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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Brexit : « La démission de Theresa May ne réglerait pas le problème »

Wed, 16/01/2019 - 16:40

Theresa May peut-elle se maintenir à la tête du gouvernement alors que le vote désavoue le travail qu’elle effectue depuis maintenant deux ans ?

La situation dans laquelle se trouve May est plus que délicate. À sa place, n’importe quel dirigeant britannique aurait démissionné après cette défaite, qui est la plus ample de l’histoire politique au Royaume-Uni.

Toutefois, il me semble que Theresa May ne va pas choisir cette sortie pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle est connue pour son tempérament têtu et obstiné. Deuxièmement, je ne pense pas qu’elle va céder aux parlementaires, car sa priorité est, comme elle répète, « l’intérêt national britannique ».

Enfin, sa démission ne réglerait pas le problème. Le pays demeurerait polarisé, car il n’y a pas de vraie majorité claire. Theresa May sait donc qu’elle est une sorte de plus petit dénominateur commun des différentes factions politiques.

La première ministre a-t-elle un plan de secours afin de sortir de cette impasse ?

Une chose est sûre, c’est que si Theresa May a une solution, elle ne se trouve pas au sein de sa propre formation. En effet, si elle va à droite du parti conservateur, vers les partisans d’un Brexit dur, elle sera bloquée par l’Union européenne, dont elle perdra tout soutien. Dans le cas échéant, si elle va à gauche du parti, elle sera contrée par les Brexiters les plus obstinés. Ainsi, elle n’a pas une grosse marge de manœuvre.

Sa seule porte de sortie, qui n’en est pas vraiment une, serait de prolonger les négociations sur la base de l’article 50. Toutefois, May ne va pas pouvoir repousser indéfiniment la sortie du Royaume-Uni, notamment parce que les élections européennes arrivent à grand pas. Il serait quand même étrange d’élire en mai prochain des députés britanniques au Parlement européen, alors qu’ils sont susceptibles de ne plus être concernés par les problématiques européennes dans les mois à venir.

L’Union européenne aurait-elle un intérêt à ce report de la sortie du Royaume-Uni ?

Afin de repousser la date du Brexit, il faudrait que l’Europe donne son accord. Or, il n’est pas sûr qu’elle accepterait, parce qu’il n’est pas certain qu’un report de la date de la sortie du Royaume-Uni réglerait les problèmes. Rien ne dit qu’une solution se dégagerait avec le temps ou que l’option d’un second référendum prendrait du poids, car les divisions en Grande-Bretagne sont profondément ancrées. Pour l’Union européenne, ce report aurait un intérêt seulement si la position du Royaume-Uni se clarifiait.

Comment qualifier la stratégie des conservateurs britanniques, qui contrent le texte sans pour autant pousser Theresa May vers la sortie ?

Les conservateurs sont tout aussi divisés que les travaillistes et les autres factions politiques britanniques. La frange la plus dure veut sortir de l’UE coûte que coûte, quitte à ce qu’il n’y ait pas d’accord, ce qui n’est pas le cas des conservateurs plus modérés. S’ils ne poussent pas May à la démission, c’est parce qu’ils savent qu’elle n’est pas la cause du problème mais juste l’un des symptômes des divisions dans lequel le pays est embourbé.

Que dit cette crise du système parlementaire sur lequel repose le Royaume-Uni ?

La crise dans laquelle se trouve actuellement le système parlementaire britannique résulte d’un problème, plus profond que le Brexit en lui-même, qui est la confrontation croissante entre deux modèles : la démocratie représentative, base du régime britannique, et la démocratie participative. Ce conflit est devenu évident à partir du moment où David Cameron, alors premier ministre, a soumis la question de la sortie de l’UE à un référendum binaire.

En faisant cela, il a envoyé un message sous-entendant qu’il n’avait pas confiance en la démocratie représentative pour gérer la question. Or, les institutions britanniques ne sont pas habituées à la logique politique participative. Par conséquent, elles ne savent pas gérer les problèmes complexes de cette manière. Avec le Brexit, une boîte de Pandore s’est ouverte et les problèmes rencontrés par le système parlementaire se sont multipliés.

Propos recueillis par Anouk Helft pour La Croix

Guerres d’influence : à qui servent les fake news ?

Mon, 17/12/2018 - 12:31

« C’est une fake news ! », « Attention aux fake news », « Il faut lutter contre les fake news » … Cette expression évoque souvent le flot de désinformation qui pollue les réseaux sociaux et le débat public, tout en démontrant le désarroi et le manque de moyens de l’appareil étatique d’abord, des journalistes, des ONG et des citoyens ensuite, pour les contrer. À qui servent les fake news ? Les loi anti-fake news sont-elles efficaces ? Les fake news peuvent-elles être un outil au service de l’influence des États ? Le point de vue de François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS.

Mouvement des gilets jaunes, attentat de Strasbourg, etc., nombreuses ont été les fake news autour de ces évènements. Comment l’expliquer ? Ce phénomène est-il en augmentation ?

Dans l’affaire des gilets jaunes et dans l’attentat de Strasbourg (qui a eu lieu ce mardi 11 décembre), beaucoup de fausses informations dans le sens le plus strict ont circulé, c’est-à-dire qu’ont été reportés intentionnellement des événements qui ne se sont pas déroulés. Par exemple, on a parlé de gens défigurés à l’acide, de rassemblements qui n’existaient pas, de blessés et des morts qui ne l’étaient pas, etc. C’est un aspect habituel en ce sens où à chaque fois qu’il y a des événements dramatiques, on voit se répandre de fausses nouvelles sur des personnages mystérieux, des événements, actes et décisions qu’on nous cacherait.

L’exemple le plus édifiant en termes de fake news est évidemment le 11 septembre 2001 (attentats du World Trade Center et du Pentagone) sur lequel maintes théories ont été émises, sur des gens qui n’étaient pas dans l’avion, sur plusieurs avions qui ne se sont pas écrasés, sur l’organisation de ces attentats par les services de renseignement américains, etc. On a vu la même chose au moment des attentats du Bataclan, de l’Hyper-Cacher et de Charlie Hebdo, où tout et n’importe quoi ont alimenté les fake news. Donc, d’une certaine manière, il est normal, lors d’événements dramatiques qui touchent l’affectivité collective, que les imaginations délirent un peu, créant périls et crimes imaginaires. Ceci n’est pas nouveau et s’est également produit en 1789, voire même dans la Rome antique.

En revanche, plusieurs éléments nouveaux sont à relever dans les affaires récentes. Premièrement, les gilets jaunes sont plus facilement victimes des fausses nouvelles, et ce pour plusieurs raisons. En effet, les personnes liées au mouvement des gilets jaunes échangent et discutent très majoritairement par le biais de Facebook. Or, sur Facebook, l’information dépend d’algorithmes d’une part et des personnes, groupes, pages et sites que vous « suivez » d’autre part. Ainsi, la véracité des informations transitant par Facebook n’est pas vérifiée par un ensemble de journalistes, ONG, institutions ayant autorité. Les réseaux sociaux sont par nature plus favorables aux rumeurs et aux fausses nouvelles, puisque chacun peut être émetteur au sein de ces écosystèmes.

Deuxième élément, le mouvement insurrectionnel des gilets jaunes est parti d’en bas, et n’était structuré ni idéologiquement ni politiquement ou syndicalement. Donc plusieurs « vedettes » sont nées spontanément sur les réseaux sociaux et tout particulièrement sur Facebook. Et ce ne sont pas forcément les plus malins. Ils peuvent être les plus « grandes gueules », les plus volubiles, ceux qui racontent les histoires les plus invraisemblables, ou qui ont l’imagination la plus délirante… L’exemple bien connu est la personne qu’on ne voit jamais, mais que tout le monde connait, et qui proclame qu’il s’agit d’un complot organisé par le gouvernement.

Le troisième élément important est que les fake news viennent aussi bien de la population, de la société civile, que du gouvernement. Du côté du gouvernement et des députés, on voit partir des fausses nouvelles comme celle de la personne effectuant un salut nazi sur les Champs-Élysées, démontrant ainsi par la preuve que le mouvement des gilets jaunes est synonyme de la peste brune…, ou des policiers défigurés à l’acide par les manifestants. Nouvelles qui sont parfaitement fausses et que certains députés et ministres devraient vérifier avant de les partager sur Internet et dans les médias traditionnels.

Quel bilan tirez-vous de la loi anti-fake news française ? Pourquoi vise-t-elle tout particulièrement Internet et les médias étrangers ? Quelles sont les dérives possibles de cette loi ?

Il est encore tôt pour parler bilan pour la loi anti-fake news française. C’est une loi à laquelle je me suis opposé pour deux raisons principales. La première est qu’elle ouvre la possibilité, en période électorale certes, de demander aux juges des référés obligeant les plateformes ou les réseaux sociaux à retirer des informations qui seraient douteuses ou supposément lancées avec une intention malicieuse. Or, d’une part, comment le juge des référés va-t-il établir ce qui est la vérité dans un délai très bref ? Il sera très probablement obligé de s’en tenir aux versions des sites de « fact-checking » ou des médias et ONG qui repèrent les fausses nouvelles. Mais dans la réalité, il adressera une injonction à Facebook, Google, etc., qui ont déjà des algorithmes pour retirer les fausses informations, puisque c’est dans leur intérêt de ne pas paraître comme le « royaume du mensonge ». Il n’y aura donc pas a priori de pouvoir effectif du juge, rendant ses décisions par conséquent très contestables. Par ailleurs, cela va renforcer la mentalité des gens qui pensent que le « système » nous ment, nous interdit de dire la vérité, nous présente une version partielle et partiale des événements d’actualité, et donc la paranoïa.

D’autre part, la loi anti-fake news donne, non pas aux juges des référés, mais au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le droit de ne pas accorder de licence ou de retirer la licence aux médias étrangers qui feraient de la désinformation ou se livreraient à de la manipulation de l’information. Tout le monde l’a bien compris, cet aspect de la loi anti-fake news vise particulièrement Russia Today et Sputnik, et non Al-Jazeera, CNN ou Radio Vatican. Il s’agit donc d’un aspect extrêmement subjectif de la loi, car ceci permettrait d’ostraciser certains médias, certes payés par l’étranger, mais sur des critères qui pourraient être internes à l’appareil étatique français ou de politique intérieure, en renvoyant une fois de plus l’image d’un Big Brother où le gouvernement contrôle ce que nous pensons, voit ce que nous faisons, etc.

Comment les fake news peuvent-elles être un outil au service de l’influence des États ? Est-ce un phénomène nouveau ? Pour servir quels desseins ?

Ce phénomène n’est absolument pas nouveau. En effet, l’histoire proche et lointaine regorge de grands mensonges aussi spectaculaires que surprenants tels que la délation de Constantin qui a été l’un des fondements du pouvoir de l’Église, la fausse lettre du prêtre Jean, la dépêche d’Ems, etc. Il y a dans l’histoire des dizaines d’exemples de fausses accusations ou de faux documents qui ont servi à des fins politiciennes, et/ou liés aux intérêts de tels ou tels pays. Ce qui est toutefois nouveau, c’est que sur Internet, en créant de faux sites et comptes, en provoquant des mouvements de retweet, de groupes de diffusion, etc., il est relativement facile de donner énormément d’ampleur à des fausses nouvelles. Par ailleurs, avec des logiciels très grand public comme Photoshop, n’importe qui peut retoucher une photo. Mais il existe des techniques infiniment plus sophistiquées dites de « deep fakes » qui permettent de truquer des images animées et de faire prononcer à X, avec la bonne tonalité et le bon mouvement des lèvres, des phrases qu’il n’a jamais dites. Ainsi, la fabrique et la manipulation de l’information ne sont pas seulement dues aux hackers ou personnes étrangères mal intentionnées, mais également aux services d’États et autres officines.

En conséquence, les fake news ont pris énormément d’ampleur notamment depuis l’avènement d’Internet, à tel point qu’elles sont devenues quelque peu incontrôlables. Pour autant une fausse nouvelle à un effet limité, car elle est très vite signalée, démentie et repérée par les médias et ONG. Des études d’universitaires américains montraient que beaucoup de fake news sont partagées par les milieux très orientés idéologiquement, mais que leur effet global n’est pas très important. Les fake news ne peuvent, par exemple, pas changer le cours d’une élection, car les gens se renforcent dans leurs convictions.

En revanche, le fait qu’il y ait beaucoup de fake news d’origines diverses et variées (qui partent de la base, d’autres des dirigeants et des « élites », de l’étranger, de médias satyriques, de sites commerciaux essayant d’attirer autant de personnes que possible dans ce qu’on appelle les « pièges à clic », etc.) est quelque chose de beaucoup plus important et qui crée un doute à l’égard de l’autorité, des procédures d’accréditation, soit du caractère officiel de l’information. Ce qui n’est pas une bonne chose dans une démocratie. C’est un peu la rançon à payer pour la facilité de l’accès à l’information et c’est un peu trop facile d’accuser un État étranger ou des sites complotistes pour perturber l’opinion. Enfin, les fake news naissent et se nourrissent également de la faction croissante de la population française en rupture avec les « élites », qui ne croit plus ce que leur raconte le JT du soir ou le journal du matin.

« C’est une fake news ! », « Attention aux fake news », « Il faut lutter contre les fake news » … Cette expression évoque souvent le flot de désinformation qui pollue les réseaux sociaux et le débat public, tout en démontrant le désarroi et le manque de moyens de l’appareil étatique d’abord, des journalistes, des ONG et des citoyens ensuite, pour les contrer. À qui servent les fake news ? Les loi anti-fake news sont-elles efficaces ? Les fake news peuvent-elles être un outil au service de l’influence des États ? Le point de vue de François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS.

Mouvement des gilets jaunes, attentat de Strasbourg, etc., nombreuses ont été les fake news autour de ces évènements. Comment l’expliquer ? Ce phénomène est-il en augmentation ?

Dans l’affaire des gilets jaunes et dans l’attentat de Strasbourg (qui a eu lieu ce mardi 11 décembre), beaucoup de fausses informations dans le sens le plus strict ont circulé, c’est-à-dire qu’ont été reportés intentionnellement des événements qui ne se sont pas déroulés. Par exemple, on a parlé de gens défigurés à l’acide, de rassemblements qui n’existaient pas, de blessés et des morts qui ne l’étaient pas, etc. C’est un aspect habituel en ce sens où à chaque fois qu’il y a des événements dramatiques, on voit se répandre de fausses nouvelles sur des personnages mystérieux, des événements, actes et décisions qu’on nous cacherait.

L’exemple le plus édifiant en termes de fake news est évidemment le 11 septembre 2001 (attentats du World Trade Center et du Pentagone) sur lequel maintes théories ont été émises, sur des gens qui n’étaient pas dans l’avion, sur plusieurs avions qui ne se sont pas écrasés, sur l’organisation de ces attentats par les services de renseignement américains, etc. On a vu la même chose au moment des attentats du Bataclan, de l’Hyper-Cacher et de Charlie Hebdo, où tout et n’importe quoi ont alimenté les fake news. Donc, d’une certaine manière, il est normal, lors d’événements dramatiques qui touchent l’affectivité collective, que les imaginations délirent un peu, créant périls et crimes imaginaires. Ceci n’est pas nouveau et s’est également produit en 1789, voire même dans la Rome antique.

En revanche, plusieurs éléments nouveaux sont à relever dans les affaires récentes. Premièrement, les gilets jaunes sont plus facilement victimes des fausses nouvelles, et ce pour plusieurs raisons. En effet, les personnes liées au mouvement des gilets jaunes échangent et discutent très majoritairement par le biais de Facebook. Or, sur Facebook, l’information dépend d’algorithmes d’une part et des personnes, groupes, pages et sites que vous « suivez » d’autre part. Ainsi, la véracité des informations transitant par Facebook n’est pas vérifiée par un ensemble de journalistes, ONG, institutions ayant autorité. Les réseaux sociaux sont par nature plus favorables aux rumeurs et aux fausses nouvelles, puisque chacun peut être émetteur au sein de ces écosystèmes.

Deuxième élément, le mouvement insurrectionnel des gilets jaunes est parti d’en bas, et n’était structuré ni idéologiquement ni politiquement ou syndicalement. Donc plusieurs « vedettes » sont nées spontanément sur les réseaux sociaux et tout particulièrement sur Facebook. Et ce ne sont pas forcément les plus malins. Ils peuvent être les plus « grandes gueules », les plus volubiles, ceux qui racontent les histoires les plus invraisemblables, ou qui ont l’imagination la plus délirante… L’exemple bien connu est la personne qu’on ne voit jamais, mais que tout le monde connait, et qui proclame qu’il s’agit d’un complot organisé par le gouvernement.

Le troisième élément important est que les fake news viennent aussi bien de la population, de la société civile, que du gouvernement. Du côté du gouvernement et des députés, on voit partir des fausses nouvelles comme celle de la personne effectuant un salut nazi sur les Champs-Élysées, démontrant ainsi par la preuve que le mouvement des gilets jaunes est synonyme de la peste brune…, ou des policiers défigurés à l’acide par les manifestants. Nouvelles qui sont parfaitement fausses et que certains députés et ministres devraient vérifier avant de les partager sur Internet et dans les médias traditionnels.

Quel bilan tirez-vous de la loi anti-fake news française ? Pourquoi vise-t-elle tout particulièrement Internet et les médias étrangers ? Quelles sont les dérives possibles de cette loi ?

Il est encore tôt pour parler bilan pour la loi anti-fake news française. C’est une loi à laquelle je me suis opposé pour deux raisons principales. La première est qu’elle ouvre la possibilité, en période électorale certes, de demander aux juges des référés obligeant les plateformes ou les réseaux sociaux à retirer des informations qui seraient douteuses ou supposément lancées avec une intention malicieuse. Or, d’une part, comment le juge des référés va-t-il établir ce qui est la vérité dans un délai très bref ? Il sera très probablement obligé de s’en tenir aux versions des sites de « fact-checking » ou des médias et ONG qui repèrent les fausses nouvelles. Mais dans la réalité, il adressera une injonction à Facebook, Google, etc., qui ont déjà des algorithmes pour retirer les fausses informations, puisque c’est dans leur intérêt de ne pas paraître comme le « royaume du mensonge ». Il n’y aura donc pas a priori de pouvoir effectif du juge, rendant ses décisions par conséquent très contestables. Par ailleurs, cela va renforcer la mentalité des gens qui pensent que le « système » nous ment, nous interdit de dire la vérité, nous présente une version partielle et partiale des événements d’actualité, et donc la paranoïa.

D’autre part, la loi anti-fake news donne, non pas aux juges des référés, mais au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le droit de ne pas accorder de licence ou de retirer la licence aux médias étrangers qui feraient de la désinformation ou se livreraient à de la manipulation de l’information. Tout le monde l’a bien compris, cet aspect de la loi anti-fake news vise particulièrement Russia Today et Sputnik, et non Al-Jazeera, CNN ou Radio Vatican. Il s’agit donc d’un aspect extrêmement subjectif de la loi, car ceci permettrait d’ostraciser certains médias, certes payés par l’étranger, mais sur des critères qui pourraient être internes à l’appareil étatique français ou de politique intérieure, en renvoyant une fois de plus l’image d’un Big Brother où le gouvernement contrôle ce que nous pensons, voit ce que nous faisons, etc.

Comment les fake news peuvent-elles être un outil au service de l’influence des États ? Est-ce un phénomène nouveau ? Pour servir quels desseins ?

Ce phénomène n’est absolument pas nouveau. En effet, l’histoire proche et lointaine regorge de grands mensonges aussi spectaculaires que surprenants tels que la délation de Constantin qui a été l’un des fondements du pouvoir de l’Église, la fausse lettre du prêtre Jean, la dépêche d’Ems, etc. Il y a dans l’histoire des dizaines d’exemples de fausses accusations ou de faux documents qui ont servi à des fins politiciennes, et/ou liés aux intérêts de tels ou tels pays. Ce qui est toutefois nouveau, c’est que sur Internet, en créant de faux sites et comptes, en provoquant des mouvements de retweet, de groupes de diffusion, etc., il est relativement facile de donner énormément d’ampleur à des fausses nouvelles. Par ailleurs, avec des logiciels très grand public comme Photoshop, n’importe qui peut retoucher une photo. Mais il existe des techniques infiniment plus sophistiquées dites de « deep fakes » qui permettent de truquer des images animées et de faire prononcer à X, avec la bonne tonalité et le bon mouvement des lèvres, des phrases qu’il n’a jamais dites. Ainsi, la fabrique et la manipulation de l’information ne sont pas seulement dues aux hackers ou personnes étrangères mal intentionnées, mais également aux services d’États et autres officines.

En conséquence, les fake news ont pris énormément d’ampleur notamment depuis l’avènement d’Internet, à tel point qu’elles sont devenues quelque peu incontrôlables. Pour autant une fausse nouvelle à un effet limité, car elle est très vite signalée, démentie et repérée par les médias et ONG. Des études d’universitaires américains montraient que beaucoup de fake news sont partagées par les milieux très orientés idéologiquement, mais que leur effet global n’est pas très important. Les fake news ne peuvent, par exemple, pas changer le cours d’une élection, car les gens se renforcent dans leurs convictions.

En revanche, le fait qu’il y ait beaucoup de fake news d’origines diverses et variées (qui partent de la base, d’autres des dirigeants et des « élites », de l’étranger, de médias satyriques, de sites commerciaux essayant d’attirer autant de personnes que possible dans ce qu’on appelle les « pièges à clic », etc.) est quelque chose de beaucoup plus important et qui crée un doute à l’égard de l’autorité, des procédures d’accréditation, soit du caractère officiel de l’information. Ce qui n’est pas une bonne chose dans une démocratie. C’est un peu la rançon à payer pour la facilité de l’accès à l’information et c’est un peu trop facile d’accuser un État étranger ou des sites complotistes pour perturber l’opinion. Enfin, les fake news naissent et se nourrissent également de la faction croissante de la population française en rupture avec les « élites », qui ne croit plus ce que leur raconte le JT du soir ou le journal du matin.

Attentat à Strasbourg : Cherif Chekatt, un suspect « au profil hybride souvent étudié au sein de la mouvance djihadiste »

Thu, 13/12/2018 - 12:43

Le profil du suspect de Strasbourg correspond-il, selon vos travaux, à un profil « classique » ?

Oui. Si je me réfère au rapport que nous avons publié en septembre 2018 avec une équipe paneuropéenne de chercheurs, le profil de Cherif Chekatt correspond tout à fait à ceux que nous avons pu étudier au sein de la mouvance djihadiste. C’est un homme, jeune, âgé d’une trentaine d’années, né sur le sol français et déjà condamné. De nombreux individus impliqués dans des récentes affaires de terrorisme ont baigné, comme lui, dans la délinquance avant de passer à l’acte.

On a pu constater également que le processus de radicalisation était long. On pensait encore il y a quelques années qu’on pouvait basculer dans l’idéologie radicale très rapidement puis agir seul. C’est ce qu’on a appelé les « loups solitaires ». Mais cette théorie ne se vérifie plus du tout. C’est extrêmement rare. À partir de ce constat, il va falloir se pencher sur les personnes qui ont pu influencer petit à petit Cherif Chekatt dans son parcours. Quel lien existe-t-il également entre la perquisition prévue le matin même pour une autre affaire au domicile du suspect avec son passage à l’acte quelques heures plus tard ? L’enquête le déterminera.

Pourquoi parle-t-on d’un profil hybride ?

On parle de profil hybride lorsque l’individu baigne dans deux milieux : criminel et terroriste. Pour une grande partie des profils de djihadistes étudiés, il ne s’agit pas d’une grande criminalité mais plutôt de petite délinquance, des vols, des braquages sans envergure. Cela permet de rester sous les radars de certains services puis de mener plus tard une action violente.

Ce qu’on a constaté aussi, c’est que les individus qui baignaient dans la criminalité n’utilisaient pas forcément de moyens illégaux pour financer leur action violente. L’achat des armes par exemple peut se faire à l’aide de revenus légaux, de petits boulots, d’aides perçues etc. Le type de financement utilisé dans le cas de Strasbourg permettra d’évaluer le lien entre criminalité et terrorisme dans le parcours du suspect.

Cette hybridation est-elle récente ?

Avant la chute du Mur [de Berlin en 1989] et l’impact de la mondialisation, on distinguait deux milieux et deux cercles distincts. Mais depuis les années 1990 et surtout le début des années 2000, on constate une porosité entre ces deux milieux. Des individus qui ont baigné dans la délinquance et la criminalité ont été attirés par la doctrine de Daesh et ce pour différentes raisons : identitaires ou sociologiques. Et c’est cette frontière plus poreuse qui rend si difficile, pour les autorités, la définition et le suivi de profils spécifiques.

L’influence des cartels de la drogue au Mexique : le nouveau gouvernement face à son plus grand défi

Thu, 13/12/2018 - 09:47

La prise de fonction du nouveau président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, le 1er décembre, marque, sans aucun doute, une rupture totale de la politique menée par les gouvernements successifs à l’encontre des cartels de la drogue, depuis Felipe Calderón en 2006. Jusqu’alors habitué aux méthodes violentes et répressives utilisées par ses dirigeants pour lutter contre le fléau de la drogue, le Mexique semble se diriger vers un basculement de sa doctrine, en délaissant l’affrontement armé pour privilégier des mesures sociales et plus conciliantes à l’égard des trafiquants.

Un pays rongé par l’influence des cartels de la drogue

Depuis les années 1980 et l’apparition au sein de la société mexicaine d’une contre-culture exclusivement destinée à promouvoir le mode de vie des cartels de la drogue, la « narcoculture », l’emprise des organisations criminelles sur l’ensemble du pays n’a cessé de croître, jusqu’à menacer directement la stabilité de l’État. L’influence des cartels sur la population est telle, à l’heure actuelle, qu’il semble difficile de l’imaginer un jour être remise en question.

La propagande mise en place par le crime organisé au Mexique couvre l’ensemble des aspects de la société, la rendant facilement accessible au plus grand nombre, et démultipliant son impact auprès des populations délaissées par le gouvernement central. La narcoculture est aisément identifiable dans le monde de la culture, par le biais notamment des narcocorridos, chansons à la gloire des trafiquants de drogue, mais également à la télévision dans les telenovelas mettant en scène la vie de célèbres barons de la drogue, et connaissant un très grand succès au Mexique et en dehors. Cependant, l’influence des narcos ne se limite pas à la sphère culturelle, mais touche également le style vestimentaire d’une frange de la population qui, sous le nom de narcomoda, reprend les codes et le style des barons de la drogue afin de leur ressembler. La sphère religieuse, très importante au Mexique, n’est pas épargnée non plus par la propagande des cartels, ces derniers se l’appropriant ouvertement en nommant de nouveaux saints, non reconnus par l’Église officielle, censés soutenir les narcotrafiquants et leurs activités, tels que Jesus Malverde et la Santa Muerte.

Depuis la fin des années 2000 et l’avènement des réseaux sociaux, les cartels de la drogue disposent d’un outil de communication sans précédent leur permettant de diffuser leur propagande, d’envoyer des messages, que ce soit à leurs membres, au gouvernement, aux groupes rivaux ou à l’ensemble de la population, et même de coordonner leurs actions et de planifier leurs opérations. Les réseaux sociaux ont considérablement modifié l’organisation interne des cartels, dans la mesure où ces plateformes leur permettent désormais d’effectuer, rapidement et très facilement, tout un ensemble de tâches qui nécessitaient auparavant plusieurs réseaux complexes et distincts (communication, planification, organisation, etc.). Le recrutement de nouveaux membres s’en trouve ainsi grandement facilité, grâce à l’accès direct à la population que garantissent les réseaux sociaux. Le nombre très important d’internautes au Mexique, notamment parmi les plus jeunes, fournit un vivier de potentielles recrues en pleine expansion aux cartels de la drogue, toujours en quête de main d’œuvre. Les réseaux sociaux ont, sans nul doute, contribué dans une grande mesure à l’établissement de liens toujours plus étroits entre les groupes du crime organisé et la population mexicaine.

Andrés Manuel López Obrador, le président qui veut réformer la lutte contre le narcotrafic

L’arrivée au pouvoir d’« AMLO », comme le surnomme la presse mexicaine, risque fort de bouleverser la politique intérieure du pays en matière de lutte contre le trafic de drogue. En effet, lors de sa campagne présidentielle, López Obrador a répété à de multiples reprises qu’une fois élu, son gouvernement s’attachera à modifier en profondeur la façon dont la problématique du narcotrafic était traitée jusqu’alors. Fervent opposant à la guerre civile, dont le nombre de morts est estimé entre 100.000 et plus de 200.000 selon les sources, depuis 2006, AMLO compte bien délaisser la logique d’affrontement armé prônée par ses prédécesseurs afin de mettre en place plusieurs mesures, davantage axées sur l’aspect social, pour sortir son pays de la spirale de violence qui le ronge.

Rôdé aux problèmes sécuritaires lors de ses cinq ans en tant que chef du gouvernement de la ville de Mexico (2000-2005), AMLO a dévoilé un programme de campagne présidentielle très progressiste, notamment concernant sa conception de la lutte contre les cartels de la drogue. Plusieurs propositions phares, qui ont presque immédiatement déclenché une polémique au Mexique, témoignent de la volonté du futur président de modifier en profondeur les rapports que l’État entretient avec les narcotrafiquants.

Alors qu’il s’est engagé à faire cesser les violences en trois ans, à partir de son intronisation le 1er décembre 2018, AMLO compte faire voter au Parlement une loi d’amnistie qui pardonnerait les trafiquants n’ayant pas commis de crime grave aux yeux de la loi. Destinée à ouvrir un dialogue apaisé entre les cartels et le gouvernement, cette loi vise avant tout les populations sensibles ayant intégré les organisations criminelles, notamment les femmes et les enfants. Malgré l’objectif affiché de pacifier un pays en « état de guerre », ce projet de loi rencontre de fervents opposants, peu disposés à pardonner les individus coupables, selon eux, d’avoir plongé le Mexique dans le chaos.

Dans le même temps, le nouveau président souhaite enclencher le processus de légalisation de la marijuana sur le territoire, afin de soustraire aux cartels cette activité lucrative et, ainsi, éloigner une frange de la population de l’influence des narcotrafiquants. Néanmoins, si cette initiative semble louable, elle arrive un peu tard étant donné que la plupart des organisations criminelles du pays tirent leurs bénéfices de drogues dures (notamment la cocaïne et l’héroïne), et non plus de la marijuana comme cela pouvait être le cas auparavant, d’autant que le Mexique n’est pas un gros consommateur de drogues douces.

Cependant, la principale mission d’AMLO reste de combattre efficacement la pauvreté, endémique dans certaines zones du Mexique, qui demeure aujourd’hui l’une des principales forces des cartels de la drogue. En élevant le niveau de vie de ses concitoyens, le président réduirait l’influence que pourrait exercer sur eux les trafiquants. De plus, afin que la population regagne confiance en son gouvernement et se détourne du narcotrafic, il sera impératif que l’État reconquière les régions délaissées aujourd’hui pour rebâtir l’unité du pays. Le plus important est de renouer le dialogue social entre le gouvernement et la population mexicaine, rompu depuis plusieurs années. Si le projet de Andrés Manuel López Obrador ne se fera pas en un jour, ni même en un mandat, le changement de paradigme et de politique envers le trafic de drogue ne peut être qu’un point de départ positif pour le Mexique après 12 ans de violences qui ont mené le territoire national au bord de l’implosion.

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Vincent Levesque est diplômé d’IRIS Sup’ en Défense, sécurité et gestion de crise. Cet article est basé sur son mémoire de fin d’études, dirigé par Guillermo Giarratana, chercheur associé à l’IRIS.

 

Qatar et OPEP : raisons et enjeux d’un divorce

Wed, 12/12/2018 - 16:12

Même si le Qatar ne pèse pas lourd au sein de l’OPEP, son départ – une première au Moyen-Orient – n’est pas à minimiser. D’autant qu’il est un signal envoyé à l’Arabie saoudite et une opportunité de se rapprocher de Washington.

Avant le Qatar, qui quittera l’OPEP en janvier 2019, trois pays avaient pris une décision similaire dans l’histoire de cette organisation qui a été créée en 1960 : l’Équateur, le Gabon et l’Indonésie. Les deux premiers pays ont plus tard rejoint l’OPEP et en sont toujours membres.

L’Indonésie a suspendu sa participation à l’OPEP en 2009, est revenue en 2016 et elle est repartie fin 2016, avec regret d’ailleurs (le cas de l’Indonésie est très particulier car ce pays est devenu un importateur net de pétrole alors que l’OPEP regroupe des exportateurs nets).

De plus, trois nouveaux pays, tous situés en Afrique – l’Angola, la Guinée équatoriale et la République du Congo (Congo Brazzaville) – ont adhéré à l’OPEP depuis 2007. L’organisation conserve donc une bonne attractivité.

Le chiffre actuel de quinze membres, y compris le Qatar, est le plus élevé jamais enregistré dans l’histoire de l’OPEP. Ces quinze pays sont en Afrique (sept), au Moyen-Orient (six) et en Amérique du Sud (deux).

Cela dit, le départ du Qatar n’est pas sans importance et, ce, pour trois raisons : son adhésion remonte à 1961, soit il y a 57 ans. Ce pays a été le premier à rejoindre l’OPEP après la fondation de celle-ci en septembre 1960 à Bagdad par cinq autres États – l’Iran, l’Arabie saoudite, l’Irak, le Koweït et le Venezuela – et c’est la première fois qu’un pays du Moyen-Orient, qui est le cœur de l’organisation, quitte l’OPEP. Tout ceci ne peut et ne doit pas être pris à la légère.

Des raisons économiques et pas du tout politiques ?

Doha a souligné que sa décision de retrait ne devait pas être analysée sous un angle politique et que la raison essentielle était sa volonté de se concentrer sur le gaz naturel au sein de son portefeuille hydrocarbures.

Le Qatar contrôle en effet les troisièmes plus importantes réserves prouvées de gaz au monde après la Russie et l’Iran, dans cet ordre. Le pays est un gros producteur de gaz naturel, et il est surtout le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL).

Cet argument est essentiel car le Qatar estime que l’OPEP ne lui apporte pas une valeur ajoutée particulière, l’organisation ne s’occupant que du pétrole brut et non du gaz naturel ou des liquides de gaz naturel.

De plus, son faible poids au sein de l’OPEP est un facteur supplémentaire derrière son retrait. Pour les dirigeants qataris, qui raisonnent souvent comme des hommes d’affaires dans la gestion de l’émirat, l’heure est venue de se concentrer sur l’essentiel, le gaz naturel, et de se retirer d’autres activités ou entreprises.

Les déclarations officielles des responsables qataris selon lesquelles la politique n’a rien à voir avec le départ du pays de l’OPEP ne sont cependant pas complètement convaincantes. Aux raisons énergétiques et économiques évoquées ci-dessus, il faut ajouter trois autres éléments : les différends avec deux autres membres de l’OPEP et non les moindres, à savoir l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) ; l’hostilité du président Donald Trump envers l’OPEP ; et la transition énergétique pour lutter contre le changement climatique qui favorise le gaz naturel par rapport aux autres énergies fossiles, le pétrole et le charbon.

Du rififi au sein du Conseil de coopération du Golfe

Depuis juin 2017, le Qatar subit de sérieuses sanctions politiques et économiques de la part de quatre autres pays arabes : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte.

Dix-huit mois après, ces sanctions sont toujours en vigueur en dépit des efforts de médiation du Koweït et des appels répétés des États-Unis pour que ces cinq pays se mettent autour d’une table en vue de régler leurs différends par la négociation plutôt que de se diviser au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et d’affaiblir le CCG face à l’Iran.

Au sein de l’OPEP, chaque État a certes une voix mais l’Arabie saoudite est le leader de fait de cette organisation en raison de son poids considérable. La production saoudienne représente un tiers de la production de pétrole brut de l’organisation.

Le pays est aussi le premier exportateur de pétrole au monde, le troisième producteur derrière les États-Unis et la Russie et le second détenteur de réserves pétrolières prouvées après le Venezuela.

Pour le Qatar, son départ de l’OPEP est aussi un moyen d’envoyer un signal à l’Arabie saoudite même si les considérations énergétiques et économiques ont pesé lourdement dans cette décision. Mais, pour ne pas jeter plus d’huile sur le feu, ce signal politique restera implicite.

Trump contre l’OPEP

Pour le Qatar, comme pour les autres pays membres du CCG, la relation avec Washington est fondamentale puisque les États-Unis sont le grand protecteur des pays arabes du Golfe. L’OPEP a rarement été en odeur de sainteté à Washington mais la situation a empiré avec Donald Trump qui a dédié plusieurs de ses fameux tweets à l’organisation au cours des dernières semaines et des derniers mois.

À chaque fois que le président américain a parlé de l’OPEP en 2018, ce n’était pas pour lui faire des compliments. Dans le contexte des sanctions imposées par l’Arabie saoudite et ses alliés, ce peut être une opportunité pour le Qatar de se rapprocher encore plus de l’administration Trump, ce qui ne serait pas un atout négligeable dans le jeu de poker entre Doha et Riyad.

Certes, en termes purement quantitatifs, le départ du Qatar n’est pas un événement majeur pour l’organisation. La production de pétrole brut de ce pays est de 600 000 barils par jour environ sur un total OPEP de 33 millions de barils/jour actuellement, soit 1,8 %. Sur un marché pétrolier mondial, dont la taille est à présent de 100 millions de barils/jour, la part du Qatar ne dépasse pas 0,6 %. L’OPEP représente un tiers de ce marché et l’impact direct du départ de l’émirat est donc négligeable.

De plus, depuis la fin 2016, l’organisation coopère avec dix pays non-OPEP, dont la Russie, et le poids combiné de ces 25 pays est de 50 % de la production mondiale de brut.

L’OPEP peut bien sûr se passer du Qatar mais le Qatar peut aussi se passer de l’OPEP. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’un enjeu essentiel. En même temps, ce départ n’est pas passé inaperçu et Doha a gagné la bataille de la communication ou, au moins, la première manche.

Cette décision ne devrait cependant pas faire école car le cas du Qatar est très spécifique pour les raisons indiquées ci-dessus. Il est très peu probable que d’autres pays membres se précipitent pour suivre cet « exemple ». Cela dit, il est important pour l’OPEP d’être attentive aux intérêts, besoins et contraintes des petits producteurs de pétrole en son sein si l’organisation veut à terme conserver la diversité qui a été et qui demeure la sienne aujourd’hui.

Le sport ne peut se passer de l’évaluation

Wed, 12/12/2018 - 16:01

En France, l’évaluation a mauvaise presse. Souvent mal comprise, associée à une sanction politique, à une rigidité bureaucratique ou à une suite de chiffres abscons, elle est cependant indispensable pour que les décideurs publics et privés ajustent leurs investissements et leurs dépenses, et rendent des comptes aux citoyens.

Face aux défis que nous partageons avec nos voisins européens – creusement des inégalités, vieillissement de la population, transformation des modes de vie, éducation et formation tout au long de la vie, détérioration des écosystèmes, pour n’en citer que quelques-uns –, l’évaluation permet, parmi d’autres outils, de garantir un équilibre entre universalisme et ciblage en fonction des besoins des populations et des territoires.

Or, évaluer, ce n’est ni sonder l’air du temps, ni se contenter d’un sondage d’opinion à des fins de marketing. C’est, en s’appuyant sur une méthode scientifique rigoureuse et interdisciplinaire, fournir un état des lieux, une mesure d’impacts – quantitatifs et qualitatifs – qui tiennent compte des complexités sociales.

La science doit en effet être davantage utilisée comme un outil d’aide à la décision publique et privée afin, notamment, de passer des normes implicites aux normes explicites, et de garantir l’égalité réelle des droits et de l’accès aux ressources.

Alors que prospèrent les désordres de l’information, la société aspire à l’élévation du niveau des connaissances et la recherche, l’expertise, validées par les pairs, sont des atouts précieux mais insuffisamment exploités. Sans rien céder sur l’exigence intellectuelle, les résultats de la recherche doivent être valorisés, explicités, rendus accessibles au citoyen. C’est particulièrement vrai de l’évaluation des politiques publiques et des investissements privés.

Le sport, terrain privilégié de la rencontre entre science et politique

À l’instar d’autres champs comme la culture, le sport est un laboratoire de transformation du social qui est sous-utilisé. Les liens entre recherche et décision restant largement à construire, le sport – omniprésent dans la vie quotidienne, bénéficiant d’une immense couverture médiatique – a tous les atouts pour devenir un instrument d’innovation au service des acteurs politiques, associatifs et fédéraux, mais aussi pour appréhender d’autres items de l’agenda de manière nouvelle.

Les enseignements qu’il apporte peuvent en effet infuser dans le reste de la société car une innovation qui fonctionne, c’est une innovation dont l’impact dépasse sa seule sphère d’influence. Envisagé de manière transversale, le sport pourrait mieux nourrir des evidence-based policies et aider à élaborer des dispositifs plus efficaces et plus efficients en matière de santé, d’éducation et de formation, d’emploi, de lutte contre les discriminations, d’inclusion sociale, de protection de l’environnement, entre autres, tout ceci faisant du reste souvent système.

Sans évaluation, pas d’héritage tangible des GESI

L’organisation de grands événements sportifs internationaux (GESI) en France dans les prochains mois et les prochaines années – France 2019 (Coupe du monde féminine de football), France 2023 (Coupe du monde masculine de rugby) et Paris 2024 (Jeux olympiques et paralympiques), pour ne prendre que trois exemples – constitue une occasion unique pour mettre cette proposition en pratique.

Jusqu’ici, les grandes compétitions sportives internationales qui se sont tenues dans notre pays n’ont pas répondu aux engagements pris, ni sur le plan de l’héritage, ni sur celui de son évaluation sociétale – ce qui a accentué la défiance populaire et médiatique. Le cas de l’Euro 2016 est emblématique : les espoirs déçus de la Seine-Saint-Denis ont laissé des traces. Il est, en outre, regrettable que l’absence d’indicateurs et de véritable stratégie politique globale ne permette pas, pour l’heure, de capitaliser sur une victoire en Coupe du monde masculine de football pour construire un agenda émancipateur.

S’ils veulent laisser un legs durable et objectivable, les GESI ne pourront donc plus faire l’économie d’un travail d’évaluation des retombées de leur événement, en matière non seulement économique, mais aussi sociétale et ce, sans oublier que ces deux aspects sont indissociables.

Comment, par exemple, mesurer l’effet sur le chômage d’une politique sportive transversale sans s’atteler à la lutte contre les discriminations fondées sur le genre, l’origine, le territoire de vie, etc., et aux coûts humain et financier que ces discriminations occasionnent ? Ce travail ne peut être laissé aux seuls économistes. Sociologues, politistes, historiens, géographes ont un savoir-faire précieux dont les décideurs ne peuvent plus se passer. Le « mouvement » des gilets jaunes serait, aujourd’hui, incompréhensible par le pouvoir politique sans les travaux, passés et en cours, de la recherche interdisciplinaire. La même exigence doit être de mise dans le sport.

Le sport au service de tous et toutes

Par ailleurs, on ne trouvera pas de manière magique « trois millions de nouveaux pratiquants d’ici 2024 » : pour y parvenir, il faut partir des besoins des individus et des groupes et viser des objectifs de santé et de bien-être – avec des moyens et accompagnements adaptés à chacun.e –, de solidarité intergénérationnelle, d’accessibilité, de lutte contre l’isolement, etc.. Les villes-hôtes des GESI, témoins de la diversité du territoire, fournissent un formidable terrain d’étude et d’expérimentation qu’il s’agira de documenter scientifiquement.

Valoriser les résultats de la recherche dans l’espace public et médiatique de débats, expliquer et porter, auprès des décideurs, les enjeux démocratiques et citoyens du sport sont une tâche indispensable mais complexe parce que ces différents univers sont largement cloisonnés.

Réussir ce dialogue suppose de produire et de diffuser une expertise au service de l’intérêt général et non d’intérêts particuliers marchands ou non marchands, pour, enfin, agir. Produire des rapports ne suffit pas : le courage politique s’incarne dans la mise en place de dispositifs concrets dont les retombées doivent être évaluées scientifiquement, en amont et en aval, et de manière indépendante. Il s’agit, avant tout, de mettre le sport au service de la société, autrement dit de tous et de toutes.

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

« Nous entrons dans une routine terroriste »

Wed, 12/12/2018 - 15:51

Que révèle l’attaque de Strasbourg sur l’état de la menace ?

Nous entrons dans un processus de routine terroriste : à intervalles réguliers, un assaillant prend la décision soudaine de frapper au hasard, par tous les moyens possibles, sans véritable préparation. Ce n’est pas une attaque «sophistiquée», il y a eu une grande part d’improvisation chez le tueur présumé.

Pourquoi attaquer le marché de Noël de Strasbourg ?

D’abord, pour la simple raison que c’est la ville où habitait l’assaillant : c’est presque du terrorisme «de voisinage». Mais aussi et surtout parce que frapper un événement réputé dans le monde entier, c’est l’assurance de faire de nombreuses victimes et d’avoir un écho médiatique important, notamment à l’étranger.

L’arsenal antiterroriste français serait-il insuffisant ?

Pas forcément. Tout dispositif préventif a des failles, et l’effectif humain n’est jamais parfait. D’autant que le terrorisme actuel est plus imprévisible qu’avant : un loup solitaire est capable de tuer avec un simple couteau, et choisir n’importe quelle cible, n’importe où, n’importe quand. C’est quasi insoluble. Une piste serait d’investir davantage dans le renseignement humain, et qualitatif plutôt que quantitatif.

Rohingyas : un droit au retour impossible ?

Fri, 23/11/2018 - 18:03

Plus d’un an après l’accord de rapatriement des Rohingyas signé entre la Birmanie et le Bangladesh, la situation de cette minorité ethnique musulmane est toujours bloquée. Quelle est la situation des Rohingyas tant au Bangladesh qu’en Birmanie actuellement ? À l’approche des élections législatives bangladaises prévues le 30 décembre prochain, cette crise pèse-t-elle sur la campagne électorale ? Le point de vue d’Alice Baillat, chercheuse à l’IRIS, sur la situation.

Un accord bilatéral a été signé entre la Birmanie et le Bangladesh en novembre 2017 pour convenir du retour des Rohingyas dans l’État d’Arakan. Or ce rapatriement, auquel s’est opposée l’ONU, est actuellement suspendu. Quelles en sont les raisons ?

Le rapatriement des Rohingyas a été négocié par les autorités birmanes et bangladaises en novembre 2017, un peu plus de deux mois après leur exode massif vers le Bangladesh qui a fait suite aux exactions commises par l’armée birmane à leur encontre en août 2017. Cet accord de rapatriement est rapidement tombé au point mort en raison d’une incapacité des deux parties à s’entendre sur les conditions de ce rapatriement et d’une stratégie, à mon sens volontaire, de retardement de ce processus par les autorités birmanes qui ne souhaitent pas voir revenir cette population sur leur sol.

L’idée d’un rapatriement a été relancée avec un nouvel accord entre le Bangladesh et la Birmanie il y a quelques semaines. Les deux pays s’étaient accordés pour rapatrier, à partir du 15 novembre et au rythme de 150 par jour, un premier groupe de 2200 personnes environ. Toutefois, les autorités bangladaises ont déclaré quelques jours avant la date butoir qu’elles repoussaient le rapatriement. Cette annonce fait suite notamment à l’appel lancé par de nombreuses ONG inquiètes que ce processus ne respecte pas les conditions d’un retour sûr et volontaire, demandé depuis le début par les Nations unies. En effet, ce rapatriement n’est censé se réaliser que sous quatre conditions : le retour doit être sûr, volontaire, digne et durable pour les Rohingyas en Birmanie. Or, pour l’heure, aucune de ces quatre conditions n’est respectée…

Le retour n’est pas sûr, car les garanties demandées par les Rohingyas et l’ONU concernant la sécurité des populations concernées sur le territoire birman ne sont pas réunies pour l’heure. Ensuite, le retour doit être volontaire, ce qui signifie que seuls les Rohingyas candidats au départ peuvent être rapatriés. Or, on s’est rendu compte que la plupart des Rohingyas inscrits sur les listes communiquées aux autorités birmanes par le Bangladesh n’avaient en réalité jamais donné leur accord pour rentrer. L’annonce de la relance du processus de rapatriement a d’ailleurs provoqué la panique dans les camps. La dignité des Rohingyas n’est également pas prise en compte. Ces derniers ne sont pas associés aux discussions concernant leur rapatriement et n’ont aucune information sur ce qui les attend de l’autre côté de la frontière s’ils retournent en Arakan. On sait seulement que les autorités birmanes prévoient de parquer les Rohingyas dans des centres d’accueil « de transit », qui risquent en réalité fort de n’être que des camps d’internement forcé à durée indéterminée. L’absence de promesse de rendre aux Rohingyas leurs terres, leurs maisons et leurs villages n’augure pas d’une volonté de la Birmanie de réaccueillir durablement et dignement cette minorité musulmane persécutée de longue date, tout comme le refus de rouvrir le débat sur leur citoyenneté.

Quelle est aujourd’hui la situation des Rohingyas au Bangladesh et en Birmanie ? Dans quelle mesure le traitement répressif envers les Rohingyas a-t-il durablement affaibli la Birmanie sur la scène régionale et internationale, à l’image des récentes menaces de la Commission européenne de retirer au pays ses avantages commerciaux envers l’Europe ?

La situation des Rohingyas au Bangladesh et en Birmanie n’a pas beaucoup évolué ces derniers temps. On est toujours dans une situation de blocage où on a, côté birman, entre 200 000 et 300 000 Rohingyas, dont 120.000 sont parqués dans des camps de déplacés internes sans avoir la possibilité d’en sortir, cela depuis 2012. On a encore vu, pas plus tard que la semaine dernière, un bateau transportant une centaine de Rohingyas fuyant les camps de déplacés internes en Birmanie faire naufrage près des côtes birmanes. Cela démontre que la Birmanie est toujours loin de représenter pour cette minorité un territoire sûr et accueillant, et des enquêtes onusiennes ont d’ailleurs montré récemment que les persécutions se poursuivaient en Arakan à leur encontre.

Côté Bangladesh, près d’un million de Rohingyas sont toujours dans des camps de fortune où les acteurs humanitaires se battent chaque jour pour tenter de venir en aide aux réfugiés et de leur apporter l’aide nécessaire. Mais, les besoins sont colossaux, les contraintes nombreuses, et fait préoccupant, l’aide internationale commence à décroître. Il s’agit d’un phénomène assez naturel de lassitude où lorsqu’une crise dure dans le temps, elle se retrouve au bout d’un moment remplacée par une autre dans les médias, occupant alors moins le devant de la scène et tombant aux oubliettes. Cela se traduit par une baisse des dons, notamment des particuliers, les gens pensant que si on n’en parle plus, c’est que la crise est résolue. Or elle est loin de l’être, d’autant que, si la saison des pluies est en train de s’achever, celle des cyclones arrive. Compte tenu de l’exposition des camps aux catastrophes naturelles, si un cyclone important survenait, ce serait une catastrophe pour les Rohingyas et les populations alentour.

Cette crise a bien évidemment des implications sur l’image régionale et internationale de la Birmanie. La décision  de la Commission européenne de mettre en place de nouvelles sanctions commerciales contre la Birmanie montre que le pays reste dans le viseur des puissances occidentales qui continuent d’essayer de faire pression sur les autorités pour sortir de cette crise par la voie diplomatique, mais c’est sans grand succès pour l’heure. Plus encore, on assiste depuis plusieurs mois à une forte détérioration de l’image de la Birmanie sur la scène internationale, à travers notamment le discrédit jeté sur Aung San Suu Kyi. Longtemps encensée par l’Occident pour avoir défendu les droits de l’homme et la démocratie face à la junte militaire, ce qui lui a valu de recevoir le Prix Nobel de la paix en 1991, elle est vivement critiquée et discréditée depuis août 2017 pour son silence et sa complicité passive avec les militaires, face aux exactions dont sont victimes les Rohingyas. Preuve en est, plusieurs prix et distinctions récompensant Aung San Suu Kyi pour son combat contre la junte lui ont été retirés au cours de ces derniers mois.  Le dernier d’entre eux est le titre « d’ambassadrice de conscience » d’Amnesty international, l’ONG justifiant sa décision en arguant que la dirigeante birmane avait trahi les valeurs qu’elle avait auparavant défendues.

Fait inquiétant aussi, l’image d’Aung San Suu Kyi et de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), se dégrade aussi au niveau national. Cette perte de soutien populaire n’est pas liée à la situation des Rohingyas, cette communauté étant largement honnie par la majorité de la population birmane, qui ne les considère donc pas comme des citoyens légitimes en Birmanie. Mais Aung San Suu Kyi et son parti, qui ont suscité énormément d’espoir au sein de la population lors de leur victoire aux dernières élections en 2016, déçoivent aujourd’hui beaucoup, car très peu de progrès socio-économiques sont observés depuis leur arrivée au pouvoir. Alors que des réformes étaient attendues en matière d’éducation, de santé ou de développement économique par exemple, rien n’a été entrepris pour le moment. Par ailleurs, la situation des minorités ethniques et du respect de leurs droits, au-delà même des Rohingyas, reste très préoccupante, tout comme celle de la liberté de la presse.

Alors que des élections générales vont avoir lieu fin décembre au Bangladesh, la question des Rohingyas pèse-t-elle sur la campagne ?

Le Bangladesh est en pleine période électorale, puisque des élections législatives sont prévues le 30 décembre 2018. La crise des Rohingyas ne devrait pas peser de manière significative sur les élections, dont le résultat s’annonce a priori prévisible. La Ligue Awami, au pouvoir actuellement au Bangladesh, devrait briguer sans trop de suspense un troisième mandat consécutif, face à une opposition affaiblie depuis les dernières élections et qui peine à se reconstruire. La cheffe du BNP (Bangladesh Nationalist Party), principal parti d’opposition, est en prison depuis plusieurs mois et ne pourra donc pas se présenter aux élections. Et la coalition de l’opposition qui tente de se constituer pour contrer la Ligue Awami ne devrait pas suffire à empêcher celle-ci de se maintenir au pouvoir pour un nouveau mandat.

Néanmoins, Sheikh Hasina, la Première ministre du Bangladesh et cheffe de la Ligue Awami, a fait du rapatriement des Rohingyas une promesse de campagne. Il faut en effet bien comprendre que l’on se trouve dans un des pays les plus pauvres au monde, et pour qui la gestion de cette crise depuis plus d’un an pèse sur les moyens et les capacités de l’État bangladais, mais aussi sur les populations locales vivant autour des camps. Si ces dernières ont fait preuve d’une grande bienveillance et de beaucoup de générosité pour venir en aide aux Rohingyas dans les premiers temps de la crise, elles subissent aujourd’hui de plein fouet les effets collatéraux de l’installation des camps dans leur environnement : déforestation massive, hausse des prix des denrées alimentaires et des loyers, concurrence accrue pour l’emploi, etc. On observe donc un mécontentement croissant des populations locales qui souhaitent désormais que les Rohingyas rentrent en Birmanie le plus vite possible. Et ces électeurs locaux pourraient, au moment des élections, exprimer ce mécontentement dans les urnes en votant pour un parti de l’opposition. Il faut d’ailleurs sans doute tenir compte du contexte électoral pour comprendre la volonté du gouvernement bangladais de relancer le processus de rapatriement, avant de reculer à nouveau face à la pression internationale : il s’agissait d’une certaine manière de montrer à la population que le gouvernement restait engagé dans la résolution de la crise, et respectait donc sa promesse.

Le gouvernement bangladais risque d’ailleurs à mon sens de se retrouver de plus en plus coincé entre les exigences des Nations unies, qui lui demandent de ne pas renvoyer les Rohingyas en Birmanie tant que les conditions ne sont pas réunies, et celles de sa population, qui ne souhaite pas voir ces réfugiés s’installer durablement au Bangladesh. L’enlisement de la crise risque donc de mettre les autorités bangladaises dans une position de plus en plus compliquée. Tant que l’ONU et les puissances occidentales continuent de soutenir le Bangladesh en apportant une aide humanitaire dans les camps, on peut espérer que celui-ci respecte son engagement de ne pas rapatrier de force les Rohingyas. Mais si l’attention internationale finit à un moment par se détourner de cette crise, et par laisser le Bangladesh de plus en plus seul face à la gestion des camps, alors il n’est pas à exclure que celui-ci s’essouffle et prenne des mesures radicales. Des rapatriements forcés ont déjà été observés lors d’un précédent exode en 1991-1992. Il est donc essentiel de continuer à soutenir le Bangladesh sur le plan humanitaire, mais aussi politique, en maintenant la pression sur les autorités birmanes pour qu’elles apportent les garanties nécessaires à un retour sûr, digne, volontaire et durable des Rohingyas sur leurs terres en Arakan.

D’une possible quarante-neuvième étoile aux crises diplomatiques : les rapports entre la Sicile et les États-Unis de 1945 à aujourd’hui

Fri, 23/11/2018 - 15:18

Les relations entre la puissance américaine et la plus grande île de la Méditerranée ont connu des variations importantes, surtout depuis la Seconde Guerre mondiale. Retour sur 70 ans de liaisons plus ou moins heureuses.

L’immigration italienne comme socle des relations italo-américaines

Les rapports entre les États-Unis et la Sicile ne sont pas nés en 1945 bien entendu. Durant tout le XXe siècle, les différentes vagues migratoires de Siciliens vers les États-Unis ont créé et renforcé ces relations. Un axe avant tout économique où la main d’œuvre italienne permit l’expansion américaine, tout en offrant l’opportunité d’envoyer des fonds en Sicile et de subvenir aux besoins des familles les plus nécessiteuses. « J’étais venu en Amérique parce qu’on m’avait dit que les rues étaient pavées d’or. Quand je suis arrivé, j’ai découvert trois choses : la première que les rues n’étaient pas pavées d’or. La seconde qu’elles n’étaient pas pavées du tout. La troisième que c’était à moi de les faire ». Ces mémoires d’immigrés résument parfaitement les intérêts de chacun et d’une complémentarité naissante.

L’arrivée du fascisme va encore plus resserrer les liens entre les deux entités. Les Siciliens n’ont jamais été fortement favorables au régime de Mussolini, trop regardant dans les affaires locales pour certains, trop unitaire pour d’autres dans un contexte où la présence d’un État central à Rome n’a jamais été (vraiment) acceptée. L’opportunité de se débarrasser de ce gouvernement totalitaire grâce aux Américains était donc une évidence.

1943 : Sicily State ?

Le rapprochement sicilo-américain s’étant donc pérennisé depuis plusieurs dizaines d’années, le débarquement américain en Sicile fut bien entendu perçu comme une libération, mais également une collaboration, un travail d’équipe où les Italo-Américains avaient fortement œuvré à la coordination. La légende narre d’ailleurs que Salvatore “Lucky” Luciano, mafieux sicilien installé à New York, aurait conduit le premier char arrivé à Palerme. Très certainement plus un mythe qu’une réalité, cette anecdote démontre que la communauté (et la criminalité) italo-américaine était bien plus encline à accepter un nouveau gouvernement plutôt que la dictature fasciste.

Mais ce débarquement et le processus de libération réveillèrent aussi les idées d’indépendance qui s’étaient cachées durant le ventennio fasciste. Le mouvement pour l’Indépendance de la Sicile (MIS) naît en 1943, tout comme l’EVIS, l’armée volontaire pour l’indépendance de la Sicile.

Les rapports entre les Italo-Américains et ce mouvement régional augmentant, l’hypothèse d’un possible rattachement de la Sicile aux États-Unis s’accentua. L’île, dans ce cas, serait devenue le 49e État américain. Le projet était bien entendu très tentant pour les États-Unis qui auraient eu un poste avancé en Europe et en Méditerranée : un point stratégique orienté vers trois continents.

Mais la 49e étoile sicilienne ne naîtra jamais, et ce pour plusieurs raisons. La première était l’instabilité du MIS. À peine né, le mouvement se retrouva confronté à des querelles internes sur ce que devait être la ligne directrice du parti : modéré et républicain à Palerme, d’une gauche filo-anarchiste sur la côte orientale. L’incompatibilité des deux idéologies affaiblit le parti sécessionniste qui sombra rapidement dans une confusion mêlée de faits divers peu clairs. Salvatore Giuliano – un des indépendantistes les plus connus – embrasse le grand banditisme idéologique, au service des États-Unis (et donc aussi de la mafia locale). Il fut l’auteur de plusieurs attentats et de dizaines de morts, principalement des opposants politiques d’extrême gauche et des gendarmes. L’ex-ministre de l’Intérieur italien Scelba déclara : « Salvatore Giuliano était le pistolet des États-Unis sur la tempe de l’Italie. Chaque fois que Truman désapprouvait une mesure [du Président] De Gasperi, Giuliano tuait trois carabiniers ».

Il faut aussi prendre en compte le raisonnement du MIS. La sincérité du mouvement indépendantiste sicilien reste discutable. Son intérêt pour les États-Unis était plus un moyen de pression sur l’Italie qu’un vrai désir de devenir un État fédéral. Dans la vraie tradition sicilienne (depuis les Sicules et les Sicanes), les autochtones de Sicile se sont tournés vers le plus offrant, jouant aux enchères avec ses prétendants pour obtenir les faveurs et les accords les plus intéressants.

Ce risque d’une Sicile version US accéléra le compromis entre le gouvernement italien et les indépendantistes siciliens : en 1946 le statut spécial de la Sicile, encore en vigueur aujourd’hui, était promulgué. Paradoxalement, le cas sicilien fut réglé avant même la nouvelle constitution italienne, qui ne fut ratifiée qu’en 1948.

Les rapports entre la Sicile et les États-Unis furent moins directs durant les années suivantes, mais l’influence américaine sur les votes siciliens fut une nouvelle tentative d’influer sur la politique italienne. L’écrivain Leonardo Sciascia parle dans son ouvrage Les oncles de Sicile des lettres arrivant d’Amérique et incitant à ne pas voter communiste, sous peine de ne plus voir arriver les riches colis d’Amérique envoyés habituellement aux proches.

Les Américains tiennent tout de même un point d’ancrage important sur la côte orientale sicilienne : la base militaire de Sigonella, construite en 1959. Une base stratégique qui fut le théâtre d’un fait géopolitique unique entre l’Italie et les États-Unis.

La crise de Sigonella

Au début des années 80, la Sicile se retrouva en effet au cœur d’un conflit diplomatique majeur, un des plus importants de l’histoire italienne. En octobre 1985, un groupe de terroristes du Front pour la Libération de la Palestine (FLP) prit en otage un bateau de croisière italien au large de l’Égypte. Les négociations avec le FLP par l’intermédiaire du médiateur Abu Abbas permirent de libérer les passagers en échange d’une fuite en avion des ravisseurs vers un pays tiers. Cependant, les terroristes avaient exécuté un otage, un citoyen américain. Pour Ronald Reagan, cet acte ne pouvait rester impuni et 4 chasseurs de l’armée américaine obligèrent l’avion des terroristes à atterrir sur la base de Sigonella, proche de Catane.

Cet avion devint l’objet de toutes les convoitises pour les États-Unis et l’Italie. Une fois atterri en Sicile, l’appareil fut entouré par des militaires italiens afin de détenir ses passagers qui, selon le gouvernement de Rome, devaient être jugés en Italie. Quelques minutes après, une équipe de la Delta Force américaine atterrit (sans autorisation) et entoura à son tour les militaires italiens. Le Président du conseil de l’époque, Bettino Craxi, réquisitionna alors tous les carabiniers proches de la base pour former un troisième cercle autour de la Delta Force et exigea le départ des troupes américaines.

Le gouvernement italien eut raison de Ronald Reagan, qui retira ses troupes. Les terroristes furent condamnés en Italie alors que le médiateur Abu Abbas fut expatrié vers la Serbie. Il sera par la suite arrêté par l’armée américaine en Irak en 2003.

MUOS, ou l’opposition aux radars américains:

Malgré cette crise assez unique, la base militaire de Sigonella est toujours présente, ainsi que quelques autres sites stratégiques américains sur l’île. La Sicile vit donc toujours au gré des tensions que peuvent avoir les États-Unis avec le reste du monde, notamment avec le bassin méditerranéen. Dans les années 80, le journaliste Giuseppe Fava dénonça ce risque dans un article exposant les dangers des missiles nucléaires américains installés à Comiso, au sud de l’île. Il y décriait principalement le risque d’avoir un site nucléaire en première ligne en cas de conflit ouvert avec l’URSS.

Mais le vrai point de discorde fut (et est toujours) l’installation d’un système de communication satellitaire à Niscemi. Le gouvernement Bush père lança en 1991 la construction de ces radars connectés afin d’obtenir une base de repérage et d’information opérationnelle : le MUOS (Mobile User Objective System).

Ce projet est encore au cœur d’une forte opposition de la population sicilienne, et ce principalement pour trois raisons. La première d’ordre de sécurité internationale, les États-Unis restant une cible potentielle de pays voisins de la Sicile. Le second est un rapport indiquant les possibles troubles de la santé liés à ces antennes. Selon les experts de l’ISPRA[1], les risques de troubles de la santé augmenteraient drastiquement dans les zones d’implantation de ce matériel. Enfin, la base de Niscemi se trouve dans une réserve naturelle et les travaux de construction ont fortement réduit le territoire protégé. Dans une zone où la faune et la flore sont essentielles pour le maintien précaire de l’équilibre naturel, l’établissement d’une zone bétonnée n’était pas vraiment la bienvenue.

Malgré ces raisons et de nombreuses suspensions des travaux suite à des condamnations de la part des tribunaux siciliens et la farouche opposition de l’ex-Président de la région Rosario Crocetta (2012 – 2017), les travaux se conclurent en janvier 2014.

Quelles perspectives pour demain?

Le débat autour du MUOS n’est pas terminé. Lors des dernières élections, le programme du mouvement 5 étoiles prévoyait le démantèlement de cette base, tout comme l’abandon du projet de ligne à grande vitesse entre la France et l’Italie (la TAV) ou l’annulation du gazoduc passant par les Pouilles (le TAP). Pour l’instant, le futur de ces grands chantiers est de nouveau remis en question, mais l’on voit mal comment le parti de Luigi di Maio pourrait bloquer ces constructions, les pertes financières seraient trop importantes. Le risque d’un conflit entre Rome et Washington sur le MUOS est donc contenu, voire nul.

Actuellement, les rapports entre la Sicile et les États-Unis ne sont donc plus vraiment au centre de l’attention, les entités siciliennes et italiennes étant plus orientées vers Bruxelles. La crise des migrants met la Sicile en première ligne et (re)passe d’une région aux marges de l’Europe à un centre névralgique pour la gestion des réfugiés, entre opportunités et risques pour la Sicile.

[1] Istituto superiore per la protezione e la ricerca ambientale (Institut supérieur pour la protection et la recherche sur l’environnement)

Ce que dit l’arrestation de Carlos Ghosn sur la lutte contre l’évasion fiscale

Thu, 22/11/2018 - 16:52

Le 19 novembre, Carlos Ghosn, le PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi s’est fait arrêter à Tokyo. Il est soupçonné d’avoir dissimulé une partie de sa rémunération au fisc japonais, remettant le débat sur la fraude et l’évasion fiscales sur le devant de la scène, dans un contexte de montées des inégalités et des nationalismes. Le point de vue de Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS.

Comment interpréter l’arrestation de Carlos Ghosn au Japon ? Une telle arrestation est-elle inédite ?

On constate une montée en puissance de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, l’arrestation de Carlos Ghosn en est un nouvel épisode. Les initiatives se sont en effet multipliées ces dernières années. C’est le cas aux États-Unis, où la loi FATCA impose à toutes les banques qui hébergent des avoirs de citoyens américains de déclarer leurs revenus au fisc américain. Il est à noter d’ailleurs que tous les citoyens de ce pays (ou tout détenteur d’une Green Card) doivent déclarer leurs revenus aux États-Unis et, en l’absence de convention avec le pays de résidence, y payer leurs impôts. C’est extrêmement efficace ! Par ailleurs, depuis quelques années, la lutte contre l’évasion fiscale se révèle très active aux États-Unis. Il semblerait qu’il en soit de même au Japon. L’Europe pourrait suivre cette tendance, mais les divisions intra-européennes ont bloqué et bloquent toujours bon nombre d’initiatives européennes et les progrès concrets sont essentiellement nationaux. En France, par exemple, dans le cadre de la loi Sapin 2, les rémunérations des PDG doivent être rendues publiques.

Cette arrestation est également singulière par son déroulé puisque c’est un lanceur d’alerte interne qui a prévenu l’entreprise et c’est Nissan, donc l’entreprise elle-même, qui a porté plainte, dénonçant ainsi son propre PDG auprès des autorités. Ce n’est pas la première fois qu’une entreprise le fait. C’est notamment le cas d’Airbus qui a récemment dénoncé des pratiques de corruption auprès des autorités britanniques. Les faits ne concernaient pas directement le top management de l’entreprise (au départ tout du moins), mais ont entrainé une réorganisation interne. Les entreprises se posent de plus en plus souvent en victimes lorsque de telles affaires sortent alors que fut un temps, elles payaient les meilleurs avocats pour se défendre et assumaient les amendes le cas échéant. Ces nouvelles pratiques peuvent réellement avoir un impact sur le management et elles traduisent certainement une prise de conscience des risques que font courir à l’entreprise, l’irresponsabilité de certains…

Par ailleurs, cette affaire, quelle qu’en soit l’issue (Carlos Ghosn n’a pas encore été jugé coupable), confirme l’attention croissante qui est aujourd’hui portée à la fraude fiscale (que certains qualifient encore d’optimisation fiscale). Les scandales autour des Swissleaks, Luxleaks, Paradise ou Panama Papers, ont mis en évidence l’ampleur du phénomène et du manque à gagner pour les États. On peut penser que l’évasion fiscale est devenue, après la corruption dans les années 2000, le nouveau cheval de bataille des ONG et de la société civile. Et, de la même manière que pour la corruption, le rejet de telles pratiques se diffuse partout sur la planète, obligeant les États, mais aussi les entreprises, à réagir et peut-être à agir enfin. Aujourd’hui, plus aucun territoire, plus aucun acteur économique, plus aucun citoyen ne peut ignorer que « corrompre est illégal ». Espérons que nous pourrons faire le même constat pour la fraude fiscale dans quelques années !

Plus globalement où en est la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ? Des pays sont-ils particulièrement en avance sur ces questions ?

Si on reprend la comparaison avec la corruption, force est de constater que la prise de conscience n’a pas encore permis d’éradiquer le phénomène et il en sera de même pour la fraude fiscale. Ces malversations ont toujours existé, car l’appât du gain a toujours été plus fort que la peur du gendarme. Or, dans un monde devenu global et hyperconnecté, les opportunités de gagner beaucoup d’argent se multiplient. Dans un contexte où les règles restent essentiellement assises sur une base nationale, si les fraudes sont transnationales, elles bénéficient d’une impunité quasi-totale. C’est en cela que les journalistes d’investigation et les ONG ont un réel rôle à jouer en dénonçant ces pratiques. À condition que leurs enquêtes soient sérieuses, non orientées et bien documentées, ces acteurs ont presque plus de pouvoir que les États puisqu’ils renforcent le risque réputationnel pour les entreprises. Avec l’instrumentalisation, potentiellement excessive d’ailleurs, de l’extraterritorialité de leur législation, les États-Unis amplifient l’effectivité des règlementations américaines. Malheureusement, ils utilisent aussi cet instrument à des fins politiques, économiques et financières et le mélange des genres prête à confusion sur le message qu’ils délivrent. Poursuivre une entreprise étrangère pour corruption ou violation d’un embargo des Nations unies est tout à fait légitime, mais le faire pour défendre des intérêts nationaux ou des choix politiques unilatéraux est beaucoup plus discutable.

Pour revenir à la fraude fiscale, la lutte s’est effectivement intensifiée après la crise de 2008 parce que les États, qui avaient soutenu leur économie pour éviter une récession, ont été confrontés à l’ampleur de leur dette publique (shutdown aux États-Unis, crise de la dette en Europe) ou en tout cas à un endettement public extrêmement fort, et ont souhaité récupérer une partie de l’évasion et de l’optimisation fiscales pour la rembourser.

On observe aussi, plus récemment, une prise de conscience globale sur les conséquences politiques et sociales de l’évasion fiscale (Brexit, Trump, contestations et populismes, etc.).

Il est cependant utile de rappeler que la fraude fiscale est devenue systémique aujourd’hui et ce ne sont pas seulement les plus riches qui la pratiquent. Le poids de la fiscalité devient en conséquence de plus en plus lourd pour ceux qui respectent les règles alors qu’il est négligeable, voire nul pour d’autres. C’est inquiétant. Il est nécessaire de prendre conscience que ce n’est ni le niveau de revenu, ni le niveau d’imposition qui incite à frauder, mais bien un état d’esprit irresponsable et inconséquent. L’injustice face à l’impôt décourage et entretient les incompréhensions et les tensions politiques et sociales. Il est vraiment urgent d’agir.

Entrons-nous dans une nouvelle ère plus contrôlée et régulée quant à la fraude et l’évasion fiscale ? 

Il faut l’espérer parce que l’optimisation, l’évasion et la fraude fiscales sont aujourd’hui extrêmement diffuses et diffusées. Effectivement, l’accès aux paradis fiscaux et aux places off-shore est devenu relativement facile et généralisé. Un chauffeur Uber, par exemple, touche une partie de ses revenus dans un compte hébergé dans un paradis fiscal. C’est donc une pratique qui s’est banalisée et qui s’est répandue, permettant à bon nombre de citoyens à travers le monde de payer moins d’impôts.

C’est extrêmement inquiétant pour au moins deux raisons. La première raison est l’inégalité face à l’impôt et les conséquences sur nos modèles sociaux et économiques. Sans impôts, l’État n’a plus suffisamment de recettes publiques pour soutenir ses dépenses et devra par conséquent couper dans un certain nombre d’entre elles. Aux États-Unis, par exemple, ce sont plutôt les infrastructures qui ne sont pas entretenues. En Europe, il s’agira très clairement des modèles sociaux et redistributifs en tête desquels les dépenses de santé. On a vu par ailleurs que les prestations de santé étaient de moins en moins remboursées, en France en particulier.

La deuxième raison concerne le fait que l’optimisation, la fraude et l’évasion fiscales, parce que diffusées et généralisées, entretiennent ces places off-shore et ces paradis fiscaux qui abritent aussi l’argent de la drogue et de la criminalité organisée, qui n’a jamais eu autant de facilité à protéger ses capitaux et ses gains depuis qu’il y a des paradis fiscaux aussi prospères et nombreux. Derrière la question de l’évasion fiscale, il y a donc aussi la question de la criminalité organisée. On peut aussi évoquer l’argent de la contrefaçon et notamment des médicaments, des fausses pièces automobiles, des infrastructures financées par l’argent des mafias, etc. Les conséquences de l’existence de ces paradis fiscaux ne concernent donc pas uniquement l’évasion fiscale et le manque à gagner pour les États.

L’Europe encore indécise face à la question migratoire

Thu, 22/11/2018 - 11:42

La question migratoire reste, trois ans et demi après la crise de 2015, au cœur de l’agenda européen et constituera l’un des points majeurs du Conseil des 13 et 14 décembre prochains.

Au-delà, et sans doute à cause de son importance politique, ce qui est frappant, c’est le tour de plus en plus curieux que prend ce débat. Curieux tout d’abord parce que les tensions à l’origine de la crise se sont beaucoup atténuées. Or, malgré cela, elles constituent toujours un sujet de friction majeur entre États membres.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : si les entrées irrégulières ont concerné 1,8 millions de personnes en 2015, elles n’étaient plus que 170.000 en 2017 et l’on ne dépassera qu’à peine les 110.000 en 2018, soit moins qu’avant le déclenchement de la crise migratoire. Si l’on regarde du côté des pays d’accueil, le nombre d’arrivées est descendu sur les neuf premiers mois de cette année à 13.000 pour l’Italie (soit -80%) et à 11.000 pour la Grèce, avec cependant l’exception notable de l’Espagne (54.000). Mais le sujet nourrit toujours un désaccord majeur entre les pays membres paralysant ou retardant les réformes annoncées en 2016 par la Commission européenne, en particulier celles raisonnables et nécessaires de l’asile, ou celle portant sur la mise en place d’un schéma de réinstallation et de répartition des demandeurs d’asile transférés des zones sensibles, dont 55 000 sont attendus d’ici fin octobre 2019.

Curieux parce que chacun, à Bruxelles, fait mine d’ignorer les problèmes à venir quand d’autres, devant l’opinion, cherchent au contraire à les exagérer : ainsi de la « grande peur » liée à une explosion annoncée de l’immigration africaine. Si celle-ci devrait effectivement augmenter du fait du doublement attendu de la population africaine d’ici 2050, elle ne devrait en aucun cas atteindre les niveaux apocalyptiques promis par certains « spécialistes ». Elle soulève néanmoins suffisamment de problèmes avérés pour que l’Union puisse avoir tout à gagner à les anticiper.

Force est pourtant de constater que ces perspectives ne suscitent que peu de réactions de la Commission qui continue de s’appuyer pour les réguler sur « l’approche globale » lancée en 2005, certes rénovée en 2012, mais qui aurait bien besoin d’être réévaluée. Celle-ci vise sans doute à faciliter l’immigration légale, lutter contre l’immigration irrégulière et valoriser l’impact des migrations sur le développement. Et elle s’inscrit dans des partenariats pour la mobilité (PPM) dont près d’une dizaine ont été signés. Mais ces dispositifs, pourtant consolidés par la création d’un Fonds fiduciaire doté initialement de 1,8 milliards €, servent surtout à répondre à l’urgence plutôt qu’à construire un avenir commun.

Curieux peut-être plus encore par le fait que les mesures qui marchent et sur lesquelles les gouvernements cette fois s’entendent, sont rejetées par une partie de l’opinion publique qui y voit une sous-traitance choquante aux pays d’origine et de transit de la lutte contre l’immigration clandestine. Ainsi, l’accord avec la Turquie en mars 2016 a pourtant permis de réduire les arrivées de 10 000 en 1 seule journée au pic d’octobre 2015 à … moins d’une centaine en moyenne quotidienne dès après sa signature. On pourra cependant s’interroger sur l’orientation des crédits du fonds fiduciaire effectuée de préférence vers le Niger, le Mali, le Sénégal et la Libye plutôt que vers les pays d’origine comme l’Érythrée, le Nigeria, la Somalie ou le Soudan…

Curieux enfin, parce que les positions nouvelles arrêtées le 28 juin par le Conseil européen, et présentées comme le moyen d’apaiser les tensions entre États membres, ne font, au-delà de l’accord affiché, pas vraiment consensus ni recette. Personne ne veut en effet en Europe des nouveaux « centres contrôlés », ni sur les côtes de la Méditerranée, des plateformes régionales de débarquement imaginées pour distinguer, en amont des frontières de l’Union, les demandeurs d’asile des réfugiés économiques. Et ceci, malgré les efforts de la Commission et pour en préciser les contours (notamment en termes d’aides financières), et pour « convaincre » certains pays réticents d’y participer.

Au total, l’Union semble être aujourd’hui dans une espèce d’entre-deux, indécise quant au sens à donner à une vraie stratégie migratoire dont seuls les aspects les plus policiers ont réussi à prendre partiellement forme (renforcement de Frontex et avancées à venir sur Eurodac et le contrôle des voyageurs dans les aéroports). Il est peu probable que les prochaines échéances électorales aident à lever ces ambiguïtés d’autant que la plupart des protagonistes ont choisi de faire des migrations l’axe d’une campagne durant laquelle il y a fort à craindre que les fantasmes l’emportent sur les réalités.

Qui veut la mort de l’ONU ?

Tue, 20/11/2018 - 09:59

Je reproduis ci-dessous la préface que j’ai eu le plaisir de rédiger pour l’ouvrage « Qui veut la mort de l’ONU : du Rwanda à la Syrie, histoire d’un sabotage », coécrit par Romuald Sciora et Anne-Cécile Robert et paru aux éditions Eyrolles.

L’ONU est-elle à ce point en danger ? On peut le penser à la lecture du titre que Romuald Sciora et Anne-Cécile Robert ont choisi à l’ouvrage qu’ils consacrent à l’Organisation internationale : Qui veut la mort de l’ONU ?

En effet, quels sont ceux qui pourraient souhaiter la disparition de l’Organisation à vocation universelle créée en 1945 pour ce que la Société des Nations n’avait pas su faire : éviter une guerre mondiale ? Certes, on peut se demander si c’est l’Organisation des Nations unies qui y est parvenue, alors que le monde n’avait jamais été autant idéologiquement divisé et surarmé, ou si ce fut l’effet du système d’alliances et de la dissuasion nucléaire. Toujours est-il que le pire a été évité. C’est la thèse du verre à moitié vide ou à moitié plein. Les pessimistes diront que l’ONU n’a pas réussi à établir un véritable système de sécurité collective, quand les optimistes expliqueront qu’elle a permis de limiter les affrontements et a offert un cadre de contact permanent.

Si l’ONU est contestée, elle a tout de même connu d’indéniables succès : la décolonisation et le démantèlement de l’apartheid n’en sont pas des moindres. Mais, surtout, elle fluidifie la vie internationale par les multiples contacts qu’elle permet. La prévention est souvent invisible alors qu’un échec est toujours spectaculaire.

R. Sciora et A-C Robert écrivent qu’Antonio Guterres est le Secrétaire général de la dernière chance. Risque-t-il de mettre la clé sous la porte ? Non. Mais, il faut reconnaître que l’ONU, qui a traversé de nombreuses crises, est aujourd’hui confrontée à un défi de grande ampleur. On peut tout simplement se demander si le pays fondateur – et largement inspirateur –, pays le plus puissant du monde, où l’organisation a son siège, ne remet pas en cause la pertinence et l’utilité mêmes de l’organisation. Il y a un réel danger. Les États-Unis se sont retirés de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), font peu de cas de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), attaquent et menacent la Cour pénale internationale (CPI) et ne tiennent pas compte de l’expertise et des contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en Iran. De plus, ils tournent délibérément en dérision les résolutions prises par l’ONU, notamment lorsqu’elles concernent le conflit israélo-palestinien. On peut même se demander si l’actuel président américain aurait accepté, avec ou sans droit de véto, de rentrer dans une organisation qui, sans être (au moins pour les membres permanents) supranationale, est quand même le temple du droit international et du multilatéralisme.

Le multilatéralisme est en crise et l’organisation universelle en est obligatoirement impactée. Ainsi, le travail sérieux et argumenté de réhabilitation de l’Organisation mondiale auquel se livrent les auteurs est bienvenu. R. Sciora et A-C. Robert ne sont pas pour autant onu-béats. Ils sont tout à fait conscients des limites de l’organisation, ainsi que de ses occasions manquées. Qu’elle n’ait pas été capable de mettre en œuvre un véritable système de sécurité internationale du fait de la division de la guerre froide est déjà bien documenté. Les auteurs insistent sur l’espace inédit et prometteur de réforme qui s’est ouvert en 1991 sans avoir abouti. Ils soulignent également, à juste titre, que l’ONU et son système ont raté le coche de la crise de 2008, qu’ils ont été incapables de prévoir et juguler. Ils ne font pas l’impasse sur l’autoconcurrence dont le système onusien est capable (FAO et PAM, OMS et ONUSida), pas plus que sur les catastrophiques échecs au Rwanda et à Srebrenica, l’épisode peu glorieux de « Pétrole contre nourriture » en Irak ou les crimes dont les Casques bleus sont régulièrement accusés. C’est logiquement qu’ils soulignent enfin avec force que l’avenir de l’ONU est un enjeu civilisationnel. Un cadre juridique imparfait est toujours préférable à son absence totale. Le fait que le droit soit parfois violé est quand même mieux que l’anarchie internationale, sauf la loi inique du plus fort.

Il est deux façons de critiquer l’ONU : pour l’affaiblir, en niant le principe d’une vie internationale régulée par le droit et le multilatéralisme ; pour combattre ses lacunes et en améliorer le système. On lira avec intérêt les propositions réfléchies de réforme de l’ONU que suggèrent R. Sciora et A-C. Robert, pour justement les rendre plus efficientes, qu’il s’agisse de renforcer la représentativité du Conseil de sécurité de l’ONU, les moyens militaires propres à l’organisation ou l’autonomie de son financement.

La vraie question est de savoir si le monde se porterait mieux sans l’ONU. À l’évidence, non. Ainsi, à l’instar de ce que Winston Churchill disait de la démocratie, on pourra dire que l’ONU – et le système multilatéral qu’elle incarne – est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres.

 

Mexique : quel programme pour AMLO ?

Mon, 19/11/2018 - 18:35

Début juillet, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) a provoqué un tsunami électoral au Mexique en remportant les élections présidentielles avec 53 % des suffrages. Son Mouvement de régénération nationale (Morena) a aussi décroché une majorité absolue au Congrès. Cette victoire écrasante marque un virage à gauche inédit depuis trois décennies. Ce sexagénaire à la fibre sociale représente une « gauche nationaliste » qui prône un État interventionniste et redistributeur des richesses. Son projet prévoit de combattre les inégalités criantes provoquées par les politiques néolibérales instaurées depuis trente ans par ses prédécesseurs. Sa prise de fonction ayant lieu le 1er décembre, AMLO pourra-t-il déployer son programme politique ? Comment entend-il se positionner sur les scènes régionale et internationale ? Le point de vue de Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS.

Qu’est-ce que la « 4e transformation » du Mexique proposée par AMLO et son mouvement politico-social Morena (Mouvement de régénération nationale) ?

La « quatrième transformation » proposée par AMLO est un projet global pour la société mexicaine, que l’on peut qualifier de refondateur et d’émancipateur de la nation et de l’État mexicains. Sous ce terme qui peut apparaître quelque peu impressionniste vu de France se cache en réalité une théorie élaborée qui inscrit l’action et le projet du sextennat qui s’ouvre dans l’histoire longue de la vie politique mexicaine

Les « quatre transformations » renvoient ainsi à plusieurs moments historiques qu’a choisis AMLO pour identifier, définir, conduire et légitimer son action. Il s’agit tout d’abord de l’indépendance du Mexique envers la couronne espagnole au 19e siècle (1810-1821). Ensuite, nous parlons du mandat du président Francisco Ignacio Madero, qui a été fondamental dans l’histoire mexicaine. Une expérience à la fois inachevée et controversée. En effet, Madero, suite à la dictature de Porfirio Diaz, a initié la révolution mexicaine en 1910 en mettant en place les premiers fondements de la démocratie républicaine, qui n’a, cependant, pas été au bout de son histoire. Certes Madero a amorcé la modernisation du pays, mais il est également associé à la discorde des révolutionnaires mexicains et à l’assassinat d’Emiliano Zapata. Lui aussi terminera assassiné. Le « troisième moment » est incarné par Lazaro Cardenas (au pouvoir de 1934 à 1940), autre président progressiste de l’histoire du Mexique au 20e siècle. Il a mis en place et représenté un gouvernement de gauche, modernisateur et keynésien. Cardenas a consolidé et affirmé l’État mexicain en développant les infrastructures, l’éducation publique, etc. Il a également contribué au rayonnement international de son pays (Guerre d’Espagne, etc.). AMLO s’inspire également de Lazaro Cardenas pour développer ce « quatrième moment », cette « quatrième transformation ». Le président mexicain récemment élu veut donc réaliser les promesses de la république originelle du Mexique, celle qui est arrivée grâce à la révolution mexicaine.

C’est donc, dans la théorie, un projet de modernisation du pays, de refondation de l’État, d’assainissement et de reconstruction d’un tissu institutionnel qui puisse permettre la mise place de politiques visant à rééquilibrer la société en faveur des plus modestes. Dans le contexte mexicain, pays aux multiples fractures et en état de décomposition institutionnelle avancée, c’est un projet de grande ampleur.

Pauvreté, inégalités, corruption systémique organisée largement depuis l’État lui-même, relations compliquées avec les États-Unis… quelles seront les priorités du nouveau président mexicain ? Pourra-t-il notamment mettre en place le contrat social sur lequel il s’est engagé ?

La victoire d’AMLO est une victoire historique. En effet, ce succès électoral correspond à une vague démocratique d’ampleur au Mexique, puisqu’il a été porté au pouvoir dans des dimensions inédites. Il dispose de tous les pouvoirs politiques, dont les pouvoirs exécutifs et législatifs. Toutefois, AMLO gouvernera un pays où les contraintes, limites et autres freins seront nombreux et résistants. Le Mexique est actuellement doté d’un État vulnérable, en voie de décomposition, et confronté au crime organisé, au narcotrafic, etc. Les porosités entre l’État et ces univers sont nombreuses et à tous les étages.

Néanmoins, les premiers signaux sont importants pour décrypter son positionnement et sa vision. Il est important de rappeler qu’AMLO n’est pas encore au pouvoir, mais président élu. Il prendra ses fonctions le 1er décembre 2018. AMLO a envoyé deux signaux importants. Le premier au secteur privé, qui jouit actuellement de tous les privilèges sans contraintes. AMLO a ainsi confirmé l’arrêt du méga-chantier de l’aéroport de Mexico, sur la base d’une consultation populaire qui n’a pas souhaité mener ce chantier à terme. Il a voulu indiquer que désormais au Mexique, la souveraineté populaire et l’État décident. Ceci est inhabituel dans le pays. De plus, ce chantier promettait, comme souvent, une forte corruption. Le président nouvellement élu souhaite donc remettre de l’ordre au sein même de l’appareil étatique, mais aussi au niveau des relations publiques-privées, en révisant les contrats et leurs conditions.

Le second signal, envoyé cette fois-ci quelques jours plus tard par le groupe Morena (formation politique du président) au Sénat, est l’étude d’une réduction des commissions bancaires pratiquées par les banques pour les services financiers qu’elles proposent à leurs clients. Cela vise à dire que « l’État sera désormais attentif à vos activités ».

L’affaire est très symbolique. Il s’agit de montrer que la finance et les acteurs économiques ne sont plus au-dessus de l’État. C’est tout à fait inédit au Mexique, et assez rare dans le monde pour y être attentif. Ce positionnement a provoqué la panique et les craintes du secteur bancaire – relayées par les agences de notation américaines Moody’s ou Fitch – qui n’a pas accepté le principe même du retour de l’État dans le rapport avec les banques. AMLO a dû intervenir pour dire que le cadre des régulations commerciales et financières au Mexique ne serait pas modifié durant les trois prochaines années. Mais c’est aussi implicitement une manière de faire savoir que cela pourrait être le cas dans la seconde moitié de son mandat.

AMLO veut ainsi remettre les institutions étatiques en place et en état, afin d’être en mesure de rejouer un rôle dans la régulation et le contrôle de l’économie, notamment des excès du secteur bancaire. Il veut également accompagner ces mesures d’un important développement de politiques publiques et d’incitations du secteur privé à développer des activités qui soient favorables à la population, et en particulier aux couches les plus modestes qu’il souhaite élever dans la société avec plusieurs projets visant à créer des emplois, à renforcer le marché du travail, à promouvoir les droits sociaux et économiques, etc.

AMLO a annoncé avoir invité tous les chefs d’État américains (de Donald Trump à Nicolas Maduro, en passant par Jair Bolsanoro) pour son investiture le 1er décembre prochain. Qu’est-ce que cela traduit de la volonté du nouveau président mexicain ? Quel positionnement souhaite-t-il donner à son pays sur la scène régionale, voire internationale ?

De fait, on assiste à un repositionnement fort du Mexique dans la géopolitique régionale, par le biais d’initiatives relativement douces. AMLO a juste invité tous les présidents américains à sa prise de fonction, ce qui est, somme toute, une action assez banale pour un chef d’État. Cependant, dans le contexte actuel, ce geste a une symbolique spécifique. AMLO souhaite donc entretenir des relations avec tout le monde. Il veut respecter chaque pays environnant, tout en étant respecté de son côté. Il refuse de s’ingérer dans les affaires intérieures des pays de la région. Et la réciproque est qu’il considère qu’aucun pays ne devra s’ingérer dans les affaires du Mexique. C’est également un message indirect envoyé au voisin du nord.

Quant à M. Maduro et au défi vénézuélien, AMLO ne fait pas de surenchère. En l’invitant, il reconnait la légitimité de Nicolas Maduro en tant que chef d’État élu par les Vénézuéliens, contrairement aux pays latino-américains du groupe de Lima, dont le Mexique fait pourtant encore partie du fait des choix d’Enrique Peña Nieto. Même si le Mexique ne sortait pas avec fracas du groupe de Lima, il pèsera par son inertie. Le fait même qu’il reconnaisse M. Maduro invalide dorénavant les perspectives de cette coalition et de ses actions dans la région ou au sein de l’Organisation des États américains (OEA). C’est une inflexion très importante de la politique étrangère du Mexique qui est inaugurée avec la présidence d’AMLO.

Le nouveau président mexicain souhaite également entretenir les meilleurs rapports possibles – autant que faire se peut – avec les États-Unis. En effet, AMLO ne veut pas entrer dans un rapport de force avec Donald Trump. Pour lui, les avancées régionales seront conditionnées par les avancées nationales et intérieures. C’est la stratégie d’AMLO : d’abord remettre en ordre le Mexique, faire la preuve que son gouvernement fonctionne et qu’il est capable de remettre le pays debout. Ce faisant, AMLO aura accumulé la légitimité et l’autorité nécessaires pour pouvoir déployer la politique étrangère du Mexique dans la région.

[Les entretiens géopolitiques d’IRIS Sup’ #1] Yémen, Midterms, Europe & Forum de la paix

Mon, 19/11/2018 - 17:23

Nouveau rendez-vous géopolitique !

Une fois par mois, Pascal Boniface rencontre des étudiants d’IRIS Sup’ pour aborder les grands thèmes de l’actualité internationale. Cette semaine, Mario, Julie et Raphaëlle l’interrogent sur la crise au Yémen, Trump et les Midterms, l’avenir de l’Europe et sur le Forum de Paris sur la Paix.

L’émission est disponible sur Soundcloud, l’application Podcast, I-Tunes, Youtube, le site internet de l’IRIS, Mediapart et le blog de Pascal Boniface.

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