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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Visite de Xi Jinping en Europe : la Chine cherche ses partenaires des nouvelles routes de la soie

Fri, 22/03/2019 - 17:01

Le président chinois a entamé une tournée européenne cette semaine, visitant l’Italie et la France pour tenter d’ancrer ses partenariats stratégiques dans la région. Alors que le projet de Pékin autour des nouvelles routes de la soie (en anglais BRI ou Belt and Road Initiative) cherche à se concrétiser davantage, la crise commerciale avec Washington complique les relations avec l’Europe. Quels sont les enjeux de ce voyage diplomatique ? Éclairage avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Le président chinois Xi Jinping se rend en Italie et en France du 21 au 26 mars. Pourquoi ces deux pays et quels sont les enjeux de cette « visite de courtoisie » ?

Cette visite de Xi Jinping n’est dans les faits en rien une visite de courtoisie, sinon dans son volet monégasque, puisqu’il sera le premier président chinois à effectuer une visite officielle en principauté, entre son passage en Italie et en France. Le contexte est particulièrement important pour comprendre le déplacement de Xi Jinping. D’abord le Brexit, qui interroge la Chine sur l’avenir de l’UE et par voie de conséquence de ses propres intérêts dans la région. Ensuite, en raison des tensions très nettes entre Rome et Paris, qui n’ont fait que croître au cours des dernières semaines, et symbolisent les dissonances très visibles au sein de l’UE, y compris des membres fondateurs. L’Italie, en se greffant à la BRI chinoise, devient le premier État du G7, mais aussi le premier partenaire européen « significatif », au sens politique, démographique et économique, à accompagner officiellement les nouvelles routes de la soie initiées par… Xi Jinping. De son côté, la France a été identifiée comme le principal partenaire de Pékin avec l’élection d’Emmanuel Macron, et la visite d’État du président français en Chine en janvier 2018 a suscité chez les Chinois l’espoir que non seulement la France adhèrerait à la BRI, mais qu’elle emmènerait en plus dans son sillage l’UE. Un an plus tard, il n’en est rien, et après son passage à Rome, Xi Jinping met la pression sur Paris. En clair, le président chinois a compris que les querelles actuelles entre Paris et Rome symbolisent les divergences au sein de l’UE, et il cherche à capitaliser dessus pour faire avancer son projet, soit en poussant l’UE à se mettre d’accord, soit en multipliant les accords bilatéraux, avec des États membres de plus en plus « importants », pour forcer la main aux derniers récalcitrants.

Le projet des nouvelles routes de la soie semble inquiéter et diviser les Européens, la puissance de la Chine se projetant potentiellement au sein de l’UE. Pékin peut-elle réussir à mettre en œuvre le corridor de transport souhaité dans ces conditions ?

La BRI n’inquiète pas tous les Européens. Le problème de l’UE est précisément son incapacité à se mettre d’accord sur la stratégie chinoise et sur la réponse à y apporter. Tout semble opposer les 27 : la Suède a récemment annoncé accepter des réfugiés ouïghours qui en feraient la demande, l’Allemagne se montre méfiante à l’égard des acquisitions chinoises dans des secteurs clefs, la France tergiverse et envoie des signaux contradictoires, l’Italie s’apprête à s’ouvrir aux investissements chinois, le Portugal cède le contrôle de son électricité… Et parallèlement, les pays d’Europe centrale et orientale ont déjà acté la BRI, à la fois en acceptant des projets d’investissement importants pour leurs économies respectives, mais aussi en engageant un dialogue stratégique. Dans cette cacophonie, la Chine avance dans ses projets bilatéraux, à défaut de voir se concrétiser un accord Chine-UE. Entre ceux qui s’inquiètent d’une présence grandissante de la Chine et, à l’inverse, ceux qui l’accueillent à bras ouverts, qui a raison ? Les deux justement, et c’est là tout le problème. S’il est nécessaire d’accroître les échanges avec Pékin et sain d’accepter ses investissements, il convient de rester prudent quant à la finalité de cette stratégie chinoise. Car que veut exactement la Chine en Europe ? Pas simplement développer de nouveaux corridors de transport, car les investissements portent sur des secteurs qui n’y sont parfois pas du tout associés. Mais veut-elle contrôler les économies européennes, les relancer, créer des synergies nouvelles à l’heure des guerres commerciales ? C’est le manque de transparence du projet chinois et de ses objectifs qui alimente les fantasmes.

En plein conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, comment l’Europe peut-elle se positionner par rapport à Pékin ? 

Les dissensions sont, nous venons de le voir, au cœur même de l’incapacité des Européens à s’exprimer d’une seule voix. Et elles ne sont pas près de s’estomper, bien au contraire. Dès lors, la question est de savoir si la Chine ne cherche pas, en multipliant des accords bilatéraux, à atteindre une masse critique pour contraindre les derniers hésitants à se rallier à elle. C’est tout le défi posé par l’adhésion de l’Italie, troisième économie de l’UE une fois le Brexit concrétisé. Dans les guerres commerciales qui l’opposent aux États-Unis, la Chine ne se contente pas de répondre aux attaques par d’autres attaques, ni d’une négociation visant à apaiser les tensions : elle se tourne vers d’autres partenaires, dans les pays en développement bien sûr, mais aussi dans son voisinage et en direction de l’UE. Ne pas intégrer la question de la difficile relation avec Washington dans la stratégie que mène Pékin en Europe revient sans doute à passer à côté de l’essentiel.

 

« France-Algérie ; 50 ans d’histoires secrètes » – 3 questions à Naoufel Brahimi El Mili

Fri, 22/03/2019 - 12:41

 

Naoufel Brahimi El Mili est docteur en sciences politiques, enseignant à Sciences Po Paris. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « France-Algérie ; 50 ans d’histoires secrètes » aux éditions Fayard.  

Au-delà des querelles publiques, comment évaluez-vous la coopération stratégique entre la France et l’Algérie ?

Malgré le formidable sursaut du peuple algérien qui chaque vendredi manifeste par millions contre le cinquième mandat, et surtout en dépit de position ambigüe du pouvoir français accusé par les Algériens de neutralité complice au mieux et d’ingérence coupable au pire, la coopération stratégique ne doit pas connaitre de grands bouleversements. En premier, figure la coopération militaire et sécuritaire au Nord-Mali. Sans le soutien logistique déterminant de l’armée algérienne, l’opération Serval ne pouvait se mettre en  place en 2013. Encore moins l’opération Berkane. L’armée algérienne qui ne cherche pas d’affrontement avec le peuple algérien qui dénonce le cinquième mandat se consacre prioritairement à la gestion des énormes défis géopolitiques : Libye, Niger, Mali. Supposons cette armée sortie des casernes pour mater les manifestants, la France serait dans une position délicate, car son premier soutien dans la région deviendrait moins politiquement fréquentable. Mais ce n’est pas du tout le cas. Cette même armée qui se positionne de plus en plus du côté du peuple algérien ne peut faire débarquer le président algérien avant le terme officiel de son mandat prévu le 29 avril. Les militaires algériens ne veulent pas être considérés comme putschistes contre un président soutenu sournoisement par l’Élysée et autres monarchies golfiotes.  Mais la France ne doit pas trop tarder à réaliser que le statu quo qu’elle souhaite secrètement est porteur potentiel de chaos. Une prise de position plus franche en faveur des revendications démocratiques des Algériens, de la part de Paris, rendrait plus aisée la fin du mandat présidentiel à son terme constitutionnel, soit par l’armée soit par le peuple, et pourquoi pas les deux en même temps. Ainsi le président Macron serait dans le sens de l’histoire que veulent écrire les Algériens. Il préservera les intérêts du pays dont il a la charge.

Aussi, la France se fournit à hauteur de 10% du gaz algérien. L’Algérie même dans les moments les plus difficiles de son histoire a toujours respecté sa signature. Quand au commerce courant de 5 milliards de dollars par an il ne peut que se consolider notamment grâce à une plus forte implication des Algériens de France qui manifestent chaque dimanche en soutien à leurs frères et sœurs du pays. Il est à penser que les Franco-Algériens seront plus actifs dans la vie économique qui lie les deux pays.

Peut-on, et comment envisager des relations bilatérales apaisées ?

Le poids de la mémoire, le refus français de la repentance ne peuvent faire aboutir des relations très apaisées, mais c’est la marque de fabrique de ces relations bilatérales assez complexes. Cependant, l’après Bouteflika avec une position française courageuse peut faire rentrer ces relations dans un nouveau monde. L’Algérie aussi a un rôle à jouer notamment en annulant l’article 51 de la constitution qui interdit aux binationaux certains postes politiques. Apparaîtront dès lors de nouveaux acteurs biculturels forts de leurs racines algériennes et de leurs connaissances du système français, ils seront les artisans d’une nouvelle page dans les relations entre les deux rives de la Méditerranée. Une nouvelle Algérie ne peut devenir une menace migratoire pour la France quoiqu’en disent les tenants d’une extrême droite populiste. De son côté,  la France doit ouvrir plus généreusement ses guichets consulaires pour les visas. Cette même France qui ferme ses universités au nez des étrangers en exigeant des frais d’inscription exorbitants. Elle se prive de toute participation à la formation des élites algériennes du futur. Finalement, Paris qui accepte que le pétrole et le gaz traversent la mer doit aussi accepter que des Algériens en fassent autant. C’est le pont humain qui doit être la pierre angulaire de ces relations bilatérales que l’on souhaite apaiser.

Selon vous, que doit faire la France face aux évènements actuels ?

Face à cette situation inédite et compte tenu des particularismes des relations bilatérales, le rôle de la France dans l’immédiat est peu aisé. Déjà le président Macron, au sujet des gilets jaunes avait déclaré : « ce n’est pas la rue qui gouverne en démocratie », il s’est autopiégé. Il ne peut ni adouber ouvertement les rues d’Algérie ni dire que ce pays n’est pas une grande démocratie. Les Algériens lors des manifestations portent des pancartes peu élogieuses à l’égard du président français accusé à tort ou à raison de complicité avec le pouvoir algérien. Emmanuel Macron peut exercer son droit de réponse aux Algériens, non pas par un « je vous ai compris ». Et ce n’est pas la première déception. Un bref retour vers le passé est éclairant. Les Algériens ne peuvent oublier les propos tenus par le candidat Macron devant une chaîne privée algérienne : « La colonisation est un crime contre l’humanité. » Le calcul électoraliste sous-jacent est évident, les voix des Franco-Algériens comptent. Très vite, le nouveau président français est qualifié d’ami de l’Algérie tant par le pouvoir que par l’homme de la rue. Sa seule visite de travail à Alger était vite éclipsée par le décès de Johnny Hallyday. Les Algériens n’ont retenu que cet échange dans une des rues principales de la capitale avec un jeune algérois qui l’interpelle sur le principe de la repentance. Et la réponse présidentielle fuse : « Qu’est ce que vous venez m’embrouiller avec ça ? Votre génération doit regarder l’avenir, la jeunesse algérienne ne peut pas constamment regarder son passé ! » Première déception.

Il ne reste pour le président Macron que de se démarquer clairement de ce pouvoir agonisant en expliquant aux Algériens que leur combat est démocratique donc juste. Dans le cas de cette nouvelle Algérie qui se dessine, le « en même temps » ne fonctionne pas. Le Macron candidat aux présidentielles dernières en se rendant à Alger comme François Hollande, avant lui et tant d’autres, ne pouvait ignorer le poids électoral des Franco-Algériens détenant plus de deux millions de bulletins de vote. Il faut qu’il s’en souvienne surtout que son mi-mandat heurté se rapproche. Sans oublier les Européennes.

La Thaïlande (enfin) de retour aux urnes, la panacée ?

Fri, 22/03/2019 - 11:55

Le scrutin longtemps promis par les autorités aux sujets du royaume finit enfin, après moult détours et contretemps, par se matérialiser avec l’arrivée du printemps : dimanche 24 mars, la Thaïlande convie ses 51 millions d’électeurs aux urnes pour renouveler la chambre basse (Assemblée nationale, 500 sièges) et désigner un nouveau chef de gouvernement. Une première – repoussée ces dernières années à diverses reprises avec un argumentaire souvent ténu – depuis 2011 et le dernier scrutin démocratique organisé dans cette nation bouddhiste du sud-est asiatique, politiquement polarisée.

Arrivé au pouvoir un quinquennat plus tôt (printemps 2014) lors du dernier d’une longue série de coups d’État militaires[1], le Conseil national pour la paix et l’ordre (CNPO) du  Premier ministre (et ancien général) Prayut Chan-o-cha conçoit ce rendez-vous électoral comme un référendum validant ses cinq années à la tête du pays, espérant se maintenir en fonction à l’issue de ce scrutin en s’adossant au parti créé sur mesure dernièrement, le Palang Pracharat (PPRP) – soutenu par l’armée, le palais royal, les élites urbaines, les milieux d’affaires (establishment) – dans un cadre constitutionnel très favorable à ses intérêts[2] (Constitution de 2017). Nombreux sont ceux dans l’ancien Siam à manifester peu d’enthousiasme face à cette perspective, car sevrés depuis des années de démocratie au sens littéral du terme. Les détracteurs de l’ancien commandant en chef de l’Armée royale thaïlandaise dénoncent le risque de démocratie martiale associé à l’éventuel succès du PPRP et de ses alliés lors des élections de dimanche. À cette « Thaïlande d’en haut », réservée sur le bénéfice pour le royaume d’un gouvernement à l’agenda plus populiste (cf. « chemises rouges », sympathisants de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra), s’oppose un segment de la société aspirant au retrait de la junte de la vie politique nationale et au retour de la règle démocratique pour les 68 millions de Thaïlandais.

À quatre jours de l’événement, l’issue comptable de ce scrutin reste entourée d’incertitudes : si la formation politique du  Premier ministre Prayut dispose du confort d’une chambre haute (Sénat, 250 élus) désignée par la Royal Thai Military et non par l’électeur – donc rangée à ses intérêts -, le Democrat Party (DP) de l’ancien Premier ministre A. Vejjajiva, le Pheu Thai (PTP) du « clan Shinawatra », toujours présent dans les provinces du nord/nord-est, ou encore le plus atypique et récemment créé Future Forward Party (FFP) du quadragénaire et homme d’affaires T. Juangroongruangkit, populaire auprès des jeunes primo-votants, se posent en arbitres incontournables de ce rendez-vous. L’hypothèse d’un gouvernement de coalition associant le PPRP et le DP – réunissant ainsi à eux deux plus aisément les 376 sièges (en combinant les deux chambres) nécessaires à la composition d’une majorité absolue au Parlement et à la nomination du prochain Premier ministre – dispose d’un certain crédit, sans pour autant apparaître aujourd’hui comme l’issue garantie de cette consultation populaire. Ce, alors même que le Pheu Thai (la formation ayant remporté tous les scrutins nationaux depuis 2001) pourrait d’un point de vue comptable attirer le plus de voix[3] vers ses candidats et disposer à elle seule à l’Assemblée nationale d’une majorité relative. Une situation qui pourrait faire (re)naître un sentiment d’injustice et de déni de démocratie latents dans les rangs populistes, lassés du poids considérable de l’establishment et de l’armée dans la vie politique nationale et le quotidien des individus.

Nous n’en sommes pas encore là. Une estimation partielle des résultats devrait être communiquée dans les jours qui suivront ce premier scrutin organisé en huit ans, le 9 mai étant la date officiellement retenue par les autorités pour l’annonce des résultats définitifs. Entre ces deux dates, le royaume et ses 68 millions de sujets devraient – ainsi que l’espère ardemment le gouvernement – se dépassionner de la question politique pour se saisir du symbole, a priori plus consensuel et moins partisan, de la monarchie, les célébrations nationales du couronnement du souverain Maha Vajiralongkorn Bodindradebayavarangkun[4] (Rama X) s’étirant du 4 au 6 mai. Une fois passé cet événement national transcendant les clivages et les résultats du scrutin connus, en fonction de leur issue comptable, il pourrait alors en aller bien différemment, dans les rues de Bangkok notamment.

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[1] Le 12e depuis l’instauration en 1932 de la monarchie constitutionnelle.

[2] Le nouveau système de vote instauré par le CNPO s’emploie – à dessein – à réduire la possibilité pour un parti politique de briguer à lui seul la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale, l’influente institution militaire semblant bien plus à son aise avec un hémicycle multicolore donc divisé, plus aisé à manipuler.

[3] Certaines projections créditent le parti de 125 à 200 sièges (sur les 500 de l’hémicycle) à la chambre basse, une volumétrie nettement supérieure aux estimations du DP (entre 75 et 120 sièges) et du PPRP (environ 70 élus).

[4] Suite au décès de son père, le vénéré roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX) en oct. 2016 après un règne de 70 ans, Maha Vajiralongkorn (Rama X) est monté sur le trône en décembre 2016, dans un enthousiasme populaire relatif.

« Atlas des droits de l’homme » – 3 questions à Catherine Wihtol de Wenden

Thu, 21/03/2019 - 16:21

 

Catherine Wihtol de Wenden est directrice de recherche émérite au CNRS et enseignante à Sciences Po (Paris). Elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Atlas des droits de l’homme », dont elle a dirigé l’élaboration, préfacé par Henri Leclerc et paru aux éditions Autrement.  

La carte montre que nous sommes encore loin de l’abolition universelle de la peine de mort, comment l’expliquer ?

142 sur 198 membres de l’ONU ont aboli la peine de mort. Ces abolitions ont souvent correspondu dans le temps avec des « moments abolitionnistes ». Aux États-Unis, 18 États sur 50 sont abolitionnistes, 4 le sont en pratique depuis longtemps, mais certains, comme le Texas, la considèrent comme partie prenante de leur histoire, voire de leur identité. La Chine la pratique encore (sous le sceau du secret d’État), mais en a réduit le nombre. L’Arabie saoudite la maintient, au nom de la charia (pour adultère, par lapidation). La peine de mort existe aussi en Irak, au Pakistan et en Iran, qui comptabilisent tous les cinq, 84% des exécutions.  En Europe, c’est le Portugal qui l’a abolie le premier en 1867, suivi par l’Italie, à la fin du XIXe siècle, soit 100 ans avant la France (1981). Mais les alternatives (prison à perpétuité ou relégation dans les colonies), pratiquées hier n’ont pas été satisfaisantes, car elles n’ont pas toujours conduit à la reconstruction des victimes ni été un abri contre la récidive.

 Y aurait-il un clivage Nord/Sud concernant les droits de l’homme ?

Oui, mais il ne va pas toujours dans le même sens. Ainsi les 50 États non-signataires de la Convention de Genève de 1951 sur l’asile sont des pays du sud. En revanche, parmi les 54 pays signataires de la Convention des Nations Unies de 1990 sur les droits de tous les travailleurs migrants et de leurs familles, il ne s’agit, à l’exception du Monténégro et du Kosovo, que de pays du sud, car les pays du Nord ne veulent pas être liés par des droits à accorder aux sans-papiers. Beaucoup de pays du sud ne sont pas des démocraties, aussi une multiplicité de droits n’est pas reconnue (liberté d’expression, d’association, liberté syndicale, accès aux droits, prisons, protection des libertés publiques à l’ère numérique) et parfois les États religieux de culture musulmane notamment limitent certains droits (droits des femmes, liberté de religion, persistance des castes en Inde malgré la Constitution). De plus le fait que la plupart des réfugiés proviennent de pays du sud (qui les accueillent également majoritairement, mais comme réfugiés de fait), que les déplacés environnementaux soient aussi originaires du sud de la planète, que les apatrides soient essentiellement des personnes du sud aggrave la situation des sans droits dans des pays qui ne leur donnent aucun statut. Les pays du sud deviennent aussi des pays d’immigration, sans aucune législation le plus souvent sur l’immigration et l’asile, dans un contexte de mondialisation accrue des migrations, ce qui va aggraver les carences au regard des droits de l’homme auprès des populations mobiles du sud du monde.

La carte de l’esclavage montre-t-elle une persistance inquiétante ?

Oui, car il continue d’être pratiqué dans nombre de pays du sud, du fait de la non-application de la législation des États. Les raisons en sont multiples. Il peut s’agir de la poursuite de l’esclavage domestique traditionnel (comme en Haïti ou en Mauritanie), du travail forcé et de la traite des êtres humains, du travail des enfants, imposé par les mafias du passage irrégulier des frontières imposant l’esclavage comme contrepartie, de l’esclavage sexuel du fait de la mondialisation de filières de prostitution. Une victime sur quatre est un enfant, 71% sont des femmes et des filles. Des formes d’esclavage existent aussi à la suite de guerres civiles, dans les camps. En France ce n’est qu’en 2013 que le crime d’esclavage est entré dans le Code pénal. Souvent, l’esclavage correspond aussi à des clivages ethniques ou racialisés : castes, subsahariennes et arabes, Blancs/Noirs en Amérique latine, en Afrique et en Asie et semble long à éradiquer compte tenu de sa longue tradition dans les pratiques des pays concernés.

Brexit : « Les difficultés de Theresa May ne justifient pas de sacrifier les solidarités historiques aux saccades de l’actualité »

Thu, 21/03/2019 - 11:46

Les dirigeants européens se réunissent aujourd’hui à Bruxelles pour un nouveau sommet « décisif » sur le Brexit, alors que le Royaume-Uni est toujours divisé sur le sujet, à une semaine de l’échéance officielle. Quelles sont les issues envisageables ? Entretien avec Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du programme Europe, stratégie et sécurité.

Comme se fait-il que le Royaume-Uni se trouve dans une telle position de faiblesse aujourd’hui, à une semaine de la date officielle du Brexit ?

Pour tout dire, la situation dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui n’avait rien d’automatique. Le Royaume-Uni est en proie aux divisions intestines les plus vivaces depuis trois ans, certes. Il n’en reste pas moins que Londres a commis beaucoup d’erreurs « non forcées » depuis le début de ces négociations, comme l’on dirait au tennis, tant du point de vue tactique et stratégique, que du point de vue politique et intellectuel.

D’une part, les Britanniques ne sont pas dans une discussion bilatérale classique, où ils ont leurs repères et sont plutôt à l’aise. Londres a tenté de négocier en direct avec Berlin et même Dublin, avant de se rendre à l’évidence que cette négociation avait ceci de spécifique qu’elle met aux prises un pays et vingt-sept autres.

Deuxième élément que le Royaume-Uni a tardé à comprendre, c’est qu’il abordait ces négociations dans une position structurelle de faiblesse. Londres n’y est pas forcément habitué et l’Histoire y est naturellement pour beaucoup. Cela peut paraître évident, mais le poids économique et juridique du marché unique explique que le rapport de force ne soit pas en faveur des Britanniques.

Enfin, le Royaume-Uni a refusé de comprendre que l’Union européenne n’était pas uniquement un projet économique. Londres a du mal à saisir que l’on puisse privilégier un bénéfice politique à long terme, par rapport à l’impact économique à court terme sur l’industrie automobile allemande ou sur le Nord de la France. Paris et Berlin peuvent s’accommoder de certains dommages économiques à court terme, car le démantèlement de l’Union à long terme constitue aux yeux du couple franco-allemand un danger plus immédiat pour l’Europe.

C’est ce qui explique l’unité stratégique des Européens, que Michel Barnier a mise en musique de manière extrêmement méticuleuse et professionnelle. L’unité des Européens a aussi des ressorts tactiques : elle s’explique tout simplement parce que c’est une tactique qui a été très efficace, et qui continue de faire ses preuves. Le Royaume-Uni s’est davantage divisé en son sein que les vingt-sept acteurs qui lui ont fait face.

Je ne parle pas des erreurs tactiques comme la convocation d’élections générales anticipées, qui ont détruit la majorité parlementaire de Theresa May et qui la laissent aujourd’hui à la merci des Unionistes nord-irlandais, ce qui rend le problème de la frontière irlandaise inextricable.

De quelles marges de manœuvre le Royaume-Uni dispose-t-il encore dans les négociations ?

Les Européens considèrent les discussions comme achevées du point de vue de l’accord de sortie. Les négociations n’iront donc pas au-delà sur ce point. Cela n’a rien d’illogique puisque l’on sort de deux ans de négociations, mais cela n’a pas toujours été bien compris à Londres. Au contraire, l’on entend encore chez certains conservateurs que « l’Union européenne plie toujours à la fin ».

Il y a en revanche davantage de marge de manœuvre s’il s’agit d’amender la déclaration d’intention qui est adjointe à l’accord de sortie, à condition que le Royaume-Uni souhaite changer l’orientation de son rapport futur avec le bloc européen. Si une majorité parlementaire se dégageait pour un Brexit moins dur par exemple, cela pourrait se répercuter dans la déclaration politique.

Theresa May va demander un délai aux Européens ce jeudi pour prolonger les discussions sur la sortie du Royaume-Uni. Que doivent-ils faire ?

Michel Barnier a dit que l’UE ne serait pas forcément favorable à l’extension de l’article 50, car cela prolongerait l’incertitude et les coûts économiques pour les entreprises. Je comprends son point de vue, mais je trouve que l’Union commettrait une erreur non forcée si elle refusait l’extension courte.

Aux yeux des opinions publiques, la responsabilité de la situation actuelle, comme celle d’une absence d’accord éventuelle, échoit aujourd’hui au gouvernement britannique. Même les conservateurs britanniques ont du mal à convaincre que la faute en revient aux Européens, c’est dire ! Il ne faut pas prendre cette perception à la légère. Elle aura un impact à moyen et à long terme, y compris face à l’Histoire. L’Union européenne aurait tort de s’en écarter sans raison, en risquant de se rendre responsable d’une absence d’accord. En somme, il me semble que les bénéfices qu’elle retirerait d’un refus d’une extension, tels que les met en avant Barnier, ne sont pas suffisants au regard des inconvénients politiques.

Enfin, il faut faire attention à ne pas se laisser emporter par les émotions de court terme. Les difficultés de Theresa May ne justifient pas de sacrifier les solidarités historiques aux saccades de l’actualité. Le Royaume-Uni est un pays ami et voisin. Il serait dangereux qu’une acrimonie politique à court terme mette en danger les liens stratégiques à plus long terme. Même s’il s’agit de dossiers un peu moins médiatiques aujourd’hui, le continent a besoin des Britanniques pour combattre le terrorisme, assurer la stabilité du Sahel ou encore s’adresser à la Russie.

La question de l’extension longue qui s’étendrait par-delà les élections européennes est complètement différente. La lassitude provoquée par le Brexit des deux côtés de la Manche rend cette hypothèse délicate à mettre en œuvre. De même, organiser un second référendum aurait des conséquences tout à fait néfastes sur le tissu démocratique britannique, mais aussi européen. Londres a choisi la voie du référendum, il lui faut désormais aller au bout.

« Il est peut-être temps de rénover les Jeux de la Francophonie »

Wed, 20/03/2019 - 15:54

Les Jeux de la Francophonie fêtent leurs trente ans. Cet événement qui mélange sports et culture est-il toujours pertinent ?

Pour moi, cet événement l’est toujours puisqu’il s’inscrit dans l’ADN, dans la logique de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) depuis trente ans. Il a donc une histoire. Une véritable chronologie a accompagné ces Jeux de la Francophonie, depuis 1989.

Ces Jeux symbolisent aussi l’importance que la Francophonie a accordé au sport mais également à la culture, puisqu’ils sont porteurs de ces deux aspects.

Ils sont encore pertinents. Mais ils doivent faire face à un certain nombre d’enjeux et d’obligations qui peuvent perturber leur déroulé. Il y a notamment le fait que le calendrier puisse s’alourdir. Il y a aussi la question des charges qui ont entraîné l’annulation de la candidature canadienne pour les Jeux de la Francophonie 2021. Cette annulation pousse l’organisation à s’accélérer alors que cette édition est censée avoir lieu dans deux ans.

Le Nouveau-Brunswick devait effectivement organiser l’édition 2021 mais cette province canadienne a fait machine arrière. Selon vous, ce revirement est-il lié au contexte canadien ? Ou est-il symptomatique des difficultés des Jeux de la Francophonie ?

J’ai tendance à voir cet abandon à travers deux aspects. Il y a tout d’abord la question du coût de ces Jeux qui a été mis en avant par le gouvernement local. Ce coût semblait beaucoup trop important par rapport aux retombées envisageables. Il y a eu un dépassement des budgets initiaux.

Mais cet abandon est aussi symptomatique d’une perte de vitesse des Jeux qu’on a pu constater au cours des dernières années. Il y a eu des éditions extrêmement importantes, comme celle de Beyrouth en 2009. Celles de Nice (2013) et d’Abidjan (2017) ont également été importantes et intéressantes. Mais elles ont sans doute été un tout petit peu en-deçà des attentes des organisateurs. […]

Le budget conventionnel des Jeux de la Francophonie est de 10 millions d’euros. Est-ce réaliste, de nos jours, de vouloir organiser un événement multisport et culturel de cette ampleur avec de tels moyens ?

C’est une vraie question. Ce qui est important, c’est le fait de voir quels sont les dispositifs mis en œuvre. Ça semble intéressant et réalisable si les Jeux de la Francophonie se déroulent dans le cadre d’une ville, d’une région ou d’une province qui dispose déjà d’infrastructures, et que ces Jeux s’intègrent à ces infrastructures existantes ainsi qu’à un agenda. Les retombées sont alors extrêmement positives sur le court terme, mais aussi sur le plus long terme.

Cependant, certains éléments ont conduit au dépassement de ces budgets initiaux et à tirer la sonnette d’alarme sur les conséquences que risquaient d’engendrer les Jeux de la Francophonie.

Mais, au-delà des problématiques budgétaires – ô combien essentielles –, il faut aussi se poser la question de savoir ce que veulent être les Jeux de la Francophonie et comment ils veulent exister par la suite. […] Trente ans après la première édition, il faut vraiment se poser la question de l’avenir qu’on veut pour les Jeux de la Francophonie. Il faut aussi se demander comment on veut écrire l’avenir de la Francophonie, par le biais du sport et par celui de la culture.

Le calendrier des compétitions sportives internationales est surchargé. Est-ce que les Jeux de la Francophonie y ont encore toute leur place, en tant qu’événement multisport de haut-niveau ?

Les Jeux de la Francophonie sont aussi intéressants parce qu’ils sont à la fois à destination de la jeunesse, à celui du monde de la culture et à celui du monde du sport. C’est vrai que le calendrier sportif est surchargé. Mais ce qui a prévalu jusqu’à présent avec ces Jeux, c’était un mélange de sportif et de festif. C’est ce qui a fait l’ADN de cet événement.

Des éléments sont en train de changer. Parmi ceux-ci, il y a le calendrier sportif qui pèse dans les esprits mais aussi sur des athlètes qui sont déjà extrêmement sollicités. Pourtant, là encore, il faut garder en tête que les Jeux de la Francophonie doivent rester un vrai rendez-vous dans l’agenda des sportifs, s’ils veulent continuer à exister et ne pas être délaissés.

Des personnalités du monde sportif ont signé une tribune dans la presse française pour défendre les Jeux de la Francophonie. Leur existence vous parait-elle en danger ?

Je ne dirais pas qu’ils sont en danger, dans l’immédiat. Cette tribune me parait assez intéressante. Elle arrive trente ans après les premiers Jeux, à un moment où il est peut-être temps de rénover les Jeux de la Francophonie, de faire évoluer un peu leur dispositif. Il ne s’agit pas de les révolutionner mais de leur donner un nouveau départ.

L’idée de cette tribune était également d’attirer à la fois l’attention sur la Journée internationale de la Francophonie, mais aussi sur ces Jeux qui ont tendance à être un peu négligés et oubliés. Ils sont pourtant porteurs de messages extrêmement importants, à la fois dans le domaine de la Francophonie et dans celui du sport. […]

Quel va être l’avenir de la Francophonie d’un point de vu sportif ? Et surtout, quelle est la diplomatie sportive francophone qu’on peut aujourd’hui mettre en œuvre. Si chaque pays a pu mettre en place une diplomatie sportive, qu’en est-il de la Francophonie ? Est-ce qu’il y a une volonté commune d’aller dans la même direction et de faire passer un certain nombre de messages ? Ou, au contraire, est-ce qu’on reste dans une logique plutôt nationale ? Auquel cas, les Jeux de la Francophonie pourraient perdre de l’influence et être potentiellement remis en cause dans les prochaines années, compte tenu du calendrier sportif et compte tenu d’un certain nombre d’obligations.

Plans d’urgence pour le Brexit : vers un « accord sans accord » ?

Fri, 18/01/2019 - 17:55

Après le rejet au Parlement britannique de l’accord sur le Brexit passé entre Londres et Bruxelles, Theresa May doit présenter un “plan B” d’ici au 21 janvier. Mais en prévision d’un éventuel Brexit “dur”, le Premier ministre français, Edouard Philippe a lancé un plan d’urgence. De quoi relève-t-il ? Ces plans d’“accord sans accord” pourraient-ils se généraliser pour maintenir les relations avec le Royaume-Uni ? Avec quelles conséquences ? Le point de vue de Rémi Bourgeot, chercheur associé à l’IRIS.

Le Premier ministre français, Edouard Philippe, a annoncé, jeudi 17 janvier, à l’issue d’une réunion à Matignon, son plan d’urgence pour faire face à un Brexit sans accord. Que contient ce plan et quels sont ses objectifs ?

Ce plan prévoit en particulier d’investir dans les infrastructures portuaires et aéroportuaires pour répondre à l’accroissement des procédures douanières qu’impliquerait une sortie sans accord du Royaume-Uni fin mars, tout en prévoyant de ne pratiquer que les contrôles les plus minimaux. La période de transition, qui prévoit une continuation de l’essentiel des conditions actuelles, marquée par une extrême fluidité des échanges, ne peut s’enclencher que dans le cadre d’un accord de sortie.

Une sortie sans accord se traduirait par des échanges régis par les règles de l’OMC. Les tarifs extérieurs pratiqués par l’UE dans le cadre du système de l’OMC sont faibles sur la plupart des marchés, et ce serait également le cas de ceux que mettrait en place le Royaume-Uni. L’ordre de grandeur de ces tarifs est inférieur aux variations de change euro/sterling auxquelles sont confrontées les entreprises des deux côtés de la Manche. Cependant, ce cadre reste évidemment bien plus lourd en termes de procédures douanières et réglementaires que les échanges dans le cadre du marché unique. C’est ce qui fait craindre une situation chaotique sur le plan logistique, si près de l’échéance.

La sortie sans accord n’est pas nécessairement catastrophique en tant que telle, à condition qu’elle soit mise en place avec une certaine visibilité qui permette une préparation adéquate autant au niveau des entreprises que des États. Or, il est très tard désormais. Au-delà du chaos des négociations entre Londres et l’UE et sur la scène politique à Westminster, l’ensemble des responsables politiques au Royaume-Uni et en Europe s’accordent sur la nécessité de préserver les liens économiques et humains. Le principal ennemi aujourd’hui, commun à toutes les parties prenantes, c’est le temps qui nous sépare du 29 mars.

Constatant le caractère particulièrement épineux de la question du « backstop » irlandais (qui prévoit un statut commercial particulier pour l’Irlande du Nord en fonction de l’évolution des négociations sur la future relation avec l’UE), les deux parties auraient pu travailler à un scénario contournant les tabous liés à la conclusion d’un accord général tout en évitant une rupture commerciale.

Si proche de l’échéance du 29 mars, le plan du gouvernement Philippe répond ainsi à l’urgence logistique qui risque de paralyser une partie des infrastructures, notamment dans le nord de la France, comme ce serait également le cas en Belgique et aux Pays-Bas, pays par lesquels transite une grande partie des marchandises asiatiques destinées au Royaume-Uni.

Le plan d’urgence du gouvernement ne se limite cependant pas aux infrastructures douanières et indique une volonté plus générale de préservation des liens. Il traite aussi de la question des citoyens britanniques résidant en France, qui continueraient à bénéficier de leurs droits sociaux et disposeraient d’une année pour obtenir un titre de séjour, le tout étant conditionné à une certaine réciprocité de la part du gouvernement britannique. Par ailleurs, le plan prévoit que les entreprises britanniques puissent continuer à pratiquer le transport routier en France, mais aussi que le secteur financier britannique puisse en partie continuer à servir le marché français, en particulier en ce qui concerne les contrats d’assurance. Enfin, la coopération en termes d’équipement militaire était également couverte par ce plan d’urgence.

Ce modèle de plan d’urgence pourrait-il devenir la base d’une sorte “d’accord sans accord” généralisé à l’ensemble de l’Union européenne ?

Étant donnée l’expression d’un fond de panique à Londres et de par le continent, on ne peut que constater le souhait unanime de maintenir les relations. Le « backstop irlandais » a été conçu, au cours de ces longues négociations, comme une contrepartie à l’idée d’un cadre commercial éventuel n’incluant rien de ce qui se rapprocherait de l’idée d’union douanière. Cette approche est à la fois de nature politique, avec l’idée de préserver le projet européen en accroissant le coût politique d’une sortie, mais en sous-estimant le rejet massif de la part des députés britanniques, et suit une lecture qui se veut mathématique des différents types de relations commerciales. Les accords commerciaux dans le monde et en Europe suivent en réalité une logique plus complexe, qui inclut d’inévitables contradictions, qu’il s’agisse de la Norvège (qui participe au marché unique sans même être en union douanière avec l’UE, et qui n’a pas pour autant de frontière dure avec la Suède), la Suisse (avec sa multitude d’accords particuliers avec l’UE, dont l’accès des citoyens au marché du travail suisse a été remis en cause ces dernières années), la Turquie (dont les termes de l’union douanière avec l’UE excluent d’importants marchés), le Canada ou l’Ukraine…

Les accords commerciaux se rattachent à de larges notions, voire à des idéaux comme le libre-échange. Derrière ces objectifs, un accord commercial, quel que soit le nom qu’on lui donne, reste souvent la somme d’une multitude d’accords sur des marchés très variés.

Theresa May a travaillé à la conclusion de ce qu’elle pensait être le meilleur accord de sortie atteignable avec l’UE, comprenant une condition sur l’Irlande du Nord qui est jugée inacceptable à Westminster. Des idées circulent aujourd’hui pour s’orienter vers un cadre encore plus général qui règle à la fois la sortie et la relation future sous la forme d’une union douanière ou du marché unique, voire même un nouveau référendum qui pourrait consacrer l’annulation du Brexit. Il s’agirait naturellement d’une rupture avec l’interprétation du vote du Brexit qu’avait proposée la Première ministre dans les semaines qui avaient suivi le vote.

Si l’on se met d’accord sur un ensemble de règles pour maintenir les liens économiques, on se rapproche en réalité d’une forme d’accord, tout en évitant les tabous et des concessions politiques inacceptables de part et d’autre. Un « accord sans accord » aurait un caractère labyrinthique sur le plan politique, mais l’UE n’a plus à démontrer son excellence dans ce domaine. Derrière des artifices potentiellement complexes sur le plan politique, l’important serait avant toute chose que, à l’échelle des entreprises et des individus concernés, la situation reste simple et prévisible.

Que signifie un Brexit dur en matière économique tant pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne ? Quid de la frontière nord-irlandaise ?

Un Brexit sans accord, mais surtout dans la précipitation, signifie de l’incertitude sur les opérations commerciales entre le Royaume-Uni et les pays de l’UE dans un premier temps. Les plans d’urgence que vont adopter les divers pays concernés devraient permettre de neutraliser un certain nombre de risques, mais on restera confronté à certaines inconnues, notamment en ce qui concerne les opérations financières complexes, Londres étant la capitale financière de l’UE et même de la zone euro en particulier, si l’on considère le volume de contrats financiers en euros. D’un côté l’urgence force les diverses parties à affirmer plus concrètement leur souhait de maintenir les relations commerciales ; ce qui indique en fait un fond de convergence entre les capitales européennes et Londres et pourrait conduire à une nouvelle base pour une entente plus discrète. De l’autre, l’imminence du Brexit pose un ensemble de problèmes très concrets, qui amènent à réfléchir à l’idée de repousser la sortie formelle pour en préparer les conditions.

En ce qui concerne la frontière nord-irlandaise, Dublin souhaite naturellement préserver les liens économiques considérables avec l’Irlande du Nord, et avec l’ensemble du Royaume-Uni plus généralement. Au-delà des aspects tactiques des échanges en cours, on peut s’attendre à ce que le gouvernement irlandais mette en place un vaste plan d’urgence pour fluidifier autant que possible les échanges, en l’absence d’accord de sortie le 29 mars.

« Trump, syndic de faillite de l’hégémonie libérale ? » (2/5) – L’hégémonie libérale est morte, vive l’hégémonie illibérale !

Fri, 18/01/2019 - 17:22

 

A l’occasion de la parution de son dernier ouvrage Requiem pour le monde occidental aux éditions Eyrolles, Pascal Boniface publie une série d’articles d’analyse portant sur l’hégémonie libérale et la politique extérieure de Donald Trump.

 

La critique de l’hégémonie libérale par Trump est bienvenue mais les solutions alternatives qu’il propose sont aussi, voire encore plus, néfastes que cette hégémonie.

Trump pose les bonnes questions, mais apporte les mauvaises réponses.

La méthode tout d’abord, tans sur le retrait de Syrie annoncé que sur les autres décisions : aucune consultation avec aucun autre allié. Trump décide seul à partir d’un agenda qui lui est propre et sans tenir aucunement compte des effets collatéraux directs ou indirects sur la situation stratégique. Trump n’a pas non plus de réflexion globale sur les intérêts américains ni sur les conséquences régionales (qui pourtant ne peuvent pas n’avoir aucun effet en retour sur les États-Unis). Il s’agit plutôt d’une réaction épidermique de nature à satisfaire les soifs émotionnelles, apparemment prise sans réflexion globale.

Retrait de Syrie ? Pourquoi pas. Mais ne faut-il pas dans ce cas le programmer et ne pas le précipiter ? La décision sur l’Afghanistan est plus compréhensible. Depuis des années, l’État-major réclame sans cesse des effectifs supplémentaires pour un « dernier effort » dans ce qui est devenu la plus longue guerre jamais menée par les États-Unis. Obama a été le premier à accepter le « surge », l’augmentation des troupes américaines après une forte réduction. Or, malgré les milliers de vies perdues, les centaines de milliards de dollars dépensées, en 2018, les Talibans sont toujours aux portes du pouvoir en Afghanistan et la présence militaire américaine toujours indispensable pour les empêcher de s’en emparer.

Mais plus encore, Trump veut en fait poursuivre, par d’autres moyens, la politique hégémonique libérale américaine. Il veut substituer une hégémonie illibérale à l’hégémonie libérale. Car la fin de l’hégémonie libérale ne débouche pas sur une politique multilatéraliste. Trump veut rationaliser l’impérialisme américain, en réduisant les coûts et maximisant les profits.

Personne ne peut avoir l’illusion d’une politique prenant en compte l’existence ou les intérêts des autres Nations. Pour Trump, les États-Unis doivent diriger le monde. Ils n’ont ni alliés ni amis, ils n’ont que des vassaux. Kim Jong-un est mieux traité qu’Angela Merkel parce que Trump a abandonné la politique des droits de l’homme pour satisfaire les besoins de sa propre diplomatie. Mais était-ce mieux avant ? Non. Les apparences étaient plus douces, mais les États-Unis ont toujours, dans leurs dénonciations des violations des droits de l’homme, fait prévaloir le niveau d’alliance sur la réalité du respect des droits de l’homme. La définition des États « voyous », dans les années 1990, censés ne pas respecter les règles de vie commune dans la société internationale, se concentrait sur les adversaires géopolitiques des États-Unis, pas sur le niveau de respect des droits humains.

Trump veut réduire la facture militaire et baser la domination stratégique américaine sur la menace de cette dernière (en tout dernier recours). Mais surtout, il veut profiter de ce qu’il reste encore de la suprématie économique américaine pour faire plier les autres pays, mettant dans un même panier ses alliés, ses rivaux. Il exacerbe les menaces des conséquences des lois extraterritoriales pour faire plier ceux qui naturellement n’auraient pas suivi la voie de Washington.

Le 13 janvier 2019, Trump a menacé de « détruire économiquement la Turquie », si celle-ci s’en prenait aux Kurdes syriens. Il ne s’embarrasse donc même pas d’une justification de non-respect d’une norme internationale. Il s’agit simplement du bon vouloir des États-Unis.

La gestion de l’accord nucléaire iranien est emblématique. Non seulement contre l’avis des cosignataires (alliés comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, ou rivaux comme la Russie et la Chine) et l’avis de la quasi-totalité des autres États (à l’exception d’Israël et de l’Arabie saoudite), Trump a rompu l’accord. Mais surtout, il a décidé de sanctionner les sociétés étrangères qui continueraient à commercer avec l’Iran. Quel que soit l’avis du gouvernement français, Total, Air France, Peugeot et d’autres se sont retirés du marché iranien. Parce qu’aussi prometteur que soit ce marché, il ne peut pas valoir le risque de se voir interdire l’accès au marché américain. Mais si Trump pousse à l’extrême la menace de l’extraterritorialité, il ne l’a pas inventée. C’est entre autres exemples sous Obama que la BNP Paribas (accusé d’avoir contourné l’embargo sur le Soudan et l’Iran) a été condamnée à 9 milliards de dollars d’amende par le département de la justice américaine. Et c’est sur la base de cette législation qu’Alstom est passé sous contrôle américain.

À partir d’une législation d’abord adoptée pour lutter contre la corruption (à la suite du scandale de l’affaire Lockheed dans les années 1970) d’abord à l’encontre des sociétés américaines, il y eut un glissement vers les entreprises étrangères pour des motifs de non-distorsion de la concurrence, on est parvenu à donner au département de la Justice américaine un pouvoir de niveau international. Les États-Unis refusent la justice internationale, à l’image de la CPI, mais ils veulent que leur justice nationale puisse s’exercer à l’échelle mondiale. Mais cet impérialisme économique n’est pas né avec Trump. L’affaire Alstom – General Electric ou le cas de la BNP Paribas sont là pour le prouver.

 

« Profession diplomate – Un ambassadeur dans la tourmente » – 3 questions à Yves Aubin de la Messuzière

Fri, 18/01/2019 - 12:24

 

Ancien ambassadeur de France au Tchad, en Irak, en Tunisie et en Italie, Yves Aubin de la Messuzière répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Profession diplomate – Un ambassadeur dans la tourmente » aux éditions Plon.

Vous avez écrit ce livre notamment parce que vous estimez que l’action diplomatique est caricaturée et ignorée, pourquoi un tel constat ?

Les préjugés sur la diplomatie et les diplomates peuplent la littérature et sont parfois relayés par les politiques et même la publicité. Dans « A la recherche du temps perdu » de Proust, le personnage du marquis de Norpois « ambassadeur au langage suranné, déversant une provision de sottises », alimente encore cette image préconçue, tandis que la publicité de Ferrero Rocher véhicule une image de luxe et de sensualité de la confiserie, supposée préférée des diplomates. Le mythe des dorures et de la tasse de thé a la vie dure. L’idée maîtresse de mon livre consiste à montrer, à travers une partie de mon parcours, notamment au Tchad et en Irak, la diversité et la complexité de l’action diplomatique, plus particulièrement dans les zones de crise. Le métier diplomatique a beaucoup évolué dans ce monde hyper connecté et il s’est encore davantage complexifié. A l’heure des réseaux sociaux et des « fake news », l’ambassadeur doit être un décrypteur des situations complexes, dont les analyses permettent d’anticiper les crises. La compétition économique mondiale lui impose de s’engager encore davantage dans la défense des intérêts commerciaux de notre pays, tandis que la multiplication des crises et des actions terroristes en fait un protecteur des communautés françaises expatriées.

Au moment où l’unilatéralisme de Trump est largement critiqué, vous qui étiez ambassadeur en Irak à la fin des années 1990, vous rappelez que la politique de Clinton et Albright à propos de l’Irak n’avait rien de multilatéraliste, pour quelles raisons ?

Sous le mandat de Clinton, la stratégie américaine consistait à contenir le régime de Saddam Hussein et non pas à le renverser. « We let him in his box », proclamait Madeleine Albright. Tout était fait pour empêcher la levée des sanctions et la commission chargée de découvrir les armes de destruction massive était instrumentalisée par Washington, qui n’avait de cesse de contourner l’ONU et son conseil de sécurité. Je raconte dans mon livre comment l’administration démocrate avait monté de toutes pièces des preuves de reprise d’un programme d’armements chimiques dans un palais présidentiel. J’ai contribué à démonter ce mensonge en visitant ce palais. L’initiative de Jacques Chirac de convaincre Kofi Annan de se rendre à Bagdad, en février 1998, pour convaincre Saddam Hussein d’ouvrir ses palais aux inspecteurs s’est heurtée, dans un premier temps, à l’hostilité des Américains. C’est en vain qu’ils ont fait pression sur le Secrétaire général de l’ONU pour qu’il ne signe pas le « Memorandum of understanding » qui a permis de résoudre la crise des Palais présidentiels.

Vous avez également été ambassadeur en Tunisie. Vous vous êtes depuis élevé contre l’idée selon laquelle la diplomatie française n’avait rien vu venir de la révolution de 2011. En quoi cette critique n’est-elle pas recevable ?

Effectivement, au lendemain du renversement de Ben Ali et de Moubarak, Nicolas Sarkozy s’en est pris « aux diplomates qui n’ont rien vu venir ». Critique gratuite, qui m’a amené à écrire un livre « Mes années Ben Ali » dans lequel j’ai publié, avec l’autorisation du Quai d’Orsay, plusieurs télégrammes diplomatiques analysant les risques encourus par le régime tunisien. L’un d’entre eux, adressé en mai 2003, s’intitulait « Réflexion prospective sur la Tunisie en 2010 ». Bien sûr, nous n’avions pas anticipé le scénario tel qu’il s’est déroulé en 2011, mais nos correspondances soulignaient les dérives du régime, son système de prédation de l’économie et surtout le mal-être de la jeunesse. Ils prévoyaient que l’alternance, le moment venu, serait islamiste. D’autres postes diplomatiques dans les pays arabes ont exercé leurs capacités d’analyse et d’anticipation qui forment le cœur du métier diplomatique. Le plus souvent, le problème vient des politiques installés dans leurs certitudes et ne prenant pas en compte les correspondances des ambassades.

 

« Trump, syndic de faillite de l’hégémonie libérale ? » (1/5) – Le gendarme du monde à la retraite ?

Thu, 17/01/2019 - 15:01

 

A l’occasion de la parution de son dernier ouvrage Requiem pour le monde occidental aux éditions Eyrolles, Pascal Boniface publie une série d’articles d’analyse portant sur l’hégémonie libérale et la politique extérieure de Donald Trump.

 

En annonçant le 26 décembre 2018 que les États-Unis ne pouvaient plus être les gendarmes du monde – déclaration accompagnant l’annonce du retrait des forces spéciales américaines de Syrie et la diminution du contingent américain en Afghanistan – Donald Trump a créé un choc dépassant en ampleur les habituelles secousses telluriques faisant suite à ses déclarations.

Les alliés – européens, asiatiques et golfiques – ont de nouveau été atteints du syndrome de l’abandon. Comment allaient-ils assurer leur sécurité si le protecteur traditionnel et omniprésent faisait subitement défaut ? Était-il, de surcroit, moral et pertinent d’abandonner les Kurdes, qui avaient joué un rôle important dans la lutte contre Daesh, à leur propre sort ? N’était-il pas prématuré de se retirer de Syrie avant que Daesh soit définitivement et complètement vaincu ?

Il y eut une tempête de protestations. Le secrétaire à la Défense Jim Mattis (il est vrai donné sortant depuis déjà quelque temps) annonçait sa démission le 1er janvier 2019. S’en suivit une succession d’annonces contradictoires sur l’ampleur et le calendrier du retrait.

Les propos de Trump sont-ils scandaleux ou infondés ? Obama avait déjà fait le même constat, en ne voulant pas être entraîné dans une intervention militaire en Syrie, en ayant résisté au maximum à être entraîné dans celle en Libye, et ne l’avoir fait qu’à la suite d’une pression maximale d’Hillary Clinton. Il devra d’ailleurs par la suite regretter d’avoir cédé. De même, les États-Unis sont intervenus de façon très minimale au Sahel, en se limitant à un soutien logistique à la force internationale. Mais si Obama avait déclaré que les États-Unis ne pouvaient plus être le gendarme du monde comme vient de le faire Trump, il aurait été immédiatement dénoncé pour défaitisme et accusé d’affaiblir le leadership américain. Trump, en prenant pour slogan de campagne « Make America Great Again » n’avouait-il pas implicitement que les États-Unis n’avaient plus les moyens d’être comme auparavant le gendarme du monde, rejoignant ainsi le constat d’Obama ?

La communauté stratégique américaine[1] a quasi unanimement critiqué cette déclaration de Trump. Pourtant, son argumentation ne vaut-elle pas d’être prise en considération quand Trump déclare que les interventions militaires américaines du XXIe siècle (Afghanistan, Irak, Libye) avaient été des catastrophes ?  Celles-ci ont effectivement été extrêmement coûteuses sur le plan économique pour les États-Unis, sans apporter aucune victoire stratégique, et de surcroit, elles ont augmenté et non pas diminué l’hostilité à l’égard des États-Unis dans les régions concernées.

Bref, les vies des soldats américains avaient initialement été perdues pour aider des peuples ingrats qui n’en tiraient aucune reconnaissance pour les États-Unis. C’est en négligeant les besoins intérieurs américains (sociaux, infrastructures, etc.) que Washington avait dilapidé des fortunes pour des contrées lointaines, où il n’y avait pas d’intérêts stratégiques majeurs.

Les alliés avaient déjà paniqué lors de l’élection d’un président qui avait annoncé haut et fort sa fatigue des alliances et des coûts qu’elles représentaient pour les États-Unis et sa volonté de normaliser les relations avec la Russie. Heureusement à leurs yeux, la relation Washington-Moscou ne s’est pas améliorée depuis 2016, malgré la volonté de Trump. Au contraire, des sanctions additionnelles ont été adoptées et Trump, satisfait de l’engagement de dépenses militaires (et de l’achat d’armes américaines) des différents alliés, ne remettait plus en cause le système existant.

Les émissaires américains et leurs relais en Europe, voulant étouffer toute perspective d’autonomie européenne, allaient répéter dans les différentes capitales du vieux continent qu’une telle perspective serait dangereuse, car elle accélérerait un éventuel découplage de la sécurité de l’Europe et des États-Unis, au moment même où Trump s’était rallié à cette idée. Ils argumentaient aussi sur le fait que s’il y avait, du fait des déclarations du président américain, des turbulences dans l’alliance atlantique, l’OTAN, la structure civilo-militaire nécessitait, elle, une base solide et pérenne.

Le début de l’année 2019 a été marqué par la démission, au 1er janvier, du secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis, « l’adulte dans la pièce », celui qui rassurait les alliés européens justement parce qu’il était conscient de la nécessité des alliances et du respect des engagements par les États-Unis.

Il apparaissait comme un rempart contre l’unilatéralisme de Trump. Mais de quel rempart s’agissait-il ? Mattis était tout simplement partisan de la politique de l’hégémonie libérale. Il était en faveur de l’Alliance atlantique, parce qu’il avait compris qu’elle était non pas un cadeau fait par les Américains aux Européens, mais le moyen de maintenir l’impérialisme de Washington sur l’Europe et d’empêcher l’émergence d’une quelconque volonté d’autonomie.

Certes, Mattis avait plaidé pour le respect de l’accord nucléaire iranien. Mais il voulait augmenter encore le budget militaire américain pour le faire passer de 717 à 760 milliards de dollars. Trump, qui lors des deux premières années de son mandat avait augmenté le budget de 120 milliards, voulait, lui, marquer une pause. Mattis estimait que cela était dangereux face à la menace de la montée des crédits militaires russes et chinois, qui pourtant, avec respectivement 61 et 170 milliards de dollars en 2017, sont loin de flirter avec les sommets du Pentagone.

Si la communauté stratégique américaine, néo-conservateurs et libéraux réunis, a quasi unanimement fustigé les propos de Trump, l’opinion publique, elle, est plus en phase avec l’argumentation du président américain. Toutes les enquêtes d’opinion le prouvent, les élites américaines sont plus « interventionnistes » et le peuple américain plus « isolationniste ». Trump remet frontalement en cause l’hégémonie libérale qui est l’alpha et l’oméga de la diplomatie américaine depuis la fin de la guerre froide. Or cette théorie est également remise en cause, non dans une série de tweets ou de déclaration à l’emporte-pièce, mais dans un livre solidement documenté et magistralement argumenté par un universitaire américain, Stephen Walt. J’y reviendrais.

 

[1] Les journalistes, experts des think tanks, analystes du département d’État et du Pentagone, généraux à la retraite, etc.

 

 

 

Brésil : quelles perspectives géopolitiques pour 2019 ?

Thu, 17/01/2019 - 09:51

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, répond à nos questions :
– Que peut-on attendre du nouveau gouvernement brésilien ?
– Quelles devraient être les premières mesures du gouvernement brésilien ?
– Qu’attendre du Brésil de Jair Bolsonaro sur la scène géopolitique ?

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