui concerne la modernisation industrielle et l’innovation. Le modèle économique qui domine les politiques de la zone euro depuis ses débuts nourrit une spirale dangereuse. La colère populaire étant probablement loin de s’estomper, il ne semble pas y avoir d’alternative à un rééquilibrage véritable et ambitieux entre pays européens.

[1] « Deutsche Politiker kritisieren Macrons Europapläne », Spiegel Online, 9 Mai 2017

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