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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Du manichéisme en géopolitique

Tue, 16/05/2017 - 14:37

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

La (longue) route pour modifier la constitution japonaise

Mon, 15/05/2017 - 17:43

Le Premier ministre japonais Shinzo Abe a déclaré mercredi 3 mai espérer pouvoir modifier la Constitution nippone d’ici 2020 afin d’y inclure le statut de puissance militaire du Japon, une modification majeure de cette loi fondamentale en vigueur depuis 70 ans.

Dans un message vidéo diffusé lors d’un rassemblement marquant l’anniversaire de ce texte fondateur, Shinzo Abe a souhaité qu’il soit fait explicitement référence aux Forces d’auto-défense (FAD), l’armée japonaise, dans la Constitution. « En rendant explicite le statut des FAD dans la Constitution, nous écarterons toute contestation de la constitutionnalité des FAD », a-t-il expliqué dans cette vidéo diffusée par les chaînes de télévision. « J’espère fermement que 2020 sera l’année où la nouvelle Constitution entrera en vigueur », a-t-il ajouté. « Le temps est venu », a déclaré lundi 1er mai devant mille personnes le Premier ministre dans un discours à l’attention des partisans d’un amendement. « Nous allons faire au cours de cette année charnière un pas historique vers notre objectif majeur d’une révision constitutionnelle ».

L’article 9 de la loi fondamentale japonaise adoptée en mai 1947 interdit l’entretien de forces militaires. Les gouvernements successifs ont interprété cette disposition d’une manière plutôt extensive afin de permettre la création des Forces d’auto-défense en 1954. Pour la majorité des Japonais, l’article 9 de la Constitution, qui consacre la renonciation « à jamais » à la guerre, est précieux : il tourne la page de l’impérialisme et des atrocités de l’armée japonaise avant et pendant le conflit, ainsi que de l’horreur des bombes atomiques larguées par l’armée américaine en août 1945 sur Hiroshima et Nagasaki.

De leur côté, les nationalistes estiment que ses défenseurs sont dangereusement déphasés par rapport aux réalités géopolitiques actuelles, comme les programmes nucléaire et de missiles balistiques de la Corée du Nord et le renouveau militaire chinois. Nippon Kaigi et d’autres organisations conservatrices et de droite considèrent la Constitution comme imposée par un pays et une culture étrangers, émasculant le Japon tout en le séparant de ses traditions et de son riche passé. Elles présentent également des points de vue révisionnistes sur le rôle du Japon en tant qu’État agresseur en Asie de l’Est, rejetant farouchement les revendications des « femmes de réconfort » en Corée et estimant que le Japon était engagé dans une guerre de libération, souligne le Japan Times.

Ces positions expliquent que les adversaires d’une révision de la Constitution les présentent comme des ultranationalistes et des révisionnistes d’extrême droite, interdisant toute discussion sur ce qui devrait ou pas être révisé.

S’il est peu probable que les conservateurs visent le retrait de l’article 9, ils prônent un changement dans les termes qui y sont employés, en y inscrivant la reconnaissance des forces d’autodéfense en tant qu’armée et une affirmation claire du droit du Japon à se défendre. La Constitution n’a jamais été amendée mais interprétée de manière à assouplir certaines contraintes, comme lors du passage en septembre 2015 de lois qui permettent en théorie aux forces d’autodéfense d’appuyer un allié en difficulté à l’étranger.

Dans une des premières mises en œuvre de ces nouvelles lois, le Japon a déployé lundi 1er mai son plus grand bateau de guerre – l’Izumo, un porte-hélicoptères géant de 250 mètres de longueur -, pour escorter des navires de ravitaillement américains, alors que les tensions s’exacerbent autour de la péninsule coréenne.

Si les sondages montrent qu’une très grande majorité des Japonais s’inquiètent des missiles nord-coréens qui tombent de plus en plus près de leur archipel, ils sont moins uniformes sur une révision de l’article 9.  Les électeurs japonais restent divisés sur ce projet de révision. Une enquête d’opinion Nikkei Inc/TV Tokyo montrait mercredi 3 mai 2017 que 45% des personnes interrogées sont favorables au projet du chef de l’exécutif japonais, soit cinq points de moins que l’an dernier à la même époque. En revanche, 46% souhaitent que le texte soit maintenu en l’état, une baisse de quatre points. Une autre enquête Kyodo montrait, elle, que 49 % des sondés souhaitent que l’article 9 soit révisé, contre 47 % y étant opposés. Mais 51 % sont opposés à tout amendement constitutionnel portant sur l’article 9, contre 45 % favorables.

En fait, la plus grande majorité des Japonais sont conscients que l’article 9 a maintenu le caractère pacifique du pays, 75 % estimant qu’il a permis à éviter que le Japon ne soit entraîné dans des conflits internationaux.

Des positions qui pourraient basculer en faveur d’un amendement, de l’avis de bien des Japonais, si un missile frappait le pays. Or, la Corée du Nord, État voisin au Nord de l’archipel nippon, multiplie les tirs de missiles balistiques. Le quotidien français L’Humanité remarque ainsi : « Alors que la Corée du Nord a procédé à plusieurs tirs de missiles balistiques – dont un s’est abîmé en mer de Japon – l’opinion japonaise semble avoir évoluée quant à la révision constitutionnelle. Selon un sondage réalisé pour le quotidien Asahi Shimbun, 41% de la population y serait désormais favorable. Le taux monte même à 48%, selon le Mainichi. Contre 26% au moment des débats en 2015 ».

Le temps est peut-être venu pour le camp Abe d’avancer. Or, à la suite d’une série de victoires électorales, le parti de Shinzo Abe – le parti libéral démocrate (LDP) – et d’autres partis favorables à une révision constitutionnelle ont maintenant une majorité des deux tiers dans les deux chambres de la Diète (le Parlement nippon), seuil nécessaire pour pouvoir proposer un amendement. Selon le sondage Kyodo, quand on les interroge sur la façon dont l’article devrait être modifié l’article 9, 39 % ont déclaré que l’existence des forces d’autodéfense japonaises (FAD) devrait être stipulée, suivie de 24 % qui ont proposé d’ajouter une clause pour restreindre les activités internationales des FAD et 16 % qui ont déclaré que les FAD devraient être clairement déclarées comme étant une force militaire.

Il y a cependant des limites quasi insurmontables. Alors que le public reste divisé sur l’idée de la révision constitutionnelle, il est cependant clair qu’il ne soutiendra pas des changements qui entraîneraient des troupes sur le terrain, des opérations antiterroristes à l’étranger ou la participation d’opérations militaires en dehors de la sphère d’intérêts du Japon.

Pour atteindre avec succès son objectif de révision de la Constitution, Abe devra donc travailler avec les structures de sécurité (y compris les ministères de la Défense et des Affaires étrangères) pour continuer à accumuler un capital politique en vue des changements proposés. Un bon moyen pour commencer serait de mettre en évidence des missions réussies et non violentes liées aux FAD qui respectent l’article 9 tout en contribuant à la paix et à la prospérité internationales. De cette façon, Abe et le LDP peuvent dissiper la méfiance du public à l’égard de l’action militaire du Japon, en particulier des actions unilatérales. Cela démontrerait au public et à ceux qui émettent des doutes sur les initiatives de sécurité de Shinzo Abe qu’il envisage de maintenir la position de sécurité du Japon dans une posture purement défensive, de maintenir l’article 9 et de se conformer au droit international.

Le président Macron et l’Amérique latine : en marche vers l’inconnu

Fri, 12/05/2017 - 17:55

L’élection d’Emmanuel Macron, président de la République française, a été suivie avec voyeurisme, nostalgie et sympathie en Amérique latine.

D’abord parce qu’il s’agit de la France. La France n’ayant pas colonisé l’Amérique latine, elle bénéficie d’un traditionnel a priori favorable. L’esprit des  « Lumières » a été revendiqué pour construire les indépendances. Ses peintres et écrivains, ainsi que certains de ses chefs d’État ont laissé une empreinte durable. L’art de vivre à la française, vu d’Amérique latine, est pavé au long des Champs Elysées, de haute couture, parfums, vins et alcools capiteux.

Ensuite, la jeunesse d’Emmanuel Macron – et de son couple -, insolites, ont capté la curiosité. Mais de ce point de vue, « EM » est bien en tout point français, héros d’une telenovela sur fond de tour Eiffel. D’un quotidien à l’autre, les chapitres de cette histoire imaginaire ont confirmé sa place d’acteur conjoncturel et central de la saga française. Le quotidien argentin Clarin, tout comme La Tercera au Chili et bien d’autres, ont consacré de longs articles à Brigitte Macron, le plus souvent qualifiée de « future Michelle Obama de France ». En cela, avec elle le président est comme tout français qui se respecte : romantique. Sa victoire – elle aussi inattendue et surprenante, sans organisation partisane et très souvent signalée -, a été perçue comme une marque supplémentaire de la différence française.

Les messages de félicitation envoyés par ses pairs latino-américains – il est vrai de rigueur en ces circonstances, ainsi que celle de l’élection du responsable de l’une des cinq nations disposant d’un siège permanent au Conseil de sécurité -, ont été immédiats. Du Mexique à l’Argentine, en passant par le Venezuela, les gouvernants en place ont envoyés leurs meilleurs vœux. Les uns saluent « son triomphe électoral », comme l’argentin Mauricio Macri et le colombien Juan Manuel Santos. D’autres, du Chili, d’Equateur et du Guatemala insistent sur le « civisme démocratique » des électeurs. Tout au plus pourra-t-on remarquer les quelques messages, lancés à toutes fins utiles, en direction du président-Godot, si longtemps attendu depuis de Gaulle et Mitterrand. Espérant donc comme les chefs d’État colombien, équatorien et vénézuélien « un renforcement de la coopération pour la paix, l’éducation et le commerce » avec la France.

À leur décharge, le vainqueur de la présidentielle n’a pratiquement pas évoqué dans ses débats électoraux ses propositions sur l’Amérique latine ; pas plus d’ailleurs que ses nombreux concurrents. C’est à peine s’il a glissé une allusion ciblant ironiquement la proposition d’adhésion de la France à l’Alliance bolivarienne des Amériques faite par son adversaire de gauche, Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci a rectifié oralement en précisant que cette proposition en fait ne concernait que les départements français des Amériques. Les choses en sont restées là. Emmanuel Macron aurait pu s’étonner du correctif. Les DFA depuis bien longtemps coopèrent avec le Venezuela au sein de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC). Il est vrai que la Guyane, évoquée pour son actualité sociale, a été « insularisée » de façon inopportune par le candidat Macron. Mais les Français ne sont-ils pas connus pour leur dédain des contingences géographiques ?

Les praticiens de l’exégèse thérapeutique ont bien tenté d’extrapoler afin de remplir la case Amérique latine du président élu. La BBC en espagnol a relevé le défi, dès avant le deuxième tour, en demandant « quel est le président qui conviendrait le mieux à l’Amérique latine ? ». Réponse : Emmanuel Macron, qui va poursuivre la diplomatie économique de François Hollande. Pourquoi pas ? A condition d’avaliser un certain nombre de préalables non démontrés. Celui d’une continuité avec la politique du chef de l’Etat sortant. Continuité fondée sur la participation du président élu au gouvernement du président sortant. Continuité effectivement explicite en matière économique et européenne et donc étendue par hypothèse au domaine des relations extérieures.

Les prises de position ont en effet été rares. Propos libre-échangistes de circonstance, plaidant pour la concrétisation d’un accord Mercosur-UE tenus par « EM », ministre de l’économie à l’occasion d’un colloque sur l’Amérique latine organisé à Bercy avec la BID et l’OCDE. Et dans son programme de politique étrangère, une brève inclusion latino-américaine, placée effectivement dans le droit fil du quinquennat de François Hollande : « Nous sommes encore trop peu présents en Asie, en Russie et en Amérique latine, bien que le gouvernement actuel ait fait des efforts importants dans cette dernière région ».

Quelques indices supplémentaires, relevant pourquoi pas de la kremlinologie, viennent compléter ce tableau plus impressionniste qu’hyperréaliste. Emmanuel Macron écoute la Marseillaise la main sur le cœur, comme le font les présidents des États-Unis. Il perpétue et valide ainsi une attitude civique introduite par Nicolas Sarkozy, le président qui a rompu avec l’établissement diplomatique gaullo-mitterandien. Il affiche en toutes circonstances, suivant le même modèle atlantique, son épouse Brigitte Macron. Confirmerait-il là une autre rupture, celle de la vérité qui serait désormais la même en deçà et au-delà de l’Atlantique ?

« Il faut un ‘Plan Macron’ pour l’Europe »

Thu, 11/05/2017 - 16:39

À présent élu président, quelle orientation Emmanuel Macron voudra-t-il donner à l’Union européenne (UE) ?

La belle histoire voulait que la France – éternel pays des Lumières – montre la voie à l’Europe et fasse barrage à une révolution populiste dont les dominos étaient tombés successivement outre-Atlantique et outre-Manche. On s’était réveillé avec la gueule de bois après cette année 2016 mais cette série s’arrêterait aux frontières de l’hexagone, comme le fit jadis le nuage de Tchernobyl.

La mobilisation des électeurs français a été forte et la France a élu un président de 39 ans europhile, optimiste et énergique. Pour l’image du pays en Europe et à l’international, son élection est positive. Cela signifie-t-il pour autant le reflux de la vague populiste ? L’élection de M. Macron incarne-t-elle la France des Lumières, phare de l’Europe ? Le Front national est à un niveau historique et il serait erroné de croire que l’élection de M. Macron fera taire les colères, les insatisfactions, voire les haines suscitées par les dégâts d’une mondialisation que l’on disait heureuse. Les passer sous silence reviendrait à s’exposer à un retour de bâton sérieux en 2022. Donald Trump a bien succédé à Barack Obama.

Concernant l’Europe, Emmanuel Macron dispose d’un capital politique qu’il serait peu judicieux de ne pas utiliser. C’est assez rare pour le souligner mais sa campagne ne s’est pas uniquement focalisée sur le plan intérieur. Il a donné maintes interviews aux médias étrangers et européens en particulier. Il est allé en Allemagne pour exprimer sa solidarité face aux attentats. Cette dimension européenne a ressurgi lors de son discours de dimanche dernier, lorsqu’il est entré sur l’hymne européen. Ce geste a été apprécié à l’étranger et associe ainsi l’UE à la jeunesse et au renouveau, alors que les gazettes de ces dernières années ont offert l’image d’une Europe désunie, en proie aux crises économiques ou migratoires.

Enfin, il a pu lier cet aspect européen au récit national français dans le décor du Louvre. Cela illustre la double dimension du projet d’Emmanuel Macron : rejeter le nationalisme car la France n’est grande que lorsqu’elle est européenne, tandis que l’UE n’est grande que lorsqu’elle est entraînée par Paris. Nul doute que les intérêts économiques divergents de l’Allemagne ressurgiront à la première occasion mais le nouveau président français s’est au moins assuré un réservoir de bonnes volontés. Il semble de ce point de vue avoir la capacité à mettre en œuvre une stratégie et à penser au coup d’après.

Emmanuel Macron est également en faveur d’une Europe de la défense. Concrètement, comment compte-t-il développer ce projet?

Du point de vue de la défense, Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de François Hollande. Le nouveau président est favorable au renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire française : la composante maritime (SNLE NG et M-51) et la composante aéroportée. Cette décision est tout à fait engageante du point de vue budgétaire et structurante pour la politique de défense française, même si peu de gens en ont pris la mesure. M. Macron a ainsi annoncé qu’il souhaitait atteindre les 2% de PIB en dépenses de défense d’ici 2025.

Sur les questions d’Europe de la défense, le projet du nouveau président français s’inscrit là aussi dans la continuité de celui de François Hollande, qui était plutôt réussi sur le plan extérieur. La différence avec le quinquennat précédent réside toutefois dans la rupture stratégique que constitue l’administration Trump. Elle ouvre une fenêtre d’opportunité pour que l’Europe réalise enfin qu’elle ne peut pas dépendre indéfiniment de la garantie américaine. Il faudrait donc que l’UE prenne ses responsabilités pour assurer sa sécurité et ses intérêts, au moins dans un environnement proche.

Comment faire pour essayer de profiter de cette fenêtre d’opportunité ? En réalité, toute la boîte à outils nécessaire est déjà présente dans les traités européens. De plus, lors du quinquennat Hollande, Bruxelles s’est doté d’outils supplémentaires. Par exemple, la Commission européenne a franchi un Rubicon en s’investissant sur les questions de recherche en défense. De même, la création d’une structure européenne de commandement des opérations extérieures de l’UE constitue une avancée, alors que les Britanniques ont longtemps été opposés à ce projet. La Haute-représentante de l’UE a aussi couché sur papier une stratégie globale en matière de politique étrangère et de sécurité européenne, ce qui permet de formuler une philosophie commune. À présent, il faut actionner la machine politique, au moins parmi les grands pays européens, et c’est là où le capital politique de Macron peut être utile.

Pour ce faire, il faudrait proposer un plan Macron – qui pourrait facilement devenir un plan Macron-Merkel ou Macron-Schultz. Ce plan devrait être enclenché après les élections allemandes fin septembre : Emmanuel Macron pousserait pour tenir un conseil de défense franco-allemand avec le nouveau leader allemand et les ministres concernés. Cette réunion bilatérale aurait vocation à s’élargir, en préparant un conseil européen pour décembre 2017 afin de se concentrer sur la volonté politique. Cela serait suivi au printemps par une réunion des ministres de la Défense coordonnée par l’Agence européenne de défense (AED), afin de mettre en application cette volonté politique de haut niveau. Enfin, ces ministres devraient rendre compte aux chefs d’États et de gouvernement en juin 2018 de l’avancement sur les questions de défense.

In fine, cela permettrait de voir si la fenêtre d’opportunité ouverte par le président américain a été comblée par l’Europe. Si ce n’était pas le cas, cela signifierait que l’UE n’a pas réussi à prendre en compte les changements stratégiques incarnés par le Brexit et l’élection de Donald Trump. Alors, il est possible que les peuples européens se disent que l’UE a abandonné une fois pour toute l’idée de s’adapter, ce qui distendra son lien avec les citoyens de manière presque définitive.

Du point de vue du contenu, ce projet devrait toucher et lier différents aspects : capacitaire, opérationnel, financier et politique. Il faut discuter de projets phares qui permettraient de faire comprendre aux Européens que l’UE se démène pour progresser. On pourrait imaginer une réflexion sur un futur système aérien européen qui mutualiserait les capacités existantes en matière d’avions de chasse, de drones, de ravitaillement en vol et de transports stratégiques. Cela impliquerait une spécialisation des tâches entre pays européens, l’Allemagne s’occupant du bas du spectre et la France du haut. Pour ce type de projet, on peut utiliser les mécanismes à disposition, telle qu’une coopération renforcée. Il faut privilégier l’efficacité à la dimension institutionnelle ; autrement dit, la priorité est que les choses avancent, pas que l’on parle indéfiniment de l’inclusivité. À moyen terme, il faut enfin constituer une plateforme pour partager les moyens militaires, voire les développer en commun. Car si pour son futur système de combat aérien, les Européens finissent par choisir le F35 américain, cela porterait un coup significatif à l’industrie de défense européenne.

Quelle est la position de M. Macron vis-à-vis de l’OTAN ?

Là encore, Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de François Hollande. Le nouveau président ne sortira pas du commandement militaire intégré de l’OTAN. Lors du sommet de l’organisation le 25 mai, où sera forcément de nouveau abordée la question du 2%, Macron devrait tenter de construire une narration proprement européenne sur ce sujet. Actuellement, l’UE subit une vision des 2% qui ne correspond ni à ses intérêts, ni à ses objectifs, ni à sa vision. L’Europe étant une puissance économique et commerciale qui a des intérêts et objectifs propres, elle devrait être capable de formuler des objectifs de politique étrangère en adéquation avec ses objectifs politico-commerciaux, qui ne sont pas forcément les mêmes que les États-Unis. Or, quand l’OTAN parle de 2%, c’est devenu un 2% américain.

Autrement dit, on devrait s’inscrire dans un 2% européen qui envisagerait la sécurité et la défense au-delà de la simple force militaire. Pour résoudre les crises, la force militaire est certes déterminante mais pas suffisante car il faut aussi des leviers diplomatiques, politiques, économiques, etc. Si l’UE y réfléchissait, elle se rendrait compte qu’un 2% européen n’est probablement pas un 2% pur. Ce serait un autre critère, qui devrait être à cheval sur les dimensions de sécurité et de défense. Surtout, ce devrait être un critère intelligent. Aujourd’hui, le 2% est un critère d’input, c’est-à-dire se rapportant à l’argent investi mais non pas aux effets retirés. L’OTAN n’a jamais réussi à construire un critère de l’output, à savoir un critère s’interrogeant sur l’effet recherché, sa mesure et son objectif. Le rôle de l’UE pourrait donc être de développer une méthodologie propre de l’input et de l’output.

La propagande de Daech : quelle stratégie de communication ?

Thu, 11/05/2017 - 16:19

François-Bernard Huyghe est directeur de recherche à l’IRIS. Il répond à nos questions à propos de son ouvrage « Daech : la stratégie de communication dévoilée », paru aux éditions VA Presse.– Quelle est la rhétorique de fond et de forme employée par la propagande de Daech ?
– Vous évoquez une “culpabilité française”. Que reproche Daech à la France ?
– Pourquoi les campagnes de contre-propagande occidentales sont-elles peu efficaces ? Que préconisez-vous ?

Election de Moon Jae-in : un tournant stratégique en péninsule coréenne ?

Wed, 10/05/2017 - 18:42

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Nouveau président en Corée du Sud : vers une redéfinition de la diplomatie dans la péninsule ?

Wed, 10/05/2017 - 15:22

Le 9 mai, Moon Jae-in (Parti démocrate) a été élu président de la Corée du Sud avec environ 41,4% des voix en prenant une position différente de ses prédécesseurs sur la Corée du Nord et les États-Unis. L’analyse de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Comment interpréter cette large victoire après dix ans d’un régime conservateur à Séoul ?

Il convient d’abord de rappeler que le nouveau président Moon Jae-in était déjà candidat en 2012 et a échoué de peu face à Park Geun-hye. Il n’est donc pas inconnu du grand public sud-coréen et incarne depuis quelques années l’opposition de centre-gauche face au parti conservateur, au pouvoir depuis 2007.

Les facteurs expliquant sa victoire sont nombreux mais trois ont joué un rôle particulièrement notable. D’une part, la croissance économique sud-coréenne est au ralenti, après des décennies de « miracle ». Les présidences conservatrices de Lee Myung-bak et de Park Geun-hye, qui misaient sur l’économie, ont à ce titre échoué. En toute logique, l’alternance semblait presque inévitable. Les scandales entourant Park Geun-hye, qui a été destituée il y a quelques mois, ont par ailleurs plombé le parti conservateur et mis en relief un style de gouvernance opaque, accumulant les conflits d’intérêts et les arrangements avec les Chaebols (les conglomérats). Depuis des années déjà, de nombreux économistes sud-coréens tirent la sonnette l’alarme sur le fait que ce système est voué à terme à l’échec. Les événements récents n’ont fait que leur donner raison.

Enfin, il serait incomplet d’analyser ce résultat sans tenir compte du contexte sécuritaire et stratégique actuel. La relation avec la Corée du Nord est tendue comme rarement ; tandis que les États-Unis ont multiplié les signes d’ingérence depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et la population ne souhaite pas faire les frais d’un durcissement de la relation Pyongyang-Washington.

Moon semble en faveur de la politique de la main tendue envers la Corée du Nord. Son élection ouvre-t-elle une nouvelle phase dans la péninsule coréenne, marquée par le dialogue avec Pyongyang ?

Elle est indiscutablement porteuse d’espoir sur ce sujet très sensible et marque une rupture avec l’intransigeance affichée par les conservateurs depuis 2007. En 2012, Park avait déjà promis d’adoucir le ton mais elle fut rapidement rattrapée par les éléments les plus conservateurs de sa majorité. La Corée du Nord a su jouer habilement sur cette intransigeance et Kim Jong-un a même pu s’affirmer comme un dirigeant fort en réaction au refus de Séoul de rouvrir le dialogue.

Moon a promis de repenser la relation intercoréenne et même de rencontrer le dirigeant nord-coréen. Les premiers signes de sa présidence seront importants et nous saurons alors si la « sunshine policy » du début des années 2000, marquée par un dégel important de la relation entre les deux entités rivales, sera remis au goût du jour ; ou si le nouveau président proposera une nouvelle donne. Il devra en tout cas agir très vite sur ce dossier.

Moon semble aussi vouloir une relation plus équilibrée avec les États-Unis. S’agit-il d’un tournant diplomatique majeur entre les deux alliés ?

Tout dépendra surtout de l’attitude de Washington suite à cette élection, qui n’est en rien une surprise et a donc a priori été anticipée par l’administration Trump. La question sensible actuellement concerne le déploiement du système de défense antimissile THAAD, que les États-Unis installent dans la péninsule, officiellement pour défendre la Corée du Sud d’une attaque du nord. Pékin réclame l’abandon de ce programme, qui par ailleurs ne reçoit pas une forte adhésion de l’opinion publique sud-coréenne. Moon devra trancher très rapidement. S’il parvient à maintenir THAAD tout en approfondissant le dialogue avec Pyongyang et rassurant Pékin, il ne remettra pas en cause l’alliance avec les États-Unis. S’il décide d’abandonner THAAD, on peut aisément imaginer à l’inverse que les réactions américaines ne tarderont pas. Derrière cette élection, la question géopolitique est clairement de voir si les États-Unis ne sont pas en train de « perdre » l’allié sud-coréen, Moon étant visiblement favorable à une forme d’émancipation et d’affirmation de son indépendance, comme il l’a notamment indiqué dans un récent entretien au Washington Post.

« Le conflit israélo-palestinien » – 3 questions à Alain Dieckhoff

Wed, 10/05/2017 - 10:48

Alain Dieckhoff est directeur du Centre de recherches internationales, Sciences Po Paris. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Le conflit israélo-palestinien – 20 questions pour vous faire votre opinion », aux éditions Armand Colin.

Pourquoi la victoire de juin 1967 constitue-t-elle un cadeau empoisonné pour Israël ?

La guerre de 1967 modifie le statu quo territorial hérité de 1948 puisqu’Israël finit après six jours de combat par contrôler militairement la péninsule du Sinaï, le plateau du Golan, la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza. Mais contrairement à l’espoir de certains décideurs israéliens, cette retentissante victoire militaire et humiliante défaite pour les États arabes, ne conduit pas ces derniers à engager des pourparlers de paix. Au contraire, ils adoptent une posture intransigeante qui encourage Israël, gagné par un certain triomphalisme, à emprunter la voie de l’unilatéralisme (qui se manifeste dès fin juin par l’extension de la souveraineté israélienne à la vieille ville et aux faubourgs de Jérusalem). Israël s’engage alors, d’abord avec prudence, puis, sous la pression de groupes nationalistes religieux, habités par une idéologie messianique, dans une stratégie de colonisation qui ne connaîtra, en réalité, jamais de cesse. Aujourd’hui, plus de 370 000 Israéliens habitent en Cisjordanie (plus 200 000 à Jérusalem Est). Cette situation contribue en fait à rendre extrêmement problématique la création d’un État palestinien puisque son assise territoriale potentielle est grignotée par cette densification démographique régulière.

La guerre des six jours a également conduit à véritablement unir Israël aux États-Unis qui sont devenus son unique partenaire stratégique (à la place de la France). Ironiquement, la victoire d’Israël aura permis le retour des Palestiniens comme acteurs, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) étant reconnue dans les années 1970 comme leur seule représentante, d’abord par les États arabes, puis par un large segment de la communauté internationale.

En quoi l’Europe est-elle « non acteur » dans ce conflit ?

La position de l’Europe par rapport au conflit israélo-arabe est profondément paradoxale. D’un côté, le Proche-Orient a été, depuis les années 1970, un sujet de préoccupation constant de la Communauté économique européenne (devenue Union européenne en 1993) qui aura permis une coordination croissante des positions nationales des États membres et la constitution d’un véritable acquis de politique étrangère commune. D’un autre côté, l’Europe n’a pas été en mesure de traduire en action politique efficace cette convergence de vues, elle est demeurée un acteur marginal sur la scène régionale. Cet écart a toutes les chances de persister.

La position européenne s’est dès le début des années 1980 structurée autour de trois grands principes : le droit à l’existence de l’État d’Israël, le lien entre la restitution territoriale des territoires occupés en 1967 et l’instauration de la paix, le droit à l’autodétermination du peuple palestinien (qui passe donc par la création d’un « État souverain démocratique, viable et pacifique »). Dans la prise en compte du facteur palestinien, l’Europe a été incontestablement pionnière.  Pour autant, l’Europe pèse finalement peu sur les évolutions régionales. À cela il y a deux raisons majeures. D’abord, le caractère inter-gouvernemental de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) nécessite la constitution d’un consensus, toujours difficile à atteindre, entre 28 États membres. Ensuite, deux acteurs importants, à savoir les États-Unis et Israël, ne sont guère désireux de laisser une marge de manœuvre politique à l’UE, préférant rester dans un certain entre-soi.

Du coup, l’UE a surtout recours à ce qui est le plus facile : la diplomatie du carnet de chèque. Cette dernière s’est traduite par une aide massive aux Palestiniens dans trois domaines : aide au développement (infrastructures, projets économiques), aide humanitaire et soutien budgétaire à l’Autorité palestinienne.

Au Proche-Orient, plus qu’ailleurs sans doute, l’Europe mesure les limites évidentes du soft power. Aider, inciter, déplorer, dialoguer permet tout au plus d’accompagner les événements, pas de peser sur eux. Le déficit de puissance de l’UE persistera tant qu’elle n’aura pas une politique étrangère et de défense plus intégrée, ce qui n’est pas pour demain.

La paix est-elle impossible ?

Au cours des vingt-cinq dernières années, deux tendances parfaitement contradictoires sont apparues. D’un côté, l’idée que la solution au conflit israélo-palestinien passe par la coexistence entre deux États, Israël et la Palestine, a rallié un consensus de plus en plus large : des forces politiques dans les deux camps, des opinions publiques comme de la communauté internationale. Tous les plans de paix, déclarations et initiatives diplomatiques sont fondés sur ce paradigme.

D’un autre côté pourtant, les conditions de réalisation concrète d’un État palestinien ont paru s’éloigner de plus en plus avec la multiplication de faits accomplis par Israël : construction de colonies et de routes de contournement ; édification de check points, de barrages, de murs… Le nombre de résidents juifs en Cisjordanie (hors Jérusalem) est passé de 1200 en 1972 à 370 000 aujourd’hui ; 39 % des terres de Cisjordanie sont inclus dans le périmètre administratif des colonies et donc fermés à toute construction palestinienne. À cela s’ajoute la division politico-géographique persistante entre Gaza et la Cisjordanie qui compromet encore davantage la perspective de voir naître un État palestinien.

De plus, dans les deux camps, il existe des forces politiques puissantes, le Hamas et d’autres groupes islamistes du côté palestinien, des groupes nationalistes et religieux du côté israélien qui rejettent, pour des raisons évidemment diamétralement opposées, la perspective d’un partage territorial.

Dans un tel contexte, il est compréhensible de penser que la paix ne se réalisera jamais. Qu’elle soit aujourd’hui improbable est certain ; qu’elle soit particulièrement délicate à mettre en œuvre est tout aussi certain. Mais rien ne dit qu’elle ne pourra advenir un jour, lorsque, par un mélange de lassitude et d’intérêt bien compris, les deux protagonistes aux prises les uns avec les autres mesureront que les vertus de la paix l’emportent sur celles de la guerre.

Emmanuel Macron : une diplomatie gaullo-miterrandiste ?

Tue, 09/05/2017 - 18:39

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

« L’aide française au Sahel n’est que du saupoudrage »

Tue, 09/05/2017 - 14:53

Pour ce chercheur de l’IRIS, l’heure est grave. Plus que jamais, l’aide au Sahel doit être repensée et réorientée. Il explique.

Avec Olivier Lafourcade, vous avez préparé un document sur les risques de la déstabilisation du Sahel à l’attention des responsables politiques, mais aussi des candidats à la présidentielle, quel était l’objectif de votre démarche ?

Depuis six-sept ans, et de manière plus active depuis janvier 2013, date de l’intervention militaire étrangère au Mali, nous militons pour une réforme de l’aide française à cette région, car elle est, selon nous, la mieux armée pour répondre aux défis qui s’y posent. J’avais pour ma part pu observer l’échec lamentable de l’aide internationale en Afghanistan entre 2002 et 2014, avec un gaspillage de ressources et un sentiment d’abandon de la part de la population locale, et il s’agissait à travers cette démarche de prévenir une évolution de ce type avec le conflit parti du nord du Mali en 2012. Nous pensons que ce qui se joue au Sahel représente des risques majeurs non seulement pour l’Afrique de l’Ouest, mais aussi pour l’Europe et la France, et nous voulions essayer d’infléchir le cours des choses.

Comment votre démarche a-t-elle été accueillie par les responsables politiques français et par les candidats à la présidentielle que vous avez rencontrés ?

Au départ, nous n’avons pas vraiment été entendus dans les cabinets ministériels. Les choses ont commencé à changer à partir de l’effondrement du Mali en 2013 et de la publication de mon livre Africanistan* en 2015. Nous avons alors été auditionnés en particulier par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, à plusieurs reprises, où on a senti une unanimité concernant nos analyses, de la gauche radicale à la droite dure. Nous avons aussi plaidé dans des foras très divers – j’ai fait plus de 50 conférences et interventions publiques sur la question. Cependant, rien n’a changé concrètement au niveau de la politique française d’aide au Sahel. Le président François Hollande a, certes, décidé d’octroyer une « facilité spéciale pour les pays en crise » dotée de 100 millions d’euros sous forme de dons, qui devait être mise à la disposition de l’Agence française de développement (AFD) cette année, en février. Mais Bercy (le ministère de l’Économie et des Finances, NDLR) en a bloqué le décaissement, alors qu’il s’agissait d’une première étape de l’aide qu’il aurait fallu engager dès 2011-2012 et non pas en 2017.

Comment vos analyses ont-elles été reçues dans les ministères, que ce soit à Bercy, au Quai d’Orsay ou au ministère de la Défense ?

On nous a renvoyés au ministère délégué du Développement où vous avez des ministres qui changent tous les 18 mois, ce qui limite la possibilité d’engager des réformes sérieuses. Par ailleurs, ce ministère est sans grand pouvoir et ne peut pas s’imposer face à Bercy. En fin de compte, vous avez des institutions françaises qui, chacune dans leur logique, continuent dans le « business as usual », comme s’il n’y avait pas le feu à la maison, alors que le Sahel est en crise. Les seuls à nous avoir vraiment pris au sérieux, ce sont, d’une part, l’Agence française de développement (AFD), et d’autre part, les militaires. Ils nous ont reçus, écoutés, invités à faire des conférences… Ils savent que la situation est critique car ils sont en première ligne.

Et comment ont réagi les candidats à la présidentielle ?

Nous avons discuté avec Alain Juppé, qui a compris l’ampleur du problème, mais il a perdu la primaire. Puis nous avons rencontré les équipes d’Emmanuel Macron, de Benoît Hamon, ainsi que des personnalités chez Les Républicains. Nos idées ont filtré auprès d’eux, tout comme elles avaient été bien accueillies à l’Assemblée nationale et au Sénat. Mais ce consensus se heurte à l’inertie ou à la mauvaise volonté des bureaucraties. Un parlementaire m’a même dit : « Il est plus facile de partir en guerre contre les djihadistes que contre Bercy ».

Selon vous, que faudrait-il mettre en œuvre en matière d’aide au développement dans les régions sahéliennes touchées par l’insécurité ?

Deux problèmes majeurs se posent. Il y a d’abord une stagnation de l’économie rurale, qui est censée occuper 80 % de la population, et qui, aujourd’hui, ne peut plus offrir suffisamment de travail et de nourriture à une population de plus en plus nombreuse. Le deuxième problème est lié à la disparition de l’État et à la montée de l’insécurité dans des zones immenses du territoire malien. Il y a une nécessité de reconstruire des appareils d’État, qu’il s’agisse de l’armée, de la gendarmerie ou du système judiciaire, et cela pose des problèmes techniques, politiques et financiers.

Vous dites qu’il faut notamment relancer l’économie rurale… Quelles sont les aides, aujourd’hui, en matière de soutien à l’agriculture au Mali, pays dont l’économie dépend fortement du secteur agricole, et où le monde paysan concentre environ 70 % de la population ?

En octobre 2015, lors de la conférence de Paris sur le Mali, les donateurs ont promis 3,4 milliards de dollars. Mais sur ce montant, seulement 3,7 % sont affectés à l’agriculture et à l’élevage, ce qui est absurde. Ce secteur est dédaigné par la plupart des donateurs internationaux alors que le potentiel d’amélioration agricole au Sahel est considérable, en particulier par la restauration des sols et la généralisation de l’agro-écologie.

Concernant l’aide publique au développement française, qui se situe entre 8 et 10 milliards d’euros par an, entre 80 à 100 millions d’euros de dons sont affectés à des projets concrets au Sahel, dans le cadre de l’aide bilatérale. Et sur ce montant, moins d’une trentaine de millions d’euros sont destinés à l’aide au développement rural, ce qui représente moins de trois pour mille de l’aide française. C’est à pleurer de bêtise !

Le rapport de 2008 de la Banque mondiale avait placé l’agriculture au cœur des enjeux de développement, une première depuis 25 ans… Ce rapport a-t-il eu des répercussions dans la prise en compte de l’économie rurale ?

C’était un bon rapport, qui mettait l’accent sur le fait que l’aide internationale ne se préoccupait plus du secteur agricole depuis, en gros, le départ de Robert McNamara (ancien président de la Banque mondiale de 1968 à 1981, NDLR). Dans les années 70, plus du tiers de l’aide de la Banque mondiale allait vers le développement du petit paysannat, tandis qu’aujourd’hui, la part de l’aide affectée à ce secteur tourne autour de 6 à 7 %. Il y avait à cette période une véritable expertise sur le développement rural africain. Mais aujourd’hui, vous ne trouvez plus cette expertise, si ce n’est à l’AFD, au Département du développement international britannique (DFID) et à l’Ifad (Fonds international de développement agricole de l’ONU).

C’est donc là où il y a le plus de ressources qu’on manque d’expertise. Je rentre d’une mission à Washington avec la Fondation pour les études et la recherche sur le développement international (Ferdi) et l’université de Berkeley en Californie, où nous avons plaidé pour la mobilisation de ressources destinées au développement rural, au planning familial et au renforcement des institutions régaliennes au Sahel. Nous avons rencontré notamment des experts et des responsables de la Banque mondiale.

Il ne s’agit évidemment pas du discours officiel, mais en tête à tête, nombre de mes interlocuteurs ou anciens amis m’ont avoué s’arracher les cheveux pour trouver l’expertise permettant de gérer les sommes considérables dont ils disposent. Ils manquent de compétences en matière agricole, sur les questions éducatives et démographiques, sans parler des sujets institutionnels. La Banque mondiale, tout comme l’Union européenne d’ailleurs, considère que les tâches de reconstruction des armées, des gendarmeries et de l’administration territoriale au Sahel ne relèvent pas de leur mandat. Mais alors qui va s’occuper de ces questions ? Seulement 0,1 % des 3,4 milliards d’euros promis au Mali en 2015 sont affectés à la réhabilitation de la justice malienne.

S’agissant du renforcement institutionnel au Sahel, l’Union européenne et l’Allemagne, notamment, interviennent dans la formation des forces de sécurité maliennes… Quels sont leurs besoins ?

Au Mali en particulier, les lacunes en matière de respect des populations et de l’État de droit sont dramatiques… Les services régaliens se comportent trop souvent en prédateurs et en racketteurs et il est bien difficile dans ces conditions d’espérer compter sur le soutien des populations. La formation des personnels et la fourniture d’équipements au Mali et dans les pays voisins, certes importants, sont toutefois insuffisantes pour reconstruire l’armée. Il faut selon nous réorganiser et restructurer la plupart des institutions régaliennes en réinstaurant les principes de mérite et de performance, mais aussi mettre fin au clientélisme et au népotisme. Ce n’est envisageable que si la communauté internationale accepte de financer les coûts de telles restructurations.

Quel peut être concrètement le rôle de la France dans d’éventuelles réformes institutionnelles au Mali ?

Au plan politique, il faudrait qu’il y ait un dialogue assez ferme au plus haut niveau afin de mettre les autorités face à leurs responsabilités. Si elles veulent que la France les aide, il y a des réformes à mettre en place pour reconstruire un appareil d’État qui fonctionne. Si ces réformes ne sont pas engagées, l’armée française va s’enliser. S’il y a manifestement un refus des réformes, comme ce fut le cas avec le régime d’Ahmid Karzai en Afghanistan, nous n’aurons pas d’autre choix réaliste que de laisser les autorités maliennes se débrouiller avec les djihadistes.

Au plan technique, il est possible d’associer l’expertise française, que ce soit en matière de développement rural ou de reconstruction d’institutions, lesquelles ont initialement été construites selon le modèle français.

Vous prônez donc plus d’ingérence, plus d’interventionnisme de la part de la France ?

À quoi bon rester au Mali si les autorités ne réforment pas certaines de leurs institutions et de leurs pratiques ? On va se battre à la place des Maliens, et s’embourber au Sahel de la même façon que les Américains et les troupes occidentales se sont enlisées en Afghanistan ? On va essayer de se substituer à une administration défaillante en essayant de mettre en place une assistance technique à droite à gauche ? Ce n’est pas comme ça qu’on peut s’en sortir.

Vous proposiez en 2013 la création d’un fonds d’aide au Sahel, avec un premier versement de la France de 200 millions d’euros, qui produirait un effet de levier pour mobiliser jusqu’à un milliard d’euros par an… Or, la France peine déjà à atteindre l’objectif de consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’aide au développement. Où piocher la mise de départ de 200 millions d’euros ?

L’effort budgétaire français consacré à l’aide est de l’ordre de 2,8 milliards d’euros. On peut récupérer ces 200 millions en révisant les priorités d’affectation de ces ressources. Par exemple, la France transfère environ 430 millions d’euros au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. C’est important de contribuer à ce Fonds, mais il est aberrant d’y verser deux fois plus de subventions que ce qu’on affecte sur 16 pays tous secteurs confondus.

À quoi faites-vous référence ?

L’aide bilatérale de la France en matière de dons s’établit à environ 200 millions d’euros par an, et cette enveloppe doit être répartie entre 16 pays, dont beaucoup sont situés hors d’Afrique.

Pourquoi l’Afrique subsaharienne, et en particulier les États dits « fragiles » du Sahel ne sont-ils pas les premiers récipiendaires de l’aide française ?

Pour des raisons politiques et statistiques, on choisit des instruments et des canaux de distribution de notre aide qui ne favorisent pas ces régions. Notre aide est tout d’abord principalement distribuée par le canal des institutions multilatérales et onusiennes qui bénéficient d’environ 1,7 milliard sur les 2,8 milliards de notre effort budgétaire. Pour le reste qui correspond à notre aide bilatérale, depuis 20 ans, la part des dons s’est considérablement rétrécie et se chiffre aujourd’hui à 200 millions d’euros. La part des prêts a au contraire fortement augmenté.

Pourquoi les prêts ont-ils été favorisés comme instrument d’aide ?

Essentiellement pour gonfler nos statistiques. Car quand on donne un euro à l’AFD pour bonifier ses prêts et les intégrer dans le calcul de notre aide au développement, elle « fabrique » 12 euros d’aide publique au développement. La France est le seul pays au monde qui ait conduit sa politique d’aide à un tel niveau d’absurdité. Le problème, c’est qu’avec 200 millions de dons par an pour 16 pays bénéficiaires, on ne peut faire que du saupoudrage. Et avec des prêts on ne vient plus en aide aux pays pauvres du Sahel, et vous ne pouvez pas financer du développement rural car cela ne va pas générer de recettes budgétaires pour rembourser le prêt. Donc ce choix stratégique du prêt par rapport au don fait que vous orientez votre aide vers des pays intermédiaires, et les pays émergents. Au final, notre appui effectif au Sahel sous forme de dons représente un centième de notre aide publique au développement. On maquille un peu ces chiffres en y ajoutant le coût de l’assistance technique et diverses autres dépenses. Mais la réalité est là : l’AFD ne dispose pas des ressources nécessaires en matière de dons pour travailler avec les pays de cette région, alors que, de tous les donateurs, c’est pourtant elle qui dispose de la meilleure expertise.

En quoi l’expertise française concernant le développement rural ou la reconstruction des institutions régaliennes vous paraît-elle meilleure ?

Le stock d’expertise française est colossal. Nous avons des instituts de recherche qui travaillent depuis plus d’un demi-siècle sur le Sahel, à l’instar de l’Institut de recherche et développement (IRD) ou du Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad). Ils ont leurs réseaux de correspondants locaux, des centres d’expérimentation. Nous avons aussi Expertise France et l’AFD, qui a gardé une forte expertise en matière de développement rural. Nous pouvons enfin compter sur les ONG de développement. Si vous prenez les dix ONG françaises les plus importantes, vous avez 1 600 ingénieurs et techniciens disponibles. Je ne vois pas dans quel autre organisme d’aide vous allez trouver ces ressources-là.

Propos recueillis pas Agnès Faivre

Défaite électorale et victoire culturelle du Front national

Mon, 08/05/2017 - 16:50

L’absence de «front républicain» a permis de fissurer le fameux «plafond de verre» auquel l’extrême droite continue de se heurter à chaque scrutin majoritaire. Celui-ci risque à son tour de céder du fait de la volonté affichée d’accélérer la stratégie de «dédiabolisation-transformation» du FN.

La large défaite électorale de la candidate de l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle ne saurait masquer les signaux d’une victoire politique et culturelle. Marine Le Pen a réuni près de 11 millions de voix, soit environ deux fois plus que son père en 2002. La progression est spectaculaire et continue, malgré un fort recul enregistré par le FN lors des élections présidentielle et législatives de 2007. Depuis, la machine électorale a renoué avec une dynamique implacable née lors des élections européennes de 1984. Le score obtenu le 7 mai marque un record en nombre de voix obtenues par la formation d’extrême droite, toutes élections confondues, soit une nette progression par rapport au résultat du premier tour de l’élection présidentielle (7,6 millions de voix) de cette année, où Marine Le Pen avait déjà battu le précédent record de son parti, qui datait des régionales 2015.

L’alliance entre Dupont-Aignan et Le Pen

Pis, l’absence de «front républicain» a permis de fissurer le fameux «plafond de verre» auquel l’extrême droite continue de se heurter à chaque scrutin majoritaire. Celui-ci risque à son tour de céder du fait de la volonté affichée d’accélérer la stratégie de «dédiabolisation-transformation» du FN. Du reste, l’événement politique majeur de cet entre-deux-tours restera l’alliance scellée entre Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan, entre les leaders respectifs d’un parti historiquement antigaulliste et d’une formation revendiquant l’héritage direct du gaullisme.

Rappelons que l’irruption du FN dans notre vie politique date de septembre 1983, lorsque la mairie de Dreux avait été remportée par une liste RPR-Front national… Aujourd’hui, si ce rapprochement se confirme, nul doute que le FN participera de fait au mouvement général de recomposition du paysage politique français au-delà du traditionnel clivage extrême droite/droite/gauche. L’avènement d’un clivage idéologique autour du rapport aux frontières nationales –formelles et imaginaires– du pays symbolise la victoire idéologique et culturelle du Front national.

Loin des chiffres et des stratégies d’appareil, l’essentiel est en effet ailleurs. La montée en puissance du parti frontiste ne se mesure pas seulement à l’aune de ses scores électoraux. La banalisation du vote FN n’est que la partie immergée de la diffusion-normalisation de ses idées et de sa représentation du monde. En cela la victoire d’Emmanuel Macron ne saurait faire illusion: la «mondialisation heureuse» qu’il souhaite incarner est loin d’avoir convaincu 65% des Français.

Le sociologue Zygmunt Bauman écrivait: «On pense à l’identité à chaque fois que l’on ne sait pas vraiment où l’on est chez soi […]. « Identité » est le nom que l’on a donné à la recherche d’une échappatoire à cette incertitude.» C’est précisément cette inquiétude identitaire entretenue par la mondialisation que le Front national a su exploiter et imposer dans la vie politique française, avec la complicité de responsables de droite comme de gauche. Bien qu’inédite à plus d’un titre, la campagne 2017 s’est inscrite dans une certaine continuité avec celles de 2007 et de 2012, en confirmant l’ancrage de la question identitaire dans le débat politique, idéologique et culturel national.

Le contexte est propice à la montée du sentiment national-populiste: la conjugaison d’une crise sociale (avec une précarisation et un chômage structurels et massifs) et d’une crise des idéaux collectifs de substitution a aiguisé dans la société française le sentiment de vulnérabilité face à un nouvel ordre global. Le parti frontiste exploite cette vulnérabilité individuelle et collective dans une stratégie et un discours politiques axés sur une mise en accusation de la mondialisation, de l’intégration européenne et de l’immigration. L’ennemi politique est extérieur au corps national, même lorsqu’il vit en France…

Le brouillage des frontières idéologiques

Le plafond de verre, à défaut d’être brisé sur le plan électoral, a déjà éclaté dans les esprits et la conscience politique de nombreux citoyens et dirigeants politiques de la classe politique traditionnelle qui ont progressivement intégré les mots et les images du Front national dans leur propre univers mental.

Les discours et pulsions xénophobes débordent les sphères toujours plus vastes des cadres comme de l’électorat du Front national. Les frontières idéologiques se brouillent: la gauche du gouvernement s’est inspirée d’une mesure défendue par l’extrême droite (la «déchéance de nationalité»), tandis que Marine Le Pen a plagié un discours prononcé par François Fillon, tant celui-ci puisait à une même source identitaire fondée sur un récit romancé de la nation française et une vision communautarisée de la société française.

Un ethnocentrisme nombriliste se fait jour, une conception dogmatique de l’ordre culturel et social se manifeste, y compris dans la rigidité républicaniste de gauche, d’un Valls ou d’un Mélenchon. Cette vision étriquée de la France et de la République a largement investi le champ politique, au point de participer à la recomposition les clivages entre gauche/droite/extrême droite…

Le tournant du Hamas ouvre-t-il la voie à la négociation du conflit israélo-palestinien ?

Fri, 05/05/2017 - 18:28

Alors que le Hamas a annoncé la modification de sa charte, le président palestinien Mahmoud Abbas a été reçu mercredi par Donald Trump à la Maison-Blanche. Le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Quelles sont les principales modifications que le Hamas apporte à sa charte ? Comment interpréter ce changement de position et peut-il être qualifié de revirement historique ?

L’aspect principal des modifications de la charte du Hamas est l’acceptation de la possibilité de créer un État palestinien dans les frontières de 1967. Or, si le Hamas reconnaît ces frontières, cela implique mécaniquement une reconnaissance – même si ce n’est pas affirmé en tant que tel – d’un État israélien. Le Hamas se situe donc sur la même position que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1989, consistant à reconnaître de facto la nécessité de deux États, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Cette évolution est extrêmement importante même s’i elle ne vaut pas une reconnaissance de jure de l’État d’Israël. Celle-ci n’interviendra qu’à l’aboutissement d’un processus de négociation, dont il faut souhaiter qu’il redémarre réellement. Il faut donc maintenant que ladite communauté internationale saisisse au bond cette avancée pour tenter de réactiver un processus digne de ce nom.

On peut comprendre cette évolution du Hamas par l’évolution de rapports de force qui lui sont aujourd’hui défavorables. Les soutiens les plus forts dont il jouissait, à savoir l’Iran et la Syrie, ont disparu. Le Hamas s’est effectivement désolidarisé de Bachar al-Assad et de Téhéran du fait de la guerre civile syrienne. L’organisation se retrouve donc dans une situation plus difficile, d’autant plus que de nombreuses puissances occidentales – dont la France – la qualifient d’organisation terroriste et refuse tout contact, au moins officiel, avec lui. Le Hamas entretient néanmoins des relations avec des Etats comme la Russie, la Chine ou l’Afrique du Sud. Cet isolement relatif du Hamas l’a donc contraint à faire un pas en avant.

Il est également essentiel de noter que le Hamas ne fait plus référence aux Frères musulmans dans ses déclarations, dont il incarne pourtant la branche palestinienne. Cela marque certainement une volonté de renouer un dialogue avec le maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi, ce dans l’espoir que celui-ci lève le blocus égyptien contre Gaza. Si Le Caire prenait cette décision, cela contribuerait alors à affaiblir les positions de l’Etat d’Israël qui, pour sa part, continue à promouvoir une position d’extrême fermeté à l’égard des habitants de la bande de Gaza.

La situation du peuple de Gaza est effroyable et on assiste à son étouffement progressif. En outre, le Fatah de Mahmoud Abbas a également pris des décisions condamnables : réduction de 30 % de la rémunération des fonctionnaires palestiniens travaillant à Gaza et arrêt du paiement, par l’Autorité palestinienne, de l’électricité utilisée par les citoyens gazaouis en provenance d’Israël.

De plus en plus impopulaire auprès des Palestiniens, qu’espère Mahmoud Abbas en rencontrant Donald Trump ? L’optimisme affiché des deux dirigeants pour trouver un accord de paix est-il crédible ?

Cette visite de Mahmoud Abbas à Washington est l’expression de la dégradation des intérêts du peuple palestinien. M. Abbas est extrêmement affaibli politiquement et de plus en plus critiqué en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, il considère donc que la seule marge de manœuvre qui lui reste est de tenter d’entretenir de bonnes relations avec les États-Unis.

Être reçu directement par Donald Trump reste symboliquement fort. Cependant, leur conférence de presse fut plutôt pitoyable de par le jeu de dupe qu’elle cache : Abbas n’a en réalité plus aucune marge de manœuvre vis-à-vis de Washington. D’autant que les États-Unis, notamment l’administration Trump, montrent un soutien quasi institutionnel à l’égard d’Israël et de Benjamin Netanyahou, qui s’est lui-même rendu à la Maison-Blanche en février. Pour la première fois depuis les accords d’Oslo, un président américain a même évoqué une solution à un seul État. En outre, David Friedman, nouvel ambassadeur américain en Israël nommé par Trump, est un fervent soutien et partisan de la colonisation à outrance. Les dirigeants israéliens évaluent précisément ces évolutions qui leur sont favorables puisque, le 6 février dernier, la Knesset a légalisé l’expropriation de terres privées palestiniennes au profit de colons israéliens, imposant ainsi la loi de Tel-Aviv en terre étrangère et marquant un pas de plus vers l’annexion de la Cisjordanie. Quelque deux mois plus tard, le 30 mars, le gouvernement israélien a autorisé, pour la première fois depuis les accords d’Oslo de 1993, et outre l’extension des colonies existantes, l’établissement d’une nouvelle colonie en Cisjordanie. Ces décisions indiquent la porosité qui prévaut désormais entre la droite et l’extrême droite israéliennes, qui n’ont de cesse de mettre en œuvre un processus d’annexion, au détriment de l’idée même d’un État palestinien.

Ainsi, personne ni du côté israélien, ni américain, ne parle de relance des négociations.

Lors de sa rencontre avec Mahmoud Abbas, Donald Trump a affirmé ne trouver rien de plus stimulant que de résoudre une situation présentée comme insoluble. Par son égo surdimensionné, le président américain commet une lourde erreur en croyant pouvoir résoudre seul un problème de cette dimension. Quant à Abbas, son attitude est dramatique, au sens où il feint de croire que Trump peut être partie à une solution positive. Ce n’est évident pas le cas, car une solution au conflit israélo-palestinien ne pourra se faire que dans le cadre international et des résolutions de l’ONU et l’instauration d’un rapport de force à l’égard de la puissance occupante que Trump ne veut mettre en œuvre.

Ce jeu de dupes est donc l’expression de l’impasse dans laquelle se trouve l’Autorité palestinienne, qui n’a plus d’autorité que le nom.

Depuis plus de deux semaines, des détenus palestiniens dans des prisons israéliennes sont en grève de la faim. Qui sont ces prisonniers et quelles sont leurs revendications ? Peuvent-ils réussir à faire pression sur le gouvernement israélien ou ce dernier reste-t-il intransigeant ?

Depuis près de deux semaines, plus 1 000 prisonniers politiques – dénommés « prisonniers de sécurité » par Israël – sont en grève de la faim, sur un total de 6 500 détenus. Cette grève a été lancée à l’instigation de Marwan Barghouti, dirigeant palestinien jouissant d’une très forte popularité. Il a déjà été condamné à cinq reprises à la prison à perpétuité, ce qui montre l’absurdité de soi-disant justice israélienne. Les revendications des prisonniers sont élémentaires : avoir droit au moins deux fois par mois à des visites familiales – actuellement réduites à une seule –; avoir accès à un téléphone ; bénéficier de soins médicaux ; ne plus être mis à l’isolement. Or, les grévistes ont justement été isolés et nous restons sans nouvelles précises à leur sujet. Des dirigeants israéliens ont évoqué l’éventualité de les nourrir de force si le mouvement se poursuivait.

Seuls, ces grévistes ne seront pas en mesure de faire plier le gouvernement israélien. Pour cela, il faut qu’un mouvement de solidarité internationale se développe dans les meilleurs délais. Certaines réactions des membres de la coalition gouvernementale font froid dans le dos. Par exemple, le Foyer juif, parti d’extrême droite du ministre de l’Éducation Naftali Bennett, a organisé un barbecue géant devant la prison d’Ofer… de quoi donner une idée du cynisme de certains partis et dirigeants israéliens. Quant au parti Israel Beytenou du ministre des Affaires étrangères et de la Défense, Avigdor Lieberman, il n’a pas hésité à rappeler la situation des prisonniers politiques irlandais sous Margaret Thatcher, que cette dernière a laissé mourir de faim… Si telle est la solution préconisée par le gouvernement israélien, il y a de quoi s’inquiéter.

Aussi importante que soit cette grève de la faim et le mouvement de solidarité dans la société palestinienne (une grève générale en Cisjordanie a été massivement suivie), les détenus ne pourront pas faire plier seuls le gouvernement israélien. Pourtant, ces revendications élémentaires correspondent simplement à l’application du droit international humanitaire et de la Convention de Genève. Le pire est donc à craindre au vu de la situation d’autisme politique israélien. La vie de ces grévistes est véritablement en jeu, d’où la nécessité de faire connaître leurs revendications.

« Dans quelle France on vit » – 3 questions à Anne Nivat

Fri, 05/05/2017 - 17:32

Reporter de guerre indépendante, Anne Nivat a sillonné les terrains dangereux au péril de sa vie. Auteur d’une dizaine d’ouvrages dont « Chienne de guerre » (prix Albert-Londres 2000), elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage : « Dans quelle France on vit », aux éditions Fayard.

Vous décrivez des Français qui souffrent mais qui luttent. Votre voyage auprès des gens à qui on ne donne jamais la parole ne vous conduit pourtant pas au pessimisme le plus noir. Pourquoi ?

Mais pourquoi serais-je pessimiste ? Parce que tout le monde l’est ? Mon travail d’enquête de deux années, fidèle à la méthode qui est la mienne depuis 17 ans – seule à sillonner des pays en guerre, dans des sociétés détruites – ne démontre en rien qu’il faille être pessimiste pour l’avenir de la France, un pays moderne et riche, et qui, justement, n’a pas à souffrir de la guerre. La France a été attaquée sur son sol par des terroristes français mais elle n’est pas un théâtre d’opérations de guerre. Je crois en l’humain et en ses ressources, et c’est cela que montre —sans démontrer— inlassablement, mon travail de terrain, où que je pose mon regard :  même si la plupart des Français rencontrés à Laon, Lons-le-Saunier, Laval, Montluçon, Evreux ou Ajaccio restent très critiques envers les différentes politiques menées en leur pays ; même si, parfois, ils ont du mal à joindre les deux bouts et à s’estimer « heureux », ce sont des femmes et des hommes qui ont de la ressource, et surtout, une capacité à vivre les yeux ouverts, sans déni. Ils font de plus preuve d’une finesse d’analyse sur leur propre situation personnelle ainsi que, plus largement, celle de leur pays, qui les honore.

Nous avons les hommes politiques que nous méritons et ce livre n’est pas une analyse politique de ceux qui nous gouvernent : c’est une résonance, une expression, sourde et profonde, de ceux qui vivent ici, en France, et qui ne s’expriment d’habitude pas ou peu, parce qu’on ne leur donne habituellement pas la parole, ou alors, dans des circonstances bien particulières : un angle médiatique précis, ou une campagne électorale. Je pars du principe qu’avant de juger, mieux vaut s’informer sur une situation, à travers ses moindres paradoxes et jusque dans ses détails les moins reluisants et parfois, les moins attirants. C’est ce que j’ai fait en me rendant sur ce terrain à la fois proche et lointain : la France, qui n’a rien de différent, finalement, de mes précédents terrains de guerre, en ce sens que nous autres, humains, avons finalement tous les mêmes préoccupations : vivre sereinement, avoir une activité qui nous permet de nous « réaliser », et de donner un avenir à nos enfants.

Vous racontez le cas terrible d’une femme qui s’est défenestrée : « maintenant, ma souffrance on la verra », dit-elle.

Cette histoire abominable, d’une violence crue et démente illustre bien, à mon sens, la société qui est la nôtre aujourd’hui. Elle m’a été rapportée par une de mes interlocutrices à Laon, une ville-chapitre dans laquelle je tente de narrer le « sentiment de déclassement ».  La personne qui me raconte l’histoire s’appelle Maryline, a 37 ans, est infirmière en milieu psychiatrique dans la région de l’Aisne. Ancienne foraine, Maryline a passé sa vie entière à aider les autres, notamment dans cet hôpital psychiatrique départemental de Prémontré où elle m’emmène. C’est là qu’elle a vécu ce moment atroce : la défenestration d’une femme tétraplégique qui lui avait confié, juste après son acte : « au moins, ma souffrance, maintenant, elle se voit ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Que certains d’entre nous n’en peuvent plus de souffrir en silence, qu’ils veulent s’exprimer sur cette souffrance mais aussi être considérés. Cette volonté d’exister est ici paradoxalement portée à son summum. Je l’ai constatée à plusieurs reprises au cours de ce « tour de France ». Ainsi, de ces adolescents de 18 et 20 ans, deux garçons de bonne famille à Laval, catholiques pratiquants, comme leurs parents, dont je comprends, au détour de notre conversation après la messe dominicale, qu’ils se sentent « jaloux » des jeunes garçons musulmans de leur âge, parce que ces derniers sont, à leurs yeux, plus « visibles » dans les médias, « existent davantage » à leurs yeux.

Ecouter les doléances de chacun, quelles que soit leurs convictions politiques ou religieuses, a été une constante de cette enquête, afin de les retransmettre, pour que nous puissions chacun, en notre fort intérieur, « digérer » l’information et nous rendre compte de ce que notre « vivre-ensemble » est devenu. Pour moi, il ne faut fermer les yeux et les oreilles sur rien, tout écouter, prêter attention à tous les discours, afin de pouvoir les connaître, en débattre, et, éventuellement, les circonscrire.

De la question du voile présente dans chaque ville visitée à un lieu de culte musulman incendié à Ajaccio sans réelle réaction des pouvoirs publics (qui avaient été avertis du risque), pensez-vous que la France règlera la question de sa relation difficile avec l’islam ?

La question du voile et, plus largement, celle de la cohabitation en France entre différents cultes, à l’heure où le religieux semble être devenu le refuge privé de beaucoup de nos compatriotes, reste épineuse. Il n’y a pas qu’à Laval, lors de conversations avec des jeunes catholiques, que le religieux a montré son importance : à Ajaccio, où des événements inquiétants se sont produits au lendemain du caillassage d’un véhicule de pompiers dans la nuit du 24 au 25 décembre 2015, plusieurs de mes interlocuteurs m’ont avoué être souvent « désemparés », parfois « agacés » par la visibilité des femmes voilées qui résident dans certains quartiers. Ils sont aussi surpris par leur nombre, dont chacun assure – sans aucun fondement statistique —, qu’il a augmenté. C’est un discours que j’ai entendu dans toutes les villes « moyennes » où j’avais décidé d’enquêter. En affirmant leur identité, ces « Belphégors du 21ème siècle », comme les qualifie une de mes interlocutrices, font très peur, quelles que soient leurs motivations personnelles, « alors que nous, on a peur de perdre la nôtre, d’identité », n’hésitait pas à accuser une institutrice locale.

Mon choix, à Evreux, d’écrire quelques pages, en fin de chapitre, à propos de femmes voilées par leur propre souhait, et heureuses de l’être —la conseillère Pôle Emploi de l’une d’elle affirme même qu’elle est « la joie de vivre personnifiée » ! —, a même choqué jusqu’à certains de mes collègues journalistes, qui m’en ont fait la réflexion, comme si cela n’avait pas lieu d’être mis en avant ! Voilà bien la preuve de la puissance des stéréotypes et des idées reçues sur un sujet qui reste l’objet, si je puis dire, de tous les fantasmes. Avant de pouvoir prétendre régler cette question touchant aux identités multiples de la France d’aujourd’hui, encore faudrait-il être parvenu à montrer, dans toute la richesse de leur diversité, ces identités multiples et les revendications qui en découlent.

La longue marche de Matteo Renzi

Fri, 05/05/2017 - 16:54

Matteo Renzi avait successivement démissionné de son poste de président du Conseil italien, à la suite du rejet de son projet de réforme constitutionnelle ; puis de celui de secrétaire du Parti démocrate (PD). Il a réussi un premier retour dimanche 30 avril 2017 en remportant encore plus largement qu’attendu (70 %) les primaires de la formation de centre-gauche.

Le 4 décembre 2016, en effet, les Italiens avaient largement voté « non » à la réforme de la Constitution entrée en vigueur en 1948. Outre leur attachement à un texte issu de la lutte contre le fascisme, ils avaient plus généralement condamné l’exercice de M. Renzi, président du Conseil depuis février 2014, ainsi que son style politique et sa logique de personnalisation du pouvoir. « Mère de toutes les batailles », le projet visait à réduire les pouvoirs du Sénat pour mettre fin au système de bicamérisme égalitaire et à recentraliser certaines prérogatives régionales. Il devait consacrer un processus plus large de réformes, qui n’ont toutefois pas eu les effets escomptés. Celle de l’enseignement, par exemple, a été très impopulaire. Et urtout, celle du marché du travail, le « Jobs Act », s’est rapidement essoufflée, ne parvenant pas à incarner une réponse sérieuse à la crise et à la précarité croissante. Le chômage a même progressé entre fin 2015 et fin 2016, alors que les exonérations de charges pour les employeurs prévues par la loi étaient revues à la baisse.

Un point de départ et un point d’arrivée

Le départ de M. Renzi de la direction du Parti démocrate, en février 2017, s’est inscrit dans la séquence ouverte par cet échec référendaire. Le président du Conseil avait très tôt déclaré qu’il démissionnerait en cas de rejet de son projet de réforme constitutionnelle, contribuant à personnaliser le scrutin. Au cours de la campagne, il a suscité une importante opposition, jusque dans les rangs de sa formation politique. En effet, certains parlementaires démocrates se sont prononcés en faveur du « non », après avoir pourtant voté le texte lors de son examen au Parlement. Finalement, la réforme a été rejetée par 59 % des suffrages exprimés, avec une participation significative (65 %) en comparaison des dynamiques électorales précédentes. M. Renzi a donc démissionné et c’est l’un de ses proches, Paolo Gentiloni, jusque-là ministre des Affaires étrangères, qui a été nommé pour assurer la suite de la législature. Gentiloni s’appuie ainsi sur une majorité identique et quasiment la même équipe gouvernementale.

La campagne référendaire avait donc exacerbé les fractures internes au Parti démocrate, certains accusant M. Renzi d’avoir vidé la formation de son contenu démocratique. Ce dernier a fini par également démissionner de son poste de secrétaire national ; cela dans le but de provoquer l’organisation d’un congrès extraordinaire et la tenue d’élections primaires, au cours desquelles il comptait reprendre fermement la main sur le parti. Parallèlement, certaines figures ont fait scission, comme Pier Luigi Bersani – ancien secrétaire national du PD qui avait mené la campagne des élections générales de 2013 – et Massimo D’Alema, président du Conseil entre 1998 et 2000. Ils ont entraîné dans leur sillage une cinquantaine de parlementaires pour créer un Mouvement démocrate et progressiste (Articolo 1 – Movimento Democratico e Progressista, la première partie de l’appellation étant une référence explicite à la Constitution).

En cela, la large victoire de M. Renzi est tout d’abord importante car elle lui permet, après l’échec de décembre 2016, de se remettre en selle. Il importe également de rappeler que M. Renzi est un responsable politique qui n’a jamais été élu au niveau national, à l’exception donc des primaires de son parti. Il n’a effectivement jamais été parlementaire et était devenu président du Conseil après avoir remporté les primaires de 2013, poussant Enrico Letta à la démission à la suite d’une manœuvre interne au PD. Dès lors, chaque consultation électorale apparaissait comme un test de légitimité. En mai 2014, il triomphait aux élections européennes, le PD obtenant les meilleurs résultats de son histoire. En avril 2016, il semblait percevoir une sorte de consensus politique dans l’abstention des Italiens, à laquelle il avait appelé, dans le cadre d’un référendum abrogatif – qui n’avait finalement pas obtenu le quorum de participation nécessaire à sa validité – sur les forages pétroliers et gaziers en Méditerranée et en Adriatique.

M. Renzi parvient donc à reprendre la main sur son parti avec un soutien populaire significatif : il a obtenu 70 % des voix face à son ancien ministre de la Justice, Andrea Orlando (20,5 %), et au président de la région des Pouilles, Michele Emiliano (9,5 %). La participation constitue aussi un signal positif pour lui : 1,85 million de personnes se sont rendues aux urnes, ce qui est certes largement inférieur aux primaires précédentes mais au-delà des prévisions du parti. En outre, beaucoup d’observateurs considèrent qu’il s’agit d’un score important dans un contexte national marqué par une désaffection croissante à l’égard de la politique

Le premier objectif de M. Renzi est donc rempli. Le secrétaire du Parti étant celui qui mène la bataille législative, l’objectif, à terme, est bien de redevenir président du Conseil à la suite des prochaines élections générales. Ces dernières doivent normalement se tenir début 2018. Voilà donc, pour l’heure, un point de départ et un point d’arrivée. Dans cet entre-deux, toutefois, c’est bien le flou qui semble dominer.

Une course incertaine

La première incertitude – et le premier défi pour M. Renzi – est d’ordre technique : il s’agit de trouver un accord avec les autres formations politiques sur une loi électorale et un mode de scrutin acceptable. En effet, la loi électorale dont est issu le Parlement actuel, élu en 2013, a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle la même année. Cette Cour a aussi en partie invalidé la loi qui s’inscrivait dans le cadre de la réforme constitutionnelle proposée par M. Renzi, qui par ailleurs ne concernait pas le Sénat, amené à être réduit à un rôle d’assemblée consultative. Désormais, le Parti démocrate travaille sur un système proportionnel inspiré de l’Allemagne, avec un seuil électoral de 5 %.

La deuxième incertitude est d’ordre tactique : si la législature actuelle arrive à son terme en février 2018, M. Renzi n’a toutefois pas totalement renoncé à la tenue d’élections anticipées. Il faudrait pour cela que le président de la République, Sergio Mattarella, procède à la dissolution des deux chambres parlementaires. Dans cette perspective, il pourrait s’agir de voter dès cet automne ; une tentation qui renvoie à plusieurs dynamiques. À l’étranger, M. Renzi compte sur le phénomène Emmanuel Macron en France, avec qui il partage l’idée du « réformisme » comme rempart contre le « populisme » et réponse à la crise. D’un point de vue interne, il espère pouvoir s’appuyer sur sa « base électorale » des élections européennes de 2014 et du référendum de 2016 – 41 % des voix à chaque fois –, dont il semble craindre que le temps n’érode. En effet, le gouvernement Gentiloni est confronté à un grand nombre de dossiers complexes, parmi lesquels une menace européenne de procédure de déficit excessif ; la mise sous administration extraordinaire de la compagnie aérienne Alitalia ; ou le plan de sauvetage de la banque Monte dei Paschi di Siena. Surtout, à l’automne doit être approuvée la loi de finances : des élections anticipées pourraient alors permettre de voter avant que ne se fassent sentir les effets de nouvelles mesures d’austérité. Par ailleurs, le Parti démocrate pourrait enregistrer un nouveau recul à l’occasion des élections administratives qui se tiendront en juin dans certaines villes, provinces et régions.

Car là apparaît la troisième incertitude, celle-ci d’ordre politique : le Mouvement 5 étoiles, sorti renforcé du référendum de décembre 2016, est désormais le premier parti de la péninsule dans les intentions de vote. Il a également démontré l’an passé qu’il était capable de remporter des scrutins significatifs, ainsi des municipales à Rome et, plus surprenant, à Turin – au-delà d’expériences de gestion pour le moins contrastées. Le mouvement devrait faire connaître son programme de gouvernement d’ici le mois de juillet et élire les personnalités de sa potentielle équipe gouvernementale en septembre. Enfin, M. Renzi devra opérer un travail de rassemblement au sein du Parti démocrate. À gauche, il devrait également probablement être concurrencé par le Mouvement des démocrates et progressistes. Ce dernier a encore besoin de temps pour s’organiser – et donc n’aurait pas forcément intérêt à la tenue d’élections anticipées – mais ne brille pas pour le moment par son dynamisme.

Marine Le Pen : une politique étrangère gaulliste, vraiment ?

Fri, 05/05/2017 - 16:26

Au cours de la campagne présidentielle de 2017, Marine Le Pen a tenté d’inscrire sa politique étrangère dans les pas du général de Gaulle. Se réclamer d’une lignée gaulliste peut paraître étonnant de la part de la candidate du Front national, dans la mesure où l’extrême droite – notamment son père – a toujours combattu de Gaulle, allant même jusqu’à tenter de commettre un attentat à son encontre. 

Marine Le Pen évoque le gaullisme et non pas le gaullo-mitterandisme, la référence à un président de gauche lui étant sûrement insupportable. Néanmoins, peut-elle réellement se réclamer d’une lignée gaulliste ?

S’allier avec la Russie et s’opposer aux États-Unis ne suffit pas à caractériser le gaullisme. Certes, de Gaulle a entretenu des relations avec l’Union soviétique, qu’il qualifiait de « Russie éternelle ». Cependant, il s’agissait davantage pour lui de donner plus de marge de manœuvre à la France, afin de desserrer l’étau étroit de l’alliance américaine. Ceci étant, de Gaulle n’a jamais hésité à soutenir fortement les États-Unis dans les pires moments de crise, comme la construction du mur de Berlin en 1961 ou la crise de Cuba en 1962. Pour le général, la Russie n’était qu’une carte à jouer parmi d’autres, en aucun cas une relation unique, encore moins une relation de dépendance. S’il s’est fortement opposé à Washington à de nombreuses reprises, rejetant notamment l’idée d’une Europe purement états-unienne, il ne s’en est jamais désolidarisé. Le gaullisme ne se résume donc pas au schéma systématique d’opposition aux États-Unis d’une part et d’alliance avec Moscou d’autre part.

De même, François Mitterrand s’est inscrit dans cette tradition gaulliste. S’il a notamment soutenu les États-Unis lors de la crise des euromissiles en 1983, il s’est également opposé frontalement à eux, par exemple lors de la livraison d’armes au Nicaragua – contre lequel Washington était en guerre larvée – et surtout lors de la « guerre des étoiles » souhaitée par Ronald Reagan.

Il est donc historiquement exagéré de la part de Marine Le Pen de se réclamer d’une lignée gaulliste. Cette dernière ne signifie en aucun cas détruire l’Europe ou en sortir. Le général était un partisan convaincu de l’Europe, même s’il estimait qu’elle n’en faisait pas assez. Il a toujours défendu les intérêts français en faisant pression sur les autres pays européens. À l’époque, le poids de la France était plus fort puisqu’elle faisait partie des six membres fondateurs de la Communauté économique européenne et que la relation bilatérale avec l’Allemagne lui était plus favorable qu’aujourd’hui. Or, même en position de force, de Gaulle n’a jamais donné l’impression de vouloir détruire la construction européenne. Ses différends avec l’Allemagne – par exemple au sujet de la clause du traité franco-allemand de 1963 rendant l’OTAN incontournable – ne se sont jamais transformés en hostilité à l’égard de Berlin, comme l’a déclaré Marine Le Pen.

En outre, le gaullisme ne correspond ni au repli sur soi, ni à la fermeture des frontières et à l’isolement international. Au contraire, de Gaulle était partisan d’alliances tous azimut, notamment avec le Tiers-Monde. Il a notamment mis fin à la guerre d’Algérie, alors que Marine Le Pen semble bien loin d’une telle conception. Le discours général de la candidate du FN sur l’islam et les musulmans est aussi bien éloigné de la politique de réconciliation avec les pays arabes entamée par de Gaulle.

Pour de Gaulle comme pour Mitterrand, il était nécessaire d’accroître la marge de manœuvre française au sein de l’OTAN. Le général a ainsi quitté les organes militaires intégrés de l’organisation après que Washington ait refusé ses réformes. Cependant, de Gaulle a tout de même entretenu des relations avec l’OTAN, en signant des accords entre chefs d’états-majors (Ailleret-Lemnitzer) dans l’éventualité d’un conflit avec l’URSS. Il ne faut donc pas caricaturer le gaullisme avec l’image d’une relation franco-américaine uniquement conflictuelle. Tant pour Mitterrand que pour de Gaulle, les États-Unis restent un allié de la France, même s’il est parfois encombrant : il est nécessaire pour la France d’affirmer sa différence, son absence de soumission, ce qui ne signifie pas pour autant une opposition systématique. Encore une fois, Marine Le Pen fait preuve de contradiction : elle dit vouloir quitter l’OTAN et s’opposer aux États-Unis mais dans le même temps, elle a attendu – vainement – une rencontre avec Donald Trump. Sa politique envers Washington est donc très contingente, oscillant entre hostilité envers Barack Obama et offre de service à Trump. « Imagine-t-on le général de Gaulle » attendre en vain à la table d’une cafétéria une éventuelle photo opportunity ? Hormis le repli sur soi général, aux antipodes du gaullisme réclamé par Marine Le Pen, la politique étrangère du FN ne présente donc pas de fil directeur.

Lors du débat d’entre-deux tours, Emmanuel Macron a de nouveau fait référence au gaullo-mitterrandisme ; ce n’est pas la première qu’il emploie cette expression. Il a précisé sa pensée en expliquant vouloir une alliance avec les États-Unis, tout en s’y opposant si nécessaire, comme ce fut le cas pour la guerre en Irak en 2003. Il est peu probable que Macron demande la sortie des organes militaires intégrés de l’OTAN. Néanmoins, la France peut très bien rester dans l’OTAN tout en étant plus active et plus exigeante envers les États-Unis. Reste l’épineuse question de la défense anti-missile que Washington souhaite déployer en Europe et en Corée ; braquant de la sorte Moscou et Pékin, qui risquent de renforcer leur coopération au détriment des Occidentaux. La France peut jouer un rôle important en s’opposant à ce système anti-missile en Europe, qu’elle a jusqu’alors accepté. Mitterrand était lui-même isolé en s’opposant à la guerre des étoiles de Reagan mais l’Histoire lui a donné raison.

Toute référence au gaullo-mitterandisme est bienvenue lorsque l’on considère – comme moi – qu’il s’agit de la meilleure diplomatie que Paris peut conduire. En se référant de nouveau à cette lignée, Macron a envoyé un signal, plutôt de bon augure. Espérons que cet engagement soit tenu et confirmé par la diplomatie qu’il mettra en place s’il est élu président.

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