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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

L’indépendance de l’Écosse, une menace pour James Bond et le soft power de la Grande-Bretagne

Fri, 05/05/2017 - 16:09

Le célèbre Agent 007, personnage inventé de toute pièce par l’auteur Ian Fleming après son expérience en tant qu’agent du renseignement pendant la Seconde Guerre mondiale, arrive en tête des figures les plus populaires au Royaume-Uni. Si l’on demande à l’homme de la rue ce que lui évoque la “Grande-Bretagne”, que cela soit en Europe, en Amérique du Nord ou sur le continent asiatique, James Bond arrive largement en tête, aux cotés de la Reine, du whisky Écossais et même devant Harry Potter.

L’agent du MI6 est tellement connu de tous que l’on oublie souvent ses origines, sans même oser questionner son affiliation à la Couronne. La question semble cependant d’actualité avec le référendum sur l’indépendance de l’Écosse. En effet, en cas d’indépendance, l’agent secret devra choisir entre entrer dans les futures services secrets écossais ou bien revenir dans son pays maternel, la Suisse. Une perte nette pour le soft power de ce qui resterait de la Grande-Bretagne.

La personne de Ian Fleming est en effet pleine de contradiction. Le père de James Bond remonte à 1953, quand il apparaît pour la première fois dans le roman Casino Royal. Son père “Andrew Bond” est un écossais originaire de Glen Coe, lieu où – non sans une certaine ironie – 38 membres du clan MacDonald furent tués en refusant de prêter allégeance à Guillaume II d’Angleterre en 1692. Le film Skyfall se déroule dans cette même région. Ce dernier rappelle lui-même les origines de l’agent 007, qui même s’il affirme ne “jamais avoir aimé cet endroit”, y a passé son enfance. Tout dépendra naturellement des conditions du futur gouvernement écossais sur l’obtention de la citoyenneté et des négociations avec ce qui restera du gouvernement à Londres. Mais si celles-ci déterminent l’appartenance à l’Écosse avec le droit du sang ou le droit du sol, Bond deviendra immédiatement Écossais. D’une manière assez paradoxale, il pourrait demander la citoyenneté britannique et refuser ou cumuler la citoyenneté écossaise. Malheureusement pour Bond, cela dépendra de son temps de résidence en Angleterre, qui est probablement inférieur à 6 mois par an du fait de ses nombreux voyages ; ce qui l’empêcherait possiblement de clamer son obtention.

Cette spéculation d’une demande de 007 pour rester “Britannique” et refuser d’être “Écossais” part du principe qu’il ne souhaite pas rejoindre les futurs Services secrets écossais ; ce qui n’a rien d’une certitude dans la mesure où l’on ignore encore les avantages que ces derniers proposeront par rapport à ce qui restera du MI6. Il semble important de noter qu’à ce jour, le MI5 et MI6 sont parmi les services de renseignement les moins flexibles en termes de nationalité ; et obtenir un travail implique souvent de renoncer à la double citoyenneté, ce qui s’avérerait être un problème majeur pour l’ensemble des personnes qui y travaillent. À l’inverse, l’Écosse indépendante pourra décider ou non, comme le font beaucoup d’autres pays d’Europe, d’accepter la double nationalité dans ses services. Les origines de Bond se retrouvent dans les premiers films, dans lesquels l’Écossais Sean Connery joue le rôle du personnage avec un accent prononcé.

La mère de Bond est pour sa part originaire de Suisse, Fleming s’inspirant de sa propre fiancée Monique Panchaud de Bottens, probablement francophone. Cela explique les nombreuses aventures et séjours de 007 en Suisse, le fait qu’il parle parfaitement français et qu’il perde tragiquement à l’âge de 11 ans ses deux parents, dans un accident d’alpinisme à Chamonix-Mont-Blanc. Bond a également étudié à l’Université de Genève, probablement en français à une époque où les cours en anglais étaient plutôt rares. 007 pourrait donc probablement réclamer la double citoyenneté Suisse et envisager de rejoindre les Services secrets de la Confédération, avec un salaire bien plus conséquent ; d’autant plus qu’il parle le français mais aussi l’allemand, deux des quatre langues officielles du pays.

Il reste donc difficile de dire si l’agent secret le plus connu au monde pourra et décidera de rester dans un Royaume-Uni sans Écosse ; le Brexit jetant également une incertitude sur ses avoirs et sa capacité à voyager librement dans toute l’Europe, où il apprécie notamment de faire du ski. À ce propos, rappelons que 007 fut brièvement marié à une française d’origine Corse, qui décèdera tragiquement. Il semble donc fortement apprécier ses séjours en Europe. Les femmes du continent ne sont pas sa seule “préférence”, il apprécie aussi le champagne français Taittinger, le whisky Macallan, la vodka des pays Baltes, et le Bourbon. Ces cigarettes de prédilection sont également les Morland Specials de Macédoine.

En bref, le James Bond de Ian Fleming est “international”. Mais avec la construction de l’Union européenne, il est en réalité l’exemple type de nos jours de l’Européen qui aurait effectué un Erasmus en Suisse, aimerait certaines choses qu’il aurait découvertes lors de ses voyages dans l’espace Schengen, et serait tombé amoureux des femmes qu’il aurait rencontrées lors de ses vacances ; ce que vit actuellement toute une génération de jeunes européens sur le continent.

Sa relation de proximité avec l’Europe ne se limite pas à ses choix dans sa vie privée mais également dans son travail. Impossible de se détacher de son Aston Martin anglaise mais il lui préfère la marque bavaroise BMW, entre 1995 et 2002. Son arme, le Walter PPK, est également le fleuron de l’industrie militaire allemande, même si dans les romans de Fleming il aborde un Beretta 6.35 mm d’origine italienne.

Quelles seraient les conséquences d’une indépendance de l’Écosse pour James Bond ? La figure populaire devrait justifier son affiliation au MI6, ce qui s’avérerait difficile à concevoir sur un plan psychologique, l’agent n’ayant pas ou peu d’attachement émotionnel au pays de son père. Il serait juridiquement contraignant pour 007 de devenir un citoyen britannique au regard de la loi et du manque de flexibilité du processus de recrutement du MI5 et MI6. Cependant, rester dans un MI6 post-Brexit n’apporterait que de nombreux désavantages pour l’agent car cela rejetterait son identité “européenne”, résolument ancrée par Ian Fleming dans ses habitudes quotidiennes.

La possibilité de rejoindre les Services secrets d’Écosse s’avérerait loin d’être improbable. Premièrement car James Bond aurait la possibilité juridique de la faire sans entraves. Deuxièmement car il obtiendrait probablement une promotion au regard de son expérience au sein d’un nouveau Service, ce que ne lui propose pas l’actuel MI6.

Dans le monde réel, cela signifierait une perte nette pour le soft power de ce qui resterait de la Grande-Bretagne, qui devrait renoncer à son drapeau en même temps qu’à l’agent secret le plus connu au monde. En revanche, cela s’avérerait un splendide coup de communication pour l’Écosse, qui aurait à son service une figure populaire de renom et pourrait l’utiliser tant dans ses campagnes de recrutement pour sa future armée, que pour ses services de renseignement. 007 sera-t-il l’apanage du soft power de l’Écosse dans un avenir très proche ? Les Écossais en décideront dans les prochaines années.

Marine Le Pen : une politique étrangère gaulliste, vraiment ?

Thu, 04/05/2017 - 18:45

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

« La France n’est grande que si elle représente autre chose qu’elle-même »

Thu, 04/05/2017 - 16:05

Connu pour son engagement en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine, le géopolitologue analyse la place de son pays dans le monde. Et son rôle dans les conflits en cours.
Passé par le Parti socialiste, dont il claqua la porte en 2003, et par divers cabinets ministériels (Jean-Pierre Chevènement, Pierre Joxe), Pascal Boniface (61 ans) est le directeur fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), l’un des rares think tanks français. Mais le grand public le connaît surtout pour ses prises de position propalestiniennes et pour les passes d’armes qui en ont résulté avec des vedettes médiatiques comme Philippe Val, l’ex-patron de Charlie Hebdo, ou le philosophe et polémiste Bernard-Henri Lévy.
Le livre qu’il vient de faire paraître aux éditions Max Milo, Je t’aimais bien tu sais. Le monde et la France : le désamour ?, confirme sa propension à ruer dans les brancards. Il y manifeste une irréductible opposition à l’islamophobie et plaide pour un rapprochement avec la Russie. Parfois un peu trop général, son propos tout en franchise et en conviction ne cède en tout cas ni à la langue de bois ni au copinage

Problème de politique intérieure, l’islamophobie a-t-elle aussi un impact sur l’action diplomatique ?

C’est ce que je constate tous les jours. Les classes moyennes africaines, arabes et maghrébines sont mondialisées et cultivées. Inévitablement, les propos hostiles à l’islam et/ou aux musulmans ternissent donc l’image de la France.

En matière diplomatique, le clivage gauche-droite a-t-il encore un sens ?

Pas depuis longtemps. Il y a plutôt d’un côté un camp « gaullo-mitterrandiste » et de l’autre un camp naguère qualifié d’« atlantiste », et qu’aujourd’hui on dirait plutôt « occidentaliste ». Pour les gaullo-mitterrandiens, la France et ses alliés ne se confondent pas avec l’Occident.

Vous-même êtes plutôt gaullo-mitterrandien ?

Oui, je crois que la France n’est grande que si elle représente autre chose qu’elle-même.

Quelle ligne prévaut actuellement ?

Depuis la fin de l’ère Chirac, c’est la ligne occidentaliste. Après son refus de la guerre en Irak, en 2003, Jacques Chirac lui-même a pris peur et a opéré un virage sur l’aile. Sarkozy a confirmé la tendance et Hollande a, comme d’habitude, tenté une synthèse. Mais il n’a pas tenu parole concernant la reconnaissance de l’État palestinien, bien que ses deux ministres des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault puis Laurent Fabius, y aient été favorables.

Le ministère de la Défense et Jean-Yves Le Drian ont occupé le devant de la scène diplomatique pendant tout le mandat qui s’achève…

C’est indiscutable s’agissant de l’Afrique, en raison des opérations militaires déclenchées en Centrafrique et au Mali. Pour mener à bien ces opérations, la France a été amenée à ne point trop se soucier de la respectabilité de ses alliés africains.

La réintégration au sein de l’Otan a elle aussi contribué à donner une coloration très particulière au mandat de Hollande et à renforcer le rôle du ministère de la Défense.

Vous portez un regard critique sur cette réintégration…

Je ne dis pas qu’il faille sortir de l’Otan, mais fallait-il accepter les programmes de défense antimissiles, qui ont provoqué une inutile et coûteuse course aux armements et suscité des tensions avec la Russie ? Celles-ci influent aujourd’hui négativement sur les discussions qu’il faudrait avoir à propos de la Syrie, par exemple.

Impossible de sortir de la crise syrienne sans dialoguer avec les Russes ?

Il aurait fallu les inclure, dès le départ, dans le traitement du dossier. On sait qu’ils s’étaient sentis floués par les opérations franco-britanniques en Libye. Le renversement de Mouammar Kadhafi s’était vite substitué à l’objectif initial, qui était de protéger Benghazi, ce qui a beaucoup énervé les Russes et nous a privés de partenaires quand la Syrie a basculé dans la guerre.

D’autre part, beaucoup de gens ont cru, en France notamment, que Bachar al-Assad allait être rapidement très affaibli – ce qui ne s’est pas produit. Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est bien sûr ce bombardement américain contre une base aérienne syrienne, probablement décidé à des fins médiatiques et de politique intérieure. Il ne fait que resserrer les liens entre Damas et Moscou et éloigne toute perspective de règlement politique.

La France doit-elle reconnaître les crimes commis pendant la guerre d’Algérie ?

Il est temps de refermer les vieilles blessures. Plutôt que de s’égarer dans des déclarations unilatérales et souvent intempestives, mieux vaudrait engager un travail conjoint des historiens des deux pays. La France l’a fait avec l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, ce qui a eu des conséquences jusque sur les programmes scolaires.

La Turquie a-t-elle sa place en Europe ?

Plus aujourd’hui. Le problème, ce n’est pas la Turquie elle-même, encore moins, bien sûr, le fait qu’elle soit un pays musulman, ce sont les orientations prises par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. Elles sont en effet très loin de satisfaire aux conditions d’adhésion à l’UE définies par les fameux « critères de Copenhague », qu’il s’agisse de l’indépendance de la justice ou de son adéquation à la législation européenne.

Comprenez-vous les critiques suscitées en Afrique par la Cour pénale internationale (CPI) ?

La CPI est un progrès, mais je comprends ceux qui s’en méfient. Elle leur apparaît comme un outil « à géométrie variable », qui ne punit que les faibles. Il faut avoir le courage de demander que les ressortissants de grandes nations soient déférés devant elle – je pense par exemple à George W. Bush –, faute de quoi sa légitimité continuera d’être contestée.

Entretien réalisé par Julien Crétois pour Jeune Afrique

Retour du Maroc dans l’Union africaine : quelles conséquences pour les équilibres régionaux ?

Thu, 04/05/2017 - 12:04

Mohamed Tajeddine Houssaini est avocat et professeur de droit international à l’Université Mohammed V de Rabat. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation à la conférence “Le retour du Maroc au sein de l’Union africaine – quelles conséquences pour les équilibres régionaux” organisée par l’IRIS le 26 avril 2017.

– En quoi le retour du Maroc au sein de l’Union africaine consacre-t-il son déploiement sur le continent ?
– Comment expliquer que la République sahraouie soit reconnue par l’UA et non par la communauté internationale ?
– La ré-intégration du Maroc dans l’UA peut-elle accentuer les tensions avec l’Algérie ?

« La Corée du Nord » – 3 questions à Juliette Morillot et Dorian Malovic

Thu, 04/05/2017 - 11:43

Juliette Morillot, coréanologue, spécialiste de la péninsule, a été professeur à l’université nationale de Séoul et directrice de séminaire sur les relations intercoréennes à l’École de guerre de Paris. Dorian Malovic, spécialiste de la Chine, est chef du service Asie au quotidien La Croix. Ils répondent à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « La Corée du Nord [en 100 questions] », aux éditions Tallandier.

La Corée du Nord est-elle un pays autosuffisant ?

L’autosuffisance économique est l’un des trois piliers de l’idéologie nord-coréenne, le juche car la Corée ne veut dépendre de personne, ni diplomatiquement, ni sur le plan de la défense, ni d’un point de vue économique. Aujourd’hui le principal partenaire commercial du pays demeure la Chine, qui a pris une place primordiale au lendemain de la grande famine des années 1990. Mais, paradoxalement, cette grande famine a transformé l’économie : face à l’effondrement du système de distribution publique à la suite de la chute du bloc de l’Est, les Nord-Coréens ont dû se débrouiller seuls pour alimenter leur famille et les femmes, notamment, sont allées en Chine chercher de la nourriture et des vêtements. Sur le tas, elles ont appris à négocier, marchander.

De ces premiers « marchands » est née une classe nouvelle que l’on appelle les « donju », les maîtres de l’argent qui aujourd’hui forment une sorte de « middle class ». Aisés, ils voyagent, font du commerce et ont transformé le visage de la Corée du Nord. Avec eux est née un embryon d’économie de marché qui a transformé le pays. Ainsi à Pyongyang, l’idée de travailler plus pour gagner plus fait son chemin. Si tout appartient à l’État, les gens ont plus d’autonomie : on peut ouvrir un restaurant, marchander au marché ses produits, embaucher un cuisinier et travailler plus tard en soirée pour gagner plus d’argent. Si le pays n’est pas auto-suffisant, l’économie s’est améliorée. Ce que j’ai pu constater lors de mon dernier séjour à Pyongyang, en novembre dernier, c’est que, contrairement à mes séjours précédents où la plupart des produits étaient importés de Chine ou d’Asie du Sud-est, tout ou presque étaient désormais fabriqués en Corée : des yaourts liquides aux sacs à dos des écoliers et aux chaussures de sport, des rames de métro aux bus, sans oublier les tracteurs, les voitures (peu nombreuses encore, certes !), les lampadaires à énergie solaire. Même les panneaux solaires, omniprésents sur tous les balcons et toits, commencent à être fabriqués sur place. Aujourd’hui l’agriculture s’est rétablie, les paysans au niveau local ont plus d’autonomie et le pays produit de plus en plus…

Les sanctions contre la Corée du Nord sont-elles efficaces ?

Non, absolument pas. Les six résolutions de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) votées depuis 2006 en faveur de sanctions ont peut-être ralenti les programmes nucléaire et balistique de la Corée du Nord mais ne les ont pas bloqués. Nous en voulons pour preuve que la Corée du Nord est aujourd’hui de facto une puissance nucléaire et que la politique de Donald Trump, militaire ou diplomatique, ne l’empêchera pas de procéder à un sixième essai nucléaire quand elle le jugera opportun. Même si – comme cela semble être le cas aujourd’hui – Trump pousse à accentuer les sanctions après des gesticulations militaires très dangereuses, elles seront toujours aussi difficiles à appliquer : l’ONU n’a pas les moyens de les contrôler, de nombreuses nations ne les respectent pas (commerce indirect à travers la Chine) et la Corée du Nord a toujours réussi à les contourner grâce à un vaste réseau de complicités dans le monde (Macao, Hong Kong, Singapour, Malaisie ou Cambodge…) ou en Afrique.

Même la Corée du Sud envoie des aides indirectes ou directes à Pyongyang. Jusqu’en 2016 Séoul finançait la Zone économique de Kaesong basée au Nord en payant des ouvriers nord-coréens à fabriquer des produits réexportés vers le Sud. Après plus de dix ans de sanction, un régime capable de survivre à une famine qui a tué un million de personnes (1995) ne va pas s’effondrer à la suite de ces sanctions très ciblées. Il faut préciser que les élites – hauts-dignitaires, savants, diplomates et l’armée – représentent une part importante de la population, laquelle sera impactée. Mais c’est bien la société civile et ses éléments les plus vulnérables qui seront touchés de plein fouet. La résilience extrême de la Corée du Nord vient d’une réalité simple : elle a si peu qu’elle n’a rien à perdre et elle s’est adaptée pour supporter les privations au point que le régime exploite ces votes de l’ONU pour cimenter toujours plus le peuple contre les « agresseurs extérieurs ». En réalité, ces sanctions sont inefficaces car personne ne souhaite vraiment qu’elles le soient.

Y-a-t-il un espoir de démocratisation ou d’ouverture de la Corée du Nord ?

Lorsque Kim Jong-un a succédé à son père, Kim Jong-il, mort en décembre 2011, certains observateurs ont imaginé que les quelques années passées en Suisse durant l’adolescence du jeune leader lui aurait donné le goût de la liberté et de la démocratie pour son pays ! Rien n‘est plus faux lorsqu’on connaît les ressorts du système politique nord-coréen fondé par le grand-père, Kim Il-sung. Parti unique, contrôle des médias et des masses sont les piliers du système autoritaire nord-coréen qui n’a rien à voir avec les anciens pays de l’Est ou de l’ex-URSS qui, en dépit du « rideau de fer », avaient des relations et des contacts avec le monde extérieur. En Corée du Nord n’existe pas de dissidence politique au sens où nous l’entendons en Occident. La population nord-coréenne dans son ensemble est restée confinée sur son territoire sans ouverture sur le monde pendant des décennies, à l’exception de ses élites et ses diplomates dont la survie est fondée sur la fidélité totale au Parti des travailleurs et au leader. Sans repères extérieurs, il lui est impossible de « comparer » ou d’évaluer le système dans lequel elle vit.

Pour autant la grande famine meurtrière de 1995 a permis, de façon étonnante, une ouverture sur la grande voisine chinoise pour y trouver à manger, des médicaments et des vêtements. Pyongyang a dû tolérer ces mouvements de population informels entre une Chine prospère et une Corée du Nord affamée. Mais cette liberté de mouvement et cette soif de découvrir n’est pas motivée par des oppositions idéologiques et politiques : nécessité fait loi, la faim, les maladies et les manques de biens manufacturés ont finalement créé un commerce « capitalistique », des échanges, une circulation monétaire et des contacts téléphoniques qui ont assoupli un vieux système centralisé et planifié pendant des décennies. Le premier « quinquennat » de Kim Jong-un indique clairement que des réformes économiques sont aujourd’hui en marche, à l’image de celle de la Chine dans les années 1980 mais que le système politique, tout comme en Chine, se maintiendra tel qu’il fonctionne depuis toujours sous sa direction.

Le Hamas prêt à reconnaître Israël : une nouvelle donne ?

Wed, 03/05/2017 - 17:39

Le Hamas a déclaré pouvoir reconnaître Israël dans les frontières de 1967. S’il avait, dans le passé, déjà tenu des propos allant dans ce sens, ces derniers n’avaient jamais été inscrits au sein d’un document écrit. Or, aujourd’hui, le Hamas compte modifier sa charte.

Ce tournant est quasiment aussi important que celui opéré par Yasser Arafat, en 1989 à Paris, lorsqu’il avait déclaré caduque la charte de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et affirmé que cette dernière était prête à reconnaître l’État d’Israël. Le Hamas rejoint donc l’OLP, les deux organisations étant pour la solution « des deux États ». Cette dernière consiste en la création d’un État palestinien, dans les frontières de 1967, la reconnaissance d’Israël et le partage de Jérusalem, capitale des deux États.

Comment interpréter ce virage stratégique du Hamas ? Peut-être, le souci de sortir d’un isolement, qui n’est cependant pas total. En effet, la Russie, la Chine et des pays émergents comme le Brésil et l’Afrique du Sud entretiennent des contacts avec le Hamas. Seuls les pays occidentaux et Israël considèrent le Hamas comme une organisation terroriste. Ainsi, pour le Hamas, cette reconnaissance indirecte d’Israël est un moyen d’ouvrir le dialogue avec les pays occidentaux, afin de sortir de son isolement relatif.

Cette déclaration du Hamas est aussi le résultat de la compétition inter-palestinienne actuelle. Élu pour 5 ans en 2006, Mahmoud Abbas n’a pas obtenu de renouvellement de son mandat depuis lors. Il est contesté, la voie qu’il avait appelée à prendre n’ayant pas été suivie d’effets ; il n’a pas non plus été en mesure d’améliorer la vie quotidienne des Palestiniens ni même de leur ouvrir la moindre perspective politique.

Par ailleurs, en prenant ses distances avec les Frères musulmans, le Hamas peut éventuellement espérer que l’Égypte mette fin, ou allège, le blocus israélo-égyptien à Gaza. Or, si Le Caire levait ce blocus, ce dernier prendrait fin. Ainsi, le Hamas espère peut-être entamer le dialogue avec le général Sissi afin de normaliser leurs relations.

Comment va réagir la communauté internationale ? Les Occidentaux vont-ils saisir la balle au bond ? Surtout, Israël va-t-il accepter d’entrer directement en contact avec le Hamas ? Dans le passé, il y a déjà eu des contacts indirects et secrets entre Israël et le Hamas, par exemple pour la libération de Gilad Shalit. Aujourd’hui, on peut craindre que le gouvernement israélien refuse d’entrer en négociation, affirmant que ce changement d’attitude du Hamas n’a pour but que de masquer des intentions guerrières par un discours pacifique. En réalité, Benjamin Netanyahou a peu envie de parler avec le Hamas, le parti des colons et l’extrême droite israélienne – importante dans la coalition -, encore moins.

Les pays occidentaux pourraient-ils se saisir du changement stratégique du Hamas pour négocier, avant que surgissent des positions plus radicales ? En 2002, les États arabes avaient déjà proposé, avec le plan Abdallah, la reconnaissance d’Israël en échange de celle de la Palestine. Mais Israël n’avait pas répondu à cette demande, affirmant qu’elle n’était pas assez complète. Aucune négociation directe n’avait eu lieu. Aujourd’hui, on peut craindre de nouveau que ce changement – pourtant important – n’ait aucune suite et que, malheureusement, les États occidentaux ne fassent pas pression sur le gouvernement israélien, pour au moins tenter de débloquer les négociations.

Il y a pourtant un espace à prendre car le gouvernement israélien n’a pas les mêmes exigences avec tous ses partenaires : il n’exige pas de la Chine, de la Russie, du Brésil ou de l’Afrique du Sud de rompre tout contact avec le Hamas ; il ne le demande qu’aux pays de l’Union européenne. Ces derniers pourraient donc très bien affirmer que, comme les pays émergents, ils souhaitent entretenir de bonnes relations avec Israël tout en ayant des contacts avec le Hamas qui a modifié sa charte. Récemment, le ministre allemand des Affaires étrangères a vu son rendez-vous avec Benyamin Netanyahou être annulé car il avait eu l’audace de rendre visite à des organisations pacifistes israéliennes. Cette réaction semble démesurée :  ces organisations pacifiques montrent un autre visage d’Israël en ne soutenant pas la guerre et prouvent la diversité de l’opinion, malgré le glissement à droite des dernières années. Les États européens vont-ils décider de se faire respecter davantage et arrêter de se laisser dicter leur conduite par le gouvernement israélien ?

Reste l’inconnue Trump. Le président états-unien avait fait, dès sa campagne, de fortes déclarations en faveur d’Israël, plus prononcées que son prédécesseur. Barack Obama ne s’était certes pas montré très chaleureux envers Netanyahou mais il a tout de même augmenté d’un milliard de dollars par an l’aide militaire accordée à Israël. Difficile dans ces conditions de le déclarer hostile à Israël… Donald Trump se montre cependant encore plus chaleureux puisqu’il a déclaré qu’il allait transférer l’ambassade états-unienne de Tel-Aviv à Jérusalem. On lui a toutefois fait remarquer que ce problème n’était pas uniquement israélo-palestinien mais qu’il concernait l’ensemble du monde arabe et musulman. Trump est donc revenu sur sa décision. L’égo démesuré du président américain va-t-il lui permettre de réussir là où ses prédécesseurs – de Carter à Clinton en passant par Obama, Reagan et Bush – ont échoué ? Selon ses propres dires, Donald Trump est meilleur négociateur. Il n’est certes pas interdit de penser qu’il tentera une telle négociation mais il se heurtera, lui aussi, au refus du gouvernement israélien.

« Daech : l’arme de la communication dévoilée » – 3 questions à François-Bernard Huyghe

Wed, 26/04/2017 - 16:03

François-Bernard Huyghe, docteur d’État en sciences politiques, est directeur de recherche à l’IRIS et enseignant au CELSA Paris IV Sorbonne. Spécialiste de l’influence stratégique et médiologue, il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Daech : l’arme de la communication dévoilée », aux éditions VA Press.

Comment expliquer l’attractivité d’un discours califal, à rebours de celui – hédoniste et apaisant – diffusé par nos sociétés ?

Le « grand récit » de Daech, le cœur de son idéologie, repose sur une promesse spirituelle – le salut éternel par l’obéissance et le sacrifice -, sur un projet géopolitique illimité – s’emparer de la Terre entière pour la soumettre à la loi divine à partir du califat – et sur un mécanisme victimaire – les « vrais » musulmans sont persécutés depuis le VIIe siècle (y compris par les chiites, par les sunnites non djihadistes ou non soumis au calife), il faut les venger -.

Cette trilogie – mourir pour son âme, conquérir pour sa loi, punir pour sa communauté – implique un système de valeur et même un mode de raisonnement (tout étant contenu dans le Coran et dans les hadiths, la réponse à toute question doit être trouvée par la « méthodologie prophétique » et l’interprétation littérale) ; le tout s’oppose point par point à notre système mental. Comme un logiciel qui affecterait d’un signe inverse ce que nous estimons positif – la démocratie, l’autonomie des individus, le plaisir, la tolérance, l’innovation, la paix – et vice-versa pour la soumission, la conquête, la punition de toute déviance, le sacrifice, etc. Et comme les djihadistes sont, de surcroît, persuadés de l’imminence de la bataille finale, qu’ils vont l’emporter juste avant la fin des temps et qu’eux, ou leurs enfants, vivront dans le monde parfait défini selon leurs critères, la promesse est également garantie par l’Histoire.

Vous décrivez Daech comme une « scission ultra » d’Al-Qaida. Pourquoi ?

C’est vrai si l’on retrace la genèse de l’organisation. Sommairement, face à l’invasion américaine, Al-Zarqaoui fonde en 2004 Al-Qaïda en Irak, qui privilégie déjà les attentats-suicides et s’en prend aux chiites ; il fusionne en 2006 avec d’autres groupes dans l’État islamique d’Irak. À la suite de complications, le groupe devient, sous Abou Bakr al Baghdadi, en 2013, un État Islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui prétend donc soumettre Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda. D’où ce conflit sanglant entre les deux organisations.

Pressé de trancher et d’apaiser la guerre interne, Al-Zahouari, successeur de Ben Laden, ne peut imposer ni accord des parties, ni obéissance des « durs » : la scission est consommée en 2014, et l’EIIL, qui, comme son nom l’indique, veut établir immédiatement un État islamique en Irak et en Syrie, devient le califat, proclamé en juin 2014.

Face à Al-Qaïda, canal historique, cette tendance s’est démarquée, outre le déni évident d’autorité et de légitimité, par la volonté d’établir immédiatement une puissance théologico-politique. Elle prend la succession du prophète et a vocation à commander à tous les musulmans sincères en attendant la conversion du reste de la Terre.

Ceci implique aussi que la stratégie initiale d’Al-Qaïda, qui consistait notamment à combattre l’ennemi « lointain » occidental pour déstabiliser l’ennemi « proche », les régimes arabes, soit fausse. Idem pour toute priorité mise entre les adversaires ou les fronts, toute trêve ou alliance. Le califat veut une sorte de guerre universelle contre tous ses ennemis à la fois ; il pousse à l’extrême le principe que qui n’est pas avec lui est contre lui et le « tout, tout de suite ».

En prétendant à la fois établir un système territorialisé mais aussi prolonger la guerre par un terrorisme mondial (« guerre du pauvre »), en voulant accélérer l’Histoire et en condamnant ceux qui ne font pas immédiatement allégeance à Al-Baghdadi, Daech, impatient et maximaliste, déborde Al-Qaïda, stratégiquement et idéologiquement.

Comment expliquer le manque d’efficacité des stratégies occidentales de contre-propagande ?

Il reflète d’abord une incompréhension de fond. On ignore le logiciel adverse évoqué plus haut, en traitant le djihadiste ou le radicalisé, qui sont des convertis, comme des “paumés » relevant d’un traitement psychologique ou comme des cas sociaux, sans même s’intéresser au contenu de la croyance ni à ses justifications. Nous imaginons parfois des victimes de la propagande en ligne qu’il faut ramener à la complexité du réel. Les campagnes pour « révéler » au malheureux les mensonges qu’il a subis (« tu risques de mourir là-bas » alors qu’il part en quête du martyr) ou à démonter les manipulations de propagande califale (« ils t’endoctrinent ») échouent. L’État qui subventionne ces opérations avec des méthodes inspirées de la désintoxication des alcooliques signifie au djihadiste qu’il est un abruti à normaliser.

Plus habiles sont les méthodes acceptant le point de vue religieux ; elles sont destinées à montrer que le djihad n’est pas licite, que le califat est une déviation et qu’il s’y pratique un mauvais islam. Mais encore faudrait-il que les djihadistes n’aient pas été mis en garde contre les « hypocrites », les imams qui tenteraient ainsi de les raisonner et seraient de mauvais bergers et que le contre-discours n’apparaisse pas estampillé par le gouvernement : à leurs yeux nous sommes les agresseurs, ne l’oublions pas.

Enfin on peut agir sur les vecteurs de la communication djihadiste. Soit par censure, soit plus habilement en amenant les moteurs de recherche à renvoyer les demandes susceptibles, au vu de leurs mots-clefs, de concerner le djihad vers des « bons » sites militants contre la radicalisation et le discours de haine. Mais il n’est pas très difficile de trouver du contenu djihadiste sur les réseaux sociaux.

Il serait sans doute plus efficace de produire de la fausse propagande djihadiste, de créer des divisions, de faire du piratage informatique, voire d’utiliser l’arme de l’intoxication ou de l’ironie… mais ce sont des méthodes difficiles à recommander à des bureaucraties d’État.

Crise au Venezuela : quel avenir pour le chavisme ?

Tue, 25/04/2017 - 11:02

Depuis début avril, des manifestations contre le pouvoir se succèdent au Venezuela. Alors qu’elles ont déjà été marquées par plusieurs morts, une marche pacifique a été organisée dimanche. Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

Comment expliquer que l’opposition au président Nicolás Maduro ait autant grandi ? Cette crise politique est-elle uniquement due à la situation économique dégradée du pays ?

Depuis l’arrivé au pouvoir d’Hugo Chávez le 1er janvier 1999, il y a toujours eu au Venezuela un refus frontal de la part de l’opposition d’accepter l’alternance. Il faut se rappeler qu’il y a eu une tentative de coup d’État armé en 2002. Cette opposition politique, qui représente environ 40% des électeurs, est restée mobilisée de 1999 à aujourd’hui. Mais aux élections parlementaires de décembre 2015, l’opposition a dépassé le seuil des 40% et obtenu 70% des suffrages. La crise est passée par là.

Depuis quatre ans, une crise économique grave touche le pays. Les Vénézuéliens peinent à s’alimenter et à se soigner à cause d’importantes pénuries. Les manifestations de ces dernières semaines étaient certes politiques mais il y a eu aussi des pillages de magasins – huit personnes sont notamment mortes électrocutées en forçant les portes d’une boulangerie. On peut donc parler, à côté des cortèges politiques, d’émeutes de la faim. Ainsi, une partie des opposants au pouvoir sont des personnes qui auparavant soutenaient Maduro. Aujourd’hui en grande difficulté, elles se sont éloignées du gouvernement. Ces anciens soutiens du président – sans rompre ouvertement – parfois ne vont plus voter, ce qui confère un poids relatif plus important à l’opposition. Cette dernière est donc composée, d’une part, d’un socle politique datant de 1999, auquel sont venus s’ajouter, d’autre part, les déçus et les victimes des pénuries.

Dans un tel contexte de division, comment la situation peut-elle se débloquer ? Peut-on envisager que Nicolás Maduro ne parvienne pas au bout de son mandat, qui court normalement jusqu’en 2019 ?

Il semble peu vraisemblable que Nicolás Maduro ne termine pas son mandat, dans la mesure où il s’appuie un élément de force important, l’armée. En 2002, une partie des forces armées avait pris part au coup d’État. Hugo Chávez avait procédé à une épuration des forces armées et les avait aussi étroitement associées à la gestion du pouvoir. Aujourd’hui, au sein du gouvernement Maduro, plusieurs ministres sont des militaires. Ces derniers sont également présents dans l’appareil administratif de l’État, ainsi que dans la gestion de l’économie d’entreprises publiques. Il y a donc une coresponsabilité de l’armée dans le gouvernement du pays. Bien dotée en matériel et cogérant les affaires nationales, l’armée reste relativement préservée en cette période de pénurie et fidèle au président.

Le président Maduro a donc les moyens de tenir bon pour les prochains dix-huit mois. Cela dit, l’opposition reste mobilisée, bien qu’étant divisée en deux franges. Une partie souhaite en effet arriver au pouvoir par la voie constitutionnelle. Elle est donc prête à respecter les délais électoraux, en demandant toutefois au gouvernement de jouer le jeu. Une autre partie de l’opposition, très radicale, pense que le président ne va pas respecter ses engagements. Elle estime donc nécessaire de le faire tomber, comme cela avait été tenté il y a deux ans lorsque de graves affrontements avaient fait une quarantaine de morts.

Toutefois, des éléments non violents existent dans l’opposition et dans le camp du gouvernement. Les approches différentes de Primero Justicia et Voluntad Popular reflètent ces divergences au sein de l’opposition. La procureure générale de l’État vénézuélien – Luisa Ortega Díaz, pourtant nommée par Hugo Chavez -, a appelé au respect du droit de manifester inscrit dans la Constitution. Il y a quelques semaines, elle avait sanctionné la tentative de mainmise du Tribunal supérieur de l’État sur le pouvoir législatif, mesure annulée quelques jours plus tard à la demande du président. Un membre de la Commission nationale électorale – nommé par les autorités exécutives – a lancé un appel au respect du calendrier et à la tenue des élections régionales du 16 décembre 2016, qui n’avaient pas pu avoir lieu à cause d’obstacles administratifs. Nicolás Maduro a entendu la critique et signalé que cette consultation pourrait être assez vite organisée.

Par ailleurs, la pression extérieure pousse à un compromis, souhaité par les voisins du Venezuela. Ces derniers sont effectivement de plus en plus préoccupés par l’instabilité du pays, comme le montre la déclaration des 11 chefs d’États d’Amérique latine la semaine dernière. Cette déclaration a été très mal reçue par le président Maduro. Mais on ne peut pas imaginer que le Venezuela, vivant de ressources pétrolières exportées, puisse se replier sur lui-même – comme l’Albanie d’il y a 50 ans. Le pays est dépendant de l’international. Il critique les pressions extérieures, attribuées aux États-Unis, mais Nicolás Maduro est obligé d’en tenir compte. En particulier, des efforts de médiation sont proposés par l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) et le Vatican. Le pape doit visiter la Colombie en septembre, ce qui pourrait relancer une médiation vaticane. Le ministre des Affaires étrangères du pape François, ancien nonce apostolique à Caracas, entretient de très bonnes relations avec le pays. Le président vénézuélien a d’ailleurs relancé la possibilité de médiation le 23 avril.

Ces éléments permettent donc de penser qu’un compromis permettrait de parvenir aux prochaines élections présidentielles. Élections qui seront vraisemblablement perdues par le pouvoir, ce qui laissera beaucoup de marge de négociations.

Cette crise est-elle révélatrice de l’échec et de la fin du chavisme dans le pays ?

Il est difficile de parler de la fin du chavisme, étant donné que toutes les politiques sociales datant de l’époque d’Hugo Chávez ont bénéficié à des millions de vénézuéliens, qui lui sont donc reconnaissants. Ils le sont beaucoup moins en revanche envers le gouvernement de Nicolás Maduro, auquel on fait porter le chapeau des difficultés actuelles.

Cependant, si le gouvernement n’est plus en mesure de financer ces politiques sociales, il en subira un contre coup politique et électoral. Avec cette contestation, c’est in fine la viabilité du modèle chaviste « socialiste-extractiviste », c’est-à-dire reposant sur les revenus tirés des matières premières, qui est posée. En effet, ce modèle étant nécessairement victime des aléas des cours du pétrole, il ne peut être ni stable, ni pérenne.

« Pour quelques étoiles de plus » – 3 questions à Jean-Dominique Giuliani

Tue, 25/04/2017 - 10:50

Jean-Dominique Giuliani préside la Fondation Robert Schuman, centre de recherche de référence sur l’Union européenne et ses politiques. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage : « Pour quelques étoiles de plus…Quelle politique européenne pour la France ? », aux éditions Lignes de repères.

Vous estimez que la voix de la France en Europe est éteinte. Qu’est-ce qui vous amène à cette conclusion ?

Depuis la création de l’euro, à l’exception de Nicolas Sarkozy pendant la crise financière, la France n’a fait aucune proposition concrète pour améliorer le fonctionnement des institutions européennes. Initiatrice de l’Union européenne (UE), elle est attendue pour ses propositions, ses idées, ses concepts. C’est l’un de ses rôles. Elle s’est pourtant contentée de commenter en permanence les défauts de l’euro, de l’Europe et de réagir dans l’urgence plutôt que d’agir dans la durée. Elle a participé au désamour des citoyens envers la construction européenne au lieu de pousser cette dernière à endosser une vraie vision stratégique. C’est particulièrement flagrant s’agissant de la relation franco-allemande, politisée à tort, alors qu’il s’agit d’une relation bilatérale indispensable. Entre ces deux États, les visions sont souvent différentes. Les partager, les échanger, chercher des compromis, demeurent les moteurs d’un rebond de l’Europe.

Nos dirigeants au plus haut niveau n’ont jamais porté en interne les débats européens. Avez-vous déjà lu dans un compte-rendu du Conseil des ministres, une ligne expliquant comment une décision nationale s’inscrit dans le cadre européen ou contre une décision prise en commun à Bruxelles ? Peu de parlementaires s’en soucient, se contentant de slogans tout faits. Même les succès européens, en matière d’environnement, de concurrence (Apple, Google) sont systématiquement passés sous silence.

Cette attitude d’indifférence, de timidité et de distanciation a gravement porté atteinte à nos intérêts nationaux qui ne sont jamais mieux défendus qu’en partenariat avec nos alliés les plus proches.

Vous proposez la création auprès du Premier ministre d’un vice-premier ministre en charge des Questions européennes. Pouvez-vous développer ?

La politique européenne ne relève plus de la pratique diplomatique traditionnelle. Elle concerne la plupart du temps la politique intérieure. Les ministères, le Premier ministre, doivent la prendre en compte en permanence, sans l’expliquer, sans l’assumer et parfois dans le désordre interministériel. Nombreux sont nos experts des ministères qui siègent dans des comités à Bruxelles. Leur coordination est assurée par le Secrétariat général aux Affaires européennes.

Je propose qu’un vice-Premier ministre soit placé auprès du Premier ministre, partage avec lui les mêmes collaborateurs et regroupe sous son autorité, même à titre temporaire, tous les services qui concourent à la politique européenne de la France, y compris nos ambassadeurs dans les États membres, pour ce qui la concerne. Il procèdera, au nom du gouvernement, aux arbitrages nécessaires, aura pour tâche de rendre compte au Parlement et de l’associer en amont des décisions ; il sera le porte-parole du gouvernement pour les questions européennes qui doivent plus largement être débattues en transparence avec les Français. Notre pays est en retard sur ses partenaires en matière de démocratisation de la politique européenne. Elle concerne désormais presque toutes les missions gouvernementales et touchent désormais des prérogatives régaliennes de l’Etat. On ne peut pas continuer à passer des accords avec nos partenaires sans débats préalables, sans présenter aux citoyens les alternatives à trancher, sans expliquer des choix qui engagent pour longtemps la politique intérieure.

Vous appartenez à la famille centriste généralement atlantiste. Pourtant, vous semblez développer une vision gaullo-mitterrandienne des relations entre l’Europe et les États-Unis…

Il est peut-être temps de sortir de ces clichés ! La campagne électorale pour l’élection présidentielle française a montré combien ils étaient dépassés. Il en est de même pour l’UE. Au stade de l’intégration qu’elle a atteint et compte-tenu des défis nouveaux qu’elle doit relever, elle ne peut plus se permettre, au moins pour un temps, de débats stériles entre l’intergouvernemental et le communautaire. De toute façon l’un conduit à l’autre si l’on obtient des résultats efficaces. Pour la sécurité, la défense, l’immigration et la politique monétaire, une Europe indépendante peut se construire par la volonté et l’exemple de quelques États membres.

En matière de politique étrangère, l’indépendance de l’Europe est aujourd’hui une nécessité. Or, une expression diplomatique forte doit être crédibilisée par une capacité militaire certaine. Plutôt que de poursuivre sur la voie d’une « défense européenne » improbable et incertaine, je propose de se concentrer d’abord sur la défense de l’Europe. Cela passe par d’importants efforts budgétaires mais aussi par une coopération à quelques-uns, par exemple par un traité de défense entre la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ouvert aux autres, il doit permettre, chacun avec ses contraintes et ses spécificités, de démontrer que nous sommes capables d’organiser une défense crédible du continent, tout en restant dans l’OTAN, alliance nécessaire.

Cette avancée permettrait des développements diplomatiques et politiques que l’Union ne peut pas initier dans ces domaines régaliens.

Emmanuel Macron : quelle orientation stratégique pour la France ?

Mon, 24/04/2017 - 19:10

Emmanuel Macron sera probablement élu président de la République le 7 mai prochain. Les mesures qu’il prendra en termes de politique étrangère demeurent, elles, relativement floues.

L’ampleur de la victoire du candidat du mouvement « En Marche ! », si on ne la connaît pas encore, devrait tout de même être nette, dans la mesure où Marine Le Pen ne semble pas disposer de beaucoup de réserves de voix. Ceux qui s’étaient inquiétés d’une possible victoire de la candidate du Front national (FN), en se fondant sur les votes de protestation aux États-Unis (Trump) ou au Royaume-Uni (Brexit), oublient que le système électoral français est à deux tours. Ainsi, Marine Le Pen est empêchée de gagner une élection de ce type en l’état actuel.

Concernant la politique étrangère, l’ampleur du score aura une importance certaine : plus haut sera le score de Marine Le Pen, plus le crédit de la France s’en trouvera affecté à l’extérieur. Le fait même qu’elle soit présente au second tour peut déjà constituer un choc, même si ce dernier était largement anticipé.

Marine Le Pen se réclame  – de manière exagérée et mensongère  – parfois du général de Gaulle. Le fait de vouloir entretenir des relations avec la Russie ne suffit guère à qualifier une politique de gaulliste : tout dépend s’il s’agit d’une relation saine et équilibrée ou d’une relation de dépendance (y compris financière à l’égard de Moscou, cf. le prêt bancaire de Marine Le Pen). Concernant les États-Unis, la candidate FN affirme paradoxalement vouloir en être indépendante tout en souhaitant un ralliement à Trump. Imagine-t-on le Général de Gaulle attendre dans une cafétéria dans l’espoir d’un rendez-vous ? C’est donc à tort que Marine Le Pen se réclame d’une diplomatie gaullienne, aussi bien par rapport aux États-Unis que par rapport à la Russie ; sans parler du rapport aux pays émergents et à l’islam : de Gaulle avait, lui, fait de la réconciliation avec les pays arabes un objectif prioritaire par la fin de la guerre d’Algérie.

Emmanuel Macron s’est, quant à lui, réclamé du gaullo-mitterrandisme au cours de la campagne. Il n’a cependant pas été plus explicite sur les implications d’un tel positionnement. Le candidat du mouvement « En marche ! » s’était notamment distingué de Manuel Valls à propos de la déchéance de nationalité, ce qui lui avait valu des soutiens initiaux forts. En outre, Emmanuel Macron a soigneusement évité de parler de « troisième guerre mondiale », d’islamo-fascisme et de choc des civilisations, sources de clivage, termes que Marine Le Pen et d’autres candidats n’hésitent pas à employer.

Concernant la politique étrangère de Macron, on constate que la composition de ses conseillers est très hétérogène : ni gauche, ni droite ; des néo-conservateurs comme des gaullo-mitterrandistes. Les nominations aux postes diplomatiques clefs, notamment au Quai d’Orsay et à la Défense, seront essentielles dans l’appréciation de sa politique étrangère. Quant à l’OTAN, la position de Macron reste relativement classique : il demande une défense européenne mais ne remet pas en cause la réintégration de la France dans l’organisation transatlantique. Ici encore, il faudra voir au pied du mur quel type de maçon sera le candidat en termes d’affaires extérieures.

Vis-à-vis de la Russie, Emmanuel Macron a pris des distances avec Vladimir Poutine, se démarquant ainsi de ses concurrents – Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et François Fillon – qui réclamaient un rééquilibrage des relations avec Moscou. Cependant, lorsque Macron sera à l’Élysée, il se rendra vite compte que la Russie est un partenaire important dont il ne faut pas s’éloigner trop fortement. Dans le passé, Nicolas Sarkozy, qui avait déclaré qu’il ne serrerait pas la main de Vladimir Poutine, a finalement eu une politique très coopérative avec Moscou ; au point de vouloir lui vendre des Mistral – ce qui n’a pas abouti à cause de l’affaire ukrainienne. Par ailleurs, Emmanuel Macron a appelé à la levée des sanctions contre la Russie, à condition que les accords de Minsk soient respectés. On peut penser qu’une fois président, Emmanuel Macron oubliera le soutien fort de Moscou envers Marine Le Pen, afin de mener la politique nécessaire aux intérêts de la France à l’égard de la Russie.

À propos du conflit israélo-palestinien, Emmanuel Macron semble ne pas vouloir prendre de positions qui pourraient lui attirer l’hostilité des institutions juives françaises. Il est effectivement resté plus que prudent et a même condamné les campagnes de boycott, tout en déclarant qu’il ne reconnaîtrait pas unilatéralement l’État palestinien. Emmanuel Macron se place en réalité dans les pas de François Hollande, qui avait promis durant sa campagne de reconnaître la Palestine pour finalement y renoncer, essentiellement pour des motifs de politique intérieure. On verra donc si Macron reprendra cette ligne ou bien s’il renouera avec la tradition française, consistant à être au premier rang parmi les pays occidentaux dans la défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ainsi que de s’afficher comme le pays occidental le plus proche de la cause palestinienne.

Pour résumer, le candidat Emmanuel Macron a essayé d’attirer le maximum d’électeurs possible et de ne braquer personne, en étant pour cela relativement flou sur certains points qui pouvaient être jugés trop clivants en politique étrangère. Désormais, les prudences qui l’accompagnaient comme candidat ne sont plus de mises : en tant que président, il devra trancher, assumer et montrer quelle politique étrangère il souhaite mettre en œuvre. Et s’il confirme sa volonté de s’inspirer d’une filiation gaullo-mitterrandiste, il faudra qu’il n’hésite pas à être tranchant et aller contre les vents dominants à l’extérieur et les groupes de pression à l’intérieur, afin de mettre en place une politique qui ne prenne en compte que l’intérêt national.

Macron/Le Pen : quelle orientation stratégique pour la France ?

Mon, 24/04/2017 - 18:21

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Attentat sur les Champs-Elysées : quel impact sur les élections présidentielles ?

Fri, 21/04/2017 - 18:15

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

Coopération internationale, aide humanitaire et présidentielles : que peut-on attendre des principaux candidats ?

Fri, 21/04/2017 - 17:57

La victoire de Donald Trump aux élections présidentielles étasuniennes de 2016 semble avoir pris de court une partie des observateurs internationaux. Loin d’honorer une partie substantielle de ses promesses de campagne, le nouveau président étasunien inscrit au contraire ses décisions les plus récentes dans une certaine continuité : en rétablissant la règle du « bâillon mondial », Donald Trump « interdit l’attribution de fonds fédéraux américains aux organisations non gouvernementales travaillant à l’étranger qui proposent des conseils ou un aiguillage en matière d’avortement, militent en faveur de la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse ou développent les services d’avortement disponibles » ([1]). Il s’inscrit ainsi dans la plus pure tradition républicaine des présidents Ronald Reagan, George Bush et George W. Bush. Cependant, l’offensive en règle de Donald Trump contre la participation nationale aux financements des institutions internationales ([2]), ainsi que sa volonté affichée de réduire les budgets de l’Agence fédérale de l’environnement et du Département d’État ([3]) représentent une variation affirmée du thème de l’America First. Le 45e président américain devient ainsi le représentant le plus médiatisé du retour des nationalismes financiers, héraut de la priorité nationale et porte-étendard du patriotisme économique. Au Royaume-Uni, des signaux similaires ont été émis récemment, notamment à travers la nomination de Priti Patel à la tête du Departement for International Development ; connue entre autres pour ses positions très critiques à l’égard du monde de l’aide et de la coopération ([4]). S’agit-il pour autant d’une exception anglo-saxonne ou d’une tendance lourde et globale qui pourrait s’exporter vers la France à l’occasion des échéances électorales à venir ?

Quatrième nation à financer le budget ordinaire des Nations unies, la France est une puissance diplomatique représentée au sein de la majorité des pays du monde. Elle entretient avec un certain nombre de pays Ouest et Centre africains des relations particulières fondées, entre autres, sur d’ambitieux programmes de coopération militaire et économique. La France défend par ailleurs depuis plusieurs décennies l’idée selon laquelle l’aide au développement peut à la fois servir les intérêts nationaux tout en pérennisant les situations socio-économiques des pays les moins avancés (PMA), en développement ou fragiles. Cette situation lui octroie des devoirs particuliers : parmi les 50 pays officiellement considérés comme PMA, 34 sont africains ([5]) et majoritairement situés dans ce qui constituait autrefois l’empire colonial français ; ils entretiennent par conséquent des relations spéciales avec l’ancienne métropole. Toutefois, et alors que les contre-performances économiques se généralisent, la scène politique française voit s’affirmer des personnalités prônant elles aussi le retour à la priorité nationale : principalement incarné par le Front national (FN) de Marine le Pen et, dans une moindre mesure, par Les Républicains de François Fillon, ce repli sur soi présente à l’évidence des conséquences directes pour la coopération internationale et l’aide humanitaire.

Certes, la France n’est déjà pas la puissance la plus généreuse ou dépensière : alors que l’Organisation des Nations unies recommande de consacrer 0,7% de son Revenu national brut (RNB) à l’Aide publique au développement (APD), seuls le Royaume-Uni, le Danemark, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède respectent ces engagements ; la France n’y consacrant en 2014 que 0,36% de son propre RNB. Même l’Union européenne, en cumulant ses contributions nationales et institutionnelles, ne consacre que 0,47% de son RNB à l’APD, ce qui suffit pourtant à en faire le premier bailleur de fonds du monde. En cause : « la crise économique et les contraintes budgétaires strictes imposées dans la plupart des États », qui auraient « empêché l’UE d’atteindre cet objectif ambitieux en 2015. » ([6]) Conséquence directe : on attend à l’international que la France fasse non-seulement plus, mais mieux.

La perspective d’une réflexion sur les politiques françaises de coopération internationale ou d’aides publiques au développement ressuscite évidemment des débats partisans ; ce sujet commun pouvant être saisi et interprété différemment selon l’identité politique ou idéologique des candidats concernés. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon (France insoumise) ou encore Benoît Hamon (Parti socialiste) accordent une importance particulière aux deux thèmes cités supra. C’est aussi le cas d’Emmanuel Macron (En marche !), qui y intègre la problématique de la rationalité économique ; mais également de François Fillon (Les Républicains) et de Marine Le Pen (Front national). Ces derniers insistent tout deux sur les relations d’interdépendance entre ces sujets et la question du rayonnement de la France, ainsi que de la défense des intérêts nationaux. Ces particularités politiques trouvent un écho certain dans les annonces et mesures des candidats, qui, non contents d’y accorder une importance directement liée à leur positionnement politique et à l’environnement international, trouvent là un terrain de plus où décliner leurs orientations.

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Emmanuel Macron – CONTINUITÉ

Le programme du candidat Emmanuel Macron ne présente pas stricto sensu de partie consacrée à l’aide humanitaire ou à la coopération internationale. Cette analyse se fonde donc sur le chapitre III du programme officiel d’En Marche ! ([7]) et sur la fiche « International » du site du mouvement ([8]), qui annoncent plusieurs axes majeurs : l’invention d’un « nouveau modèle de croissance » ; la promotion du multilatéralisme ; et la préservation de l’environnement. Ces trois priorités transparaissent en effet à plusieurs reprises, puisqu’Emmanuel Macron, à travers ces documents, affirme que : « nous diviserons par deux le nombre de jours de pollution atmosphérique » ; « nous lancerons un grand plan d’investissement de cinquante milliards d’euros » ; ou encore que « nous affirmerons de façon crédible comme nos partenaires européens l’adjectif d’une aide publique à hauteur de 0,7% de la production nationale. » À l’origine de ces positionnements fermes ? La conviction que « notre environnement se dégrade, le dérèglement climatique nous affecte tous, la biodiversité s’érode et les ressources naturelles s’épuisent. » Par ailleurs, les documents mis à disposition sur le site d’Emmanuel Macron révèlent la volonté de ce candidat d’impliquer au-delà des partenaires européens en s’adressant à « la Chine, l’Inde, l’Afrique », ou même aux « sociétés civiles ». On retrouve donc dans le programme d’En marche ! un réel volontarisme, malheureusement contrebalancé par l’absence de mesures concrètes. Emmanuel Macron peut-il à la fois rationaliser les dépenses publiques tout en renforçant la capacité de notre appareil diplomatique à promouvoir des impératifs environnementaux à l’échelle internationale ? Le candidat d’En marche ! pourrait y parvenir en « resserrant » la politique française d’aide au développement sur quelques sujets principaux, nommément « l’éducation, la santé, la promotion des femmes et le développement durable ». Cela semble inscrire sa ligne dans une certaine continuité vis-à-vis de l’actuelle orientation française. Il est cependant important de noter que les ambitions d’Emmanuel Macron pourraient se heurter à la réalité parlementaire : à l’heure actuelle, il est en effet bien loin d’être en mesure de réunir une majorité sous sa seule bannière.

Marine Le Pen – RUPTURE

Sans surprise, les propositions du Front national dans les domaines de la coopération internationale et de l’aide au développement s’inscrivent dans une orientation politique nationaliste. La priorité est accordée à une meilleure gestion des flux migratoires, à travers les propositions 24 et 25 du programme ([9]) de Marine Le Pen. En annonçant sa volonté de « rétablir les frontières nationales et sortir de l’espace Schengen […] Reconstituer les effectifs supprimés dans les douanes par le recrutement de 6 000 agents durant le quinquennat », ainsi que de « rendre impossible la régularisation ou la naturalisation des étrangers en situation illégale. Simplifier et automatiser leur expulsion », le FN annonce, sur le court et le moyen-terme, une mise sous tension des espaces de réception et de départ des flux migratoires ; et, a minima, une dégradation des conditions dans lesquelles évoluent les populations concernées. Nommément, cela signifierait une détérioration immédiate des situations en Afrique du Nord et au Levant -principalement au Liban et en Libye – où les flux migratoires, non contents d’ajouter à l’instabilité locale, entraînent une déstabilisation importante des environnements socio-économiques. Au-delà de ces dispositions prévisibles, le programme de Marine Le Pen insiste aussi sur la nécessité de promouvoir la francophonie (cf. proposition 123) et de « mettre en œuvre une véritable politique de co-développement avec les pays d’Afrique fondée prioritairement sur l’aide au développement de l’école primaire, l’aide à l’amélioration des systèmes agricoles et l’aide au renforcement des outils de Défense et de sécurité ». Stricto sensu, cela annonce le retour de l’État comme acteur dominant ces questions. Dans l’ensemble, ces propositions, comme celles de François Fillon, semblent représenter une synthèse entre la priorité nationale telle que Donald Trump l’utilise aux États-Unis et une récupération des thèses gaullistes pour lesquelles l’aide au développement devait constituer un outil d’influence à ne pas négliger.

François Fillon – RATIONALITÉ

Le projet de François Fillon n’aborde que rarement les questions de coopération internationale. Fidèle aux restes de ses orientations politiques et économiques, il prévoit de promouvoir la rationalité en faisant valoir les actuelles faiblesses de l’économie française en réaffirmant une forme de priorité nationale qui ne dit pas son nom. Deux phrases, tirées de la fiche « Politique étrangère » ([10]) du programme de François Fillon, résume bien ces orientations : « l’aide au développement doit redevenir un axe majeur de la politique étrangère française » ; et « je conditionnerai en particulier l’aide au développement à la coopération des pays d’origine de l’immigration. » Plutôt générales, ces indications peuvent tout à la fois laisser prévoir (a) un renforcement de l’APD en faveur des États nord-africains et méditerranéens (b) le conditionnement de l’aide accordée à la France à l’existence démontrée d’intérêts nationaux (c) une baisse des aides en faveur d’un recentrage national des politiques publiques et (d) un retour en force de l’acteur étatique plutôt qu’un renforcement de la coopération avec la société civile, les organisations non-gouvernementales et même les partenaires étrangers. Il s’agit là d’orientations réclamées par une certaine partie de la société, qui représentent une convergence de vue entre des éléments propres au Front national – priorité accordée aux problèmes nationaux au détriment de problématiques transnationales et étrangères – mais qui peuvent aussi séduire les Gaullistes. Pour ces derniers, l’aide au développement peut et doit servir l’intérêt national en étant utilisée comme un outil de rayonnement et d’influence.

Jean-Luc Mélenchon – REFONDATION

Les dispositions du candidat de la France insoumise sont à retrouver dans trois livrets disponibles sur le site du mouvement : Passer à la Francophonie politique ([11]) Respecter les migrants – Régler les causes de migrations ([12]) et une France indépendante au service de la paix ([13]). Ils annoncent trois axes principaux : la valorisation des pays francophones ; la promotion d’aides alternatives ; et l’inscription de ces dispositions dans une politique étrangère globale. Outre la volonté de « renforcer le réseau des instituts et alliances français dans les pays non-francophones et planifier des échanges d’étudiants et de lycéens », ces livrets proposent d’« agir en amont des migrations » – thème largement développé lors du discours de Marseille du 9 avril 2017 – ; mais aussi de « mieux concevoir l’aide au développement » et de « mener une politique de co-développement ». Cette dernière serait fondée, on l’imagine, sur une promotion du bilatéralisme entre la France et ses partenaires. Plus concrètement, cela reposerait selon le programme de la France insoumise à consacrer 0,7% du RNB à l’APD – proposition que formule aussi Emmanuel Macron – ; mais aussi de promouvoir une politique de dons et d’assistances techniques plutôt que de prêts – dont les intérêts sont jugés néfastes aux économies des pays les moins développés ou en développement. Du point de vue juridique, Jean-Luc Mélenchon propose aussi de s’appuyer sur la résolution 68/304 de l’Assemblée générale des Nations unies qui proposait, en septembre 2014, de fournir à la communauté internationale un « cadre juridique multilatéral applicable aux opérations de restructuration de la dette souveraine » ([14]). Elle soulignait aussi combien il était important « d’apporter rapidement une solution efficace, globale et durable aux problèmes d’endettement des pays en développement, afin de favoriser dans ces pays une croissance économique et un développement qui profitent à tous. » Le projet de Jean-Luc Mélenchon repose donc en partie sur de précédents engagements formulés par la France mais aussi sur la promotion de nouvelles méthodes, jugées plus conformes à l’intérêt général et aux valeurs de la France insoumise.

Benoit Hamon – RENFORCEMENT

Le projet du candidat du Parti socialiste s’inscrit dans une certaine continuité avec le quinquennat du président Hollande. On retrouve dans les sections « Transition écologique » ([15]) et « International » ([16]) plusieurs propositions, malheureusement non-chiffrées, élaborant trois thèmes déjà présents chez Emmanuel Macron : renforcement du multilatéralisme, promotion d’un nouveau modèle économique, défense de l’environnement. Trois propositions reprennent ces thématiques : (1) « Pour allier développement et sécurité, droits humains et nouvelles règles commerciales, la France nouera ou consolidera des partenariats féconds avec les États amènes. Je préserverai les politiques internationales qui s’inscrivent dans notre vision du monde, juste et humaniste » ; (2) « Pour développer la coopération militaire et diplomatique, je ferai en sorte que notre action militaire et nos sanctions soient largement appuyées par les partenaires européens et régionaux concernés. » et (3) « Parce que notre vision du monde ne s’arrête pas aux seuls États, j’associerai les acteurs de la société civile, notamment les organisations non gouvernementales (ONG), à la construction de notre politique étrangère ». Ces mesures, qui annoncent une revalorisation des échanges avec des acteurs infra-étatiques, pourraient à terme conduire à une meilleure prise en compte des attentes des acteurs locaux et, par conséquent, à l’obtention de meilleurs résultats. Ce projet souffre malheureusement des mêmes défauts que celui d’Emmanuel Macron : il manque de mesures concrètes. En effet, Benoit Hamon ne propose que deux actions majeures : « La France prendra une initiative internationale et proposera la création d’un office mondial des biens communs chargé de leur définir un statut juridique international : l’air, les eaux, l’espace et la biodiversité ». Cela pourrait offrir de nouveaux outils, notamment légaux, aux travailleurs humanitaires et aux organisations internationales.

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Il est regrettable qu’au sein d’une campagne marquée notamment par l’évocation fréquente des conséquences des flux migratoires et de la crise des réfugiés, la question de l’Aide au développement n’ait été que si peu médiatisée. Si la solidarité internationale et l’entraide entre États et acteurs internationaux ne constituent pas les seuls déterminants de ces deux sujets, ils contribuent significativement à la stabilisation – si ce n’est à l’amélioration – de réalités socioéconomiques encourageant ou non les mouvements de population cités supra. Or, que des personnalités politiques adeptes d’un repli sur soi accèdent au pouvoir se traduirait très concrètement par la réévaluation et la baisse des contributions françaises à la solidarité internationale. Cette orientation, justifiée elle-même par la priorité nationale ou encore la rationalité économique, ne respectera pourtant jamais ses promesses : une remise en question unilatérale de la participation nationale, loin de servir les intérêts français – qu’ils soient économiques ou politiques – entraîneraient ipso facto une fragilisation des situations. Les conséquences pourraient être désastreuses, à la fois ici et ailleurs : en rappelant dans son billet « Using the Future to Humanity’s Advantage » ([17]) qu’un seul dollar investi en amont d’une crise permet d’en économiser sept en assistance humanitaire ([18]), Michel Maietta remet en question cette conception étriquée de la solidarité internationale. En effet, il montre que même du point de vue financier, présenté comme étant par essence plus réaliste, la logique austéritaire ou nationaliste ne tient pas. Elle conduit non-seulement à des dépenses supérieures mais encore à des situations humainement plus dramatiques, qui conduisent à leur tour à une aggravation des tensions. De manière très concrète, cela pourrait entraîner une mise en tension encore supérieure des espaces frontaliers européens, conséquence indiscutable d’une approche restrictive de l’aide au développement. Il reste donc à espérer que les responsables de demain feront en sorte d’enrayer le cercle vicieux décrit plus tôt, en préférant à ces tentations nationalistes le recours au multilatéralisme qui structure la politique étrangère française depuis 1945. Ainsi, en favorisant l’activité d’autres États que les seules puissances dominantes que sont les États-Unis ou la Chine, la France pourrait faire admettre – entre autres – la nécessité de reconsidérer certaines modalités d’action humanitaire ou solidaire pour permettre plus de cohérence et d’efficacité dans la lutte contre la pauvreté à l’échelle mondiale.

[1] Erika Guevara-Rosas : Le bâillon mondial de Trump : une catastrophe pour les droits des femmes, Amnesty International

[2] Philippe Gélie : « Trump envisage de réduire la participation des États-Unis aux organisations internationales », Le Figaro

[3] Paul Laubacher : « Ce que contient le très inquiétant programme de Donald Trump », Le Nouvel Obs

[4] Jessica Elgot : “Critic of UK aid spending target to be Priti Patel’s new special adviser, The Guardian

[5] UN Committee for Development Policy: List of Least Developed Countries, Development Policy and Analysis Division Department of Economic and Social Affairs

[6] Commission européenne, « L’aide publique au développement de l’UE par rapport au revenu national brut n’a jamais été aussi élevée »

[7] Programme d’Emmanuel Macron disponible ici : https://storage.googleapis.com/en-marche-fr/COMMUNICATION/Programme-Emmanuel-Macron.pdf

[8] Site officiel d’En marche !Fiche « International »

[9] Site officiel de Marine Le Pen – « Projet »

[10] Site officiel de François FillonFiche « Politique étrangère de la France »

[11] Site officiel de Jean-Luc MélenchonLivret  Passer à la Francophonie Politique 

[12] Site officiel de Jean-Luc MélenchonLivret  Respecter les Migrants – Régler les Causes de Migrations 

[13] Site officiel de Jean-Luc MélenchonLivret Une France Indépendante au Service de la Paix 

[14] Assemblée générale des Nations unies, Résolution 68/304 – Établissement d’un cadre juridique multilatéral applicable aux opérations de restructuration de la dette souveraine – disponible ici : http://unctad.org/meetings/fr/SessionalDocuments/ares68d304_fr.pdf

[15] Programme officiel de Benoit HamonFiche « Transition Ecologique »

[16] Programme officiel de Benoit HamonFiche « International »

[17] Using the Future to Humanity’s Advantage, Michel Maietta, 18/04/2017

[18] United Nations Development Program, #ActNow – Save Later

Famine en Afrique de l’Est : comment sortir de cette crise humanitaire ?

Fri, 21/04/2017 - 16:16

La semaine dernière, l’ONU a mis en garde contre le risque d’un nombre de morts massifs provoqués par la famine qui sévit en Afrique de l’Est. Le point de vue de Serge Michailof, ancien directeur opérationnel de la Banque mondiale et directeur exécutif à l’AFD, chercheur associé à l’IRIS.

Quelle combinaison de facteurs explique qu’une telle situation de crise sévisse dans ces pays ?

Ces régions présentent tout d’abord des éléments de fragilité intrinsèques, parmi lesquels : une pluviométrie erratique ; des sols fragilisés par la surexploitation liée à l’accroissement de densité humaine ; des processus de désertification anciens, liés à la réduction de la pluviométrie moyenne sur longue période ; le réchauffement climatique déjà très sensible qui provoque des pertes de rendements céréaliers ; la destruction du couvert végétal par les troupeaux et par la fabrication de charbon de bois ; enfin, un abandon de tout appui à l’agriculture par les pouvoirs publics. En effet, les pistes ne sont pas entretenues, les intrants classiques sont hors de prix et non disponibles, tandis que la recherche agronomique est à l’abandon, de même que les systèmes de vulgarisation. À ce tableau consternant s’ajoute une succession de sécheresses qui ont provoqué une paupérisation généralisée, entraînant un déstockage des animaux pour survivre, une consommation des semences, etc.

Cependant, le vrai responsable de cette situation est l’état de guerre quasi-permanente qui dure depuis des années, parfois des décennies. Ainsi, on voit bien que les régions les plus touchées par la famine sont celles qui sont ravagées par la guerre ou l’insécurité : le Nord-Est du Nigéria, où sévissent encore les bandes de Boko Haram ; le Sud Soudan, pays failli dès sa création ; et la Somalie en guerre civile depuis des décennies. L’insécurité généralisée a disloqué les circuits économiques – en particulier les circuits vivriers -, les marchés pillés sont abandonnés, tandis que les villages sont soumis au racket et parfois même incendiés. Les populations se réfugient donc dans les centres urbains, où elles ne sont parfois même pas à l’abri.

Les conflits internes, le mélange de jacqueries du désespoir et de djihadisme mafieux : voilà donc les premiers responsables. Tout en sachant qu’il s’agit là du produit naturel de tous les handicaps précédemment cités, qui n’ont jamais été gérés correctement.

Pourquoi la communauté internationale et l’aide humanitaire ne parviennent-elles pas toujours au secours de la population ?

La plupart de ces régions sont devenues des zones de non-droit qui sont sorties du contrôle des États : il n’y a plus de gendarmerie, ni d’administration territoriale, tandis que l’essentiel de l’administration a fui. Ces zones sont ainsi tombées sous la coupe de petits seigneurs de guerre et l’aide humanitaire (on ne peut pas parler d’aide au développement dans ces conditions) est devenue un enjeu de pouvoir. En effet, les chefs de guerre cherchent à en prendre le contrôle afin de la revendre avec profit, ou au minimum pour encaisser un pourcentage en permettant sa distribution. Cette aide renforce ainsi leur pouvoir de contrôle des populations. Les convois humanitaires ne se pliant pas à leur pouvoir et refusant d’obéir à cette règle – officiellement non reconnue par les organisations caritatives -, sont pillés ; tandis que les accompagnateurs sont parfois kidnappés ou massacrés.

On critique beaucoup l’aide humanitaire mais il faut aussi s’imaginer au volant de camions hors d’âge sur des pistes abominables, où à chaque check point on risque de se faire abattre par des gamins drogués équipés de Kalachnikov plus grandes qu’eux…

Quelles seraient les solutions pour que ces États défaillants puissent se reconstruire sur le long-terme ?

Il faudrait soit pouvoir tout reconstruire, comme au Nord-Est du Nigéria ; soit construire ex nihilo des États viables, ce qui suppose que l’on puisse restaurer progressivement la paix civile. Au Nord-Est du Nigéria, il s’agit essentiellement d’un problème de volonté politique : il faudrait relancer l’économie rurale, mettre en œuvre des programmes ambitieux de développement rural et restaurer un appareil étatique qui ne soit plus perçu comme prédateur et répressif.

Au Sud Soudan, la situation est beaucoup plus difficile du fait de la profondeur dramatique des conflits politiques et ethniques. Or, on voit mal une force extérieure comme les Nations unies intervenir pour remettre un minimum d’ordre. Des sanctions internationales contre les principaux responsables par le gel de leurs avoirs extérieurs pourraient aider quelque peu.

Cependant, il faut se rendre compte que certaines situations sont tout simplement ingérables. C’est la raison pour laquelle il faut militer pour que les pays du Sahel francophone de l’Ouest Africain ne soient pas condamnés à une telle évolution. Pourtant, à l’image du Mali, ils en prennent la voie. L’aide internationale, et en premier lieu l’aide française, sont aux abonnés absents dans cette région, alors qu’elles portent une responsabilité particulière pour éviter que le modèle somalien ne se répète dans ces pays familiers à la France.

Brexit : Provoquer des élections anticipées présente des risques sur le plan intérieur

Thu, 20/04/2017 - 18:03

« En cas de succès, ces élections anticipées donneraient à Theresa May plus de légitimité populaire pour négocier, plus de marge de manœuvre tactique dans la négociation avec l’UE et plus de temps et de chance de se faire réélire.

Pour rappel, la première ministre n’a pas été élue, elle a été choisie en 2016 par le parti conservateur, au terme d’un processus de sélection relativement anarchique, dans lequel elle a été perçue comme la candidate la plus stable et la plus sûre.

Elle n’était pas favorable au Brexit. Elle était en soutien de la campagne du « remain » et a dû faire preuve du zèle de la convertie. Actuellement, elle est dans une situation où elle dispose d’une majorité peu confortable – seulement 17 sièges –, même si l’opposition est faible. Elle doit par ailleurs se forger un mandat populaire pour mener à bien ses réformes au niveau intérieur, et sa négociation avec l’union européenne, d’où ces élections anticipées.

À l’inverse, si elle n’avait pas avancé le calendrier et alors qu’il y a de plus en plus de membres de son parti qui ne sont pas défavorables à la sortie du Royaume-Uni de l’UE en 2019 sans accord, tel un partenaire lambda, les conséquences seraient considérables pour la Grande Bretagne. Les élections ne devant avoir lieu qu’en 2020, cela ne lui laisserait que peu de temps pour montrer les effets positifs du Brexit, et donc se faire réélire.

Des élections anticipées au 8 juin 2017, lui laissent plus de marge politique pour se faire réélire en 2022. D’autant que l’UE va renouveler ses équipes au conseil et à la commission européenne en 2019. Il est donc possible que la bataille pour prendre la tête du conseil et de la commission se passe en même temps que le Brexit, ce qui peut affecter les négociations du côté de l’UE.

En termes arithmétiques, elle devrait gagner assez largement ces élections, d’autant qu’elle a une cote de popularité importante. Mais le risque existe que ces élections anticipées redonnent du souffle au camp anti Brexit qui peut se remobiliser avec le soutien des jeunes et des Écossais. Si le parti national écossais (SNP) garde tous ses sièges en Écosse, il aura une légitimité populaire pour appeler à un deuxième référendum pour l’indépendance.

Provoquer des élections anticipées paraît logique et rationnel, mais cela présente des risques sur le plan intérieur. C’est donc aussi un coup de poker. Le problème est que depuis le référendum sur le Brexit, on a l’impression de naviguer à vue, et que ces coups de poker peuvent avoir des conséquences historiques, pas seulement pour l’avenir du Royaume-Uni, mais aussi pour l’Union européenne. »

Propos recueillis par Agnès Rotivel

« L’impasse national-libérale » – 4 questions à Jean-François Bayart

Fri, 14/04/2017 - 17:45

Spécialiste de sociologie historique et comparée du politique, Jean-François Bayart est professeur à l’IHEID de Genève, où il est titulaire de la chaire Yves Oltramare « Religion et politique dans le monde contemporain ». Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « L’impasse national-libérale : globalisation et repli identitaire », aux éditions La Découverte, qui fait suite à « Les Fondamentalistes de l’identité. Laïcisme versus djihadisme », aux éditions Karthala.

On entend souvent que l’État est mis en cause par la mondialisation. Pourtant, vous considérez que cette dernière configure l’État plutôt qu’elle ne le sape. Pouvez-vous développer ?

Depuis le début du XIXe siècle, la globalisation se présente non sous la forme d’un jeu à somme nulle entre la mondialisation des marchés et la souveraineté de l’État mais comme une triangulation entre trois processus synergiques : l’intégration d’un certain nombre de marchés (ou de « paysages », pour reprendre le terme d’Arjun Appadurai), comme celui des capitaux, celui, dans une moindre mesure, des biens, ou encore celui de la foi, avec l’évangélisation de l’Afrique au XIXe siècle ou, aujourd’hui, la vague pentecôtiste ; l’universalisation de l’État-nation ; et la généralisation des consciences particularistes, des identitarismes, comme l’ethnicité en Afrique, le communalisme en Inde, le confessionnalisme au Liban, ou encore les problématiques populistes de l’autochtonie un peu partout dans le monde.

1848 correspond à la concomitance du Printemps des Peuples, du libre-échange et de la sensibilité romantique qui exalte la culture populaire. 1991 équivaut à l’expansion du capitalisme à l’espace soviétique et yougoslave, la mise en place d’un système régional d’États-nations et l’exaltation de définitions ethno-confessionnelles de la citoyenneté. Par ailleurs, dans le monde occidental, la libéralisation économique, depuis 1980, est allée de pair avec le renforcement des capacités répressives de l’État, dont les entreprises privées – les compagnies aériennes, les banques – sont devenues les instruments. L’État n’est pas la victime de la globalisation : il en est le rejeton. Et l’identitarisme n’est pas une réaction à la globalisation : il en est une fonction, une expression idéologique majeure. La globalisation est une machine à trois pistons.

Pourquoi pensez-vous, contrairement à ce que l’on entend également souvent, que le conflit israélo-palestinien demeure central ?

En soi, il aurait dû rester périphérique. Mais le traumatisme de la Shoah, la guerre froide et l’enjeu pétrolier l’ont placé au cœur du système international. Les puissances occidentales sont progressivement devenues les otages de la diplomatie israélienne qui, elle-même, n’a cessé de se durcir, en partie parce qu’elle bénéficiait de cette rente d’impunité. Par ailleurs, les économies occidentales ont longtemps été dépendantes du pétrole arabe. La France, par exemple, en demeure tributaire pour la survie de son industrie de l’armement. Cet effet de ciseaux a contraint les politiques étrangères des États-Unis et de l’Europe, dans les termes imposés par Israël, et a garanti la perpétuation de régimes autoritaires ou autocratiques en porte-à-faux avec les transformations des sociétés. La guerre civile syrienne, le djihadisme, l’incapacité des chancelleries à réinsérer l’Iran dans le concert des nations sont les conséquences de ces contradictions.

En revanche, le conflit israélo-palestinien n’est pas compris dans sa centralité paradigmatique : il n’est que l’avatar d’une rétraction identitaire qui marque le passage d’un monde d’empires – en l’occurrence l’Empire ottoman – à un monde d’États-nations qui définissent la citoyenneté sur un mode ethno-confessionnel et dont la purification ethnique est l’ingénierie de base. De ce point de vue, le conflit israélo-palestinien est de la même encre, ou plutôt du même sang, que la guerre civile irakienne ou syrienne et les guerres de Yougoslavie des années 1990. Nous ne sommes pas sortis du basculement d’un monde d’empires à un monde d’États-nations, qui s’amorce dans la seconde moitié du XIXe siècle et dont le Traité de Versailles, avec sa reconnaissance du droit des nationalités, a été le point d’orgue catastrophique.

En quoi les Occidentaux ont-ils manqué le rendez-vous avec l’Iran et la Turquie ?

Face à la Turquie, l’Europe s’est perdue dans des considérations oiseuses sur son appartenance au Vieux Continent ou sur le coût de son adhésion, sans se poser la question des avantages de cette dernière et surtout sur le coût de sa non adhésion. Le résultat est là. L’Europe s’est privée de toute influence sur Ankara, bâton ou carotte, et doit maintenant composer avec l’hybris d’Erdogan qui pratique le chantage à l’immigration et aux réfugiés, la menace de lui « faire payer » (sic) ses mauvaises manières, envisage de se doter d’un système de défense anti-aérienne russe et lorgne du côté de l’Organisation de coopération économique. On ne peut plus exclure le départ de la Turquie de l’OTAN. En tout cas, sa stratégie est désormais celle du free rider.

De même, la confrontation avec l’Iran a été stérile, en poussant ce pays vers les entreprises asiatiques et en privant les chancelleries occidentales d’un levier précieux dans la crise syrienne. L’Europe a réussi le tour de force de s’aliéner les deux seuls pôles de stabilité étatique en Asie antérieure.

Vous décrivez les djihadistes et laïcistes comme des ennemis complémentaires. Qu’entendez-vous par là ?

Laïcisme versus djihadisme ne signifie pas « égal », en bon français. Il ne s’agit pas de les mettre sur le même plan – bien que nous ayons tendance à occulter les pertes humaines qu’engendrent les politiques étrangères et les interventions militaires occidentales au Moyen-Orient – mais de rappeler que ces deux fondamentalismes identitaires procèdent par invention de la tradition. Ils participent de la même matrice historique qui se met en place au XIXe siècle – cette triangulation que je qualifie de national-libérale – et deviennent en effet des « ennemis complémentaires » qui se nourrissent l’un et l’autre, par un effet d’homologie antagonique. Les salafistes s’imaginent la Médine de leurs rêves identitaires de born again de l’islam. Les laïcistes fantasment une IIIe République qui n’existent que dans leur esprit et transforment l’idée laïque de la Séparation, celle de la loi de 1905, en nouvelle religion nationale, la laïcité, avec son credo et son orthopraxie : le burkini tu ne porteras pas, du porc tu mangeras, de l’alcool tu boiras. Rappelons que la IIIe République ne reconnaissait pas aux femmes les droits civiques que les religionnaires de la laïcité opposent à l’islam…

Candidature commune des États-Unis, du Canada et du Mexique pour le mondial de football 2026 : un tournant dans la gouvernance du sport ?

Fri, 14/04/2017 - 15:59

Les États-Unis, le Canada et le Mexique ont récemment annoncé leur candidature commune pour l’organisation de la Coupe du monde de football 2026, une première pour cet évènement. Le point de vue de Carole Gomez.

Organiser une coupe du monde dans plusieurs pays, s’agit-il d’une “révolution” dans le monde du football ? Cela ne rend-il pas la campagne de candidature inégale par rapport aux autres pays potentiellement en lice ?

Si l’on a déjà assisté à des doubles candidatures pour un mondial de football, notamment celle organisée conjointement par la Corée du Sud et par le Japon en 2002, une triple campagne commune est un évènement inédit, s’il se concrétise. Toutefois, cela ne constitue pas pour autant une véritable surprise, compte tenu des déclarations début 2017 du président de la FIFA, Gianni Infantino, qui considérait que l’accueil d’une Coupe du monde par deux, trois ou même quatre pays différents était tout à fait envisageable, voire même encouragé. Cette tendance se combine ainsi avec une autre « révolution », puisque la Coupe du monde 2026 sera également la première édition qui opposera 48 équipes, au lieu de 32 actuellement.

La désignation officielle du ou des pays hôtes n’interviendra qu’en mai 2020. Pour l’heure, nous ne sommes donc qu’au début de la phase de candidatures, où seuls quelques pays ont commencé à évoquer cette question : l’Australie et la Nouvelle Zélande, le Maroc, l’Angleterre, la Colombie ou encore le Kazakhstan. Face à cette triple candidature de poids et à la règle implicite de rotation des continents, le sort semblerait en être jeté.

Pourtant, à peine trois jours après l’annonce officielle de cette triple candidature, un certain nombre de contestations ont fait jour, notamment de la part du Mexique qui s’estime lésé face aux États-Unis. Il conteste notamment la place mineure dans ce trio qui lui serait accordée : 10 matchs seulement (sur 80) seraient organisés au Mexique et aucun match n’aurait lieu au sud du Rio Grande à partir des quarts de finale, les États-Unis se taillant la part du lion pour l’organisation de cette compétition. Nombre de commentateurs au Mexique considèrent donc que le pays devrait se détourner de ce mauvais « deal », et devrait même accueillir seul cette compétition (ce qu’il a, par ailleurs, déjà fait à deux reprises, en 1970 et 1986).
En conséquence, face à cette dissension interne précoce, les autres candidats ont peut-être quand même leur carte à jouer.

Aux vues des différents politiques assez importants entre ces trois pays depuis l’élection de Donald Trump, comment expliquer la décision d’une candidature commune ?

Plusieurs raisons peuvent ici être avancées. Au nom de la règle de la rotation des continents, la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (CONCACAF) qui n’a pas organisé de compétition depuis l’édition 1994 aux États-Unis semblait être toute désignée, notamment compte tenu des déclarations de la FIFA en 2016 considérant que l’Europe et l’Asie n’obtiendraient pas l’organisation de la compétition. Restent donc la confédération d’Océanie, qui n’a pour l’instant jamais accueilli cet évènement, et la confédération africaine, dont la Coupe du monde en Afrique du Sud en 2010 laisse le souvenir d’éléphants blancs.
D’autre part, il y avait une volonté forte des États-Unis, du Canada et du Mexique de se positionner sur cette question. Plutôt que de se concurrencer, et donc de s’éliminer, l’idée de collaboration a progressivement émergé. La volonté d’afficher une union des forces et d’apparaître comme un ensemble relativement homogène s’est ainsi imposée.

De plus, d’un point de vue tactique, cette candidature s’inscrit aussi dans la logique de maitrise des coûts défendue par les grandes organisations internationales sportives, comme la FIFA et le Comité olympique international (CIO). Encouragée explicitement par G. Infantino, une candidature tripartite a le mérite, dans ce cas précis, de déjà disposer des infrastructures existantes, de réseaux de transports déjà organisés, ainsi qu’une coordination et communication entre les différentes villes hôtes.

Enfin, cette candidature commune permet aussi d’envoyer un message fort : quels que soient les différends et oppositions que ces pays peuvent avoir sur le plan politique, notamment avec l’arrivée de Donald Trump, cela ne les empêche pas de travailler ensemble au nom du sport.

Peut-on envisager que ce type de candidature commune – entre plusieurs pays ou villes – soit appliquée à d’autres grands évènements sportifs ?

L’Agenda 2020, feuille de route du CIO publié en décembre 2014, allait déjà dans ce sens. Il préconisait des recommandations pour renouveler l’olympisme, faisant notamment suite aux Jeux de Sotchi qui avaient laissé l’image d’une gabegie et d’une dérive de l’institution olympique. Cet Agenda 2020 a donc mis l’accent sur de grands principes, notamment l’héritage, la durabilité, l’éthique et la modération des coûts, en axant par exemple les infrastructures sur le renouvelable, le démontable ou bien le temporaire. En effet, les éléphants blancs ruinent les pays organisateurs et donnent une image déplorable, marquée par des villages olympiques fantômes et des sites qui tombent en ruine dès la fin des JO, par manque d’entretien et de pratique. Cela était déjà pointé du doigt à Sarajevo, à Athènes et récemment à Rio.

Cet Agenda 2020 proposait également la co-organisation d’un certain nombre d’évènements, à la fois au sein de plusieurs villes d’un même pays ou bien dans des villes de pays voisins. Cela s’inscrit encore dans la logique d’éviter de construire des infrastructures qui ne pourraient pas être ensuite pérennisées par la ville ou la région. En effet, aujourd’hui, certaines infrastructures sportives construites à l’occasion de grands évènements ne sont pas réutilisées à leur plein potentiel car elles ne sont pas adaptées à la pratique régulière des clubs ou des simples usagers.

Le système de candidature commune est donc une solution envisageable. Il faut cependant être prudent car même si cette réponse semble aller dans le bon sens – ne faisant pas reposer sur une seule ville le poids total d’une organisation aussi importante -, elle peut aussi avoir des effets négatifs, en particulier en matière de sur-construction par rapport aux besoins d’une ville ou d’une région. En effet, diverses simulations n’ont pas prouvé qu’une candidature commune réduise de façon substantielle les dépenses générales. Ainsi, si les installations sportives développées dans le cadre d’une candidature plurielle sont certes moins coûteuses par ville hôte, les dépenses en transports et hôtellerie risquent, elles, d’être au total doublées. Autrement dit, si la candidature commune est mal étudiée, elle peut aboutir à programmer à une petite échelle des « mini JO » ou un « mini mondial », ce qui viderait de sa substance l’objectif même de la réforme qui mise sur la complémentarité. Le sport est donc à un tournant de sa gouvernance, qu’il doit correctement négocier s’il veut assurer son avenir.

Birmanie, Thaïlande, Sri Lanka : la réconciliation nationale en échec ?

Fri, 14/04/2017 - 10:00

Comment réconcilier une société en constante déchirure depuis des décennies ? La Birmanie, la Thaïlande et le Sri Lanka ont en commun d’avoir un gouvernement actuel chargé, ou auto-proclamé porteur de cette mission de réconciliation nationale. Mais d’Aung San Suu Kyi à Rangoun à la junte militaire de Bangkok, en passant par la fragile démocratie de Colombo, l’entreprise est souvent entravée, sinon réduite à une coquille vide.

En bonne comptable des évolutions politiques de son temps, la communauté internationale revient en avril vers la Birmanie post-junte d’Aung San Suu Kyi, pour dresser l’état des lieux de sa première année au pouvoir*. Par nature peu portée sur la patience et le fond des choses, l’opinion publique extérieure en profite pour laisser poindre quelques critiques et déceptions à l’endroit de l’ancienne opposante et prix Nobel de la paix, aujourd’hui Conseillère d’État et ministre des Affaires étrangères, Première ministre de facto**. Parmi les objectifs prioritaires que cette opiniâtre icône démocratique affectait à son administration (novice et hésitante), figurait en très bonne place la réconciliation nationale. Un projet comme un mirage distant en ces terres du Sud-Est asiatique, lézardées par de profondes lignes de fractures ethniques, politiques, religieuses et sécuritaires. En l’espace de douze mois et une cohorte de signaux contraires***, cet objectif identifié n’a pas connu d’avancées très spectaculaires, pour dire le moins. Non pas que la faute doive être uniquement rejetée sur ce gouvernement démocratique encore en phase d’apprentissage/rodage. Le concours douteux de la (toujours) très influente institution militaire, son regard plus distant (euphémisme) sur la nécessité de parvenir à court terme à une paix nationale, n’auront guère agi au profit d’une réconciliation nationale pourtant appelée de ses vœux par une majorité de Birmans.
La difficulté rencontrée en la matière dans cet État longtemps (1962-2011) aux mains d’une inflexible junte militaire est très loin de constituer, dans l’Asie contemporaine, une rareté. Ce n’est pas le voisin thaïlandais et son hybride administration civilo-militaire du moment (Conseil National pour la Paix et l’Ordre du Premier ministre et ex-chef des armées Prayuth Chan-ocha) qui démentira ce postulat. Moins encore l’à peine plus lointaine nation insulaire sri-lankaise qui, tout en célébrant en mars dernier le huitième anniversaire de la fin d’un interminable conflit ethnico-religieux (1983-2009) peine encore, pour employer de nouveau un bel euphémisme, à mettre en musique son projet de réconciliation nationale*.

Birmanie : La réconciliation nationale, cette abstraction du moment

Dès l’intronisation de son gouvernement (LND), Aung San Suu Kyi avait annoncé la couleur en la matière : nonobstant une feuille de route nationale d’une belle densité, la poursuite du processus de paix entamé en 2011 sous la présidence de Thein Sein et l’engagement immédiat d’efforts en faveur d’une réconciliation nationale – dans cet État aux 135 groupes ethniques distincts, au demi-million de moines bouddhistes… et de militaires – feraient l’objet de soins particuliers et mobiliseraient prioritairement les ressources et les énergies. Au plus fort des réserves de la communauté internationale sur l’opération contre-insurrectionelle menée par l’armée birmane en Arakan (octobre 2016 – mars 2017), La « Dame de Rangoun » rappelait combien cette réconciliation nationale lui était chère et « inévitable » (The Hindu, 1er décembre 2016).

La mobilisation des énergies et les efforts déployés en faveur du complexe processus de paix ne sauraient se discuter. Réunions, médiations, négociations et conférences entremêlant une impressionnante pléiade d’acteurs se sont succédé sur le territoire birman, en Thaïlande, en Chine – dans une relative disharmonie – sans relâche lors de l’année écoulée. Les résultats en furent très relatifs au regard des attentes et efforts consentis. La paix – et le dialogue politique actuellement élaboré par les parties prenantes – n’est donc a priori ni pour ce printemps, ni pour cet été au vu notamment de l’âpreté des combats dans les États Shan et Kachin et de l’irrédentisme de l’armée régulière. La réconciliation nationale, pour sa part, devra se montrer plus encore patiente…

Thaïlande : la paix et l’ordre pour priorité

En février dernier, les autorités thaïlandaises – le Conseil National pour la Paix et l’Ordre (CNPO) sous l’autorité de l’austère Premier ministre et ex-général Prayuth – annonçaient la création d’un ensemble d’entités. Ces committees seraient en charge de la stratégie nationale, des réformes, de l’administration, enfin, de la réconciliation nationale. De nouvelles structures administratives œuvrant directement sous l’autorité du chef de gouvernement et majoritairement composées de personnels militaires ; un ADN commun particulier qui en dit long sur les orientations du pouvoir – en place depuis le coup d’État militaire (pacifique) de mai 2014 -, et sur la matrice de la réconciliation nationale. A l’automne 2015, l’ancien chef des armées avait eu l’occasion de rappeler dans un discours à la nation combien importait aux autorités la réalisation d’une telle réconciliation nationale. Une métaphore actuellement bien mince dans ce royaume malmené depuis une quinzaine d’années par une grave crise politique opposant un establishment historiquement tout puissant (palais royal, élites urbaines, milieux d’affaires, armée) face à une Thaïlande plus modeste, rurale, moins influente, mais arithmétiquement à son avantage lors des scrutins organisés depuis 2001.

En dépit de ces appels répétés du CNPO à la réconciliation nationale, on ne peut toutefois s’empêcher de douter de la réalité de son engagement : les restrictions aux libertés publiques encore en place pour les 68 millions de citoyens, la rédaction d’un nouveau cadre constitutionnel restreignant grandement l’exercice de la démocratie, enfin, l’organisation d’élections législatives reportées à présent à minima courant 2018, militeraient a priori davantage en faveur d’une désunion nationale prolongée…

Sri Lanka : huit années de paix et de timides avancées

Dans l’ancien Ceylan, cette perle de l’Océan Indien où prévaut depuis le printemps 2009 une paix longtemps hypothétique, la réconciliation nationale est en permanence au cœur du discours des autorités. Dans ce pays insulaire que balafra durant un quart de siècle un meurtrier conflit civil ethnico-religieux (entre 60 000 et 100 000 victimes ; jusqu’à 800 000 personnes déplacées par les violences et les combats) existe notamment un ministère de l’Intégration nationale et de la Réconciliation. Du 8 au 14 janvier dernier, le gouvernement a organisé une « National Integration & Reconciliation Week » pour « promouvoir entre les diverses communautés ethniques, religieuses et culturelles l’unité, la paix, l’empathie et la fraternité ». Des initiatives nobles en soit qu’il s’agit de louer.

Le mois dernier pourtant, assez loin de cette relative euphorie, les Nations Unies ont laissé poindre une réserve évidente quant aux avancées et chances de succès de ces efforts de réconciliation. Le Haut-Commissariat pour les Droits de l’Homme s’est notamment interrogeait sur la lenteur avec laquelle la justice sri-lankaise instruit les cas de crimes de guerre et autres violations diverses des droits, toujours observées huit ans après le terme du conflit. Des plaintes soumises principalement par une minorité ethnique tamoule (environ 15 % de la population) encore très peu à son aise dans le paysage post-conflit national. En adoptant par consensus la résolution 34/L1, l’instance onusienne genevoise a alloué deux années supplémentaires (jusqu’en 2019) au gouvernement pour réaliser ses engagements de 2015 en matière de réconciliation nationale et de justice. Dont acte.

Ainsi donc et sans surprendre, pas plus en Asie qu’ailleurs, la réconciliation nationale ne saurait aussi aisément se décréter depuis les palais présidentiels ou le quartier général des forces armées. La Birmanie post-junte sous le joug plus doux d’Aung San Suu Kyi, la Thaïlande post-Bhumibol (Rama IX) aux ordres d’un ancien commandant en chef de l’armée royale, le Sri Lanka post-conflit civil du Président Maithripala Sirisena ne constituent – hélas pour les populations concernées – aucune exception à ce sévère postulat. Dans ce trio disparate de pays asiatiques quelque peu tourmentés par une douloureuse histoire récente, bien des années – des décennies peut-être – s’écouleront encore avant que les cicatrices et meurtrissures ne laissent finalement la place à une sérénité intérieure retrouvée. N’en déplaise à la communauté internationale.

« Son artillerie peut raser Séoul en quelques heures »

Fri, 14/04/2017 - 09:57

Quelle est la capacité militaire réelle de la Corée du Nord ?

L’armée nord-coréenne est organisée pour la défense du territoire, bien plus que comme une force de projection. Chaque jour, depuis 1953, le pays tout entier se prépare à une attaque de l’extérieur. C’est pour cette raison que la république démocratique compte 1 million de militaires, pour une population totale de 25 millions. A titre de comparaison, la France compte moins de 300.000 soldats pour 70 millions d’habitants. La nation tout entière est formée à la défense du territoire, tout le monde est mobilisable en permanence. Le nombre de réservistes, qui englobe une grande partie de la population, effectue des périodes d’entraînement via leur entreprise ou leur village. Du côté du matériel, les chiffres peuvent paraître impressionnants comme, par exemple, les 4.700 chars de combat ou les 950 avions de chasse. Mais il faut bien voir que ce matériel n’est pas à la pointe de la technologie, certains datant encore de l’ère soviétique. D’où des problèmes de maintenance, de pièces détachées et même de carburant. Pour les chasseurs par exemple, les exemplaires les plus modernes sont des MiG-29, un modèle développé au début des années 1970. Le constat est le même pour les forces navales : le pays affiche 70 sous-marins mais il est incapable de faire débarquer des troupes sur les côtes de la Corée du Sud. Et ne dispose ni de porte-avions ni de croiseur. Cela étant, si un conflit survenait réellement avec le voisin du sud, l’artillerie nord-coréenne est capable de raser Séoul en quelques heures.

Après une cinquantaine de tirs de missile, Pyongyang finit-il par puiser dans ses stocks ?

Les stocks sont conséquents et on peut dire aujourd’hui que la Corée du Nord est une nation balistique crédible. Elle dispose d’un nombre important de missiles d’une portée s’échelonnant, selon les modèles, entre 300 et 1.300 kilomètres. Autant dire que ces engins, qui embarquent des charges conventionnelles, peuvent atteindre tout point en Corée du Sud et au Japon.

Le programme nucléaire est-il vraiment développé ?

Chaque année, la Corée du Nord ajoute des kilogrammes supplémentaires d’uranium enrichi pour étayer son arsenal nucléaire. Et ce, en dehors de tout contrôle de l’Agence internationale à l’énergie atomique. Depuis son arrivée au pouvoir, Kim Jong-un a déjà supervisé trois tirs. Avec, chaque fois, une gradation supplémentaire dans la sophistication technologique. Et le régime n’est pas près de dénucléariser.

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