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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Tirs balistiques en Iran : montée des tensions avec les Etats-Unis ?

Mon, 13/03/2017 - 15:49

L’Iran vient de procéder à un essai de tir balistique en mer d’Oman, dans un contexte de tension croissante avec les Etats-Unis depuis l’élection de Donald Trump.

Au vu de ces tirs, comment interprétez-vous les intentions du régime iranien ? Doit-on les considérer comme un acte de défiance vis-à-vis de la communauté internationale ?

Il ne faut pas sur-interpréter ces essais de missiles iraniens comme étant toujours des marques de provocation envers la communauté internationale. Non pas que la provocation n’existe pas en certaines périodes mais, dans ce cas précis, il s’agit plutôt de regarder le budget militaire iranien rapporté au PIB du pays : l’Iran, un pays grand comme trois fois la France, ne fait absolument pas partie des Etats qui dépensent le plus dans leur armée. Des pays comme Israël ou l’Arabie saoudite affichent des dépenses militaires beaucoup plus importantes. En revanche, Téhéran a axé sa politique de défense sur une stratégie de dissuasion depuis le milieu des années 1980. Elle est ainsi basée sur des essais réguliers de missiles et il est compréhensible que, dans une région pour le moins instable, l’Iran entretienne sa politique de défense. Alors que les récentes déclarations du gouvernement américain annoncent une augmentation de budget militaire, il est difficile de critiquer l’Iran d’effectuer des essais de missiles pour maintenir sa politique de dissuasion à visée défensive, sans forcément de volonté de provoquer les Etats-Unis.
En revanche, ces essais mettent-ils l’Iran en situation d’illégalité par rapport au droit international ? L’accord sur le nucléaire de 2015 impliquait que l’Iran ne teste pas de missiles qui puissent porter des charges nucléaires. Or, Téhéran affirme que les missiles testés ne sont pas destinés à porter des charges nucléaires. De ce point de vue-là, on ne peut donc pas affirmer, comme le fait le gouvernement américain, que l’Iran ne respecte pas l’accord de juillet 2015.

Depuis l’élection de Donald Trump, comment ont évolué les relations entre Téhéran et Washington ?

Dès sa campagne électorale, la tonalité de la rhétorique de Donald Trump était très agressive contre l’Iran. Depuis qu’il est au pouvoir, il a prononcé plusieurs déclarations qui dépeignent Téhéran comme l’un des ennemis des Etats-Unis. L’interdiction de visas concerne notamment les Iraniens, qui sont décrits comme des terroristes potentiels. La tonalité prise par Trump est donc violemment anti-iranienne et illustre un réel changement par rapport à la politique de Barack Obama. Alors que l’accord sur le nucléaire avait résulté de longues négociations entre ces deux pays, les déclarations de Trump introduisent une rupture dans cette « normalisation » de la relation irano-américaine.
La position du gouvernement Trump vis-à-vis de l’Iran semble liée à un populisme qui présente l’Islam comme un « danger ». République islamique, l’Iran est donc en prise aux amalgames, consistant à présenter les membres du gouvernement iranien comme des représentants de l’islam radical et à les mettre quasiment au même niveau que Daech. Cela étant, des conseillers au sein même du gouvernement américain essaient de modérer la position étatsunienne, tâchant d’expliquer que l’Iran n’est pas forcément le danger suprême dans la région pour les Etats-Unis et reconnaissant le pays comme un acteur central avec qui il est nécessaire de s’entendre : en Syrie, Téhéran soutient les forces de Bachar al-Assad ; en Irak, l’Iran se bat contre Daech.
Côté iranien, les radicaux, dont le guide Ali Khamenei, sont assez « contents » de l’arrivée de Trump car il représente tout ce qu’ils critiquent chez les Etats-Unis, à savoir un pays anti-iranien et corrompu. Les radicaux sont donc assez satisfaits d’une telle posture car ils peuvent ainsi reprocher à Hassan Rohani d’avoir été trop modéré vis-à-vis de Washington, et ainsi l’affaiblir. Rohani se retrouve donc en difficulté car d’un côté, il doit défendre des acquis dont il a besoin et qui sont importants pour l’Iran comme l’accord sur le nucléaire, afin d’éviter que ces tensions n’accroissent l’instabilité dans la région. De l’autre côté, compte-tenu des attaques de Trump et des accusations des radicaux, Rohani est aussi obligé de répondre en adoptant un discours plus dur envers les Etats-Unis.

Dans trois mois, en mai 2017, auront lieu les élections présidentielles iraniennes. Avec le bilan de Hassan Rohani, qui des radicaux ou des modérés semblent favoris ? Quelles pourraient être les répercussions internationales de ce scrutin ?

Il est toujours compliqué de faire des prévisions d’élections présidentielles mais Rohani est toujours considéré comme favori, malgré un mécontentement du pays par rapport à la situation économique qui ne s’est pas améliorée aussi rapidement que prévu. La force de Rohani réside en fait dans l’absence d’alternative à sa candidature. Si les adversaires radicaux sont opposés à l’accord sur le nucléaire, les Iraniens n’ont pour autant pas oublié la situation économique catastrophique dans laquelle se trouvait le pays avant l’accord lorsqu’il subissait de plein fouet les sanctions. Ainsi, même si Rohani est critiqué pour la situation économique ou aussi parce qu’il n’est pas allé assez loin concernant la question des droits de l’Homme, provoquant le mécontentement des jeunes en particulier, les gens ont conscience qu’il n’existe pas d’autre voie ni d’autre politique possible.
De plus, les radicaux n’arrivent pas à trouver un candidat qui soit suffisamment populaire et qui puisse menacer Rohani. Le seul candidat qui avait une certaine base populaire était Mahmoud Ahmadinejad qui, s’il s’était représenté, aurait pu être une certaine menace pour Rohani. Seulement, le guide lui a déconseillé de le faire.

Même si le président iranien n’a pas tous les pouvoirs, puisqu’il les partage avec le guide, cette élection est importante sur le plan international et sur le plan économique. Beaucoup d’entreprises, notamment européennes et françaises, veulent travailler avec l’Iran. La réélection de Rohani les conforterait dans la vision d’un Iran stable politiquement. Malgré les tensions avec les Etats-Unis, Rohani représente un gouvernement qui croit en la diplomatie, notamment par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. Si Rohani était réélu, le gouvernement iranien serait capable de passer des accords avec les pays occidentaux, comme celui sur le nucléaire. Cela représenterait donc une bonne nouvelle pour les pays souhaitant parvenir à des résultats qui puissent permettre la stabilité dans la région, notamment en Syrie, en Irak, voire en Afghanistan.

Le cercle vicieux de la course aux armements

Mon, 13/03/2017 - 12:43

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

L’Ukraine dans l’impasse : une crise qui s’enlise

Fri, 10/03/2017 - 18:21

Dans le cadre d’un accord préliminaire, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé samedi 4 mars le versement d’une aide d’un milliard de dollars à l’Ukraine. Parallèlement, Kiev attaque la Russie devant la Cour internationale de justice.

Dans quel contexte et pour quels motifs le FMI verse-t-il cette somme à l’Ukraine ? Quelle est la situation économique générale du pays ?

En 2015, le Fonds monétaire international a adopté un programme d’aide à l’Ukraine d’un montant de 17,5 milliards de dollars. Il s’agissait, à l’époque, d’éviter la faillite à ce pays confronté à un choc majeur suite à la perte de la Crimée et au conflit dans le Donbass. Parmi les contreparties figuraient notamment la maîtrise du déficit public, des réformes dans le secteur énergétique ou bien encore la lutte contre la corruption. A ce jour, seuls 7,3 milliards de dollars ont été débloqués, le programme ayant été suspendu en 2016 faute d’avancées significatives côté ukrainien et en raison des incertitudes liées au départ de plusieurs ministres réformateurs.

Les perspectives économiques pour 2017 sont relativement bonnes : la Banque mondiale, par exemple, table sur une croissance de 2%. Mais cela ne saurait occulter la trajectoire – très inquiétante – de l’Ukraine sur le plus long terme. En 2014, elle était l’un des rares pays de l’ex-URSS à ne pas avoir retrouvé son niveau de 1991, date de la disparition de l’Union soviétique. Le PIB ukrainien a chuté de près de 17% en 2014 et 2015, à la suite de la perte de la Crimée et du conflit dans les régions de Donetsk et de Lougansk, qui assuraient jusqu’alors 25% de la production industrielle du pays. L’écart en termes de PIB/habitant avec la Russie et la Pologne est désormais supérieur à 1 pour 3. Le gâchis est donc immense pour l’Ukraine. Pour ne rien arranger, des éléments radicaux ont décidé d’instaurer un blocus total avec les territoires séparatistes du Donbass, ce qui pourrait coûter plusieurs milliards de dollars au pays, des dizaines de milliers d’emplois dans la métallurgie et compromettre sa reprise économique.

Où en est la situation du conflit avec les séparatistes pro-russes à l’Est du pays ? Comment évolue le regard porté par la communauté internationale sur le sujet ?

Le processus de Minsk est dans l’impasse depuis de longs mois. Les belligérants se renvoient la responsabilité des combats qui reprennent périodiquement et de l’échec du volet politique des accords conclus à la mi-février 2015, sous l’égide de la France et de l’Allemagne. Militairement, aucune des deux parties ne paraît en mesure de faire évoluer de façon significative le rapport de forces sur le terrain. L’armée ukrainienne a cependant cherché à grignoter des portions de territoires situés dans la « zone grise », ce qui a conduit aux récents affrontements à Avdiivka en janvier. Les séparatistes continuent, quant à eux, à être soutenus sur les plans financier et sécuritaire par la Russie.

Fondamentalement, nous assistons à un jeu à fronts renversés. Kiev, qui dit vouloir restaurer son intégrité territoriale, a de fait tiré un trait sur les territoires séparatistes et ses habitants ; le choix fait implicitement est celui de la « petite Ukraine ». Moscou, contrairement à une idée reçue, n’a pas intérêt au gel du conflit mais plutôt à une réintégration des territoires séparatistes dans l’ensemble ukrainien, ce qui lui redonnerait des leviers d’influence. Berlin et Paris sont de plus en plus exaspérés par l’absence de bonne volonté de part et d’autre et sont impuissants pour débloquer le processus. Les Occidentaux soutiennent désormais Kiev sans illusions, par inertie, et parce que tout autre choix reviendrait à s’interroger sur les décisions prises ces dernières années – en particulier en ce qui concerne le Partenariat oriental – et à conforter, de fait, Vladimir Poutine.

Pour quels chefs d’accusation Kiev attaque-t-elle Moscou devant la Cour internationale de justice ? Peut-on espérer que la CIJ mène à une résolution du conflit russo-ukrainien ?

L’action intentée par Kiev contre Moscou pour terrorisme devant la Cour internationale de justice ne représente que l’un des nombreux volets de la guerre judiciaire à laquelle se livrent l’Ukraine et la Russie. Les autres concernent notamment la Crimée, le sort du crédit de 3 milliards de dollars octroyé par le Kremlin à Kiev en décembre 2013 – juste avant le renversement de Viktor Ianoukovitch par les activistes de Maïdan -, et divers contentieux entre Gazprom et son homologue Naftogaz Ukraïny à propos des livraisons et du transit du gaz russe.

Pour les autorités ukrainiennes, il s’agit surtout, semblerait-il, de garder l’attention des médias et des responsables occidentaux, qui éprouvent progressivement une certaine « fatigue » du dossier ukrainien. Il est évidemment illusoire de considérer que le conflit dans le Donbass et, plus généralement les tensions russo-ukrainiennes, puissent être résolues par voie judiciaire.

Kim Jong-un : des gesticulations inutiles ?

Fri, 10/03/2017 - 17:40

La série d’essais balistiques à laquelle la Corée du Nord vient de procéder, associée au début du déploiement d’un système de défense anti-missile en Corée du Sud, commencent à susciter de nombreuses inquiétudes. La possibilité d’une guerre dans la région est de nouveau soulevée.

En réalité, les inquiétudes et angoisses à propos de la Corée du Nord constituent un marronnier stratégique. Très régulièrement, un essai de missile – voire un essai nucléaire – est effectué, suscitant des bruits de bottes, des inquiétudes et des menaces de la part du leader nord-coréen. Depuis 1993, date à laquelle la Corée du Nord s’est dotée de l’arme nucléaire, on observe très régulièrement ce schéma. Mais au final, la situation revient toujours à la normale. Pour autant, la crainte qu’un réel dérapage ne se produise ne disparaît pas.

Il est vrai que Kim Jong-un est particulièrement inquiétant. L’assassinat de son demi-frère a montré, s’il en était besoin, qu’il pouvait passer aux actes. Cependant, il n’est pas de son intérêt de se lancer dans un conflit, contre la Corée du Sud et/ou le Japon. Certes, il pourrait occasionner des destructions extrêmement importantes aussi bien à Séoul, qui n’est qu’à 60 kilomètres de la frontière intercoréenne, qu’au Japon, dont le territoire est à la portée des missiles nord-coréens. Mais en même temps, il sait qu’il n’aurait aucune chance de sortir militairement vainqueur de tels agissements : l’armée sud-coréenne à elle seule peut facilement vaincre sa rivale nord-coréenne, sans parler du soutien américain. Or, Kim Jong-un, s’il est peu sympathique, n’est pas irrationnel, comme on peut l’entendre souvent. Son maintien au pouvoir prouve même le contraire. En réalité, le but de toutes ses gesticulations est de rester à la tête du régime le plus longtemps possible, alors qu’il a complètement échoué à développer son pays et à nourrir sa population. La Corée du Nord est en effet restée dans l’état politique et économique des années 1960. Il s’agit bel et bien du dernier régime stalinien et totalitaire à la surface de la planète. Kim Jong-un est certes effrayant mais il ne se lancera pas dans une guerre. Les dirigeants nord-coréens estiment que Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi seraient encore à la tête de leur pays s’ils avaient possédé l’arme nucléaire. L’arme nucléaire nord-coréenne a donc pour but principal et ultime le maintien du régime, et non pas la reconquête de la Corée du Sud, la réunification par la force des deux pays ou l’invasion et la destruction du Japon.

Mais cette situation ennuie particulièrement la Chine qui souhaite apparaître comme un pays responsable, participant à la sécurité collective. Pour Pékin, Pyongyang pose un double problème. Le premier est issu du fait qu’elle ne la maîtrise pas. Bien que la Corée du Nord soit un pays client, qui dépend très largement de l’aide et des contacts chinois, Pékin est bien incapable de faire entendre raison à Kim Jong-un. Ce dernier estime n’avoir rien à perdre et que la Chine est bien obligée de le soutenir, afin d’éviter que le régime ne s’effondre ou que des militaires américains se déploient à la frontière chinoise. Le second vient du fait que les gesticulations nord-coréennes ont donné une justification au déploiement d’un système anti-missile américain en Corée du Sud. Si les États-Unis voulaient déployer ce bouclier depuis longtemps, ils ont maintenant un motif pour le faire. Ceci est vu comme extrêmement inquiétant, voire menaçant pour les dirigeants chinois. Du fait des gesticulations de leur allié nord-coréen, Pékin doit donc subir une montée en puissance des forces américaines et leur renforcement stratégique en Asie, ce que les dirigeants chinois ne souhaitent à aucun prix.

Finalement, rien de nouveau dans la situation nord-coréenne : toujours des gesticulations mais pas de réunification en vue, ni par la négociation ni par la force. Pas non plus de guerre qui signerait la fin du régime nord-coréen. Mais il est vrai que Kim Jong-un a réussi « l’exploit » d’être encore plus inquiétant que ses prédécesseurs…

Jeux olympiques 2024 : Paris en ballottage favorable

Fri, 10/03/2017 - 17:25

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

De la crise politique en Macédoine et ses répercussions

Fri, 10/03/2017 - 15:55

Les élections parlementaires de décembre dernier, organisées sous la pression de l’Union européenne (UE), avaient pour objectif de sortir la Macédoine de la crise politique dans laquelle elle s’est enfoncée depuis maintenant deux ans. Cette crise avait éclaté à la suite de la publication d’écoutes téléphoniques dans lesquelles toutes les malversations, turpitudes et crimes du parti au pouvoir nationaliste VMRO-DPMNE furent révélés.

Si ces élections n’ont pas permis de dégager une majorité immédiate, elles ont toutefois marqué un tournant puisque le principal parti des Albanais de Macédoine, le DUI, a fortement régressé. Il a en effet été sanctionné pour son alliance gouvernementale avec le VMRO, tandis que pour la première fois, des Albanais ont voté pour le parti social démocrate SDSM, c’est-à-dire pour un autre parti que les partis albanais classiques. Cette tendance à la « désethnification » est un processus conforme aux deux années de protestations contre le gouvernement et le Premier ministre Nikola Gruevski, qui ont réuni des citoyens des deux communautés d’abord préoccupés par la « capture de l’Etat » (l’expression figure dans le rapport 2016 de la Commission européenne) opérée par Gruevski et son clan.

Ainsi, la situation politique troublée a connu un nouveau développement ces derniers jours puisque trois partis albanais qui ont obtenu des sièges au Parlement (DUI, Besa et l’Alliance pour les Albanais) ont accepté de former une coalition avec le SDSM. Ils laissent ainsi dans l’opposition le VMRO, qui était pourtant arrivé en tête lors du scrutin de décembre. Ces trois partis s’étaient mis d’accord il y a quelques semaines à Tirana, sous le patronage du Premier ministre albanais Edi Rama, sur une plateforme commune sans laquelle aucune coalition ne serait possible. Celle-ci exige principalement la reconnaissance de la langue albanaise à égalité avec le macédonien partout dans le pays ; un système de meilleure représentation dans l’administration ; la poursuite du travail du Bureau du procureur spécial, mis en place pour enquêter sur toutes les affaires révélées par les écoutes ; la poursuite du processus d’intégration euro-atlantique ; et enfin la résolution de la question du nom avec la Grèce, qui bloque la Macédoine dans ce processus d’intégration depuis 2006.

Or, malgré l’accord trouvé, le président de la république Gjorge Ivanov, issu du VMRO-DPMNE, a refusé de donner mandat au SDSM pour former un gouvernement, au motif que la plateforme albanaise serait une menace pour l’unité de la Macédoine et que les partis albanais recherchent avant tout l’éclatement du pays en prenant leurs ordres à l’étranger. Cette position, notifiée à l’UE, aux Etats-Unis et à la Turquie par lettre officielle, a provoqué de vives réactions de la part de l’opposition mais aussi de l’Union européenne. Cette dernière, par la voix de la Haute Représentante Federica Mogherini et du commissaire à l’élargissement, Johannes Hahn, a explicitement appelé le président Ivanov à revenir sur sa décision.

Ce qui se joue dans cette crise peut donc se lire à plusieurs échelles. D’abord, l’enjeu pour la Macédoine elle-même est crucial puisque l’on se dirige vers la continuation de la crise politique par d’autres moyens. Là où les oppositions au VMRO ont protesté dans la rue pendant des mois pour exiger des changements, ce sont aujourd’hui les militants du VMRO qui occupent la rue pour s’opposer à la possibilité de ce nouveau gouvernement dont le VMRO serait exclu, et pour réclamer des élections anticipées en mai prochain, en même temps que les élections municipales. En réalité, il fait peu de doute que Nikola Gruevski fera tout ce qui est possible afin de ne pas perdre le pouvoir, puisque cela signifierait devoir rendre des comptes au Bureau du procureur spécial sur les très nombreuses affaires dans lequel lui et ses amis sont impliqués. La stratégie du VMRO consiste donc à exacerber le débat et à le ramener sur le terrain ethnique, c’est pourquoi on ne peut pas exclure une fuite en avant violente. En tout état de cause, quand bien même un mandat serait donné dans les prochains jours à Zoran Zaev, cela ne signifie pas que la crise politique sera terminée.

Ensuite, il faut lire cette crise à l’aune de la situation régionale dans les Balkans. Depuis plusieurs mois maintenant, des tensions grandissent entre les différents acteurs, que ce soit la course aux armements entre la Croatie et la Serbie, les provocations serbes à propos du Kosovo, ou encore la confrontation entre Bosniaques et Serbes de Bosnie à propos d’un éventuel appel de la plainte de la de Sarajevo contre Belgrade pour génocide devant la Cour internationale de justice. La presse tabloïd serbe, sous le contrôle du gouvernement, ne cesse de se faire l’écho quotidiennement de supposés complots ourdis tantôt par les Albanais, les Turcs, les Croates, les Américains et l’OTAN contre les Serbes. Dernièrement, cette rhétorique rejoint celle des nationalistes macédoniens selon lesquels l’acceptation de la plateforme albanaise en Macédoine est la première étape vers la construction d’une grande Albanie et le dépeçage de la Macédoine. De fait, bien que chaque dossier soit distinct, chacun participe d’une atmosphère régionale lourde et belliqueuse.

Enfin, l’analyse de la situation en Macédoine doit également s’opérer à un niveau international. Ainsi, bien que la Russie ait été très largement en retrait depuis le début de la crise, on observe des déclarations venant de la diplomatie russe. Celles-ci, reprises par le VMRO, vont dans le sens d’une dénonciation d’une tentative de coup d’Etat mené par les Etats-Unis et l’UE avec l’aide de « sorosoïdes » locaux, du nom du financier et philanthrope George Soros, déclaré ennemi de tous les autocrates d’Europe de l’Est, dans la droite ligne de la dénonciation des « révolutions de couleurs » fomentées par l’Occident contre la Russie. Si la Russie n’a pas vraiment intérêt à investir politiquement dans la crise macédonienne, sa stratégie d’obstruction à moindre frais dans les Balkans peut s’avérer une fois de plus concluante comme en Bosnie, si d’autres acteurs, à commencer par l’Union européenne, ne prennent pas les devants.

Bruxelles avait imposé ces élections comme solution de sortie de crise, assortie de certaines conditions. Celles-ci n’avaient pas vraiment été remplies, et le VMRO avait même reçu le soutien de certains leaders de la droite européenne pour le ministre des Affaires étrangères autrichien, Sebastian Kurz, tout heureux de pouvoir compter sur Skopje pour retenir les migrants. Par conséquent, Nikola Gruevski pensait bien pouvoir remporter ces élections et ainsi obtenir un blanc-seing de l’UE, mise devant le fait accompli. C’est le scénario inverse qui est en train de se reproduire, mettant autant Gruevski que l’UE devant leurs responsabilités car, désormais, les cartes sont rebattues, et aucun scénario ne peut être exclu pour la suite.

Birmanie : violents combats en région Kokang, une nouvelle ‘piqure de rappel’ au pays de La Dame

Wed, 08/03/2017 - 18:39

D’ici quelques semaines, la République de l’Union du Myanmar – la Birmanie pour tout un chacun – célébrera le tout premier anniversaire du gouvernement de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), de l’emblématique et mondialement appréciée Aung San Suu Kyi. Le 31 mars 2016, cinq long mois après un franc succès électoral enregistré à l’occasion du premier véritable scrutin démocratique organisé en Birmanie depuis des décennies (8 novembre 2015), l’administration menée par l’ancien prix Nobel de la paix entrait solennellement en fonction. Elle succédait au premier gouvernement post-junte militaire du Président Thein Sein (2011-2016) ; un chef de l’Etat, qui, après avoir exercé des fonctions de première importance du temps des militaires (ex-Premier ministre de la junte), endossa un costume plus civil. Une mue relative, dont le dessein était d’accompagner les premières années d’une transition démocratique. Cette dernière était appelée de ses vœux par une population éreintée par un demi-siècle de mainmise de l’institution militaire sur le destin national, et ardemment souhaitée par une communauté internationale – occidentale serait plus juste – aux appétences démocratiques contrariées jusqu’alors en ces terres Sud-Est asiatiques, baignées d’un bouddhisme à l’occasion militant.

Aung San Suu Kyi n’a pu personnellement succéder à Thein Sein, la faute à une disposition pour le moins étonnante de la Constitution de 2008 (‘’inspirée’’ par la plume rigide des militaires). Il en fallait naturellement davantage à cette opposante tenace (astreinte à une quinzaine d’années en résidence surveillée) et passionaria de la cause démocratique pour contrarier ses projets. À défaut de présidence dans le droit, un poste créé sur mesure de conseillère d’Etat additionné à un portefeuille de ministre des Affaires étrangères lui confient a priori l’autorité politique nécessaire[1], tant auprès de ses administrés que d’une communauté internationale ravie de composer, de gouvernement à gouvernement désormais, avec cette dernière.

Pour autant, cette transition en douceur entre ces deux administrations à l’ADN politique pour le moins distinct (militaro-civil pour le gouvernement Thein Sein ; civilo-démocratique pour l’administration au pouvoir aujourd’hui) n’a pas épuré la feuille de route du gouvernement LND d’une kyrielle d’hypothèques et de maux plus délicats à gérer les uns que les autres. Si elle n’est plus directement au pouvoir, la très influente institution militaire est fort loin de la périphérie de l’autorité[2] et ne rend pas exactement compte de sa feuille de route personnelle à Aung San Suu Kyi. Le processus de paix, élevé au rang de priorité nationale par La Dame lors de son intronisation, peine un an plus tard à convaincre l’ensemble des parties prenantes (à commencer par les groupes ethniques armés) de sa viabilité, tant les efforts de dialogue menés ces six dernières années se heurtent à une nette recrudescence des affrontements. Ces derniers mettent aux prises en divers points du territoire (Etats Shan et Kachin notamment) l’armée régulière (la tatmadaw) face à une demi-douzaine de groupes ethniques armés (regroupés au sein d’une Northern Alliance-Burma pour quatre d’entre eux), comme en témoignent les événements des tous derniers jours dans la région Kokang (Etat Shan) et leur lot de victimes (une trentaine de morts).

On pourrait également associer à ces contingences et revers rédhibitoires la situation de crise prévalant depuis – à minima – octobre 2016 dans le fragile Etat occidental de l’Arakan. Dans cet État, une importante opération contre-insurrectionnelle menée par la tatmadaw aurait officiellement pris fin début mars 2017. Un périmètre sensible qui aurait été le théâtre – dans la foulée de l’attaque meurtrière début octobre 2016 de plusieurs poste-frontaliers du Bangladesh par des militants rohingyas radicalisés – de violences et d’excès divers de la part des forces de sécurité. Au point que diverses agences et autorités onusiennes, ainsi que plusieurs gouvernements asiatiques (Malaisie, Pakistan et Bangladesh) demandent retenue et explications au gouvernement birman. Le gouvernement civil LND est par ailleurs mal à l’aise sur le sujet, tant la conduite et le contrôle des affaires de défense et de sécurité lui échappent. Elles relèvent en effet de l’autorité exclusive des généraux, donc du senior-general et chef des armées birmanes Min Aung Hlaing, sur lequel le gouvernement et Aung San Suu Kyi n’ont guère de prise…

Il n’empêche, un an après sa prise de fonction très attendue, les 55 millions de Birmans et la communauté internationale (grandes capitales occidentales ; institutions de défense et de protection des droits de l’homme ; société civile et ONG) ont toujours, et quasi-exclusivement, le regard tourné vers The Lady pour tout et son contraire, du faisable à l’impossible. A tort bien entendu.

Loin de l’omnipotence, l’administration LND et sa charismatique figure de proue composent avec l’institution militaire, en plus de leur inexpérience dans la gestion des affaires nationales (ne parlons pas de l’hypercentralisation du processus de décision autour d’Aung San Suu Kyi) et d’un pool d’expertise parfois sujet à caution. L’appareil militaire est toujours terriblement influent, il campe sur ses prérogatives exorbitantes et déroule sa propre feuille de route. Une roadmap pas nécessairement toujours calée sur celle des autorités civiles, pour dire le moins (cf. implication dans le processus de paix).

Face aux attentes populaires considérables nées de l’accès de la LND aux plus hautes responsabilités civiles, le gouvernement birman déploie bonne volonté, soutien extérieur, appel à la concorde et à la réconciliation nationale, et quémande aussi un brin de patience et de mansuétude. Si le bilan de ses douze premiers mois d’exercice peut donner matière à appréciation critique, le ‘’bénéfice du doute’’ lui profite encore. Rien qui ne menace en l’état la poursuite de son difficile apprentissage des affaires de l’Etat.

En revanche, La Dame et son équipe rapprochée devront très certainement se passer ces prochains mois d’une quelconque bienveillance de l’influente tatmadaw, voire, situation plus problématique encore, se trouver en porte-à-faux avec elle sur certains dossiers sensibles (poursuite des hostilités en zone ethnique ; participation de certains groupes ethniques armés au processus de paix ; validation de grands projets industriels ; sort de la communauté rohingya ; etc.). Des perspectives déplaisantes que l’on ne souhaite guère à La Dame mais auxquelles l’opiniâtre lauréate du prix Nobel de la paix et l’opinion feraient bien de se préparer.

[1] Les responsabilités de chef de l’Etat échoient par ailleurs à un de ses proches – U Htin Kyaw -, lequel se cantonne depuis lors à des activités protocolaires secondaires et ne fait guère d’ombre à La Dame.

[2] Il revient par exemple au commandant en chef des armées birmanes de nommer trois ministres régaliens sans en référer au président ou au Parlement : les ministres de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires frontalières. Par ailleurs, un quart des sièges dans les diverses assemblées sont réservés, hors de tous scrutins, aux militaires.

Syrie : un État failli sans souveraineté

Wed, 08/03/2017 - 17:23

La prise d’Alep par le régime de Bachar Al-Assad, fin décembre 2016, a permis de prouver que les Russes éraient capables d’utiliser avec succès la force militaire à des fins politiques, contrairement aux Américains. Mais, si cette réussite conforte indéniablement le maintien au pouvoir du président syrien, elle ne règle en rien la question fondamentale de l’avenir de la Syrie, pas plus qu’elle ne dégage les moyens de mettre fin au conflit qui l’ensanglante depuis 2011.

Les Russes se trouvent désormais confrontés à une impasse en Syrie. Le pays est en effet complètement détruit : Près de 70 % des Syriens vivent dans une situation d’extrême pauvreté, incapables de satisfaire leurs besoins élémentaires ; le taux de chômage est proche de 60 % ; l’espérance de vie a chuté de vingt ans depuis le début de la révolte et de la guerre civile en 2011 ; la moitié des enfants, génération perdue, ne va plus à l’école ; le système de santé publique, autrefois efficace, est démantelé et certaines maladies qui avaient disparu – comme la tuberculose, la typhoïde, le choléra et même la poliomyélite – sont réapparues ; la moitié de la population a été déplacée et le nombre de victimes a dépassé 300 000 morts, auxquels il faut ajouter entre 1 et 2 millions de blessés. Une grande partie des élites et les classes moyennes ont fui le pays. Celui-ci, autrefois moderne, doté de services publics éducatifs et de santé performant, est quasiment revenu à un âge préindustriel. Bref, la Russie a hérité de la responsabilité d’un État failli.

Si l’opposition n’est pas en mesure de renverser Bachar Al-Assad, celui-ci n’est pas davantage en mesure de reconquérir l’ensemble du pays. Ce « pat »[1] stratégique n’est pas supportable à long terme pour Moscou. Certes, du fait de l’absence d’opérations terrestres massives russes, l’effort militaire est tout à fait endossable. Les pertes humaines sont limitées et le coût des opérations aériennes est maîtrisé. Mais la Russie n’a pas les moyens de reconstruire la coquille vide qu’est devenue la Syrie. Il est donc indispensable aujourd’hui de trouver une porte de sortie qui ne peut être que politique, faute de quoi la Syrie, qui ne produit quasiment plus rien, deviendra un fardeau de plus en plus lourd à supporter pour la Russie.

Bachar Al-Assad se présente comme le garant de la souveraineté syrienne mais ne l’est en rien. Son discours nationaliste et patriotique ne survit pas à l’épreuve des faits. Celui qui est présenté comme le maître de Damas n’est pas maître de grand-chose au sein de son propre pays, qui ne tient que par l’appui militaire de la Russie et de l’Iran. Dépendant de ses protecteurs, la Syrie a été mise sous tutelle de Moscou et, plus encore, de Téhéran. Elle n’est plus un État souverain mais un pays satellite.

L’Iran a très largement avancé ses positions en Syrie. Il participe à la restauration de la capitale et est investi dans le pays. Ce sont les Iraniens, plus précisément les gardiens de la révolution, qui ont le poids politique le plus important à Damas. Le Hezbollah, malgré des pertes si importantes qu’elles l’ont poussé à interdire la plupart des enterrements publics au Liban, demeure impliqué dans la sauvegarde d’un gouvernement allié et fondamental à sa survie.

Poutine ne tirera de bénéfices de la prise d’Alep que si cette victoire militaire débouche sur une solution diplomatique. Peut-il la mettre en œuvre en laissant Bachar Al-Assad au pouvoir ? L’Iran le soutien plus fermement que la Russie, qui souhaite, elle, démontrer que le concept de « changement de régime » par l’extérieur prôné par les Occidentaux ne fonctionne pas.

Se dirige-t-on vers un partage du pouvoir entre des éléments du régime sans Bachar Al-Assad et toute l’opposition sans les djihadistes ? C’est la seule façon d’éviter une somalisation de la Syrie.

[1] Aux échecs, se dit d’une position dans laquelle aucun des deux joueurs ne peut remporter la partie, qui est alors déclarée nulle.

« La Turquie en 100 questions » – 3 questions à Dorothée Schmid

Wed, 08/03/2017 - 11:25

Spécialiste des questions méditerranéennes, Dorothée Schmid dirige le programme « Turquie / Moyen-Orient » de l’Ifri (Institut Français des Relations Internationales). Elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « La Turquie en 100 questions », aux éditions Tallandier.

Peut-on parler d’alliance entre la Turquie d’Erdogan et la Russie de Poutine ?

Il est plus juste de parler de rapprochement, car aucune alliance formelle n’a été conclue. Ces deux partenaires sont versatiles et leurs intérêts ne convergent pas forcément sur les sujets qui leur sont à chacun essentiels. Historiquement, il ne faut pas oublier que les empires russe et ottoman se sont fait régulièrement la guerre pendant quatre siècles pour le contrôle de territoires à leurs frontières. Encore aujourd’hui, la relation diplomatique entre les États-nations russe et turc est complexe, marquée par le calcul et une forme de défiance. La crise syrienne entretenait un climat de tension implicite depuis 2011, les deux pays se trouvant opposés sur l’attitude à tenir face au régime de Bachar Al-Assad ; entre novembre 2015 et juin 2016, la Russie et la Turquie étaient même à couteaux tirés à la suite d’un grave incident : la défense anti-aérienne turque avait abattu un avion russe brièvement entré dans son espace aérien depuis la Syrie.

Des facteurs structurels expliquent cependant le rapprochement actuel. On parle ici de deux puissances qui cherchent à s’imposer dans leur environnement régional et qui entretiennent un rapport ambivalent avec l’Europe : la Turquie veut intégrer l’Union européenne (UE) et se voit maintenue à la porte de ce qu’elle nomme un « club chrétien » ; la Russie entretient un rapport de plus en plus ouvertement conflictuel avec l’UE, dont elle remet en cause à la fois le concept et les frontières. Une complicité de puissances eurasiatiques s’esquisse ainsi face à l’Europe occidentale. L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) est un autre paramètre : la Russie veut affaiblir l’organisation, au moment où la Turquie s’estime négligée par ses alliés atlantiques. Du point de vue économique, les deux pays sont complémentaires, à l’avantage de la Russie, qui fournit à la Turquie les deux-tiers du gaz que celle-ci consomme ; mais la Turquie a récupéré des marchés lorsque la Russie a été placée sous sanctions par les Occidentaux. Enfin, affaibli par le coup d’État manqué de juillet 2016, le régime de Tayyip Erdoğan a trouvé dans la Russie une sorte de protecteur.

La Turquie est-elle un partenaire solide de l’OTAN ?

La Turquie entre dans l’OTAN en 1952, en même temps que la Grèce, avec qui elle a pourtant entretenu pendant longtemps des relations très difficiles. Pendant la guerre froide, elle a joué un rôle essentiel de rempart face à l’Union soviétique au sud-est de l’organisation. Les tensions en mer Egée ont persisté et la crise de Chypre (1974) a été une première alerte pour les relations Turquie-OTAN. Le rôle de la Turquie dans l’organisation a évidemment évolué avec la chute du mur de Berlin. Washington a alors assigné à Ankara une mission de passeur entre Occident et Orient. La Turquie est longtemps restée le seul membre musulman de l’OTAN, et se prévalait de cette particularité pour valoriser sa contribution, par exemple dans le cadre de la force de stabilisation en Afghanistan (FIAS).

L’embrasement de la Syrie à partir de 2011 a placé la Turquie en première ligne face aux crises du Moyen-Orient. Possédant plus de 900 km de frontière avec ce pays, elle est exposée de façon très immédiate aux retombées du conflit et a déjà fait appel à la solidarité otanienne pour assurer la protection de son territoire : des missiles Patriot ont ainsi été déployés par l’OTAN sur la frontière en 2013 à la suite d’un attentat majeur perpétré dans la province de Hatay.

L’autonomisation progressive de la diplomatie turque, ses choix peu lisibles en Syrie – opposition à Bachar Al-Assad, soutien probable à des factions islamistes, implication dans des trafics – ont provoqué une crise de confiance avec l’OTAN. L’année 2015, qui a vu Daech commettre des attentats en Europe et aux États-Unis, a marqué un tournant, par le renforcement de la coopération en matière de renseignement et de police pour surveiller les mouvements des djihadistes étrangers. Ankara a refusé jusqu’à l’été 2015 de rejoindre formellement la coalition anti-Daech et marchandé l’usage de sa base d’Incirlik aux avions alliés. De plus, depuis 2016 la Turquie flirte ouvertement avec la Russie, au point que de plus en plus d’analystes, notamment américains, discutent ouvertement de l’hypothèse de sa sortie de l’OTAN. Du point de vue sécuritaire, la Turquie a pourtant tout intérêt à rester dans le giron de l’OTAN car elle a impérativement besoin de son appui pour se protéger dans une région qui s’embrase.

Comment résoudre la question kurde ?

La question kurde empoisonne le climat politique turc depuis plus de 30 ans, c’est-à-dire depuis que le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, guérilla marxiste classée sur la liste des organisations terroristes par l’UE et les États-Unis) a déclaré la guerre à l’État turc. Cette guérilla, qui a fait des dizaines de milliers de morts, trouve ses origines dans l’impossible reconnaissance de l’identité kurde en Turquie, depuis l’établissement de la République : des révoltes ont été matées par la force dès les années 1920, pour hâter l’intégration des Kurdes dans le moule national kémaliste. Les Kurdes représentent à l’heure actuelle entre 15 et 20 % de la population du pays. Leurs particularismes ont été systématiquement niés, pas seulement en Turquie mais dans tous les pays du Moyen-Orient où ils constituent une forte minorité : en Syrie, en Irak jusqu’à la guerre du Golfe qui a permis l’autonomisation d’une région kurde, et en Iran.

L’AKP, parti au pouvoir, a adopté dans un premier temps une approche novatrice sur ce dossier : Tayyip Erdoğan considère les Kurdes comme un réservoir de voix ; il a su capter en partie un électorat kurde déçu par les performances des partis à base ethnique et lassé de la violence du PKK. Des concessions culturelles ont été accordées : autorisation limitée de l’usage et de l’enseignement de la langue, lancement d’une chaine de télévision nationale en kurde… Un processus de paix a même été ouvert avec le PKK en 2013, mais il a buté à la fois sur l’absence de programme politique clair de la part du gouvernement et de motivation du PKK pour la paix. Depuis la reprise des hostilités en juillet 2015, le PKK a déclaré l’insurrection urbaine, portant le combat dans les villes ; les autorités turques lui ont répondu par une guerre totale, menant des opérations militaires de grande envergure à l’Est et arrêtant massivement des membres du parti pro-kurde HDP (Parti démocratique des peuples).

La partie s’est compliquée avec la consolidation en Syrie d’un parti kurde militarisé, le PYD, émanation du PKK, qui contrôle désormais un territoire important (presque tout le long de la frontière turco-syrienne) : la Turquie le perçoit comme une menace pour son propre territoire, affirmant que des combattants kurdes syriens prêtent désormais main-forte au PKK.

La reprise du processus de paix est en réalité la seule solution possible, préalable à une négociation politique qui en finirait avec les discriminations en Turquie. Il faudrait y redéfinir la citoyenneté en laissant de côté le critère ethnique, poursuivre les concessions culturelles et envisager une forme de décentralisation administrative. Les Turcs doivent comprendre que les Kurdes de Turquie sont dans leur grande majorité légitimistes : ils souhaitent rester dans le giron de la Turquie, sans être niés dans leurs spécificités. Le plus difficile sera évidemment le désarmement du PKK ; il faudra sans doute s’inspirer d’autres processus de paix – la Colombie a récemment montré l’exemple.

Face aux incertitudes de l’administration Trump, l’alliance indo-japonaise vitale

Tue, 07/03/2017 - 18:28

Selon The Japan News, le Japon et l’Inde organisent très prochainementà Tokyo une réunion de leurs vice-ministres chargés des Affaires étrangères et de la Défense, afin de discuter de la situation internationale après l’entrée en service en janvier de l’administration du président américain Donald Trump. Des sources ont indiqué que les responsables japonais et indiens discuteront des mesures qui visent à renforcer davantage la coopération en matière de sécurité, ainsi que des problèmes régionaux des deux pays, dont l’expansion maritime de la Chine. Le Japon et l’Inde, qui ont développé un partenariat stratégique mondial, ont rapidement renforcé leurs relations économiques et sécuritaires ces dernières années. Un approfondissement de cette relation dans le contexte de la nouvelle administration Trump semble nécessaire.

Le Premier ministre Shinzō Abe a tenu son premier sommet officiel avec le président américain Donald Trump les 10 et 11 février. Etant l’allié le plus important du Japon, il était crucial pour Abe de réaffirmer ses liens bilatéraux de sécurité et commerciaux avec les États-Unis, souligne The Japan Times. À bien des égards, le sommet a été considéré comme un grand succès pour Abe. Au cours de leur conférence de presse conjointe, M. Trump a qualifié l’alliance entre les États-Unis et le Japon de « pierre angulaire de la paix et de la stabilité dans la région du Pacifique » et a indiqué l’engagement de son administration à « la sécurité du Japon et de toutes les régions sous son contrôle administratif ».

Bien qu’il y ait peu de doutes quant à la capacité de l’alliance multi-décennale à surmonter quelques tempêtes diplomatiques, les incertitudes demeurent néanmoins concernant l’orientation de l’administration Trump sur la politique étrangère. De telles incertitudes posent un risque de malentendu stratégique pour le Japon, soulignant la nécessité pour Tokyo de rechercher une stabilité stratégique supplémentaire au-delà de l’alliance avec les Etats-Unis. Dans un tel climat géopolitique, le Japon profitera de l’amélioration des liens avec d’autres acteurs régionaux et de liens plus étroits avec l’Inde – un partenaire naturel pour Tokyo.

Le sommet Inde-Japon de 2016 prévoyait un rôle régional plus important pour les deux pays. Partageant une vision commune de la démocratie et n’ayant pas de contentieux historiques comme la Chine ou la Corée, le Japon et l’Inde sont des alliés naturels et sont prêts à étendre la portée de leur coopération économique, stratégique et de défense. Significativement, le Japon est le seul pays que l’Inde a laissé pénétrer dans sa région politiquement sensible du Nord-Est, où Tokyo investit dans des projets de développement socio-économique. Depuis 1981, le gouvernement japonais a fourni à cette région des prêts d’aide publique au développement dans les domaines de l’énergie, de l’approvisionnement en eau, de l’exploitation forestière et du développement urbain. De plus, New Delhi a autorisé pour la première fois les investissements étrangers dans les îles d’Andaman et Nicobar, stratégiquement vitales. En outre, les deux pays ont signé un accord nucléaire civil en 2016, faisant de l’Inde le premier pays non signataire du Traité sur la non-prolifération nucléaire à signer un tel accord avec le Japon.

Les deux pays partagent des inquiétudes quant aux décisions imprévisibles de la politique étrangère de l’administration Trump. Par ses déclarations, ce dernier a mis en question la crédibilité du leadership et de l’engagement des États-Unis envers ses partenaires. Il a présenté le Japon comme un cavalier solitaire (free-rider) qui bénéficie de la garantie de sécurité des États-Unis sans en assumer les coûts. Il a également critiqué les pratiques japonaises en matière automobile et a accusé le Japon de dévaluer sa monnaie.
Or, plusieurs membres de l’ASEAN sont en conflit avec la Chine, conflit portant sur les différends territoriaux en mer de Chine méridionale. Ces tensions, combinées à la possibilité que les États-Unis jouent un rôle réduit dans la région, peuvent rendre certains pays nerveux à la perspective de l’émergence de la Chine en tant que seul acteur dominant sur le plan régional.

Le renforcement des relations sino-indiennes est donc opportun et offre une alternative à la domination sans entrave de la Chine. Le Japon et l’Inde s’engagent déjà auprès d’autres acteurs régionaux : M. Abe a visité les Philippines, l’Australie, l’Indonésie et le Vietnam en janvier afin de promouvoir une coopération étroite, tandis que la politique de «Act East» du Premier ministre indien Modi veut accroître la connectivité avec les pays asiatiques.

Cependant, pour assurer la stabilité régionale, Tokyo et New Delhi devraient également s’engager avec la Chine pour promouvoir des solutions pacifiques aux conflits régionaux. Certains pourraient soutenir que l’Inde n’a pas la volonté politique d’assumer un rôle de leadership plus important dans la région Asie-Pacifique. Cependant, New Delhi s’active déjà à freiner l’emprise de plus en plus grande de la Chine dans les littoraux de l’océan Indien, qui étaient traditionnellement sous la sphère d’influence de l’Inde. Elle peut s’appuyer sur le Japon : à la mi-février, les deux pays ont convenu qu’ils pouvaient jouer un rôle important dans le maintien de la paix et de la stabilité dans la région indo-pacifique. Kiren Rijiju, ministre d’Etat à l’Intérieur, a déclaré que les deux parties ont la responsabilité de maintenir la paix et la stabilité dans la région car elles ne croient pas à la nécessité de la militarisation de cette zone, rapporte The Indian Express. Il a assuré que le Premier ministre Narendra Modi partage une relation chaleureuse avec son homologue Shinzō Abe. Gageons que les deux pays ont intérêt à développer des relations empreintes de chaleur, d’humanité et de coopération stratégique face à la rhétorique parfois glaciale de Washington et Pékin.

RD Congo, des funérailles à hauts risques

Tue, 07/03/2017 - 16:26

La mort d’Etienne Tshisekedi à 84 ans, éternel opposant du pouvoir en République démocratique du Congo et dont la dépouille arrive depuis Bruxelles à Kinshasa le 11 mars, rebat complétement les cartes du jeu politique national. Elle augure mal d’une mise en oeuvre rapide de l’accord de la Saint Sylvestre, signé péniblement entre les divers protagonistes du jeu politique le 31 décembre dernier.

Etienne Tshisekedi, le « Sphinx de Limeté », a incarné à lui seul l’opposition congolaise pendant plus de 30 années de lutte, d’abord contre la dictature de Mobutu (1965-1997), puis contre ses successeurs à la tête du pays : Laurent-Désiré Kabila (1997-2001) et son fils Joseph Kabila depuis 2001. Ce dernier, réélu président en novembre 2011 avec un scrutin marqué par des fraudes massives, disposait d’un mandat qui s’est achevé le 20 décembre, sans que la prochaine élection présidentielle n’ait été organisée.

De sa voix métallique, Etienne Tshisekedi pouvait mobiliser des dizaines de milliers de jeunes des quartiers populaires de Kinshasa, enclins à affronter les forces de sécurité. Un brin mégalomane, autoritaire avec ses troupes et populiste, la manifestation était son arme ultime. Ses sympathisants, les « combattants » et les « parlementaires debout » transmettaient les consignes et les mots d’ordre du chef. Ayant toujours refusé la voie des armes dans un pays traversé par de multiples rébellions depuis son indépendance, le « vieux » maîtrisait mieux que personne la mobilisation populaire pour secouer les régimes successifs. Mais il n’est jamais parvenu à les faire vaciller.

Conclu sous les auspices de l’Eglise catholique, l’accord de la Saint Sylvestre est censé ouvrir la voie à une cogestion du pays entre le pouvoir et l’opposition jusqu’à la tenue d’une élection présidentielle, finalement supposée se tenir fin 2017. Jusqu’à présent, les discussions ont surtout porté prosaïquement sur le « partage du gâteau » : la distribution des rentes, et notamment des portefeuilles ministériels, plus que sur la manière d’organiser en pratique les élections dans le temps convenu.

Les difficultés d’organisation des élections sont considérables dans cet immense pays – cinq fois la superficie de la France – avec de nombreux territoires enclavés, faute d’infrastructures routières. La logistique représente le premier défi. Sans les moyens considérables mis en place par la Mission des Nations unies de maintien de la paix (MONUSCO), encore forte d’un contingent de 20 000 Casques bleus et d’un parc d’aéronefs qui en fait la troisième compagnie aérienne d’Afrique, les élections ne pourraient pas se tenir. Cet appui est indispensable pour aider à l’enregistrement d’environ 40 millions d’électeurs, à transporter le matériel électoral dans les 169 circonscriptions et les 62 000 bureaux de vote, et enfin à contrôler le scrutin. Aujourd’hui, 15 millions de personnes dans 13 des 16 provinces ont à ce jour été enregistrées. Le coût total de l’opération s’élève à 1,3 milliard de dollars.

La majorité, qui avait accepté de reconnaître le statut de président du Conseil de suivi de la transition politique (CNSA) à Etienne Tshisekedi intuitu personae, pourrait être tentée d’exiger un rééquilibrage qui remettra en cause l’accord si péniblement trouvé. De son côté, le Rassemblement de l’opposition tente, non sans mal, de se mettre en ordre de marche : Félix Tshisekedi, le fils, a été nommé président de la formation, tandis que l’ancien ministre des Affaires Étrangères, Pierre Lumbi, a été désigné à la tête du Conseil des sages. Certains suspectent une « infiltration » du pouvoir, d’autres au contraire saluent le fait que le mouvement n’ait pas implosé. Mais tous craignent que le Congo replonge dans la situation du début des années 1990, quand Mobutu au pouvoir était placé dans l’incapacité de gouverner, au point qu’il avait choisi d’aller vivre à Kawele loin des débordements politiques de l’opposition. Mobutu avait le contrôle de l’armée zaïroise ; ce qui n’est pas le cas avec le pouvoir actuel qui n’a pas le contrôle sur toutes les unités des forces de sécurité, dont certaines sont formées d’anciens groupes rebelles encore mal intégrés.

Pendant ce temps à Kinshasa, mégapole chaotique de 12 millions d’habitants, la grogne s’amplifie au sein d’une population largement miséreuse, qui voit ses piètres conditions de vie se détériorer chaque jour avec les pénuries, les délestages, l’inflation et la dépréciation du franc congolais. Le ressentiment s’installe de plus en plus face à tout ce qui ressemble à un corps constitué : pouvoir, opposition, armée prédatrice et même l’Eglise catholique, pourtant encore auréolée de ses années de lutte contre la dictature mobutiste. Dans cette urbanité lézardée, le peuple louvoie, courbe l’échine, « taille le caillou » et amortit les chocs, habitué des coups et des à-coups. Résignés et accablés par le souvenir des divers « pillages » que de précédentes iniquités avaient provoqués, les Kinois savent qu’opposer la révolte face à l’injuste « crise » débouche invariablement sur des conséquences non seulement incalculables, mais plus désastreuses encore.

Les obsèques de Tshisekedi se dérouleront-elles dans le calme ? Quelle sera l’attitude des forces de l’ordre ? Passées les funérailles, la politique reprendra-t-elle ses droits ou plutôt ses mauvaises habitudes ? L’enjeu est une véritable alternance politique mais l’alternance n’appartient pas vraiment à la culture politique congolaise.

Macron et les questions régaliennes

Tue, 07/03/2017 - 10:55

Le 2 mars dernier, Emmanuel Macron dévoilait son programme. Les affaires stratégiques y sont décomposées en deux parties : Défense et International.

Partant du constat que les menaces sont désormais multiples, il souligne dans un premier temps la nécessité d’opérer un effort à la fois national et européen. Il résume la situation actuelle en trois points fondamentaux :

  • La France demeure une puissance militaire reconnue sur la scène internationale ;
  • Les forces armées françaises n’ont jamais été autant sollicitées ;
  • L’Europe de la défense est quasiment inexistante.

Il propose alors d’affecter 2% du Produit intérieur brut (PIB) au secteur de la défense d’ici 2022, de moderniser la force nucléaire française en conservant les deux composantes – aérienne et sous-marine[1] –, de conserver une force opérationnelle terrestre de 77 000 hommes et de renforcer la cyberdéfense. Il souhaite également conforter le quartier général européen (indépendant de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord – OTAN), créer un Conseil de sécurité européen pour éclairer les décideurs et activer les groupes tactiques qui n’ont jamais été déployés sur le terrain. Enfin, il propose de diminuer l’opération sentinelle et de composer une garde nationale de 80 000 hommes.

Macron soutient manifestement un effort de défense important. Il est conscient que, s’il a quelque chose à prouver, cela se situe plus sur le terrain régalien – supposé lui être moins familier – qu’économique. Sans doute veut-il dissiper l’idée d’une « citadelle Bercy », dont il est issu, fortement partisane d’une réduction des dépenses militaires.

La partie internationale met en avant l’instabilité du XXIème siècle, traversé par de nouvelles menaces mais également d’immenses opportunités.

Le premier constat est cruel : Selon Emmanuel Macron : « (…) depuis quinze ans, notre influence dans le monde a diminué (…) ce constat est tangible partout ». À l’exception du succès de la COP21, nuance-t-il. La France a perdu du terrain à Bruxelles, mais également au Moyen-Orient, en Afrique et, malgré des efforts récents, demeure peu présente en Asie, en Russie et en Amérique latine. Trois raisons expliquent ce phénomène : émergence de nouveaux acteurs ; incapacité à se réformer structurellement et retrouver une bonne santé économique ; diplomatie erratique qui a amené à la diminution de l’indépendance et du rôle de la France dans le monde. « (…) cette place singulière, cette voix différente, qui nous permet d’être une puissance d’équilibre et de dialogue, en conservant nos valeurs et les moyens de tenir nos engagements. » Il y a là des accents gaullo-mitterrandistes conjugués à la critique d’un affaiblissement d’une diplomatie autrefois plus allante.

Le programme insiste ensuite sur la compatibilité de nos intérêts et de nos valeurs, façon d’assumer la realpolitik sans renier la défense des principes. Lindépendance, si chère à notre pays, doit être mise en œuvre à la fois par une diplomatie fédératrice et mobilisatrice et la permanence de la dissuasion, clé de voûte de notre architecture de sécurité. Macron ne remet cependant pas en cause la place de la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN, même si l’élection de Trump ouvre une aire d’incertitudes. En limitant les éventuels élargissements aux Balkans, à la Suède et à la Finlande, il en conserve la porte fermée pour l’Ukraine et la Géorgie. Il propose par ailleurs de limiter les interventions de l’OTAN hors zone et, plus généralement, de n’engager la France dans de nouvelles opérations militaires extérieures que si les conditions d’une sortie de crise politique sont posées. Il soutient un élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies à l’Allemagne, au Japon, à l’Inde, au Brésil et à un pays africain.

Il se déclare favorable à une levée des sanctions à l’égard de la Russie, si les accords de Minsk sont respectés.

Son Europe est celle de la défense, construite à partir d’un noyau de pays solidaires face aux crises régionales communes, et la mise en commun des projets et des capacités. Pour lui, les conditions de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne (UE) ne sont pas réunies. Mais la porte ne doit pas lui être fermée. « Notre voix est écoutée et respectée quand elle défend nos intérêts mais qu’elle sait aussi porter un message, regarder et agir au-delà de ces seuls intérêts. » Il préconise d’anticiper une intense pression migratoire que le dérèglement climatique, la croissance démographique, les crises et les inégalités vont provoquer. En priorité ? La création d’une Organisation mondiale de l’environnement. Enfin, il se déclare en faveur d’une initiative globale européenne en vue d’un accord transversal avec la Chine.

Sur le conflit au Proche-Orient, Macron recherche les conditions d’une paix juste et durable qui permette aux deux États de coexister en sécurité. La sécurité d’Israël est pour lui un principe intangible, de même que la légitimité de l’État palestinien. Prudent, il ne précise pas plus son projet sur ce point afin de ne pas braquer les camps fortement opposés en France sur ce sujet. Mais cette ambiguïté est difficilement soutenable à terme. D’autre part, il prône la poursuite de l’ouverture vers l’Iran.

Si le principe de 0,7 % du PIB consacré à l’aide au développement est réaffirmé, il le conditionne à l’amélioration de la situation économique à l’horizon 2030.

Enfin, on remarque qu’Emmanuel Macron évite de récupérer la thèse de la « Troisième Guerre mondiale » ou de l’islamo-fascisme, sur lesquels François Fillon, candidat des Républicains, s’est récemment positionné.

Le programme international du candidat du mouvement « En Marche ! » n’est ni flamboyant ni répulsif mais sérieux et appliqué. Bien sûr, seuls des grands principes sont réellement évoqués. Dans la course à la présidentielle, il est capital pour Emmanuel Macron de montrer qu’il n’évite pas les questions stratégiques.

[1] Quand on entend parfois proposer la suppression de la composante aérienne ou, au moins, la réduction du budget nucléaire militaire.

États-Unis/Russie : Trump n’a toujours pas trouvé le bouton reset

Mon, 06/03/2017 - 14:14

Lors de son élection à la présidence des États-Unis en 2008, Barack Obama avait déclaré vouloir appuyer sur le bouton « reset » des relations américano-russes : maintien du programme de défense antimissiles, intervention en Libye et crispation russe l’en ont empêché.

Donald Trump, élu à la présidence en 2016, a confessé son admiration pour Vladimir Poutine. Il pensait – à la grande frayeur des milieux atlantistes – réussir là où son prédécesseur avait échoué. Cela n’en prend pas le chemin.

Établir une nouvelle relation avec la Russie devait être le point fort de la nouvelle présidence. En fait, les choses patinent car rien se ne passe comme prévu et la Russie est plutôt un « boulet » que traîne le nouveau président. Après la démission forcée, pour contact non autorisé avec des émissaires russes au cours de la campagne électorale, de son conseiller national à la Sécurité, Michael Flynn, c’est désormais son ministre de la Justice, Jeff Sessions, qui est sous pression : les Démocrates réclament sa démission pour avoir menti au sujet de ses contacts avec l’ambassadeur russe au cours de la campagne. Bien sûr, ces derniers veulent appuyer là où ça fait mal. Le Congrès, contrairement au président élu, ne regarde pas Poutine avec les yeux de Chimène.

Au-delà, on pourrait s’étonner que de simples contacts suscitent autant de problèmes. Finalement, Jeff Sessions, sénateur, pouvait légitimement rencontrer un ambassadeur. Mais, mentir et parjurer sous-serment lors de sa confirmation, en affirmant qu’il n’avait eu aucun contact, est plus grave. Aux États-Unis, bien plus qu’en France, le mensonge est une affaire sérieuse. Être pris en flagrant délit conduit à démissionner. Or, c’est davantage le fait d’avoir eu des relations avec les Russes que d’avoir menti qui est reproché à Jeff Sessions.

Les Démocrates estiment que les Russes, en s’immisçant dans la campagne électorale, sont à l’origine de leur défaite. Cela leur permet d’occulter leurs propres erreurs de campagne et les faiblesses de leur candidate, Hillary Clinton. Sur le fond, on peut penser qu’établir des contacts avec un pays étranger important, fut-il rival, est un processus normal dans la préparation d’une élection.

L’histoire des États-Unis a montré des bassesses bien plus graves encore. On se rappelle qu’en 1980, Ronald Reagan a intrigué pour que les otages américains en Iran ne soient pas libérés, afin de faire plonger Jimmy Carter, complètement piégé par cette affaire. Effectivement, cette affaire est devenue l’une des causes majeures de la défaite de Carter et de la victoire, plutôt surprise à l’époque, de Reagan. Si on remonte plus loin dans le temps, il y eut encore pire. Richard Nixon, bien qu’il l’ait toujours démenti (ce sont des faits désormais avérés) avait œuvré pour que les Vietnamiens du Sud ne viennent pas à des négociations qui auraient pu aboutir à un accord de paix en 1968. Il ne voulait pas que le président Johnson puisse se targuer d’être à l’origine de ce succès. Hubert Humphrey, candidat démocrate contre Nixon, aurait pu bénéficier de cet accord et le priver d’un argument majeur. Ce dernier a fait capoter les accords de paix au Viêtnam, qu’il a par la suite signés lui-même comme président. La poursuite de la guerre a entraîné des victimes supplémentaires, ce qui est hautement plus dramatique que la dissimulation de contacts avec l’ambassadeur d’un pays, rival ou non.

Trump et la Russie : quand le mensonge coûte cher

Sat, 04/03/2017 - 19:08

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Approbation du CETA par le Parlement européen : l’UE en fer de lance du libre-échange ?

Sat, 04/03/2017 - 16:35

En dépit de vives critiques et de manifestations, le Parlement européen a finalement voté à une large majorité le 15 février 2017 en faveur du CETA, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Canada. Concrètement, quelles en seront les conséquences pour l’Europe ?

Il est très compliqué de s’exprimer sur les conséquences que pourrait avoir le CETA pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, le contexte particulier lié à l’élection de Monsieur Trump. Les Etats-Unis entrent vraisemblablement dans une nouvelle ère économique, qui va être probablement davantage protectionniste après plusieurs décennies d’engagements bipartisans pour le libre-échange. Dans ce contexte, on peut comprendre que le Parlement européen ait souhaité renforcer un partenariat avec le Canada, afin de réaffirmer l’attachement européen au libre-échange.

Deuxième raison possible, le TTIP qui avait été négocié entre les Etats-Unis et l’Europe est désormais obsolète, en tous cas pour les années à venir. Il est aussi important de se rappeler que ces traités de libre-échange ont été proposés après la crise de 2008, dans un contexte où dans les années qui suivirent la crise, les pays émergents prenaient de plus en plus de poids dans l’économie et le commerce mondial. En 2012, par exemple, le commerce entre les pays du Sud avait représenté la moitié du commerce mondial et beaucoup commençaient à penser qu’ils allaient à l’avenir être les principaux moteurs de la croissance mondiale. Or, un sujet divisait les pays développés et en développement en matière de commerce : la question des normes. En particulier les normes sociales et environnementales, que les pays émergents refusaient et dont les pays développés, mieux disant sur ces sujets, considéraient qu’elles les pénalisaient. Il s’agissait donc d’un enjeu beaucoup plus stratégique qu’économique : celui de renforcer un partenariat entre les grands pays développés dans un intérêt partagé bien compris. Le paradoxe vient probablement du fait que ce qui a justement inquiété les ONG, ce sont les négociations sur cette question des normes.

Les conséquences du CETA vont ainsi dépendre de l’évolution du contexte général. La Chine semble prendre le relais des Etats-Unis pour soutenir le libre-commerce. Ce fut en tous cas l’objet du discours du président chinois à Davos.

Malgré tout, les conséquences risquent d’être relativement limitées puisque le libre-échange est déjà la règle entre l’Europe et le Canada. Le CETA porte en réalité sur des points extrêmement précis. Les conséquences macroéconomiques globales en seront donc probablement très faibles. Par contre, il y aura des conséquences sectorielles et c’est là que l’on peut comprendre la position des opposants au traité car elles peuvent avoir des implications relativement importantes pour une partie de la population. Il s’agit également de défendre des modèles de société : les traités de libre-échange sont aussi là pour réduire les prix et pour faciliter l’échange, donc ils représentent un soutien permanent à la société de consommation. Ce sont des éléments qui peuvent aujourd’hui gêner, voire choquer, alors que l’on observe la volonté croissante d’une évolution vers un monde différent…

Contrairement à une grande partie des autres membres de l’UE, les députés français ont voté très majoritairement contre le traité (seulement 16 eurodéputés français sur 74 ont voté en sa faveur). Comment expliquez-vous cette réticence et exception française ?

Les Français ont toujours été à la fois divisés et critiques sur la question du libre-échange, du capitalisme, de la mondialisation, etc. Beaucoup plus peut-être que ne le sont les autres pays. De ce point de vue, cette réaction n’est donc pas forcément étonnante. Elle a été tout de même de grande ampleur puisque les eurodéputés français ont voté majoritairement contre le CETA. Cela fait suite à un certain nombre d’oppositions de la part d’ONG qui a conduit à alerter les députés. L’idée qui commence à émerger aussi est qu’au fond on négocie quelque chose d’assez marginal : est-il nécessaire de négocier maintenant ce traité, impliquant beaucoup de paperasse bureaucratique, alors qu’il va changer assez de peu de choses ? Evidemment, les partisans du traité vont rétorquer que c’est le moment ou jamais car l’OMC et les négociations multilatérales sont très compliquées, tandis que le cycle de Doha fait face à des difficultés (lancé en 2001 et toujours non conclu, alors qu’il aurait dû s’achever en décembre 2005).

C’est aussi très symbolique pour l’Europe et le Canada de marquer le fait que s’engager dans le libre-échange est la seule voie possible. Il ne faut pas oublier, et c’est relativement peu cité dans le débat autour du CETA, que le libre-échange, malgré tous les défauts qu’on lui prête, est plus équitable in fine que le protectionnisme. Ce dernier ne peut être l’apanage que des plus forts, au profit des plus forts. On peut comprendre que le libre-échange ne soit plus convaincant pour un certain nombre d’acteurs mais le protectionnisme n’est pas l’alternative souhaitable. Que fait-on entre les deux ? Cette question est assez rarement posée. Quelle est la solution si l’on renonce à négocier des traités de libre-échange ? Peut-être faut-il davantage repositionner les traités au sein de l’OMC. Mais si la seule alternative au libre-échange réside dans le protectionnisme, ce n’est pas du tout une bonne nouvelle.

Le 23 janvier 2017, Donald Trump a signé l’acte de retrait du partenariat transpacifique (TPP). Face au repli protectionniste des Etats-Unis, l’UE a-t-elle une carte à jouer pour devenir l’actrice centrale du libre-échange mondial ?

Actrice centrale, ce serait un petit peu prétentieux et probablement peu réaliste dans le contexte actuel de crise européenne. Les Chinois souhaitent aussi avoir un rôle déterminant et prépondérant, ils sont de plus une puissance commerciale comparable à l’Union européenne. Par ailleurs, face à la puissance que peuvent représenter les Etats-Unis, plusieurs acteurs sont mieux qu’un seul pour soutenir une approche multilatérale. L’UE a une réelle légitimité à porter l’ouverture économique et notamment à porter une certaine idée du libre-échange, peut-être plus sociale, plus environnementale et plus aboutie, parce qu’elle dispose d’opinions publiques, d’ONG et de gens qui réfléchissent depuis des années à ces questions. L’UE est également plongée dans une réelle crise d’identité et de confiance, donc c’est aussi un moyen pour elle d’y réfléchir. De plus, il n’y a pas tellement de politiques communautaires propres : la plupart sont des politiques à compétences partagées entre les Etats membres et l’UE. La politique commerciale est une politique européenne donc l’UE a ici encore une certaine légitimité à reprendre le dossier du libre-échange.

La difficulté pour les technocrates qui ont l’habitude de travailler sur ces dossiers consiste à davantage communiquer et expliquer, ainsi qu’à mieux comprendre grâce au retour des opinions publiques et du Parlement. Ce travail devrait donc être davantage effectué en accord avec ce dernier. Or, l’une des limites de la construction européenne apparaît lorsque la Commission est à la manœuvre car elle a tendance à travailler directement avec les Etats-membres (dans le cadre des réunions du Conseil de l’UE) et donc de manière insuffisante avec le Parlement et les députés européens. Ces derniers sont pourtant plus présents sur le terrain et donc mieux à même d’entendre et de comprendre les revendications des citoyens.

Pékin face à la menace du terrorisme islamiste : quelle réalité ?

Fri, 03/03/2017 - 18:35

Les autorités chinoises doivent-elles prendre les menaces de Daech au sérieux ? Quel est le lien avec la situation de la minorité ouïghoure en Chine ?

Les autorités chinoises doivent prendre ces menaces au sérieux pour deux raisons essentielles. Tout d’abord parce que Daech est capable de frapper dans une multitude de lieux. Il s’agit de régions, notamment au Moyen-Orient, dans lesquelles la Chine est de plus en plus présente sous la forme d’investissements ou d’expatriés qui y travaillent. A partir du moment où Daech cible la Chine, en plus du ciblage traditionnel des démocraties occidentales, on peut effectivement s’attendre à ce que ces menaces soient mises à exécution par des groupuscules locaux.
L’autre raison est évidemment liée au territoire chinois et à la question des Ouïghours, essentiellement situés dans la province du Xinjiang (ouest de la Chine). Cette minorité peut être tentée, en tous cas pour les plus activistes d’entre eux, par un rapprochement avec Daech. D’ailleurs, il a déjà été observé à plusieurs reprises des revendications ouïghoures qui annonçaient, de manière exagérée ou réelle difficile à déterminer, une allégeance à Daech. Bien évidemment, ce lien attire l’attention des autorités chinoises, le plus grand risque étant lié à une recrudescence de la violence dans la province du Xinjiang. De plus, la violence exercée par certains groupuscules ouïghours ne se limite pas forcément à cette province mais pourrait se généraliser à l’ensemble du territoire chinois.

Quelle expérience le gouvernement chinois a-t-il avec le terrorisme, et plus particulièrement avec le terrorisme djihadiste ?

C’est justement parce qu’il existe une expérience douloureuse en la matière que les autorités chinoises doivent prendre au sérieux ce type d’annonce de la part de Daech. Au cours des dernières années, plusieurs attentats ont été perpétrés par les mouvements ouïghours les plus radicaux. On se souvient notamment de l’attentat très meurtrier en 2014 de la gare de Kunming dans la province du Yunnan (sud de la Chine). Cet attentat avait été d’une très grande violence avec un commando qui avait tiré à la mitraillette dans la foule de la billetterie. L’impact psychologique fut très fort et profond sur la population. On assiste depuis à des renforcements de la sécurité dans les lieux publics. Des capteurs de métaux sont ainsi installés dans la plupart des lieux publics chinois, y compris le métro. Le pays vit donc sous le risque terroriste islamiste, puisque ces mouvements ouïghours se revendiquent de cette mouvance islamiste.
La Chine est déjà engagée depuis plusieurs années dans des actions de lutte anti-terroriste, à la fois à l’intérieur de son territoire, notamment dans la province du Xinjiang, mais aussi à l’international. De multiples initiatives sécuritaires existent entre la Chine et les pays d’Asie centrale au travers de l’Organisation de coopération de Shanghai. Le volet sécuritaire et de lutte contre les radicalismes islamistes sont intégrés dans ces efforts, et il existe à la fois une coordination des services de renseignement ainsi que des forces de police visant à lutter contre ce type de mouvements. Du côté chinois, il y a donc une vraie prise de conscience, qui ne date pas d’hier, des risques liés au radicalisme islamiste.

Daech jouit-il d’une influence développée en Asie orientale ? Quels enjeux cette région représente-t-elle pour le terrorisme islamiste ?

Il serait exagéré de considérer que Daech a un impact important en Asie orientale. La population Hui est de confession musulmane mais elle n’est pas ethniquement attachée à un territoire particulier, comme c’est le cas des Ouïghours. Auprès des Hui, ce type de mouvance islamiste n’a pas d’impact significatif. Il existe davantage auprès des Ouïghours. Ces derniers se servent de Daech pour mettre en avant un projet qui n’est pas tant religieux, que territorial. Les Ouïghours recherchent en effet une reconnaissance territoriale et une forme d’autonomie, voire même d’indépendance pour les plus radicaux d’entre eux. Ils se servent donc d’un terrorisme transnational pour se nourrir d’un certain nombre d’idées et de méthodes, que l’on retrouve dans les différents attentats actuellement perpétrés en Chine. Il s’agit plus d’une volonté de reproduire des types d’attaque et des schémas de pensée au départ véhiculés par Daech. On ne peut donc pas à proprement parler établir un lien étroit entre les Ouïghours et Daech. Ce lien reste discutable et n’est pas avéré à l’heure actuelle. Il s’agit plutôt d’une forme d’allégeance, que l’on retrouve d’ailleurs en Asie du Sud-Est, notamment au sein de mouvements au sud des Philippines et en Indonésie. Il s’agit de prêter allégeance à Daech mais sans nécessairement faire la démonstration d’un lien réel entre ces différentes organisations.

Six ans après le renversement de Hosni Moubarak : l’Egypte dans le creux de la vague révolutionnaire

Wed, 01/03/2017 - 18:49

Six ans après le renversement de Hosni Moubarak, quel est le bilan global à tirer de la vague de contestation de 2011 en Egypte ?

Il faut tout d’abord rappeler que le mouvement de contestation qui se cristallise en Egypte en 2011 s’inscrit totalement dans l’onde de choc politique qui traverse alors de multiples pays du monde arabe. En Egypte, cela prend une forme très singulière puisqu’Hosni Moubarak, qui dirigeait le pays depuis 1981, est chassé du pouvoir en quelques courtes semaines seulement. Nous avons là l’expression d’une vague révolutionnaire puissante, puisqu’un régime qui semblait très bien établi a finalement rapidement « dégagé », pour reprendre l’expression scandée par les manifestants de la place Tahrir. Les mois qui ont suivi ont vu se succéder, à vitesse accélérée, une série d’événements d’une grande portée politique. Ainsi, en 2012 les Frères musulmans accèdent démocratiquement au pouvoir, notamment à la présidence du pays en la personne de Mohamed Morsi. Bien qu’existant depuis 1928, la confrérie des Frères avait toujours été écartée des sphères du pouvoir, voire réduite à la clandestinité. En 2013, un coup d’Etat est organisé par l’institution militaire qui chasse les Frères musulmans, avec l’actif soutien de Abdel Fattah Al-Sissi, alors ministre de la Défense nommé par M. Morsi. En 2014, une sorte de normalisation autoritaire est actée par l’organisation des élections présidentielles, grâce auxquelles A. F. Al-Sissi, devenu entretemps maréchal, recueille 96% des suffrages. Toutefois, un taux de participation de 50% réduit quelque peu la portée de ce score.
Depuis lors, il y a une incontestable régression des libertés démocratiques individuelles et collectives. Le formidable espoir qui s’était exprimé lors du mouvement révolutionnaire de 2011 a été trahi. Aujourd’hui, les Frères musulmans sont persécutés : environ 40 000 d’entre eux se trouvent en prison et 2 000 condamnations à mort ont été prononcées, même si elles n’ont pas été exécutées. De même, ceux qui appartiennent plutôt au camp « laïc », et qui avaient soutenu le coup d’Etat de 2013, se retrouvent aussi en butte à la répression.
Au niveau économique, la situation n’est guère meilleure. L’Egypte est confrontée à des défis structurels qu’à ce jour elle n’a pas su résoudre. De plus, quatre apports financiers traditionnels de l’économie égyptienne posent problème. Le premier est celui constitué par les travailleurs émigrés égyptiens qui envoyaient régulièrement des devises, principalement depuis l’Arabie saoudite et la Libye. Ces apports en devises étrangères sont de plus en plus faibles puisque l’Arabie saoudite connaît elle-même des difficultés économiques, tandis que la Libye est dans une situation de chaos. Deuxièmement, le pétrole : l’Egypte fut à un moment auto-suffisante mais ce n’est plus le cas désormais avec de trop faibles réserves ; Le Caire est donc obligé de recourir aux importations. Troisièmement, le canal de Suez dont les revenus ont fléchi en raison de la crise économique mondiale et de la baisse du trafic international. Enfin, les revenus tirés du tourisme ont eux aussi considérablement diminué.
Cette situation économique a nécessité de recourir à des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI). Celui-ci a accepté en août 2016 de faire un prêt sur 3 ans de 12 milliards de dollars. Mais les exigences en contrepartie sont drastiques : imposition de la TVA, baisse des subventions sur des produits importants (carburant, électricité), dévaluation de la livre égyptienne de près de 50%… Le pouvoir actuel est pris entre deux feux : d’un côté, il a besoin de négocier avec le FMI mais de l’autre, l’application d’un tel accord risque de générer un fort mécontentement, voire des conflits sociaux d’envergure.

Sur le plan régional et international, le rayonnement du nassérisme semble maintenant très lointain. Quelles sont les orientations actuelles de la politique extérieure du Caire ?

Effectivement nous sommes bien loin de la période glorieuse du nassérisme, moment où l’Egypte avait réellement une forte influence dans tout le Moyen-Orient arabe. Nasser avait alors une extraordinaire aura et incarnait la volonté de réaliser l’unité arabe, même s’il n’est pas parvenu à ses fins. À son époque, l’Egypte jouait aussi un important rôle international, notamment au sein du Mouvement des non-alignés, dont il était l’un des piliers majeurs avec l’Inde et la Chine. Depuis lors, on peut constater une baisse d’influence de l’Egypte au niveau régional et international, visible d’ailleurs dès l’époque de Moubarak. Quels sont donc les grands dossiers de politique étrangère de l’Egypte ?
Tout d’abord, le rapport avec les Etats-Unis. A l’époque de Moubarak, l’Egypte était le deuxième récipiendaire d’aides américaines, notamment dans le domaine militaire, après Israël. L’Egypte a donc toujours été l’un des points d’appui régional essentiel des Etats-Unis. Or, beaucoup d’Egyptiens sont persuadés qu’ils ont été trahis par ces derniers. En effet, assez rapidement en 2011, les Américains ont soutenu le mouvement de contestation et n’ont sûrement pas été pour rien dans le départ de Moubarak. Restent prégnantes, comme dans les autres pays du Moyen-Orient, des théories complotistes latentes à l’égard des Etats-Unis. D’autant que l’administration Obama a aussi manifesté une certaine empathie à l’égard des Frères musulmans, puisqu’ils avaient été élus démocratiquement dans le cadre des premières élections libres et pluralistes du pays. Le coup d’Etat de A. F. Al-Sissi, bien qu’Obama n’ait jamais utilisé ce terme, a marqué une période de refroidissement avec Washington. Obama considérait en effet qu’il y avait eu usurpation du pouvoir par le maréchal et par l’armée. A la suite de ce coup, les Etats-Unis ont temporairement cessé la livraison d’aides militaires, ce qui a renforcé une méfiance latente qui n’a jamais été réellement résorbée. Toutefois, A. F. Sissi essaye désormais de normaliser les relations bilatérales depuis l’élection de Donald Trump.
La Russie marque aussi un véritable retour en Egypte et les deux pays convergent sur plusieurs dossiers centraux : la lutte anti-terroriste, la situation en Syrie, la Libye… La Chine quant à elle effectue une véritable percée, symbolisée par la visite de Xi Jinping en janvier 2016, la signature de contrats commerciaux et une augmentation des flux commerciaux d’environ 5% par an. La Chine est désormais le deuxième partenaire commercial de l’Egypte et elle entend faire du Caire un partenaire important du projet One Belt One Road, dénomination officielle des nouvelles Routes de la Soie.
Enfin, les relations avec l’Arabie saoudite sont complexes. D’un côté, le royaume a été un sauveteur du Caire dans les années suivant le mouvement révolutionnaire et le coup d’Etat : les Saoudiens ont en effet versé 25 milliards de dollars à l’Egypte depuis 2013 et l’ont certainement sauvé de la banqueroute. Pour autant, les deux pays ne convergent pas sur tous les dossiers (Syrie et Yémen par exemple). L’Egypte essaye en outre de se replacer dans le jeu régional et entre donc en concurrence avec l’Arabie saoudite, qui souhaite pour sa part devenir le leader du monde arabe. On est loin d’un affrontement mais l’Egypte essaye quand même de s’autonomiser, afin de ne pas être trop dépendante de l’Arabie saoudite.

Quels sont aujourd’hui les grands défis à relever pour le pays ? Existe-t-il une menace terroriste ?

Bien sûr, le terrorisme est un défi régional. Mais paradoxalement en Egypte, le terrorisme n’est pas si prégnant. Il y a certes eu l’épisode de l’avion russe qui a explosé en vol mais pour autant, les grandes villes égyptiennes ne sont pas des victimes récurrentes d’attaques. En réalité, la situation au Sinaï est beaucoup plus préoccupante. Cette région est dans une situation de non-droit où le gouvernement n’a pas les moyens de se faire respecter. Ainsi, les militaires n’osent pas sortir de leur caserne une fois la nuit tombée.
Les autres défis du pays sont de deux ordres. Tout d’abord, le défi démographique : le taux de fécondité est de près de 3,5% par an et la population égyptienne a doublé en moins de quarante ans. Aujourd’hui, on dénombre 92 millions d’Egyptiens et, d’après les projections, la population devrait atteindre 165 millions d’habitants en 2050. Cet accroissement considérable de la population est très inquiétant compte tenu de la situation économique précaire, puisqu’un chômage de masse affecte la jeunesse.
L’autre grand défi est d’ordre géographique. Seulement 5 à 6% de la totalité de la superficie du sol égyptien est « utile », à savoir la vallée du Nil, au long de la laquelle s’est concentré l’essentiel de la population, de l’agriculture et des industries. L’enjeu est donc de savoir comment mettre en valeur le reste du territoire, ce qui nécessite des investissements considérables. Ce défi complexe représente l’un des grands chantiers que le gouvernement doit mettre en œuvre.

Trump : relance de la course aux armements

Wed, 01/03/2017 - 18:45

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

Pour un rapport de l’Union européenne sur les exportations d’armement dans le monde

Tue, 28/02/2017 - 14:21

La publication du Sipri Yearbook 2016 en février 2016, le salon IDEX de l’armement aux Emirats arabes Unis qui s’est tenu du 19 au 23 février 2017, ainsi que les bons résultats de la France à l’exportation… Les occasions sont multiples pour parler des ventes d’armes dans le monde. Mais il n’est en réalité pas si simple d’en débattre, tant les chiffres sur lesquels sont basés les analyses sont sujets à caution.

Il est difficile de ne pas être atteint de schizophrénie quand d’un côté, on se félicite du chiffre des exportations record de la France (20 milliards d’euros d’exportation en 2016 selon le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian), alors que de l’autre, on se lamente de la croissance de 8,4% des exportations d’armement dans le monde (selon l’Institut de recherche sur la paix – SIPRI)[1].Ce chiffre serait le reflet d’un monde où les crises se multiplient. Personne ne semble pourtant avoir relevé que selon le SIPRI, les exportations d’armement de la France, représentant 6% d’un peu plus de 30 milliards de TIV[2] représenteraient 1,5 milliards d’euros de ventes d’armes de la France, alors que le ministre de la Défense annonce 20 milliards d’euros. Vu de l’extérieur, une certaine confusion semble donc régner.

Il faut féliciter le SIPRI de son travail car il s’agit du seul organisme qui mesure aujourd’hui les exportations d’armement dans le monde et qui communique sur le sujet. Moins connu mais méritant qu’on s’y attarde quand même, est le World Military Expenditures and Arms Transfers (WMEAT) publié par le département d’Etat américain. Or, si le SIPRI évoque un chiffre de 30 milliards de dollars, le WMEAT 2016 donne lui une moyenne de 150 milliards de dollars de ventes d’armes dans le monde par an sur la période 2004-2014, soit un rapport de 1 à 5[3] ! Quant au ministère de la Défense français, il semble avoir donné dans le rapport au Parlement sur les exportations d’armement une estimation moyenne des exportations d’armement dans le monde d’un montant annuel de 100 milliards d’euros[4]. Il apparait donc difficile à première vue de s’y retrouver dans tous ces chiffres contradictoires. Pour autant, on peut dégager deux tendances très nettes et émettre une recommandation.

L’accroissement des exportations d’armement dans les zones de tension

La première tendance est qu’il existe effectivement un accroissement des exportations d’armement sur un rythme significatif, sans être exceptionnel, dans deux régions du monde : le Moyen-Orient et l’Asie. En Asie, le mouvement est tiré à la fois par la croissance économique qui est forte mais également par le clivage stratégique entre la Chine et un certain nombre de ses voisins, qui se traduit notamment par une augmentation des capacités navales. Ce phénomène est notamment lié aux revendications territoriales en mer de Chine. Au Moyen-Orient, le clivage entre l’Iran d’une part, et l’Arabie Saoudite et ses alliés d’autre part, crée une situation favorable à la course aux armements. Le conflit yéménite cristallise effectivement à la fois cette opposition mais il est aussi pour la première fois depuis longtemps « consommateur » d’armement, qu’il faut renouveler. Toutefois, la baisse prolongée des prix du pétrole a conduit depuis un an les Etats de la région à mettre un frein à leurs ambitions. Par ailleurs, il existe une constante à tous ces pays, en Asie et même désormais au Moyen-Orient : ils ne veulent plus uniquement être des consommateurs d’armement mais souhaitent désormais être aussi des producteurs, afin d’acquérir davantage d’autonomie stratégique. Ce qui était vrai depuis déjà plus de 10 ans pour l’Inde, la Corée du Sud ou la Turquie, est également vrai désormais pour des pays comme la Malaisie, Singapour ou l’Indonésie mais aussi et surtout pour les pays du Golfe. Les Emirats Arabes Unis, où s’est déroulé le salon IDEX, est l’un des premiers pays de la région à s’être doté d’une législation sur les offsets, qui prévoit des transferts de technologie et une fabrication locale en contrepartie des ventes d’armes à ce pays. Dans le cadre de son projet « vision 2030 », l’Arabie Saoudite a le même objectif : elle souhaite à la fois être plus autonome et également développer une industrie de défense grâce à ses achats d’armement. Cette tendance au développement des industries de défense devrait donc se traduire dans quelques années par une réduction des exportations d’armement, les capacités de production locales augmentant.

Les Etats-Unis largement en tête du classement des exportateurs d’armement

La deuxième tendance est que les Etats-Unis restent, et de très loin, les plus grands exportateurs d’armement dans le monde. Le SIPRI estime que les Etats-Unis représentent un tiers des exportations mondiales, soit environ 10 milliards de TIV. Le Rapport au Parlement français sur les exportations d’armement chiffre pour sa part un montant d’environ près de la moitié des exportations mondiales, soit près de 50 milliards d’euros. Le WMEAT estime quant à lui à 79% la part des Etats-Unis dans les exportations d’armement mondiales, soit 120 milliards de dollars sur la période 2004-2014 et même 153 milliards de dollars pour la seule année 2014 ! On constate d’ailleurs dans le WMEAT une augmentation d’un tiers des exportations d’armement des Etats-Unis durant les deux mandats de Barack Obama : tout se passe comme si la baisse des budgets de défense des Etats-Unis avait été compensée durant cette période par une augmentation des exportations afin de soutenir l’industrie de défense des Etats-Unis. Or, les chiffres donnés par le WMEAT sur les exportations des Etats-Unis ne sont pas contestables. Ce sont des chiffres officiels qui résultent de l’addition des ventes commerciales, des ventes d’Etat à Etat dans le cadre des Foreign Military Sales (FMS), ainsi que des ventes dans le cadre du programme de coopération militaire géré par la DoD’s Defense Security Cooperation Agency (DSCA) et de deux programmes spécifiques portant sur l’exportation d’équipements militaires navals. Dans ce domaine, « America’s first » n’est pas un projet : c’est déjà une réalité

L’Union européenne devrait être à l’initiative d’un outil de transparence sur les exportations d’armement

En matière de transparence sur les ventes d’armes, il existe depuis la première guerre du Golfe le registre des armes classiques des Nations unies. Cet outil est un réel progrès en matière de transparence mais il a pour double limite le peu de publicité et l’absence de mesure de la valeur financière des exportations. Or, cette mesure financière est importante car c’est aujourd’hui le seul indicateur objectif des capacités réelles d’un matériel militaire : plus un armement est technologiquement en pointe, plus il est cher, mais plus il est aussi performant. On l’a bien vu durant la première guerre du Golfe en 1991, où les 5000 chars de l’armée irakienne ont pesé de peu de poids face aux armées de la coalition conduite par les Etats-Unis. Les pays de l’Union européenne (UE) disposent tous également depuis 15 ans de rapports nationaux sur les exportations d’armement pour rendre cette transparence dans les ventes d’armes. Même si la présentation de ces rapports nationaux n’est pas harmonisée, ils chiffrent les exportations d’armement de chaque pays à partir de données officielles et sont donc censés être fiables. Mais il faudrait aujourd’hui que l’Union européenne fasse plus…

La compilation de ces rapports nationaux doit permettre de créer un rapport européen sur les exportations d’armement. Une fois ce rapport complété par les données recueillies sur les exportations des pays non membres de l’UE, il permettrait à cette dernière de publier un rapport sur les exportations d’armement dans le monde. Ce rapport, au moment où commence à être mis en œuvre le Traité sur le commerce des armes, permettrait, en accroissant la transparence, de mieux légitimer les ventes d’armes des pays de l’UE qui respectent les traités internationaux réglementant les exportations d’armement. Il permettrait également de mesurer sans contestation le poids réel de l’Union européenne en matière de ventes d’armes dans le monde. Comme on l’a vu, même quand la France exporte beaucoup d’armes pour soutenir son industrie et donc son indépendance nationale, cela reste une goutte d’eau par rapport aux exportations américaines. Ce rapport devrait faire l’objet d’une large communication. Il devrait être conçu comme un instrument d’influence destiné à promouvoir la transparence sur les exportations d’armement.

Pour élaborer un tel rapport, l’Union européenne dispose de tous les outils nécessaires. Il y a déjà le rapport annuel sur les exportations d’armement, réalisé par le groupe COARM au sein du Service européen d’action extérieure (SEAE) dans le cadre de la position commune 2008/944 de l’UE sur les exportations d’armement. Ce rapport est publié au Journal Officiel de l’Union européenne[5] mais il présente le double handicap, alors même que toutes les données y sont disponibles, de ne pas donner une vision globale des exportations de l’UE, ni de remettre en perspective la compilation de toutes les données qui y figurent. Or, des think tanks travaillent dans chacun des pays membres sur les questions d’armement et d’exportations d’armement, à l’image des chercheurs qui collaborent au réseau ARES piloté par l’IRIS. Ces derniers peuvent mettre en perspective le rapport du SEAE et le compléter par les données mondiales. Il existe enfin un institut de recherche rattaché à l’Union européenne, l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (EUISS), qui pourrait fédérer les travaux des institutions officielles et des think tanks européens afin de produire cette publication de référence sur les exportations d’armement dans le monde.

[1] Très exactement entre les périodes 2007-2011 et 2012-2016,

[2] Le SIPRI Trend Indicator Value (SIPRI TIV) est basé sur la valeur capacitaire supposée d’un matériel et n’est donc pas censé représenter le montant des exportations d’armement. Toutefois le TIV est référencé par rapport au coût connu de certains matériels. On peut donc considérer que le montant du SIPRI TIV est bien un montant financier même si le SIPRI indique, à juste titre, que les chiffres qu’ils donnent ne peuvent scientifiquement représenter la réalité.

[3] World Military Expenditures and Arms Transfers 2016, décembre 2016, https://www.state.gov/t/avc/rls/rpt/wmeat/2016/index.htm

[4] Rapport au Parlement sur les exportations d’armement 2016, ministère de la défense, 1 juin 2016, http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/rapport-au-parlement-sur-les-exportations-d-armement-2016

[5] Rapport annuel sur les exportations d’armement : https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_en/8472/Annual%20reports%20on%20arms%20exports

Les pays d’Amérique latine dans l’incertitude face à Trump

Mon, 27/02/2017 - 12:53

Par bien des égards, Donald Trump est un président avec un profil inédit dans l’histoire des Etats-Unis. Concernant les relations avec l’Amérique latine, en quoi sa ligne de politique étrangère marque-t-elle une rupture avec ses prédécesseurs ?

Donald Trump représente un profil nouveau dans le panorama des élections américaines car il est le premier président élu, depuis les années 1990, qui n’affiche aucun projet déterminé pour l’Amérique latine. Depuis la fin de la guerre froide, chaque candidat républicain ou démocrate avait un projet pour l’Amérique latine. Il s’agissait de l’intégrer, via un ou des accords de libre-échange, aux chaînes de valeurs économiques et financières de la première puissance mondiale. Manière par ailleurs de garder la région dans son giron. Mais Trump est le premier président à n’avoir pas soutenu un tel projet, ni durant sa campagne où la région a été quasiment inexistante, ni maintenant qu’il est à la Maison-Blanche. Aujourd’hui, sa politique se limite essentiellement à deux questions : l’immigration et le protectionnisme commercial. Les deux concernent surtout le Mexique, l’Amérique centrale et la Caraïbe.

Précisément, l’immigration a été un sujet central dans la campagne de Trump, qui entend renforcer une politique de répression. Concrètement, quelles seraient les mesures à sa disposition susceptibles de bouleverser les schémas migratoires du continent ? Qu’a-t-il déjà commencé à mettre en place ?

Trump a déjà mis en place plusieurs mesures concernant le Mexique mais d’autres politiques moins évoquées dans les médias existent aussi, à destination des pays centre-américains et de Cuba. Il compte essentiellement mettre en place des mesures de répression migratoire sous plusieurs formes. La mesure la plus médiatisée reste la construction d’un mur à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique (de plus de 3 000 kilomètres), dont il souhaite imposer l’essentiel du financement au Mexique.

Comment ? Plusieurs pistes. Trump compte renégocier – peut être dissoudre – l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain). Dans ce cadre, si le Mexique souhaitait continuer à avoir des rapports commerciaux privilégiés avec les Etats-Unis, il devrait accepter de prendre en charge le financement du mur. Le président américain annonce également vouloir taxer tous azimuts les envois de fonds (remesas) des Mexicains vivant aux Etats-Unis vers leur famille restée au pays. Actuellement, 12 millions de Mexicains vivent aux Etats-Unis, une famille mexicaine sur deux a un parent qui vit aux Etats-Unis et 20% des familles mexicaines bénéficient de ces envois de fonds (estimés à la somme colossale de 26 milliards de dollars en 2016). Trump menace ainsi de taxer chacun de ces transferts à hauteur de 5% de manière à financer le mur. En fait, il semble formuler les termes d’un chantage au gouvernement mexicain : soit celui-ci accepte de financer une enveloppe de 5 à 10 milliards de dollars pour ce mur – dont le coût annoncé par Trump s’élève à 8 milliards de dollars, alors que le Département de sécurité nationale considère qu’il coûterait en réalité plus de 21 milliards ! – soit le nouveau président américain taxera les remesas.

Enfin, un autre volet de la politique de répression consiste en la signature, il y a quelques semaines, d’un décret présidentiel renforçant les moyens financiers et humains américains à la frontière mexicaine en augmentant les effectifs des patrouilles policières et garde-frontières à hauteur de 15 000 personnes. Dans l’attente du potentiel mur, ce décret prévoit de construire des centres de détention pour migrants. Il faut rappeler qu’il existe déjà une barrière métallique étalée sur plus du tiers de la frontière entre les deux pays.

Concernant les pays centre-américains, en particulier le Guatemala, El Salvador et le Honduras qui forment le Triangle Nord, Trump a confirmé l’enclenchement des programmes élaborés par Barack Obama (notamment l’Alliance pour la prospérité disposant d’une enveloppe de 750 millions de dollars votée par le Congrès en 2015). Ils consistent, entre autres, à financer des plans de contrôle et de sécurisation des frontières, de formation policière et militaire, ainsi que des projets de développement. Le but est d’empêcher les migrants de quitter ces pays disloqués par la pauvreté, la criminalité, la corruption, le narcotrafic et par les problèmes politiques et institutionnels.

A noter également que Barack Obama avait levé, avant la fin de son mandat, une loi dite « Pieds sec pieds mouillés » qui permettait aux Cubains quittant l’île pour rejoindre le sol américain de bénéficier d’un statut privilégié et de résident. Cette loi datait de l’époque de la guerre froide. La Havane a toujours considéré qu’il s’agissait d’une incitation à l’exil pour ses ressortissants et exigeait donc son retrait dans le cadre du processus de normalisation amorcé en 2014. Chose faite. Aujourd’hui, avec la fin de cette loi, tout Cubain parvenant illégalement aux Etats-Unis sera considéré comme n’importe quel autre clandestin. Cette mesure va donc influencer la migration cubaine vers les Etats-Unis.

Le protectionnisme affiché de Trump va certainement redéfinir les relations diplomatiques et commerciales en Amérique latine. Serait-il plus judicieux pour les dirigeants sud-américains d’en profiter pour créer une nouvelle dynamique collective ou s’agit-il au contraire de se tourner vers des partenaires extérieurs comme la Chine ?

L’arrivée de Donald Trump confère très clairement à l’Amérique latine un statut de laboratoire concernant les politiques commerciales. On peut qualifier les politiques protectionnistes du président américain comme relevant d’un « protectionnisme de copains », dans le sens où Trump ne s’attache à aucune doctrine. Il exige simplement une loyauté intégrale de la part des pays qui souhaitent établir un partenariat avec les Etats-Unis. Ceux qui obtempèreront seront récompensés, tandis que les autres seront sanctionnés. Dans cette optique, il souhaite remplacer les cadres de négociation multilatéraux par des cadres bilatéraux, qui permettraient aux Etats-Unis – comprendre à leurs entreprises et classes dirigeantes – de tirer le maximum de bénéfices. En face, les chancelleries et les capitales sud-américaines sont en pleine hésitation et en redéploiement stratégique, qui reste encore aléatoire. La tendance est à l’émergence de nouveaux débats car la position du président américain encourage les pays latino-américains à diversifier leurs partenariats, à la fois avec les Etats-Unis mais également avec la Chine et les autres pays émergents.

La question de l’intégration régionale se pose à nouveau également. Cette intégration économique régionale est actuellement faible en Amérique latine. En effet, l’économie intrarégionale représente à peine 15% des échanges des pays latino-américains, l’essentiel de leur production étant exporté sur les grands marchés mondiaux. Ce sujet revient donc dans l’agenda des capitales latino-américaines mais il est encore beaucoup trop tôt pour savoir s’il se concrétisera. Tout dépendra aussi de l’attitude du Mexique, selon qu’il soit prêt ou non à se redéployer vers l’Amérique latine. Ces questions restent ouvertes et sans réponse. Mais il est évident que l’intégration régionale aurait beaucoup de vertus pour les Sud-Américains, tant pour compenser les chocs de l’économie mondiale que pour se protéger des aléas de la politique nord-américaine.

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