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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Vente massive de F-35 américains au Japon : doit-on craindre pour l’équilibre régional ?

Tue, 21/07/2020 - 17:43

Le Département d’État américain a donné son accord à la mi-juillet pour l’achat, par le Japon, de 105 F-35 Lighting II Joint Strike Fighters, l’avion de combat américain furtif de cinquième génération, et de l’équipement associé, selon une notification au Congrès.

Le Japon avait déjà commandé 42 F-35A et, le gouvernement nippon avait approuvé en décembre 2018 une augmentation de la commande à 147 avions, qui comprendrait également 42 F-35B à décollage court et atterrissage vertical (STOVL). L’ensemble approuvé comprend 63 F-35A, 42 F-35B et 110 moteurs Pratt et Whitney F135, ainsi que divers équipements.

Le coût total estimé de cette opération est de 23,11 milliards de dollars, bien que cela dépende encore des négociations contractuelles entre le Japon et Lockheed Martin, le constructeur de l’avion. Si le programme se poursuit, le Japon rejoindra le Royaume-Uni, l’Italie et Singapour en tant que clients internationaux pour la variante B, en attendant l’approbation du Congrès américain. Cet accord ferait du Japon le plus gros client international du F-35.

C’est aussi la plus grande vente militaire jamais approuvée par les États-Unis après les 29 milliards de ventes d’armes débloqués en 2010 pour l’Arabie saoudite.

Bien que les F-35B japonais doivent opérer à partir des deux destroyers porte-hélicoptères DDH de classe Izumo, le Japon n’a pas encore officiellement déclaré si la Force d’autodéfense aérienne japonaise ou la Force d’autodéfense maritime japonaise exploiteront ces avions. Ces navires-porte-hélicoptères sont considérés comme de petits porte-avions. Ils mesurent tout de même 248 mètres de long et déplacent plus de 20 000 tonnes.

Le ministère japonais de la Défense a cependant minimisé les futures opérations des F-35 des JS Izumo (DDH-183) et JS Kaga (DDH-184) en disant que les F-35 seraient déployés sur les navires si nécessaire, en raison des implications politiques de telles manœuvres qui constituent un sujet sensible, tant sur le plan intérieur – si une telle capacité acquise avec l’installation de F-35 les poussait au-delà des limites constitutionnelles du Japon, qui interdisent la possession de capacités offensives – qu’au plan extérieur : les voisins, Chine et Corée, y voient un retour du militarisme agressif nippon. L’effet peut être très déstabilisateur.

Le fonctionnement des F-35B serait également une première depuis la Seconde Guerre mondiale où le Japon exploiterait des avions de chasse sur sa marine de guerre. De tristes et tragiques souvenirs pour beaucoup. Kaga est d’ailleurs l’homonyme d’un important porte-avions de la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, des officiers supérieurs de la marine à la retraite ont été cités dans la presse japonaise comme ayant déclaré que la menace posée par les capacités militaires croissantes de la Chine, ayant conduit à une augmentation des incursions dans les eaux japonaises, notamment les très disputées îles Senkaku/Diaoyu à 300 kilomètres au sud-ouest d’Okinama environ, nécessite la mise en place d’avions de défense aérienne.

Compte tenu des limites de la classe Izumo, il y a eu des appels en faveur du développement d’une nouvelle classe de navires intérieurs, bien que le Japon doive clarifier au plan national et international que ces navires resteront purement défensifs.

L’Izumo subit actuellement la phase initiale des travaux de conversion pour lui permettre d’exploiter des F-35 et reviendra en service prochainement. Les travaux de conversion finaux seront effectués au cours de l’exercice fiscal 2025, tandis que le Kaga sera entièrement modifié au cours de l’exercice 2022, bien que les plans actuels prévoient que le Japon ne reçoit ses F-35B qu’à partir de 2024. Les responsables américains ont confirmé à USNI News que les F-35 de l’US Marine pourraient être les premiers à opérer à partir des plates-formes japonaises.

Parallèlement à l’achat de F-35, le Japon encourage également le développement d’un avion de combat indigène pour remplacer sa flotte d’avion de combat F-2.

L’achat japonais marque donc une nouvelle étape dans la course aux armements régionale, puisque la Chine poursuit son programme de porte-avions et l’acquisition d’avions furtifs. Les F-35 américains ne vont certainement pas calmer les ardeurs chinoises. Pour la diplomatie américaine, cette vente « renforcera la sécurité d’un allié majeur » dans la région Asie-Pacifique. On peut s’interroger.

Il serait temps que les deux pays se mettent à la table des négociations et que l’allié américain joue un rôle modérateur et n’attise pas, une fois de plus, les tensions par des ventes d’armes massives. La paix dans le monde dépend beaucoup de l’équilibre en Asie de l’Est.

L’essor du GNL ou la maritimisation du gaz

Thu, 14/05/2020 - 14:04

 

 

En 1964, le gaz naturel liquéfié (GNL) apparaît pour la première fois sur le marché mondial de l’énergie lorsqu’est inauguré le terminal d’Arzew, en Algérie. Les exportations se font alors par voie maritime vers la France. Pour ce faire, le gaz naturel est liquéfié en procédant à son refroidissement à -162°C, afin de réduire son volume par 600 avant le chargement à bord des méthaniers. La France s’affiche alors comme pionnière dans les techniques de transport du GNL[1].

Depuis, la consommation mondiale en gaz naturel n’a cessé d’augmenter pour répondre à la croissance de la demande en énergie primaire, mais aussi sous l’effet des politiques publiques, visant à réduire les pollutions atmosphériques et améliorer la santé publique. Chine, Inde et États-Unis, pour les plus importants d’entre eux, suivent cette voie. En outre, l’offre demeure abondante notamment grâce à la découverte de nouveaux gisements en offshore profond et ultra-profond et à l’exploitation des gaz non conventionnels[2]. Dans le même temps, la part de la liquéfaction progresse, faisant du marché du gaz un enjeu de plus en plus maritime.

Le GNL, gage de flexibilité

La liquéfaction du gaz naturel s’impose d’abord comme une nécessité pour son transport sur de longues distances ou par-delà les océans. Cela explique notamment pourquoi les plus grands importateurs de GNL sont éloignés des zones de production et uniquement reliés à ces dernières par la mer (Japon, Corée du Sud, Chine). A contrario, l’Europe occidentale, proche de ses gisements (mer du Nord, Norvège, Russie), importe environ 80 % de son gaz naturel par gazoducs.

Cependant, le GNL apporte aussi de la flexibilité qui peut procurer un avantage sur le plan stratégique : les États peuvent faire usage de cet atout, qu’ils soient exportateurs ou importateurs. Les pays exportateurs peuvent ainsi diversifier leurs débouchés pour ne pas dépendre d’un client unique. C’est, par exemple, le cas de la Russie qui a choisi le GNL pour exploiter ses champs gaziers de l’Arctique, près de la péninsule de Yamal, afin d’en exporter la production à la fois vers l’Europe, par gazoducs, mais également vers la Chine, alimentée par la route Nord au moyen de 15 méthaniers brise-glace. Mais le GNL est aussi un atout pour les pays importateurs, soucieux de sécuriser leurs approvisionnements énergétiques en diversifiant leurs fournisseurs ou en contournant des territoires peu sûrs ou hostiles par la voie maritime.

L’Inde, par exemple, développe ses installations de regazéification par lesquelles passe la totalité de ses importations de gaz naturel. Malgré sa proximité avec l’Iran et le Turkménistan qui possèdent d’importantes réserves en gaz, l’Inde, qui a un besoin croissant en gaz naturel, préfère l’importation par la mer, en provenance du Qatar, d’Oman, du golfe de Guinée, d’Australie et même des États-Unis, tant les tensions géopolitiques dans la région freinent les projets de gazoduc terrestre. Rappelons qu’initié dans les années 1990, le projet de gazoduc « TAPI », reliant Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde, n’a toujours pas vu le jour malgré les lourds investissements déjà réalisés par le Turkménistan sur son territoire depuis 2015[3]. Quant au projet de gazoduc Iran-Pakistan-Inde, la pression américaine exercée dans la région contre l’Iran semble avoir contribué à mettre le projet en sommeil. Enfin, même si elle ne les a pas clairement affichées dans le cadre du développement de ces projets, l’Inde semble avoir quelques réticences à mettre entre les mains du Pakistan une artère vitale pour son approvisionnement énergétique.

De même, l’Union européenne (UE) cherche à promouvoir le GNL pour sécuriser ses approvisionnements qui dépendent pour une grande part des importations par gazoduc, notamment de gaz russe[4]. Depuis plusieurs années, elle finance les terminaux de Kavala, près de Thessalonique en Grèce, et les interconnecteurs entre la Grèce et l’Italie mais aussi entre la Grèce et la Bulgarie. La Grèce pourrait ainsi devenir une nouvelle porte d’entrée du GNL à destination du marché européen grâce à sa position idéale proche des gisements récemment découverts en Méditerranée orientale et du débouché du canal de Suez, par lequel transitent les méthaniers Suezmax en provenance du Qatar. En outre, les anciens pays du bloc de l’Est, qui disposent d’un accès à la mer, investissent avec l’aide de l’UE dans des terminaux de regazéification, et ce, parfois, au détriment de toute logique économique. Chacun des pays baltes s’est ainsi doté d’un terminal de regazéification alors qu’un seul aurait suffi pour alimenter les trois pays. Les États-Unis profitent de la volonté de l’UE de sécuriser ses approvisionnements et de diminuer sa dépendance au gaz russe pour écouler leur production excédentaire sous forme de GNL.

Bien que séduisante, cette flexibilité reste toutefois relative. En effet, les efforts financiers à consentir pour le développement d’une chaîne de valeur GNL sont tels qu’un opérateur gazier investit rarement dans des infrastructures sans avoir signé au préalable des contrats de long terme avec les clients intéressés. Le GNL n’efface donc pas totalement les dépendances entre pays, même si ces dépendances présentent l’avantage de n’être que contractuelles, donc virtuelles et non pas physiques, comme peut l’être la dépendance à l’approvisionnement par gazoduc.

Par ailleurs, la géographie conditionne le potentiel de flexibilité et donc de sécurité apportée par le GNL. Ainsi, quand un pays dispose de plusieurs façades maritimes ou d’une ouverture complète sur un océan, ce qui est le cas de la France, les approvisionnements par GNL renforcent sa sécurité énergétique. En revanche, lorsque ses accès à la mer sont limités, ce qui impose le transit des méthaniers par un chenal peu sûr comme le détroit d’Ormuz dans lequel circulent 24 % du volume des échanges de GNL dans le monde, la flexibilité est beaucoup moins évidente.

Un marché en forte croissance

La croissance des échanges de gaz naturel sur les marchés interrégionaux s’élève à 39 Gm3 en 2018, soit plus du double de la croissance annuelle moyennée sur les dix dernières années. Une situation qui s’explique principalement par les exportations de l’Australie (15 Gm3), des États-Unis (11 Gm3) et de la Russie (9 Gm3). Quant à elle, la Chine participe à plus de la moitié de la croissance aux importations (21 Gm3). Et en 2018, cette croissance passe essentiellement par la mer, puisque sur les 39 Gm3 d’augmentation, 37 sont attribuables au GNL à la suite de la mise en service et à la montée en puissance de nouvelles usines de liquéfaction en Australie (FLNG Prelude), en Russie (Yamal LNG) et aux États-Unis. En dix ans, la part du GNL dans les échanges internationaux de gaz naturel est passée de 30 à 45 % (cf. la figure ci-dessous).

Cette maritimisation du marché du gaz se traduit par des transformations visibles sur les mers. D’abord, l’activité de la flotte mondiale des méthaniers est celle qui a connu la plus forte croissance depuis dix ans (croissance annuelle de 6,1 % entre 2010 et 2018, contre 3,7 % pour l’ensemble des autres flottes)[5]. Ensuite, la multiplication des gisements offshores profonds et ultra-profonds s’est accompagnée de l’apparition de nouveaux objets flottants et géants que sont les FLNG[6] et les FSRU[7]. Enfin, les ports se transforment en accueillant de nouveaux terminaux de liquéfaction dans les pays exportateurs et de nouveaux terminaux de regazéification dans les pays importateurs.

Pour protéger ces nouvelles activités importantes, voire vitales, les marines militaires se renforcent en conséquence. Face à la montée de la puissance chinoise en Asie, l’Australie a fait le choix d’acquérir 12 sous-marins océaniques, destinés notamment à protéger ses gisements offshores répartis tout au long de la côte Nord. Après la découverte de gisements de gaz naturel dans sa ZEE, le Sénégal a commandé au consortium français Kership, en 2019, trois patrouilleurs hauturiers qui viendront considérablement renforcer la flotte sénégalaise en 2022. Pour la première fois de son histoire, le Sénégal sera alors doté de missiles mer-mer et mer-air fournis par MBDA. Dernier exemple, la République de Chypre a signé un contrat pour l’achat de missiles sol-air et sol-mer en 2019, et négocie actuellement l’achat de deux patrouilleurs de haute mer, pour contrer la menace turque dans sa ZEE.

Le GNL et la France

En 2018, 30 % du gaz naturel consommé en France a été importé par la mer sous forme de GNL, transitant par les terminaux méthaniers de Fos-Tonkin, Fos-Cavaou, Montoir et Dunkerque. La capacité de ces derniers permet d’absorber deux fois le volume actuellement traité, ce qui offre à la France la possibilité d’augmenter sereinement ses importations par la mer, afin de moins dépendre des importations continentales par gazoduc. Cela lui permet aussi de devenir un point d’entrée pour desservir le marché européen et faire profiter les ports de Fos, Dunkerque et Montoir d’une activité économique bienvenue.

La majorité des importations provient du continent africain, principalement d’Algérie (31 %), du Nigéria (27 %) et d’Égypte (3 %). Vient ensuite la contribution des champs gaziers de la mer du Nord et l’Arctique, avec la Norvège (11 %) et la Russie (11 %), puis celle du Qatar (8 %) et enfin celle des Amériques (USA : 4 %, Pérou : 2 % et Trinidad-et-Tobago : 1 %). Dans un avenir proche, la croissance importante de l’offre américaine évoquée précédemment contribuera sans doute à augmenter significativement la part offerte aux importations vers la France.

Le GNL emprunte des routes maritimes qui ne sont pas toutes sûres. D’abord, le golfe de Guinée, où transite le quart du GNL importé en France, connaît une forte activité de piraterie (80 % des actes dans le monde en augmentation en 2019 de 50 % par rapport à 2018, selon le Bureau Maritime International). L’opération Corymbe participe à la sécurisation de cette voie maritime, également empruntée par les pétroliers, et de l’ensemble de la zone où opèrent d’autres navires de services battant pavillon français ou appartenant à des sociétés parapétrolières françaises (Total, Bourbon, etc). Au Nord du golfe de Guinée, la route maritime du GNL passe devant le Sénégal et la Mauritanie, au large desquels de nouveaux gisements viennent d’être découverts (Grand-Tortue, Yangaar et Teranga)[8]. Plus proches de la métropole que le Nigeria, ces gisements pourraient rapidement devenir une nouvelle source d’approvisionnement pour la France. La présence de la Marine nationale à Dakar et les liens de coopération entre la France et le Sénégal trouveraient là un regain d’intérêt.

Autre zone de tensions, étatiques cette fois, la Méditerranée orientale est convoitée depuis peu pour ses gisements gaziers du bassin levantin : Leviathan, Zohr, Aphrodite. En particulier, la République chypriote et la Turquie revendiquent les mêmes zones d’exploration conduisant la marine turque à entraver les travaux d’exploration de compagnies européennes telles ENI et Total, qui opèrent avec un permis chypriote. La présence de la Marine nationale dans la zone vise à assurer l’autonomie d’appréciation de la situation, notamment sur le théâtre syrien. Mais les intérêts de la France vont peut-être au-delà, dans la mesure où, d’une part, des entreprises françaises et européennes vont participer à l’exploration et sans doute à l’exploitation de ces champs, et, d’autre part, le GNL qui y sera produit pourrait approvisionner le marché européen. Une protection accrue des intérêts communautaires contre l’appétit turc est à rechercher auprès des membres de l’UE et dans ce cadre, la France, à travers la Marine nationale, pourrait jouer un rôle en cohérence avec sa vision de la politique européenne de défense. Tout en préservant ses intérêts, elle devra continuer à renforcer sa solidarité avec des États membres comme Chypre, qui paraissent bien démunis face à l’appétit turc.

La Méditerranée voit également passer la route maritime en provenance d’Égypte et du Qatar. Si ce dernier n’est pas le fournisseur principal de la France en gaz naturel liquéfié (8 %), il contribue cependant à hauteur de 31 % des importations de GNL pour l’ensemble des États membres de l’Union européenne. L’Italie et l’Espagne sont ainsi les États les plus fortement dépendants[9]. On trouve là une justification supplémentaire pour l’UE et pour la France de protéger le trafic franchissant les détroits d’Ormuz et de Bab el-Mandeb, soumis aux frictions permanentes entre les puissances régionales. La mission d’initiative européenne Agenor, qui regroupe l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal, paraît parfaitement répondre à ce besoin.

Conclusion

Comme dans de nombreux autres domaines (échanges de marchandises, échanges numériques, etc), la France ne peut éviter et doit prendre en compte cette nouvelle donne de la maritimisation du gaz naturel. D’abord, parce que ce n’est plus à terre mais bien en mer que sont découverts les nouveaux gisements, parfois à proximité de la ZEE française et presque toujours dans les zones d’intérêt de la France. Ensuite, parce que la nécessité de sécuriser les approvisionnements passant par la diversification des fournisseurs, l’importation de gaz naturel se fera de plus en plus sous forme de GNL, par la mer, en provenance d’horizons transocéaniques. À cet égard, le chiffre de la croissance des importations de GNL par les terminaux français est éloquent : +87 %[10] entre 2018 et 2019. Dans ce contexte de maritimisation du gaz, la Marine nationale voit ainsi ses missions potentielles s’élargir pour sécuriser les nouvelles voies d’approvisionnement et les intérêts de l’industrie française sur les nouveaux gisements offshore.

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[1] Notamment avec les compagnies Gazocéan, Technigaz et Gaz Transport, fondées dans les années 1960 et dont l’une des descendantes, GTT, demeure leader dans la fabrication et la commercialisation des cuves à membranes pour les méthaniers.

[2] Notamment aux États-Unis qui est devenu pour la première fois en 2018 exportateur net de gaz naturel

[3] Maxime Jebali, « AMBASSADE DE FRANCE EN AZERBAÏDJAN SERVICE ÉCONOMIQUE AZERBAÏDJAN ET TURKMÉNISTAN », s. d., 5.

[4] Les 164 Gm3 de gaz russe importé par gazoduc représentent 38 % des importations dans l’Union européenne en 2018.

[5 ]DNV GL, « Maritime Forecast to 2050 – Energy Transition Outlook 2019 », 2019.

[6] FLNG : floating liquefied natural gas – unité flottante de liquéfaction et de stockage située sur un gisement, reliée à plusieurs puits d’extraction de gaz naturel et servant de point de chargement des méthaniers

[7] FSRU : floating storage and regazeification unit –  unité flottante de stockage et de revaporisation permettant de délivrer du gaz naturel vers la terre à partir du GNL déchargé des méthaniers

[8] « Gisement de gaz au large du Sénégal et de la Mauritanie : « BP sera prêt à démarrer l’exploitation en 2022 » – Jeune Afrique », JeuneAfrique.com, 21 octobre 2019, https://www.jeuneafrique.com/mag/844496/economie/gisement-de-gaz-au-large-du-senegal-et-de-la-mauritanie-bp-sera-pret-a-demarrer-lexploitation-en-2022/.

[9] Le Qatar fournit 79 % du GNL importé par l’Italie soit 9 % de la consommation en gaz naturel de ce pays et 23 % du GNL importé par l’Espagne soit 11 % de la consommation de ce pays.

[10] « France : le « retour massif » du GNL, fait marquant de 2019 pour GRTgaz | Connaissances des énergies », 24 janvier 2020, https://www.connaissancedesenergies.org/

Article publié en partenariat avec le Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM)

L’Amérique latine en désintégration pandémique

Thu, 14/05/2020 - 12:32

 

L’Amérique latine, l’Amérique latine intergouvernementale, serait-elle victime collatérale, du Covid-19 ? Chaque pays, en effet, réagit sans se préoccuper du voisin. L’Amérique latine fait de moins en moins sens.

Les projets intégrationnistes ont disparu des agendas gouvernementaux. Les discours rhétoriques d’union et d’amitié collective, exercice oratoire pourtant prisé depuis les indépendances ont disparu. Pire, on assiste à un mouvement accéléré de détricotage de l’existant.

Ernesto Araujo, ministre brésilien des Affaires étrangères, a défendu ce choix diplomatique avec assurance nationaliste et idéologique, le 22 avril 2020, en ces termes : « Transférer des compétences nationales à l’Organisation mondiale de la santé » (OMS) « sous le prétexte (jamais prouvé) qu’un organisme international centralisé est plus efficace qu’une action nationale dans chaque pays n’est qu’un premier pas vers la construction de la solidarité communiste planétaire ».

Le coronavirus lit-on, dans les gazettes urbi et orbi, bouleverse l’ordre du monde. La formule est sans doute excessive, mais il est vrai que la brutalité du choc accentue les lignes de faille et de rupture préexistantes. C’est en tout cas le constat que l’on peut faire le 15 mai 2020, en Amérique latine, 75 jours après l’identification du premier malade affecté par le coronavirus, à Saint-Paul, au Brésil.

La rhétorique intégrationniste est un exercice politique comme intellectuel rituel et quasi incontournable du Rio Grande/Bravo à la Terre de Feu. Depuis les indépendances, cent fois sur le métier, les responsables et lettrés les plus divers ont signalé les bienfaits de la coopération. Avec, il est vrai, dès 1830, le sentiment exprimé alors par Simon Bolivar que ces efforts revenaient à labourer la mer.

Un impressionnant feuilleté d’organisations intergouvernementales s’est pourtant constitué au fil du temps. Reflet d’ambitions et de contraintes contradictoires, mais il signale un attachement partagé à la coexistence constructive. Sans exclusion, les différentes structures avaient tant bien que mal survécu aux aléas des influences extérieures et à ceux d’histoires nationales parfois tragiques. Il y avait en effet, de droite à gauche, un attachement commun au multilatéralisme, perçu comme une assurance vie régionale et internationale…

Certaines de ces organisations, placées sous le chapeau des Nations unies, rassemblent toute la famille, la Commission des Nations unies pour l’Amérique latine et la Caraïbe (CEPAL) par exemple. D’autres sont panaméricaines, d’adhésion incontournable forcée par le voisinage des États-Unis. Tous les Latino-Américains sont donc membres de l’Organisation des États américains (OEA) et de ses institutions associées. Et au fil des ans, en poupées russes, un ensemble d’organisations purement locales avait émergé. Jusqu’à la constitution en 2010 de la Communauté d’États latino-américains et caraïbes (CELAC), rassemblant pour la première fois les Latino-américains dans l’ensemble de leurs sous-ensembles.

2020, année du coronavirus, aura été aussi celle d’une remise en question de deux organisations communes symboliques, la CELAC et le Marché commun du Sud (MERCOSUR). Le 15 janvier, le gouvernement brésilien annonçait son retrait de la CELAC. Le Brésil, huitième ou neuvième économie mondiale, première d’Amérique latine, a porté là un coup que la CELAC aura du mal à compenser. Le 24 avril 2020, les autorités argentines ont annoncé leur retrait d’un certain nombre d’accords de libre-échange en cours de négociation entre le MERCOSUR, le Canada, la Corée, l’Inde et le Liban.

Le Mexique, président pro-tempore de la CELAC, a organisé un sommet virtuel consacré à la lutte concertée contre la pandémie du Covid-19, sans le Brésil, pourtant le pays le plus peuplé et le plus touché. Et quel sens peut-on désormais accorder à un marché commun, le MERCOSUR, amputé de l’un de ses membres fondateurs dans le domaine de sa compétence, les négociations commerciales ?

Ces deux évènements majeurs en temps de coronavirus, répondent pourtant à des mouvements sismiques géopolitiques bien antérieurs. On a assisté depuis quelques années à une idéologisation des relations internationales, génératrice d’exclusion. De façon annonciatrice, mais restée marginale, le Venezuela avait privilégié une diplomatie d’amis, fondée sur l’affrontement assumé avec les États-Unis. Le Venezuela s’était retiré du groupe dit « G3 » et de la CAN. Il avait créé l’ALBA. Le Brésil bien que progressiste n’avait pas adhéré à l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA). Il avait au contraire plaidé par l’exemple en pratiquant et perpétuant une diplomatie interrégionale œcuménique.

Les alternances vers la droite, démocratiques ou forcées, ont conforté la diplomatie idéologique à la vénézuélienne. Confortés par la victoire de Donald Trump aux États-Unis, les dirigeants de droite ont rompu avec les traditions multilatérales, et construit une diplomatie reposant sur des affinités aujourd’hui libérales et conservatrices.

Ils ont démonté l’architecture intergouvernementale, inventée par leurs prédécesseurs immédiats. L’Union des Nations sud-américaines (UNASUR) a été la première ciblée. Abandonnée au fur et à mesure des changements au sommet des États, de 2018 à 2020, par la Colombie, l’Argentine, le Paraguay, le Brésil, le Chili, l’Équateur, la Bolivie et l’Uruguay. L’Équateur s’est retiré de l’ALBA. La CELAC a été délaissée par le Brésil le 15 janvier 2020.

Le MERCOSUR, structure coopérative relativement ancienne, a survécu. Discuté par le Paraguay et le Brésil, en raison de la présence du Venezuela, il a finalement été accepté après suspension du régime de Caracas. Il a ensuite été orienté vers une entente avec l’Alliance du Pacifique, mise en place en 2011 pour faire contrepoids à l’ALBA et au MERCOSUR.

Des alliances à caractère idéologique ont été substituées aux organisations contestées. Le Groupe de Lima et Prosur, les conférences hémisphériques contre le terrorisme, dont le dénominateur commun est de mettre à l’index les pays encore dirigés par des régimes du cycle antérieur, et si possible, de provoquer une relève politique de droite dans ces pays. Le Venezuela est le premier État visé, mais aussi, selon les moments, Cuba et le Venezuela. Ces groupes soudés par une idéologie combattante sont peu articulés.

Ils fonctionnent en complément d’un espace plus global ouvert sur l’occident libéral. Le Canada, membre du Groupe de Lima facilite cette intégration. Plusieurs États ont rejoint l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Tous soutiennent la gestion d’une OEA, idéologisée. Ils ont favorisé la réélection, le 20 mars 2020, du candidat de Donald Trump au Secrétariat général, l’Uruguayen Luis Almagro. L’Uruguay a réintégré le Traité interaméricain d’assistance réciproque (TIAR) en 2020. Tous ont accepté la stratégie de rapports bilatéralités avec Washington.

Cette évolution ne va pas sans risque. La relation avec les États-Unis, bilatéralisée est inégale par définition. Les amis déclarés, Brésil, Colombie, se heurtent à l’égoïsme national du plus fort. Seuls et sans recours, ils affrontent l’arbitraire de droit de douane sur leurs produits exportés, à l’annulation de prises d’entreprises locales par celles des États-Unis, mésaventure ayant affecté la brésilienne Embraer, cédée à Boeing avec l’accord des autorités de Brasilia, à l’expulsion de leurs nationaux.

D’autre part, la dénonciation des structures onusiennes et des ententes régionales a généré une marche vers le désordre sanitaire, faute de coordination, et la montée d’un esprit de croisade pour résoudre les différends entre États, en particulier avec le Venezuela. Cette diplomatie des valeurs menace la paix[1]. « Il n’y a pas de guerre juste » a rappelé Rony Brauman, il n’a que de faux prophètes »[2]. Cette dérive inquiète les nouveaux dirigeants de l’Argentine et du Mexique, qui multiplient les appels à la raison multilatérale. Felipe Sola, ministre argentin des Affaires étrangères l’a exprimé de la façon suivante, le 29 avril 2020, pour faire comprendre la distance de son pays à l’égard des négociations tous azimuts ouvertes par le Mercosur à la demande du Brésil et de l’Uruguay : « L’Argentine n’exclut personne. Elle a un grand intérêt à rester connectée au monde. […] Mais elle ne peut accepter qu’un monde très idéologisé la conduise là où elle ne veut pas aller […] La prétendue modernité avancée parce que nous n’aurions pas d’industries (à défendre) n’est pas l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes ».

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[1] Voir Jean de Gliniasty, « La diplomatie au péril des valeurs », Paris, L’inventaire, 2017

[2] Rony Brauman, « Guerres humanitaires ? mensonges et intox », Paris, textuel, 2018

Hong Kong : pourquoi de nouvelles manifestations en pleine pandémie ?

Tue, 12/05/2020 - 20:32

 

Au moment même où les restrictions liées au coronavirus se sont adoucies, les mouvements populaires hongkongais ont repris de plus belle. Les affrontements avec la police chinoise ont été houleux puisque 18 personnes ont été blessées et 230 arrêtées. Face à la force des contestations, Pékin ne semble pourtant pas changer d’attitude. Le point de vue de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Le 10 mai, 230 personnes en marge des manifestations prodémocratie ont été arrêtées à Hong Kong. Comment expliquer la résurgence des contestations ? Les revendications des manifestants ont-elles évolué ces derniers mois ?

Le mouvement prodémocratie a, comme tout le reste, subi la crise du coronavirus, et les manifestations avaient totalement cessé en janvier. Parallèlement, la victoire écrasante du mouvement à des élections locales fin 2019 avait également contraint les autorités à se montrer plus discrètes autant qu’elle s’était traduite par une baisse d’influence dans les manifestations. Mais les revendications n’ont pas changé, et les manifestants ont simplement attendu la levée des restrictions pour raisons sanitaires pour se réunir à nouveau, avec à la clef des affrontements avec les forces de police – on parle de 18 blessés et 230 arrestations. On semble repartis pour un nouveau cycle de manifestations, Carrie Lam, chef de l’Exécutif de Hong Kong et pro-Pékin, ayant annoncé que les enseignements d’études critiques à l’université, qu’elle estime être responsables de la contestation, allaient être revus. Cette annonce a remis le feu aux poudres, et traduit l’impasse du dialogue entre les autorités et les démocrates. On évoque aussi un projet de loi qui sanctionnerait les offenses à l’hymne national chinois, voire même d’un texte anti-sédition. Si un tel texte est adopté (il avait été évoqué, puis oublié, en 2003, face à de vives protestations), les tensions seront encore plus vives.

Les restrictions liées au coronavirus servent-elles la police hongkongaise face aux manifestants ?

Elles ont permis de rendre impossibles les rassemblements. Mais ce n’est qu’illusoire et temporaire puisqu’on voit bien que les manifestants reprennent le mouvement dès qu’une occasion leur en est offerte. Et l’exécutif est passé maître dans l’art de provoquer, comme évoqué précédemment. La grande inconnue concerne la réaction de l’opinion publique. Soit il y a une forme de lassitude, comme on l’avait observé à la fin du mouvement des parapluies de 2014, et les étudiants se retrouveront isolés. Soit les provocations sont trop fortes et mobilisent encore plus, et dans la durée, et c’est cette fois l’opinion publique dans son écrasante majorité qui se retourne contre le pouvoir. Si un tel scénario se profile, il sera difficile pour Pékin de maintenir l’ordre sans montrer un visage qui lui fera forcément défaut.

Quelle est l’attitude de l’exécutif chinois face à ces mouvements populaires ? A-t-il évolué au cours des mois ?

Au-delà des provocations grossières et d’une vassalité tout aussi grossière à l’égard de Pékin, Carrie Lam se distingue par son incompétence. Son rôle doit consister à servir d’intermédiaire entre la Chine et les démocrates hongkongais, et donc à avancer en douceur, et sans créer de frustrations. Or, c’est exactement l’inverse. Les tensions étaient déjà grandes, mais elles se sont considérablement accentuées depuis son arrivée au pouvoir. C’est donc clairement une attitude délibérée et qui n’évolue pas, mais qui est un fiasco. Carrie Lam devrait donc, tôt ou tard, être remplacée, et on peut même s’étonner de l’entêtement de Pékin à miser sur elle. Elle est d’une certaine manière la meilleure alliée objective des manifestants.

Covid-19 : et maintenant, les enfants ?

Tue, 12/05/2020 - 12:45

New York, lundi 11 mai. Alors que le confinement se poursuit, un vent de panique circule dans les familles avec enfants.

Trente-huit gamins sont tombés malades d’un nouveau syndrome lié au virus du Covid-19. Trois sont morts.

Le maire, Bill de Blasio, a déclaré dimanche que ces enfants avaient été atteints d’un nouveau syndrome inflammatoire grave qui, selon les responsables de la santé de la ville, semble être lié à une réponse immunitaire au coronavirus.

C’est plus du double des cas recensés par le service de santé de la ville la semaine précédente.

La maladie, connue sous le nom de syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique, introduit un nouvel aspect troublant dans la pandémie de Covid-19, qui jusqu’alors avait largement épargné les enfants

Près de quatre-vingt-dix autres cas potentiels ont été recensés dans l’État a déclaré le gouverneur Andrew Cuomo.

Sur les trois enfants décédés, deux étaient en âge d’aller à l’école primaire et un était adolescent, a expliqué le Dr Howard Zucker, responsable de la santé pour l’État de New York. Ils vivaient dans trois comtés différents et n’étaient pas connus pour avoir des conditions préexistantes.

« Les parents doivent faire preuve de la plus grande prudence et ne laisser sortir leurs enfants sous aucune condition », a ajouté le Dr Zucker.

Le syndrome a été porté à l’attention des New-Yorkais pour la première fois la semaine dernière, mais le Dr Oxiris Barbot, commissaire à la santé de la ville, a déclaré que le département de la Santé avait été alerté dès le 1er mai, après que plusieurs cas ait été rapportés au Royaume-Uni.

Le syndrome inflammatoire, disent les responsables de la santé, ressemble à un choc toxique ou à la maladie de Kawasaki. Les enfants atteints de la maladie liée au virus peuvent présenter des fièvres élevées, des éruptions cutanées, des douleurs abdominales sévères, des battements de cœur et un changement de couleur de la peau, comme une rougeur de la langue.

« Cela continue d’évoluer et devrait malheureusement empirer », a déclaré le Dr Barbot lors du briefing du maire dimanche. Elle a appelé le gouvernement fédéral à contribuer à l’augmentation des tests de détection du virus dans toute la ville pour aider à identifier les enfants à risque.

Donald Trump n’a pas réagi.

Plusieurs cas viennent d’être signalés dans d’autres États, notamment en Louisiane, au Mississippi et en Californie. Outre en Grande-Bretagne, au moins cinquante cas ont été récemment recensés dans des pays européens, dont la Suisse, l’Espagne, l’Italie et la France.

Et pourtant, comme si les derniers mois ne nous avaient rien appris, Emmanuel Macron a laissé la réouverture des écoles se poursuivre.

Cette fois, il n’y aura pas d’excuses. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider »  vient de paraître en Ebook chez Max Milo.

 

Religions : quelle place au sein des relations internationales ?

Mon, 11/05/2020 - 17:46

Comprendre le jeu des relations internationales ne peut se faire sans la compréhension du fait religieux ainsi que des acteurs qui le constitue. La mondialisation a bouleversé nos sociétés, impactant la culture et la religion, marquant un changement important des liens entre cette dernière et la politique, notamment à l’heure où celle-ci se retrouve instrumentalisée, en proie aux populismes. Entretien avec François Mabille, politologue, spécialiste de géopolitique des religions (CIRAD-FIUC), responsable de l’Observatoire géopolitique du religieux de l’IRIS. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de la RIS N°117 sur « Religions : l’ère des nouvelles influences » qu’il a co-dirigée.

En quoi la prise en compte du fait religieux est-elle importante pour la compréhension des relations internationales ?

Le fait religieux intervient sous de multiples formes dans les relations internationales. En fait, il est presque omniprésent ! Regardez ce qui se passe avec la crise du Covid-19 : le secrétaire général des Nations unies adresse un message aux autorités religieuses pour qu’elles se mobilisent ; les gouvernements sont obligés de traiter avec les responsables religieux dans le cadre des limitations des libertés publiques, ce qui est plus ou moins admis et accepté selon les pays ; les groupes terroristes radicaux qui se réclament de l’islam en profitent pour tenter de nouvelles subversions ; et en même temps, les ONG confessionnelles, musulmanes, chrétiennes notamment, sont sur le terrain et aident SDF, personnes isolées, demandeurs d’asile ou réfugiés. En Colombie, ces dernières années, difficile de comprendre le processus de paix sans y intégrer l’ensemble des acteurs catholiques qui, du local à l’international, se sont impliqués dans un cadre de multitrack diplomacy. Nous avons encore en tête la médiation du pape entre les États-Unis, dirigés alors par Obama, et le régime castriste. Mais prendre en compte le fait religieux, c’est aussi analyser des régimes spécifiques comme celui de l’Iran, l’intégration du religieux comme vecteur d’influence (soft power) comme en Russie notamment, l’usage du patrimoine et de la symbolique des cultures religieuses dans la montée des populismes ou des nationalismes, comme on le voit sur tous les continents. En France, le religieux est souvent appréhendé comme l’une des catégories du risque politique au sens large. Dans la tradition scandinave ou d’influence américaine, l’approche est plus ouverte, intégrant les acteurs religieux dans toute leur diversité, de leur contribution positive au sein des sociétés aux aspects plus négatifs.

Peut-on parler d’une résurgence du facteur et des mouvements religieux dans le monde ?

Pour comprendre l’intérêt actuel, il faut associer deux approches distinctes. Beaucoup de sociologues et de politologues ont simplement délaissé l’analyse du religieux, ou l’ont minoré, convaincus que la modernité politique et culturelle était antinomique avec la subsistance du religieux, et donc que le fait religieux était destiné à s’effacer de l’horizon de nos sociétés. Ce sont les thèses de la sécularisation des sociétés et du « désenchantement du monde » (empruntée à Weber) qui furent par exemple, dans leurs domaines respectifs, celles de Peter Berger ou de Marcel Gauchet. Or, ce type d’approche a été battu en brèche par l’évolution de nombreuses sociétés. Du coup, en 2001, Peter Berger a publié Le Réenchantement du monde !

Le deuxième aspect est lié précisément aux changements survenus dans nos sociétés depuis la fin des années 1970. La révolution en Iran, la résistance afghane à l’immixtion soviétique, le catholicisme de résistance prôné par Jean-Paul II, la crise des idéologies politiques et celle des formes d’État-providence, la mobilité accrue des personnes et des circulations des « biens culturels » et donc « biens religieux », sont autant d’éléments qui ont provoqué des bouleversements, accrus par la mondialisation. Depuis la fin de la guerre froide, la scène internationale est beaucoup moins interétatique et intègre de nouveaux acteurs : les acteurs religieux en font partie.

Quelles sont les nouvelles formes du lien entre religieux et politique à l’ère de la mondialisation ?

Traditionnellement, les liens étaient de deux sortes : existaient des partis politiques, directement associés à une religion, à une culture religieuse. Historiquement, viennent immédiatement à l’esprit les partis démocrates-chrétiens et, à une époque plus rapprochée, les partis islamiques et islamistes. Ce premier lien était en quelque sorte l’aboutissement logique, dans l’ordre politique, de la dimension sociale, ou intégrale, des religions. La culture française, exprimée par la notion pourtant complexe de la laïcité, a souvent voulu réduire le religieux à une affaire privée. Or, comme aimait à la rappeler Michel Meslin, les religions se veulent Loi, Communauté et Voie. Les textes religieux, interprétés par des autorités religieuses, véhiculent des normes, des prescriptions destinées à être vécues en collectivité, donc socialement : elles instruisent et forgent des identités personnelles et sociales. À ce titre, était ou est encore diffusé un ethos qui peut avoir des conséquences politiques, voire se traduire par des consignes de vote, données par des autorités religieuses, lors de campagnes électorales.

À ces deux approches traditionnelles sont venus s’ajouter ces trois dernières décennies deux nouveaux types de lien. Au niveau international, on constate l’existence d’une multitude d’acteurs religieux, qui s’exprime notamment par la présence d’ONG confessionnelles extrêmement actives : l’ONG World Vision est présente dans presque tous les pays du monde, il en est de même pour le réseau Caritas internationalis, plus connu en France sous le nom de Secours catholique. Ces importantes ONG ont toutes intégré des pratiques de plaidoyer international, à la fois auprès des États, des entreprises et des institutions internationales au sein desquelles elles évoluent. C’est donc à ce niveau international, par le biais du plaidoyer, et associées à tort ou à raison, à la notion de « biens communs », que ces ONG confessionnelles interviennent, et établissent un nouveau lien au politique, à cette nouvelle échelle mondiale.

Enfin, la toute dernière évolution renvoie à la montée de populismes : exemples significatifs de Modi en Inde, de Bolsonaro au Brésil, d’Erdogan en Turquie, d’Orban en Hongrie, de Duda en Pologne… Cette fois c’est la culture religieuse, le patrimoine religieux, qui sont instrumentalisés par des hommes politiques, et apparaissent comme réservoir de symboles, fournissant à la fois un imaginaire de continuité et un ciment identitaire discriminant, entre un groupe majoritaire et des minorités stigmatisées. La véhémence politique populiste se nourrit ici de l’intolérance religieuse, dont on connaît les progrès depuis plusieurs décennies.

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Aller plus loin :

Riyad / Washington : le divorce ?

Mon, 11/05/2020 - 14:25

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, revient sur la relation de plus en plus tendue entre les deux capitales Riyad et Washington.

[Les entretiens géopolitiques d’IRIS Sup’ #10] Primaires démocrates et situation en Libye

Fri, 06/03/2020 - 11:26

Une fois par mois, Pascal Boniface rencontre des étudiants d’IRIS Sup’ pour aborder les grands thèmes de l’actualité internationale.

Cette semaine Joachim et Lambert l’interrogent sur les primaires démocrates et la situation Libye.

L’émission est disponible sur Soundcloud, l’application Podcast, I-Tunes, Youtube, le site internet de l’IRIS, Mediapart et le blog de Pascal Boniface.

Campagne US #3 – Les primaires démocrates : vers un duel serré entre Biden et Sanders ?

Thu, 05/03/2020 - 14:36

Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS et spécialiste des États-Unis, vous donne rendez-vous pour suivre la campagne présidentielle américaine :

– Quelles leçons tirer du Super Tuesday du 3 mars ?

– Quels sont les défis pour les démocrates, avec désormais le match Sanders-Biden ?

– Où en est Donald Trump, de son côté ?

HE’S ALIVE !

Thu, 05/03/2020 - 13:05

Et voilà…[1] Après ses victoires du Super Tuesday en Alabama, Arkansas, Caroline du Nord, Main, Massachusetts, Minnesota, Oklahoma, Tennessee, Texas et Virginie, Joe Biden, candidat de l’establishment démocrate, est bien parti pour remporter l’investiture.

Et depuis que mercredi matin, le pathétique candidat Mike Bloomberg s’est retiré au profit de celui qui, il y a encore quelques jours, s’annonçait comme candidat au Sénat et non à la présidentielle – les confusions du grand âge… -, il n’y a presque plus aucun doute possible.

Ce n’est malheureusement pas la victoire de Bernie Sanders en Californie et dans quelques autres primaires à venir qui changera la donne.

Car, même si Sanders réussissait, d’ici la convention de juillet à remonter la pente et à légèrement dépasser Biden en nombre de délégués, et que donc nous allions vers une brokered convention, ses chances seraient quasi nulles.

En effet, Nancy Pelosi, et autres clintoniens, veilleraient à ce quaucun candidat n’obtienne le nombre de voix nécessaires lors du premier tour de scrutin. Tous les délégués promis à un candidat seraient alors « libérés », c’est-à-dire, libres de changer leur allégeance. Si ce scénario se produisait entre Bernie Sanders et Joe Biden, nul doute qu’un second tour donnerait une nette majorité de délégués à l’ancien vice-président.

En 2016, le parti de l’âne et de Nancy Pelosi – pardon pour le pléonasme- a fait le choix d’un candidat centriste. On connaît le résultat.

L’histoire se répète et ainsi que je l’avais écrit il y a près d’un an dans ses colonnes, Joe Biden sera le candidat démocrate et, à moins d’un miracle, Donald Trump sera réélu[2].

Les républicains en sont si convaincus que dans de très nombreux États ils ont tout bonnement annulé leurs primaires et caucus, et cela bien que Bill Weld, ancien gouverneur du Massachusetts, se présente contre le président sortant.

Il est vrai, ainsi que le journal Le Monde l’apprenait récemment au public français, qu’une partie des électeurs du Donald – les évangéliques – voient très sérieusement en lui un « envoyé de Dieu », « l’élu » venu « sauver » les États-Unis, et même le monde.

D’autres reconnaissent même en lui un nouveau roi David ou le roi perse Cyrus, qui, selon l’Ancien Testament, fit reconstruire le temple de Jérusalem.  « Les croyants pensent que Dieu organise les affaires du monde et se sert de gens imparfaits pour accomplir son dessein parfait. Trump a donc été élu selon Sa volonté.  D’ailleurs, s’il n’est pas réélu, le pays sera en proie aux socialistes et aux haineux », clame un commentateur évangélique.

Comme pour appuyer ces propos, Chris Matthews, d’évidence l’un des plus fins chroniqueurs américains, nous averti sur NSNBC que, si les rouges de Bernie Sanders arrivent au pouvoir, nous assisterons très rapidement à des exécutions publiques dans Central Park.

Promoteur immobilier, présentateur télé, auteur de best-sellers qu’il n’a jamais écrit, président, le Donald n’avait sans doute pas imaginé que des millions d’Américains verraient un jour en lui « le sauveur envoyé par Dieu ». Grâce aux évangéliques, c’est désormais chose faite.

Alors, n’allons pas contre la volonté divine ! Tant pis pour Bill Weld, l’ancien gouverneur du Massachusetts, annulons les primaires républicaines et faisons fi de la démocratie !

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[1] HE’S ALIVE ! Le titre de cet article renvoie à la Une très amusante du New York Post, daté du 4 mars. On y voit une main de mort-vivant s’arracher d’une tombe et en arrière-plan une photo de Biden.

[2] Pour une analyse « détaillée », lire ma correspondance de juin 2019.

Sanders/Biden : le match est-il déjà plié ?

Wed, 04/03/2020 - 17:55

Pascal Boniface revient sur le duel opposant les deux favoris à la primaire démocrate américaine, au lendemain du « Super Tuesday ».

Super Tuesday : le « come-back » de Joe Biden

Wed, 04/03/2020 - 15:53

Quelle nuit !

« On appelle ça un super mardi et on sait pourquoi », a (presque) sobrement commenté Joe Biden en s’adressant à se supporters depuis la Californie. Il faut dire qu’il était certainement loin d’imaginer, il y a à peine une semaine, que cela aurait pu se passer ainsi :

Début de soirée : pas le temps de s’installer

La soirée a commencé gentiment, avec le caucus des Samoa, un territoire dépendant des États-Unis et qui participe à la primaire démocrate, bien que ces habitants n’ont pas le droit de vote pour l’élection générale. Mike Bloomberg (qui y a investi une somme déraisonnable en publicité) et Tulsi Gabbard (qui est née ici) ont remporté ce premier scrutin.

On a alors pu penser pendant un instant que cela allait annoncer une vague Bloomberg, porté par ses millions et une campagne immorale, qui pouvait montrer qu’on peut s’acheter son siège à la Maison-Blanche.

Le premier résultat continental est venu du Maine, un État du nord-est, une région dans laquelle Bernie Sanders devait logiquement écraser tout le monde : il est sénateur du Vermont, et les démocrates sont ici tournés vers l’Europe et les idées plutôt progressistes : un programme de couverture-santé pour tous, ça parle aux électeurs et ça ne fait pas forcément peur. Mais la surprise a été de taille : dans cet État, le vote, qui ne devait être qu’une formalité, s’est révélé très serré et il a été impossible aux instituts de sondage de désigner un vainqueur.

Puis tout s’est emballé très vite : les États du sud ont commencé à tomber et il est devenu évident qu’il se passait quelque chose d’inattendu : en Virginie et en Caroline du Nord, la victoire de Joe Biden a été écrasante. Très vite, il a aussi fallu prendre en compte que la participation était massive : les Afro-Américains, en particulier, étaient donc sortis de chez eux pour faire entendre leur voix et peser sur ce scrutin. En Virginie, où 700 000 électeurs s’étaient déplacés en 2016, on a eu la surprise de constater qu’ils étaient cette fois plus de 1,3 million : presque le double !

Les bastions sont tombés

Les équipes de Sanders n’y ont pas cru tout de suite même si, sur les réseaux sociaux, il y a eu soudain un calme étonnant –certainement dû à l’inquiétude. Et le coup de massue est tombé assez vite : le Minnesota d’abord, mais surtout le Massachusetts, ont été gagnés par Joe Biden. Réalisons-nous bien que le Massachusetts est quasiment le jardin d’hiver de Bernie Sanders qui, en tant que voisin, pensait qu’il n’en ferait qu’une bouchée ? Oh, bien sûr, il fallait d’abord vaincre Elizabeth Warren, qui est sénatrice de cet État, mais il pensait que c’était à sa portée : Elizabeth Warren a été effectivement défaite, durement, mais elle finit troisième car Sanders a rendu les armes lui-aussi. Le Minnesota a donné à l’ancien vice-président de Barack Obama une autre de ces grandes victoires symboliques qui marquent les soirées électorales : il a été aidé par le ralliement d’Amy Klobuchar, la « régionale » de l’étape, et par cette formidable dynamique de rassemblement qui s’est mise en route à 48h de l’élection.

Le sud a suivi : tous les États y ont voté comme un seul électeur : Biden, Biden, Biden semblait être leur seul crédo. Tennessee, Arkansas, Oklahoma… les victoires se sont enchainées et on commençait à se demander ce qu’il resterait à Bernie Sanders pour digérer cette soirée.

Bernie à l’Ouest

Pour le candidat autoproclamé « socialiste », le salut est venu des États situés le plus à l’Ouest : peut-être le vent n’avait pas réussi à souffler assez fort jusque-là pour emporter tous ses espoirs. En réalité, on y a beaucoup voté par anticipation, c’est-à-dire AVANT que ce vent pro-Biden ne se lève sur les États-Unis ; avant aussi que Pete Buttigieg et Amy Klobuchar ne quittent la course : il était donc trop tard pour redresser totalement la barre. Dans le Colorado, Bernie a réussi à passer en tête, tout comme dans l’Utah. Mais pour quel gain ? 67 et 29 délégués, respectivement. Une bien maigre collecte !

Il restait alors les deux grosses timbales de la soirée : le Texas et la Californie : 228 délégués pour l’un et 415 pour l’autre. Les partisans les plus convaincus ont cru y voir un moyen de retourner les choses. Mais il confondait visiblement là deux systèmes qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre et qui sont respectivement celui des primaires et celui de l’élection générale : dans le second, le vainqueur emporte TOUS les délégués : c’est le « winner-take-all », le gagnant rafle tout. Toutefois, ce n’est pas le cas dans les primaires, puisque les voix sont réparties à la proportionnelle, en fonction d’un vote populaire pour une part d’entre eux et des résultats dans les territoires pour l’autre partie, et à la condition d’avoir atteint un seuil de 15%. La victoire de Sanders en Californie, que l’on a appris au petit matin ne lui rapportera donc que quelques dizaines de délégués en plus par rapport à Biden, même pas de quoi rattraper le retard accumulé dans les autres États.

Réunir à tout prix

Il s’est donc passé quelque chose d’extraordinaire dans cette course et quelque chose a changé : mais si Sanders se retrouve assommé et que Joe Biden devient ultra-favori pour décrocher l’investiture, il reste toujours un même problème que cette primaire a révélé de façon encore plus criante : l’électorat démocrate a des attentes différentes en fonction du groupe auquel il appartient. Les Hispaniques veulent une couverture-santé plus protectrice et n’ont pas peur de l’interventionnisme de l’État mais les plus âgés veulent conserver un système d’assurances privées et ont peur du coût astronomique des propositions de Bernie Sanders. Les plus jeunes sont idéalistes et adhèrent aux propositions inclusives du doyen des candidats, appelant de leurs vœux un même accès aux soins, à l’éducation ou au logement, pour tous. Les Afro-Américains sont plus pragmatiques et modérés et se méfient de la radicalité de Bernie Sanders.

Autant de groupes différents auxquels le futur candidat unique devra parler et dont il devra porter les aspirations. Il faudra que le candidat unique soit aussi en capacité de parler aux ouvriers, auquel le parti ne parle plus depuis longtemps et qu’il propose une voie pour sortir de la division qui gangrène le pays.

Joe Biden s’est positionné pour être ce candidat modèle, parce qu’il a inscrit sa campagne dans la réunification de la famille démocrate qui était éclatée : les ralliements de Pete Buttigieg, Amy Klobuchar et beto O’Rourke ont créé l’électro-choc qui manquait à ces primaires. Maintenant, il va tacher de ne plus laisser retomber ceet énergie et va tenter de la porter jusqu’au 3 novembre en l’habillant d’un projet qui les mettra tous d’accord : « il faut chasser Donald Trump de la Maison-Blanche. »

« Lesbos, la honte de l’Europe » – 3 questions à Jean Ziegler

Wed, 04/03/2020 - 14:20

Longtemps Conseiller national au Parlement de la Confédération suisse puis Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler est aujourd’hui membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage « Lesbos, la honte de l’Europe », aux éditions du Seuil.

1/ Les dépenses investies selon vous dans « la technologie des frontières » en Europe s’élèvent à 15 milliards d’euros. D’où vient cette conclusion ?

La technologie des frontières ne cesse d’innover. Par exemple, les murs érigés sur les frontières sont aujourd’hui dotés de mitrailleuses auto-déclenchables. L’être humain qui s’en approche à 300 mètres entend d’abord un avertissement – émis en trois langues et à plusieurs reprises – qui lui ordonne de faire demi-tour. S’il continue d’avancer, il est abattu par la mitrailleuse dont le tir se déclenche automatiquement. Des drones ultra-performants surveillent nuit et jour les mouvements des réfugiés. Des satellites géostationnaires sont positionnés au-dessus du détroit de Gibraltar, de la mer Égée et du nord du Sahara. Pour détecter les réfugiés cachés dans des camions en Serbie ou au nord de la Bosnie, une nouvelle technologie permet de capter les battements de cœur et de mesurer le volume d’air respiré. Ces scanners aux rayons X sont extrêmement onéreux : un seul appareil coûte 1,6 million d’euros.

Aujourd’hui, les dépenses pour la sécurisation technologique des frontières s’élèvent à 15 milliards d’euros par an. Elles atteindront, selon les prévisions, 29 milliards d’euros en 2022. Tout cela profite évidemment aux marchands d’armes… et incombe aux contribuables européens.

Pour les marchands de canons, les industriels de l’armement et les trafiquants d’armes, la lutte contre les réfugiés et les migrants est désormais plus rentable que toutes les guerres réunies du Yémen, de Syrie et du Darfour. L’Union européenne (UE) vient de publier ses perspectives budgétaires. Jusqu’en 2027, les dotations des deux postes intitulés « Sécurité des frontières » et « Migrations » seront portées à 34,9 milliards d’euros. FRONTEX, l’organisation militaire chargée de sécuriser la frontière sud de la forteresse Europe, verra son budget augmenter de 12 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Avec les garde-côtes grecs, eux aussi financés par l’UE, les bateaux de guerre de FRONTEX interceptent en haute mer les embarcations des réfugiés. Par la violence, ils les empêchent d’accoster sur les côtes de l’Europe.

Dans l’esprit de l’UE, les réfugiés constituent une menace pour l’Europe. Le Commissaire européen en charge de la politique des réfugiés, Margaritis Schinas, est en tête d’un dicastère que la Commission a nommé « Migration et promotion du mode de vie européen ». En pratiquant la chasse à l‘homme dans la mer Égée (en Méditerranée et le long des frontières terrestres de l’Europe méridionale), l’UE empêche les persécutés de déposer une demande d’asile.

2/ Vous êtes très sévère avec Filippo Grandi, actuel Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Pourquoi ?

Le Haut Commissaire aux réfugiés des Nations unies doit veiller à l’application de la Convention de l’ONU relative au statut des réfugiés de 1951. Il fonctionne selon un principe de subsidiarité : ce qu’un État membre de l’ONU peut faire, le Haut Commissaire ne le fait pas.

Dans les camps de premier accueil, les hot spots des îles grecques de la mer Égée, où 34.000 hommes, femmes et enfants sont enfermés souvent depuis 3 à 4 ans, dans des abris précaires, suroccupés, manquant de nourriture, souffrant de conditions hygiéniques abominables, les réfugiés sont traités comme des animaux. Les camps sont administrés par la Grèce et financés par l’UE. Ces camps sont une honte pour l’Europe.

Dans de telles situations de carence et d’échec, aucune subsidiarité ne peut être invoquée. La totale passivité de l’ONU est un scandale.

3/ Jusqu’où peut-on ouvrir les frontières aux réfugiés ?

La question n’a pas lieu d’être.

Quiconque est menacé – torturé, bombardé – dans son pays d’origine a le droit de traverser une frontière et de demander protection dans un autre État. Le droit d’asile est une conquête de civilisation. C’est un droit de l’homme universel, garanti par l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme de 1948 et par la Convention internationale relative au statut des réfugiés de 1951. Tout réfugié a le droit de déposer une demande d’asile. Aucun État n’a le droit de fermer ses frontières au demandeur d’asile. L’État hôte peut ensuite, après interrogatoire et enquête, accepter ou refuser la demande d’asile. Mais refuser au persécuté de déposer sa demande – par la fermeture des frontières – est un crime contre l’humanité.

Le Déméter 2020 : le Brexit, quelles conséquences agricoles ?

Wed, 04/03/2020 - 10:15

À l’occasion de la sortie du Déméter 2020, Ludivine Petetin, maître de conférences de l’Université de Cardiff, répond à nos questions :
– Quel était le poids du Royaume-Uni dans le secteur agricole européen ? Son retrait de l’UE va-t-il peser sur le secteur ?
– Comment le Brexit va-t-il impacter les secteurs de l’agriculture des différentes nations du Royaume-Uni ?
– Le départ du Royaume-Uni peut-il amener les Européens à repenser leur politique agricole ?

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