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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Brexit : quel avenir pour les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ?

Fri, 31/01/2020 - 17:46

À l’occasion du Brexit, Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS, répond à nos questions :
– Le Royaume-uni passe ses dernières heures au sein de l’Union européenne, et maintenant ?
– À quel type de relations économiques et commerciales entre les Royaume-Uni et l’UE pourrons-nous nous attendre ?
– Qu’en est-il de la coopération dans le domaine de la défense entre le Royaume-Uni et l’UE ? Le Brexit va-t-il la remettre en cause ?

Crises d’Amérique latine : montée des forces de l’ordre en première ligne politique

Fri, 31/01/2020 - 17:31

 

Pratiquement tous les pays latino-américains, à un titre ou à un autre, passent par la case « crise » depuis quelques mois. Crise économique et financière en Argentine, en Équateur et au Venezuela. Crise sociale au Chili, et en Colombie, crise politique en Bolivie, au Brésil et au Nicaragua, crise sécuritaire au Mexique. Ces différents facteurs, qui parfois se combinent en un seul pays, ont retenu l’attention prioritaire des analystes.

La recherche des causes de ces désordres répond à une curiosité naturelle, qu’elle soit scientifique, journalistique ou citoyenne. L’une de ses conséquences en revanche est passée relativement inaperçue. D’un pays à l’autre, les gouvernants ont eu, sans se concerter, et quelle que soit leur orientation, recours aux forces de l’ordre, police et armée, pour tenter d’éteindre des accidents sociaux dépassant la capacité de proposition, de résolution des tensions, de fabrication de compromis qui sont les remèdes à disposition des démocraties.

Ce recours à l’ordre armé vise à perpétuer l’ordre politique et social existant, bousculé par le mécontentement, et/ou la dissidence de larges couches de la population. À droite, Sébastian Piñera au Chili et Iván Duque en Colombie ; au centre droit, Lenín Moreno en Équateur ; à gauche, Nicolás Maduro au Venezuela et Daniel Ortega au Nicaragua, ont affronté les difficultés de rue en mobilisant l’ensemble des moyens policiers et militaires à leur disposition. Andrés Manuel Lopez Obrador au Mexique a créé en 2019 une Garde nationale, composée de militaires pour affronter le défi sécuritaire. Sébastien Piñera a le 20 octobre 2019, légitimé le recours aux armées en déclarant le Chili et sa démocratie en guerre contre un ennemi extérieur qualifié « de puissant et implacable ».

Avec des conséquences physiques et souvent létales pour la population. 1810 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre à Rio de Janeiro en 2019. 8 morts en Équateur du 2 au 13 octobre 2019. Au Chili, 23 manifestants sont décédés, et 350, d’octobre à décembre 2019, ont souffert de graves lésions oculaires. Le Haut-Commissariat des droits de l’homme des Nations unies a publiquement stigmatisé l’usage disproportionné de la force par les autorités de Bolivie, du Chili et du Venezuela.

La voie des armes a été consolidée par des lois et dispositifs sécuritaires, encadrant les libertés fondamentales, en particulier le droit de manifester, adoptées en vue, selon leurs initiateurs, de défendre la démocratie. En Bolivie, Evo Morales, au Brésil les amis de Michel Temer, au Venezuela le régime de Nicolás Maduro ont proposé et pratiqué une lecture perverse de la démocratie. Evo Morales n’a pas respecté en 2016, le verdict d’un référendum populaire interdisant sa réélection. Le Parlement brésilien a en 2016, déposé la présidente élue, Dilma Rousseff, avec des arguments inconstitutionnels, validés par le vote majoritaire de ses adversaires politiques. Nicolás Maduro a procédé en 2017 à l’élection sur mesure d’une Constituante dotée de pouvoirs législatifs, reléguant aux oubliettes l’Assemblée nationale à majorité oppositionnelle.

Ces premiers pas ayant été franchis, les dérives se sont banalisées. En Bolivie, après la démission d’Evo Morales, une présidente intérimaire, Jeanine Añez, a été proclamée sans quorum parlementaire, et a immédiatement, au nom du « rétablissement » de la démocratie, engagé une chasse aux sorcières contre les amis et partisans du Chef de l’État sorti. Son gouvernement intérimaire a créé le 3 décembre 2019, le GAT, une unité antiterroriste « pour désarticuler les cellules terroristes menaçant notre patrie (…) agissant dans le pays depuis 14 ans » (date de la première élection d’Evo Morales) a précisé le ministre de l’Intérieur. Le Sénat du Chili a adopté le 21 janvier 2020, un projet de loi accordant aux forces armées la responsabilité de sécuriser les espaces publics, sans nécessité de déclarer un état d’exception, « en cas de grave altération de l’ordre public ». Au Venezuela, un président de l’Assemblée nationale a été élu le 5 janvier 2020, par une coalition « maduriste » en l’absence d’adversaires, pourtant majoritaires en nombre, empêchés par les forces de l’ordre d’entrer au Parlement.

De fil en aiguille l’armée est sortie de son rôle, étroitement limité depuis la fin des dictatures militaires à la défense de la souveraineté nationale. Elle est intervenue comme institution appelée à modérer les tensions sociales et politiques et à leur imprimer une orientation répondant aux intérêts de l’une des parties aux conflits. En Bolivie, le général en chef des forces armées, Williams Kaliman, a « conseillé » le 10 novembre 2019 à Evo Morales de démissionner. Au Brésil, les militaires sont intervenus dans le débat politique en 2018, adressant un avertissement au Tribunal suprême saisi d’une demande de libération conditionnelle de l’ex-président Lula, en vue d’empêcher sa candidature aux présidentielles. L’un des leurs a été élu chef de l’État, le capitaine Jair Bolsonaro, l’un des leurs est également vice-président, le général Hamilton Mourão, tandis que d’autres sont ministres et directeurs de départements ministériels. Au Pérou, le président Martín Vizcarra, contesté par le Congrès, a réaffirmé son autorité le 1er octobre 2019, en publiant une photo où il apparaît entouré et « adoubé » par les généraux des forces armées. Une semaine plus tard, en Équateur, Lenín Moreno, qui avait abandonné son palais présidentiel, en a repris possession après avoir prononcé un discours encadré par un groupe de généraux. Même scénario fin octobre au Chili, où le chef de l’État, Sébastian Piñera, est apparu à la télévision, flanqué du général Javier Iturriaga, qu’il venait de nommer responsable de la sécurité à Santiago, la capitale.

L’Argentine a échappé à cette dérive militarisante. Le traumatisme laissé par la dictature la plus répressive du sous-continent, et la dégradation du prestige militaire, les forces armées ayant été vaincues sur leur terrain d’excellence aux Malouines, ont asséché budgétairement et moralement la corporation. Pour autant le général César Milani, chef d’État-Major des armées argentines, de 2013 à 2015, incarcéré pendant plus de deux ans, pour être finalement acquitté, en a tiré la leçon suivante : « les classes privilégiées pensent que l’armée est au service de leurs intérêts ».

De façon plus transversale, les gouvernants, quels qu’ils soient, ont privilégié l’appel aux forces armées pour préserver l’ordre existant, à Bogota, Caracas, Rio de Janeiro, ou Santiago du Chili. Faute de pouvoir, ou vouloir, affronter démocratiquement de difficiles débats, conduisant à la fabrication de compromis supposant l’acceptation d’alternances et une juste répartition du poids social et économique de la crise, on assiste à une militarisation des démocraties latino-américaines. Ce retour des soldats dans les affaires intérieures, écartés dans les années 1980/1990 au sortir des dictatures militaires, interpelle. Le constat que l’on peut en tirer aujourd’hui est mitigé. Le levier d’influence qui leur est ainsi accordé a jusqu’ici été utilisé à des fins corporatistes. Les militaires refusent de partager le poids des efforts collectifs et entendent que leur soient maintenus leurs avantages, salariaux et sociaux, des retraites avantageuses. Ce qui veut dire en termes budgétaires, 5,5 % du PIB au Pérou, 6,4 % en Équateur, 7,1 % au Chili, 11,6 % en Colombie.

Quel avenir pour le Royaume-Uni après le Brexit ?

Fri, 31/01/2020 - 10:38

Plus de trois ans après le référendum qui avait vu la victoire des partisans du Brexit et après de nombreux reports et incertitudes sur la réalisation du projet, le Royaume-Uni passe aujourd’hui son dernier jour au sein de l’Union européenne. Quels seront les impacts du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ? Le point de vue d’Édouard Simon, directeur de recherche à l’IRIS.

Aujourd’hui est le dernier jour du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. Quelles sont désormais les prochaines étapes pour sa mise en œuvre effective ?

Ce qui est historique c’est qu’à partir de demain, le Royaume-Uni cesse officiellement d’être un État membre de l’Union européenne. Il ne sera donc plus représenté dans les différentes institutions de l’UE. C’était déjà le cas au sein de la Commission von der Leyen, qui a pris ses fonctions malgré l’absence de Commissaire britannique. Ce sera désormais le cas dans les autres institutions de l’Union : le Conseil et le Parlement européen, les députés européens britanniques ont ainsi fait leurs adieux à leurs collègues cette semaine à Strasbourg, lors de leur dernière session plénière.

Pour autant, le Brexit est loin d’être achevé. Le Royaume-Uni entre demain dans une « période de transition » qui doit prendre fin, en théorie, le 31 décembre et qui doit lui permettre de négocier avec l’Union européenne le cadre et les détails de leur relation future. On en sait un peu plus désormais sur la nature de celle-ci.

Parmi toutes les possibilités qui étaient évoquées ces dernières années (régime OMC, accord de libre-échange [type Canada], régime EEA [type Norvège]), le gouvernement de Boris Johnson a fait savoir qu’il souhaitait négocier un accord de libre-échange. Cela étant, si la forme est réglée (à peu près, car la coopération en matière de défense, par exemple, devra faire l’objet d’un accord spécifique), le fond ne l’est pas et l’essentiel reste à négocier.

Et 11 mois c’est très peu. Un accord de libre-échange met généralement au mieux une dizaine d’années à être négocié. Cependant, dans le cas du Royaume-Uni, la mécanique de négociations sera assez différente des autres négociations commerciales de l’Union puisque l’objectif n’est pas de faire converger des régimes tarifaires, réglementaires ou juridiques, mais de déterminer dans quelle mesure ils pourront diverger – ce qui n’est pas nécessairement plus simple. Par ailleurs, il existe, au Royaume-Uni, de fortes tensions sur la possibilité de prolonger cette transition. Car, le régime appliqué au Royaume-Uni — qui ne participe plus au processus législatif, mais doit continuer à se conformer au droit européen — est le cauchemar absolu des Brexiters.

Quel devrait être le Royaume-Uni post-Brexit ? Certains ont peur qu’il devienne un paradis fiscal au cœur de l’Europe ; ces inquiétudes sont-elles fondées ? Quid des dossiers nord-irlandais et écossais dans ce contexte ?

Les Britanniques doivent aujourd’hui faire un choix sur la nature de la relation qu’ils souhaitent avoir avec l’Union européenne, mais celle-ci est intimement liée à la nature de leur propre trajectoire nationale, notamment en termes de stratégie de développement économique. Leur intérêt objectif serait d’avoir la relation la plus proche possible avec l’Union européenne, qui est aujourd’hui, de très loin, leur principal partenaire commercial (environ 45 % des exportations britanniques alors que les États-Unis n’en représentent que 15 %). Pour autant, la contrepartie d’une telle proximité c’est l’absence de divergence réglementaire, ce qui limite d’autant la possibilité de développer un modèle de dumping fiscal, social, environnemental… Mais, si le Royaume-Uni accepte le principe d’un alignement réglementaire, alors pourquoi avoir quitté l’UE ?

Se pose donc, de manière concomitante, la question du projet national britannique. Et, là encore, celle-ci est loin d’être simple à régler.

D’une part, il leur faudra déterminer une nouvelle stratégie de développement économique. Si le Royaume-Uni voulait devenir un paradis fiscal, ce n’est pas le fait d’être un État membre de l’Union qui l’en aurait empêché. En matière de fiscalité, l’unanimité est, en effet, de mise et l’Union économique et monétaire est précisément minée par la concurrence que se livrent les États européens en matière fiscale. Paradoxalement, il sera peut-être plus difficile pour les Britanniques de le faire en dehors de l’UE du fait du rapport de force qui n’est pas vraiment à leur avantage.

Mais d’autre part, et alors que le Brexit avait été vendu aux électeurs britanniques comme la possibilité d’écrire un nouveau récit national, c’est-à-dire comme un facteur de cohésion nationale, ce processus apparaît bien plutôt comme une force centrifuge importante. La géographie du référendum de 2016 le montre. En témoigne également la nouvelle demande officielle du gouvernement écossais d’organiser un second référendum d’indépendance, qui a reçu — pour l’heure — une fin de non-recevoir de Boris Johnson. De telles velléités pourraient-elles voir le jour en Irlande du Nord ? Ce n’est théoriquement pas impossible, l’Irlande ayant élu 9 nationalistes pour 8 unionistes. Le statut particulier de l’Irlande après la période de transition, qui devrait continuer à appliquer certaines régulations européennes, pourrait jouer en ce sens.

Comment devrait se mesurer le départ du Royaume-Uni au niveau des politiques européennes ?

Pour l’instant, et tant que durera la période de transition, les politiques communes (politique agricole, de recherche, de cohésion, etc.) ne devraient pas être affectées par le départ du Royaume-Uni, qui continue à participer à celles-ci. Au-delà, la participation du Royaume-Uni aux différentes politiques de l’Union sera tout d’abord conditionnée par l’existence d’un accord de libre-échange puis se réglera au cas par cas.

La première conséquence du départ du Royaume-Uni de l’UE sera budgétaire. En quittant l’UE, le Royaume-Uni (qui était un contributeur net au budget de l’Union), laisse un « trou » de 11 milliards d’euros dans le budget européen. Même si le Royaume-Uni devra payer pour participer aux politiques communes qui l’intéressent, cela ne viendra pas compenser ce trou. Réduction du budget, augmentation des contributions nationales, création de nouvelles ressources propres : les solutions sont connues, mais aucune ne fait l’unanimité chez les Européens.

Les conséquences devront ensuite être mesurées politique par politique. Le Royaume-Uni ne participera plus à l’intégralité des politiques communes que cela soit de son fait (politique agricole commune, par exemple) ou de celui des Européens (il n’est pas encore certain que le Royaume-Uni puisse accéder aux financements du Fonds européen de défense, par exemple). Et là, les conséquences peuvent être préjudiciables aussi bien pour le Royaume-Uni que pour les Européens. Par exemple, ceux-ci se montrent particulièrement inquiets des conséquences potentielles du départ du Royaume-Uni sur la coopération en matière de renseignement ou judiciaire.

Liban : le nouveau gouvernement peut-il faire face à la crise ?

Thu, 30/01/2020 - 18:47

 

Après plusieurs mois de fortes contestations sociales dans le pays, Hassan Diab a été nommé nouveau Premier ministre en décembre dernier, et vient de former un nouveau gouvernement. Quels sont les défis auxquels ce nouveau gouvernement devra faire face ? Qu’en est-il des contestations populaires ? Le point de vue de Karim Émile Bitar, directeur de recherche à l’IRIS

Un nouveau gouvernement s’est formé. Vous semble-t-il à même de répondre à l’urgence de la situation ? Les nouveaux ministres inspirent-ils confiance ? Quels seront les principaux chantiers ?

La situation a atteint un tel degré de gravité que même si ce gouvernement avait été composé d’une vingtaine de superhéros dopés à la potion magique, il aurait eu beaucoup de mal à répondre aux multiples urgences. Bien que comportant quelques belles figures, ce gouvernement est loin de répondre aux attentes des Libanais et la façon dont il a été formé ne laisse rien augurer de bon. Le Premier ministre a réussi à former une équipe comportant une dizaine de personnalités plus ou moins indépendantes, mais il a aussi été contraint de jouer le jeu politique traditionnel (marchandages en coulisses, noms sortis du chapeau à la dernière minute, vetos sur plusieurs personnes pour des raisons inavouables, partages des postes entre les leaders communautaires conspués par la rue).

Ce gouvernement est donc hybride et les quelques personnes qui pourraient avoir des velléités réformatrices risquent de se retrouver noyées dans la médiocrité générale et n’auront peut-être ni le temps ni les moyens d’imprimer leur marque.

L’urgence la plus absolue est celle de la crise économique et financière. Les Libanais ont le sentiment que leur classe politique n’a pas du tout pris conscience de la gravité de la situation. Le Premier ministre n’est pas véritablement maître du jeu. L’oligarchie au pouvoir depuis 30 ans conserve la haute main sur le gouvernement et le parlement.

L’heure n’est donc pas encore à l’optimisme, mais il pourrait y avoir quelques percées et réformes qui pourraient être menées à bien, notamment celle de la justice. La ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, première femme à occuper ce poste, est une universitaire respectée, agrégée de droit et spécialiste du pluralisme, des relations entre systèmes laïques et systèmes religieux. Elle est porteuse d’une véritable vision et milite depuis de nombreuses années pour l’indépendance de la justice, pour la transparence et la déconfessionnalisation. Elle pourra compter sur le soutien du nouveau bâtonnier de l’ordre des avocats, Melhem Khalaf, autre figure intègre et indépendante élue dans l’enthousiasme postrévolutionnaire. D’autres personnalités comme le très respecté président du Conseil Supérieur de la Magistrature Souheil Abboud, le dynamique Club des juges, ainsi que des ONG comme Kulluna Irada et Legal Agenda font un lobbying actif pour soutenir cette réforme qui est indispensable à toute lutte contre la corruption et à des réformes politiques plus ambitieuses.

Une autre nomination qui fut très bien accueillie est celle de Nassif Hitti au Ministère des Affaires étrangères. Bien connu des milieux diplomatiques et universitaires français puisqu’il fut en poste à Paris pendant de nombreuses années comme ambassadeur de la Ligue des États arabes, Nassif Hitti est un diplomate habile, affable et chevronné, qui dispose d’un excellent réseau aussi bien dans le monde arabe qu’en Occident. Sa nomination a été accueillie avec un grand soulagement aussi bien par le corps diplomatique libanais que par les diplomates étrangers en poste à Beyrouth qui ont plus que jamais besoin d’un interlocuteur solide et respecté de tous.

Où en sont les mobilisations populaires au Liban et leurs revendications ? La formation de ce nouveau gouvernement est-elle en mesure de les calmer ?

Les partis au pouvoir misaient sur un essoufflement de la mobilisation populaire et escomptaient que cette vague révolutionnaire finirait par céder la place à un retour de la torpeur de la population libanaise, confrontée aux urgences économiques. Il n’en est rien et l’on voit que le souffle de la révolution ne s’est toujours pas éteint.

Cependant, il est certain que cette mobilisation est en train de changer de forme : la formation du nouveau gouvernement a quelque peu changé la nature des mobilisations populaires. Certains estiment, peut-être à juste titre, qu’il faut donner sa chance, ou du moins un délai de grâce, au nouveau gouvernement, et attendre qu’il présente son projet économique, bien que personne n’en attende de miracles.

À ce stade, rien n’est encore venu calmer la colère des Libanais, qui ont toujours le sentiment que leur intelligence est encore insultée quotidiennement par leurs élites politiques.

 

Plan Trump-Kushner : plan de paix ou plan d’occupation?

Thu, 30/01/2020 - 16:39

Pascal Boniface revient sur le plan de paix américain pour le Proche-Orient, présenté le 28 janvier par Donald Trump à Washington, en présence du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.

Coronavirus : lutter contre une épidémie

Thu, 30/01/2020 - 09:04

 

Le risque épidémique n’est pas nouveau, il a façonné l’humanité de manière spontanée et importée, avant même de jalonner l’Histoire. Lorsque de chasseur-cueilleur, l’Homme est devenu éleveur, il a perdu une vingtaine de centimètres de taille moyenne et quelques années d’espérances de vie, qu’il mettra environ dix mille ans à récupérer… oui, en ce moment même ! La proximité des animaux auprès des Hommes qu’imposaient les premières techniques d’élevage a favorisé la transmission des éléments pathogènes de l’animal vers l’Homme.

La peste noire a frappé de son sceau la fin du Moyen-Âge, en marquant les esprits pour le millénaire à venir de 50 millions de morts et 8 ans de paix autour du bassin méditerranée après le début de l’épidémie. 150 ans plus tard, de l’autre côté de l’océan, c’est à la variole que les conquistadors doivent leur victoire sur les populations amérindiennes.

30 millions de morts pour la grippe espagnole à la sortie de la Première Guerre mondiale, le double des pertes humaines de cette guerre qui vient de se finir et que tout le monde s’accorde à qualifier de boucherie.

Plus proche de nous, le SARS (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003 nous a fait peur. On a répété l’expérience moins de 6 ans plus tard avec la grippe aviaire qui déclenche des plans de vaccination massive, qui seront par la suite très critiqués autant par leurs ampleurs que par leurs coûts.

Virus, bactéries et autres organismes pathogènes sont aussi petits que source d’inquiétude, notre imaginaire puisant dans l’inconscient collectif que sous-tend cette rapide fresque historique, au risque de basculer parfois en hystérie collective.

Et c’est là, le maillon faible du risque épidémique : l’Homme, et surtout sa peur qui va se nourrir des fausses rumeurs et propager un comportement non adapté, qui parfois se révèle plus pathogène que la maladie elle-même.

Les fausses rumeurs, ce sont elles qui ont permis en 2014 à Ebola de faire un peu plus de 11 000 morts, le mode de transmission touchait à la culture et aux traditions ancestrales. Il est alors plus aisé de penser qu’un bain d’eau salé permettait de se protéger du virus que de remettre en cause les préceptes ancestraux de mises en terre des défunts. Les théories du complot dont les réseaux sociaux se sont fait la caisse de résonnance ont attisé cette méfiance de la population. Aujourd’hui, pour ne pas répéter les mêmes erreurs et limiter l’épidémie au maximum, il est important de faire la part des choses et de ne pas céder à la panique, aux fakemed et aux théories en tout genre…

Identification du Coronavirus

Et non pas « coronarovirus » comme on le voit souvent sur internet. Pourquoi ce lapsus ? Une « coronaro » est l’examen diagnostic et thérapeutique clef en cas de coronaire (artère vascularisant le cœur) bouchée, un infarctus en devenir en somme. Les maladies cardio-vasculaires étant très présentes dans nos sociétés, c’est un mot que l’on entend relativement souvent et le cerveau fait le raccourci.

Ce « Novel 2019-Co » virus est une nouvelle souche de virus de la famille des coronavirus qui n’avait pas été identifiée chez l’homme auparavant. Il sera probablement nommé différemment le jour où l’on parviendra à identifier l’animal dont il est originaire.

Une des particularités de ce coronavirus est de pouvoir infecter les animaux et l’Homme. Comme cela a été le cas pour le SARS (Syndrome respiratoire aigu sévère) en 2002, transmis à l’homme par la civette, et le MERS (Syndrome respiratoire du Moyen-Orient) en 2012 avec le dromadaire. C’est donc une zoonose. Il est primordial d’identifier l’animal source de l’épidémie, afin de limiter les risques de résurgences de la maladie dans l’espace (dans une ville voisine), mais aussi le temps.

Le 31 décembre 2019, le premier cas d’une pneumonie inconnue s’est déclaré au « marché de la mer » de Wuhan (Chine). D’autres cas similaires ont suivi, amenant les autorités à formuler l’hypothèse que la source provenait du marché, marché fermé le lendemain.

Très rapidement le système sanitaire chinois a identifié le virus et mis à jour sa séquence génétique. Suivant le protocole du règlement sanitaire international qu’elle a signé en 2005, la Chine a partagé cette détermination avec les autorités sanitaires régionales et internationales, telles que l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Ce partage d’information a permis une identification rapide du Novel 2019-Co sur les cas importés au-delà des frontières de la Chine. Suivi d’un déclenchement rapide de recherche de contact et une prise en charge adaptée. C’est pourquoi aujourd’hui encore, les nombres de cas sont aussi limités hors des frontières de la Chine.

L’identification du virus est primordiale pour apporter les soins adaptés au patient lui-même. La recherche de contact n’amène rien au patient, mais protège la population dans son ensemble. C’est le principe de la santé publique. Or protéger la santé publique (la population) permet à moyen et long terme de protéger l’individu. C’est donc un cercle vertueux et indispensable.

La transmission interhumaine est établie depuis le 19 janvier, avec l’hypothèse forte d’une transmission dans le cadre d’un contact étroit. La maladie se transmettrait par les postillons (éternuements, toux) dans un rayon d’un mètre. La recherche des personnes contacts (c’est-à-dire les gens ayant été en contact étroit avec des cas confirmés de coronavirus) et leur mise en observation ont pour objectif de limiter la propagation du virus sur des transmissions de seconde, troisième et quatrième générations.

Le Novel 2019 Co en définitions et quelques chiffres :

Le coronavirus entraîne des signes cliniques d’infection respiratoire aiguë basse, de la fièvre, une toux… d’un banal rhume à la pneumonie grave pouvant entraîner le décès du patient. Cependant la grande majorité des personnes infectées présentent une pathologie modérée, donc non sévère.

En date du 27 janvier, on dénombre 2798 cas et 80 décès, tous en Chine.

La majorité de ces décès sont survenus chez des patients qui étaient déjà porteurs de pathologies telles que l’hypertension artérielle, le diabète et maladies cardio-vasculaires pouvant diminuer l’efficacité du système

Sur les 2798 cas de Novel 2019 Co confirmés, 37 sont apparus hors de Chine. Trente-quatre d’entre eux avaient été à Wuhan dans les 14 jours précédant l’apparition des symptômes. Les trois restants seraient des cas de transmission dite de seconde génération. C’est-à-dire qu’ils auraient eu des contacts directs, avec des patients étant allés au marché de Wuhan.

Actuellement, il y a en Chine 5794 cas suspects en attente de confirmation/infirmation d’une infection, de quoi faire potentiellement grimper les chiffres de cas confirmés très rapidement. C’est également le cas aux États-Unis, où 73 patients sont en attente du même diagnostic.

N’est considéré comme « cas suspect », qu’un patient présentant des signes cliniques d’infection respiratoire aiguë basse grave nécessitant une hospitalisation, associée à une des deux conditions suivantes :

  1. Ayant voyagé ou séjourné dans la ville de Wuhan en Chine dans les 14 jours précédant la date de début des signes cliniques.
  2. Ayant eu un contact étroit avec un cas confirmé d’infection au 2019-nCoV, pendant que ce dernier était symptomatique.

La composante géographique et/ou le contact étroit avec un cas confirmé sont donc déterminants pour faire de vous un « cas suspect », puisque les signes cliniques eux ne le sont pas.

« Mais que fait le gouvernement ? »

Plusieurs niveaux de préparation et de prévention

  • Le système de santé français lui est prêt depuis 2003. Prêt à recevoir et prendre en charge des patients suspects et/ou confirmés.
  • Des établissements de références sont identifiés, où sont pris en charge les cas suspects (trois en France à ce jour, et qui sont tous passés par le marché de Wuhan) et les contacts mis en observation pendant 14 jours (temps d’incubation maximal du Novel 2019-Co).
  • Les services d’Urgence et SAMU sont formés à la prise en charge en cas de patient suspect (même si les recommandations à la population sont de ne pas aller aux urgences si vous suspecter une infection au Novel 2019-Co, mais d’appeler le 15).
  • Les agences régionales de Santé s’occupent de la procédure d’identification et de suivi des cas contacts.
  • L’Institut Pasteur a développé un test diagnostic permettant d’avoir des résultats rapidement.
  • Informations aux voyageurs :
  • Un système d’information a été mis en place dans les aéroports afin de sensibiliser les voyageurs au risque épidémique et d’améliorer leur vigilance en cas d’apparition de symptômes. Ces posters dans les aéroports ont été source de railleries sur les réseaux sociaux, mais cibler les populations en mouvement est pourtant l’un des outils les plus efficaces dans la lutte contre les épidémies. C’est comme ça que l’Inde en 2009 a su éradiquer la Poliomyélite de son territoire, en vaccinant et informant les populations dans les gares, aux arrêts de bus, dans les trains… Aujourd’hui, 11 millions de personnes prennent l’avion chaque jour, dans un contexte d’épidémie qui pourrait potentiellement devenir une pandémie (pathologie présente sur tous les continents), il est indispensable de cadrer les aéroports.
  • Il n’y a pas à ce jour de screening « température » aux aéroports de manière générale, parce que la température peut avoir été occultée par un doliprane, parce qu’on peut avoir une fièvre due à un paludisme, une otite, une angine, une réaction vaccinale…
  • Si on voyage vers l’Asie, évitez tout contact avec des animaux vivants ou morts ni ne mangez de viande crue ou peu cuite.
  • Informations à la population :
  • Privilégier le lavage de main, utiliser des mouchoirs jetables, éternuer dans son coude, comme c’est le cas en temps de grippe saisonnière.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a à ce jour pas déclaré l’urgence sanitaire d’ordre international, en argumentant le petit nombre de cas importés (les 37 cas sur 2798 au total à ce jour) et l’importance des moyens mis en place par la Chine pour circonscrire l’épidémie.

La Chine a déjà 3 municipalités, dont Wuhan, qui ont mis en place une quarantaine. La recherche de cas suspects est très active au sein des hôpitaux et dans la population générale dans la ville de Wuhan, les marchés sont inspectés, toutes les provinces de Chine recherchent de nouveaux cas. La population est sensibilisée sur les mesures à respecter.

Quelle est la suite ?

La suite immédiate s’écrit au jour le jour, beaucoup d’incertitude encore autour de ce nouveau coronavirus : son taux de létalité, son mode exact de transmission, son origine, sa gravité, sa contagiosité… Au jour du 28 janvier, hors des frontières de la Chine et si vous ne revenez pas de Wuhan et sa région, il est fort probable qu’individuellement le risque soit assez faible. En termes de santé publique, le risque lui est considéré comme élevé, toujours parce qu’il y a 11 millions de personnes qui voyagent chaque jour.

À plus longue échéance, que savons-nous ?

Nous savons d’ores et déjà que de nombreux coronavirus ont déjà été identifiés circulant parmi les animaux sans encore avoir été transmis à l’homme. Ce n’est a priori qu’une question de temps et d’opportunité pour voir l’apparition d’une nouvelle maladie émergente. Comme c’est le cas aujourd’hui, comme cela a été le cas dans les années 70 avec le virus Ebola et en 2014.

Une maladie émergente a pour origine le monde animal (souvent la faune sauvage). C’est une introduction surprise d’un nouvel agent pathogène (aujourd’hui le Novel 2019-Co) suivie d’une dissémination dans une population non immunologiquement préparée.

Cet évènement nécessite généralement une coexistence de 3 phénomènes :

– Modification de l’écosystème : des travaux de déforestation, d’irrigation, des zones suburbaines non contrôlées, des déplacements de population.

– Acquisition de mécanisme de résistance aux médicaments par l’agent infectieux. On touche là à notre problématique de plus en plus présente d’émergence de bactérie résistante aux antibiotiques.

– Baisse de la vigilance des systèmes de contrôle, voire une absence de contrôle. Il est ici question de problématique de financement des systèmes de santé qui est un problème partagé par tous.

En 2001, la déclaration d’Abuja engageait les pays de l’Union africaine à allouer au moins 15 % de leur budget à l’amélioration du secteur de la santé. En 2012, seule la Tanzanie avait atteint cet objectif, quatre pays en 2014… Du fait de sa forte présence géographique dans la bande tropicale (haut lieu de biodiversité), l’Afrique représente 25 % du poids des pathologies au niveau mondial.

Lors de l’alerte pandémie de la grippe aviaire en 2005, 13 laboratoires ont été financés à travers l’Afrique pour identifier les virus de la grippe sans rien prévoir sur le côté curatif ou préventif des populations. Idem en 2009 avec la grippe A H1N1, les pays industrialisés investissaient dans la prévention et le côté curatif, quand aucune prévention efficace n’était prévue pour les pays à bas revenus, dont les efforts étaient entièrement orientés vers la détection.

Ce déséquilibre dans les moyens mis en œuvre et leurs objectifs, questionne l’éthique bien sûr, mais surtout la pertinence scientifique. La mondialisation et le flux régulier et irrégulier de personnes chaque jour dans le monde rendent caduc ce raisonnement. Si on continue à considérer une « médecine tropicale » et une « médecine occidentale », on risque d’accentuer drastiquement nos problèmes de pandémie à l’avenir.

D’autant plus que le changement climatique, grand pourvoyeur de « modification des écosystèmes », va multiplier les occasions de voir éclore de nouvelles maladies émergentes, là-bas comme ici.

Leçons et interrogations sur le « Brexit »

Wed, 29/01/2020 - 10:00

L’histoire de l’intégration européenne ne relève pas du processus linéaire. Le « Brexit » l’atteste. Celui-ci vient ponctuer une relation tortueuse entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Depuis l’adhésion à la CEE en 1973, la participation britannique est marquée par un déficit de volonté d’intégration, concentrée sur la réalisation d’un grand marché unique et rétive à toute logique fédérale (avec ses déclinaisons monétaires, sociales, fiscales, etc.). Si le retrait du Royaume-Uni s’inscrit dans une certaine logique, cette expérience unique est aussi une source d’enseignements sur la nature de l’intégration européenne et sur le sens de l’appartenance à l’Union.

Le retrait de l’Union : un droit souverain des États membres

Le statut d’État membre de l’Union européenne (ou d’État intégré) revêt une dimension protectrice, car il inclut une part de liberté, dont l’exercice repose précisément sur les droits qui lui sont reconnus. Certains de ces droits procèdent de la sauvegarde de la souveraineté étatique dans le système juridique de l’Union. Ainsi, la consécration d’une clause de retrait par le traité de Lisbonne a tranché un débat doctrinal lancinant sur le caractère (ir)réversible de l’appartenance à l’Union : tout État intégré peut librement « décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union » (art. 50 TUE). Justifié par le volontarisme et la souveraineté étatiques qui sous-tendent le lien d’intégration, le mécanisme de la clause de retrait repose sur le principe d’un retrait volontaire, unilatéral, inconditionnel et complet. Cela signifie qu’un État intégré ne saurait être exclu ou expulsé de l’Union, qu’un État membre peut décider librement d’exercer son droit de retrait sans avoir à justifier le motif de sa décision (l’initiative de désengagement appartient donc de façon unilatérale à l’État membre), et qu’un retrait partiel (de l’Union économique et monétaire et de la zone euro, par exemple, comme cela avait été imaginé pour la Grèce) n’est pas concevable.

La notification de l’intention de retrait de l’État intégré n’est pas d’effet immédiat. L’article 50 TUE prévoit qu’après avoir notifié son « intention » d’exercer son droit de retrait, l’État membre concerné négocie et conclut avec l’Union un accord. Les traités cessent alors d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, à l’issue d’un délai de deux ans après la notification de l’intention de retrait, tel qu’éventuellement prorogé. Une possibilité largement utilisée durant le processus du « Brexit »…

Si le préalable formel de l’accord de retrait est censé accompagner et ordonner au mieux la sortie de l’Union, un accord n’est ni juridiquement obligatoire, ni politiquement garanti. Un retrait sans accord ou « no deal » est possible de jure. Cette option a été évoquée dans le cas britannique. À l’inverse, l’article 50 TUE n’aborde pas de manière explicite la question de la révocation de l’intention de retrait : il ne l’interdit ni ne l’autorise expressément. La Cour de justice a finalement précisé que l’État intégré est libre de révoquer unilatéralement sa demande de retrait à l’issue d’un processus démocratique conforme aux règles constitutionnelles nationales[1]. Du reste, des milliers de Britanniques ont régulièrement manifesté leur volonté de voir cette hypothèse devenir réalité, pour ainsi demeurer « citoyens de l’Union ». Un scénario – d’un second référendum ? – qui ne s’est pas réalisé, mais qui a été longtemps envisageable tant le processus du « Brexit » fut long, laborieux et incertain…

Le droit de retrait : un exercice politique délicat

Le 23 juin 2016, les Britanniques ont voté à 51,9 % des voix en faveur du Brexit, c’est-à-dire la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Une décision démocratique qui a été difficile à traduire en fait, en raison de la signification profonde de l’appartenance à l’Union. L’État membre de l’Union européenne n’est pas n’importe quel État. Le concept de souveraineté paraît en effet inadapté pour rendre compte de quoi « l’intégration » est le nom. Celle-ci se cristallise autour d’un « lien spécial » qui se matérialise par une interdépendance entre l’Union et les membres, mais aussi entre ses États intégrés eux-mêmes. C’est une logique d’interdépendance (tant avec l’organisation d’intégration qu’avec les autres membres étatiques intégrés), d’imbrication et d’interaction multiniveaux (en particulier sur le plan organique et fonctionnel) qui est à l’œuvre au sein de l’Union. Ainsi, en dépit d’un statut différencié qui traduisait déjà une volonté d’intégration a minima, la mise en œuvre du droit de retrait par le Royaume-Uni a d’emblée été confrontée à la difficulté de procéder à la déconstruction du lien d’intégration noué au sein de l’Union (avec l’organisation elle-même, mais aussi avec ses autres membres).

En outre, une « procédure multiniveaux » très complexe est destinée à permettre la négociation et la conclusion d’un accord de retrait entre l’Union et l’État concerné. Ainsi, l’article 50, § 1 TUE souligne bien qu’un État membre ayant décidé d’exercer son droit de retrait doit le faire « conformément à ses règles constitutionnelles ». Or le débat constitutionnel britannique sur la portée juridique du référendum de 2016 en faveur du Brexit a lourdement pesé sur le processus. En outre, la phase transitoire, entre l’acte de notification de l’intention de retrait et le retrait officiel, s’est avérée une période d’incertitude politico-juridique pour le Royaume-Uni. Le résultat du référendum a ouvert une période d’instabilité politique et gouvernementale au Royaume-Uni, marquée par de fortes dissensions au sein même des deux principaux partis du système politique (les Conservateurs et les Travaillistes) et par la démission de deux Premiers ministres successifs : James Cameron (l’initiateur du référendum, qui a fait campagne contre le « Brexit ») et Theresa May.

De plus, les difficultés à conclure et à ratifier l’accord de retrait, et donc à fixer la date effective de celui-ci, ont perturbé l’ordre juridique, institutionnel et « socio-économique » de l’Union. En effet, si à partir de la date du retrait, l’État devient un État tiers à l’Union, durant la procédure de l’article 50 TUE il garde sa qualité de membre de l’Union : aussi l’État en phase de retrait reste-t-il en principe soumis au respect des obligations de tout État intégré. Plus largement, le Brexit a des conséquences géopolitiques tant pour le Royaume-Uni que pour l’Union européenne. Pour le premier, d’un côté, le retrait a ravivé des dissensions internes en Irlande et des velléités d’indépendance en Écosse ; de l’autre, le Royaume-Uni renoue avec le fantasme de la « relation spéciale » avec les États-Unis, tout en étant confronté à la question de la définition de ses nouvelles relations avec l’Union (tel est l’objet des difficiles négociations sur l’accord bilatéral commercial, distinct de l’accord de retrait proprement dit). Pour l’Union européenne, outre le spectre de voir naître un « paradis fiscal » à l’échelle britannique qui déstabiliserait son ordre économique social et financier, le Brexit redessine de facto ses frontières et affaiblit son poids démographique, économique, commercial, diplomatique et militaire.

Non seulement l’appartenance à l’Union n’est pas définitivement acquise, mais la relation ambivalente des États à l’intégration indique qu’au-delà de la « différenciation formelle ou statutaire », les États intégrés ne partagent pas/plus la même conception et représentation du projet d’Union. La dynamique d’approfondissement ne neutralise pas les formes de résistance exprimées par des États et/ou nations, au nom d’une souveraineté et d’une identité ancrées dans leurs constitutions. Des États membres (comme la Pologne et la Hongrie, mais pas seulement) n’hésitent plus à remettre en cause certaines des valeurs communes qui les lient à l’Union. L’officialisation du Brexit renforce le spectre de la désintégration. Il n’empêche, il apparaît clairement que l’expérience britannique a eu un effet repoussoir sur les opinions publiques des 27 États membres de l’UE et que les partis politiques eurosceptiques ne sont pas parvenus à capitaliser sur le départ des Britanniques. En France, même au Front national, la tentation d’un retrait de l’Union, en général, et de la zone euro, en particulier, n’est plus à l’agenda politique. Enfin, l’hypothèse même d’un retour des Britanniques n’est pas exclue en droit. Une fois sorti, l’« ex-État membre » (nouvelle catégorie d’État tiers) de l’Union européenne peut demander à réadhérer à l’organisation sur la base de l’article 49 TUE. Possible en droit, ce scénario relève aujourd’hui de la politique fiction…

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Béligh Nabli est l’auteur de « L’État intégré », Pedone, déc. 2019.

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[1] CJUE, Ass. plén., 10 décembre 2018, Wightman e.a./ Secretary of State for Exiting the European Union, aff. C—621/18, ECLI:EU:C:2018:999.

La flotte sous-marine japonaise bien placée dans la bataille de mer de Chine et du Pacifique

Tue, 26/11/2019 - 17:51

Début novembre a été lancé à Kobe le dernier sous-marin de la classe Soryu des forces d’autodéfense maritimes japonaises (Fad, la marine de guerre nippone). Le JS Toryu, qui veut dire « dragon combattant » en japonais, est le 6e de cette classe construit par Kawasaki Heavy Industries, les six autres l’ayant été par Mitsubishi Heavy Industries. Le submersible, qui a été mis en cale en janvier 2017, devrait être livré à la marine en mars 2021.

Ce nouveau sous-marin est un élément clé de la bataille navale en mer de Chine et plus généralement dans le Pacifique et au-delà.

Le premier exemplaire de cette classe de sous-marins, à propulsion classique a lui été lancé en décembre 2007, et est entré en service en 2009.

Cette classe marque une rupture technologique, notamment depuis le 11e exemplaire de la classe entré en service le 18 mars 2019, utilisant des batteries au lithium-ion qui ont une capacité double par rapport aux batteries utilisées auparavant au plomb.

Avec ces sous-marins, le Japon devient le premier pays à être équipé de batteries au lithium.

La classe Soryu est une version améliorée de la classe Oyashio. Ce sont les plus grands sous-marins conventionnels du monde. Les dimensions sont impressionnantes : 84 mètres de long et 9 de large, ils déplacent 2950 tonnes en surface et 4100 en plongée ! Mus par des moteurs diesel, ils peuvent atteindre 20 nœuds en plongée, 13 en surface.

Ces sous-marins donnent un avantage technologique certain sur leurs rivaux.

Certes, ils sont coûteux — 496 millions de dollars l’unité —, mais ils sont équipés de 6 tubes lance-torpilles de 533 mm qui peuvent tirer la torpille lourde japonaise de type 89. Ils peuvent également lancer le missile antinavire à moyenne portée UGM-84-C Harpoon qui peut détruire des navires de surface.

Comme l’a expliqué Yann Rozec dans son brillant mémoire « L’arme sous-marine, pilier du système de défense maritime du Japon », réalisé dans le cadre du diplôme Défense et Sécurité de l’école IRIS Sup’ en 2013, « la torpille 89 possède une charge de 267 kilos, une vitesse de 40 ou 70 nœuds, et une portée de 30 ou 50 kilomètres. Ces torpilles lourdes peuvent être utilisées aussi bien contre un bâtiment de surface que contre un sous-marin ennemi. Ce type d’armes est l’un des instruments principaux de la lutte anti-sous-marine ».

Par ailleurs, les nouvelles batteries au lithium permettent aux sous-marins d’éteindre leur moteur à propulsion diesel pendant des durées longues et de mettre en marche les batteries au lithium beaucoup plus silencieuses sous l’eau, réduisant ainsi la signature acoustique de ces sous-marins et les rendant difficiles à détecter.

En outre, ils sont dotés de revêtements anéchoïques : des tuiles de caoutchouc recouvrent la surface du sous-marin afin d’absorber les ondes et les rendent encore plus difficilement détectables. Ils sont aussi équipés du système AIP (Air independent propulsion) qui permet au sous-marin de rester sous l’eau jusqu’à deux semaines.

Ces navires ont également un rayon d’action de 6100 nautiques (11 297 kilomètres) et peuvent descendre jusqu’à 650 mètres. Outre, cette portée remarquable, ils peuvent engager des navires ennemis jusqu’à 70 kilomètres de distance. Enfin, le sous-marin est équipé d’un système informatisé d’origine suédoise qui accroît sa manœuvrabilité dans les eaux peu profondes, ce qui le rend très polyvalent.

Avec ce sous-marin, le Japon accroît sa capacité défensive et offensive face à la menace navale chinoise qui est très clairement identifiée dans les Livres blancs de la Défense japonaise publiés chaque été par le ministère de la Défense japonais.

Il complète le système de surveillance des eaux territoriales japonaises et contribue à leur défense effective, y compris dans les eaux éloignées comme les îles Senkaku revendiquées par la Chine, alors que la posture de défense japonaise est réorientée vers le sud.

En outre, comme le soulignait Yann Rozec, « les Fad maritimes entendent positionner leurs sous-marins dans des zones stratégiques afin de garantir la sécurité des axes maritimes, le Japon utilise ses bâtiments afin de protéger ses côtes et de défendre les trois détroits stratégiques de Soya, Tsugaru et Tsushima ».

Par ailleurs, avec cette dernière acquisition, la flotte sous-marine passe de 18 à 22 sous-marins. C’est conséquent d’autant plus que la Chine a elle-même beaucoup augmenté sa flotte sous-marine depuis 1992. Selon la revue DSI de novembre 2019, la Chine dispose de 14 Song, 18 Yuan, 12 Kilo et un reliquat de 12 Ming. Mais ces navires — même les plus récents — sont moins performants et beaucoup plus bruyants.

Ainsi, avec l’entrée en service prochaine du nouveau sous-marin de la classe Soryu, le Japon marque une nouvelle rupture technologique et maintient un avantage stratégique face aux velléités expansionnistes chinoises.

Israël : quel agenda national et international ?

Tue, 26/11/2019 - 17:09

Pascal Boniface analyse la situation en Israël alors que Benyamin Netanyahou a été mis en examen jeudi 21 Novembre et que se profilent les troisièmes élections législatives de l’année

« Et si on modifiait vraiment les règles du football » – 4 questions à Ludovic Ténèze

Tue, 26/11/2019 - 15:31

Ludovic Ténèze, professeur agrégé à l’UFR STAPS Paris Descartes, est titulaire du Diplôme d’État Supérieur, mention football. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage « Et si on modifiait vraiment les règles du football, 99 propositions », aux éditions L’Harmattan.  

Qu’est-ce que l’« international football association board » ?

Cette institution surnommée le « Board », créée en 1886 par les quatre associations britanniques, accompagne les premiers pas d’une compétition regroupant les sélections nationales d’Angleterre, d’Écosse, du Pays de Galles et d’Irlande. En 1913, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) devient membre du Board. Son influence est croissante, cependant il faut considérer que les Britanniques gardent le pouvoir sur les lois du football.

Il s’agit d’une instance internationale avec une compétence juridique particulière en charge du processus d’unification des règles et de leur application. Le Board peut décider de changer ou non la loi, expérimenter ou non une nouvelle règle. Il joue également le rôle du « gardien du temple », chargé de surveiller les règles du jeu sur l’ensemble de la planète. Cette instance a la réputation d’avoir su s’ériger en protecteur du jeu, mais aussi, paradoxalement, d’avoir réussi à faire évoluer les lois du jeu inventées au XIXe siècle.

Les lois du football sont-t-elle immuables ?

Les lois du jeu semblent gravées dans le marbre. La classification des 17 lois du jeu élaborée en 1938 par Stanley Rous, est la garante du secret de la réussite d’un jeu devenu le premier sport universel. Modifier cette classification s’apparente à un sacrilège.

Cependant, l’étude des archives du Board atteste d’une transformation importante, insoupçonnée et inconnue de chaque loi du jeu. À la lumière des comptes-rendus des 133 assemblées générales annuelles du Board, il est possible de dénicher plus de 700 tentatives de transformations. Celles-ci concernent la loi, les sanctions ou les décisions liées aux lois du jeu, qui peuvent être considérées comme de véritables décrets d’application, ou amendements de la loi.

Plus des deux-tiers des propositions ont été acceptées par le Board. Il faut retenir que celui-ci prend beaucoup de temps entre la proposition initiale et la modification à proprement dite. Par exemple pour le hors-jeu, le passage de la « règle des trois joueurs » à celle « des deux joueurs » est adopté en 1925 au bout de 31 ans ! Cette latence des décisions, invite à un réexamen minutieux des propositions rejetées déjà faites au Board depuis 1886. Parmi les multiples demandes de transformations des lois du jeu, certaines finiront par aboutir.

Ainsi, les « 99 propositions » émanent prioritairement des archives du Board, et notamment la tentative de rendre tous les coups francs directs, l’utilisation de cinq remplaçants, le jeu des touches au pied ou l’adoption de la règle des « 10 mètres » du rugby appliquée pour toute contestation des décisions de l’arbitre.

La tendance est-elle à la disparition progressive de l’aléatoire ?

L’institution sportive fait progressivement disparaitre l’aléatoire, ce qui la différencie des jeux traditionnels corporels.

Cette tendance se manifeste par l’apparition des filets en 1895, pour vérifier la validité du but, l’évolution de la « balle à terre » qui à l’origine s’exécutait en lançant de façon aléatoire le ballon en l’air et la possibilité de remplacer un joueur blessé. Le tirage au sort, à la fin des prolongations pour déterminer le vainqueur du match de Coupe, laisse la place au début des années 1970 à l’épreuve des tirs au but, qui permet aux actions motrices de décider du sort du match.

La quantification du temps additionnel préfigure sans doute de l’apparition d’une table de marque pour jouer au temps effectif comme au basket-ball. Cette proposition peut paraitre farfelue, pourtant elle émane de l’ancien triple ballon d’Or Marco van Basten, responsable du développement technique de la FIFA et répond à la volonté de redynamiser le football au XXIe siècle.

La technologie sur la ligne de but et l’assistance vidéo participent également à la réduction de l’aléa. La VAR (Video Assistant Replay) est devenue très rapidement un acteur du processus de transformation. Par exemple pour les fautes de mains, le débat s’engage avec des options diamétralement opposées.

D’une part, le Board peut décider dans l’esprit des lois de continuer de sanctionner uniquement les mains « volontaires » ou « intentionnelles » laissant une large place à l’interprétation.

D’autre part, si la tendance est de faciliter le travail de la VAR, les membres du Board vont décider de sanctionner toutes les mains, en conformité avec la disparition progressive de l’aléatoire. Une décision alléchante dans l’optique d’afficher, comme le fait la FIFA, un bilan de 99% de bonnes décisions arbitrales grâce à l’aide de la VAR.

On entend souvent « Il y a plus de violence dans le football qu’auparavant » : est-ce vrai ?

Non, c’est tout le contraire ! Pour s’en convaincre, il suffit de regarder des extraits de la Coupe du monde de 1974. Chaque action du match opposant l’Uruguay aux Pays-Bas semble d’une violence incroyable et une véritable ode aux tacles ! L’interdiction du tacle par derrière à partir de 1998 participe à la limitation du droit de charge, pour attaquer l’adversaire ou le déposséder du ballon.

La meilleure illustration de cette diminution du droit de charge reste l’exemple du gardien de but. En 1897, le Board décide qu’il peut être chargé quand il tient le ballon. Il est donc possible d’expédier honnêtement le gardien de but et le ballon dans le filet grâce à une charge correcte et loyale. L’équipe de France, marque sept buts entre 1907 et 1913 en projetant le gardien tenant le ballon, dans ses propres filets. L’attaquant Eugène Maës en avait fait une de ses spécialités. Un siècle plus tard, même si pour les Britanniques la charge reste d’une importance primordiale, le gardien apparait comme super protégé !

La balle au pied du XIXe siècle, stigmatisé par le « dribbling game » s’apparentait à un sport collectif de combat. La ligne d’affrontements, plutôt violente, confondue avec la ligne de hors-jeu flottante, a fait place à un sport de démarquage dans lequel les joueurs se disputent la possession du ballon, dans des duels hyper-réglementés. La manifestation d’une véritable euphémisation de la violence.

Franc CFA : fin de partie ?

Mon, 25/11/2019 - 18:09

Le président du Bénin, Patrice Talon, a annoncé le 9 novembre sur le plateau de France 24 : « le retrait des réserves de changes [CFA] détenus par la Banque de France ». Si cette déclaration semble montrer que la question du franc CFA et son remplacement par une nouvelle monnaie s’impose progressivement dans l’agenda des chefs d’État africains, elle demeure, à maints égards, problématique. Ni les modalités pratiques ni un calendrier n’ont été arrêtés sur un sujet extrêmement délicat qu’est celui d’un transfert de compte d’opérations qui ne saurait, pourtant, souffrir l’impréparation. Abdoul Mbaye, ancien haut fonctionnaire de la BCEAO, ancien Premier ministre du Sénégal, s’est montré réservé dans une interview accordée à RFI, le 14 novembre dernier, estimant que « le président Talon [était] peut-être allé un peu trop loin ». S’il a souligné, mesurant ses propos, que cette voie pouvait être « une piste de réforme », il a, en revanche, plaidé pour que « des solutions alternatives » soient examinées suggérant ainsi l’évaluation de différents scénarii par des experts.

Le CFA : une question davantage psychique que technique ?

Lors de son interview radiotélévisée, le président Talon a affirmé que le blocage sur le CFA était davantage de l’ordre psychique que technique. Pourtant les deux propositions ne sauraient être exclusives. La réforme du franc CFA suppose un très haut degré de technicité : examen du transfert des réserves de change, perpétuation ou non de l’indexation de ladite monnaie sur l’euro ou élargissement à un panier de devises, etc. Ce sont là des questions qui se posent, même si avant tout débat, le président ivoirien, Alassane Ouattara, président en exercice de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), lors du sommet des chefs d’État de la zone, réuni le 12 juillet à Abidjan, a pris position pour un maintien d’un taux de change fixe avec l’euro, ayant seulement concédé à un changement de nom. Exit donc le franc CFA au profit de l’ECO[1], réduction de l’acronyme ECOWAS (version anglaise de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). L’adoption de ce nom, enfin, suggère la mise en circulation à venir d’une monnaie commune à l’ensemble des pays membres de la CEDEAO, bien que l’espace pertinent retenu dans un premier temps semble être celui de la zone CFA (UEMOA), espace géographique inclus dans la CEDEAO. Si une partie des enjeux sont éminemment techniques, au risque d’être dépolitisés, il convient de ramener le sujet sur un plan plus politique. Les détracteurs du franc CFA appellent clairement à une souveraineté pleine et entière de leurs États sur une question régalienne fondamentale qu’est celle de la politique monétaire. Il s’agit pour eux de rompre les liens de dépendance, campés par l’expression « servitude volontaire », entre les pays africains concernés et la France. Il s’agit enfin pour eux de parachever le processus de décolonisation et de promouvoir de nouveaux rapports géopolitiques.

L’impossible maintien du franc CFA

Force est de constater que si un besoin de changements de paradigmes s’impose, il interroge tout à la fois les classes dirigeantes africaines et françaises. À ce stade, aucune issue crédible n’apparaît et le calendrier 2020, retenu, un horizon improbable sinon à se satisfaire d’un changement de nom cosmétique en inadéquation avec les attentes de nombreux jeunes, de militants et d’universitaires qui, depuis plusieurs années, se battent pour un changement radical. Face à ces enjeux, on observe le silence de la plupart des chefs d’États africains concernés par ce sujet. L’annonce de Patrice Talon semble ne pas avoir rencontré d’écho parmi ses homologues et n’avoir guère dépassé le plateau de France 24…. Si quelques rares activistes y ont vu le signe d’un processus désormais inéluctable de sortie du franc CFA, en revanche, la plupart d’entre eux, tout comme les intellectuels engagés sur cette question n’ont pas réagi dans l’attente d’une réponse concertée des chefs d’État, l’un des objectifs demeurant de réunir les conditions de création d’une monnaie commune au service de l’intégration régionale, même si des questions se posent encore quant à son périmètre. Côté français, hormis l’« ouverture » du président Emmanuel Macron, on observe également l’absence de prise de position de la classe politique française, laissant l’initiative de la critique à l’Italie de Di Maio, aux États-Unis de Trump ou encore au Brésil de Bolsonaro… Par contrepoint, les silences cumulés, dont les motivations sont évidemment différentes, interrogent sur les blocages « psychiques », à un niveau a priori moins attendu, concernant l’évolution effective du franc CFA et la possible renégociation ou non des liens entre la France et les pays africains. La situation, pour être charnière, n’est pourtant satisfaisante pour aucun des acteurs en présence. Les chefs d’État africains sont caricaturés, raillés, enfermés dans une posture de servilité à l’égard de la France ; un écueil pour le moins gênant dans l’exercice de leurs fonctions… Quant à la France, si le président Macron par la voix de son ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, s’est déclaré favorable à une « réforme ambitieuse » — dont il faudrait force imagination pour en discerner les contours —, elle ne cesse d’être conspuée par les activistes anti-CFA ayant une forte audience auprès d’une jeunesse désireuse de changement. On observe, en effet, une montée du ressentiment anti-français qui s’exprime sur les réseaux sociaux, mais pas que, et dont la question du franc CFA n’est qu’un argument parmi d’autres. Les tags « France dégage » commencent à orner les murs de certaines capitales africaines… Décomplexées, les langues se délient, quitte à embrasser des arguments simplistes et démagogiques… Bref, la situation de statu quo actuel semble intenable sur la longue durée.

En attendant la fin du franc CFA

À ce stade, en dépit de timides inflexions et une modeste concession sur un changement de nom, on observe l’absence de décision concertée. De nombreuses questions restent en suspens : quelle feuille de route ? Pour quels objectifs ? Quelle méthodologie ? Quel calendrier ? Quel rôle les chefs d’États africains doivent-ils prendre dans ce processus ? Si l’option est pour l’instant écartée, la France pourrait-elle prendre l’initiative ? La proposition du Premier ministre, Abdoul Mbaye, suggérant la réunion d’experts ayant mandat de soumettre des propositions aux chefs d’État africains et français n’est-elle pas pertinente ?

Reste désormais à savoir s’il y a une volonté politique ou si les déclarations n’ont qu’un objectif de diversion à des fins dilatoires.

 

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[1] Ce nom ECO n’est pas tout à fait nouveau dans le paysage ouest-africain, dans la mesure où a existé un projet de monnaie ECO pour les pays de la zone CEDEAO non membres de la zone CFA (UEMOA).

Obsolète, l’Otan ?

Sun, 24/11/2019 - 12:20

Bougainville : plus d’autonomie, ou l’indépendance ?

Fri, 22/11/2019 - 18:24

Samedi, les 207 000 électeurs de Bougainville, un petit archipel de Papouasie–Nouvelle-Guinée, commenceront à voter lors d’un référendum d’indépendance. Ce vote — qui se déroule du 23 novembre au 7 décembre — pourrait créer la plus jeune nation du monde et susciter une poussée d’influence parmi les puissances régionales.

C’est un évènement qui se prépare depuis plus de 20 ans. En 2001, dans le cadre d’un accord de paix mettant fin à une guerre civile dévastatrice, le gouvernement central à Port Moresby, la capitale, avait promis à la population de Bougainville de pouvoir voter un jour pour décider de son futur.

Les résultats seront annoncés le 20 décembre et ils devraient être largement favorables à l’indépendance. Mais le chemin menant à ce point a été long et violent et celui qu’il reste à parcourir pourrait être tout aussi problématique.

Au cœur de l’histoire de l’indépendance de la Bougainville, il y a un trésor, empoisonné : une mine d’or et de cuivre.

La mine Panguna, une immense mine à ciel ouvert, a fourni 45 % des revenus d’exportation de la Papouasie–Nouvelle-Guinée au cours des années qui ont suivi son ouverture en 1972. Lorsque le pays est devenu indépendant de l’Australie en 1975, les Bougainvilliens ont commencé à se demander si leur archipel pourrait mieux s’en sortir en étant, lui aussi, indépendant, plutôt que d’avoir leurs ressources coupées et utilisées pour soutenir une plus grande nation.

Au fil des années, la tension s’est accumulée. Puis, en 1988, les propriétaires terriens et les employés locaux de Panguna, irrités par la destruction de leur terre, les bas salaires et la répartition inéquitable des revenus (moins de 1 % des profits réinvestis à Bougainville) ont finalement pris les armes.

En réponse, le gouvernement a envoyé l’armée. Les soldats ont incendié des villages et exécuté des collaborateurs en toute impunité. Cela n’a fait qu’enflammer la résistance et les révoltes sur l’archipel. Port Moresby, avec l’appui de l’Australie, imposa un blocus naval coupant l’île du reste du monde, sans succès.

Le gouvernement central décida alors d’engager secrètement une société militaire privée basée au Royaume-Uni pour mener des opérations d’intimidations à Bougainville. Cependant, l’affaire a été divulguée auprès des médias australiens, ce qui créa un tollé et poussa le Premier ministre de la Papouasie–Nouvelle-Guinée, Julius Chan, à démissionner.

En 2001, après un conflit qui aura tué environ 20 000 personnes, un accord de paix entre les forces séparatistes et le gouvernement central fut trouvé. L’Accord de Paix de Bougainville (APB) ferma la mine, accorda l’autonomie de Bougainville au sein de la Papouasie–Nouvelle-Guinée (PNG) et posa les bases pour un référendum sur l’indépendance.

Le seul bémol, c’est que d’après l’APB, le résultat de ce référendum n’est pas « contraignant ». C’est-à-dire que le dernier mot concernant l’indépendance de l’archipel appartient au gouvernement central et non pas aux habitants de Bougainville.

Malgré son soutien au processus, c’est ce qu’a clairement rappelé l’actuel Premier ministre du pays, James Marape, en octobre dernier, qui cherche tant bien que mal à calmer les rumeurs d’effet domino. En effet, au sein de son gouvernement, beaucoup craignent que l’indépendance de Bougainville encourage les autres provinces de la PNG (il y en aurait plus de 20) à revendiquer elles aussi une plus grande autonomie, voire une sécession.

À l’issue de ce vote, où les électeurs pourront choisir entre plus d’autonomie et l’indépendance, trois options s’offrent à la Papouasie–Nouvelle-Guinée :

1- Les électeurs votent pour plus d’autonomie, refusant l’option de l’indépendance. Bougainville resterait alors une province de la Papouasie–Nouvelle-Guinée et le pays tournerait la page.

2- Les électeurs votent pour l’indépendance et le gouvernement central accepte le vote. Bougainville deviendrait alors un pays souverain.

3- Les électeurs votent pour l’indépendance, mais le gouvernement central n’accepte pas le résultat ou retarde son application. Cela conduirait sûrement à une nouvelle crise.

On suppose que la majorité de la province votera pour l’indépendance. Mais il ne faut pas non plus sous-estimer la partie de l’électorat qui votera contre. En réalité, certains craignent pour l’avenir économique de l’archipel et y préfèrent l’assurance du soutien financier de Port Moresby.

Effectivement, la fermeture de la mine de Panguna et l’absence d’autres mines en exploitation ou d’industries développées sur l’archipel posent la question de savoir comment un Bougainville indépendant pourrait subvenir à ses besoins.

D’après les dernières estimations, le Gouvernement autonome de Bougainville ne reçoit qu’un dixième de ses ressources financières par le biais d’impôts sur les sociétés, de droits de douane et autres taxes. Le reste provient directement de gouvernement central, qui subventionne la province depuis la signature de l’Accord. Une équation qui fait peur, aussi bien nationalement qu’à l’étranger.

Pour l’Australie, la situation est en effet compliquée. Canberra soutient le processus du référendum, mais cherche aussi de tout prix à éviter de nouvelles instabilités dans sa région, comme par exemple un État pauvre économiquement et administrativement. L’Australie reste le plus important donateur de soutien financier à la province, et a participé à la médiation qui a mis fin aux combats. Malgré cela, la plupart des Bougainvilliens estiment que l’Australie s’oppose à l’indépendance, car Canberra n’a pas indiqué ouvertement ses positions.

En plus de l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les Nations unies sont intervenues pour fournir une assistance financière et organisationnelle au référendum.

De plus loin et sur fond de combat idéologique dans la région, les États-Unis et la Chine suivent attentivement l’évolution de la situation. Pékin a d’ailleurs déjà envoyé une délégation se pencher sur les investissements possibles à Bougainville, notamment concernant un nouveau port.

En somme, ces deux prochaines semaines vont être importantes, non seulement pour la Papouasie–Nouvelle-Guinée, mais aussi pour la région. Affaire à suivre.

L’Iran, sous tensions internes et externes

Fri, 22/11/2019 - 17:36

 

La crise économique et sociale dans laquelle l’Iran se trouve semble s’intensifier aussi bien en interne qu’en externe. Le gouvernement a coupé internet alors qu’une centaine de personnes aurait été tuée dans les manifestations suite à l’annonce de la baisse des subventions de l’essence. Dans le même temps, les forces de Téhéran en Syrie ont été frappées par Israël. Le point sur la situation avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS.

Pourquoi cette crise économique et sociale ?

Le gouvernement iranien a annoncé brutalement une mesure de hausse du prix de l’essence jeudi 14 novembre, une décision, en Iran comme dans d’autres pays, habituellement durement ressentie par la population. L’essence est très subventionnée dans ce pays et cette décision intervient dans un contexte économique et social extrêmement dégradé : profonde crise économique depuis le retour des sanctions américaines, récession de -9,5 % dans le pays en 2019 d’après le FMI, inflation à 40 % d’après les chiffres iraniens, un chômage probablement au-dessus de 20 %, une pénurie de médicaments, etc. Le pays traverse une crise très grave. Prendre ce type de décision dans un tel contexte revient à s’exposer à des réactions de forte intensité, notamment chez les plus précaires, qui sont les plus impactés par cette décision.

Il y a tout de même une rationalité économique derrière la décision de Téhéran, la question de la baisse des subventions n’étant pas récente en Iran. Le paradoxe est qu’elle a été recommandée par les grands organismes internationaux et économistes libéraux, jugeant l’essence trop subventionnée dans le pays. Ahmadinejad, l’ancien président iranien, avait déjà commencé à baisser les subventions sur l’essence en 2010, mais à l’époque il avait compensé cette décision par des versements d’argent en liquide à la population iranienne. Le fait que l’essence soit tant subventionnée conduit à une surconsommation, ce qui pose aussi des problèmes pour l’environnement, sachant que Téhéran, par exemple, est très pollué notamment à cause de l’utilisation de vieilles voitures. D’autre part, la hausse du prix de l’essence devrait permettre de limiter la contrebande d’essence avec les pays limitrophes, qui était encouragée par la différence entre les prix de l’essence dans ces pays et en Iran. Par ailleurs, le gouvernement souhaiterait commencer à exporter de l’essence, ce qui signifie qu’il faut limiter la consommation en interne. La nécessité de diversifier les exportations est une priorité en Iran, car les exportations de pétrole ont chuté du fait des sanctions, passant de 2,2 millions de barils par jour début 2018, à 600 000 aujourd’hui.

Enfin, le gouvernement iranien doit faire face à un effondrement des recettes de l’État du fait de l’embargo pétrolier. Cette hausse du prix de l’essence permet au gouvernement d’accroître ses recettes qui, a-t-il annoncé, serviront à financer des aides financières aux 18 millions de ménages les plus pauvres, soit 60 millions de personnes en Iran. Mais dans un contexte de crise aussi grave, les plus pauvres ne font pas confiance au gouvernement. Cette promesse de redistribution de l’argent récupéré n’a donc pas suffi à calmer la colère de la rue.

Comment interpréter les répressions massives des autorités iraniennes ?

Avec les sanctions américaines et la dégradation du contexte économique et social en Iran, la popularité de Hassan Rohani est en chute libre. Dans le rapport de force en interne, les « ultras » ont beaucoup plus de poids dans les décisions prises. Cette décision d’une diminution des subventions sur l’essence vient d’ailleurs d’un conseil qui réunit l’exécutif, le judiciaire et le législatif, qui a pris cette décision brutalement sans qu’il y ait eu d’annonces préalables du gouvernement. Les forces de sécurité sont plutôt contrôlées par les ultras, et Rohani n’a plus vraiment la main sur la gestion du pays en interne. Les ultras au pouvoir en Iran considèrent tous les troubles comme des enjeux sécuritaires et entretiennent le discours classique que les manifestants seraient téléguidés de l’étranger, ce qui est faux. Le degré de violence et la répression atteints aujourd’hui sont inédits dans le pays, et sont beaucoup plus élevés que lors des émeutes de 2017 ou des manifestations de 2009.

Rohani dans ses récentes déclarations a repris le discours des ultras en disant que les émeutiers étaient téléguidés de l’étranger, ce qui est assez surprenant dans la mesure où il avait dit en 2017 qu’il fallait écouter les manifestants. Mais il y a une logique claire dans sa démarche : suite à sa perte de popularité, il durcit son discours et se rapproche du guide pour chercher des appuis. Il souhaite maintenir une unité dans un régime qui se pense en situation de quasi-guerre avec les États-Unis. Tout ceci illustre bien que ce sont les ultras qui sont à la manœuvre.

Israël a frappé des dizaines de cibles appartenant notamment à la force iranienne des gardiens de la révolution en Syrie. La réaction israélienne est-elle justifiée au vu la présence iranienne en Syrie ?

Israël ne permettra jamais l’installation des pasdarans à ses portes et a mené plus de 200 frappes contre les forces iraniennes en Syrie depuis plusieurs mois. Celles observées cette semaine sont dans cette continuité.

Téhéran proteste, mais est plutôt dans une stratégie attentiste par rapport aux attaques, poursuivant un but de long terme qui vise à renforcer sa présence en Syrie. La stratégie iranienne ne change donc pas en dépit des attaques israéliennes.

Korean Peninsula in its strategic environment

Thu, 21/11/2019 - 15:54

Kim Joon-Hyung is the Chancellor of National Diplomatic Academy of the Ministry of Foreign Affairs of South Korea. He answers our questions after the seminar “Korean Peninsula in its strategic environment”, organised by IRIS on November 13th:

– How do you see the prospects for dialogue with North Korea and the denuclearization of the Korean peninsula as North Korea resumed its missile tests?

– How is the dialogue between the two Koreas impacted by the United States’ negotiations on the Korean nuclear power? Is there room to manoeuvre for Seoul in this dialogue?

– How does South Korea fit within the US/China rivalry?

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