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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Un an après le putsch raté, où va la Turquie ?

Tue, 18/07/2017 - 16:32

Le week-end dernier en Turquie, des commémorations ont été organisées pour célébrer l’échec du coup d’État de l’an dernier. Le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, sur la situation du pays.

Un an après la tentative ratée de coup d’État, quelle est la situation politique en Turquie ?

Rappelons tout d’abord qu’il s’agissait d’une véritable tentative de coup d’État puisque près de 250 personnes sont mortes lors de la nuit du 15 au 16 juillet 2016 et que le Parlement turc a été bombardé. Dans un premier temps, le pouvoir a riposté en organisant une vague d’arrestations dans les semaines qui ont suivi la tentative de coup d’État. Le problème, c’est que ces arrestations – qui dans un premier temps pouvaient être justifiées et légitimes – se sont poursuivies sans interruption. Actuellement, 45 000 personnes sont en prison et la grande majorité d’entre elles attendent toujours de connaître les actes précis d’accusations. Outre ces arrestations, un peu plus de 140 000 fonctionnaires ont été limogés, surtout sous le coup d’accusation de « complicité avec les terroristes ». Cette dénomination reste assez vague et laisse une marge d’interprétation problématique du point de vue de la justice.

Dans les mois qui ont suivi les événements du 15 et 16 juillet 2016, on a donc assisté à un contre coup d’État civil qui a pris une ampleur telle que l’État de droit n’a pas été respecté. Il est également inquiétant d’assister à une sorte de reformatage de l’État turc, qui devient de plus en plus un « État AKP », le parti majoritaire dirigé par Recep Tayyip Erdoğan. La concentration des pouvoirs a de plus été codifiée lors du référendum constitutionnel du 16 avril dernier.

La Turquie traverse ainsi depuis un an une intense polarisation politique, ainsi qu’une fuite en avant dans le tout répressif. Cette stratégie de la tension est utilisée par le pouvoir comme un moyen de se maintenir et de justifier qu’Erdoğan et son parti soient les seuls capables de maintenir la « démocratie » et de défendre les intérêts fondamentaux de la Turquie. C’est le narratif utilisé par le pouvoir.

Les droits démocratiques sont aujourd’hui en danger en Turquie, même si l’on ne peut encore parler de dictature, ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, lors des semaines précédant le référendum du 16 avril, le pouvoir avait massivement et abusivement utilisé les médias en faveur du « oui ». Or, il ne l’a emporté que d’une courte majorité (51,4%), ce qui signifie qu’une grande partie de la population s’est servie du scrutin pour manifester sa réprobation. Ce fut un échec politique pour Erdoğan qui visait au minium les 60%. Le deuxième élément est la « marche pour la justice » d’Ankara à Istanbul organisée ces dernières semaines par le principal parti de l’opposition, le Parti républicain du peuple. Celle-ci fut un succès ayant réuni des dizaines de milliers de personnes et ayant permis la tenue d’un immense meeting politique à Istanbul.

Des formes de résistance d’une partie de la société s’expriment donc au grand jour et sont des éléments porteurs d’optimisme pour l’avenir.

Quel message Erdoğan a-t-il cherché à délivrer lors des commémorations patriotiques organisées ce week-end ?

Le message d’Erdoğan est violent, ainsi lorsqu’il déclare vouloir « arracher les têtes » des responsables de la tentative de coup d’État. Ce genre de formulation n’est pas très responsable dans la bouche d’un dirigeant qui se veut être un homme d’État de premier plan.

Ces journées de commémoration des 249 victimes sont certes légitimes mais elles font l’objet d’une instrumentalisation politique de la part du pouvoir. Celui-ci s’en sert en effet pour délivrer le message suivant : « la Turquie et son régime démocratique ont été menacés ; heureusement que les citoyens sont descendus dans la rue pour soutenir Erdoğan, les responsables politiques turcs actuels sont les seuls capables de préserver le pays et son avenir ». Ces commémorations représentaient donc un enjeu de communication politique pour le pouvoir (cela reste le propre de toute célébration de ce genre). Elles interviennent toutefois dans un climat très tendu car rappelons que des dizaines de journalistes, d’intellectuels et de responsables de partis politiques sont en prison.

Quelles sont les perspectives futures pour la Turquie alors que sa société est profondément divisée ?

Il est important de distinguer la conjoncture de la période. La première n’est clairement pas bonne pour toutes les raisons déjà évoquées et il y a clairement une perte de temps et le gâchis de fortes opportunités pour la Turquie. En effet, rappelons que du début des années 2000 aux années 2008-2009, on a assisté à un élargissement du champ des libertés démocratiques individuelles et collectives. Or, nous sommes aujourd’hui dans une phase de régression problématique. De même au niveau économique puisque la Turquie avait atteint des taux de croissance de presque deux chiffres dans les années 2009-2010, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Pour autant, si l’on raisonne au niveau de la période, la Turquie n’est pas à genoux. Elle continue d’être un pays incontournable pour la région et ses équilibres d’un point de vue démographique, géographique, géopolitique et économique. Ce serait une erreur de l’isoler et une vision à court terme alors qu’il faut plutôt raisonner sur le moyen terme, tout en restant exigeant sur les atteintes aux libertés démocratiques. Rien ne serait pire que de geler officiellement les relations avec la Turquie, comme le préconise un vote récent du Parlement européen. Au contraire, il faut maintenir un dialogue exigeant et ferme. Rappelons que les Européens ont eux aussi besoin de la Turquie pour nombre de défis, notamment celui des questions migratoires et des réfugiés.

Enfin, la question kurde reste le défi numéro un de la société turque. Aujourd’hui, celle-ci est presque exclusivement traitée d’un point de vue militaire, ce qui est une erreur. Il est nécessaire que les dirigeants turcs aient la volonté de reprendre un contact politique avec le PKK. Il faut reprendre le chemin de la négociation telle que menée dans les années 2012-2015 ;  le plus tôt cela se réalisera, le mieux ce sera pour la stabilisation de la Turquie.

Le JEFTA : un message pour Washington et Pékin

Tue, 18/07/2017 - 14:45

Le sommet du G20 de Hambourg ne fut pas un succès. Ceux qui espéraient un retour des Etats-Unis dans l’Accord de Paris ont rapidement déchanté devant la détermination de Donald Trump ; et derrière de longues rencontres entre les dirigeants des grandes puissances et un engagement commun contre le terrorisme, ce sommet ne restera pas dans les annales. Au niveau commercial, aucune avancée notable et des difficultés illustrées par les velléités protectionnistes de Donald Trump.

Prenant presque à contre-courant les impasses que l’actualité politique et commerciale nous impose, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le président du Conseil européen Donald Tusk et le Premier ministre japonais Shinzo Abe annoncèrent la veille des rencontres de Hambourg, à l’occasion d’un sommet Union européenne (UE)-Japon, un accord de principe sur un accord de libre-échange entre l’UE et le Japon, désigné sous le sigle de JEFTA (Japan-Europe Free Trade Agreement). Si cet évènement fut peu médiatisé, il s’agit tout de même de l’accord commercial le plus important jamais signé par l’UE. Et chaque milliard d’euros d’exportations vers le Japon, troisième partenaire commercial de l’UE, supporte par ailleurs 14 000 emplois en Europe, estime la Commission. Il s’agit donc d’un accord majeur, beaucoup plus important que le CETA avec le Canada par exemple.

Le JEFTA est aussi et surtout un message très clair adressé à Washington et à Pékin. En abandonnant le TPP (Trans Pacific Partnership) en dépit des efforts d’Abe Shinzo pour l’en dissuader, Donald Trump a laissé le Japon orphelin. En se montrant hostile au TAFTA (accord UE – Etats-Unis), le président américain semble vouloir refermer des négociations qui ont duré des années et imprime sa volonté de privilégier un protectionnisme commercial renforcé. Avec le FEFTA, dont les négociations durent depuis quatre ans et dont il convient malgré tout de signaler qu’elles ne sont pas terminées, l’UE réussit le tour de force d’apparaître comme le champion du libre-échange et de récupérer un accord avec une puissance commerciale de premier plan, par ailleurs troisième économie mondiale et connue pour ses droits de douane particulièrement élevés. Côté chinois, on se réjouit depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump du retrait progressif des Etats-Unis  de la scène économique et commerciale asiatique et Pékin n’a pas tardé à récupérer les anciens membres du TTP. Le Japon, pour des raisons multiples, était le plus réticent à répondre aux sirènes de la Chine, et les dirigeants chinois gageaient sans doute sur un épuisement progressif de son voisin, qui aurait fini par frapper à sa porte. Le JEFTA est une réponse par la négative et la promesse d’une ouverture vers l’Europe de la deuxième puissance asiatique. Nul doute d’ailleurs que l’échec du TTP et les craintes liées à l’hégémon chinois en Asie orientale ont joué un rôle important dans la volonté de Tokyo de trouver un accord rapidement avec Bruxelles. Et les partenaires européens ont bien saisi pour leur part l’opportunité offerte par ces réajustements politico-économiques.

« Histoires extraordinaires des matières premières » – 3 questions à Alessandro Giraudo

Tue, 18/07/2017 - 10:49

Alessandro Giraudo, économiste, est Chief Economist du groupe international Viel Tradition. Il enseigne la finance et l’histoire économique de la finance à l’Institut Supérieur de Gestion (ISG). Dans son dernier ouvrage paru aux éditions François Bourin, il livre sur un ton plaisant, un pot-pourri de brèves histoires et anecdotes économiques qui ont forgé l’économie du monde à travers les matières premières.

On a du mal à imaginer qu’il y a plus de vingt siècles le prix du sel était le même que celui de l’or…

Dans le passé, la demande de sel a toujours été très forte et l’offre relativement faible. En effet, bien qu’on le trouve dans l’eau de la mer et dans les mines, il faut le transporter sur de longues distances : il est très lourd et la déperdition est importante.

La raison essentielle de la cherté du sel tient à ses nombreuses propriétés et utilisations. Avant tout, il a été le seul « réfrigérateur » pour tous les hommes dans les différents continents et pendant longtemps. Viandes, poissons, fruits et légumes ont été conservés et ont pu être transportés grâce au sel et aux différentes méthodes de salaison. Par exemple, le développement de la pêche dans la mer du Nord et dans le bassin Baltique a été largement favorisé par la disponibilité de sel provenant des côtes françaises et des mines de sel gemme polonaises et du centre de l’Europe. Il ne faut pas oublier que la salinité du bassin Baltique est bien inférieure à celle des autres mers…Par ailleurs, l’Homme – comme les animaux – a absolument besoin de sel dans son alimentation. En Hollande, la peine capitale a ainsi pu prendre la forme d’une alimentation entièrement dépourvue de sel ; la victime dépérissait à vue d’œil progressivement jusqu’à la mort…On rappelle toujours que la cavalerie du général Lee, au cours de la guerre de Sécession, a été décimée par manque de sel ; les montures souffraient de gonflement de la langue et du bas des jambes. Tout au long de cette guerre très meurtrière, les combattants ont essayé de conquérir ou de détruire les centres de production de sel pour saboter les capacités de l’ennemi de conserver les aliments et priver les animaux (chevaux et bétail) de sel, aliment essentiel.  De plus, le sel a toujours été utilisé par les carabins des armées pour désinfecter les petites blessures, méthode largement adoptée par toutes les populations. Et les mineurs, aussi, ont employé du sel pour l’extraction de certains métaux (argent, cuivre, par exemple).

Donc l’équation sel = pouvoir a été valable pendant longtemps et les producteurs, les marchands et les distributeurs ont toujours pratiqué des prix très élevés pour ce produit irremplaçable dans la vie de l’Homme. Certaines régions ont largement profité du fait de disposer de sel : c’est le cas des centres de production de la Sicile occidentale, de Venise qui, initialement, a basé son pouvoir sur le monopole du commerce du sel dans l’Adriatique. Le Yunnan, la riche province chinoise, a pu garder une certaine liberté d’action car elle ne dépendait pas des arrivages de sel de la côte de la mer de Chine. De même, les empereurs Inca ont été protégés par la disponibilité du sel des salars des Andes, sans dépendre du sel du Pacifique.

Par ailleurs, on remarque que les trésors publics ont toujours imposé une fiscalité très lourde sur le sel, l’équivalent du pétrole de nos jours. Dans les Alpes franco-italiennes les contrebandiers de sel ont toujours détesté les gabelous[1].Beaucoup de guerres ont eu pour cause la fiscalité sur le sel. Un de ces conflits les plus connus s’est déroulé en 1540 à Pérouse, région contrôlée par le Pape qui souhaitait augmenter la pression fiscale sur le sel. La population s’était révoltée ; le Pape envoya le condottiere Pier Luigi Farnese (son fils) qui écrasa les citoyens de la ville. Ils durent accepter la hausse. Mais la réaction des boulangers fut très nette : ils commencèrent à produire du pain sans sel…tradition qui perdure encore maintenant.

Vous expliquez que c’est pour obtenir la noix de muscade de l’île de Run en Indonésie que les Néerlandais ont laissé Manhattan aux Anglais. Pouvez-vous développer ?

La noix de muscade figure parmi les épices les plus chères de toute l’Histoire. Le centre principal de production a été concentré au sein de l’île de Run, faisant partie de l’archipel de Banda, en Indonésie. Deux grandes puissances commerciales – l’Angleterre et la Hollande – se battent très durement pour contrôler cette production et le commerce. La possession de l’île passe d’un pays à l’autre, à la suite d’un conflit qui se déroule aussi dans le Ponant et touche Manhattan. En 1525, la péninsule de Manhattan est explorée par Giovanni da Verrazzano, un Italien au service de François Ier. Plus tard, Manhattan est occupée par Henry Hudson, un Anglais qui travaille pour la VOC (la compagnie des Indes hollandaise). Le délégué de la Compagnie, Peter Minuit, l’achète aux Indiens Lenape pour 60 florins, payés en wampuns (coquillages très appréciés par les tribus indiennes de l’Amérique du Nord). En 1664 ce sont les Anglais qui occupent Manhattan ; ils rebaptisent la ville (anciennement New Amsterdam) New York, en honneur du duc de York et d’Albany. Cet événement figure parmi les causes de la seconde guerre anglo-hollandaise. En 1667, trois ans après le début du conflit, les participants (Londres, Amsterdam et Copenhague) signent le traité de Bréda ; une des clauses prévoit que la péninsule de Manhattan reste sous contrôle des Anglais, tandis que les îles de Banda et le Surinam demeurent sous contrôle néerlandais. Londres est la grande perdante de cette guerre ; l’Angleterre est affaiblie par la peste et par le grand incendie de 1666 qui frappe la capitale.

Les hommes de la VOC sont très contents de conserver le contrôle de l’île de Run qui, à leurs yeux, vaut beaucoup plus que Manhattan, où le seul commerce est réalisé avec les Indiens qui vendent des fourrures. Pour protéger les prix de la noix muscade, les marchands hollandais n’hésitent pas à brûler le surplus des stocks dans les magasins d’Amsterdam. Au cours de la troisième guerre anglo-hollandaise, les Néerlandais reprennent Manhattan (1673), mais la paix de Westminster de l’année suivante met fin au conflit et confirme que Manhattan reste dans les mains des Anglais et que les îles de Banda (avec le Surinam) demeurent hollandaises. Une curiosité : la guerre en Extrême-Orient continue neuf mois après la signature de la paix…C’est le temps qu’il faut pour communiquer aux combattants locaux la fin des hostilités!

Quelle est cette première crise énergétique, qui a lieu au XVIIe siècle, mentionnée dans votre ouvrage ?

Au cours du XVIIe siècle, la crise énergétique qui a bouleversé l’Europe a également eu un impact important sur le reste du monde. Il s’agit de la première crise énergétique de toute l’Histoire.

En premier lieu, la demande par les artilleries de « bouches à feu » a explosé avec une série presque ininterrompue de guerres dans le vieux continent. Pour fondre le bronze et le fer (surtout en Suède et en Russie), des forêts entières sont coupées (pour produire du charbon de bois) et la déforestation autour de Londres devient dramatique. Au même moment, les marines militaires et commerciales se déploient sur les mers et les océans. Pour lancer un galion il faut disposer de 4 000 arbres de grande qualité et la consommation de bois dépasse l’offre. Certaines marines sont forcées de faire fabriquer plusieurs de leurs bateaux dans les Caraïbes, au Brésil, en Inde et en Indonésie. Par ailleurs, une vague importante d’urbanisation se manifeste avec une forte demande de bois pour la construction des maisons et aussi la restructuration et la construction des murailles de fortification des villes pour contrecarrer une nette amélioration des capacités de destruction des artilleries (canons de plus gros calibre, obus plus puissants, nette amélioration de la précision des tirs). La réponse, naturellement, est dans l’utilisation de la brique destinée aux maisons de la grande majorité des populations, de la pierre pour les classes bourgeoises et du marbre pour les bâtiments habités par les puissants et pour ceux destinés aux fonctions publiques.

De plus, le climat change d’une façon significative : on parle de la petite glaciation qui commence au cours du XVIIe siècle et dure pendant plus de deux siècles. Les peintres flamands sont des témoins très attentifs de cette réalité et peignent des patineurs s’amusant sur des rivières et des canaux gelés. À Londres, un marché hebdomadaire est même organisé sur la Tamise, totalement glacée. Les peintres italiens, aussi, sont des témoins précis de ce changement climatique : les femmes de la Renaissance aux décolletés généreux sont progressivement remplacées par des dames arborant des collerettes et des vestes très lourdes ; les hommes se font peindre avec de pesantes fourrures qui les protègent contre le froid et montrent leur richesse.

Les conséquences sont incroyables : au cours du XVIIe siècle, les prix du bois sont multipliés par quatre en moyenne, avec des pics en fonction des lieux et de la qualité. On essaye de prospecter et développer des champs de tourbe dans les Flandres (où on signale une forte utilisation des moulins à vent) et d’employer la houille qui affleure en surface dans certains bassins anglais, franco-belges, de l’Allemagne rhénane, des montagnes du centre de l’Europe et du Donbass. Des mouvements tectoniques des équilibres entre les nations se préparent à cause – ou grâce – à cette crise qui relance la compétition et la compétitivité en Europe et, progressivement, dans le monde entier, avec une grande redistribution des cartes du pouvoir…

[1] Le mot gabelle provient de l’arabe et signifie taxe.

La diplomatie climatique du Bangladesh : le « weak power » en action

Mon, 17/07/2017 - 12:03

Pays particulièrement vulnérable aux impacts du changement climatique, le Bangladesh a développé au fil des années un arsenal politique et institutionnel, ainsi qu’une expertise locale en matière d’adaptation qui lui ont permis d’acquérir un certain « weak power » pour défendre ses intérêts dans les négociations climatiques. Explications d’Alice Baillat, chercheuse à l’IRIS ayant rédigé sa thèse sur « Le weak power en action : la diplomatie climatique du Bangladesh » sous la direction de Guillaume Devin à Sciences Po.

Vous qualifiez le Bangladesh de « weak power », en quoi cela consiste-t-il ?

Le Bangladesh est le plus souvent connu pour être l’un des pays les plus pauvres de la planète et l’un des plus vulnérables au changement climatique. Plusieurs classements internationaux, comme celui de Maplecroft, place ainsi le pays en tête des pays les plus vulnérables, tandis que de nombreux rapports d’ONG et d’organisations internationales le présentent comme une victime emblématique du changement climatique, aux côtés des petits États insulaires. Si cette vulnérabilité lui a permis de gagner en visibilité sur la scène internationale, elle s’est aussi révélée être un levier d’action publique et diplomatique pour le gouvernement bangladais.

On a souvent tendance à confondre la vulnérabilité avec l’incapacité à agir. Cependant, au Bangladesh, on observe au contraire depuis les années 2000 une forte mobilisation du gouvernement et des acteurs de la société civile – notamment les ONG et les chercheurs – pour s’attaquer de front aux impacts du changement climatique qui menacent le développement économique et social du pays. Loin d’être une victime passive, le Bangladesh est donc au contraire une victime agissante. Proactif dans le développement d’instruments d’action publique nationaux, le Bangladesh est aussi devenu l’un des principaux porte-paroles des pays les moins avancés et les plus vulnérables dans les arènes climatiques.

La notion de « weak power » renvoie ainsi à la capacité d’un pays comme le Bangladesh à transformer sa faiblesse, en l’occurrence sa vulnérabilité aux aléas climatiques, en levier d’action publique et en avantage comparatif pour défendre ses intérêts dans une négociation internationale marquée par des rapports de force asymétriques qui lui sont a priori défavorables. Par exemple, la vulnérabilité du Bangladesh a rapidement transformé le pays en terrain d’expérimentation et de nouveaux savoirs sur l’adaptation au changement climatique pour des acteurs étrangers et locaux (chercheurs, organisations internationales, ONG, etc.), ce qui lui a permis de développer une expertise locale qui fait aujourd’hui figure d’exception parmi les pays les moins avancés. Subissant déjà des impacts visibles du changement climatique, le pays est en effet « assis » sur le problème climatique. Il est devenu un laboratoire de l’adaptation, avec le développement de nombreux programmes de recherche, de nouvelles méthodes et de projets pilotes sur le terrain. Cette expertise a conféré au pays un certain leadership scientifique auprès des autres pays vulnérables, qui s’inspirent désormais des leçons apprises au Bangladesh pour développer leurs propres programmes d’adaptation.

Dans les négociations internationales sur le climat, la vulnérabilité peut aussi devenir un ‘avantage’ pour le Bangladesh pour défendre ses intérêts nationaux. La situation et les besoins spécifiques des pays les plus vulnérables sont en effet reconnus par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui prévoit ainsi des mesures particulières pour les aider à s’adapter. La reconnaissance internationale de la vulnérabilité du Bangladesh légitime notamment ses revendications en matière de transferts technologiques et financiers des pays développés vers les pays en développement.

Plus précisément, quelles sont les stratégies développées par le Bangladesh pour conduire une telle diplomatie ?

Le Bangladesh met en avant, de manière stratégique, à la fois sa vulnérabilité et son statut de « champion de l’adaptation » pour jouer un rôle dans les négociations internationales, se faire entendre et influencer le processus. La Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, s’est d’ailleurs vu décerner en septembre 2015 par le Programme des Nations unies sur l’Environnement le prix des Champions de la Terre dans la catégorie « leadership politique », en reconnaissance des efforts gouvernementaux pour lutter contre le changement climatique.

D’un côté, on observe la mobilisation de stratégies discursives de victimisation et de dramatisation pour convaincre le reste du monde de la vulnérabilité du pays et de ses besoins d’adaptation, qui supposent notamment d’importants transferts financiers. Des déclarations sont ainsi tenues dans les négociations par la Première ministre du Bangladesh et par le ministre de l’Environnement pour mettre en avant la fragilité du pays face aux aléas climatiques. Ils insistent en particulier sur le risque d’importants déplacements de population liés aux impacts du changement climatique, que le gouvernement ne pourra gérer seul et qu’ils présentent comme un facteur de déstabilisation nationale et internationale. Par la mise en avant de sa vulnérabilité, le Bangladesh exerce ainsi un « leadership moral » visant à exercer une pression sur les pays développés pour les contraindre à remplir leur devoir moral d’aider les pays les plus vulnérables à lutter contre le changement climatique, ces derniers étant aussi les moins responsables du réchauffement planétaire et les moins dotés en ressources technologiques, économiques et politiques.

D’autre part, le Bangladesh s’efforce de s’imposer comme un acteur moteur et proactif de l’action climatique mondiale en développant des stratégies individuelles et collectives. Il se positionne tout d’abord comme un « bon élève » de la lutte contre le changement climatique, capable de donner des leçons et de servir de modèle à d’autres pays en matière d’adaptation. Outre la valorisation de son expertise mentionnée précédemment, le pays a aussi été précoce dans le développement d’instruments de politiques publiques, avec et sans le soutien de l’aide internationale. Il a mis en place en 2009 une stratégie nationale de lutte contre le changement climatique ambitieuse, afin d’intégrer les enjeux d’adaptation à ceux de développement et de lutte contre la pauvreté. Il a ainsi été le premier pays parmi les moins avancés à proposer une telle stratégie et à l’accompagner de mécanismes de financement innovants et alimentés sur les fonds propres du gouvernement.

Dans les négociations internationales, le Bangladesh noue aussi des alliances politiques pour renforcer ses capacités de négociation et accroître son influence. Si tous les Etats négocient à travers des groupes de négociation dans une enceinte multilatérale, la nécessité de mettre en place une diplomatie collective est d’autant plus importante pour les pays faiblement dotés en ressources diplomatiques : l’union fait la force. En s’alliant, ces pays peuvent ainsi défendre leurs intérêts communs – la reconnaissance de leur droit au développement et de leur vulnérabilité, le besoin de transferts technologiques et financiers, la reconnaissance des pertes et dommages, etc. – et porter une voix commune dans les négociations internationales. En mutualisation ainsi leurs ressources – humaines, politiques, scientifiques, économiques –, ils accroissent collectivement leur pouvoir de négociation et peuvent davantage peser sur le processus et la mise sur agenda de nouveaux enjeux. Tous ces pays font ainsi partie du G77+Chine, le groupe de négociation qui rassemble l’ensemble des pays en développement. Néanmoins, l’hétérogénéité de ce groupe – largement dominé par les pays émergents comme la Chine et l’Inde – a conduit les plus vulnérables à former des sous-groupes d’influence afin de défendre les intérêts qui leur sont propres. C’est ainsi qu’on a vu apparaître le groupe des pays les moins avancés et plus récemment, le Climate Vulnerable Forum et le V20.

Concrètement, aujourd’hui, quel est le rôle joué par les ‘petits’ pays dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

Ces ‘petits pays’, qu’il s’agisse des petits États insulaires du Pacifique ou des pays africains et asiatiques en développement, peuvent jouer principalement deux rôles. D’une part, ils peuvent faire pression sur les pays développés pour élever le niveau d’ambition de l’action climatique mondiale et notamment les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Grâce à la règle onusienne « d’un État égal une voix » en vigueur dans toutes les négociations multilatérales onusiennes et du poids numérique des pays les plus vulnérables, ces derniers peuvent peser sur le processus plus que leur pouvoir structurel ne peut le laisser penser a priori. Ils peuvent également jouer de leur leadership moral pour rappeler aux pays pollueurs leur responsabilité historique et les pousser à agir, au risque d’être montrés du doigt par les médias et les opinions publiques. Ainsi, lors de la COP21, les États vulnérables se sont mobilisés dès le premier jour de la négociation pour appeler à une limitation de l’augmentation de la température à la surface du globe à 1,5°C au lieu de 2°C, en insistant sur le risque de disparition des territoires insulaires et de pertes et dommages irréversibles que même une augmentation de 2°C représentait pour eux. Si le seuil des 2°C a été maintenu dans l’Accord de Paris, ces petits pays ont néanmoins connu une victoire symbolique, le texte final reconnaissant la nécessité de limiter si possible la hausse de la température à 1,5°C.

D’autre part, ces petits pays ont la capacité de mettre à l’agenda de nouveaux enjeux qui les concernent tout particulièrement. Alors que les négociations climatiques étaient à leurs débuts principalement orientées vers la question de la répartition des efforts d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre entre les pays industrialisés, les pays en développement, par le biais du G77+Chine, sont parvenus progressivement à inscrire de nouveaux enjeux comme l’adaptation et la reconnaissance de la primauté du droit au développement. Plus récemment, les pays les plus vulnérables – à travers les groupes des pays les moins avancés et l’Alliance des petits insulaires du Pacifique – sont parvenus à imposer la question des pertes et dommages dans les négociations internationales, ainsi que celle des migrations.

Si les petits pays peinent à véritablement peser sur les résultats des négociations, encore dominés par les rapports de force entre pays développés et émergents, ils peuvent néanmoins peser sur le processus de négociation à travers la mise à l’agenda de nouveaux enjeux qui leur sont chers ; usant ainsi de leur leadership moral pour rappeler l’urgence de répondre au problème climatique par une action mondiale et ambitieuse.

La condamnation de l’ex président Lula, va-t-elle bouleverser le jeu politique brésilien ?

Thu, 13/07/2017 - 18:52

Alors qu’il était favori pour les prochaines élections présidentielles, l’ancien président brésilien a été condamné à neuf ans et demi de prison pour corruption et blanchiment d’argent. L’analyse de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

La condamnation de l’ancien président Lula représente-elle un coup de tonnerre au Brésil ?

Le mot est un peu fort car l’affaire a tout de même démarré il y a déjà trois ans, la décision du juge était donc attendue. Cela étant, la condamnation, elle, ne l’était certainement pas dans la mesure où si elle était confirmée en appel, elle interdirait à l’ancien président, favori des sondages, de se représenter aux élections présidentielles de l’année prochaine, comme il en avait l’intention.

D’autre part, pour la première fois un ancien président du Brésil, si la condamnation est confirmée en appel, serait condamné pour corruption. La décision du juge a créé de la jubilation chez les adversaires de Lula, tandis que ses amis ont exprimé leur sentiment de profonde injustice, pour une condamnation considérée comme politique à leurs yeux.

La condamnation de Lula peut-elle aggraver les tensions politiques et sociales dans le pays ?

Tout à fait, dans la mesure où l’interdiction éventuelle pour Lula de se représenter aux élections présidentielles – si la condamnation était confirmée en appel – bouleverserait le jeu politique l’année prochaine.

En effet, Lula était en tête dans les sondages avec plus de 30% des intentions de vote. En face de lui, pratiquement personne n’était un véritable outsider. Aecio Neves, ex candidat des élections précédentes contre Dilma Rousseff est actuellement en difficultés devant la justice. Il a toutefois bénéficié d’un traitement de faveur de la part du tribunal fédéral qui a suspendu les poursuites dont il faisait l’objet. Quant au président intérimaire actuel, Michel Temer, il est sous le coup d’une demande destitution pour corruption ; la demande s’apprête à être soumise au vote du Parlement dans les prochaines semaines.

L’ex président Lula apparaissait donc comme le candidat le mieux placé pour les prochaines élections. Sa mise à l’écart bouleverse la donne et, de fait, donne des cartes à ses opposants qui ont dès lors la possibilité – notamment dans la mesure où la quasi-totalité des médias est opposé au PT – d’essayer de fabriquer un candidat qui pourrait bénéficier de l’effacement de Lula par la justice.

Que révèle cette condamnation sur l’état de la corruption au Brésil ? Et face à cette situation, observe-t-on l’émergence d’alternatives politiques ?

La corruption au Brésil est systémique. En effet, le système brésilien fabrique de la corruption qui touche les partis politiques, les présidents, les membres du gouvernement, ainsi que le Parlement. Cette corruption a lieu presque par ‘nécessité’ compte-tenu du fait que la désignation et les prises de grandes décisions sont effectuées par le président après accord du Parlement. Or, le système électoral brésilien ne permet pas au président de bénéficier d’une majorité. Il est donc obligé – et cela de façon permanente – de négocier avec beaucoup de petits groupes pour prendre ses décisions afin de gouverner. Dès lors, cela facilite des marchandages de toutes sortes et ouvre ainsi la porte à un système structurellement générateur de corruption.

Notons qu’il est très facile de montrer du doigt tel ou tel responsable politique mais pour être crédible, il faudrait les désigner tous. Or, le paradoxe est que pour l’instant, la justice brésilienne paraît être sélective dans la lutte contre la corruption en ne s’attaquant presque uniquement qu’au Parti des travailleurs.

Face à une telle situation, une réforme de la vie politique est nécessaire. Le problème est que l’on ne peut pas attendre une telle initiative de la part des partis qui ont exercé le pouvoir, ni des majorités actuelles au Parlement, dans la mesure où ces acteurs bénéficient du système actuel.

Aux dernières élections municipales, les options alternatives au PT, à l’opposition et au parti de Michel Temer (le PMDB), qui ont pu tirer leur épingle du jeu, sont notamment des candidats évangélistes. Par exemple, à Rio de Janeiro, le maire élu a été un évêque de l’Église universelle du royaume de Dieu. Par ailleurs, dans les sondages pour les prochaines élections présidentielles, le candidat arrivant derrière Lula est un ancien militaire de la dictature, qui ne cache pas sa sympathie ultra-conservatrice et militariste. Aujourd’hui, les options politiques alternatives apparaissent donc dissonantes et ne sont pour l’instant pas crédibles, qu’il s’agisse des évangélistes ou de l’extrême droite militariste.

 

Euro imbalances: « Merkron » Might Differ from « Merkozy »

Thu, 13/07/2017 - 18:37

This Thursday, Emmanuel Macron received Angela Merkel; they notably talked about economic issues. The point of view of Rémi Bourgeot, associate research fellow at IRIS.

Macron has called on Berlin to “move forward and help to fix a dysfunctional euro zone.” Is Germany really benefitting from the currency union’s flaws, as Macron suggested?

There is some novelty in Macron’s statement. He had not stressed the issue of the euro zone’s real imbalances, and Germany’s huge trade surplus in particular, since he was economy minister. At that time, he talked about the existential risks facing the euro zone. Since he was elected, and especially at the latest EU summit in June, he only raised issues that were of concern to Germany too, in order to reach a consensus.

Germany is benefiting from the euro zone, as it has been able to increase its trade surplus endlessly, and suppress domestic unemployment without facing any kind of exchange rate adjustment within the euro zone, by definition.

What Macron means is that Germany has not accepted major concessions in terms of solidarity and transfers in return for this commercial advantage. Since the euro crisis, many commentators have argued that more systematic transfers, sometimes even debt pooling, should be put in place, as well as a genuine banking union, to make for these imbalances before they translate into an economic or financial crisis again.

Macron seems to take a more incisive tone, in a context less formal than large EU meetings. He might be wary that embracing the European status quo, with only limited institutional advances, would eventually undermine his presidency. In brief, he might be seeking to escape his predecessors’ fate. If there is such a thing as “Merkron”, the French president will not want this partnership to resemble what many called “Merkozy”.

What economic roadmap could the EU follow under a Franco-German impulse?

On the institutional front, the main step consists in increasing financial transfers to make for the loss of competitiveness that Germany’s partners are facing as a result of the euro. Macron has ditched the idea of pooling national debts, a major taboo in Germany. Instead, he promotes the notion of a joint budget for the euro zone and completing the banking union, with a common deposit insurance mechanism in particular. Ahead of the Franco-German cabinet meeting, he also advocated concrete and more accessible steps like the creation of joint investment funds, especially in favour of IT and nanotechnologies.

Macroeconomic coordination is another major issue. Germany’s budgetary and labour policies do not take account of the euro zone’s economic equation, its trade imbalances in particular, which leads many to blame the country for having a mercantilist approach to trade. Macron therefore begins to address that issue, as Donald Trump does, with a very different style of course.

The European Union suffers from the absence of any true coordination in terms of macro-economic policies. The only type of coordination since the crisis has resulted in a race to the bottom in terms of labours costs, which weighs on aggregate demand. Despite the ECB’s tremendous support, with huge liquidity injections and the euro’s depreciation, today’s situation is akin to the logic of the gold standard.

Is Berlin ready to embark on a new economic vision?

Germany’s economic taboos reveal difficulties of a political nature, when it comes to its European commitment. Berlin’s official speech adheres to a profoundly pro-European – even federalist – approach; but in reality, debt pooling or the risk sharing associated with a genuine banking union are unconceivable. Germany’s concessions on these issues are likely to be of a symbolic nature. For instance, Angela Merkel has signalled that she might be willing to accept the idea of a joint euro zone budget, even if this means infuriating the more Eurosceptic members within her own camp. This budget would however have to be of a very limited order, with little macro-economic impact. Germany sticks to a national approach of economic policy, which is not conducive to a rebalancing of the euro zone.

There will be no advances before the federal election, of course. Afterwards, if Merkel wins by a comfortable margin or builds a solid coalition, she might consider that she has a sufficient mandate to impose institutional concessions in favour of Europe. Taboos will remain omnipresent however, and the Chancellor’s room for manoeuvre limited, as a result of the internal balance within her party. This might lead Macron and other European leaders to focus more on macroeconomic coordination, which actually plays the most important part in preventing devastating crises.

Zone euro : Macron pourrait dévier du « Merkozy »

Thu, 13/07/2017 - 18:28

Emmanuel Macron a reçu Angela Merkel ce jeudi dans le cadre du 19e conseil des ministres franco-allemand. L’analyse de Rémi Bourgeot, chercheur associé à l’IRIS, sur les déclarations d’ordre économiques.

Macron a appelé à Berlin à « bouger » pour corriger « les dysfonctionnements » de la zone euro. Quels sont-ils et l’économie allemande en bénéficie-t-elle vraiment comme le suggère Macron ?

Tout d’abord, il faut noter qu’il est relativement nouveau que Macron aborde ce sujet puisqu’au dernier sommet en juin, il avait fait attention à n’aborder que des thèmes consensuels entre la France et l’Allemagne. Aujourd’hui, le président français reprend un thème qu’il avait déjà évoqué en tant que ministre de l’Économie : celui des déséquilibres existant au sein de la zone euro et notamment du gigantesque excédent commercial allemand (avec un excédent primaire de l’ordre de 9% du PIB). L’Allemagne profite des dysfonctionnements de la zone euro dans le sens où elle a pu, par la disparition des variations de taux de change et par l’abaissement de ses coûts salariaux, étendre presque sans limite son excédent commercial et supprimer progressivement le chômage.

Ce qu’Emmanuel Macron veut dire, c’est que l’Allemagne n’a pas accepté les contreparties de cette situation. En effet depuis la crise de l’euro, on a dit qu’il fallait compenser les déséquilibres par des transferts budgétaires et par une union bancaire pour couvrir les risques financiers. Le président français estime donc que l’Allemagne profite du cadre de la zone euro sans contribuer de façon suffisante à la solidarité financière. De la sorte, Macron semble prendre un ton plus incisif, dans un contexte moins formel que celui des sommets européens. Peut-être qu’inquiète-t-il que le respect du statu quo européen, avec des avancées institutionnelles seulement limitées, puissent compromettre son mandat. En bref, il semble vouloir échapper au sort de ses prédécesseurs et souhaite probablement que le « Merkron » ne ressemble pas à ce que l’on appelait « Merkozy ».

Quelle serait la feuille de route économique à suivre pour l’UE, sous impulsion franco-allemande ?

D’une part, se pose la question institutionnelle consistant à accroître les transferts, notamment en cas de crise pour compenser la perte de compétitivité des voisins de l’Allemagne. Il s’agit du plus grand chantier de Macron. Il a d’ailleurs abandonné l’idée d’une fédéralisation des dettes puisque c’est un sujet tabou en Allemagne. Le président français essaye plutôt d’avancer sur l’idée d’un budget commun à l’échelle de la zone euro et de compléter la structure de l’union bancaire – qui reste très partielle aujourd’hui -, notamment avec un mécanisme d’assurance des dépôts bancaires.

D’autre part, se pose la question de la coordination économique. Aujourd’hui, l’Allemagne mène une politique budgétaire et une politique salariale qui ne prennent pas en compte l’ensemble de la zone euro ; raison pour laquelle elle est accusée d’avoir une approche unilatérale, voire mercantiliste. Macron commence donc à aborder ce sujet, ce que fait par ailleurs Donald Trump dans un style très différent…

Aujourd’hui, dans l’Union européenne, une coordination partielle n’existe que par le bas, via l’abaissement des coûts salariaux et la libéralisation du marché du travail – ce que s’apprête à faire la France. Cependant, il n’existe aucune coordination macro-économique. Et malgré le support extraordinaire de la Banque centrale européenne, avec des injections de liquidités massives et la dépréciation de l’euro, la situation actuelle fait penser à la logique de l’étalon or.

Berlin est-elle prête à changer sa vision économique ?

En Allemagne, il existe des tabous économiques forts, qui cachent des difficultés politiques quant à l’engagement européen. Dans le pays, le discours officiel est certes toujours pro-européen mais, concrètement, des tabous empêchent des avancées comme la fédéralisation des dettes ou une union bancaire. Les avancées allemandes sur ces sujets ne sont que symboliques. Par exemple, Angela Merkel a envoyé des signaux selon lesquels elle pourrait être prête à passer en force face aux eurosceptiques de son parti sur l’idée d’un budget commun à la zone euro. Cependant, il s’agirait d’un budget limité qui n’aurait pas d’impact macro-économique majeur. L’Allemagne reste sur une approche nationale de la politique économique qui n’est pas propice à un rééquilibrage de la zone euro.

Avant les élections, il est clair qu’il n’y aura aucune avancée. Par la suite, si Merkel est réélue assez largement, elle aura un mandat pour imposer des concessions. Ceci étant, les tabous restent très forts et la marge de manœuvre de la chancelière resterait limitée par une opposition forte au sein même de son parti. Cela peut inciter Macron et les autres dirigeants européens à se concentrer davantage sur la coordination macro-économique, qui représente l’aspect le plus important pour éviter les crises les plus dévastatrices.

Sommes-nous bien défendus ?

Thu, 13/07/2017 - 16:31

Le 14 juillet est toujours l’occasion de nous poser la question de l’état de nos forces armées : sommes-nous bien défendus ?

Une défense doit avant tout être adaptée à la menace. Ainsi avant la Seconde Guerre mondiale, nous pensions être bien défendus avec la ligne Maginot. Nous avions alors bien apprécié le type de menace – celle envers l’intégrité de notre territoire venant de l’Allemagne – mais pas sa forme de guerre de mouvement combinant l’arme aérienne et l’emploi de blindés ; toutes choses pour lesquelles la ligne Maginot s’est révélée inadaptée.

Aujourd’hui, il n’y a plus de menace avérée à l’intégrité de notre territoire. En revanche, certains de nos alliés d’Europe de l’Est et du Nord ressentent ce type de menace de la part de la Russie. Nous subissons également les attentats terroristes d’extrémistes islamiques sur notre territoire et tentons de lutter contre sa propagation par le biais d’opérations militaires sur les territoires extérieurs. Enfin, chaque jour, la prégnance du risque cyber – dont les implications et les stratégies offensives sont encore difficilement appréciées – se fait de plus en plus forte.

Ce sentiment d’une montée des périls, couplée avec une demande récurrente des Etats-Unis de voir les Européens mieux prendre en compte leur défense, a conduit les candidats à l’élection présidentielle à focaliser le débat sur l’effort financier consacré à nos armées. Ces derniers se sont sentis obligés de prendre position sur les 2% du PIB affecté à la défense, un objectif fixé par le sommet de l’OTAN de 2014. Sans être nécessairement « le mieux disant », le président de la république, Emmanuel Macron, a proposé que cet objectif soit atteint en 2025. De son côté, le chef de l’État-major des Armées, dans une tribune publiée en décembre 2016, a indiqué qu’il souhaitait que ce pourcentage soit atteint en 2022.

Si ce débat sur les 2% a le mérite de la simplicité, il ne permet pas d’appréhender les véritables questions que nous devons nous poser : une défense pour quoi faire ? Pour répondre à quelles menaces ? Pour quelles ambitions et avec quels moyens financiers disponibles ? Les livres blancs qui se sont succédés depuis 2008 ont toujours eu du mal à appréhender la variable financière car elle est vécue par la communauté stratégique comme une contrainte et non comme la résultante d’un équilibre nécessaire entre les moyens affectés à la sécurité et les autres politiques publiques. Or, sauf en période de guerre affectant l’intégrité de notre territoire et où la question budgétaire n’a plus à entrer en considération, le niveau des dépenses militaires ne peut résulter que d’un arbitrage entre ces différentes politiques publiques. Ainsi, le bien-être et le développement de notre société constituent aussi un rempart essentiel face aux menaces extérieures : la résilience d’une société est d’autant plus grande que sa cohésion sociale est forte.

« L’état de santé » de notre armée est aujourd’hui contrasté. On peut le décrire de la manière suivante :

  • Le niveau d’équipement de nos armées est à la fois de très haut niveau et inégal. Il faut éviter ici le misérabilisme qui règne parfois. Nous disposons aujourd’hui d’équipements modernes, de haute technologie et ayant un niveau de performance très élevé. On peut ainsi citer les forces dédiées à la dissuasion nucléaire, nos avions de combat Rafale et les armements qu’ils emportent, les hélicoptères de combat et de transport, une partie de la flotte de surface, ainsi que nos capacités de transport. L’avion de transport A400 M rencontre certes encore des problèmes et entre en service tardivement mais il va accroitre singulièrement nos capacités de transport tactiques et stratégiques par rapport à la situation qui prévalait auparavant. Parallèlement, il subsiste des domaines où nous accusons du retard dans le renouvellement des matériels, comme les véhicules blindés de combat et les drones de reconnaissance.
  • Nous souffrons d’un taux de disponibilité des matériels insuffisant. La cause en est simple : si nous ne sommes pas en guerre pour défendre notre territoire, notre armée, elle, est bien en guerre sur les territoires extérieurs de manière permanente et avec un niveau élevé d’emploi des forces. Les hommes souffrent, les matériels aussi et le coût d’entretien de ces matériels dépasse ce qui avait été envisagé. Même si on peut améliorer notre organisation en matière de maintien en condition opérationnelle des matériels, la réponse est fondamentalement binaire : soit il faut augmenter les crédits pour accroître le taux de disponibilité des matériels, soit il faut limiter le nombre d’opérations extérieures.
  • Le niveau de nos forces armées en lui-même est excellent. Capacité à planifier des opérations dans l’urgence, capacité à combattre, capacité à s’adapter au terrain : tous les voyants sont au vert. L’armée française est intervenue au Mali dans un délai de 24 heures et a su déployer 10 000 hommes dans le cadre de l’opération Sentinelle après les attentats de Charlie en moins d’une semaine : c’est exceptionnel mais en même temps, cette armée est perpétuellement au seuil de rupture du fait de son utilisation intensive.

Aujourd’hui, il faut remédier à cette situation de déséquilibre qui fait tomber l’excellence de notre armée dans l’impuissance. Pour ce faire, plusieurs mesures devraient s’imposer :

  • En premier lieu, il faudrait que le dialogue entre le ministère des Armées et le ministère de l’Economie et des Finances cesse de prendre le caractère conflictuel qu’il a habituellement. Le ministère de l’Économie et des Finances cherche des économies là où le ministère des Armées demande plus de crédits. De ces arbitrages résultent en général une cote mal taillée et ce d’autant plus que la réalité des contraintes budgétaires n’intervient qu’après que les livres blancs sur la défense aient été élaborés. Par exemple, la solution n’est pas tant de fixer un plafond financier aux opérations extérieures que de déterminer un nombre d’opérations que nous pouvons raisonnablement conduire sans mettre à mal les équilibres budgétaires généraux ou ceux du ministère des Armées ;
  • Corrélativement, il faut s’interroger sur l’efficacité de ces opérations extérieures et sur leur durabilité. L’opération au Mali devait durer six mois, nous en sommes à 4 ans et demi. La légitimité de cette opération au regard des défis de sécurité auxquels nous faisions face n’est pas en cause mais nous devons nous interroger à deux niveaux. Les conditions permettant un règlement de la crise malienne sont-elles réunies ? L’emploi de la force armée n’est qu’un outil parmi d’autres pour régler les crises. Sans d’autres outils de nature civile, de développement économique, de bonne gouvernance et, bien sûr, de solution politique à la crise, l’action militaire est vouée à l’échec. Il faut en deuxième lieu s’assurer que d’autres pays pourront se substituer à l’action militaire de la France dans le temps. C’est l’intérêt de l’initiative G5 Sahel soutenue par la France qui vise à ce que les pays de la région se substituent à la France pour assurer la sécurité dans la bande sahélienne. En second lieu, on constate que depuis 5 ans se sont additionnées les opérations extérieures sans limite de temps et sans véritable appréciation de l’efficacité de l’outil militaire au regard des autres conditions à réunir pour mettre fin à une crise et rétablir la sécurité. Prises une part par une, toutes ces actions sont légitimes mais prises dans leur globalité, leur soutenabilité excède les capacités de notre pays.
  • La menace terroriste sur notre territoire ne cessera pas de sitôt, même s’il est peu probable que le niveau de violence terroriste augmente sensiblement dans les mois et années qui viennent. Au-delà des interrogations sur la préservation des libertés publiques, qui est une question réelle, c’est cette prise en compte de la pérennité de la menace terroriste qui justifie le projet de loi destiné à pérenniser les mesures figurant dans l’état d’urgence. Pour ce qui est des forces armées, signifier que celles-ci sont engagées dans la lutte contre le terrorisme est nécessaire car les actes perpétrés ne relèvent pas des atteintes de droit commun aux biens et aux personnes et il faut que l’Etat souligne cette caractéristique, ce qui ne peut être fait qu’en engageant la force armée. En revanche, faut-il maintenir le niveau de déploiement de l’opération Sentinelle, entre 7000 et 10 000 soldats depuis janvier 2015, pour faire face à cette menace ? Cela coûte cher et affecte durablement le format et l’organisation de nos armées. C’est un gain d’économie potentiel qui pourrait être réalisé en réduisant le niveau de déploiement de Sentinelle sans que le signal de résilience de la société que nous envoyons aux terroristes potentiels, ainsi que notre sécurité, n’en soient affectés.
  • Notre outil industriel de défense est pour sa part essentiel. Il est le garant de notre autonomie stratégique. Il nous faut être capable de concevoir nos armements les plus essentiels et ne pas dépendre d’approvisionnement hors de l’Union européenne si nous voulons préserver notre liberté d’action : l’expérience nous l’a prouvé depuis 50 ans. Pour maintenir cette autonomie d’action, trois conditions doivent être réunies quant à la nature de l’outil industriel.

De l’innovation. Il faut des crédits affectés à la recherche de défense et à l’innovation en général afin de préserver nos capacités de demain. Cet effort de recherche de défense est d’autant plus utile que cela nous permettra de bien inscrire nos entreprises de défense dans le cadre de la consolidation industrielle européenne qui résultera des initiatives actuelles de la Commission européenne de financement de la recherche de défense par des fonds communautaires. Bercy doit en être persuadé : plus de crédits de recherche de défense de l’Union européenne ne doit pas être synonyme de moins de crédits de recherche de défense de la France. Ce sont les équilibres industriels européens qui sont en jeu aujourd’hui, ceux qui maintiendront ou augmenteront l’effort de recherche de défense au niveau national l’emporteront dans les consolidations industrielles européennes de demain.

De la prévisibilité. L’industrie a horreur des à-coups, elle ne peut gérer des réductions brutales de crédits non prévues. A l’inverse, il est inutile de procéder à des augmentations massives de budget. Il faut à ce niveau que la culture de la politique industrielle de défense dépasse le cadre strict du ministère des Armées et soit intégrée au niveau interministériel. La question n’est pas de succomber à la pression d’un lobby militaro-industriel mais de planifier le maintien de la compétitivité de cette industrie pour les années futures.

De la fluidité et de l’agilité. Il faut dépasser la notion d’industrie de défense et de « marchand de canons ». Quatre de nos plus grandes entreprises de défense ont une activité majoritairement civile. Ce sont des entreprises de hautes technologies, innovantes et créatrices d’emplois. Elles participent d’autant plus à l’esprit de reconquête de notre pays qu’elles ont compris que la performance des systèmes de défense de demain viendront bien souvent de l’introduction de technologies issues de l’industrie civile, utilisation des big data, intelligence artificielle et information quantique dans le futur. Ici, c’est tout le secteur industriel mais aussi les donneurs d’ordre publics qui doivent pouvoir s’adapter à cette mutation technologique.

Tous ces enjeux seront au cœur de la revue stratégique qui a débuté, ainsi que de la future loi de programmation militaire. Ils sont au cœur également des initiatives en cours pour revivifier l’Europe de la défense, notamment dans un cadre franco-allemand comme on a pu le voir avec les décisions prises lors du Conseil des ministres franco-allemand de ce 13 juillet. L’un des défis, qui n’est pas des moindres, est qu’il faudra intégrer nos réflexions en cours au niveau national dans un cadre européen si nous ne voulons pas nous retrouver isolés en Europe.

Juillet 2017, quitte ou double politique au Venezuela

Thu, 13/07/2017 - 15:52

Au Venezuela, l’opposition incarnée par la plate-forme d’unité démocratique (MUD) compte organiser un référendum « sauvage » dimanche 16 juillet 2017. De leur côté, le président Maduro et ses amis du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) ont annoncé une élection constituante inattendue le 30 juillet. Les dés de la politique vénézuélienne sont jetés et pipés et opposition comme gouvernement les roulent au risque de les rompre. Juillet 2017 s’annonce comme un mois de vérités antagonistes et d’exacerbations incertaines.

Le procès en illégitimité est équitablement partagé. Pour les autorités, les opposants sont des putschistes en puissance et en action. Pire, ils seraient l’émanation d’un complot anti patriotique ourdi par des forces étrangères, hostiles et réactionnaires. De son côté, l’opposition conteste la légitimité du président Nicolas Maduro. Mal élu en 2013, balayé aux législatives de 2015, il manipulerait les institutions pour perpétuer son pouvoir, aidé par les reliquats du communisme international et le régime cubain qui serait son modèle.

Chacun présente son récit comme vérité transcendantale et la vérité ne se négociant pas, elle imposerait son évidence. Cette évidence autiste empêche tout dialogue reposant sur l’obligation minimale d’une reconnaissance mutuelle. Le vote organisé par chacun selon les modalités qui lui correspondent est sensé trancher le différend : le 16 juillet au profit des opposants et le 30 à celui du Parti socialiste unifié du Venezuela. Autant dire que ces consultations ont pour vocation de mobiliser les deux camps au seul bénéfice d’une exacerbation des violences. Le terrain est déjà bien préparé. Plus de 90 personnes des deux camps sont tombées au champ de ces certitudes intolérantes à tout dialogue.

La communauté régionale et internationale, pour reprendre la formule vide et généralement utilisée en ces circonstances, ne facilite pas la résolution du conflit. Entrés dans le jeu des anathèmes croisés, les uns et les autres soutiennent leur camp au détriment d’une sortie de crise négociée. Luis Almagro, le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA), mobilise ses capacités intellectuelles et institutionnelles contre le président Maduro. Il s’efforce de trouver la majorité requise par les statuts de l’institution pour obtenir l’adoption d’une condamnation éventuellement assortie de sanctions. Il s’appuie sur le Brésil, dont le chef d’Etat intérimaire Michel Temer a accédé aux affaires de façon démocratiquement frauduleuse, l’argentin Mauricio Macri, et sur les membres de l’Alliance du Pacifique. Le président vénézuélien bénéficie de son côté du soutien inconditionnel de la plupart des pays membres de l’ALBA, ainsi que de la Russie ; tous condamnent l’ingérence inadmissible des réactionnaires libéraux de tout poil et « tout monde ».

Le scénario du pire est donc bien installé dans le paysage politique vénézuélien. Est-il pour autant inscrit dans le marbre ? La question en tous les cas mérite examen. Toute situation de conflit génère deux types de comportements. Les fondamentalistes des deux camps sûrs de leurs raisons veulent imposer leurs vérités, quel qu’en soit le prix. Mais il y a aussi ceux qui privilégient la paix civile et refusent que la vérité, fût-elle la leur, puisse s’imposer au prix du sang. La crise vénézuélienne a fabriqué des partisans du dialogue dans les deux camps en présence, tout comme dans la « communauté internationale ». Gagner le pouvoir sur un champ de ruines ne bénéficierait en effet à personne. Le Venezuela est en crise économique, sécuritaire et sociale majeure. Le vainqueur d’un affrontement civil hériterait d’un pays dévasté et hautement difficile à maitriser. Les voisins sud-américains qui ont déjà à gérer des dizaines de milliers de migrants économiques auraient, qu’ils le veuillent ou non, à en accueillir un plus grand nombre.

C’est sans doute cette prise de conscience qui permet de comprendre la fragmentation des blocs antagonistes en présence. Un courant « chaviste » historique personnalisé par la procureure générale, Luisa Ortega, s’efforce de contraindre le président Maduro et ses collaborateurs les plus proches à respecter les règles démocratiques du petit livre bleu d’Hugo Chavez, la Constitution de 1999. Le message est sans doute à l’origine, via les frères Rodriguez, Delcy et Jorge, de la libération conditionnelle de Leopoldo Lopez, leader du parti de l’opposition Volonté Populaire, considéré comme la branche plus radicale. Leopoldo Lopez affirme n’avoir rien négocié. Ses partisans ont pourtant dès son élargissement défendu la nécessité de lever le pied des violences de rue. Ces évolutions sont suivies discrètement, mais avec une certaine efficacité, par les trois négociateurs mandatés par l’Union des nations d’Amérique du Sud (UNASUR), les ex chefs de gouvernement d’Espagne (José Luis Rodriguez Zapatero), de Panama (Martin Torrijos) et de la République dominicaine (Leonel Fernandez). L’Equateur, membre de l’Alliance Bolivarienne de notre Amérique (ALBA), s’est abstenu au cours du débat sur le Venezuela à l’OEA ; ce qui donne à ce pays et à son ancien président, Rafael Correa, une option médiatrice.

Il reste malgré tout plusieurs inconnues qui auront leur poids dans le déroulé des prochaines semaines. L’armée, qui est l’une des composantes du régime, n’a dans ses hautes sphères aucune raison de lâcher le président. Mais face à une réalité en dégradation galopante, comment réagirait-elle ? La préservation de ses prébendes ne pourrait-elle pas paradoxalement la conduire à provoquer une relève « à l’égyptienne » ? Une autre interrogation locale concerne le comportement du tiers de la population qui pendant longtemps est restée fidèle au « Commandant » Chavez. De toute évidence, le pouvoir a perdu le soutien des quartiers populaires ; la crise économique et les pénuries sont passées par là. Pour autant, les « pauvres » ne sont pas des partisans de l’opposition représentatifs de classes moyennes en capilotade mais gardant leur identité de classe. Trois acteurs extérieurs ont potentiellement une influence potentielle forte. Ils pourraient faciliter une solution transitionnelle, garantissant la transparence des élections, l’alternance et la garantie d’une forme d’impunité pour les perdants. Ces trois acteurs sont Cuba, les Etats-Unis et le Saint-Siège. Ce dernier a essayé sans succès de jouer les médiateurs fin 2016 mais le Pape est attendu en Colombie début septembre et il a reçu il y a quelques semaines les évêques vénézuéliens. Tout semble donc indiquer que le Vatican n’a pas renoncé à imposer la paix civile dans un pays de tradition catholique. Pour sa part, Cuba a tout intérêt pour son économie à jouer la carte de l’apaisement. La Havane a un savoir-faire dont on a pu mesurer l’efficacité pour trouver des compromis, ayant aidé à résoudre le conflit civil du Salvador et celui des FARC avec les autorités colombiennes. Enfin, les Etats-Unis de Donald Trump, comme de Barak Obama ou de George Bush, pratiquent un service minimum aux côtés de l’opposition ; pétrole oblige puisque le Venezuela, quoi que disent les uns à Washington et les autres à Caracas, est le troisième fournisseur de pétrole des Etats-Unis. Cependant, seule la perspective d’un effondrement de l’Etat vénézuélien parait en mesure de faire bouger la Maison Blanche.

La libération de Mossoul : ses conséquences pour l’Irak et pour la lutte contre le djihadisme

Wed, 12/07/2017 - 17:18

Lundi 10 juillet, le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi a annoncé que la ville de Mossoul a été presque totalement libérée par l’armée irakienne, après neuf mois de combats.
Le point de vue de Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS.

Quelle est la portée stratégique de la libération de Mossoul ?

La libération de Mossoul est importante aussi bien pour l’Irak que pour la communauté internationale. Pour l’Irak, Mossoul a une dimension considérable en tant que deuxième ville du pays. Elle est de plus considérée comme la capitale historique et culturelle de la communauté arabe sunnite ; elle fournissait notamment à l’armée de Saddam Hussein la plupart de ses officiers et cadres. Economiquement également, la ville – au carrefour de plusieurs voies de communication et d’échanges entre l’Irak, la Turquie et la Syrie – a une importance géopolitique considérable.

En juin 2014, Mossoul a été le symbole de la défaillance de l’État irakien dont l’armée n’avait pas pu résister plus de 24 heures à l’avancée de Daech, alors même qu’elle était matériellement supérieure à l’organisation terroriste. Aujourd’hui, la reprise de la ville est donc extrêmement importante sur le plan symbolique car elle marque le retour en puissance de l’armée irakienne. Certes, la libération de Mossoul a été rendue possible grâce à la contribution d’une coalition internationale en termes de renseignements, d’informations et de couverture aérienne ; cependant, c’est bien l’armée irakienne et ses alliés qui ont pu libérer la ville. Plusieurs forces y étaient en guerre contre Daech : l’armée irakienne, des forces d’élite – notamment formées par les soldats français -, ainsi que des forces combattantes armées kurdes, arabes sunnites et chiites. Qasem Soleimani, le chef de l’armée de Qods (branche des opérations extérieures des Pasdaran) a notamment révélé l’aide militaire iranienne importante fournie à l’armée irakienne et surtout aux Forces de mobilisation populaire (des milices) en déclarant à la libération de la ville : « Nos usines d’armement ont travaillé en 3×8 pour livrer plusieurs dizaines de tonnes d’armement à l’Irak ». C’est l’une des curiosités de cette guerre : les Iraniens, les Américains et les Français se trouvaient sur le même front de guerre sans être opposés les uns aux autres.

La libération de Mossoul est également importante pour la coalition internationale engagée contre Daech. Après avoir pris pied en Syrie en occupant Raqqa, la conquête de Mossoul par Daech trois années auparavant avait constitué sa plus grande conquête territoriale. La ville irakienne est ensuite devenue la capitale de l’organisation terroriste, lorsqu’Abou Bakr al-Baghdadi avait donné en juillet 2014 son premier prêche dans la mosquée d’Al-Nuri pour proclamer le califat islamique à travers le monde. Au cours de ces trois dernières années et des neufs mois de guerre, Daech a transformé Mossoul en une place forte. Ses combattants se sont battus jusqu’à la dernière seconde et la dernière poche de résistance n’est tombée que lundi matin.

Comment envisager la reconstruction de cette ville ravagée ?

La reconstruction de Mossoul concerne deux aspects. Tout d’abord, la reconstruction matérielle de la ville puisqu’elle a été en majeure partie détruite, notamment sa zone Ouest.
Les estimations de reconstruction de Mossoul – mais aussi d’autres villes libérées auparavant comme Faloudja, Ramādī et même Tekrit – sont de l’ordre de plusieurs milliards de dollars. Même si l’Irak est un pays riche, il ne pourra pas financer cette reconstruction seul, du fait de la baisse du prix du pétrole. Or, si on laisse l’Irak dans cette situation, il est possible que la crise économique et sociale aggrave de nouveau les tensions intercommunautaires et que Daech reprenne pied dans le pays.

Outre l’aspect matériel, il faut aussi penser à la reconstruction politique. Mossoul ayant été la capitale des arabes sunnites en Irak, elle cristallise les tensions communautaires sur lesquelles Daech a prospéré. Par exemple, lorsque l’organisation terroriste est entrée en 2014 à Mossoul, une partie de la population l’a accueillie du fait de son hostilité envers le gouvernement chiite de Bagdad, ainsi que de son ressentiment d’avoir perdu du pouvoir depuis la chute de Saddam Hussein. En effet, le Premier ministre de l’époque, Nourri al-Maliki, avait mené une politique autoritaire qui avait mécontenté la communauté arabe sunnite. Par la suite, la lutte contre Daech a certes pu fédérer l’ensemble des Irakiens – notamment à parti du moment où le califat a menacé l’Arabie saoudite – mais cela ne signifie pas que toutes les divergences ont disparu entre sunnites et chiites, ainsi qu’entre Bagdad et les Kurdes. Le gouvernement irakien se doit donc de bien gérer l’administration de Mossoul et sa population sunnite. Depuis trois ans, Haïder al-Abadi a montré sa capacité à fédérer contre Daech et à satisfaire la communauté arabe sunnite. S’il continue sur cette voie, l’Irak pourra peut-être, avec l’aide de la communauté internationale, surmonter ses tensions communautaires mais le chemin pour y parvenir s’annonce long et difficile.

Que change cette reprise de Mossoul pour Daech ?

Avec la perte de son siège principal à Mossoul, Daech a subi un coup mortel. Si dans les mois qui suivent, l’organisation terroriste perd également Raqqa – actuellement encerclée par les forces kurdes et arabes -, alors on pourra dire que Daech en tant qu’entité étatique aura disparu. En effet, avec la perte de ces deux villes, Daech n’exercera plus autant d’attraction envers les individus radicalisés qui souhaitent le rejoindre pour faire le djihad.

Néanmoins, cela ne signifie pas que Daech ait disparu, loin de là. L’organisation dispose encore de réseaux partout en Irak, notamment à Falloujah et à Bagdad. De plus, depuis trois ans l’organisation est devenue plus menaçante pour les États par son implantation et par l’adhésion de groupes djihadistes à son autorité, ainsi que par ses actions terroristes au Moyen-Orient, au Maghreb, en Afrique du Nord et en Asie. Daech dispose même de combattants parmi les Kurdes iraniens comme l’a montré l’attentat contre le mausolée de Khamenei et le Parlement iranien le mois dernier.

Aujourd’hui, la priorité pour la communauté internationale est donc de mettre en place une politique cohérente de lutte contre l’organisation terroriste sur le plan idéologique et politique. En Irak, il faut porter une attention particulière à la reconstruction des villes et aider le gouvernement irakien à mener à bien la lutte contre Daech, qui se poursuivra notamment sur le plan du renseignement.

La libération de Benghazi change-t-elle la donne en Libye ?

Fri, 07/07/2017 - 17:38

Mercredi 5 juillet, le maréchal Haftar a annoncé la libération de la ville de Benghazi des djihadistes. Le point de vue de Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS, sur la situation en Libye et sur l’organisation terroriste Daech.

Dans quel contexte a eu lieu cette libération de Benghazi ?

La bataille de Benghazi a commencé il y a déjà près de trois ans, lancée comme un défi, voire une provocation, par le maréchal Khalifa Belqasim Haftar. Dans le contexte de l’époque, le maréchal déclarait vouloir libérer la Libye de la présence de groupes islamistes ou terroristes. Haftar a en partie gagné puisque la défaite des terroristes islamistes à Benghazi marque pour lui un succès incontestable.

Cette libération de Benghazi intervient aussi dans un contexte où les divisions n’ont jamais été aussi fortes entre les différentes factions libyennes. Concernant le contexte politique, le Premier ministre Faïez Sarraj, reconnu par la communauté internationale, est très fragilisé et cette victoire du maréchal Haftar, qui n’a jamais reconnu le gouvernement de Sarraj, vient l’affaiblir encore davantage.

Ceci étant, pour la population libyenne, cette libération de Benghazi ne change pas fondamentalement la situation sécuritaire car les Libyens restent pris en otage soit par les dizaines milices, soit par les groupes terroristes, soit par les bandes mafieuses. La question de la sécurité pour la population est donc loin d’être réglée et la défaite des terroristes à Benghazi ne changera pas beaucoup de choses sur le fond.

Face à la division profonde du pays, où en sont les négociations entre les différentes parties ? Quel rôle joue la communauté internationale ?

Un nouvel émissaire des Nations unies, le libanais Ghassan Salamé, a été nommé il y a quelques jours. Sa principale mission consistera à tenter de réamorcer un dialogue entre les différentes factions libyennes. Ghassan Salamé ne connaît pas bien le terrain libyen, il s’était plutôt illustré en Irak et sur d’autres terrains de conflit. Le dossier libyen est donc un véritable défi pour lui. Il va falloir qu’il mette en œuvre toute sa finesse politique et diplomatique pour pouvoir rassembler autour de la même table tous les acteurs de cette guerre civile libyenne.

Ceci étant, Salamé a pour avantage d’être plutôt proche des monarchies du Golfe, notamment des Émirats arabes unis. Ces derniers avec l’Égypte sont les deux acteurs importants dans la situation libyenne actuelle puisque les Émiratis ont livré des armes au maréchal Haftar. Salamé a donc peut-être un point d’entrée par leur biais, pour éventuellement obtenir des Émirats qu’ils suspendent provisoirement les livraisons d’armes. Aujourd’hui, la Libye a en effet moins besoin d’armes que de diplomates.

De nombreux acteurs jouent un rôle en Libye : l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Turquie, le Qatar et, dans une moindre mesure, l’Algérie. Tous ces pays devraient être à un moment ou à un autre associés à un processus politique, qui devra parvenir dans un premier temps à faire cesser les combats et, dans un second temps à trouver un compromis politique entre les différentes factions libyennes et arriver à la reconnaissance d’un gouvernement légitime. Ce sera un travail de longue haleine mais Ghassan Salamé a toutes les qualités pour parvenir à un succès.

Il est intéressant de voir qu’il n’y a eu aucune réaction de la communauté internationale suite à la libération de Benghazi, à l’exception de la Russie qui s’est réjouie de la défaite des terroristes. Même si la communauté internationale, notamment la France, soutient Faïez Sarraj, elle joue aussi double-jeu ambigu en souhaitant ménager l’avenir. Par ailleurs, il n’est pas certain que le maréchal Haftar soit populaire parmi les Libyens puisque c’est un militaire suscitant l’inquiétude d’avoir une pratique politique peu différente de celle du colonel Mouammar Kadhafi.

Cette nouvelle défaite de Daech, ajoutée à des difficultés dans d’autres régions, montre-t-elle que l’organisation est sur le déclin ?

Incontestablement, Daech subit un recul. En revanche, il est encore trop tôt pour parler de déclin. L’organisation terroriste accuse un recul militaire indéniable car partout, elle perd des positions : en Irak, en Syrie et aujourd’hui en Libye.

Pour autant, politiquement rien n’est réglé dans ces pays-là. D’autant plus que la stratégie de Daech depuis déjà au moins une année – lorsque l’organisation avait anticipé ces défaites militaires – consiste à se redéployer sur d’autres terrains, notamment en Afrique et surtout en Asie, où les attentats se multiplient. Il faut donc rester très prudent car la défaite du groupe terroriste est loin d’être acquise.

EU-phoria & Macron-mania: A Global Equation

Fri, 07/07/2017 - 15:34

Bouts of market optimism are rarely named after French presidents, but we live in unusual times. In financial jargon, “Macron” seems to refer to a long-awaited political process by which the Euro zone’s flaws are expected to be fixed once and for all, by means of a political leap towards federalism. Although this hope has failed to translate into a stock market rally so far, many comments seem to follow the same kind of logic as the one that played out when Mario Draghi rocked the ECB’s deathly status quo, in 2012. The political process currently at play is of a clearly different nature however.

Reports suggesting the imminence of a Franco-German grand economic plan for Europe are inaccurate, but they are interesting in what they say about the political anxiety created by populism. There is some piquant irony in the rosy picture of EU politics that many British and American media outlets have been painting since the French election. Until recently, a bleak view of the euro was the norm, and the scenario of an EU collapse was even gaining traction. This sudden shift might point to the depth of the domestic divide over Brexit and Donald Trump’s presidency respectively, more than to a true change of heart about the EU.

The ongoing tensions between Angela Merkel and Donald Trump go beyond the latter’s disturbing rhetoric or his controversial decision to withdraw the United States (US) from the Paris climate agreement. They include different interests in terms of international trade — an issue which began to be raised long before Trump stepped in. The reduction of this debate to a moral opposition between free trade and protectionism is somewhat simplistic. The German Chancellor herself is developing an increasingly defensive stance, not so much in terms of trade of course – since her country enjoys a current account surplus close to 9 percent of GDP -, as in terms of strategic investments.

As Germany has become somewhat disillusioned with China, Merkel recently warned that “Seen from Beijing, Europe is an Asian peninsula.”[i] She made clear that she intends to have a say over Chinese investments in Germany, after the outcry sparked by Midea’s acquisition of Germany’s iconic robot manufacturer KUKA last year. Meanwhile, a German-Chinese partnership has been presented by many commentators as an alternative to US leadership, ahead of the G20 meeting in Hamburg. As with European issues, the questioning of the US global role often comes with a great deal of confusion.

The hope for a strong Franco-German push towards European federalism seems to be part of this global equation. Macron is taking account of Germany’s reassessment of its global and European role. At the latest EU summit in Brussels, he championed the notion of a “protective Europe,” which of course is music to French ears. Meanwhile, he cautiously focused on issues that are of concern to Germany too: anti-dumping, the overhaul of Chinese investments, posted workers from central Europe. These issues antagonized several EU member states, especially central European ones and northern Europe’s smaller open economies which have no interest in such restrictions. While Macron begins to challenge the European status quo, he clearly avoids confronting his German counterpart, especially when it comes to the country’s macro-economic coordination with its neighbours, whether in terms of labour costs, fiscal policy or public investments.

Given the long-term taboos affecting European politics, this configuration is unlikely to produce the tremendous progress expected by the consensus in the foreseeable future. In July 2012, Mario Draghi’s show of force, although rhetorical too, did have concrete and immediate technical implications, as the implicit pressure exerted on long-term interest rates helped crisis-hit governments to stay afloat financially, without having to restore their monetary sovereignty. The anticipation of the purchase programme that materialized in 2015 sparked an impressive depreciation of the euro in 2014, which, along with a massive flow of liquidity, set the stage for today’s rather comforting growth figures. While Macron’s election has been seen as a momentous step on the political side of the normalization process initiated by Draghi, its actual impact remains to be seen.

Macron’s presidency has got off to an impressive diplomatic start, and there is no doubt that his election has been seen very positively in Berlin in particular. Although Macron and “Merkel IV” could agree on significant steps, like the constitution of a joint budget for the Euro zone, these innovations will probably be of a rather symbolic order. Unsurprisingly, the issue of massive fiscal transfers and debt pooling remains anathema to most German politicians and, even more crucially, to the general public, whose opposition has grown even stronger in recent years.

On the banking union front, the Italian government’s recent decision to wind down two banks of the Veneto region for a total cost of up to €17 billion in public money, without tapping senior bondholders, has been promptly interpreted by many German commentators as a breach of Europe’s so-called “bail-in” rules. These rules, which are supposed to protect taxpayer money from bank failures, would turn out to be very beneficial on the long term, since they might lead investors to take more responsibility for souring debts. Meanwhile, there seems to be little consideration for the fact that they are inapplicable on the short term. Against this background, the Euro zone’s unresolved banking crisis adds to Germany’s fears over a joint deposit insurance mechanism, the cornerstone of a genuine banking union.

Some strikingly positive comments have been coming out of Germany since Macron’s election, but their scope for Europe tends to be greatly exaggerated. Most of those comments were meant to cheer the election of an energetic pro-EU leader, whose stance appears to be in synchronisation with the German government’s views, so far…  Despite the likelihood of symbolically significant concessions, these comments are far from signalling a willingness to embark on a new type of massive and systematic transfers or risk-sharing arrangements. Quite the contrary, defiance seems to be rising on that front.

Macron is expected to make good on his promised overhaul of France’s labour market, in line with the reforms carried out throughout the Euro zone over the past fifteen years, starting with Germany’s Hartz reforms in the early 2000s. This is, however, unlikely either to unleash a wave of institutional breakthroughs or to rebalance the European economy, which, despite its recovering growth rates, remains trapped in a widespread race to the bottom. Euphoria is of little help in the face of hard choices.

[i] “Merkel warnt vor expansivem China: ‚Peking sieht Europa eher als asiatische Halbinsel‘”, Wirtschaftswoche, 29 June 2017, http://www.wiwo.de/politik/deutschland/merkel-warnt-vor-expansivem-china-peking-sieht-europa-eher-als-asiatische-halbinsel/19996276.html

Europhorie et Macron-mania… Un jeu mondial

Fri, 07/07/2017 - 15:33

Les épisodes d’optimisme financier portent rarement le nom d’un président français mais nous vivons des temps exceptionnels, semble-t-il. Dans le jargon financier, « Macron » renvoie au processus politique par lequel les failles de la zone euro doivent être comblées une fois pour toute, au moyen d’un bond en avant fédéraliste. Bien que ces espoirs ne se soient pas traduits, pour l’heure, en rallye boursier, de nombreux commentaires suivent une logique comparable à celle qui s’était déployée lorsque Mario Draghi avait secoué le statu quo de la BCE, en 2012. Le processus politique actuellement à l’œuvre est pourtant d’une nature bien différente.

Les bruits quant à l’imminence d’un grand plan économique franco-allemand à même de changer la donne en Europe sont erronés mais ils sont tout de même intéressants, de par ce qu’ils indiquent quant à l’anxiété créée par le populisme. On peut voir une ironie assez savoureuse dans le tableau idyllique que de nombreux médias britanniques et américains donnent de la politique européenne depuis les élections françaises. Il y a peu de temps encore, une vision sombre de l’avenir de l’euro dominait et le scénario d’un effondrement de l’Union européenne commençait même à avoir le vent en poupe. Ce revirement soudain semble davantage illustrer l’importance des divisions nationales au sujet du Brexit ou de la présidence de Donald Trump qu’un véritable changement d’avis sur l’Union européenne (UE).

La confrontation entre Angela Merkel et Donald Trump dépasse la question de la rhétorique abrasive du président américain et de sa décision néfaste de se retirer des accords de Paris. Elle se nourrit notamment d’intérêts divergents en matière de commerce international, un problème qui a commencé à être soulevé bien avant l’émergence politique de Trump. La réduction de ce débat à une opposition morale entre libre échange et protectionnisme est quelque peu simpliste. La chancelière elle-même développe une ligne de plus en plus défensive, non pas tant sur la question commerciale (puisque son pays jouit d’un excédent courant de 9% du PIB) qu’en ce qui concerne les investissements stratégiques.

Alors que l’Allemagne a connu une certaine déconvenue dans sa focalisation commerciale sur la Chine, Angela Merkel a récemment alerté son opinion publique sur l’expansionnisme chinois en déclarant que « Vue depuis Pékin, l’Europe est une péninsule asiatique »[i]. Elle a par ailleurs clairement indiqué qu’elle entend avoir son mot à dire sur les investissements chinois en Allemagne, à la suite de la controverse déclenchée par le rachat par le groupe chinois Midea du mythique constructeur allemand de robots KUKA, l’an passé. Pour autant, l’idée d’un partenariat sino-allemand a été présentée par de nombreux commentateurs comme une alternative au leadership américain, à l’approche du G20 de Hambourg. Tout comme les questions européennes, il semble que la remise en cause du rôle mondial des Etats-Unis s’accompagne d’une certaine confusion.

L’espoir d’une grande initiative franco-allemande pour l’Europe semble entrer dans le cadre de cette équation mondiale. Emmanuel Macron a pris en compte la révision par l’Allemagne de son rôle européen et mondial. Au dernier sommet européen, à Bruxelles, il a certes défendu l’idée d’une « Europe qui protège » mais en se concentrant sur les questions qui sont aussi devenues centrales pour l’Allemagne : les politiques anti-dumping, le contrôle des investissements chinois et l’encadrement du travail détaché en Europe. Ces questions ont profondément contrarié les pays d’Europe centrale, ainsi que les plus petits pays d’Europe du Nord qui, du fait de leur modèle économique, s’opposent à ce qu’ils voient comme des restrictions inutiles. Alors que Macron remet en cause le statu quo européen, il prend garde de ne pas affronter Berlin, en particulier en ce qui concerne la question de l’absence de coordination macro-économique de l’Allemagne vis-à-vis du reste de la zone euro en termes de coûts salariaux, de politique fiscale et d’investissements publics.

Au vu des tabous qui affectent la politique européenne, cette configuration a peu de chance de permettre les grandes avancées sur lesquelles table le consensus dans un futur proche. En juillet 2012, la démonstration de force de Mario Draghi, bien qu’étant également de nature rhétorique, avait des implications tout à fait concrètes et immédiates, puisque la pression implicitement exercée sur les taux longs avait alors permis aux gouvernements en crise de se refinancer sans avoir à restaurer leur souveraineté monétaire. L’anticipation du programme d’achats finalement mis en place en 2015 a déclenché une dépréciation majeure de l’euro à partir de 2014, qui, associée à des flux de liquidités massifs, a permis le rebond conjoncturel que l’on constate aujourd’hui. Alors que l’élection d’Emmanuel Macron a été interprétée comme le versant politique du processus de normalisation initié par Draghi, son impact réel reste à voir.

Sa présidence a commencé sur des succès diplomatiques et il ne fait aucun doute que son élection a été perçue très positivement par Berlin en particulier. Bien que Macron et « Merkel IV » aient la possibilité de se mettre d’accord sur des étapes significatives, comme la constitution d’un budget commun pour la zone euro, ces avancées ne seront probablement, d’un point de vue quantitatif, que d’une portée symbolique. De façon peu surprenante, la question de transferts budgétaires massifs et de la mutualisation des dettes reste taboue aux yeux de la plupart des responsables politiques allemands et, surtout, de la population, dont l’opposition semble même avoir crû au cours des dernières années.

Sur la question de l’union bancaire, la décision du gouvernement italien de mettre sur la table jusqu’à 17 milliards d’euros pour gérer la fermeture ordonnée de deux banques de Vénétie, sans mettre à contribution les créanciers séniors, a été interprétée en Allemagne comme une violation édifiante des règles de l’union bancaire. Ces règles, supposées protéger l’argent public lors des faillites bancaires, s’avéreraient bénéfique à terme, en responsabilisant les investisseurs. Mais il reste à prendre en compte le fait qu’elles sont inapplicables à court terme. Dans ce contexte, la crise bancaire qui continue à secouer la zone euro éloigne toujours plus la perspective d’un accord allemand sur un mécanisme commun d’assurance des dépôts, clé de voute de l’union bancaire.

Des commentaires très positifs sont certes venus d’Allemagne depuis l’élection d’Emmanuel Macron mais leur portée européenne est largement surestimée. La plupart de ces commentaires consistaient à saluer l’élection d’un leader pro-européen, dont l’approche semble être en phase avec la vision du gouvernement allemand, pour l’instant… Malgré la forte probabilité de concessions symboliques, ces commentaires n’indiquent en rien une volonté de l’Allemagne d’accepter un nouveau type de transferts massifs ou de partage du risque bancaire. Au contraire, la défiance semble plutôt croître sur ce front.

Il est attendu d’Emmanuel Macron qu’il honore ses promesses de réforme de marché du travail, sur le modèle des mesures mises en place à travers la zone euro depuis quinze ans, à commencer par les réformes Hartz en Allemagne au début des années 2000. Il est néanmoins improbable que cela engendre une vague d’avancées institutionnelles ou un rééquilibrage de l’économie européenne qui, malgré le renforcement de la conjoncture, reste enfermée dans une dynamique de nivellement par le bas. L’euphorie est de peu d’utilité face aux choix les plus difficiles.

[i]Merkel warnt vor expansivem China: Peking sieht Europa eher als asiatische Halbinsel‘”, Wirtschaftswoche, 29 Juin 2017.

Accord gazier Total-Iran : des enjeux énergétiques, économiques et stratégiques

Thu, 06/07/2017 - 17:48

Lundi 3 juillet, le groupe français a signé un accord de projet gazier avec l’Iran. L’analyse de Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS.

Quels enjeux stratégiques cet accord présente-t-il pour Total ? Plus généralement, quelle relation énergétique la France entretient-t-elle avec l’Iran ?

Total est un groupe né au Moyen-Orient il y a environ un siècle, la région a donc toujours été très importante pour le groupe français. Le Moyen-Orient est en effet la région clef pour l’industrie pétrolière et gazière. Selon les estimations du groupe British Petroleum (BP), le Moyen-Orient représenterait aujourd’hui environ 48% des réserves de pétrole dans le monde et un peu plus de 40% des réserves de gaz naturel. En son sein, plusieurs pays arabes ont d’importantes réserves pétrolières et gazières : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, l’Irak, Oman, le Yémen, le Qatar… L’Iran a la particularité d’être un géant à la fois pétrolier et gazier : il est le 4ème pays au monde ayant les réserves pétrolières les plus importantes, après le Venezuela, l’Arabie saoudite et le Canada. Quant aux réserves de gaz, l’Iran est le n°1 mondial devant la Russie.

Total souhaite renforcer sa présence déjà importante dans la région. Dans cette stratégie, l’Iran est un élément clef. Total Elf a été le premier groupe pétrolier international à signer un contrat de développement avec Téhéran après la révolution islamique en 1995. Le groupe a ensuite obtenu quatre contrats de développement dans le pays, aucune autre compagnie pétrolière n’a autant de succès en Iran. Néanmoins, le groupe a dû, de façon forcée, quitter le pays du fait des sanctions européennes mais il a toujours pensé y revenir un jour. Après l’accord sur le programme nucléaire du 14 juillet 2015 et son entrée en vigueur avec une levée partielle des sanctions (notamment la levée des sanctions extraterritoriales américaines mi-janvier 2016), Total a signé un accord d’achat de pétrole brut iranien en 2016 et a entamé des négociations sur divers projets. Cette volonté s’est concrétisée par l’accord sur la phase 11 du champ de South Pars, un important projet gazier d’une valeur d’un peu moins de 5 milliards de dollars qui débouchera sur une production de près 400 000 barils équivalent pétrole par jour, sur une durée de 24 ans.

Dans le cadre mondial actuel, notamment avec le changement climatique, un certain nombre de compagnies pétrolières entendent renforcer leur portefeuille d’actifs gaziers aux dépens de leur portefeuille d’actifs pétroliers. Le gaz est en effet la moins sale des trois énergies fossiles – pétrole, charbon et gaz naturel -, le charbon étant la plus polluante avant le pétrole. Il est donc stratégique pour les compagnies pétrolières de se positionner comme des acteurs responsables sur le plan environnemental, tout en continuant à satisfaire la croissance des besoins énergétiques mondiaux en faisant monter en puissance le gaz, une énergie qui peut accompagner la transition énergétique. Celle-ci verra monter en puissance les énergies renouvelables mais pour l’heure, elles ne peuvent pas couvrir l’essentiel des besoins énergétiques mondiaux. On aura donc encore besoin longtemps des énergies fossiles.

L’Iran est un marché très important au Moyen-Orient avec ses 80 millions d’habitants, ainsi qu’une démographie et une économie en croissance depuis la levée partielle des sanctions européennes en 2016. De nombreux pays européens, l’Allemagne en tête, sont désireux de se (re)placer sur ce marché. Des visites à haut niveau ont eu lieu avec les ministres du commerce, de l’économie, etc., accompagnés de chefs d’entreprises. Avec cet accord de Total, la France profite du succès du groupe et espère un effet d’entrainement pour développer des relations d’affaires avec Téhéran. L’Iran présente aussi un enjeu stratégique pour la France par sa position géographique : riverain de la mer Caspienne, proche de l’Asie centrale et de l’Europe… La France va donc se placer dans le sillage de Total pour développer une relation stratégique tant sur les plans politique, économique et énergétique avec la superpuissance énergétique qu’est l’Iran.

Côté iranien, quels sont les bénéfices de cet accord et que change–t-il sur la scène régionale ?

L’Iran y voit plusieurs bénéfices. Téhéran négocie depuis début 2016 avec plusieurs compagnies pétrolières mondiales – exceptées les américaines puisqu’elles sont interdites de travailler en Iran du fait des sanctions. Une forte concurrence souhaite donc négocier avec Téhéran. Le pays attendait avec impatience ce contrat en espérant un effet d’entraînement pour attirer d’autres compagnies. En relation difficile avec les conservateurs, l’administration Rohani et le ministre du pétrole Bijan Namdar Zanganeh ont eu à cœur de présenter ce contrat comme un succès de la politique de négociation avec les compagnies pétrolières étrangères. D’autant plus que les États-Unis sont en train de réviser leur politique envers Téhéran, il vaut mieux signer un accord aujourd’hui plutôt que d’attendre un éventuel durcissement de la position américaine.

L’Iran marque donc non seulement un point par rapport aux États-Unis mais aussi par rapport aux pays arabes du Golfe. L’hostilité entre l’Iran, les États-Unis et les pays arabes du Golfe avec à leur tête l’Arabie saoudite s’est considérablement accrue. Téhéran ne va pas manquer de tirer profit de cet accord avec Total d’un point de vue politique et de communication, en disant « vos tentatives visant à m’isoler politiquement et économiquement ont échoué ».

Par ailleurs, ce projet gazier est destiné à la satisfaction des besoins du marché iranien intérieur ; il n’est pas prévu d’exporter le gaz qui sera produit par la phase 11 de South Pars. Bien que contrôlant des réserves gazières considérables, l’Iran a parfois des difficultés d’approvisionnement de son marché gazier, notamment en hiver dans certaines régions. Il est donc important pour le gouvernement de montrer qu’il s’intéresse à la satisfaction des besoins énergétiques de la population, en résorbant les pénuries de gaz qui ont lieu régulièrement dans le pays.

Cet accord de Total risque-t-il de tendre la relation entre la France et les États-Unis compte-tenu de la position très hostile de Donald Trump envers Téhéran ?

Très clairement, Washington ne va pas sabrer le champagne pour célébrer cet accord… Ceci étant, l’administration Trump ne peut pas accuser Total d’avoir violé les lois américaines car cet accord est parfaitement légal. En effet, suite à l’accord sur le programme nucléaire iranien de 2015, l’administration Obama avait accepté fin janvier 2016 de lever les sanctions extraterritoriales frappant les sociétés non-américaines qui commerceraient avec l’Iran. Durant sa campagne, Trump a constamment fustigé l’accord sur le nucléaire. Une fois élu, la position officielle de l’administration consistait à dire que l’accord n’est pas bon mais étant compliqué à remettre en cause, il sera respecté de façon stricte tout en surveillant de près Téhéran. Par la suite, le Département d’État américain a annoncé un réexamen global de l’ensemble des politiques américaines concernant l’Iran, y compris l’accord sur le nucléaire. Ce réexamen a débuté en avril et est toujours en cours, sans que l’on sache ses débouchés. Il pourrait mener à un durcissement de la position américaine et au rétablissement de certaines sanctions extraterritoriales. Pour Total et pour Téhéran, il était donc important de signer cet accord aujourd’hui sans attendre un éventuel durcissement des États-Unis.

Quant à savoir si l’accord de Total va pousser les États-Unis à revenir à des sanctions extraterritoriales, rappelons que les compagnies pétrolières américaines ne peuvent pas commercer avec l’Iran, ni investir dans le secteur pétrolier et gazier dans le pays. Elles sont donc dans une situation de concurrence qui leur est très défavorable par rapport aux compagnies non-américaines. Cela pourrait faire monter la température à Washington et pousser l’administration Trump à revenir des sanctions extraterritoriales. Puisque l’accord de Total est légal, les États-Unis n’ont aucune raison rationnelle d’en vouloir à la France ou à l’Union européenne. Néanmoins, nous savons que l’administration Trump n’est pas forcément des plus rationnelles…

Pour une diplomatie bleue

Thu, 06/07/2017 - 17:05

La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) adoptée à Montego Bay en 1982 et entrée en vigueur il y a 23 ans réforme de fond en comble le droit international de la mer, en créant au-delà des eaux territoriales des Zones économiques exclusives (ZEE) et leurs prolongements, où les Etats côtiers sont seuls propriétaires des ressources biologiques et minérales ; ce qui entraine un quasi doublement des surfaces exploitables du globe. En une vingtaine d’années, la moitié de ces zones – qui correspondent peu ou prou aux plateaux continentaux- a déjà été répartie et mise en exploitation. L’autre moitié est en cours de délimitation, soit pour préciser les limites d’extension des ZEE au titre du plateau continental, soit dans l’attente de délimitation des frontières maritimes entre Etats bénéficiaires où persistent des différends de souveraineté sur les terres émergées ouvrant droit à ZEE. Le plus médiatisé d’entre eux a concerné le rejet des prétentions chinoises à régenter l’essentiel de la mer de Chine. Ce Traité réglemente aussi l’exploitation des ressources biologiques et minérales des autres espaces, appelée « la Zone », correspondant à la haute mer, soit 60% des océans. Il crée pour cela une instance internationale, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui répartit les permis d’exploitation et en administre les ressources pour le bénéfice de tous.

Ce Traité international qui bouleverse les paradigmes du développement économique doit nécessairement s’accompagner d’une évolution de l’ordre politique mondial. Il doit tenir mieux compte de la situation faite à la Chine et à l’Inde qui accueillent plus du tiers de l’humanité et se voient doter par la géographie de ZEE d’assez modeste envergure au regard de leurs besoins (l’île Maurice a par exemple un domaine maritime plus important que le leur). Le doublement des surfaces du globe progressivement mises en exploitation contribue au réchauffement climatique et à la dégradation de l’environnement qui affecte désormais de plein fouet le biotope marin. La communauté internationale a parallèlement multiplié les initiatives pour créer un cadre réglementaire propice à la gestion durable de l’océan et à la protection de l’environnement marin. Reste à coordonner à l’échelle régionale ce corpus réglementaire et à lui donner un caractère contraignant et les moyens, nécessairement régionaux, d’en imposer le respect. Ces évolutions amorcées dans le cadre onusien se prolongent dans le développement des approches multilatérales de la diplomatie contemporaine. Une diplomatie bleue pour l’Océan aurait donc pour double objectif de solutionner les différends de souveraineté entre Etats sur les terres ouvrant droit à ZEE et de promouvoir des politiques régionales de gestion de la mer dans le respect des engagements internationaux, dont tous les pays riverains seraient coresponsables.

L’urgence océanique

C’est dans le cours de nos vies que s’amorce cette révolution. La première Conférence internationale de l’ONU consacrée aux océans n’a en effet été réunie que 15 ans après le sommet de la terre de Rio, du 5 au 9 juin dernier. Venant après la Conférence internationale de Paris sur le climat, elle a surtout eu pour objectif de dresser un bilan. Il a été l’occasion de rappeler la prééminence de l’environnement marin (71% de la surface du globe, 97% de l’eau terrestre alimentant le cycle de la pluie et régulant le climat, 50% de l’oxygène produit et 30% du CO2 absorbé). Les représentants des 193 pays partenaires ont souligné son importance économique (5% du PIB mondial, source première de protéine pour plus de 3 milliards de personnes, 200 millions d’emplois, 30% de la production d’énergies fossiles). Ils ont réitéré l’objectif de développement arrêté à Rio pour l’horizon 2030 : « conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins de développement durable » mais ont cette fois plus fermement tiré la sonnette d’alarme sur la dégradation accélérée du milieu : blanchiment de 20% du corail, développement des zones maritimes sans oxygène et donc sans vie, réduction de la biodiversité, surexploitation de 30% des stocks halieutiques, pollution terrestre des zones côtières, dégradation de 40% du milieu marin. Une attention particulière a été portée au problème du rejet en mer des plastiques qu’absorbent oiseaux de mer, tortues et mammifères.

L’ONU lance un appel à l’action et a ouvert un registre des contributions volontaires auquel se sont déjà inscrits plus de 1 300 organisations et institutions. Elle lance un appel à l’action et engage à l’adoption de mesures concrètes légalement contraignantes, au premier rang desquelles une plus grande maitrise des subventions aux industrie de la pêche jugées « destructrices » et une incitation à la création d’aires marines protégées ou de zones interdites à la pêche sur 14,4% des espaces maritimes d’ici 2020. L’UNESCO de son côté a lancé son projet de « décennie de l’océanologie » pour développer les connaissances et la recherche appliquée et fixer l’objectif de cartographier le fond des océans. Le Secrétaire général a lancé un vibrant plaidoyer pour l’inversion du cycle de déclin des milieux océaniques et conclu : « Nous devons résoudre nos problèmes de gouvernance et trouver une nouvelle vision stratégique ». La présente tribune a l’ambition de contribuer à cet objectif.

Faire de la France une vraie puissance maritime

L’archipel France, présent dans 4 des 5 océans et bénéficiaire du second domaine maritime au monde, pourrait concourir à la gestion durable des océans en s’engageant dans un projet à la hauteur des responsabilités que lui confèrent les 11,5 millions de km2 de son domaine maritime. Cet avantage, déterminant pour l’avenir, est politiquement et diplomatiquement encore insuffisamment consolidé ; ce dont notre Stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), adoptée en février 2017, ne tient pas un compte suffisant. Elle n’a de plus pas pris toute la mesure des conséquences de la sentence de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (CPA) sur la mer de Chine qui fragilise certaines des ZEE de nos îles inhabitées dans l’océan Indien, à Clipperton et dans l’Antarctique ; ni exploré toutes les potentialités de la cogestion pour en limiter l’impact. Sans une politique extérieure active et novatrice, la France risque de perdre une part importante de ses ZEE. La SNML ne prend pas non plus assez la mesure de ce que ce domaine est à 97% situé dans les outremers, pour 50% dans le Pacifique et pour 25% dans l’océan Indien. Or, certains de ces territoires peuvent être tentés par l’indépendance (Nouvelle Calédonie, Guyane …), tandis que dans le Pacifique, Wallis et Futuna ainsi que la Polynésie bénéficient déjà de gouvernements autonomes directement responsables de la politique de la mer. Notre stratégie doit donc associer plus vigoureusement nos outremers à la définition de notre politique de la mer et contribuer plus énergiquement encore à la protection et à la gestion de notre planète mer.

La stratégie pour la mer du programme d’Emmanuel Macron prend bien en compte ces objectifs. Elle souligne que ce secteur contribue pour 14% à la richesse nationale et crée 820 000 emplois, mais elle relève également que notre flotte de pêche est très réduite, que 85% des produits de la mer consommés en France sont importés et que moins d’un conteneur sur deux arrive en France par un port français. Cela conduit naturellement à la formulation d’un objectif prioritaire : garantir la souveraineté alimentaire de notre pays. Notre flotte marchande est au 30ème rang mondial, nos ports stagnent et ne traitent que 5% du trafic des conteneurs en Europe, alors même que le trafic maritime a quadruplé en 20 ans et connait sa plus forte expansion dans l’océan Indien dont nous sommes riverains. De plus, alors que l’océanologie est l’un des fleurons de la recherche française, le budget que nous y consacrons est inférieur à 600 millions d’euros. La perception de l’urgente nécessité de repenser notre politique de la mer se traduit dans le programme d’Emmanuel Macron par nombre de projets de long terme (« programme décennal », « stratégie portuaire nationale », « plan décennal pour la mer », « stratégie de long terme pour exploiter la mer dans le respect de l’environnement », « contrats de développement durable passé entre l’Etat et les régions »…). Une proposition particulière retient l’attention, celle d’organiser une Conférence mondiale sur la biodiversité marine dans un département d’outremer. C’est en effet l’une des priorités de l’agenda monde. Le riche biotope marin est fortement affecté par l’activité humaine. On connait de plus assez mal la vie qu’il héberge puisque seules 200 000 espèces sont identifiées, alors qu’on suppute qu’elles se comptent par millions. Il faut d’urgence arrêter des politiques de préservation plus rigoureuses à l’échelle de la planète. Il reste que l’agenda international a déjà retenu que cette 4ème conférence mondiale sur la biodiversité marine se tiendra à Montréal du 13 au 16 mai 2018. Nous devons donc prendre date pour 2021 ou 2022. Il serait de ce fait opportun que la France initie dès 2019 une action originale apte à mettre en application quelques-unes des multiples préconisations internationales sur la préservation et l’exploitation durable de l’océan pour nous inscrire dans la dynamique de l’injonction du SGNU à passer à l’action : la gouvernance régionale des océans.

Vers une gouvernance régionale des océans

Cette initiative est ambitieuse mais à notre portée. Notre domaine maritime nous rend directement responsables de la gestion de 3% de la surface des océans, de 10% des récifs, de 20% des atolls et de 10% de la biodiversité marine. Nous conduisons déjà une politique active dans tous les fora régionaux concernés mais un trop grand nombre de conventions régionales ou internationales enchevêtrent leurs compétences respectives sans qu’une véritable coordination régionale permette à leurs effets de se conjuguer. Nous sommes membres de tous les organismes régionaux qui le permettraient. Il serait de l’intérêt de notre pays de porter un projet de rationalisation des moyens et de coordination des efforts à l’échelle régionale sur les bassins maritimes où notre présence est forte. Il est proposé qu’une conférence nationale sur la mer soit rapidement organisée dans un département d’outremer pour que notre doctrine à l’international soit adossée à une SNML actualisée développée dans une concertation étroite avec les responsables ultramarins et pour que nous fassions le choix d’une première région d’application pour ce projet global.

Le Traité de Montego Bay provoque en effet un véritable bouleversement de la face du monde. Certes, 60% des mers demeurent patrimoine commun de l’humanité mais force est de constater que 90% des ressources halieutiques et 87% des réserves d’hydrocarbure offshore sont situées dans des ZEE en cours d’appropriation par les Etats côtiers, auxquels Chine et Inde n’ont qu’un accès limité. Il est donc impératif de poursuivre une concertation active avec ces grands partenaires là où nous le pouvons et, s’ils l’accueillent favorablement, de les associer dès l’origine au projet d’une gouvernance régionale de l’océan Indien dont ils sont riverains ou proches pour en entreprendre avec eux l’exploitation raisonnable et durable sans renoncer à nos droits propres dans nos ZEE. Il est également urgent de prendre toute la mesure de la fragilité relative de ces droits en développant toutes les possibilités de cogestion de ces zones avec les Etats îliens qui entretiennent avec nous des différends de souveraineté.

Nous pourrions engager cette dynamique par un projet de gouvernance régionale de l’océan Indien, région où ont été enregistrées sur 20 ans les plus fortes hausses du trafic maritime mondial et qui présente la particularité d’une assez grande homogénéité de son climat et de son peuplement biologique. Il offrirait une possibilité de gestion à l’échelle d’un bassin maritime tout entier, la première de ce type, pour rationaliser et coordonner des moyens déjà importants mais dispersés entre les compétences nationales, régionales et internationales. Il offrirait à la Grande-Bretagne l’occasion d’apaiser son différend de souveraineté avec Maurice sur l’archipel des Chagos, dans lequel est situé la base militaire de Diego Garcia qu’elle loue aux Etats Unis. Il permettrait d’associer les deux grandes puissances régionales, Inde et Chine, à une action coordonnée avec l’Union européenne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis et de mobiliser nos trois collectivités d’outremer dans cette région du monde pour l’exploitation durable et la préservation de leur environnement maritime, condition d’un renforcement de leur ancrage dans la République.

Deux espaces maritimes sont concernés. Le premier dans le Sud-Ouest de l’OI est presque en totalité partagé entre les ZEE des pays développés et celles des Etats Iliens. Le second dans le Nord-Est de l’OI accueille la ZEE de l’Inde et une partie de celles de l’Australie et de l’Indonésie. Cette partie de l’OI est composée pour moitié d’espaces maritimes de haute mer dont les fonds sont administrés par l’AIFM, si bien que l’agence pourrait s’associer à cette phase du projet.

L’Union européenne, les Etats membres et le RU pourraient initier en partenariat avec les autres nations riveraines un projet de gouvernance régionale du Sud-Ouest de l’OI déjà largement engagé dans les faits au travers de sa coopération avec un organisme régional, la Commission de l’océan Indien (COI). La France a déjà une politique active de préservation de l’environnement marin dans ses bassins propres du Sud-Ouest de l’océan Indien à la Réunion, à Mayotte, dans les Glorieuses et dans les terres australes. Cogérer une partie de nos ZEE dans cette zone serait le moyen de dépasser les différends de souveraineté que nous entretenons encore avec Madagascar, les Comores et Maurice, ainsi que de mieux coordonner nos politiques de préservation de l’environnement marin. Nos frontières maritimes avec la ZEE des Seychelles sont quant à elles agréées de part et d’autre. Cette première initiative pourrait être étudiée dans le prolongement de la Conférence nationale pour la mer évoquée plus haut et se tenir à Saint-Denis de la Réunion, autour du chef de l’Etat et des membres du gouvernement concernés, des représentants élus de tous les départements et territoire d’outremer, des experts et responsables académiques spécialistes des questions maritimes, ainsi qu’avec nos entrepreneurs français du domaine de l’économie bleue et ceux des pays riverains. Elle accueillerait enfin les représentants ministériels et les experts de ces pays pour étudier la faisabilité d’une initiative régionale pour la gouvernance de la totalité de l’océan Indien au sein de l’organisation régionale qui pourrait la porter : l’Indian Ocean Rim. Cette initiative pourrait être étendue ultérieurement à la Caraïbe et au Pacifique.

Nuages à venir sur la relation Washington-Séoul

Wed, 05/07/2017 - 16:55

Les sourires crispés et convenus ne trompent que les naïfs. Derrière une unité de façade face à la menace nord-coréenne – le contraire eut été surprenant ! – Donald Trump et son homologue sud-coréen, Moon Jae-in, ont bien peu de terrains sur lesquels ils vont pouvoir s’entendre.

Récemment élu, le 9 mai dernier, et bénéficiant d’un soutien populaire important, le démocrate Moon Jae-in est le nouveau visage de la République de Corée. Un visage qui rompt avec ses deux prédécesseurs conservateurs, Lee Myung-bak et plus encore la présidente déchue Park Geun-hye. Un visage qui semble également déplaire à Donald Trump, le nouvel homme fort de Séoul étant très critique de l’accord sur le déploiement du bouclier antimissile THAAD – qu’il a stoppé à peine entré en fonction dans la Maison-Bleue – et se montrant disposé à renouer le contact avec Pyongyang et à réparer les dégâts avec Pékin. En clair, la visite du président sud-coréen à Washington avait tout d’une rencontre entre alliés certes cordiale – mais pas vraiment amicale. En témoigne le fait que Trump n’a pas invité son homologue dans sa résidence en Floride à Mar-a-Lago, comme il l’avait fait avec le Premier ministre japonais Abe Shinzo ou le président chinois Xi Jinping. Ambiance…

PYONGYANG MON AMOUR

Au-delà des symboles, qui ont leur importance quand on sait que le président américain y est particulièrement attaché, c’est cependant sur le fond que les divergences semblent particulièrement fortes. Dans leur communiqué officiel conjoint, les deux hommes annoncent être en accord sur la nécessité de réengager le dialogue avec Pyongyang, à condition que le régime nord-coréen lâche du lest sur la question nucléaire. Mais s’il s’agit clairement de la ligne affichée par Moon depuis son entrée en fonction, peut-on en dire autant de Trump ? En fait, bien malin celui qui peut deviner quelle est exactement la politique coréenne du président américain, tant cette dernière semble osciller au gré de l’actualité et des humeurs de l’occupant de la Maison-Blanche. Moon est venu chercher à Washington un soutien à sa politique de réengagement avec la Corée du Nord, et c’est ce qu’il a obtenu. Mais peut-il faire confiance à un partenaire qui a alterné le chaud et le froid avec tant d’insistance ces derniers mois qu’on ne sait plus vraiment quelle est la température à laquelle la situation sécuritaire dans la péninsule coréenne est jugée menaçante pour Washington ? D’ailleurs, Trump a martelé en compagnie de son invité que « la patience stratégique avec le régime nord-coréen a échoué. Honnêtement, la patience est terminée. » Réengager avec Pyongyang sur cette base relève de l’équilibrisme. Le président coréen a suffisamment d’expérience pour savoir que si le degré de confiance accordé à Pyongyang doit être proche de zéro, il est désormais à peine plus élevé dans le cas de Washington.

La question de savoir quelle attitude adopter si Pyongyang oppose une fin de non-recevoir à cette doléance – et ce sera sans doute le cas – n’est pas non plus soulevée, parce que c’est justement sur ce point que Washington et Séoul sont en total désaccord. Moon souhaite renouer le dialogue, coûte que coûte, parce que c’est l’absence de dialogue qui a pourri tout effort de négociation depuis une décennie, et c’est sur cette base que la question nucléaire pourra être abordée. Mais côté américain, on semble faire de la dénucléarisation de la Corée du Nord un préalable à toute négociation. Bref, les deux alliés vont avoir du mal à s’entendre, et on attend presque avec impatience les réactions américaines si Moon réussit son pari, à savoir renouer le dialogue avec Kim Jong-un. Le président sud-coréen est resté en retrait sur ce point à Washington, sans doute conscient que ce n’était ni le moment, ni le lieu, pour détailler sa stratégie nord-coréenne. Affaire à suivre donc.

« STILL MADE IN KOREA »

Si le dossier nord-coréen est plus épineux que jamais, c’est cependant sur la relation avec la Corée du Sud que Donald Trump a jeté des braises, en critiquant vivement l’accord de libre-échange entre les deux pays, qui selon lui profite plus à Séoul qu’à Washington. Le diagnostic n’est pas mauvais, les chiffres l’attestent, et sur ce point le constat de Trump ressemble à celui qu’il avait fait avant d’annoncer le retrait des États-Unis du TPP. La méthode laisse cependant sérieusement à désirer, et aura des conséquences fâcheuses sur la relation entre les deux Etats. « Nous sommes en train de renégocier un accord commercial qui sera, je l’espère, équitable pour les deux parties », a précisé le président américain. Allusion faite à l’accord actuel, signé sous l’administration Bush et entré en vigueur en 2012, pendant la présidence Obama, et que Trump a qualifié d’ « horrible ». Côté coréen, cet accord n’est pas perçu de la même manière, l’excédent commercial n’en étant que renforcé.

Mais Trump a demandé une plus grande ouverture du marché sud-coréen dans des secteurs comme l’automobile et l’acier, espérant que les consommateurs coréens roulent dans des voitures américaines. Dans ces deux secteurs, la balance commerciale est très fortement à l’avantage de la Corée du Sud, qui exporte en très grande quantité vers les États-Unis. En clair, l’accord « équitable » espéré par Trump se résume à un rétablissement de cette balance, et donc soit à la mise en place de mesures protectionnistes côté américain, soit à la hausse des importations de produits américains en Corée du Sud. Dans les deux cas, ces déclarations auront très peu de portée, sinon à faire du tort à la relation entre les deux pays.

Les habitudes de consommation des Coréens, qu’on peut qualifier de patriotisme économique, ne vont pas être modifiées simplement parce que le président des États-Unis en a émis le souhait. Ou alors c’est très mal connaître la société sud-coréenne – et ne nous voilons pas la face, c’est de cela dont il s’agit. De l’autre côté, renforcer le protectionnisme américain vis-à-vis des importations de produits coréens serait non seulement une violation de l’accord de libre-échange entre les deux pays, mais aurait en plus pour conséquence de pousser Séoul vers d’autres partenaires économiques et commerciaux, la Chine en tête. On comprend dès lors pourquoi Moon a préféré rester silencieux sur ce sujet sensible, pour ne pas contredire son hôte, et en pensant sans doute que l’idée lui passera.

MOON N’EST PAS LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

Et il ne le sera jamais. Pas plus qu’il ne représente les intérêts de la Chine quand il se déplace à Washington. C’est pourtant à Pékin que Donald Trump semble s’être adressé lors de la déclaration conjointe, plus qu’à son allié sud-coréen, qui ne s’y attendait sans doute pas. A moins justement que Trump n’ait cherché, en pointant du doigt les responsabilités de Pékin sur les sanctions à l’égard de Pyongyang, à faire pression sur son invité. Car Moon est désireux d’apaiser les tensions de son pays avec la Chine, très fortes depuis que le THAAD est venu s’inviter dans les débats sécuritaires dans la région. Trump a un agenda, Moon a le sien, et ils ne convergent que sur quelques éléments de langage.

En touchant à la question commerciale avec Séoul, c’est également Pékin que l’administration Trump a en tête. D’ailleurs, l’un des conseillers économiques du président américain, Gary Cohn, a évoqué cette question avec ses interlocuteurs coréens lors de leurs rencontres à la Maison-Blanche, faisant mention des « pratiques prédatrices de la Chine », et se montrant curieux de savoir comment la Corée du Sud s’y prend avec son puissant voisin. Cette discussion est éclairante à deux égards. D’une part, elle est révélatrice des difficultés qu’éprouve la Maison-Blanche à définir sa relation économique et commerciale avec Pékin, au point d’aller demander conseil à un allié, qui est par ailleurs un pays engagé dans une relation commerciale très étroite avec la Chine. D’autre part, elle ne fait que confirmer l’idée selon laquelle l’obsession de l’administration Trump dans la région est la Chine, et que la politique asiatique de Washington est en fait une politique chinoise, tout le reste n’étant qu’accessoire. Pas nécessairement le genre de message que Moon souhaitait entendre.

UNE POLITIQUE ASIATIQUE À PLUSIEURS VITESSES ?

Donald Trump a décidé de donner un grand coup de pied dans la politique asiatique de Washington, on le sait. Et il n’a pas véritablement de ligne directrice, on ne peut que le déplorer. Mais il y a en parallèle aux gesticulations du président américain des constances, et l’alliance des Etats-Unis avec le Japon et la Corée du Sud en font partie. Lors de leur entrevue, les deux chefs d’Etat ont sans doute évoqué leurs divergences, mais ils ont choisi de les laisser de côté pendant leur déclaration commune. C’était cependant sans compter sur Donald Trump, qui a profité de cet épisode pour se mettre en position de force et mettre en avant ses exigences, sans entendre celles de son invité, comme si celles-ci n’avaient pas la moindre importance. Si la Corée du Sud n’était pas un des alliés les plus proches et les plus solides de Washington – il conviendra cependant de s’interroger sur la fiabilité et la solidité de ce partenariat à l’avenir – et si Monsieur Moon n’était pas poli et expérimenté en politique, l’incident diplomatique était proche.

Les différentes vitesses dans le traitement de la question coréenne à Washington sont également le fait de l’ancien président américain, Barack Obama, qui s’est rendu à Séoul juste après la visite de Moon aux États-Unis, pour y rencontrer des dirigeants coréens, actuels et passés. On imagine que les propos tenus par Obama n’ont pas grand-chose à voir avec ceux de Trump, et que l’ancien président se voit « en mission » pour tenter de sauver la relation avec Séoul. Un vœu pieux, peut-être, mais pas nécessairement une bonne idée, qui en plus ne fait pas les affaires de Washington. Car un pays qui montre le visage d’une politique étrangère ambivalente et dissonante est un pays qui voit son influence et sa crédibilité menacées. Or, vu la situation actuelle dans la péninsule coréenne et de manière élargie en Asie, c’est justement sur ce terrain précis que les États-Unis ont de sérieux efforts à produire.

« La Corée du Nord et les États-Unis ont intérêt à maintenir une apparente tension »

Wed, 05/07/2017 - 16:24

En quoi le tir de mardi diffère-t-il des précédents essais nord-coréens ?

Vu le temps de tir et sa distance, il semble en effet qu’on soit en face d’un essai de tir d’un genre nouveau, d’un missile balistique intercontinental. Si c’est bien le cas, la Corée du Sud serait en mesure d’attaquer, depuis son territoire, le sol américain, bien que l’Alaska ne soit pas des plus peuplés…

Mais il faut relativiser ce risque: d’une part parce que, même si le missile était effectivement capable d’atteindre l’Alaska, rien ne dit que la Corée du Nord soit capable de monter dessus une tête nucléaire, très lourde. D’autre part, parce que les deux pays ont intérêt à maintenir l’apparence d’une montée des menaces. La Corée du Nord pour se maintenir politiquement et les Etats-Unis pour justifier l’augmentation du budget de l’armée et dire aux Américains qu’ils doivent toujours mieux se protéger.

Donc le tir ne change pas fondamentalement la menace ?

Pas fondamentalement. C’est spectaculaire aujourd’hui parce que Trump est à la Maison Blanche et que Pyongyang a choisi de tirer le jour de la Fête nationale américaine, mais il n’y a pas de nouvelle menace.

Face aux provocations de Kim Jong-Un, que peuvent faire les Américains et les Sud-coréens ?

Le nouveau président sud-coréen n’a pas intérêt à hausser le ton face à Pyongyang, car il ne veut pas risquer de compromettre ses relations avec la Chine. Donald Trump, de son côté, a choisi d’augmenter la pression sur Pékin. Personne ne veut faire un pas vers une réelle agression, car tous savent qu’ils ont beaucoup à y perdre. Ce qui est sûr, c’est que le régime Nord-coréen ne renoncera jamais à son programme d’armement nucléaire, car le régime ne veut pas subir le sort de Mouammar Kadhafi et de Saddam Hussein.

Criminality in the sports betting market: which challenges?

Wed, 05/07/2017 - 11:45

Pim Verschuuren is a research fellow at IRIS, coordinator of the EU Programme PreCrimBet. He answers our questions about the release of the final PreCrimBet report dealing with the prevention of criminal risks linked to sports betting market:
– What are the 6 key findings of the PreCrimBet programme ?
– What are the key recommandations to protect the betting market from criminal risks ?

Madrid-Barcelone, poker menteur au risque de l’Espagne

Tue, 04/07/2017 - 18:13

Le 1er octobre 2017, les autorités de Barcelone – le gouvernement dit de la « Généralité catalane » et sa majorité parlementaire (composée du Parti démocratique de Catalogne ; de la Gauche républicaine de Catalogne et du parti d’extrême gauche, CUP-Candidature d’unité populaire) – ont décidé d’organiser un référendum sur l’indépendance. À Madrid, le gouvernement a d’ores et déjà fait savoir qu’il mettrait tout en œuvre pour empêcher cette consultation. Selon la formule consacrée pour décrire les évènements politiques répondant à une dynamique similaire, « un choc de train » est d’ores et déjà programmé.

Les deux acteurs du drame sont enfermés dans un autisme à hauts risques. Bien que répondant au bluff pratiqué par les joueurs de poker, il est porteur d’accident aux conséquences imprévisibles mais en tous les cas dommageables à l’Espagne comme à la Catalogne. Le président de la Généralité, Carles Puigdemont, a officialisé le 9 juin 2017 ses intentions séparatistes. Sa coalition « Junts por el si » en a rappelé la date et les objectifs mardi 4 juillet, dans les locaux du « Teatre nacional de Catalunya ». Les électeurs inscrits sur les listes électorales de la Généralité catalane auront à répondre à une question relative à l’autodétermination de la Généralité catalane. Le gouvernement central a de son côté rappelé qu’il empêcherait avec tous les moyens dont il dispose la tenue d’un vote inconstitutionnel. Des avertissements ont d’ores et déjà été envoyés aux entreprises qui accepteraient de répondre aux appels d’offre pour fournir urnes, bulletins, enveloppes et isoloirs.

Côté nationaliste catalan, on avance le droit imprescriptible à décider démocratiquement qui serait reconnu par la Charte des Nations unies et les résolutions relatives au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Sont cités à l’appui de cette thèse les référendums organisés à ce sujet au Québec, province canadienne, et en Ecosse, partie du Royaume-Uni. Les responsables de la coalition indépendantiste signalent par ailleurs qu’il n’est pas question pour Barcelone d’abandonner l’Union européenne, l’euro et le dispositif Schengen. Ces messages ont été colportés aux quatre coins du monde occidental par les membres actuels du gouvernement catalan, comme par Artur Mas, initiateur de la proposition de rupture avec Madrid et l’Espagne.

Mariano Rajoy, du Palais de la Moncloa, a multiplié les mises en garde. La Constitution espagnole autorise l’organisation de référendums « régionaux » sous réserve d’un feu vert donné par le Parlement national espagnol. Le Parti populaire (PP), formation du président du gouvernement espagnol, est totalement opposé à l’organisation de cette consultation. Comme d’ailleurs à toute réforme de la Constitution accordant des droits élargis à la Catalogne. En saisissant le Tribunal constitutionnel, le PP avait fait capoter en 2010 toute perspective de statut d’autonomie rénové reconnaissant le caractère national de la Catalogne. Les rumeurs d’un recours par Madrid à l’article 155 de la Loi fondamentale, la suspension de l’autonomie existante par l’autorité centrale, se font de plus en plus entendre.

Le pire est-il l’hypothèse la plus pertinente ? Rien n’est moins sûr. Il ne faut pas désespérer de la culture transitionnelle héritée des années fondatrices de la démocratie. Certes les nouvelles générations, à Barcelone comme à Madrid, abusant des libertés si chèrement acquises, contestent les compromis des années 1976-1978. Au Parti populaire, on a oublié Adolfo Suarez et Manuel Fraga. Au sein de la Gauche républicaine catalane on ne parle plus de Josep Tarradellas. Au Parti démocratique de Catalogne, on préfère passer sous silence Jordi Pujol. Au Parti communiste et à Podemos, on a oublié Santiago Carrillo, Rafael Alberti et la Pasionaria. Les socialistes andalous ont tourné les pages de Ramon Rubial le basque et de Joan Reventos le catalan.

George Orwell, peu de temps après la fin de la guerre civile espagnole, avait rendu un hommage posthume à la Catalogne républicaine[1]. « L’ennemi », avait-t-il écrit, venait en dernier. La priorité c’était « le bois à bruler, les vivres, le tabac ». Les politiques d’aujourd’hui auraient-ils relégué au second plan ressources et compétences pour donner le premier rôle à l’ennemi ? Les Catalans, si l’on en croit les sondages, sont en attente d’une troisième voie[2]. Rien à voir avec Tony Blair mais beaucoup avec l’exigence adressée aux responsables politiques, ou prétendus tels, d’imagination constitutionnelle pour mettre « le bois à brûler, les vivres et le tabac » avant l’ennemi. La maire de Barcelone, Ada Colau, « leader » d’un parti regroupant la gauche contestataire, refuse de participer à une consultation non négociée avec Madrid. Podemos rejette la sécession, tout en approuvant le principe d’une consultation populaire. Au-delà de ces positions exprimant un malaise plus qu’une troisième voie, il y a depuis le 18 juin 2017 une proposition très concrète. Celle faite par le nouveau Secrétaire général du PSOE, Pedro Sanchez, de changer la Loi fondamentale afin de la fédéraliser et de permettre la reconnaissance dans son article 2 de la Catalogne comme nation[3]. À suivre donc… Même si les uns et les autres ont exclu au grand soir du 1er octobre, tout recours aux armes.

[1] George Orwell, « Hommage à la Catalogne », Paris, 10/18 n°3147
[2] Voir El Pais, 16 avril 2017, sondage Demoscopia
[3] Proposition figurant dans le livre publié par Josep Borrell, Los idus de octubre, Madrid, Catarata, 2017

Le G5 anti-djihadiste peut-il venir à bout du terrorisme au Sahel ?

Tue, 04/07/2017 - 17:46

Dimanche 2 juillet, les chefs d’État du Mali, du Tchad, de la Mauritanie, du Niger et du Burkina Faso étaient à Bamako, en présence également d’Emmanuel Macron, pour lancer une force anti-djihadiste dans le Sahel. Le point de vue de Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS.

Cette alliance pour le Sahel est-elle une initiative inédite sur le continent africain ? A-t-elle vraiment les moyens d’être efficace ?

Ce n’est pas complètement inédit puisque quatre pays – le Nigéria, le Cameroun, le Tchad et le Niger – avaient déjà entrepris une action conjointe pour lutter contre Boko Haram. Ceci étant, ce G5 Sahel regroupant le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso, affiche davantage d’ambition en prévoyant une force de 5 000 hommes, pour un montant d’un peu plus de 400 millions d’euros. Cette initiative est importante car elle témoigne de l’existence de forces africaines régionales. Cela montre aussi qu’il y a des problèmes d’insécurité croissante dans ces cinq pays. Cette force va s’ajouter à Barkhane, la Minusma, ainsi qu’aux forces anti Boko Haram.

Le coût supérieur à 400 millions d’euros par an sera pour l’instant financé à hauteur de 50 millions par l’Union européenne (UE) ; chacun des cinq États membres apportera 10 millions d’euros ; tandis que la France apportera, en complément de Barkhane, un peu moins de 10 millions d’euros. Il reste toutefois un manque à gagner financier majeur, notamment du fait de la position américaine. En effet, bien que Donald Trump ait accepté au Conseil de sécurité un vote favorable à cette force, il n’a pas donné le mandat des États-Unis donc cette force ne bénéficie d’aucun financement de la part des Nations unies. Reste donc à combler ce manque à gagner financier, qui pourrait être trouvé auprès des membres de l’UE, en particulier de l’Allemagne.

Les États-Unis refusent d’aider financièrement cette initiative pour deux raisons. D’une part, Donald Trump veut globalement réduire tous les appuis aux organisations internationales et aux actions militaires des Nations unies. D’autre part, il considère que l’intervention de cette force du G5 renvoie davantage aux intérêts stratégiques français qu’américains. Peut-être est-ce une raison pour laquelle Emmanuel Macron a invité le président états-unien pour le 14 juillet, afin de faire avancer ce dossier.

Quel est l’état de la menace terroriste sur les territoires des pays de ce G5 ?

Il ne s’agit pas uniquement de menace terroriste mais plus généralement d’une monté croissante de l’insécurité. En particulier, la région du centre du Mali est totalement insécurisée du fait de conflits locaux qui réapparaissent entre les éleveurs et les agriculteurs, entre les autochtones et les allogènes, entre les migrants et les sédentaires, etc. Se rajoutent les différentes factions djihadistes qui font front commun sous la responsabilité principale d’Ansar Dine dirigé par Iyad Ag Ghali. Des alliances apparaissent entre Al-Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar, Aqmi, la katiba Macina peul… Aujourd’hui, ces groupes rattachés à Al-Qaïda s’allient et rendent les actions terroristes davantage possibles.

Le Mali a failli à assurer ses fonctions régaliennes. La police, la gendarmerie et les militaires ne parviennent plus à assurer la sécurité. Les problèmes de fonds demeurent à cause de l’absence de lien entre sécurité et développement et le terreau du terrorisme se trouve notamment dans le chômage des jeunes, le trafic de drogues…

Ce qui est nouveau, c’est que l’insécurité et le terrorisme ne concernent plus simplement le centre du Mali mais également les pays limitrophes, à savoir le Burkina Faso et le Niger.

Quel rôle joue la France dans la lutte et la coopération anti-terroriste en Afrique ?

La France joue un rôle majeur dans ces pays étant pour la plupart francophones et qui ont toujours fait partie des zones privilégiées d’intervention française. La France a été la première présente au Mali avec l’opération Serval lorsque les djihadistes ont menacé Bamako à l’époque du président Hollande. Cette opération Serval est devenue l’opération Barkhane d’envergure régionale, regroupant environ 4 000 hommes et avec un coût de 600 millions d’euros par an. L’effort français est donc très important.

La France joue également un rôle central puisqu’en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, elle a fait passer plusieurs dossiers, dont le G5 Sahel. Paris cherche aussi à intégrer les pays membres de l’UE ; la forte alliance entre Emmanuel Macron et Angela Merkel rend l’Allemagne plus ouverte à l’idée que les questions sécuritaires sont aussi du ressort de l’Europe et pas simplement de la France.

Reste à gagner la guerre contre le terrorisme. Endiguer des actions terroristes ne signifie pas éradiquer le terrorisme. La France est certes présente pour longtemps avec Barkhane mais les défis majeurs concernent la mise en place de projets de développement qui créent un tissu économique permettant aux jeunes de s’insérer sans entrer dans des réseaux mafieux et terroristes ; la mise en place de systèmes décentralisés de sécurité, etc.

Actuellement, seules des batailles ont été gagnées mais pas la guerre contre le terrorisme et il reste beaucoup de points d’interrogation sur l’appui de la France à cette initiative du G5. L’Africanisation des forces armées est une priorité si l’on ne veut pas que les troupes d’intervention ne soient perçues avec le temps comme des troupes d’occupation. Sur le terrain, on sait aussi que les forces africaines sont souvent – à l’exception du Tchad et du Niger – peu efficaces, notamment les troupes du Mali.

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