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Politique étrangère (IFRI)

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La revue de référence sur les questions internationales
Updated: 1 month 4 weeks ago

L’Arctique, un enjeu planétaire

Wed, 11/10/2017 - 09:30

Le 6 octobre dernier, Jacques-Hubert Rodier, éditorialiste diplomatique aux Échos, a publié un article sur l’enjeu planétaire que représente l’Arctique : il cite à ce titre le dossier « Arctique : une exploration stratégique » publié dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n° 3/2017), qui « permet de répondre à nombre d’interrogations sur les enjeux stratégiques d’une région souvent mal connue ».

« Si quelqu’un venait à envahir l’Arctique canadien, ma première mission serait de le secourir », avait dit en 2009 le chef d’état-major de la Défense canadienne. Cette déclaration du général Walter Natynczyk est, huit ans après, toujours d’actualité.

La région où sont impliqués directement les États-Unis, le Canada, la Russie, la Norvège et le Danemark et plus indirectement la Suède, la Finlande et l’Islande, est non seulement un enjeu entre les différentes puissances mais elle doit aussi faire face à nombre de défis rappelle la revue de l’Ifri (Institut français des relations internationales). Le plus important est le réchauffement climatique qui modifie la donne, comme le souligne Mikkel Runge Olesen de l’Institut danois d’études internationales. De plus, cette région a un important potentiel en termes de ressources naturelles et joue un rôle de plus en plus important dans le développement du commerce international, au fur et à mesure de la fonte de la banquise. Le risque d’une escalade entre les grandes puissances reste pourtant limité, écrit l’auteur. Pour Barbara Kunz du Cerfa (Ifri), on ne peut cependant pas totalement négliger le risque d’une confrontation militaire.

Citation choisie : « Nul pays n’a plus intérêt que la Russie à une région stable » dans l’Arctique.

Retrouvez l’article de Jacques-Hubert Rodier ici.

Forces armées africaines

Mon, 09/10/2017 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Laurent Touchard, Forces armées africaines, 2016-2017 (auto-édition, 2017, 600 pages).

Laurent Touchard, chercheur indépendant sur les questions militaires, a notamment été consultant défense pour Jeune Afrique. Son ouvrage sur les forces armées africaines vient combler un vide. En effet, en 600 pages, il décrit de façon complète les principaux enjeux géopolitiques et sécuritaires de 55 pays. Il analyse le fonctionnement opérationnel des armées, détaille certaines opérations et va même jusqu’à parler du comportement au feu de certaines unités.

Pour chaque pays on trouve d’abord un tableau de synthèse où les atouts principaux et les faiblesses majeures des différentes forces armées africaines sont présentés. Puis sont précisés budgets et effectifs. Ensuite, des ordres de bataille et des tableaux d’équipements détaillés sont exposés par armée (terre, mer, air, mais aussi forces paramilitaires). Enfin, et c’est là que l’auteur fait véritablement la différence avec le Military Balance, on trouve une analyse, plus ou moins longue selon les pays (quatre pages pour le Tchad, huit pour le Maroc, une pour le Somaliland).

L’analyse des forces armées du Burkina Faso met par exemple en exergue les difficultés financières auxquelles elles font face, mais aussi la coopération au sein du G5 Sahel, ou encore les difficultés de coordination entre les différentes forces de sécurité et de défense. L’auteur rappelle qu’il ne faut pas regarder les armées africaines avec condescendance. Les pays occidentaux ne sont pas exempts de lacunes et de dysfonctionnements, notamment dans la lutte contre le terrorisme. L’objectivité et la rigueur sont présentes tout au long du livre et permettent de remettre en question bien des idées reçues. Laurent Touchard estime par exemple que les forces terrestres gabonaises sont efficaces et bien équipées, mais que les forces aériennes, qui alignent des Mirage F1AZ sont surdimensionnées. On apprend aussi que le Gabon n’a pas honoré ses dettes à Piriou, un chantier naval français, suite à la commande d’un patrouilleur et la demande de rénovation d’un autre.

Dernière illustration, l’auteur réussit à donner une certaine clarté au chaos qui caractérise la Libye. Les principaux combats sont présentés, ainsi que les acteurs qui y participent. Laurent Touchard explique les déconvenues rencontrées, en particulier par les Européens, dans la formation d’une armée nationale libyenne. Se pose encore aujourd’hui une question cruciale : qui entraîner ?

Les analyses proposées sont pertinentes et l’équilibre entre précision et clarté, revendiqué par l’auteur, est atteint. À la fin de l’ouvrage on trouve aussi une série de tableaux synoptiques fort utiles, qui classent les différentes armées selon leurs principaux matériels terrestres, aériens ou maritimes.

Ce livre présente aussi quelques défauts, comme une analyse un peu courte pour certains pays, à l’instar du Bénin. Toutefois, le travail de recherche, réalisé par un seul homme, est dans son ensemble considérable, et l’intérêt de cette somme indubitable. Cet ouvrage, auto-édité via CreateSpace, mériterait d’être actualisé à intervalles réguliers et publié par un éditeur qui lui assurerait une plus large diffusion.

Rémy Hémez

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Indispensable ONU

Thu, 05/10/2017 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Morgan Larhant propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Marc de La Sablière, Indispensable ONU (Plon, 2017, 288 pages).

Souvent décriée, rarement admirée, l’Organisation des Nations unies (ONU) est le plus souvent ignorée. Au-delà de l’image coutumière du fer à cheval du Conseil de sécurité qui s’invite périodiquement sur nos téléviseurs, rares sont ceux qui connaissent cette organisation. Plus rares encore ceux qui cherchent à la faire comprendre.

Qui mieux qu’un ancien ambassadeur de France auprès de l’ONU, témoin direct du labyrinthe onusien depuis sa première affectation à New York au début des années 1980 aurait pu montrer l’organisation telle qu’elle est, dans ses échecs et ses succès ?

La lecture de cet ouvrage, simple d’accès et structuré en huit chapitres aussi précis que didactiques, nous fait ainsi entrer dans le fonctionnement concret de l’ONU. De l’action du Conseil de sécurité pour « éviter les guerres » à l’œuvre normative d’universalisation des droits de l’homme, de l’assistance humanitaire dépêchée aux quatre coins du monde aux mille détails de notre vie quotidienne réglés par une galaxie d’institutions spécialisées, l’ONU apparaît comme le lieu de toutes les frustrations, mais également comme celui de tous les progrès.

Le chapitre consacré au développement et à la lutte contre les changements climatiques mérite à cet égard d’être souligné, car si « 40 ans après la vague de décolonisation l’échec [de la politique de développement] est collectif », les avancées réalisées depuis le sommet du millénaire de l’an 2000, et le « grand succès » que constitue la COP21, montrent la nature profonde de cette organisation : une enceinte où « on ne “renverse pas la table” ; mais on peut y creuser un sillon ».

Ce bilan critique de 70 années ­suffit-il à justifier le titre de l’ouvrage ? Assurément non et c’est là l’autre intérêt de la présentation faite par celui qui est devenu ces dernières années un enseignant de l’organisation. L’ONU est indispensable car elle a su sans cesse s’adapter, pousser plus loin le champ du droit international, comme avec le développement du concept de la « responsabilité de protéger ». Elle est indispensable, car elle sait dans les grandes occasions se transcender, « toucher les peuples » et, comme le disait Adlai Stevenson lors de la crise des missiles de Cuba, « devenir ce tribunal de l’opinion publique» internationale. Elle est indispensable parce qu’elle seule réunit trois attributs consubstantiels à toute régulation internationale : l’universalité, la légitimité et le temps long. Elle est indispensable, enfin, parce que son existence même force les États à s’auto-discipliner, à introduire de la retenue dans une « société internationale » qui n’est jamais vraiment sortie de l’état de nature.

Certes l’ONU peut être décevante, son fonctionnement suranné, sa bureau­cratie étouffante. Le chapitre consacré à sa réforme aurait ­d’ailleurs pu davantage approfondir la question essentielle des finances de l’organisation. Mais, comme le note très justement l’auteur, « il ne faut pas demander à l’ONU d’être un gouvernement du monde, étroitement uni par un projet commun de société ». Celui qui « derrière ses lunettes en écaille » a assisté aux premières loges au discours de Dominique de Villepin contre la guerre en Irak sait que l’ONU est indispensable simplement parce qu’elle est. Et cette seule existence est, en soi, un « bien commun trop précieux pour que nous n’ayons pas l’ambition de le défendre et de le réformer ».

Morgan Larhant

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Les réfugiés climatiques

Tue, 03/10/2017 - 16:39

Dans sa chronique « Le Journal des idées » du 28 septembre dernier, Jacques Munier, chroniqueur chez France Culture, examine l’impact du climat sur les mouvements de population à travers le monde et sur les ressources naturelles, notamment en Arctique : il cite à ce titre le dossier « Arctique : une exploration stratégique » publié dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n° 3/2017).

« … Plus au nord, l’Arctique est un enjeu géopolitique en raison de ses nombreuses ressources naturelles : gaz et pétrole, minerais précieux comme le diamant et l’or, ou plus répandus comme le fer et le zinc. Géopolitique par la convergence des états impliqués : États-Unis, Canada, Russie, Norvège et Danemark – à travers le Groenland. C’est pourquoi la revue Politique étrangère propose dans sa dernière livraison « une exploration stratégique » de l’Arctique. Là, par un curieux paradoxe, la fonte des glaces arrange tout le monde car elle facilite l’accès aux ressources : « 13% des réserves mondiales de pétrole et 30% des réserves mondiales en gaz naturel ». Et elle permet d’étayer les revendications territoriales sur « des relevés scientifiques plus détaillés ».

Lire la chronique de Jacques Munier en entier sur France Culture.

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We Know All About You

Mon, 02/10/2017 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Jérôme Marchand propose une analyse de l’ouvrage de Rhodri Jeffreys-Jones, We Know All About You. The Story of Surveillance in Britain and America (Oxford University Press, 2017, 304 pages).

En s’intéressant aux systèmes de surveillance de masse implantés en Grande-Bretagne et aux USA depuis la seconde moitié du XIXe siècle, et traitant des secteurs public et privé, ce texte dresse une longue liste d’abus étatiques, mais invite à ne pas sous-estimer les menaces que posent le renseignement d’entreprise et le data-mining. Plutôt qu’une réflexion politologique ou sociologique, Rhodri Jeffreys-Jones propose une promenade historique et chronologique.

L’ensemble s’articule en 12 chapitres, riches en portraits et anecdotes. Il expose d’abord les opérations de fichage et de black-listing montées par le patronat américain et britannique. Suivent des passages plus politiques, exposant les connivences latentes entre Roosevelt et Hoover, revenant sur les purges anticommunistes des années 1940-1950, puis sur les menées « anti-radicales » des années 1960-1980 (COINTELPRO). Au final, We Know All About You aborde la question des régressions démocratiques enclenchées depuis une quinzaine d’années avec l’assentiment de larges blocs de citoyens-consommateurs.

Le sentiment d’ensemble ? L’auteur apporte des éléments de comparaison utiles pour appréhender opportunités et entraves que connaissent les « sécurocrates » des deux pays. En revanche, l’analyse se montre lacunaire. Plutôt synthétique et structuré jusqu’aux mesures régulatrices des années ­1970-1990 (de la commission Church aux initiatives de Tony Blair), We All Know About You perd en consistance à partir du chapitre 9, qui traite de l’impact des attentats du 11 Septembre. Les chapitres qui suivent, qui examinent les pratiques intrusives des grandes entreprises, l’affaire Snowden et les réformes prises de l’ère Cameron-Obama, se réduisent par moments à de simples déroulés événementiels. Entre autres exemples, l’affaire News of the World, ponctuée par le sabordage de cette publication, méritait mieux que le traitement des pages 198-200 – en particulier si l’on tient compte des mises en perspective du journaliste d’investigation Nick Davies dans Hack Attack (Random House, 2014).

Plus profondément, l’ouvrage donne l’impression d’osciller entre deux thèmes : la mise sous surveillance légale ou illégale de contingents sans cesse plus fournis de citoyens britanniques et américains d’une part, d’autre part la formation de réactions de contrôle démocratique à forte résonance médiatique. Cette dualité éclaire les compromis réalisés par tel ou tel grand décideur. Mais elle ne donne pas forcément une idée juste des luttes d’influence qui s’exercent dans les coulisses du pouvoir, sous l’impulsion d’une haute fonction publique concernée de près par le Big Business sécuritaire et ses sinécures dorées.

Point connexe, l’ouvrage manifeste une nette tendance à placer sur un même plan les déviances du public et du privé, sans relever la responsabilité particulière de politiciens ou de fonctionnaires qui violent délibérément des normes démocratiques qu’ils sont chargés d’appliquer de manière convaincante. Ce qui pose de tout autres problèmes d’érosion normative, de dé-légitimation institutionnelle, et de rupture d’hégémonie que les intrusions des grandes entreprises. La bibliographie est bonne, mais avec des absences notables concernant les agissements criminels des cabinets d’investigation barbouzards (Lubbers) et les retombées systémiques des débords étatiques (Tarrow).

Jérôme Marchand

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La Chine au risque de la dépendance alimentaire

Thu, 28/09/2017 - 10:22

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Marie-Hélène Schwoob propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Marc Chaumet et Thierry Pouch, La Chine au risque de la dépendance alimentaire (Presses universitaires de Rennes, 2017, 216 pages).

Jean-Marc Chaumet et Thierry Pouch brossent un tableau des problématiques de sécurité alimentaire auxquelles la Chine est aujourd’hui confrontée, et exposent en détail les causes de cette insécurité (évolution de la demande alimentaire chinoise, manque de ressources en terres et en eau, problématiques liées au foncier…), ainsi que les politiques mises en place par le gouvernement pour tenter d’apporter des réponses à ce qui reste encore aujourd’hui une priorité stratégique pour le pays : assurer un taux d’autosuffisance alimentaire minimal pour sa population.

Les deux premiers chapitres, qui plongent dans l’histoire de la Chine depuis la période des Royaumes combattants jusqu’au Grand Bond en avant, retracent la naissance et le développement de cette vision particulière que porte la Chine sur la sécurité alimentaire de son territoire. De l’utilisation de l’arme alimentaire par les royaumes jusqu’aux famines qui ont très durement frappé le pays – pour la famine du Grand Bond en avant (1958-1961), les pertes sont estimées entre 10 et 50 millions de morts –, l’histoire éclaire la volonté des dirigeants chinois d’aujourd’hui à prendre au sérieux cette question de la sécurité alimentaire, et à mettre tout en œuvre pour éviter d’engager le pays sur un modèle de dépendance aux importations de produits agricoles et alimentaires, à l’instar du Royaume-Uni ou du Japon.

Le livre s’attache également à démonter certaines idées reçues, s’affranchissant par exemple de la séparation généralement établie entre période maoïste et période dengiste, ou encore étudiant avec attention les chiffres réels du land grabbing, qui suscitent les craintes de « post-impérialisme » chinois en Afrique. Les auteurs font également des mentions très intéressantes du point de vue chinois sur les questions de sécurité alimentaire. Ils citent les travaux de nombreux universitaires ou relatent les débats sur la question des importations, qui malgré des réticences certaines, se sont récemment imposées comme inévitables pour l’approvisionnement de la population chinoise et la protection des ressources du territoire, déjà fortement dégradées par un productivisme forcené.

Le livre lie de manière passionnante ces questions agricoles internes à l’histoire de la pensée économique et à l’évolution actuelle de la géopolitique mondiale de l’alimentation. La thèse selon laquelle la Chine, qui aspire à être une puissance hégémonique, serait contrainte dans son accession à ce statut (voire menacée de déclin) par sa dépendance croissante aux importations alimentaires, peut faire débat dans un contexte où sa balance commerciale reste très fortement excédentaire, et où de nombreux autres facteurs de déclin économique entrent en compte. Il est cependant certain que, comme le soulignent les auteurs, cette dépendance alimentaire constitue une puissante force de rappel pour le pays, mais aussi à l’extérieur de ses frontières, pour la Chine comme pour d’autres pays. La Chine, du fait des quantités massives de produits agricoles qu’elle importe désormais, façonne et défait l’économie de territoires entiers hors de ses frontières. En éclairant l’impact majeur des politiques chinoises sur les tendances haussières et baissières des marchés internationaux agricoles, cet ouvrage pose une pierre fondamentale pour la compréhension de la géopolitique de la sécurité alimentaire mondiale.

Marie-Hélène Schwoob

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How NATO Adapts: Strategy and Organization in the Atlantic Alliance since 1950

Mon, 25/09/2017 - 10:36

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Jean-Yves Haine propose une analyse de l’ouvrage de Seth A. Johnston, How NATO Adapts: Strategy and Organization in the Atlantic Alliance since 1950 (Johns Hopkins University Press, 2016, 272 p.).

L’ouvrage de Seth Johnston se focalise sur la dimension institutionnelle de l’Alliance atlantique. Son hypothèse initiale, basée sur la théorie institutionnelle, et en particulier sa version dite historique de Peter Hall, estime que ces institutions ont joué un rôle important dans l’évolution et l’adaptation de l’Alliance. Même s’il n’est pas question d’ignorer le poids des intérêts nationaux, la force de la Realpolitik ou les nécessités imposées par les menaces stratégiques.

Pour étayer sa thèse, l’auteur définit tout d’abord des moments critiques, des périodes carrefours où la force de la Realpolitik s’efface au profit des volontés politiques, où les choix l’emportent sur la nécessité. Puis il met en lumière les différents moyens utilisés par l’institution pour gagner de l’influence : la définition de l’agenda, le choix et le lieu des réunions, le partage de l’information, la maîtrise du consensus, la sélection des experts et l’orientation de leurs études, le blocage ou ­l’obstruction bureaucratique… : autant d’outils qui permettent aux officiels d’orienter l’avenir, la trajectoire et la stratégie de l’Alliance.

L’auteur illustre cette influence de plusieurs cas historiques. Ainsi la guerre de Corée entraîna-t-elle une militarisation de l’Alliance, qui devait passer par le réarmement allemand. Celui-ci n’était pas nécessairement « atlantique » ; la voie européenne fut explorée, du plan Pleven à l’échec de la CED. Ces années furent mises à profit par les officiels de l’OTAN, notamment Charles Spofford au sein du Conseil, pour préparer l’Alliance à accueillir une Allemagne remilitarisée, jeter les bases d’une intégration militaire et d’une administration civile, et modifier sa stratégie dans le sens d’une défense de l’avant. Toutefois, entre le vœu exprimé par le secrétaire d’État Acheson, en septembre 1950, de « ­donner des dents » à l’Alliance, et le résultat de 1954, l’influence de l’institution resta secondaire.

La fin de la guerre froide fut une autre étape cruciale dans ­l’évolution de l’Alliance. Le règlement de la confrontation Est-Ouest offrait de ­nombreuses options diplomatiques: une sécurité européenne intégrée à l’UE, une Allemagne réunifiée mais neutre, une architecture de type OSCE renforcée, une Alliance politique avec un retrait militaire américain… Toutes ces voies furent négligées au profit de la préférence américaine pour le maintien de l’Alliance avec une Allemagne unie en son sein. Tel fut le choix fondamental opéré par l’administration Bush, telle fut la configuration de l’Alliance au lendemain de la guerre froide. Les acteurs institutionnels n’ont guère modifié ce choix.

Le grand mérite de cet ouvrage est de souligner le rôle des officiels dans l’adaptation de l’OTAN, du plan Spofford au rapport Harmel, des bons offices de l’ambassadeur de Staercke à l’influence de Solana. Reste que les nécessités de la géo­politique et la force des intérêts nationaux demeurent le guide essentiel pour comprendre l’histoire – certes exceptionnellement longue par rapport à l’âge moyen et la mortalité des alliances militaires – de l’Alliance atlantique. L’autonomie et l’influence de l’organisation existent mais restent faibles par rapport à la volonté des États, notamment le plus puissant d’entre eux, les États-Unis. L’administration Trump risque d’en apporter une illustration significative.

Jean-Yves Haine

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La quatrième révolution industrielle

Fri, 22/09/2017 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Klaus Schwab, La quatrième révolution industrielle (Dunod, 2017, 208 p.).

Klaus Schwab, fondateur et président du Forum économique mondial, analyse ici en profondeur la quatrième révolution industrielle, qui commence à transformer nos sociétés. La thèse de l’auteur est que les multiples innovations apparues depuis le début du siècle sont constitutives d’une nouvelle révolution industrielle. Il avance trois arguments pour étayer son point de vue : la rapidité du phénomène, son ampleur et son impact.

La matrice de cette quatrième révolution industrielle est la puissance de l’intelligence augmentée qui permet un accroissement sans précédent des capacités de production. Les conséquences sont évidentes : le travailleur insuffisamment qualifié est le perdant de cette mutation. À l’inverse, le détenteur de capital (financier, humain ou techno­logique) ressort gagnant. Klaus Schwab entrevoit deux obstacles à l’accomplissement de cette nouvelle révolution : l’inadaptation du système politique, économique et social, et l’absence de récit collectif expliquant les opportunités du monde en gestation.

L’étude de l’impact de ces changements technologiques occupe l’essentiel du livre. Cinq grands domaines sont passés en revue : l’économie et le monde de l’entreprise, d’une part ; l’État, la société et l’individu, d’autre part.

Les bouleversements économiques à attendre sont de taille : disparition de certains emplois (professionnels du télémarketing, conseillers fiscaux, secrétaires), plus grande autonomie des travailleurs et généralisation de la notion de « mission ». Une précarisation accrue est à craindre. Les entreprises auront les moyens d’augmenter leur production et leur productivité. Les stratégies de plateforme assureront une valorisation des biens et des services proposés. En contrepartie, il faudra investir massivement dans la sécurisation des données afin de lutter contre les cyberattaques.

Les États, quant à eux, gagneront en efficacité grâce à une nouvelle gouvernance numérique mais les défis sont nombreux. Le principal est sans doute la montée en puissance de micro-pouvoirs. Le meilleur (démocratisation et pluralisme) pourrait côtoyer le pire (cyberguerre et propagande antidémocratique). Ces chocs technologiques sont susceptibles de cristalliser des tensions politico-religieuses et d’aggraver les inégalités sociales. Les classes moyennes risquent d’ailleurs de se sentir déclassées dans une société toujours plus connectée, productive et transparente. L’individu améliorera son accès à l’information et au savoir mais perdra une partie de son empathie et de sa capacité à se concentrer. Cependant, c’est la recherche en matière génétique qui pose les questions éthiques et philosophiques les plus épineuses : les concepts d’identité et d’individu auront-ils encore un sens dans une génération ?

Les annexes sont tout aussi passionnantes. Sélectionnant 23 mutations majeures (telles que les technologies implantables, l’internet des objets, la maison connectée, la voiture autonome, l’intelligence artificielle dans le milieu professionnel, l’impression 3D, les neuro­technologies), Schwab présente systématiquement les enjeux ainsi que les effets positifs et négatifs attendus.

Cet ouvrage vaut le détour : clair, ­instructif, il n’occulte pas les diffi­cultés que pose la quatrième ­révolution industrielle.

Norbert Gaillard

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« Élections allemandes : le jour d’après » : 3 questions à Hans Stark

Wed, 20/09/2017 - 09:00

Auteur de l’article « Élections allemandes : le jour d’après » paru dans le numéro d’automne de Politique étrangère (3/2017), Hans Stark, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, répond à 3 questions en exclusivité pour politique-etrangere.com à quelques jours du scrutin allemand du 24 septembre.

1) La réélection d’Angela Merkel ne fait guère de doutes.
Comment expliquer la longévité de la chancelière allemande ?

La longévité politique d’Angela Merkel s’explique par de nombreux facteurs. La situation économique est jugée globalement bonne par les électeurs malgré une précarité persistante qui touche près d’un Allemand sur cinq. Merkel domine largement son propre parti dont elle assure la présidence depuis 2002 et a su écarter tous ses rivaux potentiels après son arrivée à la chancellerie. Par ailleurs, dans le passé, presque tous les chanceliers de la République fédérale ont profité d’une image favorable, ce que les Allemands appellent un « bonus de gouvernement », d’où la longévité d’Adenauer et de Kohl, voire de Schmidt et de Schröder. Aussi Merkel a-t-elle bénéficié d’un large soutien auprès des Allemands depuis 2005, à l’exception des années 2015 et 2016, pendant la crise migratoire qui a semblé lui échapper.

Enfin, après le Brexit et la victoire de Trump, elle rassure les électeurs dans un monde de plus en plus instable et s’est ouverte aux électeurs du centre-gauche par un certain nombre de décisions peu en phase avec l’idéologie politique de son propre parti, comme la sortie du nucléaire décidée en 2011, l’accueil des réfugiés en 2015 ou l’introduction du mariage pour tous en 2017. Toutefois, force est aussi de constater qu’une minorité non négligeable d’Allemands, notamment de l’Est, s’opposent vivement à Merkel et exigent son départ.

2) Angela Merkel devra constituer une coalition pour gouverner.
Quels scénarios peut-on envisager ?

D’après les derniers sondages qui rendent une coalition de centre/droite (donc CDU-CSU/FDP) peu probable faute de majorité au Parlement, deux coalitions semblent envisageables. La première réunirait la CDU-CSU, les libéraux du FDP et les Verts. Cette constellation n’est pas inconcevable, mais se heurte à deux obstacles. Elle n’a jamais existé à l’échelle nationale et elle suscite des remous au sein de la CSU, du FDP et des Verts qui s’entendent tous les trois avec Merkel, mais pas entre eux. Sur les questions économiques et sociales, tout oppose les Verts et le FDP. De même, sur les questions migratoires, qui ont fait leur retour dans le débat électoral allemand à la veille des élections, la CSU, le FDP et les Verts ne partagent pas du tout les mêmes conceptions. Une coalition « jamaïcaine » sera donc difficile à réaliser.

La deuxième coalition est celle qui est actuellement au pouvoir. Mais le SPD, s’il essuie une défaite trop lourde, y réfléchira par deux fois au moins. Car les grandes coalitions l’affaiblissent et elles profitent aux extrêmes. D’où la montée de l’AfD qui pourrait, avec un score à deux chiffres, devenir le troisième parti d’Allemagne et incarner l’opposition au Bundestag si le SPD entre de nouveau au gouvernement. Un scénario que beaucoup de sociaux-démocrates pourraient vouloir éviter, malgré l’attrait du pouvoir (et des privilèges qui l’accompagnent). Enfin, seul un passage dans l’opposition permettra au SPD de retrouver sa base électorale et de constituer, à terme, un programme commun avec Die Linke et les Verts en vue des élections de 2021. Une telle perspective pourrait amener les sociaux-démocrates à dire non à la chancelière qui sortirait alors certes victorieuse des élections de 2017 mais en grande difficulté pour former un gouvernement.

3) Quel impact sur la relation franco-allemande ces élections peuvent-elles avoir ?

Angela Merkel s’est ouverte aux propositions d’Emmanuel Macron quant aux changements que ce dernier propose pour la zone euro. C’est une bonne nouvelle pour le couple franco-allemand. Mais la réalisation de ces desseins a plus de chances de réussir si le SPD, qui a fait de la relance européenne un des points centraux de son programme politique, se maintient au pouvoir. Le FDP en revanche, même s’il ne s’agit pas d’un parti eurosceptique mais au contraire d’un parti pro-européen et pro-occidental, est traditionnellement très hostile au pilotage politique de l’économie, que ce soit à l’échelle nationale ou bien au niveau européen. Il partage ainsi l’hostilité de l’AfD contre des politiques de soutien financier aux pays du sud de l’UE ou des politiques de relance de l’économie par le biais d’investissements politiques (surtout s’ils sont financés en grande partie par l’Allemagne).

Dans une coalition avec le FDP, la politique d’austérité sera sans doute maintenue tout comme la politique de soutien aux exportations – ce qui n’est pas dans l’intérêt de ceux qui prônent une Allemagne plus « solidaire ». Enfin, plus l’AfD sera forte, plus le FDP et même la CDU-CSU se verront contraints de faire valoir les intérêts allemands au sein de l’eurozone et de l’UE. L’entrée au Bundestag de l’AfD, notamment si cette dernière dépasse le score des trois autres « petits » partis, va changer la donne politique en Allemagne.

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Retrouvez l’article de Hans Stark sur Cairn.

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How Statesmen Think: The Psychology of International Politics

Mon, 18/09/2017 - 11:42

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Jérôme Marchand propose une analyse de l’ouvrage de Robert Jervis, How Statesmen Think: The Psychology of International Politics (Princeton University Press, 2017, 304 pages).

Robert Jervis, auteur du magistral Perception and Misperception in International Politics (Princeton University Press, 1976), nous ­propose un recueil de textes publiés entre 1982 et 2010 dans des revues scientifiques ou des ouvrages collectifs. Certaines contributions ont été actuali­sées. C’est le cas notamment de celle traitant de la théorie des ­dominos (chapitre 11), qui s’est délestée de passages consacrés aux postures USA-URSS du temps de la guerre froide. L’auteur n’a pas pour autant procédé à un grand travail de réécriture, ce dont on lui saura gré.

Une fois complétée la première ­lecture, la juxtaposition de textes connus et moins connus, étalés sur plus de 25 ans, s’avère précieuse pour comprendre comment Jervis a enrichi ses réflexions, et adapté ses interrogations aux problèmes de sécurité du XXIe siècle. Le tout sans se départir de sa curiosité pour les matériaux empiriques et les cas d’étude historiques. Ni renoncer à comprendre ce qui amène des acteurs a priori « éclairés » à former de faux jugements sur eux-mêmes, leurs adversaires, leurs manières respectives de traiter les situations conflictuelles, leurs coups optimaux, puis à s’y accrocher.

S’agissant de sa structure, How Statesmen Think se divise en quatre ­sections. L’ouvrage examine d’abord les concepts clés de la psychologie politique (croyances, inconsistances…), puis passe aux biais cognitifs et aux schémas heuristiques préférentiels des grands décideurs (chapitres 3 et 4). Vient ensuite une série de textes observant les connexions entre ces acquis et certains des problèmes récurrents auxquels font face théoriciens et praticiens des relations internationales : distorsions entre la projection de signaux intentionnels et le décodage opéré par les destinataires, mauvaise articulation entre leaders gouvernementaux et renseignement d’État, impact des identités nationales sur les représentations de l’adversaire principal… Également à signaler dans cette troisième partie : un essai plus abstrait, « Political Psychology Research and Theory » (chapitre 6), qui évoque les multiples obstacles empêchant l’optimisation graduelle des processus décisionnels. La dernière partie de l’ouvrage aborde la manière dont les perceptions élitaires de la « réalité objective » affectent le décodage des crises et des scénarios de crise.

Dans un style exigeant, How Statesmen Think donne à la fois d’abondants exemples et de multiples aperçus conceptuels. Certaines sections manquent peut-être de limpidité. C’est le cas, notamment, de « Psychology and Crisis Stability » (chapitre 10). Plus généralement, le découpage thématique laisse un sentiment de flottement, la transition entre les chapitres se faisant par bonds. Un esprit grincheux relèverait en outre que l’auteur revient sans cesse sur la confrontation ­USA-URSS du temps de la guerre froide, au risque de négliger ce qui se passe dans des environnements moins structurés et moins « ritualisés ». Mais dans l’ensemble les vertus prédominent. Compte tenu des blancs laissés par la théorie du choix rationnel et la théorie des jeux, ce type d’ouvrage enrichit considérablement la compréhension des « boîtes noires » d’où se dégagent les buts et les choix de politique étrangère des États-nations modernes. Et il livre bien entendu une multitude de clés utiles pour comprendre et anticiper les risques que pose la twitto-présidence Trump.

Jérôme Marchand

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La chasse aux idées reçues

Fri, 15/09/2017 - 10:00

Le blog Reflets du Temps, qui consacre une large place aux questions internationales, a publié mercredi 13 septembre un article mettant à l’honneur le numéro d’été (n° 2/2017) de Politique étrangère : « ASEAN : 50 ans d’une expérience singulière ».

 

Inattendu, peut-être, ce regard sur la revue de PE de l’IFRI, cet été, mais bien réel. Que d’idées reçues, en effet, toutes faites et boulonnées, dans nos représentations, et en géopolitique, pas moins qu’ailleurs ! Le propre des chercheurs étant de les désigner et de tenter de les redresser. Dans ce numéro, la pêche est particulièrement bonne pour les lieux où stagnent les idées reçues, et réjouissants, leur déboulonnage et, sans doute, la saine déstabilisation qui suit, seule capable de faire avancer notre regard sur le monde, première mission que se donne l’IFRI.

Le sujet principal, ASEAN ; 50 ans d’une expérience singulière, est un nid d’idées reçues, notamment par sa situation périphérique dans les informations quotidiennes que nous utilisons, et, par ces monceaux d’ignorance, ces lacunes, et autres trous d’ombre, dans « notre » géopolitique personnelle, se révélant reléguée à un « quelque chose d’uni, aux bords de la grande Chine ». Fondée en 1967, l’ASEAN, allie Indonésie, Malaisie, Singapour, Philippines, Thaïlande, Brunei, Vietnam, Laos, Birmanie, Cambodge, unis en cercles progressifs. Union d’Asie du Sud-Est, à la fois comparable, au premier regard du moins, à notre Union européenne, et tellement différente – parallèle pédagogique énoncé dès l’introduction. On a là une marche discrète et continue, des « procédures et institutions légères, sans gouvernement central, ni fantasme d’unification politique » ; l’idée reçue chez nous étant – là, comme ailleurs, mais là, significativement – de penser tout à notre aulne, que nos analyses, procédures et même difficultés sont modélisables à l’infini. Or, si l’ASEAN sera demain bien obligée de marcher différemment avec l’émergence chinoise et son poids, l’IFRI rappelle à notre point de vue européen que « le monde est tout humain, mais nous ne sommes pas toute l’humanité ». Cinq forts articles devraient participer à « nous caler » le regard, sur cette fondamentale partie du monde.

La rubrique Contrechamps s’attaque avec deux articles essentiels à l’Union européenne, particulièrement :« Zone Euro : sous les dettes, la croissance ? ». Crise, croissance, dettes… triptyque d’importance en matière de représentations tenaces et peut-être fallacieuses, en matière de thèse, point de vue arrêté, genre front contre front, encore davantage. Quel débat, chez nous, n’aborde pas, même aux marges, ce sujet ?

Un premier article, très argumenté : « Les politiques européennes et le futur de l’Euro » met à mal « l’interprétation politique dominante accusant les excès de dette publique accumulés par des pays du sud, dits indisciplinés, ayant ainsi financé leur État providence ». Idée reçue, s’il en est, dans l’imaginaire de chacun sur les problèmes actuels d’une Europe en dérive, voire en échec. Des responsables désignés, pas vraiment loin du bouc-émissaire, toujours utile. On reconnaît dans le développement des pans entiers d’opinions politiques, partitaires, en France et en Europe. Mais, les compétences économiques de l’auteur, sa capacité pédagogique à poser les idées reçues, les décrypter avant d’avancer d’autres hypothèses étayées, donnent à cet exposé une force convaincante et armée qui manque à plus d’un débat. Le second article se pose « en face », et nous y reconnaissons là aussi l’argumentaire face B, prôné dans maints débats ; les mêmes évidemment : « stabilité et croissance en zone euro ; les leçons de l’expérience ». Le « retour au réel » est fortement convoqué ; « la croissance et l’emploi ne proviennent pas des miracles de la manne répandue par les États ou des fabricants de bulles spéculatives, mais bien du travail productif, de l’épargne et de l’investissement ».

Confrontant ces deux lectures, toujours étayées, comme d’usage à PE, de références multiples et précises, faut-il dire qu’on en sort, interrogés, mieux armés face à ce temps européen qui est notre logiciel indépassable.

Pour lire l’article en entier, cliquez ici.

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La Turquie. L’invention d’une diplomatie émergente

Thu, 14/09/2017 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Aurélien Denizeau propose une analyse de l’ouvrage de Jana J. Jabbour, La Turquie. L’invention d’une diplomatie émergente (CNRS Éditions, 2017, 344 pages).

Alors que la Turquie traverse une série de crises intérieures qui mettent en danger son caractère démocratique, et que sa diplomatie n’en finit pas de surprendre, cet ouvrage apporte un éclairage original sur une politique étrangère parfois déroutante. C’est sous l’angle de l’émergence que Jana Jabbour choisit d’aborder ce thème : il s’agit pour elle de démontrer comment l’activisme diplomatique turc est en réalité symptomatique d’une
« diplomatie émergente ».

Dès les premiers chapitres, ce concept est explicité : puissance moyenne aspirant à une plus grande place dans les relations internationales contemporaines, la Turquie poursuit cet objectif par un activisme tous azimuts, tâchant en particulier de se ménager une sphère d’influence dans son environnement régional, au Moyen-Orient. De manière assez classique, l’ouvrage est divisé en trois grandes parties présentant respectivement la genèse de cette doctrine diplomatique originale, les outils sur lesquels elle peut s’appuyer, et les limites qu’elle rencontre. Ce dernier thème, en particulier, permet de comprendre comment une doctrine qui paraissait si ambitieuse s’est montrée incapable de répondre aux défis posés par les révolutions arabes et la guerre civile syrienne.

L’ouvrage de Jana Jabbour tombe à point nommé pour faire une synthèse de la politique étrangère mise en œuvre par Ankara depuis le début des années 2000. Il permet d’éclairer les ressorts et les objectifs de cette « diplomatie émergente » et, par là même, de questionner plus généralement la notion d’émergence dans les relations internationales. En ce sens, cet ouvrage n’intéressera pas seulement les spécialistes de la Turquie, ou les néophytes désireux de mieux comprendre sa politique étrangère, mais également ceux qui travaillent sur d’autres puissances émergentes. L’ouvrage est d’ailleurs émaillé de comparaisons avec des pays comme l’Inde, la Chine ou le Brésil, qui permettent de comprendre les stratégies mises en place par ces puissances moyennes, tout en soulignant la spécificité turque. En effet, et de l’aveu même de l’auteur, la diplomatie mise en œuvre par Ankara se distingue, parmi les puissances émergentes, par son ancrage dans une région très instable, mais aussi et surtout par son refus d’une opposition frontale aux pays occidentaux.

Dans certains chapitres, Jana Jabbour approfondit des thèmes plus spécifiques, qui ouvrent de nouvelles interrogations sur la politique intérieure et extérieure turque. On s’intéressera notamment à la question des think tanks turcs ; l’auteur explique comment ces derniers, plutôt que de produire un travail d’analyse objective, ont joué le rôle de courroie de transmission du gouvernement turc, se chargeant tout à la fois de légitimer
« scientifiquement » ses orientations diplomatiques nouvelles, et de rétablir des liens avec les sociétés civiles moyen-orientales. Plus généralement, l’auteur aborde la question des organismes non étatiques (ONG, minorités ethniques, groupes d’influence) utilisés par la diplomatie turque. Elle rappelle notamment le rôle joué dans cette dernière par la puissante confrérie de Fethullah Gülen, aujourd’hui accusée par le président Recep Tayyip Erdogan d’avoir fomenté le coup d’État manqué de juillet 2016, mais qui a largement facilité dans les années 2000 la politique publique turque vis-à-vis du Moyen-Orient, de l’Afrique et de l’Asie centrale.

Aurélien Denizeau

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Syrie : analyse croisée

Mon, 11/09/2017 - 11:42

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri, propose une analyse croisée des ouvrages de Jean-Pierre Filiu, Le Miroir de Damas. Syrie, notre histoire (La Découverte, 2017, 240 pages) et de Frédéric Pichon, Syrie : une guerre pour rien (Éditions du Cerf, 2017, 192 pages), et de l’étude de Michel Duclos, Syrie : en finir avec une guerre sans fin (Institut Montaigne, 2017).

La tragédie syrienne, qui entame sa huitième année, continue de nourrir un débat interne parfois vif. À ceux qui apportent leur soutien aux « rebelles » et réclament le départ de Bachar Al-Assad, qualifié de criminel de guerre, s’opposent ceux qui estiment que les pays occidentaux, par impuissance ou naïveté, ont contribué à répandre le chaos dans un Moyen-Orient dont la stabilité avait déjà été affectée par l’intervention américaine de 2003 en Irak.

Ces deux livres, Le Miroir de Damas et Syrie : une guerre pour rien, écrits par deux auteurs qui connaissent bien ce pays pour y avoir vécu, participent à ce débat et proposent deux lectures diamétralement opposées de la situation, de ses déterminants profonds, comme du jeu des acteurs de ce drame. Comment en est-on arrivé là ? Qui est responsable de cette « guerre pour rien » ? Autant de questions auxquelles Jean-Pierre Filiu et Frédéric Pichon essaient de répondre à partir d’approches totalement divergentes.

Jean-Pierre Filiu a toujours exprimé une forte sympathie à l’égard des rebelles syriens, comme en témoignent son ouvrage récent Je vous écris d’Alep (Denoël, 2013) ou son blog Un si proche Orient. Il situe cette fois-ci son propos dans une perspective résolument historique, en soulignant que l’histoire de la Syrie est également, pour reprendre le sous-titre du livre, « notre histoire ». « N’oublions jamais », écrit-il à la dernière ligne de son livre, « qu’un peu de notre destin, à nous ici, se joue chez eux, là-bas ». En effet, l’Europe, et plus encore la France, se sont trouvées impliquées dans l’histoire de ces « espaces de Syrie… saturés d’une histoire complexe » et souvent violente. Les croisades, le régime des Capitulations mis en place dès le XVIe siècle, la protection des chrétiens d’Orient, l’intervention française de 1860 à la suite des massacres de chrétiens, le rôle de la France dans le dépeçage de l’Empire ottoman et son mandat sur le Liban et la Syrie, une politique active d’intervention depuis le début de la Ve République : tout montre que l’histoire de la Syrie est une partie de notre histoire. Cela signifie-t-il que nous avons une part de responsabilité dans la tragédie syrienne d’aujourd’hui ? Filiu n’est pas loin de le penser. Après avoir évoqué la façon quelque peu chaotique dont a été exercé le mandat, il ajoute : « Comment ne pas trouver dans ce triste feuilleton mandataire les échos de la conflagration actuelle ? »

À cet égard, l’auteur évoque l’évolution de la politique française, soulignant à juste titre ses variations et ses contradictions. La « guerre des ombres » menée par Hafez Al-Assad contre François Mitterrand va de l’assassinat de l’ambassadeur de France au Liban à l’attentat contre le Drakkar, où périssent en 1983 58 soldats français, et se termine par la visite du président français à Damas en 1984 – pour tourner la page. Jacques Chirac, sur le conseil de Rafic Hariri, développe des liens personnels avec Hafez Al-Assad, aux obsèques duquel il sera le seul chef d’État occidental à se rendre. Il reçoit les dividendes de ce rapprochement lors de l’opération « Raisins de la colère », qui aboutit, grâce à l’appui du président syrien, à la mise en place d’un comité de surveillance co-présidé par la France et les États-Unis, comité permettant de protéger la souveraineté libanaise contre les incursions d’Israël. Sa prévenance à l’égard de Bachar Al-Assad qu’il voit comme un réformateur est pourtant rapidement déçue : après l’assassinat de Rafic Hariri, Jacques Chirac bascule dans un affrontement déterminé avec le régime. Quant au président Sarkozy, il passe, comme à son habitude, d’un excès à l’autre, invitant Bachar Al-Assad à Paris le 14 juillet 2008 pour participer au lancement de l’Union pour la Méditerranée, le recevant chaleureusement en décembre 2010 à Paris, avant d’exiger quelques semaines plus tard le départ d’un chef d’État qui « tire contre son peuple ».

En fait, le livre de Jean-Pierre Filiu confirme que la Syrie, le pays de Cham qui s’étend du Taurus au Sinaï, a été au cours des siècles un espace de violences continues, comme l’irruption des croisés, la dévastation de Damas et le pillage d’Alep par Tamerlan en 1401, ou le bombardement de Damas par les troupes ­françaises en 1925. Il note que des événements récents peuvent trouver de troublantes analogies dans un passé parfois lointain. Il juge ainsi que la présidence d’Hafez Al-Assad est tout aussi « implacable que le califat de Moawiyya », fondateur de la dynastie des Omeyyades. Quant à l’utilisation de la faim comme arme de guerre, il rappelle le précédent ottoman de 1915 envers les Arméniens.

Pour sa part, Frédéric Pichon donne une analyse sans complaisance de la situation de la Syrie d’aujourd’hui, et une critique de la position des pays occidentaux, et donc de la France. Il relève la capacité de résilience du régime, manifestement ­sous-estimée, ce dernier continuant à bénéficier non seulement de l’appui des minorités alaouite, druze et chrétienne mais également de celui d’une partie de la ­bourgeoisie sunnite intégrée au pouvoir. Pour l’auteur, « le système en vigueur à Damas cumule le double héritage historique du clientélisme clanique et des méthodes soviétiques ». Il note également que « la brutalité de la répression, les méthodes d’infiltration, le retournement des adversaires, la torture et la propagande grossière sont encore là », et contribuent au succès sur le terrain, notamment à Alep. Le régime est certes affaibli, mais il tient une « Syrie utile », qui représente le tiers du territoire mais les deux tiers de la population, où la vie quotidienne se déroule selon une certaine normalité. L’affaiblissement est pourtant celui du baasisme, et du régime lui-même, qui doit désormais composer avec « un entreprenariat milicien », et la présence de plus en plus encombrante de la Russie et de l’Iran.

La détermination russe et iranienne à défendre le régime a été à l’évidence également sous-estimée. Dès 2011, l’appui russe est à la fois économique – approvisionnement en produits pétroliers raffinés – et politique – vétos systématiques à des projets de résolution déposés auprès du Conseil de sécurité. Il prend une nouvelle dimension en septembre 2015, avec des frappes aériennes de forte densité. Pour Frédéric Pichon, « la cohérence et l’efficacité de l’appui russe […] apparaissent à juste titre comme remarquables ». L’Iran, pour sa part, s’est engagé à la fois indirectement, par le Hezbollah et des milices chiites composées de combattants irakiens et afghans, et de plus en plus directement à travers la force Al-Qods, des Gardiens de la Révolution. Son chef, le général Qassem Soleimani, est devenu un véritable proconsul qui pèse sur la politique intérieure syrienne. Ces appuis ont été déterminants pour éviter la chute du régime en 2015, et pour entamer la reconquête des zones d’opposition modérée, notamment la reprise d’Alep. Face à cette détermination, l’auteur ne peut que constater la pusillanimité des pays occidentaux, et leur échec à aider efficacement une opposition divisée et de plus en plus radicalisée.

Frédéric Pichon est particulièrement critique de la politique, ou plutôt de « l’irrealpolitik », suivie par la France d’abord avec Nicolas Sarkozy puis François Hollande, et du « naufrage de la diplomatie française ». Il y voit l’effet de l’influence des « néoconservateurs » français, qui entretiennent des liens étroits avec les think tanks américains, et dont le paradigme se situe, selon lui, entre « brutalité guerrière et posture humanitaire, de relativisme et d’essentialisme tout à la fois ». Il ajoute : « La dernière décennie a illustré l’épuisement de la prophétie occidentaliste : ses valeurs ont définitivement sombré dans les montagnes afghanes et les déserts irakiens. » D’une façon plus générale, il estime que le conflit syrien est le révélateur des « basculements inédits de l’ordre international […] Se joue aussi sur le théâtre syrien la progressive paralysie de l’Occident entravé dans ses actes mais aussi ses mots, donnant la pénible impression d’un monde qui lui échappe ». De fait, son livre élargit le propos à des considérations sur l’islam, sur la réaction de l’Occident face au terrorisme, et le sort des chrétiens d’Orient.

La lecture de ces deux ouvrages permet de mieux comprendre les enjeux et les termes d’un débat qui n’est pas près de se clore. Au Moyen-Orient rien n’est simple, et ces deux livres tentent d’en décrypter la complexité.

Celle-ci est bien mise en lumière dans l’étude très complète intitulée « Syrie : en finir avec une guerre sans fin » rédigée par Michel Duclos, ancien ambassadeur en Syrie, et que vient de publier l’Institut Montaigne. Cette étude, qui se présente comme une défense et illustration de la politique française menée depuis 2011, évoque successivement « les leçons de la crise syrienne », « la nature du régime », « fin de partie ou guerre sans fin », avant de proposer six orientations pour contribuer à résoudre le conflit. Au nombre de celles-ci, figurent notamment l’absolue nécessité d’instaurer un cessez-le-feu, la nécessaire intensification du dialogue stratégique avec la Russie, la constitution d’une force de stabilisation issue de la rébellion arabe sunnite, la refonte du processus de transition. L’auteur ne dissimule pas la difficulté de l’exercice, compte tenu du rapport de forces actuel.

De fait, la tragédie syrienne n’est pas seulement une guerre entre « l’opposition modérée » et le régime. Cette guerre, au départ civile, est devenue un conflit régional voire international aux conséquences considérables, impliquant un grand nombre d’acteurs. Des affrontements nouveaux s’y sont développés : entre l’opposition et les groupes djihadistes, entre l’EI et l’émanation syrienne d’Al-Qaïda, entre la Turquie et les Kurdes syriens contrôlés par le PKK, entre les États-Unis et l’Iran, voire entre les États-Unis et la Russie.

Ces contributions nourriront opportunément le débat à un moment où une nette inflexion est apportée par le président Macron à la politique française dans cette zone sensible.

Denis Bauchard

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Élections allemandes : le jour d’après

Fri, 08/09/2017 - 11:15

La rédaction a le plaisir de vous offrir à lire ce second article, « Élections allemandes : le jour d’après », écrit par Hans Stark, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, et paru dans notre nouveau numéro, « Arctique : une exploration stratégique ».

Alors que l’alternance régulière, sinon le « dégagisme », semble à la base du fonctionnement des démocraties occidentales, la République fédérale constitue visiblement une exception. Selon toute probabilité, le 24 septembre prochain, le Parti chrétien-démocrate (CDU) d’Angela Merkel remportera une nouvelle fois les législatives.

Vers novembre ou décembre 2017, le prochain contrat de coalition signé, le Bundestag élira Angela Merkel pour la quatrième fois consécutive à la chancellerie – phénomène sans égal dans le monde dit libre, sauf justement en Allemagne qui a vu Konrad Adenauer et Helmut Kohl élus chancelier à quatre reprises. En d’autres termes, la campagne électorale s’achève avant même d’avoir commencé, tant les sondages sont sans appel : depuis mai 2017, la CDU-CSU bénéficie d’une avance stable de 15 points sur le SPD (Parti social-démocrate). Aucune majorité ne se profile contre la CDU. La chancelière dispose, en revanche, de multiples options pour les quatre prochaines années, allant de la simple poursuite de la « grande coalition » avec le SPD, à une coalition de centre-droit avec les libéraux du FDP (Parti libéral-démocrate), en passant par la formule tripartite d’une coalition « jamaïcaine » rassemblant la CDU-CSU, le FDP et les Verts.

Angela Merkel – une chancelière incontestée ?

Tout semble donc sourire à Angela Merkel. Elle règne sans partage sur la CDU, qu’elle préside depuis 2000, et profite à la fois des faiblesses de son challenger social-démocrate Martin Schulz et des déchirures des leaders du parti populiste d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD). De plus, une hypothétique alliance de gauche plurielle rassemblant le SPD, les Verts et le parti d’extrême gauche Die Linke, non seulement n’a pas de majorité dans le pays mais, surtout, n’aurait aucune chance de tomber d’accord ne serait-ce que sur une timide ébauche de programme commun. Pourtant, même victorieuse des élections de 2017, Angela Merkel entamera un quatrième mandat qui sera sans doute le plus difficile de sa carrière.

Rappelons que même en Allemagne la vie politique d’un chancelier chrétien-démocrate peut avoir une fin. Et c’est souvent le quatrième mandat qui sonne le glas. Après quatre victoires consécutives entre 1949 et 1961, Konrad Adenauer, pourtant vénéré comme père fondateur de la République fédérale, ne fut « toléré » par son parti à la chancellerie que contre sa promesse, contrainte et forcée, d’un retrait à mi-parcours de son quatrième mandat. Quant à Helmut Kohl, le tout aussi auréolé « chancelier de l’unité » a bel et bien terminé son quatrième mandat et brigué même un cinquième en 1998. Mais ce fut contre l’avis, et la volonté, des autres ténors de la CDU, qui lui avaient préféré Wolfgang Schäuble, pourtant paralysé après l’attentat de 1990. Helmut Kohl a perdu devant Schröder – défaite d’autant plus lourde que sur les 18 législatives de la République fédérale entre 1949 et 2013, le SPD n’a devancé la CDU-CSU qu’à deux reprises, en 1972 et 1998. Et il est peu probable que cette tendance s’inverse en 2017.

Réélue, Angela Merkel sera donc inévitablement confrontée à la question : compte-t-elle aller au bout de son mandat et candidater à nouveau, ou choisira-t-elle le moment propice pour se retirer et permettre à son successeur désigné – dont nul ne connaît aujourd’hui l’existence – de préparer la campagne de 2021 dans des conditions permettant aux chrétiens-démocrates de l’emporter ? Cette inconnue va inévitablement affaiblir la chancelière qui, pourtant, entame la campagne de 2017 dans de très bonnes conditions. Si les sondages créditent son parti de 40 % des voix – score absolument exceptionnel après douze années de pouvoir – c’est qu’aucune volonté de changement ne se fait sentir outre-Rhin, en tout cas pas à l’échelle de la majorité des électeurs. Cette quête de continuité et de stabilité – qui résulte aussi des soubresauts du Brexit et de la victoire de Trump – se reflète dans les sondages qui ont toujours été positifs pour la chancelière, à l’exception de la période été 2015-été 2016, durant la crise des réfugiés, où une majorité d’Allemands, pourtant très mobilisés pour permettre leur accueil humain, a demandé une inflexion de la politique de la chancelière.

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PE 3/2017 en librairie !

Wed, 06/09/2017 - 17:22

Le nouveau numéro de Politique étrangère (3/2017) vient de paraître ! Il consacre un dossier complet à l’Arctique et ses enjeux stratégiques, tandis que le « Contrechamps » se concentre sur l’Arabie Saoudite et son environnement régional. Enfin, comme à chaque édition, de nombreux articles viennent éclairer l’actualité, comme les élections allemandes ou encore la crise du Golfe.

Deux espaces stratégiques sont à l’honneur dans le numéro de la rentrée de Politique étrangère.

L’un, l’espace Arctique, aligne les enjeux : militaires, énergétiques, climatiques, économiques et commerciaux. Avec des revendications qui se croisent, s’opposent, mais essaient de dialoguer dans un multilatéralisme tempéré. L’Arctique serait-il la survivance d’un multilatéralisme mal en point, ou l’annonce d’une société internationale mieux gérée en commun ?

Tout autre tableau : celui qu’offrent le Golfe arabo-persique et le Levant. Des rivalités ouvertes de puissances régionales qu’échouent à maîtriser des puissances extérieures démonétisées. La crise qui oppose l’Arabie Saoudite au Qatar n’est que l’écho d’oppositions mal stabilisées, d’une recomposition régionale (entre Arabie, Iran, Turquie…) dont les dynamiques nous échappent. Le tout dans une région qui demeure stratégiquement essentielle, pour tous les acteurs globaux, y compris en Asie.

Plus proches de nous : les élections allemandes de septembre 2017. L’inconnue n’est pas tant le nom du vainqueur que sa marge de manœuvre future. Angela Merkel disposera-t-elle de la coalition qui lui permettra de prendre les bonnes décisions pour l’Europe, avec un partenaire français qui est à la fois demandeur… et attendu ? »

* * *

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Transition énergétique. Une chance pour l’Europe

Mon, 21/08/2017 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Carole Mathieu, chercheur au Centre Énergie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Claude Turmes, Transition énergétique. Une chance pour l’Europe (Les Petits Matins, 2017, 480 pages).

De prime abord, la politique énergétique européenne est un empilement de directives, règlements et autres lignes directrices. Bien qu’inscrite au cœur du projet européen depuis les premiers traités, elle reste sans ambition claire car il lui faut sans cesse composer avec une contrainte de taille : respecter la souveraineté des États membres en matière de définition de leurs bouquets énergétiques.

Pourtant, la politique européenne de l’énergie traite de sujets aussi fondamentaux que l’organisation des marchés électriques et gaziers, la gestion des risques d’approvisionnement ou encore la régulation des émissions de gaz à effet de serre. Elle s’est considérablement enrichie depuis les années 1990, si bien que débattre de l’avenir énergétique d’un État membre en particulier n’a aujourd’hui de sens que si l’on prend en compte cet échelon européen.

Incontestablement, la politique énergétique européenne est peu et mal considérée dans les débats nationaux, et c’est à ce travers que l’eurodéputé Turmes entend s’attaquer. Militant écologiste luxembourgeois, élu au Parlement européen depuis 1999 et membre parmi les plus actifs du comité en charge des questions énergétiques, il livre ici le récit d’un combat politique mené depuis bientôt deux décennies. En décryptant les coulisses bruxelloises, il donne à la politique énergétique européenne un visage plus humain et permet au lecteur de saisir la cohérence d’ensemble de ce vaste projet.

La première partie de l’ouvrage présente le témoignage d’un parlementaire engagé pour le succès de la transition énergétique européenne. Les travaux législatifs sont resitués dans la dynamique politique de l’époque. Le rôle décisif joué par certains personnages publics ou certaines institutions est aussi systématiquement mis en avant, que ces derniers aient œuvré en faveur ou contre les initiatives européennes. Si l’auteur souligne que le travail accompli est immense, il juge aussi très sévèrement les multiples tentatives de sabotage, orchestrées par les lobbies industriels et leurs alliés dans les capitales européennes. Ses observations servent souvent de leçons pour l’avenir, comme lorsqu’il évoque le défaut de calibrage initial du marché carbone européen, pour conclure que ce mécanisme pourrait, au mieux, servir de filet de sauvetage à la politique climatique européenne, mais qu’il ne saurait constituer son seul point d’appui.

Vient ensuite une partie de nature programmatique. Chaque chapitre couvre une thématique, en rappelle les enjeux, discute la pertinence des règles européennes et présente enfin des recommandations. Ce livre est donc aussi une réflexion argumentée et originale sur ce que devrait être la transition énergétique européenne et comment les citoyens européens pourraient en tirer le plus grand bénéfice. L’auteur clôt son propos en évoquant deux événements récents, le Brexit et la publication des propositions de la Commission pour mettre en œuvre les objectifs Climat 2030. Ces mentions de l’actualité la plus brûlante illustrent une fois encore la vigueur du débat énergétique européen. Néanmoins, elles nourrissent peut-être aussi le sentiment que, malgré la clarté des propositions de l’auteur pour faire de la transition énergétique « une chance pour l’Europe », son combat risque d’être bien long, tant la machine bruxelloise est complexe et tant l’avenir de l’Union européenne est incertain.

Carole Mathieu

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Violences de guerre, violences de masse

Fri, 18/08/2017 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Yaël Hirsch propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Jean Guilaine et Jacques Sémelin, Violences de guerre, violences de masse. Une approche historique (La Découverte/Inrap, 2016, 400 pages).

Cet ouvrage regroupe 22 communications au colloque international « Archéologie de la violence. Violence de guerre, violence de masse » organisé par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et le musée du Louvre-Lens en 2014, et éclaire les enjeux d’un renouvellement de la discipline archéologique. En fouillant vestiges et ossements, en reconstituant des scènes de mort, elle « dénonce les maquillages, les outrances et les perversions » de l’histoire contemporaine.

La première partie montre comment l’archéologie permet d’affirmer que la violence n’est pas inhérente à la condition humaine. L’impossibilité (jusqu’ici) de trouver un site où les corps porteraient des traces de violence volontaire et communautaire avant 12 000 av. J.-C. (avec le Site 117 des bords du Nil) semble bien prouver que la guerre apparaît au prénéolithique, avec une mutation des conditions démographiques, climatiques et techniques. L’étude de fosses communes antiques comme Tell Brak (4 000 av. J.-C.) ou Himère (Ve siècle av. J.-C.) montre quelles sont les pratiques de guerre par l’état des corps (décapitations, blessures, inhumation) et les armes laissées sur le terrain.

La deuxième partie questionne la méthodologie. Qu’est-ce qu’une « zone de combat » ? Que fait-on quand on exhume la tombe d’un personnage célèbre comme Richard III, et comment utiliser les sources textuelles ? Enfin, comment l’archéologie transforme-t-elle ses outils forgés par l’étude de civilisations antiques pour l’étude des « guerres totales » contemporaines ?

Le troisième chapitre parle de l’histoire moderne comme de « l’avènement de la guerre totale » comme si les violences européennes d’États en formation n’avaient été que des prémices aux meurtres de masse du XXe siècle. L’étude de plusieurs villages abandonnés en Bohême durant la guerre de Trente Ans montre que c’est en multipliant les sites que le travail archéologique peut se faire. Sur un terrain de violences, la première mission de l’archéologie est de compter et de nommer les morts, pour réviser parfois les données retenues par les sources (camps de concentration en Afrique du Sud, 1899-1902).

Trois chapitres sont dédiés à la Première Guerre mondiale. L’approche « au ras du sol » de l’archéologie a permis une réévaluation complète du conflit, par la quantité de corps et d’armes retrouvés. En travaillant avec les autorités du patrimoine pour rendre accessibles les sites de combats, l’archéologie propose une démocratisation. Et l’enjeu de l’identification est évidemment crucial, avec les aléas de ce que les tests génétiques peuvent révéler.

Après un chapitre sur la guerre d’Espagne et un autre sur les bourreaux ordinaires, la dernière partie du recueil se concentre sur les génocides. Les fouilles de Treblinka ont permis de révéler l’organisation du camp, notamment le lieu des chambres à gaz, et d’inhumer les restes humains découverts. En Bosnie, où les victimes ont systématiquement été déterrées et dispersées dans des fosses secondaires et tertiaires par les génocidaires pour masquer leurs exactions, le travail des archéologues a permis d’identifier de nombreux corps. Indispensable pour l’étude des violences contemporaines, l’archéologie joue donc un tout nouveau rôle, qui va bien au-delà de son dialogue avec la discipline historique. « Contribuer à la réhumanisation des morts » est une tâche sociale, éthique et politique.

Yaël Hirsch

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Les crises d’Orient (1768-1914)

Wed, 16/08/2017 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Thomas Richard propose une analyse de l’ouvrage d’Henry Laurens, Les crises d’Orient (1768-1914) (Fayard, 2017, 384 pages).

Ayant achevé sa grande histoire de La Question de Palestine, Henry Laurens a choisi de se pencher sur un autre thème qui a inauguré sa nouvelle série de cours au Collège de France, celui de la montée progressive des tensions qui ont entraîné le Moyen-Orient, au sens large, dans la guerre en 1914, dont ce volume constitue à la fois un résumé et une extension de la première partie, plus concis mais couvrant une période plus longue que les cours du Collège.

En effet, pour entrer dans ce que le XIXe siècle va progressivement nommer la « question d’Orient » jusqu’à son dénouement tragique, il est nécessaire de remonter aux suites immédiates d’un temps qui semble lointain, celui de la guerre de 1768, qui signe le premier grand recul de l’Empire ottoman face à la Russie, avec le début de la mainmise de cette dernière sur la mer Noire. Puis, presque à l’insu des protagonistes, de défaite ottomane en expéditions britanniques en Asie centrale, de guerre d’indépendance grecque en interventions de plus en plus massives des puissances dans les finances et la gestion des empires d’Orient, de rivalités des consuls locaux en explosions de violences qui s’ethnicisent, se forment les conditions de la crise qui devait conduire au remodelage de la région sous l’égide européenne.

Prenant appui sur sa profonde connaissance du terrain et des sources, Henry Laurens fait avec cet ouvrage la synthèse des monographies portant sur ces différents points, en y ajoutant ses propres recherches. Là réside l’intérêt premier de cet ouvrage, qui rend accessible un panorama de ces crises d’Orient qui couvrent aussi bien les empires ottoman et perse, que la fin de l’Inde des Moghols, l’Asie centrale, l’Afrique du Nord et les Balkans, sans oublier les cabinets et les Chambres européennes. Il permet ainsi de comprendre l’interpénétration de ces crises, qui rebondissent d’un bout à l’autre de la zone et se répondent en jeu de balancier au gré des avancées et des intérêts des protagonistes. C’est aussi la rançon de l’ouvrage, qui, bien que détaillé, donne envie d’approfondir les ressorts de chacun de ces événements, et est en ce sens aussi un ouvrage d’ouverture. On aimerait ainsi parfois qu’il s’attarde plus sur l’aspect émotionnel des enjeux géopolitiques, pour mieux faire saisir les déferlements de violence que connaît alors ce monde qui façonne le nôtre dans la douleur.

Au long des chapitres, c’est un monde en mutation qui se dessine, troublé mais riche de possibles différents de ce qui est finalement advenu, le monde levantin, celui de Cavafy et de la modernité ottomane. Cette attention à ne pas voir de téléologie permet de mieux comprendre le drame qu’a constitué la destruction de ce monde en 1918, et les crises qui en ont constitué la suite, mais qui ne sont pas plus écrites dans l’identité de la région que celles étudiées ici.

Si l’ouvrage porte une attention forte aux conséquences de cette époque sur la nôtre, sur les représentations qui en sont issues et qui ont encore (trop) cours pour expliquer sans finesse les réalités du terrain, ce va-et-vient entre les deux époques montre aussi la faiblesse de ces explications et met en garde contre cet héritage de représentations, en même temps qu’il éclaire les dynamiques réellement à l’œuvre. Ce faisant, ce travail exigeant et refusant tout simplisme est aussi une invitation nécessaire à l’étude et à la modestie face à ces héritages.

Thomas Richard

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North Korea’s Hidden Revolution

Mon, 14/08/2017 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Antoine Bondaz propose une analyse de l’ouvrage de Jieun Baek, North Korean’s Hidden Revolution: How the Information Underground Is Transforming a Closed Society (Yale University Press, 2016, 312 pages).

Jieun Baek s’attache à analyser l’impact d’un accès croissant à l’information sur la société nord-coréenne. Sa thèse principale est que cette « révolution cachée » déstabilise en profondeur le régime nord-coréen. Alors que les récents événements ont tourné les projecteurs sur le problème nucléaire et balistique et le risque de frappes préventives américaines, cet ouvrage a le mérite de nous rappeler la tragédie humaine en Corée du Nord.

La spécificité de l’ouvrage, et son principal intérêt, sont qu’il repose sur de nombreux entretiens réalisés avec des transfuges nord-coréens en Corée du Sud et aux États-Unis. La démarche s’inscrit dans la tradition des livres de témoignages, à l’instar de Les Aquariums de Pyongyang (2000) de Kang Chol-Hwan et Pierre Rigoulot, ou de Nothing to Envy: Ordinary Lives in North Korea (2009) de la journaliste du Los Angeles Times Barbara Demick. Il offre une perspective unique sur l’intérieur du pays et souligne les évolutions sociales telles que vécues par les transfuges. Les portraits et scènes de vie touchent, notamment la ­mention des kotjebis, ces enfants des rues apparus lors de la famine du milieu des années 1990.

Comme dans tout ouvrage se basant sur des témoignages, plusieurs ques­tions se posent, d’autant que la méthodologie des entretiens n’est pas clairement présentée. La première est celle du potentiel biais de l’auteur qui réalise des entretiens très personnels, avec des transfuges pour la plupart présentés comme étant devenus des amis. La deuxième tient à l’intérêt scientifique du témoignage de transfuges ayant fait défection au début des années 1990 pour comprendre la situation actuelle. La troisième se pose quant à leur représentativité, malgré la diversité de leurs profils : ils viennent pour la plupart des provinces frontalières de la Chine.

L’ouvrage conserve un intérêt évident en ce qu’il documente avec précision les moyens d’accès à l’information des Nord-Coréens, ce que l’auteur appelle « la révolution de l’information », mais aussi le système de contrôle et de répression chargé de limiter cet accès. On découvre ainsi successivement les réseaux clandestins permettant aux transfuges d’aider leur famille restée en Corée du Nord, la forte exposition de la population aux séries et films sud-coréens, le rôle des ONG sud-coréennes, le rôle parfois plus ambigu des associations religieuses, etc.

Cependant, et allant partiellement à l’encontre de la thèse initiale, certains transfuges rappellent que le problème principal du pays n’est pas tant l’accès à l’information que la peur qui hante chaque Nord-Coréen, ainsi que l’attachement véritable à un pays, à un réseau social et à un ancrage local qui limitent de fait toute opposition au régime. On retiendra notamment le témoignage du jeune Jeong Gwang, qui explique de façon pragmatique pourquoi la grande majorité des Nord-Coréens ne considère même pas la défection comme une possibilité.

Une grande qualité de l’ouvrage est enfin d’aborder la question de l’économie souterraine dans le pays, traitée ici sous l’angle de la vie quotidienne, ce qui n’est pas sans rappeler les travaux du Peterson Institute for International Economics. Sont ainsi mentionnés, tour à tour, le rôle crucial des marchés informels, les jangmadang, leur dépendance très forte aux trafics avec la Chine, leur impact sur la jeune génération, etc.

Antoine Bondaz

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The New Minority

Fri, 11/08/2017 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Corentin Sellin propose une analyse de l’ouvrage de Justin Gest, The New Minority: White Working Class Politics in an Age of Immigration and Inequality (Oxford University Press, 2016, 272 pages).

L’élection de Donald Trump s’est forgée dans trois États à majorité blanche de la Rust Belt industrielle (Wisconsin, Michigan, Pennsylvanie) dont aucun n’avait voté pour un républicain après 1988. Ce basculement parmi les électeurs de la working class blanche a suffi. Dans ce contexte, et après le Brexit, le livre de Justin Gest sur l’identité politique de la working class blanche était attendu. Le jeune politiste fut d’ailleurs l’un des premiers à noter les affinités paradoxales entre Trump et l’électorat populaire blanc dès l’été 2015.

L’ouvrage présente une double ambition : établir théoriquement, à l’aide de sondages quantitatifs, comment le déclin social des individus de la working class blanche aux États-Unis et au Royaume-Uni détermine leur comportement politique ; mieux saisir la perception qu’ont les individus de ce déclin. Pour cela, l’auteur a mené un véritable travail ethnographique, au travers d’entretiens individuels dans les quartiers de Barking et Dagenham, sites historiques des usines Ford au Royaume-Uni, et à Youngstown, ancienne capitale de l’acier dans l’Ohio.

Justin Gest dégage une relation nette entre la perception qu’ont les Blancs de la working class de leur déclin social et un comportement politique anti-système. Plus le déclassement social est fort, plus les individus sont susce­ptibles d’adopter une position politique de rejet et de violence. Si la marginalité par rapport à la hiérarchie sociale est complète et admise, le Blanc de la working class sera plus enclin à se retirer totalement de l’action politique.

De plus, l’auteur dessine un tableau saisissant de groupes sociaux en déshérence et marginalisés. Dans l’est de Londres comme à Youngstown, il décrit des Blancs de la working class affaiblis dans leur identité collective par le chômage, la désyndicalisation et sans représentation politique car prisonniers d’un « monopartisme ». Il veille cependant à distinguer l’identité de la working class blanche britannique, construite sur le statut hérité des parents, et celle, américaine, méritocratique et fondée sur la hiérarchie des revenus.

Si l’auteur insiste sur la « racialisation » blanche de l’identité collective du fait de l’effacement des marqueurs sociaux de « classe », il différencie l’est de Londres et Youngstown quant au positionnement vis-à-vis des groupes perçus comme « ennemis ». À Barking et Dagenham, les Blancs de la ­working class ont reconstruit leur identité par opposition à des migrants venus du monde entier et qui semblent concurrencer leur position dans la hiérarchie sociale. Aux États-Unis, nation d’immigrants, les Afro-Américains, autrefois différenciés par la position subalterne dans l’appareil de production, sont associés à l’assistance (welfare) pour conserver la valeur identitaire du travail à la seule working class blanche.

Dans un dernier chapitre, Justin Gest pose la question de la représentation politique d’une working class blanche recluse dans des mobilisations anti-système ou hors du champ électoral. Il offre des pistes pour comprendre comment Trump a su capter dans les urnes la radicalité de la working class blanche en s’adressant à son sentiment de perte de statut social. Le livre est touffu, d’un anglais raffiné et complexe, mais il offre la première étude scientifique rigoureuse de l’expression politique de la working class blanche aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Corentin Sellin

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