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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Pakistan : élections indiennes, allégations pakistanaises, interrogations internationales

Wed, 24/04/2019 - 16:38

« Une nouvelle agression indienne contre le Pakistan est possible entre le 16 et le 20 avril. D’après les renseignements fiables en notre possession, l’Inde planifierait un nouvel incident de type Pulwama (voir détail paragraphe suivant) pour accroître la pression diplomatique sur le Pakistan et justifier une action militaire contre notre pays (…). Après consultation avec le Premier ministre Imran Khan, nous avons décidé de partager immédiatement cette information avec le peuple pakistanais ainsi qu’avec la communauté internationale. Le Pakistan a informé les cinq États membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies des velléités de l’Inde de perturber la paix (…)[1] ».

Quelle mouche a donc bien pu piquer dimanche 7 avril le chef de la diplomatie pakistanaise, S.M. Qureshi, alors en déplacement à Multan (province du Punjab), pour aborder avec une telle virulence et aussi abruptement, un sujet d’une telle gravité ? Serait-ce l’imminence du scrutin parlementaire chez le voisin indien (étiré du 11 avril au 19 mai) et la tentation d’en altérer d’une manière ou l’autre le cours ? S’agirait-il d’une « célébration par anticipation », avec un mois d’avance sur le calendrier, du 20e anniversaire du dernier conflit indo-pakistanais (« crise de Kargil[2] ») ? Sont-ce là « simplement » les ondes de choc printanières des récents incidents hivernaux entre ces deux pierres de touche du sous-continent ? Pour rappel, le 14 février 2019, un attentat suicide revendiqué par le groupe terroriste pakistanais Jaish-e-Mohamed (JeM) perpétré au Jammu-et-Cachemire indien (région de Pulwama ; 40 km au sud de Srinagar) coûtait la vie à une cinquantaine de personnels de sécurité indiens (Central Reserve Police Force), dans ce qui constituait l’attentat de plus meurtrier des trois dernières décennies à frapper le Cachemire. Une douzaine de jours plus tard, l’Inde et le Pakistan menaient des frappes contre des cibles se trouvant sur leur territoire respectif et engageaient brièvement leurs chasseurs dans des combats aériens ; une première depuis 1971 et la 3e guerre indo-pakistanaise[3].

Quelle que soit l’inspiration (douteuse et bien mal avisée) du ministre pakistanais des Affaires étrangères, cette saillie dangereuse ne pouvait demeurer sans réponse de la part de New Delhi qui, par la voix du porte-parole du ministère des Affaires extérieures, apporta dès le 7 avril à ces propos étonnants la réponse cinglante suivante :

« L’Inde rejette la déclaration irresponsable et absurde du ministre des Affaires étrangères du Pakistan, dont l’objectif est clairement de susciter l’hystérie guerrière dans la région. Cette ruse publique semble être un appel aux terroristes pakistanais à commettre un attentat en Inde. Il a été clairement indiqué au Pakistan qu’il ne peut se dégager de sa responsabilité en cas d’attentat terroriste transfrontalier en Inde (…). L’Inde se réserve le droit de réagir fermement et résolument à toute attaque terroriste transfrontière ».

Une dizaine de jours après ces échanges tendus, on demeure encore perplexe sur l’opportunité, la finalité et la valeur ajoutée d’une telle « prophétie ». Depuis fin février, n’observait-on pas jusqu’alors une certaine décrispation entre Islamabad et New Delhi ? Par ailleurs, le jour même où S.M. Qureshi proférait ces allégations (non documentées ou précisées), la République islamique du Pakistan ne libérait-elle pas, en guise de « bonne volonté », une centaine de prisonniers indiens (des marins pour la plupart « égarés » dans les eaux pakistanaises) embastillés[4] dans ses geôles ?

Au Pakistan même, l’opposition politique s’est également autosaisie de ce sujet contentieux, la porte-parole du Pakistan people party (PPP) estimant qu’il s’agissait là « d’une tentative visant à détourner l’attention de la population d’autres questions importantes et de l’incapacité du gouvernement à résoudre les problèmes auxquels le pays est confronté[5] ». Dans une veine proche, un autre cadre en vue de ce parti considère que « le gouvernement PTI[6] est le seul responsable de l’état actuel de l’économie et de la flambée des prix dans le pays, ce qui pourrait expliquer qu’il affirme être en possession de preuves crédibles d’une attaque imminente de l’Inde[7] (pour détourner l’attention des citoyens) ».

Loin de prétendre connaître la feuille de route pakistanaise des décideurs politiques indiens – à l’avant-veille d’un scrutin mobilisant du 11 avril au 19 mai, en sept dates et rendez-vous distincts, quelque 900 millions d’électeurs, cinq millions de fonctionnaires et de personnels de sécurité, nécessitant l’installation d’un million de bureaux de vote et une logistique électorale inouïe – on voit cependant assez mal les autorités indiennes se lancer dans une entreprise aussi risquée que hasardeuse. Pour quel gain ? Placer au printemps 2019 l’Asie méridionale, ses deux milliards d’individus, ses deux composantes nucléaires, au bord d’un nouveau chaos ?

Il y a précisément 20 ans, au printemps 1999, l’Union indienne se mobilisait pour convier un semestre plus tard (septembre) sa population aux urnes afin de renouveler sa chambre basse (Lok Sabha) ; la préparation de ce rendez-vous électoral quinquennal ne se fit pas précisément dans la sérénité la plus aboutie. En amont de ces élections, durant un long trimestre[8], les troupes indiennes et pakistanaises s’affrontèrent sur les hauteurs du Cachemire – opération Vijay (Victoire) pour l’Indian army[9] – dans la région de Kargil (200 km au nord-est de Srinagar), après que des troupes pakistanaises et autres combattants infiltrés ont investi durant l’hiver une kyrielle de postes militaires d’altitude indiens situés sur la Line of control[10].

« Facilitée » alors par les États-Unis, la sortie de crise coûta peu après son poste au Premier ministre pakistanais civil d’alors (N. Sharif), alors que le chef des armées pakistanaises, le général P. Musharraf (investi un an plus tôt par N. Sharif…), perpétrait en octobre 1999 le 3e coup d’État militaire[11] de l’histoire agitée de ce pays, conservant le pouvoir jusqu’à sa démission une décennie plus tard (été 2008). Deux décennies après ces événements regrettables, en Asie du Sud et ailleurs, il est assurément peu de monde à plébisciter un scénario similaire.

En ce vendredi 19 avril 2019, l’événement grave suggéré brutalement une douzaine de jours plus tôt par le chef de la diplomatie pakistanaise ne s’est fort heureusement pas matérialisé ; sans surprendre qui que ce soit, en vérité.

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[1] ‘’India preparing for another attack: Qureshi’’, quotidien The News (Pakistan), 7 avril 2019.

[2] Étiré au printemps-été 1999 (entre mai et début juillet) sur les hauteurs du Cachemire (région de Kargil). La 4e guerre indo-pakistanaise depuis l’indépendance des deux pays à l’été 1948.

[3] De courte durée (3 au 16 décembre 1971) ; un million d’hommes engagés (une douzaine de milliers de victimes) ; des hostilités qui débouchèrent notamment sur l’indépendance de la province orientale du Pakistan se muant alors en République populaire du Bangladesh.

[4] ‘’100 Indian fishermen released from Pakistan jail as goodwill gesture’’, India Today, 8 avril 2019.

[5] ‘’PPP terms Qureshi’s statement an attempt to divert people’s attention’’, Dawn, 8 avril 2019.

[6] Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) ou Mouvement du Pakistan pour la justice, au pouvoir depuis août 2018.

[7] ‘’Qureshi’s India attack talk draws skepticism’’, Business Recorder, 9 avril 2019.

[8] Du 3 mai au 26 juillet 1999.

[9] Laquelle mobilisa pour l’occasion 200 000 hommes…

[10] La frontière de facto séparant sur 720 km de long les parties du Cachemire administrées par l’Inde (État du Jammu-et-Cachemire) et le Pakistan.

[11] Après les précédents de 1958-1971 et 1977-1988.

Loi Helms-Burton contre Cuba : l’extraterritorialité du droit américain

Wed, 24/04/2019 - 12:16

Dans une interview publiée le 9 avril 2019, des journalistes de l’agence Reuters interrogeaient deux très hauts fonctionnaires de l’administration Trump sur la stratégie du président américain à l’égard de Cuba et du Venezuela[1]. À la question des journalistes s’interrogeant sur l’efficacité de la politique mise en œuvre à l’égard de ces deux pays, la réponse des deux hauts fonctionnaires fut sans ambigüité : « Il faut prendre au sérieux nos déclarations concernant Cuba et le Venezuela. Certains pensent, ou espèrent peut-être que le président Trump bluffe et que nous n’avons pas de stratégie. Nous avons une stratégie d’ensemble. Il s’agit de notre arrière-cour, c’est très sérieux ». Une affirmation confirmée depuis, le 17 avril, par le secrétaire d’État Mike Pompeo. L’administration américaine pourra dès la date du 2 mai, en application du titre III de la loi Helms-Burton, engager des poursuites judiciaires contre les sociétés étrangères, notamment françaises, présentes à Cuba. La loi Helms-Burton, de portée extraterritoriale, a été promulguée en 1996 sous la présidence de Bill Clinton. Son titre III permet, notamment aux exilés cubains, de poursuivre devant les tribunaux fédéraux américains les entreprises soupçonnées de « trafiquer » (trafficking en anglais) avec des biens ayant appartenu à des ressortissants américains (ou à des exilés cubains ayant acquis depuis la nationalité américaine). Il s’agit des biens nationalisés par le régime de Fidel Castro après la révolution de 1959 dans l’île des Caraïbes. De nombreuses sociétés européennes ont investi à Cuba, certaines d’entre elles pourraient être contraintes de quitter l’île sous peine de se voir sanctionnées aux États-Unis. Ledit « trafic » comprend les investissements dans des biens nationalisés, la détention d’un intérêt légal sur ces biens ou la réalisation d’affaires directes avec ces biens, la gestion ou la location de ces biens. Le texte définit comme « faisant du trafic » quiconque participe à une activité commerciale dans laquelle il utilise un bien nationalisé ou en tire un profit quelconque.

La loi Helms-Burton (ainsi nommée du nom de ses auteurs, le sénateur républicain Jesse Helms et le représentant démocrate Dan Burton) est une loi fédérale américaine dont le titre Cuban Liberty and Democratic Solidarity (Libertad) indique la finalité politique explicite : imposer à Cuba, grâce aux sanctions, un gouvernement qui ne comprenne ni Fidel Castro ni son frère Raúl. Cette loi est parfois surnommée « Bacardi Bill » par des juristes, car elle a été rédigée par les avocats de Bacardi, une entreprise productrice de rhum exilée aux États-Unis après avoir été nationalisée. Bacardi mène une guerre sans merci contre son rival, le groupe français Pernod Ricard. Alors que le rhum Havana Club -propriété d’une co-entreprise détenue par l’État cubain et Pernod Ricard – est fabriqué à Cuba, le rhum Bacardi est fabriqué à Porto Rico. Depuis 1996, le titre III de la loi avait été suspendu par tous les présidents américains, y compris par Trump, grâce à une disposition spécifique (« waiver ») suite à un mémorandum d’entente entre les États-Unis et l’Union européenne (UE). Sa réactivation a plusieurs objectifs : empêcher la « concurrence déloyale » des investissements directs d’entreprises  étrangères à Cuba, alors que les entreprises américaines ne peuvent pas y investir du fait de l’embargo, imposer l’extraterritorialité du droit américain sur le plan international (comme en Iran), asphyxier économiquement l’île pour renverser le régime castriste alors que La Havane connaît des difficultés économiques, satisfaire enfin aux exigences des exilés cubano-américains installés en Floride, un État clé pour l’élection présidentielle américaine de 2020.

La réactivation du titre III a suscité de nombreuses réactions en particulier de la part de l’UE. Cette dernière a jugé « regrettable », mercredi 17 avril, la décision de Washington de permettre, à partir du 2 mai, des actions en justice contre les entreprises étrangères espagnoles et françaises notamment, présentes à Cuba. Les vingt-Huit menacent Washington de représailles en cas de sanctions contre les investissements européens. « La décision des États-Unis (…) aura un impact important sur les opérateurs économiques de l’UE à Cuba (…) et ne peut que mener à une spirale inutile de poursuites judiciaires », ont déclaré la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, et la chef de la diplomatie de l’UE, Federica Mogherini. « L’Union européenne sera contrainte d’utiliser tous les moyens à sa disposition » pour protéger ses intérêts, avaient-elles averti auparavant dans un courrier en date du 10 avril, adressé au secrétaire d’État américain, Mike Pompeo. Parmi ces moyens, le recours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est envisagé, les sanctions américaines étant contraires à son règlement. La saisine de l’organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC permettrait de recourir à des arbitrages internationaux sur un certain nombre de lois américaines. Même si, comme le souligne un diplomate, « ils n’en ont cure ».

Mais pour certains observateurs, combattre l’extraterritorialité du droit américain par des sanctions permettant en miroir la poursuite des filiales nord-américaines en Europe ne sera pas suffisant. Les sanctions américaines ont un effet extrêmement dissuasif dans la mesure où pas une seule entreprise ne peut se passer du marché américain. Entre un (petit) marché cubain potentiel et l’immense marché américain, le choix est vite fait. Si vous ne coopérez pas, c’est « no deal ». La loi Helms-Burton codifie l’interdiction d’investir. Le droit américain est utilisé pour sanctuariser des marchés.

En octobre 2016, Pierre Lellouche et Karine Berger avaient présenté un rapport bipartisan devant la commission des Finances et la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur l’impact extraterritorial du droit américain. Les conclusions de leur mission d’information montraient comment l’administration américaine est dans une logique d’utilisation du droit pour défendre les intérêts économiques américains et éliminer les concurrents. La mission préconisait d’instaurer un mécanisme de blocage à l’échelle européenne afin de faire face à l’offensive américaine. Pour le député François-Michel Lambert, président du groupe d’amitié France Cuba, Trump a déclenché « la plus grande guerre économique contre l’Europe en utilisant Cuba comme prétexte ».

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[1] Entretien donné dans le programme « Economic Eve On Cuba ». Disponible sur le site https://www.cubatrade.org/

Égypte : la fuite en avant autoritaire

Tue, 23/04/2019 - 17:58

Les citoyens égyptiens ont donc été appelés, du 20 au 22 avril, à se prononcer par voie référendaire sur un texte de révision constitutionnelle. Les nouvelles dispositions de ce dernier vident de toute substance les derniers acquis de la crise révolutionnaire de 2011 en confirmant l’ordre autoritaire mis en place en Égypte depuis le coup d’État du 3 juillet 2013, qui avait alors démis Mohamed Morsi, président élu au suffrage universel. Au cœur de cette révision figurent l’extension du mandat présidentiel de quatre à six ans et la possibilité pour Abdel Fattah al-Sissi de postuler à un mandat supplémentaire, ce qui lui ouvre la possibilité de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2030. C’est aussi le renforcement de sa mainmise sur l’institution judiciaire en lui permettant de prendre la tête d’un Conseil suprême de la magistrature, de nommer les présidents des principales juridictions, dont la Haute cour constitutionnelle. L’armée se voit enfin institutionnaliser son rôle politique comme « gardienne et protectrice » de l’État, de la démocratie, de la Constitution et des « principes de la révolution ».

La vie politique en Égypte ne fait pas exception au fort tropisme autoritaire qui caractérise les régimes politiques des mondes arabes et au sein desquels les appareils de sécurité ont profondément marqué les pratiques d’exercice du pouvoir. Ainsi, l’importance de l’institution militaire n’a cessé de croître, ce qui lui a permis de se placer au centre du jeu politique et des processus de décision.

En Égypte, au cours des dernières années, on constate ainsi qu’à chaque séquence ponctuant la vie politique, l’armée détient toujours un pouvoir de décision central. Aussi, depuis le coup d’État de 2013, on assiste à une régression sans fin des droits démocratiques individuels et collectifs. Non seulement les Frères musulmans sont interdits, pourchassés et réprimés de façon systématique (on estime à plus de 40 000 le nombre de leurs militants emprisonnés), leurs avoirs saisis, mais ils sont également qualifiés d’organisation terroriste depuis le 25 décembre 2013, ce qui donne toute possibilité au pouvoir de prendre les mesures les plus arbitraires à leur encontre.

On constate aussi que ceux qui étaient parés du vocable de « révolutionnaires » et qui avaient, au nom de la défense de la laïcité, soutenu le coup d’État sont pourchassés à leur tour par l’institution militaire. Cette situation doit être appréhendée comme un retour des forces réactionnaires mêlant l’armée et nombre de tenants de l’ancien régime de Hosni Moubarak, qui apparaissent à nouveau à des postes de responsabilité. Le moins que l’on puisse constater, c’est que les espoirs qui s’étaient cristallisés au moment du départ de Hosni Moubarak ne se sont pas concrétisés.

La victoire du « oui » lors du référendum constitutionnel de janvier 2014, avec 98 % des suffrages exprimés, ne constitua pas une surprise, et permit à Abdel Fattah al-Sissi d’enfiler les habits de l’homme providentiel. En ce sens, la stratégie de l’homme fort égyptien s’avère cohérente et les résultats des deux scrutins présidentiels, de mai 2014 puis de mars 2018, avec deux fois 97 % des suffrages exprimés en sa faveur, sont de ce point de vue sans appel.

Ces élections présidentielles ont paradoxalement marqué le retour institutionnellement codifié de l’influence de l’armée en tant que centre réel du pouvoir. La présence et l’importance de l’institution militaire sont d’ailleurs singulièrement perceptibles dans l’article 234 de ladite Constitution qui stipule que le Conseil suprême des forces armées fournit son aval à la nomination ou à la révocation du ministre de la Défense au cours des deux mandats présidentiels à venir.

En outre, en plus de la reprise en main politico-sécuritaire, il est loisible de constater une offensive idéologique du pouvoir. Prétendant se disjoindre des mouvances salafistes et de celles se rattachant aux Frères musulmans, Abdel Fattah al-Sissi cherche à promouvoir un islam conservateur en relation avec les principales institutions islamiques du pays, au premier rang desquelles l’université al-Azhar. Prenant en compte le conservatisme de la société égyptienne, il privilégie une version rigoriste des pratiques religieuses, garantes à ses yeux de stabilité sociale, et n’hésite pas, par exemple, à remettre en cause de facto les programmes de contrôle des naissances. L’ordre répressif s’accompagne ainsi d’un ordre moral conservateur.

En revanche, ses multiples déclarations martiales contre le terrorisme sont peu couronnées de succès. La dégradation de la situation sécuritaire dans le Sinaï et, plus largement, les attentats terroristes en Égypte, manifestent une relative impuissance de l’appareil sécuritaire. Ainsi l’opération « Sinaï 2018 », lancée en février 2018, n’a pas obtenu les résultats escomptés malgré une forte campagne médiatique et politique à son propos. Le 9 février 2018, ce sont pourtant 60 000 hommes et 335 avions de combat qui sont mobilisés dans le Sinaï Nord et une partie du désert occidental de la péninsule pour neutraliser les groupes djihadistes, détruire leurs caches d’armes et les tunnels qui existent entre le territoire égyptien et la bande de Gaza. Les communiqués de victoire de l’état-major sont pour le moins sujets à caution et les méthodes brutales utilisées ne permettent sans nul doute pas de gagner le soutien de la population locale, qui reste pourtant un objectif essentiel de toute lutte antiterroriste.

Si la situation politique telle que succinctement analysée précédemment fait état de multiples préoccupations, on doit de même admettre qu’aucune des difficultés sociales et économiques posées à la société égyptienne, qui avaient été l’une des principales causes du processus révolutionnaire de 2011-2013, n’a été résolue. L’économie égyptienne est en effet confrontée à des blocages et des contradictions d’une telle ampleur que seules des réformes structurelles seraient susceptibles de les surmonter. La situation est d’autant plus préoccupante que les quatre apports financiers traditionnels de son économie sont en crise : les devises envoyées par les travailleurs émigrés égyptiens depuis l’Arabie Saoudite et la Libye sont en baisse sensible ; les revenus du canal de Suez fléchissent en raison de la baisse du trafic international ; les revenus tirés du tourisme ont spectaculairement diminué ; les ressources pétrolières ne permettaient plus l’autosuffisance énergétique, du moins jusqu’à la récente découverte de champs d’hydrocarbures offshore gaziers en Méditerranée orientale.

Plaie de l’Égypte depuis de nombreuses années, la dette publique ne cesse de s’accroître pour atteindre désormais 97 % du produit intérieur brut (PIB). Facteur aggravant, les dépenses publiques servent principalement à financer les effectifs hypertrophiés du secteur d’État et ne sont que marginalement utilisées pour des investissements publics. Si le doublement du canal de Suez ou la construction d’une nouvelle capitale administrative concourent à améliorer la situation macroéconomique, on peut néanmoins émettre des doutes sur leur capacité à parvenir à surmonter ce défi structurel.

En outre, l’armée semble s’investir plus avant encore dans la vie économique du pays en s’impliquant dans les infrastructures de santé, la construction de routes, de ponts, du canal, des zones urbaines nouvelles. Cette situation induit la perception d’une institution qui cherche à conforter une bourgeoisie issue de ses rangs et qui possède une vision assez claire de ses intérêts, se traduisant par la fidélité au régime du président al-Sissi ‑ à moins que cela ne soit son instrumentalisation ‑ et la méfiance à l’égard du libéralisme économique et de l’ouverture aux capitaux étrangers. Cette situation risque, à terme, d’accroître les tensions entre l’institution militaire de plus en plus insérée dans le tissu économique et des entrepreneurs privés qui considèrent qu’ils sont systématiquement désavantagés dans l’attribution des marchés publics.

Cette situation générale dégradée a contraint de recourir à des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) qui a accepté, en juillet 2016, d’effectuer un prêt de 12 milliards de dollars états-uniens sur trois ans, tout en exigeant des mesures drastiques en contrepartie : imposition de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), baisse des subventions sur des produits de base (carburant, électricité), dévaluation de la monnaie de près de 50 %. La spirale inflationniste, de l’ordre de 30 % au moment de l’octroi du prêt, pénalise mécaniquement les catégories les plus paupérisées de la population en touchant notamment l’alimentation et les transports, deux postes qui affectent traditionnellement le budget des familles. Ainsi, le prix du ticket de métro du Caire a augmenté, en mai 2018, de 250 % pour les longs trajets alors qu’il avait déjà doublé en 2017. Ces difficultés récurrentes contribuent à entretenir l’importance d’un secteur informel que certains économistes évaluent à la proportion de 50 % du PIB. Si cette dernière donnée est probablement à manier avec précaution, elle indique néanmoins l’ampleur de la tâche pour parvenir à assainir l’économie égyptienne. Les mesures de protection sociale sont à ce stade beaucoup trop embryonnaires pour aider les catégories sociales précarisées, voire une partie des classes moyennes, à absorber ces chocs.

Le pouvoir actuel est de ce fait pris entre deux feux : d’une part, il a un besoin impératif de recourir à des prêts, donc en l’occurrence de négocier avec le FMI, mais, d’autre part, l’application d’un tel accord risque de générer un fort mécontentement, voire des conflits sociaux d’envergure. C’est la classique expression du recours aux plans d’ajustement structurel exigés par les instances financières internationales et des contradictions que cela induit pour les gouvernements en place. Pour autant, le recours au FMI s’est avéré incontournable au vu des réticences désormais manifestées par les donateurs des monarchies arabes du Golfe, principalement l’Arabie Saoudite, à continuer à signer des chèques à un pays dont elles considèrent qu’il vit au-dessus de ses moyens.

En septembre 2017, le FMI a publié un premier rapport actant un retour de la confiance dans l’économie égyptienne et une nouvelle tranche de prêts a été débloquée en décembre de la même année. Quelques indices macroéconomiques semblent en effet s’améliorer : réserves en devises étrangères remontées à 38 milliards de dollars états-uniens, réduction du déficit budgétaire, baisse de l’inflation qui retrouvait à la fin de l’année 2018 un taux situé entre 11 % et 13,5 %. Ces chiffres sont bien sûr à prendre en compte, mais ne signifient pas que l’économie égyptienne ait surmonté ses tensions, d’autant que la dette extérieure s’est considérablement creusée, atteignant environ 80 milliards de dollars états-uniens, c’est-à-dire près de 20 % du PIB. Diversification de l’économie et création d’une croissance inclusive restent des défis non résolus à ce jour. L’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi a cependant su redonner une forme de confiance en l’avenir de son économie, car le régime autoritaire réduit le risque-pays, et contribue à donner confiance aux créanciers et aux marchés.

Enfin, l’Égypte doit affronter un considérable défi démographique, sa population ayant doublé en moins de 40 ans. Forte aujourd’hui de quelque 95 millions d’habitants, elle pourrait compter de 140 à 170 millions d’individus en 2050. Ces difficultés s’accumulent dans un pays dont seulement 5 % à 6 % de la totalité de la superficie sont « utiles » — la vallée du Nil, au long de laquelle s’est concentré l’essentiel de la population, de l’agriculture et des industries. La question est donc de savoir comment mettre en valeur le reste du territoire, ce qui nécessite des investissements considérables ; cet objectif constitue l’un des principaux défis que les autorités doivent relever dans le court terme.

On le voit, les réformes constitutionnelles renforçant les pouvoirs du raïs ne permettront pas à l’Égypte de surmonter les défis structurels auxquels le pays est confronté. Une nouvelle vague de contestation y est ainsi potentiellement envisageable.

« Trump veut mettre à genou l’Iran »

Tue, 23/04/2019 - 17:23

Directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), où il est spécialiste des problématiques énergétiques, Francis Perrin analyse dans une interview au Point les conséquences de la décision américaine pour l’Iran et le marché mondial.

Avec la fin des exemptions, entrons-nous dans une nouvelle phase de pression sur Téhéran ?

Il s’agit certainement d’une phase nouvelle, car huit pays bénéficiaient jusqu’à aujourd’hui d’une exemption sur les achats de pétrole iranien : cinq en Asie (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Taïwan) et trois en Europe (Grèce, Italie, Turquie). Or, à partir du 2 mai, il n’y en aura plus du tout.

Les États-Unis peuvent-ils réussir à réduire à néant les exportations iraniennes de brut comme ils l’affirment ?

Ceci est loin d’être acquis, mais il y aura forcément une diminution significative des exportations iraniennes de pétrole. À mon sens, l’objectif « 0 exportation » est davantage un affichage politique. L’idée est de mettre l’Iran à genou et frapper le point clé que constitue le pétrole pour la République islamique en diminuant le plus possible ses ventes. Mais je doute que plus personne n’achète de pétrole iranien.

Quel est l’effet de cette décision sur l’économie iranienne ?

Cette nouvelle phase est très négative pour l’Iran, qui a déjà vu ses exportations baisser significativement depuis le retrait de Donald Trump de l’accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement des sanctions extraterritoriales américaines. Le volume d’exportations est en effet passé de 2,5 millions de barils par jour à environ 1,1 million de barils par jour aujourd’hui. C’est considérable, d’autant que les ventes de pétrole représentent de 60 à 70 % des exportations iraniennes. L’impact des sanctions sur l’économie iranienne, déjà très important jusqu’ici, va donc être renforcé.

Les pays visés pourraient-ils refuser de céder aux pressions américaines ?

Sur les huit pays qui bénéficiaient d’exemptions, il y en a peu qui puissent résister aux sanctions extraterritoriales américaines. Taïwan, le Japon et la Corée du Sud sont des alliés des États-Unis et on voit mal ces pays dire «  non  » à Washington. Il en va de même de la Grèce et de l’Italie. Pour ce qui est de la Turquie (qui a annoncé qu’elle continuerait à commercer avec Téhéran, NDLR), le volume de pétrole qu’elle achète à l’Iran n’est pas significatif. Il n’y a donc que la Chine et l’Inde qui, en tant que puissances, puissent braver les injonctions des États-Unis, notamment Pékin. La Chine est à mon sens un point clé.

La Chine, grand importateur de pétrole iranien, pourrait-elle ne pas se soumettre à la décision américaine ?

Du point de vue chinois, l’Iran peut être considéré comme une carte dans la partie de poker entamée avec les États-Unis. Il existe des intérêts énormes entre les deux pays, notamment sur le plan commercial, car Washington taxe 250 milliards de dollars d’exportations chinoises vers les États-Unis, ce qui est préoccupant pour Pékin. De la même manière, les entreprises chinoises sont très présentes aux États-Unis. Par conséquent, si la Chine peut se permettre de dire « non » aux États-Unis sur le pétrole iranien, elle doit tout de même tenir compte des menaces de sanctions américaines.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont indiqué leur souhait de compenser la baisse du pétrole iranien sur le marché. Est-ce réaliste ?

Cette annonce était attendue et c’est tout à fait logique. Riyad et Abu Dhabi partagent avec Washington l’objectif stratégique d’affaiblir l’Iran, ce qui passe par des sanctions contre son pétrole. Ces deux pays ne peuvent donc qu’apprécier ce que réalise Donald Trump. Au contraire, ils avaient très peu goûté au rapprochement qu’avait entamé Barack Obama avec l’Iran, et qui s’était concrétisé par la signature de l’accord sur le nucléaire iranien. Aujourd’hui, Donald Trump fait beaucoup pour plaire aux Saoudiens, ce qui mérite de leur part un renvoi d’ascenseur. Par ailleurs, Riyad et Abu Dhabi disposent de suffisamment de capacités pétrolières non utilisées pour introduire d’importants volumes de pétrole sur le marché. Il y a donc à la fois une volonté d’aider les États-Unis, et les capacités de le faire.

On assiste à une augmentation du cours du pétrole. Risque-t-on une flambée des prix ?

Le cours du baril de brent a augmenté de près de 3 %, pour atteindre 74 dollars, ce qui était inévitable. Mais il y a clairement une volonté de Washington de limiter les dégâts. L’objectif est de convaincre le marché que les prix ne vont pas flamber. Pour ce faire, les États-Unis ont indiqué qu’ils allaient augmenter leur production, ce qu’ils font par ailleurs depuis dix ans avec leurs énergies non conventionnelles (pétrole de schiste). Là-dessus, Donald Trump sait qu’il bénéficie du soutien des industriels américains. Washington a également souligné qu’il bénéficiait de l’accord de l’Arabie saoudite, et des Émirats arabes unis pour utiliser leurs capacités de production non utilisées. Les pétroles américain et saoudien sont donc les deux joyaux de la couronne pour que les prix du pétrole ne flambent pas avec la chute du pétrole iranien.

La France face à ses défis

Tue, 23/04/2019 - 16:37

Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Internationales de Dijon, le 6 avril 2019 :
– La France est-elle encore en mesure de peser sur la scène internationale ? À quels défis doit-elle répondre pour continuer à peser ?
– Quelles sont les grandes puissances spatiales aujourd’hui ? Se dirige-t-on vers une guerre de l’espace ?
– Comment la France et l’Europe se positionnent-elles sur ces enjeux ?

Elections espagnoles : vers quel transit post transition démocratique ?

Fri, 19/04/2019 - 17:50

Le 28 avril 2019, les Espagnols sont appelés aux urnes pour désigner leurs 350 députés. Et qui sait, permettre la formation d’un gouvernement disposant d’une majorité, introuvable depuis la dernière consultation. Le président sortant, le socialiste Pedro Sanchez, avait réussi le 1er juin 2018 à renverser le populaire Mariano Rajoy, fragile vainqueur des législatives du 26 juin 2016. Il a dû, faute de périmètre parlementaire suffisant, ne disposant que de 85 députés sur 350, jeter l’éponge huit mois plus tard.

Cette instabilité est inattendue dans une Espagne où pendant plusieurs années droite et gauche ont alterné sans problème. Les raisons objectives ont sans doute joué. L’insubordination constitutionnelle catalane « gèle » une part importante des électeurs catalans espagnols de droite et de gauche. L’afflux de migrants dans un pays ayant envoyé les siens pendant longtemps aux Amériques et en Europe l’a déstabilisé. La longue crise économique et le chômage de masse ont dilué bien des allégeances partisanes. Le culte du futur – des artistes de la « movida » au parti Ciudadanos – a opacifié le passé en l’instrumentalisant.

La transition espagnole de la dictature franquiste à la démocratie faisait figure de modèle il y a encore quelques années. Avec la crise économique de 2008, les certitudes sont tombées. D’indignations juvéniles en nostalgies médiévales, le passé antérieur a repris des couleurs. L’Espagne serait sortie de la transition. Pour entrer en transit, un transit pour l’instant réduit à la salle des pas perdus, décorée de symboles franquistes, de bannières républicaines et de senyeras catalanes.

Au point d’égarer dans un nouveau labyrinthe les « amis » étrangers de l’Espagne. 41 sénateurs français, de toutes obédiences, ont dénoncé le retour du franquisme, l’existence de prisonniers politiques. Le président mexicain, Andrés Manuel Lopez Obrador, a de son côté réactualisé une Espagne de la « légende noire ». Donald Trump, en mettant les firmes espagnoles ayant investi à Cuba sur le banc des accusés aux États-Unis, a complété le tableau.

La monarchie, l’une des clefs de voûte de la transition, est interpellée de divers côtés. Par les indépendantistes catalans, mais aussi par le parti de gauche Podemos. La loi de mémoire historique, visant à réhabiliter les vaincus républicains de la guerre d’Espagne, est ignorée par la droite espagnole. L’Espagne fait débat en Catalogne en ordre dispersé, chez les indépendantistes, et ailleurs au sein des droites nationales, Parti populaire, Ciudadanos et Vox. Le féminisme, valeur phare de la modernité démocratique espagnole, est remis en question par la droite espagnole.

Difficile de faire table rase du passé. Le défaut de la cuirasse démocratique fabriquée par les acteurs de la transition est sans doute là. On a recyclé les franquistes, on a ajouté les anciens exclus démocrates de tout poil. Puis ensemble on a tourné la page solennellement avec une loi d’amnistie, une Constitution et l’État des autonomies régionales. Le vaisseau a été regardé comme un modèle de sortie de dictature, en Amérique latine et en Europe de l’Est.

Cette transition qui a mal digéré son histoire récente peut-elle paradoxalement faciliter le transit vers un équilibre consensuel ?

À première vue c’est mal engagé. Pedro Sanchez, a tenté, sans succès, de déménager le corps du dictateur. Le caudillo, Francisco Franco, repose en effet dans un sanctuaire, subventionné par l’État de la transition. Pablo Casado, jeune taureau du Parti populaire, diffuse rumeurs, attaques personnelles et fantômes de la défunte ETA, en guise de campagne. Le Centre a basculé à droite toute. En acceptant les votes d’un tout nouveau parti d’extrême-droite, Vox qui a fait irruption le 2 décembre 2018 aux régionales andalouses. Les indépendantistes catalans avec la compréhension de Podemos, de la droite flamande, et d’un cocktail de sénateurs français vendent l’image d’une Espagne définitivement marquée par ses antécédents franquistes.

L’espoir d’une seconde transition, réhabilitant l’esprit de la transition – le dialogue et le sens du compromis – ne doit pas être exclu. Le socialiste Pedro Sanchez a imposé ses vues aux secteurs de troisième voie. La défaite du PSOE en Andalousie a quelque part sanctionné les tenants d’une alliance centriste et validé un retour aux valeurs social-démocrates. Toutes choses pouvant faciliter un rapprochement ultérieur, à défaut d’un pacte en bonne et due forme avec Podemos, affaibli par de multiples scissions. La démarche indépendantiste catalane a généré des querelles de clocher et embourbé la relation avec Madrid dans une voie sans issue démocratique et constitutionnelle. À la différence du Parti nationaliste basque, qui a mis en forme une efficace stratégie d’élargissement des compétences basques respectueuse de la loi, Iñigo Urkullu, président du gouvernement basque, a incité, sans succès, les indépendantistes catalans à sortir de l’unilatéralité, et à dialoguer dans le cadre institutionnel. Parce que « parler de l’indépendantisme au XXIe siècle, c’est tenter de redonner des couleurs à des images du XIXe siècle ».

Au soir du 28 avril, la page de la transition va être définitivement tournée. Mais qui va en écrire les premiers mots ? La coalition des droites (Parti populaire ; Ciudadanos ; Vox) ou les forces motrices d’un renouveau raisonné (PSOE ; PNV et Podemos) ?

Nouvelles sanctions de Washington sur Cuba : quels enjeux ?

Fri, 19/04/2019 - 16:20

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, répond à nos questions :
– Washington vient d’annoncer l’autorisation de poursuites judiciaires envers les sociétés étrangères soupçonnées de profiter de biens confisqués à des Américains lors des nationalisations de 1959 à Cuba. Comment comprendre une telle décision ?
– Les pays impactés par cette mesure sont notamment ceux de l’UE et le Canada. Comment peuvent-ils répliquer face à la justice extraterritoriale américaine ?
– Cette décision suit la politique de rupture de Donald Trump, qui souhaite restreindre les relations entre Washington et La Havane. Quels sont ses intérêts à isoler Cuba ?

[Comprendre le monde] La mondialisation

Fri, 19/04/2019 - 10:05

À l’occasion de la parution de la dernière édition de son ouvrage « Comprendre le monde », aux éditions Armand Colin, Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, nous parle de la mondialisation.

Le climat en crise

Thu, 11/04/2019 - 15:36

L’ancienne ministre Cécile Duflot, aujourd’hui, directrice générale d’Oxfam France, répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Internationales de Dijon, le 6 avril 2019 :
– En quoi le réchauffement climatique est-il un problème d’inégalités ?
– Pourquoi les États semblent-ils impuissants à lutter contre le réchauffement climatique ?
– Est-ce à la société civile de prendre le relai ? En est-elle capable ? Comment y contribue Oxfam France ?

Le triomphe de Netanyahou

Thu, 11/04/2019 - 12:46

 

Les élections israéliennes ont eu lieu ce mardi 9 avril 2019. Elles ont rendu leur verdict : Benyamin Netanyahou en est le grand vainqueur.

Ces élections législatives ont en fait été un référendum pour ou contre Benyamin Netanyahou, et finalement les électeurs israéliens ont voté pour lui.

Le parti de Benny Gantz et celui de Netanyahou sont au coude à coude s’agissant des résultats, mais Benyamin Netanyahou est en mesure de former une large coalition autour de lui, grâce au soutien de l’extrême droite. Benny Gantz, lui, manque de réserves. C’est sur une coalition pouvant représenter 65 sièges sur 120 que Netanyahou peut compter pour former un gouvernement.

Il va devenir le Premier ministre qui aura été en poste le plus longtemps, battant même le record du fondateur du pays, David Ben Gourion. Ça sera son quatrième mandat successif, son cinquième au total. Le résultat de ces élections montre bien un enracinement, et même une poussée de l’extrême droite ainsi qu’un effondrement du parti travailliste, pourtant parti fondateur du pays, qui ne disposera que de six sièges dans cette nouvelle législature. C’est une défaite historique pour ce parti.

Benyamin Netanyahou avait fait le pari gagnant de la polarisation. Extrêmement clivant, il a mené une campagne très violente, accusant son adversaire de mettre en danger la sécurité d’Israël, alors même que celui-ci fut chef d’état-major des armées.

Comment expliquer que, malgré les différentes affaires de corruption, les enquêtes qui se multiplient, les mises en cause de l’intégrité personnelle de Benyamin Netanyahou, il ait quand même remporté les élections ?

Ce qui explique ce succès, c’est justement la stratégie de polarisation choisie par Benyamin Netanyahou. C’est aussi la conséquence d’une économie israélienne qui se porte bien – même si les inégalités sont de plus en plus fortes. Mais le pays n’a surtout jamais été aussi fort diplomatiquement : Benyamin Netanyahou bénéficie du soutien de leaders comme Donald Trump, Vladimir Poutine, ou encore le Premier ministre indien Modi. A cela on peut ajouter un autre succès historique, la visite du nouveau président brésilien Bolsonaro, qui est venu apporter un fervent soutien à Netanyahou. Mais surtout, le grand succès de Benyamin Netanyahou qui change la donne, c’est le soutien de l’Arabie Saoudite et de l’Égypte : il n’y a plus réellement de pays arabes qui s’opposent à lui. Il faut ajouter à ce tableau une percée israélienne dans le continent africain.

Jamais un Premier ministre israélien n’aura été aussi éloigné des critères de règlement du conflit israélo-palestinien, soutenu par la communauté internationale, mais jamais il n’aura eu le soutien aussi affirmé de dirigeants d’autres pays.

Aux précédentes élections, la question qui se posait était de savoir si les Israéliens étaient pour ou contre le processus de paix. Cette fois-ci, il s’agissait de savoir si les Israéliens étaient pour ou contre l’annexion, officiellement condamnée par la communauté internationale. Ce qui a peut-être fait pencher la balance en faveur de Netanyahou, c’est son engagement à annexer juridiquement les territoires occupés et donc à changer leur statut juridique.

Il ne s’est pas engagé sur l’ampleur de l’annexion ni sur le calendrier, mais c’est un geste très fort qui sera certainement le dernier clou planté dans le cercueil du processus de paix, déjà moribond depuis plusieurs années.

On peut d’ailleurs penser que cette annexion, comme celle du Golan, sera approuvée par Donald Trump. Celui-ci affirme depuis déjà plusieurs mois qu’il compte proposer un plan de paix « révolutionnaire ».

On en connaît les grandes lignes, c’est effectivement un plan de paix qui est inacceptable pour les Palestiniens, mais qui ravit Netanyahou et qui semble acceptable pour Mohammed Ben Salmane : annexion de Jérusalem reconnue, donc sans partage de la ville en capitale de deux États, palestinien et israélien, et puis surtout reconnaissance de l’annexion d’une partie de la Cisjordanie. Donc la perspective d’un État viable palestinien s’éloigne totalement et peut-être définitivement.

On pourra parler de paix, mais d’une paix par la force, une paix imposée, une paix qui n’est pas du tout acceptée. Le moins que l’on puisse dire c’est que la politique israélienne ne rencontre pas d’obstacles.

Certes, le mouvement palestinien n’est pas exempt de tout reproche. Il est en profonde déliquescence, avec un Hamas répressif, et un leader palestinien, Mahmoud Abbas, qui perd de plus en plus en légitimité. Ce dernier a été élu il y a maintenant 13 ans, et on peut dire qu’il est très contesté en interne. Mais Israël aurait tort de se réjouir de la déliquescence du mouvement palestinien. Cela peut lui servir à court terme, mais à long terme ce n’est pas rassurant.

Mais si la communauté internationale accepte bon gré mal gré la politique israélienne, il n’en est pas de même pour l’opinion publique internationale.

On est face au même antagonisme dans les pays arabes, les gouvernements, soit acceptent la politique israélienne, soit ne sont pas en mesure de lutter contre elle parce qu’ils ont trop de problèmes intérieurs, soit, enfin, parce qu’ils ont peur des États-Unis. Mais dans l’opinion publique arabe, la cause palestinienne reste encore un élément fédérateur et sacré. Elle constitue peut-être d’ailleurs un des rares éléments de l’unité arabe.

L’absence de perspective politique se traduit souvent par des violences incontrôlées. Depuis très longtemps, les Palestiniens font preuve de résilience, les Israéliens ont tort de penser que cette résilience est une résignation.

Nétanyahou : triomphe stratégique ?

Wed, 10/04/2019 - 12:17

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, revient sur les élections législatives en Israël et leurs implications.

L’Inde à la conquête de l’espace

Wed, 10/04/2019 - 10:20

C’est une entame printanière spatiale chargée et réussie que vient de vivre l’Inde ces derniers jours. Le 1er avril 2019, l’organisation indienne de recherche spatiale (ISRO) a procédé au tir réussi de son lanceur Polar Satellite Launch Vehicle (PSLV), lequel ne transportait rien de moins qu’une trentaine de satellites, occidentaux pour l’essentiel (24 américains, quatre européens), un satellite indien de dernière génération EMISAT[1] complétant le chargement. Ce lancer constitua une première à divers égards, l’ISRO plaçant notamment à cette occasion des satellites sur trois orbites au cours d’un même lancement, tandis que le 4e étage du PSLV se transformait pour la première fois en une plate-forme de recherche orbitale.

Trois jours plus tôt, le 29 mars, la voie de la performance technologique et spatiale avait été engagée par le tir réussi d’un missile antisatellite (A-Sat) abattant à 300 km d’altitude un satellite cible indien, une prouesse faisant entrer l’Inde dans le cercle très fermé des puissances détenant un tel savoir-faire, jusqu’alors composé des seuls États-Unis, de la Russie et de la Chine.

Des performances transparentes et maîtrisées

Lors de son tir opéré en janvier 2007[2], la Chine avait désigné une cible positionnée à une altitude élevée (800 km), ayant comme conséquence lors de sa destruction la production d’une multitude de débris qui, à une telle altitude, demeureront en orbite, selon les spécialistes, des décennies sinon des siècles, avec le lot de contraintes (sécuritaires notamment) générées par une telle présence sur une si longue durée. À la différence de ce précédent chinois, les ingénieurs du pays de Gandhi œuvrant sur la « mission Shakti (force) » ont retenu une cible située à une altitude inférieure (300 km), une option réduisant à quelques semaines ou mois la présence dans l’espace de ces débris de satellite. Prenant là encore le contre-pied de Pékin – qui en 2007 ne communiqua guère volontiers sur son entreprise antisatellite – New Delhi, par la voix de son Premier ministre Narendra Modi, communiqua sans tarder sur le sujet, insistant lors d’une intervention télévisée sur la transparence du programme spatial indien et l’attachement de la « plus grande démocratie du monde » à la nature pacifique[3] de son ambitieuse politique spatiale. Un mode opératoire plus transparent, plus responsable, salué par deux autres membres de ce club fermé des puissances spatiales, la Russie et les États-Unis, ces derniers confirmant à cette occasion leur « intérêt commun (avec l’Inde) pour l’espace et la coopération scientifique et technique en matière de sûreté et de sécurité dans l’espace extra-atmosphérique[4] ».

L’Inde, une puissance spatiale ambitieuse

Les succès technologiques enregistrés les 29 mars et 1er avril ont entre autres bénéfices permis de confirmer plus avant les capacités autochtones de l’Inde et la solidité d’un programme spatial bâti sur une série de réussites préalables : au printemps 2019, c’est en effet l’Union indienne qui, dans la région indo-pacifique, dispose de la plus importante constellation de satellites civils ; c’est encore l’Inde qui détient le record du nombre de satellites placés en orbite[5] lors d’un seul lancer (104). Enfin, c’est le savoir-faire des ingénieurs indiens qui permit en septembre 2014 à la sonde Mars Orbiter Mission de se placer (à sa première tentative et pour un coût financier très maîtrisé) en orbite autour de la Planète rouge.

Sans surprendre, ces compétences reconnues drainent aujourd’hui vers l’Inde des nations et des entreprises du monde entier lui confiant le lancement de leurs satellites. À ce titre, relevons l’étroite coopération entre l’Inde et la France (notamment entre l’ISRO et le CNES), lesquelles n’hésitent pas à parler de « vision commune de la coopération spatiale », à mettre en avant le fait que « la France et l’Inde sont liées par un partenariat ancien et sans équivalent dans le domaine des usages pacifiques de l’espace extra-atmosphérique. La coopération et la collaboration dans le domaine spatial ont profondément marqué les relations entre les deux pays qui se sont affirmés comme de grandes nations spatiales[6] ».

La présence de l’Inde sur cette niche technologique de pointe génère des dividendes économiques et comptables, mais également politiques, le cas échéant : au printemps 2017, l’Inde avait ainsi procédé – à titre gracieux – au lancement de satellites destinés à ses voisins du sous-continent et pays membres de la South Asian Association for Regional Cooperation (SAARC[7]). Enfin, dans ce registre valorisant, notons encore que le mois dernier, la NASA[8] faisait part de son intérêt à former, avec ses homologues indiens, un groupe de travail sur le programme de missions spatiales habitées, l’Inde projetant d’envoyer trois astronautes dans l’espace d’ici 2022 dans le cadre de la mission « Gaganyaan[9] », un ambitieux projet porté par le chef de gouvernement indien en personne depuis l’été 2018[10].

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[1] Electro-Magnetic Intelligence Satellite, dédié notamment en renseignement militaire.

[2] ‘’Flexing Muscle, China Destroys Satellite in Test’’, The New York Times, 19 janvier 2007.

[3]  Un argument repris à l’identique par Moscou (‘’Russia highlights ‘non-directedness’ of India’s anti-satellite test against any country’’, The Business Standard, 29 mars 2019).

[4] Département d’État (américain), 3 avril 2019.

[5] Une prouesse réalisée en février 2017 ; lire à ce propos ‘’India Launches 104 Satellites From a Single Rocket, Ramping Up a Space Race’’, The New York Times, 15 février 2017.

[6] Le détail de cette coopération étroite peut être apprécié sur le site Internet de l’ambassade de France à New Delhi (https://in.ambafrance.org/Vision-commune-de-la-cooperation-spatiale-entre-la-France-et-l-Inde).

[7] L’organisation régionale de coopération réunissant les sept pays d’Asie méridionale + l’Afghanistan.

[8] ‘’Gaganyaan 2022: US interested in working with India for manned space mission’’, India Today, 9 mars 2019.

[9] ‘’ Gaganyaan 2022: What the mission is all about l 10 points’’, India Today, 28 décembre 2018.

[10] ‘’On Independence Day, Modi promises Indian manned space mission’’, CNN, 15 août 2018.

Quelles recompositions après les élections européennes ?

Tue, 09/04/2019 - 17:34

Alberto Toscano, journaliste, politologue et écrivain italien, répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Entretiens européens d’Enghien, organisés le 30 mars 2019 :
– En quoi la crise migratoire impacte-t-elle les dynamiques politiques nationales et par ricochet les futures élections européennes ?
– Comment sont perçues les élections européennes en Italie ? Comment s’y déroule la campagne ?
– À quoi devrait ressembler le Parlement européen après les élections ?

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