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Politique étrangère (IFRI)

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La revue de référence sur les questions internationales
Updated: 2 months 14 hours ago

Le Jihadisme des femmes

Wed, 21/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Marc Hecker, rédacteur en chef de Politique étrangère et chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Fethi Benslama et Farhad Khosrokhavar, Le Jihadisme des femmes. Pourquoi ont-elles choisi Daech ? (Seuil, 2017, 112 pages).

Fethi Benslama et Farhad Khosrokhavar sont deux chercheurs connus pour leurs travaux sur la radicalisation. Le premier est professeur de psychopathologie à l’université Paris-Diderot, le second directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Dans ce court ouvrage, ils cherchent à croiser la vision du psychanalyste et du sociologue pour tenter de « détecter des passerelles entre faits psychiques et faits sociaux ». Leur objectif est de mieux comprendre le phénomène du djihadisme féminin. Pour ce faire, ils ont collecté des données – soit directement (entretiens, consultations cliniques), soit indirectement (ouvrages, articles de presse) –, sur une soixantaine de cas.

Sur 5 000 Européens ayant rejoint Daech en Syrie et en Irak, environ 10 % sont des femmes. La proportion est plus élevée chez les Français : fin 2015, 220 Françaises avaient rejoint l’organisation terroriste, soit approximativement 35 % des ressortissants français alors présents dans les rangs de l’État islamique (EI). Un tiers de ces femmes se seraient converties à l’islam. La plupart proviennent des classes moyennes. Seule une minorité est originaire des banlieues.

Les deux chercheurs s’évertuent à étudier le rapport des femmes djiha­distes à la mort, au religieux, à la sexualité, ou encore à la famille. Ils établissent des catégories qui montrent que tous les profils ne se ressemblent pas : certaines poursuivent un idéal romantique, d’autres fuient un traumatisme (violences familiales, agressions sexuelles), une minorité veut prendre les armes ou perpétrer des attentats, etc. Ces femmes savent pertinemment qu’en rejoignant Daech elles ne seront pas considérées comme égales aux hommes : elles dénoncent le concept d’égalité entre les sexes, et perçoivent l’émancipation des femmes dans les pays occidentaux comme une hypocrisie. Elles mettent au contraire en avant la notion de complémentarité hommes/femmes.

Ainsi, nombre de Françaises ayant rejoint Daech affirment fièrement leur statut d’épouses de combattants et de mères de « lionceaux du califat ». Si la polygamie est érigée en règle dans les territoires contrôlés par Daech, les femmes tendent aussi à se marier plusieurs fois en raison du fort taux de décès chez les hommes. Benslama et Khosrokhavar écrivent : « Le père est potentiellement un martyr à venir produisant de futurs orphelins. La cité du jihad est une fabrique de pères morts et de mères polyandriques. »

En définitive, il n’y a pas de réponse simple à la problématique de la radicalisation des femmes. Les deux chercheurs s’opposent à ceux qui offrent des explications réductrices. Ils dénoncent par exemple l’approche sectaire, selon laquelle les femmes se feraient « laver le cerveau » par des recruteurs. À cet égard, ils affirment que la théorie de l’embrigadement relève d’une « posture victimaire souvent adoptée pour nier les motivations inconscientes qui amènent quelqu’un à faire des choix pour lesquels il est responsable ». Ils évoquent également le débat entre Gilles Kepel et Olivier Roy, soulignant qu’« il y va dans le djiha­disme autant de la radicalisation de l’islam que de l’islamisation de la radicalité ». À défaut d’offrir des solutions, Benslama et Khosrokhavar démontrent au moins la complexité du problème. Une complexité telle qu’elle continue de laisser perplexe…

Marc Hecker

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Tallinn Manual 2.0 on the International Law Applicable to Cyber Operations

Tue, 20/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Victor Fèvre propose une analyse du Tallinn Manual 2.0 on the International Law Applicable to Cyber Operations (Cambridge University Press, 2017, 640 pages).

L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) a créé et implanté son « centre d’excellence cyber » (NATO Cooperative Cyber Defence Centre of Excellence – CCDCOE) à Tallinn, après les cyberattaques dont l’Estonie a été victime en 2007. Un groupe d’experts (militaires, chercheurs, juristes, etc.) a été rassemblé sous son égide pour élaborer un ouvrage collectif sur les règles d’engagement d’une opération cyber, inexistantes jusqu’à présent. C’est ainsi que le Tallinn Manual 1.0 a été publié en 2013, même si ce n’est pas officiellement sous l’étiquette OTAN. Le premier manuel était très axé sur les opérations militaires, et le groupe d’experts a été élargi pour étendre la réflexion à toutes les opérations dans le cyberespace. Le présent Tallinn Manual 2.0 a été publié en 2017. La France n’était pas représentée dans le groupe, et le manuel n’existe qu’en anglais – comme le site internet du CCDCOE.

Formellement, ce manuel est un exercice de casuistique : énumération de 154 règles, avec de nombreux paragraphes, regroupés en chapitres thématiques. Si quelques principes de base sont mentionnés, le manuel est constitué d’une longue liste de cas pratiques accompagnés de principes supposés guider la conduite des parties.

Sur le fond, l’ouvrage se veut un manuel et non un code. Il ne s’impose pas en source du droit, et ne fait que transposer, par analogie, dans le cyberespace, des principes puisés à des sources juridiques externes. Les sources classiques du droit international public demeurent les références : le droit des conflits armés (ad bellum & in bello), de la mer, de l’air, de l’espace, de la diplomatie, de la cybercriminalité, etc., avec tous leurs traités internationaux. Le Tallinn Manual n’innove donc pas dans ce domaine. Le fait de considérer une cyberattaque comme une agression méritant une riposte armée proportionnée, appréciée selon certains critères (gravité, urgence, lien direct, pénétration, mesurabilité, caractère militaire, responsabilité étatique et présomption de légalité) vaut pour n’importe quelle agression d’un État.

La souveraineté reste le principe cardinal de ce guide. La version 2.0 du manuel devait couvrir les opérations du cyberespace n’ayant pas forcément un caractère militaire, ou une responsabilité étatique. Pourtant, toutes les règles ne traitent que de rapports entre États ; toute attaque, quels que soient le groupe ou l’individu responsables (entreprise, organisation criminelle, particuliers), émane par définition d’un lieu où se situe le responsable. L’État exerce sa souveraineté sur son territoire et sa responsabilité est engagée : il doit faire régner l’ordre et le droit chez lui.

Une faiblesse demeure cependant. Il est admis que tous les États sont de bonne foi, coopèrent et transmettent toute information en leur possession qui pourrait être utile aux autres (concept de due diligence). Le manuel part du principe que tous les États ont une connaissance réelle et suffisante des activités cyber sur leur territoire, et sont capables d’y exercer toute leur souveraineté. Il est pourtant illusoire d’imaginer pouvoir attribuer avec certitude une cyberattaque. Certains États sont faibles, d’autres sont complaisants. Même si ces derniers ont tort juridiquement, comment exercer une coercition ? Le droit international public n’est ici que difficilement applicable – et ce n’est pas l’apanage du cyberespace.

Victor Fèvre

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India’s Long Road: The Search for Prosperity

Mon, 19/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Olivier Louis propose une analyse de l’ouvrage de Vijay Joshi, India’s Long Road: The Search for Prosperity (Oxford University Press, 2017, 360 pages).

Voici une excellente analyse de l’histoire économique de l’Inde depuis son indépendance. L’auteur explique clairement pourquoi jusqu’à 1980 la croissance annuelle indienne est restée bloquée autour de 3,5 % – à peine supérieure à l’augmentation de la population –, et pourquoi, à partir de cette date, elle s’est accélérée : entre 1980 et 2000 autour de 5,5 % annuellement, entre 2000 et 2010 de 7,3 %, et entre 2010 et 2014 de 6,1 %. Depuis lors, la croissance reste élevée mais irrégulière : elle a dépassé 9 % en 2015 mais est retombée à moins de 6 % pour 2017. Compte tenu de l’accroissement de la population, du nombre de pauvres (entre 269 et 360 millions selon les modes de calcul en 2011), du taux très élevé d’analphabétisme (37 % de la population de plus de 15 ans), de l’importance de la mortalité infantile (48 décès sur 1 000 naissances), et d’une espérance de vie de seulement 63 ans, Vijay Joshi estime que l’Inde a besoin d’une croissance annuelle de 7 à 9 % pendant les 30 prochaines années (6 à 8 % de croissance par habitant) pour espérer atteindre une prospérité comparable à celle des pays européens les moins prospères comme le Portugal et la Grèce.

Une telle croissance annuelle moyenne est-elle possible, alors que seuls trois pays dans le monde – Chine, Corée du Sud et Taïwan – ont, jusqu’à maintenant, réussi cette performance ? L’Inde bénéficie de facteurs favorables : une population en âge de travailler très nombreuse et en croissance, une classe entrepreneuriale qui a prouvé sa capacité à saisir les opportunités offertes depuis les réformes de 1980-1990, une capacité d’investissement par rapport au PIB très significative (33 % à l’heure actuelle), une classe moyenne encore très peu nombreuse (autour de 100 millions de personnes selon l’auteur), mais qui ne cessera de s’accroître à un rythme soutenu avec la croissance. Mais les difficultés à surmonter sont considérables : un État central faible et corrompu ; un environnement politique extérieur loin d’être stabilisé (Chine, Pakistan) ; des services publics, en particulier l’éducation primaire et secondaire et la santé publique dans un état catastrophique ; des infrastructures (aéroports, transports publics, routes, etc.) qui ne rattrapent que lentement leur immense retard.

Le programme des réformes à accomplir est impressionnant : assurer un environnement macro-­économique stable ; redéfinir les relations entre l’État central, les États fédérés, le secteur privé et le marché – dont l’auteur pense qu’elles sont largement dysfonction­nelles ; réformer profondément le secteur bancaire en privatisant les banques publiques saines et en fermant celles qui n’ont aucune chance de devenir profitables ; faire le même exercice pour les nombreuses entreprises publiques aujourd’hui dépendantes de subventions budgétaires ; et surtout revoir entièrement la fiscalité du pays, en supprimant les subventions aux biens de consommation pour les remplacer par un revenu universel qui permettrait de sortir de l’extrême pauvreté les populations qui la subissent. L’auteur doute que ces réformes aient des chances réalistes d’être entreprises, en particulier par le gouvernement de Narendra Modi dont il juge que les performances sont, pour le moment, « mixtes ».

La perspective la plus probable lui paraît donc celle d’une croissance « respectable » (de 5 à 6 %), mais insuffisante pour hisser le pays au niveau des pays développés.

Olivier Louis

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Révolution culturelle et politique extérieure chinoise

Fri, 16/02/2018 - 11:13

Créée en 1936, Politique étrangère est la plus ancienne revue française dans le domaine des relations internationales. Chaque vendredi, découvrez désormais « l’archive de la semaine ».

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L’article « Révolution culturelle et politique extérieure chinoise », écrit par François Joyaux, professeur émérite de civilisation de l’Asie de l’Est à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), a été publié dans le numéro 1/1968.

Armée, monde des lettres et des arts, Université, parti, organisations de masse, industrie et dans une certaine mesure, paysannerie : ce sont presque tous les secteurs de la vie nationale chinoise qui ont été touchés par la «Grande Révolution Culturelle Prolétarienne». Dans tous ces domaines, les méthodes anciennes sont dénoncées, les résultats acquis sont remis en cause, certains des hommes qui en furent les promoteurs sont limogés. Bref, un mouvement qui modifie radicalement les structures et l’évolution interne d’un régime qui, en 1965 encore, semblait, sinon définitivement, du moins solidement établi.

Aussi est-il légitime de s’interroger sur les répercussions éventuelles d’un tel bouleversement en matière de politique étrangère. La Révolution Culturelle est-elle, d’une manière quelconque, liée aux problèmes extérieurs ? Plus précisément, la politique étrangère chinoise fut-elle un des facteurs qui amenèrent les dirigeants favorables à la ligne maoïste à lancer la Révolution Culturelle vers la fin de 1965 ? Et dans quelle mesure ces deux années de crise ont-elles affecté les relations internationales de la Chine Populaire ?

Il n’est pas douteux que les origines de la Révolution Culturelle furent principalement internes. Après les difficultés considérables de ce qui fut appelé les « années noires » (1959- 1961), l’économie avait retrouvé en 1964 son niveau de 1957 et la production industrielle et agricole progressait, la première assez favorablement, la seconde plus difficilement il est vrai. Sur le plan politique interne, peu de changements notables étaient intervenus depuis les Plenums de 1959 (Lushan) et de 1961. En somme, les difficultés consécutives au Grand Bond en Avant et à l’instauration des communes populaires étaient en voie de résorption. Et sous la pression des éléments les plus modérés du Comité Central, une « libéralisation » du régime se faisait jour, à tel point que certaines tendances bourgeoises réapparurent qui alarmèrent les cadres les plus « activistes », au premier rang desquels Mao Ze-dong lui-même. C’est pour mettre un terme à ces tendances, tels l’accroissement des lopins individuels à la campagne, le fléchissement de l’enthousiasme révolutionnaire, la bureaucratisation croissante du régime, que fut lancé en 1963-1964 le «Mouvement d’Éducation Socialiste» qui, à l’automne 1965 et surtout au printemps 1966, s’élargit en «Révolution Culturelle».

Une étude approfondie des origines de cette dernière montrerait que les facteurs internes y furent prépondérants. C’est là un point qui se dégage des textes actuellement connus.

Mais il est permis de se demander si les problèmes de politique extérieure ne jouèrent pas également un rôle dans le déclenchement de la Révolution Culturelle. Trois séries de difficultés peuvent en effet avoir eu quelque influence à cet égard : la rupture idéologique entre la Chine et l’URSS ; l’escalade américaine au Vietnam et les échecs chinois dans de nombreux pays du Tiers-Monde.

La détérioration des relations sino-soviétiques était déjà ancienne puisque le différend idéologique entre les deux pays était devenu public dès 1958 et avait connu une première phase critique en 1960, lors du retrait des techniciens soviétiques. Mais c’est trois ans plus tard que la rupture put être considérée comme grave, après l’échec des dernières négociations, à Moscou, en juillet 1963. A compter de cette date, le conflit devient ouvert. Dans l’ensemble du Tiers-Monde, l’URSS s’emploie à saper les quelques positions qu’y possède la Chine, par exemple au Congo, à Cuba, ou lors des négociations en vue de la seconde conférence de solidarité afro-asiatique. La crise devient si violente qu’en 1964 les revendications chinoises s’étendent aux questions territoriales : Xin Jiang, Mandchourie, Mongolie. Le gouvernement chinois accuse l’URSS de masser des troupes le long de la frontière. En 1964, il est devenu clair que le conflit entre les deux pays n’est plus seulement idéologique. Et ce n’est pas là, comme l’affirment les Chinois, la conséquence de la politique personnelle de Khrouchtchev, puisque lorsque celui-ci est remplacé par Kossygine en octobre 1964, aucune détente ne s’amorce.

Au début de 1965, les rapports entre l’URSS et la Chine étaient donc à leur point le plus bas. Plusieurs indices laissaient à penser que la rupture était irréversible. C’était là un des éléments majeurs de la situation internationale de la Chine.

L’extension de la guerre au Vietnam en était un second. Depuis 1963, l’implantation américaine au Vietnam du Sud s’était considérablement renforcée. Puis en juin 1964, le général Westmoreland avait été nommé au poste de commandant en chef des troupes américaines et, le 5 août, avaient commencé les premiers bombardements américains contre le Vietnam du Nord à la suite d’un incident mal défini entre navires américains et nord-vietnamiens dans le golfe du Tonkin. Deux jours plus tard, le Congrès autorisait le président Johnson à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à l’agression communiste. La politique de l’«escalade» était lancée en février 1965 ; les premiers raids systématiques sur le Vietnam du Nord décidés tandis que les «marines» débarquaient à Da-Nang.

La menace américaine n’avait jamais été aussi proche de la Chine depuis le conflit coréen. Et cette situation était d’autant plus alarmante pour Pékin que, dans le même temps, le gouvernement de Hanoï se rapprochait de Moscou.

Initialement, en effet, lors des débuts du conflit entre Pékin et Moscou, le Vietnam du Nord s’était efforcé d’observer une prudente neutralité à l’égard des deux thèses. Après la seconde conférence de Genève (1962) lorsque Khrouchtchev lui refusa tout supplément d’aide économique et militaire, Hanoï avait esquissé un rapprochement avec la Chine afin d’en obtenir les fournitures que l’URSS lui refusait, sans que, toutefois, ses rapports avec Moscou fussent devenus mauvais. Mais après l’incident du Golfe du Tonkin, en août 1964, après la chute de Khrouchtchev, en octobre, et surtout après le début de l’«escalade», en février 1965, le Vietnam du Nord se rapprocha à nouveau de l’URSS (visite de Kossyguine à Hanoï, en février 1965), plus en mesure que la Chine de lui fournir à la fois du matériel militaire moderne (fusées SAM) capable de limiter les bombardements américains, et une aide économique suffisante pour remédier aux destructions massives auxquelles le pays était soumis. Il est vraisemblable qu’aux yeux des dirigeants nord-vietnamiens, la protection soviétique semblait moins dangereuse que celle de la Chine Populaire.

Cet ensemble de facteurs fut à l’origine du rapprochement, notable durant toute l’année 1965, entre le Vietnam du Nord et l’URSS au fur et à mesure que la pression militaire ennemie se fit plus forte. Or cette évolution, et la proximité des raids américains dans la zone frontalière sino-vietnamienne, étaient pour Pékin de plus en plus inquiétantes. La remontée de l’influence soviétique à Hanoï pouvait être considérée comme une atteinte au prestige de la Chine et comme un échec diplomatique.

A ces difficultés avec l’URSS, s’ajoutaient des inquiétudes à propos de la Corée du Nord qui évoluait selon le même schéma que le régime de Hanoï.

Alors que jusque vers 1960, le gouvernement de Pyong Yang s’en était aussi tenu à une égale réserve vis-à-vis des deux thèses et que de 1960 à 1963, il s’était même orienté vers une approbation des positions chinoises, la chute de Khrouchtchev modifia cette tendance. Au début de 1965, le rapprochement entre l’URSS et la Corée du Nord s’affirma encore, et un traité fut signé entre les deux pays, en mai 1965, par lequel le premier s’engageait à renforcer le potentiel défensif du second.

Or la Chine avait toujours considéré la Corée, de même que le Vietnam, comme une zone où son influence devait être prépondérante. Ambitions historiques anciennes qui se prolongeaient avec le nouveau régime et qui expliquent l’échec que représentait pour lui la ligne suivie par les gouvernements nord-vietnamien et nord-coréen.

Les difficultés auxquelles se heurtait la Chine au Vietnam et en Corée n’étaient pas les seuls indices de la dégradation des positions extérieures chinoises. D’autres événements, au long de l’année 1965, réduisaient le nombre des appuis acquis par la Chine en Asie, en Afrique et en Amérique Latine. […]

Lisez la suite de l’article ici.

 

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The Internationalists: How A Radical Plan to Outlaw War Remade the World

Thu, 15/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Philippe Moreau Defarges propose une analyse de l’ouvrage de Oona A. Hathaway et Scott J. Shapiro, The Internationalists: How A Radical Plan to Outlaw War Remade the World (Simon & Schuster, 2017, 608 pages).

Le 27 août 1928 est signé à Paris, au Quai d’Orsay, le pacte Briand-Kellogg (renommé aux États-Unis le pacte Kellogg-Briand) de renonciation à la guerre, par les 15 États pesant alors sur la scène internationale. Ce pacte tient en deux articles : 1) les États parties condamnent le recours à la guerre comme instrument de politique nationale ; 2) tout litige entre ces États sera réglé exclusivement par des voies pacifiques. Ce document reste dans les mémoires comme l’un des plus beaux ratages d’un utopisme naïf : 11 ans après la signature du traité, les États parties se livrent la plus sanglante des guerres. The Internationalists est un livre stimulant mais finalement prisonnier de la thèse qu’il veut à tout prix démontrer, à savoir que ce pacte serait le texte décisif transformant irréversiblement la problématique de la guerre et de la paix. Pour les deux auteurs, professeurs de droit et de philosophie à Yale, il y a un avant et un après le pacte.

Avant, la guerre est le mode « naturel » de règlement des conflits, les vainqueurs obtenant ce qu’ils demandent – d’abord les territoires revendiqués –, les États-tiers restant parfaitement neutres et reconnaissant les transferts de territoires. Après, toute conquête viole le droit et cesse d’être reconnue. Le chapitre 13, « The End of Conquest », mobilise tout un appareil statistique montrant l’effondrement des conquêtes, en fait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Une rupture intervient incontestablement lors des deux guerres mondiales, et dans leurs lendemains. La conquête territoriale par les armes est délégitimée, comme le souligne, en 1990-1991, l’échec lamentable de tentative de conquête du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein. Le pacte de 1928, qui condamne la guerre mais est muet sur les conquêtes en tant que telles, peut-il être considéré comme une rupture historique ? Les deux auteurs n’ignorent pas, mais sous-estiment presque systématiquement, tant l’histoire générale (ainsi le démantèlement des conquêtes européennes par la décolonisation) que la formidable avancée, après 1945, de l’institutionnalisation du système international, l’Organisation des Nations unies (ONU) ne constituant que la partie émergée de l’iceberg. Les auteurs tiennent à couler dans leur raisonnement la cause peut-être essentielle de la fin des conquêtes (avec, tout de même, des exceptions non négligeables mais non reconnues par la communauté internationale : annexion de Jérusalem et du Golan par Israël, annexion de la Crimée par la Russie). Aujourd’hui, toute conquête ou plutôt toute occupation territoriale s’avère bien trop coûteuse : impossibilité d’isoler hermétiquement de l’extérieur le territoire conquis, résistances multiformes de la population, désapprobation des autres États. Israël fait l’amère expérience d’une occupation d’un demi-siècle en Cisjordanie, qu’il ne peut ni annexer (l’annexion ferait des habitants palestiniens des citoyens israéliens), ni abandonner par souci de profondeur stratégique…

The Internationalists, même si les auteurs veulent sans doute trop prouver, mérite d’être lu pour ses passages donnant vie aux grands juristes protagonistes du débat : Hans Kelsen, Carl Schmitt. Mais il est dommage que l’immense Aristide Briand, qui a vécu comme président du Conseil les horreurs de la Grande Guerre, soit ici traité comme un simple exécutant d’idées américaines.

Philippe Moreau Defarges

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Whistleblowing in the World

Wed, 14/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Jean-Philippe Foegle propose une analyse croisée de l’ouvrage dirigé par Carmen R. Apaza et Yongjin Chang, Whistleblowing in the World: Government Policy, Mass Media and the Law (Palgrave Macmillan, 2017, 102 pages) et de l’ouvrage d’Ashley Savage, Leaks, Whistleblowing and the Public Interest: The Law of Unauthorised Disclosures (Edward Edgar Publishing, 2016, 304 pages).

Bien que le lanceur d’alerte soit désormais une figure familière du grand public, les facteurs pesant sur l’effectivité de son action restent mal connus. Les deux ouvrages présentés ici comblent partiellement cette lacune.

Le premier, dirigé par les politologues Carmen Apaza et Yongjin Chang, tente d’identifier les contours du « lancement d’alerte effectif » (effective whistleblowing), défini par les auteurs comme la capacité d’un lanceur d’alerte à obtenir à court terme la correction de l’irrégularité dénoncée. À partir de quatre études de cas portant sur l’action de lanceurs d’alerte au Pérou, en Corée du Sud, en Thaïlande et aux États-Unis, les auteurs démontrent que la possibilité de recourir aux mass-media est généralement la condition nécessaire d’effectivité du lancement d’alerte.

En effet, dans les quatre contextes sociopolitiques étudiés, les lanceurs d’alerte n’ont pu obtenir des changements institutionnels de long terme et de grande ampleur qu’en lançant l’alerte auprès de mass-media, et ce y compris lorsqu’ils disposaient de canaux alternatifs pour signaler les faits en cause en interne, sans recourir à la révélation publique. L’ouvrage démontre ainsi que le lancement d’alerte au public constitue un puissant levier, permettant aux whistle­blowers d’éviter qu’une alerte ne soit enterrée lorsque les canaux internes de signalement ne sont pas performants, et ne répondent pas efficacement aux problèmes dénoncés.

Le second ouvrage, rédigé par le juriste Ashley Savage, présente une analyse fine et détaillée de l’encadrement juridique du lancement d’alerte dans le secteur du renseignement et de la défense, qui conduit l’auteur à présenter de manière exhaustive les hypothèses dans lesquelles les lanceurs d’alerte peuvent faire l’objet de poursuites pénales pour avoir révélé une information secret-défense. L’auteur dresse en creux le constat d’une inefficacité chronique des mécanismes internes de dénonciation d’irrégularités existant dans les agences de renseignement au Royaume-Uni, au Canada et aux États-Unis. Proposant des pistes de réforme des législations existantes, Ashley Savage démontre de manière convaincante qu’une protection des lanceurs d’alerte dans le domaine du renseignement ne saurait être efficace si elle ne s’accompagne d’une révision des procédures qui encadrent l’accès du public à l’information classée secret-défense. Ainsi, pour être efficace, le lancement d’alerte doit être l’élément déclencheur d’un processus conduisant à déclassifier des informations indûment classées secret-défense. Il s’agit non seulement de permettre au public de faire rendre des comptes aux autorités, mais également d’empêcher les gouvernants d’utiliser les lois sur le secret pour couvrir des violations de la loi ou des droits de l’homme.

Sans révolutionner l’état des savoirs, ces deux ouvrages rappellent opportunément que les protections dont bénéficient les lanceurs d’alerte ne sauraient être efficaces si elles ne s’accompagnent d’un élargissement de la portée du droit à la liberté d’expression, et du droit du public à l’information. Si un tel constat relève de prime abord de l’évidence, les développements de ces deux livres démontrent que cette évidence a été trop souvent occultée par les rédacteurs des lois sur les lanceurs d’alerte.

Jean-Philippe Foegle

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Les 7 péchés capitaux du chef militaire

Tue, 13/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Gilles Haberey et Hugues Perot, Les 7 péchés capitaux du chef militaire. Les plus grandes erreurs tactiques de l’Antiquité à nos jours (Éditions Pierre de Taillac, 2017, 258 pages).

Après avoir publié L’Art de conduire une bataille[1] (2016) qui présente les méthodes les plus efficaces pour vaincre un ennemi, Gilles Haberey et Hugues Perot, tous deux saint-cyriens et officiers de l’armée de Terre, s’attachent à analyser les sept erreurs tactiques majeures pouvant conduire à la défaite.

Les péchés capitaux du tacticien identifiés par les auteurs sont : « s’engager sans renseignement » ; « se laisser imposer le terrain » ; « subir le rythme de l’adversaire » ; « sous-estimer son ennemi » ; « manquer d’audace » ; « s’obstiner inutilement » ; « céder à la panique ». Chacune de ces erreurs fatales est ici définie, replacée dans l’histoire de la guerre, et illustrée par deux ou trois études de batailles.

Les cas choisis couvrent une vaste période, de l’Antiquité (Carrhes, 53 av. J.-C.) à la guerre d’Indochine (Cao Bang, 1950). Ils incluent des « classiques », que l’on redécouvre souvent sous une autre facette, comme la bataille de Yorktown (1781) ou celle de la poche de Falaise (1944). D’autres cas d’espèce sont beaucoup moins connus. C’est le cas des affrontements édifiants de la forêt de Hürtgen (19 septembre 1944-10 février 1945), où les soldats américains combattent les Allemands dans un massif forestier à proximité de la frontière entre la Belgique et l’Allemagne. Eisenhower qualifiait cette bataille de plus longue et plus sanglante que l’US Army ait eue à mener en Europe. L’obstination inutile du commandement américain, alors qu’un contournement du secteur était envisageable, y a entraîné un des taux de pertes les plus élevés des deux conflits mondiaux pour une bataille de ce type : 25 %.

Chaque cas d’étude est organisé selon le même plan efficace que dans le précédent volume: d’abord présentation de la situation générale, puis description des forces en présence et des intentions, déroulement de la bataille, et enfin enseignements tactiques à en tirer. L’idée n’est pas d’avoir une vision complète et définitive de chaque bataille, mais de replacer celle-ci dans la perspective plus vaste de la tactique, et d’ouvrir des pistes de réflexion. Chaque analyse de bataille est accompagnée de plusieurs cartes, claires et détaillées. On regrettera cependant, comme pour le précédent opus, que les recherches complémentaires ne soient guère favorisées par la courte bibliographie qui figure après chaque cas d’étude, celle qui se trouve en fin d’ouvrage restant trop succincte.

Comme d’habitude chez les éditions Pierre de Taillac, la présentation du livre est soignée et agréable. Le style des auteurs est pédagogique. Ce nouvel opus évite un sentiment de déjà lu, et sa lecture est recommandée à tous ceux qui veulent mieux comprendre l’histoire militaire. Les praticiens de tous grades gagneraient à s’imprégner de cet ouvrage pour donner enfin tort à Ésope : « C’est souvent nous qui donnons à nos ennemis les moyens de notre propre destruction »…

Rémy Hémez

[1]. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le n° 4/2016 de Politique étrangère.

 

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Visions of Empire

Mon, 12/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Jérôme Marchand propose une analyse de l’ouvrage de Krishan Kumar, Visions of Empire: How Five Imperial Regimes Shaped the World (Princeton University Press, 2017, 600 pages).

Visions of Empire est d’abord un défi d’écriture, embrassant une aire immense : empire ottoman, règne des Habsbourg, Russie des Romanov et URSS, régimes coloniaux de la Grande-Bretagne et de la France, sans oublier l’imperium romain… Krishan Kumar défend la thèse selon laquelle ces constructions politiques ultra-complexes, constituées d’une mosaïque de populations assujetties, et organisées en réseaux enchevêtrés, sont porteuses d’enseignements utiles pour les gouvernants appelés à gérer les bouleversements du XXIe siècle. Il s’est pour cela concentré sur les élaborations idéologiques des élites définissant les bases morales de leur domination, pour s’assurer le consentement des périphéries et l’acquiescement des rivaux. En complément, l’auteur s’applique à déterminer comment ces représentations ont influencé l’image idéale de soi des groupements dirigeants et modelé leur style de leadership.

L’étude s’articule en sept longs chapitres, cinq couvrant les expériences multiculturelles mentionnées supra. En ressort la flexibilité avec laquelle certains de ces systèmes ont su faire place aux minorités actives et assurer leur promotion sociale. Aux yeux de l’auteur, l’empire austro-hongrois se détache clairement comme exemple à suivre. Dans le prolongement de cette voie, Visions of Empire mène un travail de benchmarking expliquant comment tel ou tel ensemble de hauts responsables (politiciens, hauts fonctionnaires, militaires) a su, à un moment donné, dans un contexte précis, dégager les « bonnes recettes » de gouvernance. Sans succomber aux mêmes simplismes que les thuriféraires de l’État-nation.

On obtient ainsi une série d’aperçus positifs, reflétant les forces du noyau central. En guise d’exemples : régulation du religieux par les Ottomans, valorisation de la créativité culturelle par les Habsbourg, résistance aux appels du nationalisme par les élites moscovites, aptitude au compromis raisonné des Anglais, établissement d’un modèle idéal d’assimilation/émancipation par les Français de la IIIe République… La richesse du livre vient des nombreuses adaptations mises en évidence, des précisions sur les contradictions normatives présentes au cœur de chaque ensemble impérial. De plus, l’auteur prend soin d’identifier les facteurs de décomposition ayant atteint plus ou moins rapidement chaque structure, perspective éclairante permettant de discerner si tel groupe dirigeant a su ou non s’adapter en temps réel.

Bilan : mention négative à l’État français et à ses logiques de micro-­management rigide et tatillon. S’agissant des réserves, l’ouvrage aurait peut-être gagné à intégrer de brefs développements sur les contre-modèles universalistes – type Société des Nations – venus concurrencer les systèmes impériaux. Plus concrètement, on aurait apprécié que Krishan Kumar précise en quoi une idéologie impériale riche en obsessions hiérarchiques et en complications administratives pourrait trouver un écho positif dans le monde à venir, là où le citoyen-internaute paraît de moins en moins enclin à exprimer sa déférence à l’égard des figures d’autorité centrales, et là où la dénonciation de la bureaucratie d’État et de ses gaspillages en tous genres risque fort de s’intensifier (Catalogne, Lombardie, etc.). Écrit dans un style alerte, Visions of Empire est un travail de qualité, venant rééquilibrer les recherches consacrées aux ressentis des sujets impériaux.

Jérôme Marchand

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Les États-Unis « A la recherche d’une politique étrangère » ?

Fri, 09/02/2018 - 12:12

Créée en 1936, Politique étrangère est la plus ancienne revue française dans le domaine des relations internationales. Chaque vendredi, découvrez désormais « l’archive de la semaine ».

* * *

L’article « A la recherche d’une politique étrangère », écrit par Stanley Hoffmann, spécialiste de relations internationales et alors directeur du Centre d’études européennes à l’université de Harvard, a été publié dans le numéro d’hiver 1994 (n° 4/1994).

Depuis la fin de la guerre froide, la diplomatie américaine est en quête d’un fil conducteur comparable à ce qu’avait été la doctrine du containment élaborée en 1946-1947 par George Kennan. George Bush avait lancé le slogan du « nouvel ordre mondial », mais la guerre du Golfe en a été la seule manifestation concrète. Il s’agissait, en fait, d’un retour très loin en arrière : à l’idée qu’avait eue Franklin D. Roosevelt, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’un monde régenté par les quatre (puis cinq) Grands, dont la coopération permettrait le règlement des conflits entre… les autres, et la mise en œuvre, à travers le Conseil de Sécurité de l’ONU, de la sécurité collective en cas d’agression commise par un État (non doté du droit de veto). Dans cette conception vite mise à mal par la guerre froide, l’un des Grands était, pour reprendre la formule d’Orwell, plus égal que les autres : les États-Unis, vainqueurs au faîte de leur puissance, pouvaient compter sur le soutien de la Grande-Bretagne et de la Chine de Tchiang Kaï-shek (la France, aux yeux de Franklin D. Roosevelt, ne pesait pas lourd), et ils ont sans doute cru que l’URSS de Staline, dévastée et exsangue, se comporterait en partenaire, pourvu que ses soucis légitimes de sécurité, en Europe et en Asie, fussent pris au sérieux par ses alliés. On connaît la suite.

Mais les circonstances de 1989-1991 paraissaient justifier une résurrection de ce vieux dessein. Les États-Unis avaient gagné la guerre froide, ils avaient derrière eux un formidable groupe de partenaires et de clients, y compris les vaincus de 1945 (et la guerre du Golfe leur permit d’ajouter à la liste une coalition de plus, comprenant à la fois Israël, de facto, et la plupart des États arabes). L’URSS de Mikhaïl Gorbatchev, très affaiblie, cherchait à la fois à se concentrer sur sa transformation intérieure et, comme le disaient certains de ses dirigeants, à « rejoindre la communauté internationale », en adoptant certaines des idées- force développées aux États-Unis.

L’effondrement de l’URSS, en décembre 1991, mit fin à ce rêve. Il n’y avait plus désormais qu’une seule superpuissance. Les convulsions de l’ex-URSS, la timidité du Japon en dehors du champ économique, la tendance des principaux alliés européens à se replier sur la priorité de la construction communautaire — le traité de Maastricht fut signé le même mois que l’abdication de Mikhaïl Gorbatchev — tout cela rendait un peu fantomatique, pour la seconde fois, la construction rooseveltienne reprise par George Bush. Surtout, ce qui lui donne une allure désuète, c’est qu’elle avait été faite pour un monde de conflits entre États, et que l’on se trouve désormais dans un monde où, ce qui est en cause, c’est la nature même de l’État. Le « paradigme westphalien » qui a dominé la théorie des relations internationales suppose des États bien déterminés (en lutte ou en coopération). La désintégration de l’URSS et — depuis le printemps 1991 — de la Yougoslavie, les conflits ethniques au sein des États successeurs, les guerres civiles difficiles à maîtriser dans des pays victimes de feu la guerre froide : Cambodge, Angola, Mozambique, Afghanistan, le chaos des luttes de religions ou de clans dans une bonne partie de l’Afrique : Soudan, Liberia, Somalie, les violations massives des droits de l’homme dans divers pays : Birmanie, Haïti, etc. Tout cela rendait peu applicable le modèle de la Charte de 1945, et hésitante la superpuissance qui n’avait aucun enthousiasme pour jouer le rôle de gendarme d’un monde aussi déréglé, où le chaos plutôt que la guerre entre États paraissait la menace principale et insaisissable.

Si l’on tend à être sévère pour Bill Clinton et son équipe, il convient de commencer par reconnaître qu’il a recueilli un héritage bien peu réjouissant. Après la guerre du Golfe, l’équipe Bush avait bien poussé les Arabes et Israël à négocier, mais les discussions s’étaient vite enlisées. Malgré l’activisme du commandant (américain) des forces de l’OTAN, qui aurait voulu intervenir contre les Serbes, lors du bombardement de Dubrovnik à la fin de 1991, George Bush avait décidé de laisser les Européens, d’une part, l’équipe Owen-Vance, de l’autre, s’empêtrer dans la tragédie yougoslave, sans participation américaine à la force des Nations unies envoyée en Croatie puis en Bosnie. Mais quelques semaines seulement avant son départ des affaires, George Bush, battu en novembre 1992, envoyait soudain un corps expéditionnaire en Somalie, pour une action humanitaire provoquée par le spectacle télévisé d’une famine épouvantable. Dans le cas de la Yougoslasvie, on restait prudent parce que l’on se souvenait du Vietnam, dans celui de la Somalie, on s’engageait parce que l’on pensait pouvoir se dégager très vite. Il appartiendrait à la nouvelle équipe de remettre un peu de cohérence dans tout cela.

Elle n’y est pas parvenue, pour toutes sortes de raisons. La première tient au caractère introuvable d’un fil conducteur, paradigme ou « rationale » approprié. Mon collègue, Samuel Huntington, en a présenté un : la guerre des civilisations, où le conflit mondial Est-Ouest est remplacé par un conflit tout aussi manichéen entre l’Occident et… le reste. Le moins que l’on puisse dire, est que les choses ne sont pas si simples, que les pires clivages passent parfois au sein d’une même civilisation (toute l’histoire de l’Occident le prouve et, aujourd’hui, celle de l’Algérie, hélas), que les intérêts des États ne s’expliquent guère par leur appartenance à telle culture ou civilisation — et que les Américains ne sont pas d’humeur à mener une nouvelle croisade contre des « adversaires » aussi nombreux (et hétérogènes). Les analyses du système international en termes de niveaux multiples, et de complexité, sont sans doute plus proches du réel, mais elles n’offrent guère de directives pour l’action. S’appuyant sur les critiques que le candidat Clinton avait adressées à son rival, George Bush, pendant la campagne présidentielle de 1992, le nouveau conseiller pour la Sécurité nationale, ancien diplomate et universitaire, Anthony Lake, a, à plusieurs reprises, présenté comme fil conducteur une sorte de « wilsonisme pragmatique ». Le thème de la diplomatie clintonienne serait la défense et l’expansion du libéralisme dans le monde : mise en quarantaine des méchants et parias (tels Saddam Hussein, le régime iranien, Fidel Castro, Kadhafi), promotion des droits de l’homme là où ils sont bafoués (comme en Chine), du libéralisme économique, considéré comme indispensable pour la croissance mondiale et comme porteur, de ce fait, de progrès en matière de droits de l’homme — la liberté étant ainsi censée être indivisible, au moins à long terme — défense de la démocratie là où elle est menacée ou (comme à Haïti) renversée, disposition à recourir à la force dans ce cas, ou lors de désastres humanitaires et de violations massives des droits de l’homme, à condition de bien peser les risques, les chances de succès, les possibilités de « sortie honorable », et de n’intervenir que lorsque les États- Unis y ont un intérêt bien défini. Quant à la façon de procéder, elle serait multilatérale, dans la mesure du possible, unilatérale en cas de nécessité.

On le voit : wilsonisme (ou retour à l’idée d’une « mission américaine ») et pragmatisme, en se mariant, forment un couple mal assorti. Si fil conducteur il y a, on voit mal où il mène. La promotion du libéralisme économique a été présentée tantôt comme partie intégrante du programme libéral, tantôt comme la défense des intérêts économiques essentiels des États-Unis. L’idée que l’intervention coercitive pour la liberté ne doit avoir lieu que si, au préalable, des intérêts américains évidents ont été identifiés, suggère que la promotion des droits de l’homme et de la démocratie n’en constitue pas un ipso facto : concession remarquable au réalisme traditionnel. Le vieux débat entre libéraux (ou idéologues) « unilatéralistes » et libéraux multilatéralistes mus par la méfiance envers le risque d’impérialisme que recèle l’intervention unilatérale n’est pas non plus résolu. On le voit : il s’agit d’un fil conducteur en caoutchouc.

En second lieu, comme bien des fois dans le passé, l’idéalisme wilsonien ou néo-wilsonien se heurte à des conflits entre des intérêts également légitimes. Que faire lorsque le souci du libéralisme économique (ou de l’ouverture des marchés aux produits américains) entre en conflit avec le désir de promouvoir au plus vite les droits de l’homme — ce dernier ne pouvant aller sans créer de tension avec l’État visé, alors que celui-là en exige la coopération ? Ou lorsque, pour mener une politique de non-prolifération, on est obligé de pactiser avec des États peu reluisants du point de vue du libéralisme politique ? Lorsqu’il faut faire face à une agression, ou à des violations évidentes et massives des droits de l’homme, l’intérêt des États-Unis est-il de s’engager seuls si les alliés ou partenaires font défaut, ou bien le maintien des alliances a-t-il la priorité ?

En troisième lieu {last but not least, dirait-on chez les Anglo-Saxons), l’enthousiasme du pays et du Congrès pour, sinon l’idéal néo-wilsonien, du moins sa mise en œuvre, est fort peu évident, alors que l’idée du containment avait trouvé, ou plutôt suscité, un très large consensus. Après tout, rappelons-nous le sort de Wilson lui-même, et des formes les plus spectaculaires de son activisme : répudiation par le Congrès, puis par le corps électoral du traité de Versailles et de la SDN, occupations prolongées et désastreuses (pour la démocratie) dans les Caraïbes… Une opinion publique et une classe politique à qui l’on avait, avec un plein et parfois regrettable succès, expliqué que la rivalité avec l’URSS faisait de chaque bout de terrain, même obscur et ingrat, un enjeu qu’il était de l’intérêt vital des États-Unis de défendre ; une opinion et une classe politique qui savent qu’il n’y a point, à l’heure actuelle, de menace grave qui pèse sur la sécurité et l’intégrité du pays, ne sont guère désireuses de redéfinir l’intérêt national de telle manière qu’il couvrirait, et transformerait en devoirs, toutes les bonnes et belles choses nécessaires à l’harmonie universelle. Et cela, d’autant moins que, depuis la fin de la guerre froide, le public et ses élus ne manquent pas une occasion de faire savoir qu’il est temps pour l’Amérique de prendre à bras le corps ses propres problèmes économiques et sociaux — et qu’il existe des désaccords profonds sur la façon de les résoudre. Bill Clinton a dû son élection — avec 43% des voix — à la façon dont il avait promis un changement de direction et une priorité aux problèmes intérieurs (c’était aussi le thème de Ross Perot, qui recueillit 19% des voix). Pendant la campagne de 1992, la contradiction entre sa critique « activiste » et idéaliste de la diplomatie de George Bush et son appel à la réforme intérieure, n’avait guère frappé les esprits, tant on est habitué à ce que les candidats fassent flèche de tout bois, et tant Bill Clinton avait consacré d’importance à cet appel. Mais une fois au pouvoir, il fallait bien, ou choisir, ou bien, en louvoyant, risquer de tomber entre deux sièges. Le plus étonnant est qu’il a fait l’un et l’autre. […]

Lisez la suite de l’article ici.

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Reintegrating Jihadist Extremist Detainees

Thu, 08/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Marc Hecker, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de Daan Weggemans et Beatrice de Graaf, Reintegrating Jihadist Extremist Detainees: Helping Extremist Offenders Back into Society (Routledge, 2017, 168 pages).

Ce livre est issu d’une analyse réalisée par deux chercheurs, Daan Weggemans de l’université de Leiden et Beatrice de Graaf de l’université d’Utrecht, pour le compte de l’organisation néerlandaise « Politie en Wetenschap ». L’objectif de cette dernière est de servir de passerelle entre les milieux scientifique et sécuritaire, afin d’améliorer les pratiques policières et judiciaires.

L’ouvrage se divise en trois parties. La première revient sur les aspects théoriques du rôle de la prison, et sur la définition du concept de déradicalisation. La deuxième décrit plusieurs programmes de désengagement ou de déradicalisation mis en œuvre dans des pays musulmans ou occidentaux. Ces deux parties constituent une synthèse utile pour les néophytes, mais suscitent un sentiment de « déjà lu » chez les spécialistes.

La troisième partie s’appuie, elle, sur une recherche de terrain substantielle et apporte un éclairage original à la problématique de la réinsertion des djihadistes ayant purgé leur peine. Les auteurs ont interviewé dix individus ayant été incarcérés aux Pays-Bas pour des faits de terrorisme islamiste. Ils ont également rencontré certains de leurs proches, des policiers, des avocats, des magistrats, ou encore des travailleurs sociaux.

Ce travail très riche est difficile à résumer, et l’on se contentera de relever trois points. Tout d’abord, le débat que nous avons eu en France sur l’opportunité de regrouper les détenus radicalisés pour éviter qu’ils ne « contaminent » les autres prisonniers, a eu lieu aux Pays-Bas près de dix ans plus tôt. Ainsi les djihadistes néerlandais ont-ils fait l’objet d’un regroupement dès 2006. La Terrorist Detention Facility (TDF) de Vught a été fermée en 2011, puis rouverte en 2013. Plusieurs djihadistes interviewés sont passés par cette TDF. Tous en gardent un souvenir douloureux, qui se traduit chez certains par une rancœur tenace pouvant se transformer en désir de vengeance, et chez les autres, au contraire, par la volonté d’éviter de retourner en prison.

Ensuite, les auteurs notent que les premiers mois après la sortie de prison ont été difficiles pour les ex-détenus. Ces derniers n’avaient visiblement pas été bien préparés à la vie en liberté. Avec le temps, les trajectoires des uns et des autres ont divergé, sans que l’on puisse identifier précisément de variables explicatives. Une moitié a réussi à reprendre une existence à peu près normale. Une autre moitié semble au contraire dériver : certains vivent reclus et sombrent dans la dépression, d’autres ont choisi de quitter les Pays-Bas. L’un d’entre eux est parti en Syrie.

Enfin, les auteurs insistent sur la nécessité d’impliquer des acteurs variés dans le processus de réinsertion (policiers, travailleurs sociaux, psychologues, spécialistes de l’islam, etc.) et d’assurer une bonne coordination entre eux. Ils soulignent que, dans tous les cas, un programme individualisé et un suivi de long terme s’imposent.

La conclusion est destinée aux praticiens. Elle intègre des tableaux utiles, qui présentent succinctement les facteurs susceptibles d’aider, ou au contraire d’entraver, un processus de réintégration. Au final, les auteurs se montrent modestes : ils ne prétendent pas avoir découvert une solution miracle. Ils indiquent, au contraire, que les processus de désengagement sont complexes et coûteux, pour des bénéfices incertains.

Marc Hecker

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Lutte contre le terrorisme : la Belgique, maillon faible ?

Wed, 07/02/2018 - 09:00

Alors que le procès de Salah Abdeslam s’est ouvert à Bruxelles, nous vous proposons de (re)lire l’article de Sébastien Boussois, « Lutte contre le terrorisme : la Belgique, maillon faible ? » publié dans le numéro d’hiver 2017-2018 de Politique étrangère.

« Les attentats de Paris (13 novembre 2015) et Bruxelles (22 mars 2016) ont mis à jour les connexions franco-belges existant depuis des décennies en matière de terrorisme.

Pour certains commentateurs, la Belgique serait bien devenue une base arrière du terrorisme international. C’est en effet à Bruxelles que les attentats de Paris ont été préparés par la filière Abaaoud pour frapper la capitale française au Bataclan, au Stade de France et sur les terrasses de l’Est parisien. Le Belgium bashing s’est répandu après ces attentats. Le fait que Bruxelles ait ensuite été touchée n’a pu atténuer les soupçons, les renforçant bien au contraire.

La Belgique est-elle vraiment le maillon faible européen dans le domaine de la lutte contre le terrorisme ? Depuis les attaques de 2015 et 2016, la France a elle-même opéré une introspection sur les faiblesses de son système de prévention et de renseignement. La Belgique ne peut être tenue pour seule responsable. Des difficultés comparables se retrouvent sur les deux rives du Quiévrain : sous-financement des autorités locales et du personnel éducatif et social, absence de véritable stratégie de prévention de la radicalisation, déperdition du renseignement collecté à l’échelon local, etc. Des causes spécifiquement liées à la complexité du système politique belge peuvent néanmoins être identifiées, comme l’a montré une commission d’enquête parlementaire chargée d’éclaircir les responsabilités et de faire des propositions pour renforcer « l’architecture de sécurité belge ».

Belgique et terrorisme international : une histoire ancienne

Les liens entre la France et la Belgique, en matière de terrorisme, sont anciens. En 1995, lors de la vague d’attentats attribuée au Groupe islamique armé (GIA) algérien, des débris d’une bonbonne de gaz retrouvée à la station Saint-Michel à Paris permettent aux enquêteurs de remonter jusqu’au nord de la France, puis en Belgique.

L’année suivante, c’est l’affaire du « gang de Roubaix » qui terrorise la région. Proche d’Al-Qaïda, cette bande regroupe des convertis à l’islam partis en Bosnie pour défendre les musulmans bosniaques. Ses membres, passés par la Belgique et Molenbeek, commettent meurtres et braquages. Christophe Caze, l’un des cerveaux du groupe avec Lionel Dumont, est finalement tué en Belgique.

Autre fait reliant la Belgique à Al-Qaïda : le 9 septembre 2001, le commandant Massoud, leader de la résistance aux talibans en Afghanistan, est assassiné, deux jours avant les attentats du World Trade Center et du Pentagone ; certains membres du commando meurtrier sont passés par Molenbeek. En 2004, on réalise que les concepteurs des attentats de la gare d’Atocha à Madrid sont aussi passés par Molenbeek. Cette commune apparaît déjà comme un carrefour du terrorisme islamiste. Mehdi Nemmouche, le Français responsable de l’attentat du Musée juif de Bruxelles en mai 2014, avait acheté ses armes à Molenbeek, tout comme Amedy Coulibaly, responsable de la tuerie de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes en janvier 2015. Puis viennent les attentats de novembre 2015 et mars 2016, préparés pour partie à Molenbeek.

Forces et faiblesses du Belgium bashing

La Belgique et la France vivent des drames comparables. Ce sont les deux pays européens les plus touchés par les filières d’envoi de djihadistes au Moyen-Orient. La France compte en effet le contingent le plus important en valeur absolue, tandis que la Belgique est le pays le plus affecté au prorata de sa population. Plus de 450 Belges – pour une population de 11 millions d’habitants – ont rejoint des groupes djihadistes en Syrie ou en Irak. Des chiffres plus importants – jusqu’à 600 – sont parfois mentionnés : ils incluent les ressortissants étrangers ayant vécu en Belgique. La diversité des profils des personnes radicalisées montre que la Belgique n’est pas un cas à part, et qu’il ne suffit plus de se concentrer sur une population jeune, désœuvrée, issue de l’immigration, sans diplôme, en rupture familiale et ayant grandi dans des quartiers populaires.

En Belgique, le « Molenbeekistan » fait l’objet de toutes les attentions, alors que la radicalisation a aussi pris corps en région flamande, à Anvers et Vilvorde. La radicalisation n’est donc pas le privilège des mosquées ou cafés de Molenbeek. Elle se nourrit également d’internet et prospère en milieu carcéral. Les prisons, en France comme en Belgique, sont trop souvent délabrées, surpeuplées, et souffrent des carences de la politique de prévention de la récidive. Or, une partie des jeunes partis en Syrie et revenus comme terroristes se sont radicalisés en prison : incarcérés pour petite délinquance, ils en sont sortis aventuriers du grand banditisme et soldats de Daech. La Belgique est loin d’être le seul pays européen touché par la radicalisation ; mais elle concentre souvent l’attention, étant qualifiée tantôt de « plaque tournante du djihadisme », tantôt d’« État failli ».

Un Belgium bashing contesté et contestable

Ce Belgium bashing qui sévit depuis les attentats de Paris de novembre 2015 fait ressurgir une idée récurrente à l’échelon local belge : une tolérance trop importante aurait été accordée aux Belges d’origine marocaine, et à l’islam en général, depuis les années 1970. Après les attentats, l’ancien bourgmestre de Molenbeek Philippe Moureaux a ainsi été montré du doigt. Bien des maux lui ont été reprochés : clientélisme, laxisme en matière de lutte contre le trafic de drogue, importance du rôle accordé aux « grands frères » en matière de contrôle social, etc. Pourtant, ces reproches ne sont qu’épiphénomènes d’un problème plus général, plus profond et plus ancien.

Comprendre l’histoire de l’islam en Belgique est essentiel pour appréhender le contexte actuel. En 1967, la visite officielle du roi Fayçal à Bruxelles a été un événement important. Elle a eu lieu quelques jours après l’incendie du magasin Inno, qui fit plus de 250 morts. Le roi d’Arabie Saoudite, touché par le drame, fit un don au profit des victimes. En remerciement, le roi des Belges lui confiait le pavillon oriental du parc du Cinquantenaire et lui demandait d’en faire le centre de l’islam en Belgique. À la même époque, des milliers de Marocains – essentiellement des Rifains, peu appréciés du souverain Hassan II – s’installaient en Belgique. Méfiants à l’égard des imams envoyés par Rabat, ils se tournaient vers les imams de Riyad, qui ne parlaient ni français ni flamand.

Avec l’implantation d’un islam rigoriste influencé par l’Arabie Saoudite émerge la question du rapport de nos démocraties à l’islam, ou plutôt aux islams. À cet égard, la droite n’a pas manqué d’accuser la gauche d’aveuglement. Si les responsabilités de la situation actuelle ne sont pas simples à établir, il est clair que personne n’a su prévenir les dérives dont le pays tout entier a payé le prix.

Le système fédéral belge et le détricotage des services

Le glissement de strates entières de la population vers la précarisation, le trafic et le passage aux actes violents, a pu s’opérer dans le contexte d’un État de plus en plus affaibli par les politiques successives de réduction des dépenses publiques. Les raisons en sont multiples : un système politique complexe, le dépérissement des ministères de la Justice et de l’Intérieur, ou encore l’appauvrissement des services de renseignement et de la police. […] »

Lisez la suite de l’article sur Cairn.info.

 

La Russie par-delà le bien et le mal

Tue, 06/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de Pascal Marchand, La Russie par-delà le bien et le mal. Idées reçues sur la « puissance pauvre » (Le Cavalier bleu, 2017, 256 pages).

Ce livre nous sauve simplement des simplismes qui prolifèrent sur la Russie en s’affrontant aux lieux communs les plus répandus de manière à la fois informée et abordable. C’est un personnage russe fort éloigné des fantasmes occidentaux qui s’y affirme, s’y dessine, avec ses forces et ses faiblesses.

La Russie est-elle un objet historique si énigmatique qu’on le croit ? Est-elle condamnée à demeurer une économie sous-développée, assise sur ses matières premières et quêtant les technologies occidentales ? La Russie est-elle une puissance impérialiste, appuyée sur une massive puissance militaire et isolée sur la scène diplomatique ?

L’immensité de son territoire organise – ou désorganise – l’existence politique du pays. Il est d’Europe par volonté (l’Europe ne se limite pas à l’Union européenne) ; il est composite par ses populations et nationalités (ce qui est difficile à saisir très à l’ouest de l’Europe) ; il est difficile à contrôler et à diriger (et l’anarchie de l’« accumulation primitive » des années 1990 n’a rien arrangé). Oui, la corruption y prospère, mais le pouvoir de Vladimir Poutine – à la fois fort et limité, comme celui des tsars – s’y est sans conteste attaqué. Quant à la natalité du pays, elle se redresse quelque peu, et les migrations restent un élément central de la problématique démographique russe : le tout dessinant une situation moins dramatique qu’on l’imaginait voici vingt ans.

La frontière entre économie et géopolitique est ténue. Oui la Russie est riche de ses matières premières. Mais elle est « naturellement » desservie par son immensité, qui explique en partie la faiblesse de ses infrastructures – en particulier de transport. Moscou a traditionnellement cherché à l’Ouest sa modernisation technique, mais elle a pour la première fois aujourd’hui la possibilité de regarder vers Pékin : par exemple pour le secteur aéronautique, ou le ferroviaire à grande vitesse. Les sanctions occidentales ont pour effet de pousser Moscou vers une collaboration croissante avec Pékin, et d’encourager la production intérieure (par exemple en matière alimentaire) : deux facteurs de décollage pour une économie russe moins atone qu’on le dit.

Impériale, la Russie l’est dans son environnement proche comme toute puissance – souvenons-nous de la doctrine Monroe… Sa puissance militaire se relève lentement du plongeon des années 1990 pour lui donner une capacité d’intervention efficace mais bornée au plan régional. L’Occident ferait pourtant une lourde erreur en s’imaginant Moscou isolé sur le plan diplomatique. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), la coordination entre BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) – lui offrent un espace diplomatique nouveau. La question étant de savoir si cet espace diplomatique demeurera opportuniste, ou deviendra structurant.

Opportuniste : mot-clé. Si la Russie pèse aujourd’hui internationalement, c’est d’abord qu’elle s’est saisie des chances que lui ont fournies les stratégies et les erreurs de l’Occident. Moscou s’en est saisi simplement pour affirmer son intérêt. Pascal Marchand cite au début de son livre la fameuse phrase de Winston Churchill sur une Russie « rébus enveloppé d’un mystère, au sein d’une énigme ». En restituant fort heureusement la phrase qui suit – systématiquement oubliée – : « Mais peut-être à cette énigme y a-t-il une clef. Cette clef, c’est l’intérêt national russe. »

Dominique David

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Tianjin Cosmopolis. Une autre histoire de la mondialisation

Mon, 05/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Philippe Moreau Defarges propose une analyse de l’ouvrage de Pierre Singaravélou, Tianjin Cosmopolis. Une autre histoire de la mondialisation (Seuil, 2017, 384 pages).

30 juillet 1900-15 août 1902 : la Chine impériale est emportée dans la tourmente de la guerre des Boxers, soulèvement férocement nationaliste, soutenue par l’impératrice Cixi (Tseu-Hi), contre les puissances dépeçant l’empire du Milieu. Non loin de Pékin, alors au cœur des affrontements, ces puissances – Royaume-Uni, France, Allemagne, États-Unis, Russie, Japon, Italie et Autriche-Hongrie – établissent, près de la mer, à Tianjin (ou Tien Tsin) un gouvernement international. Ce gouvernement, enceinte d’intenses compétitions entre les neuf participants (chacun ayant son secteur à soi), devient en fait le lieu et l’instrument d’un effort réussi de modernisation d’un morceau de Chine : aménagement urbain, révolution sanitaire, taxation du sel…

Pierre Singaravélou écrit bien « une autre histoire de la mondialisation ». Cette dernière ne se réduit plus à une marche aveugle et brutale d’un Occident broyant tout ce qui entrave sa domination. La mondialisation est ici analysée comme une partie multiforme et complexe, tant entre « mondialisateurs » qu’entre « mondialisateurs » et « mondialisés ». Le livre montre avec précision le souci qu’a chaque nation de prouver qu’elle est la plus performante… pour l’amélioration de la condition des Chinois.

Cet ouvrage fouillé, contribution à l’immense chantier des études des dimensions ignorées ou souterraines de la mondialisation, fait lever une question que suscite inévitablement toute « autre histoire de la mondialisation » : la résonance de l’expérience de Tianjin sur les Chinois et la Chine. Pierre Singaravélou conclut prudemment : « Tianjin représente donc une enclave mais aussi une voie de modernisation possible, dont les hommes d’État […] ont pu s’inspirer… » Mais si le laboratoire de Tianjin ne constitue qu’un moment éphémère, en quoi porte-t-il « une autre histoire » ? Comment les Chinois, si imbus de leur supériorité et pris dans un cataclysme sans précédent dans leur histoire, acceptent-ils d’être instruits par un gouvernement qui ne comprend aucun d’eux et les maintient sous tutelle ?

Par ailleurs, le livre souffre d’un manque peu compréhensible. Rien sur l’opium, que laisse de côté le chapitre pourtant très développé sur « la révolution sanitaire » de Tianjin. Cet opium, comme l’indiquent les deux guerres de ce nom, et comme le raconte Le Lotus bleu de Tintin, est sinon le problème au moins l’un des problèmes majeurs de santé publique de la Chine impériale. Le gouvernement international de Tianjin a très certainement évoqué ce fléau. Quelles furent les réactions du représentant britannique, qui savait que l’opium fumé par les coolies et les Mandarins venait des Indes ? L’usage de l’opium, présent dans toutes les couches de la société, était-il encore intouchable pour les barbares étrangers – qui, en outre, s’accommodaient d’une Chine à terre et docile ? Une autre histoire de la mondialisation devrait se vouer à « soulever le tapis » pour mettre à nu tout ce qui trouble…

Un si remarquable travail appelle les outils pédagogiques bien connus. Si les cartes sont ici bien choisies et superbes, une chronologie aurait été utile pour éclairer les relations entre les événements de la Chine – évolution de la guerre des Boxers – et l’expérience de Tianjin. De même, un index doit désormais accompagner tout livre de « non-fiction ».

Philippe Moreau Defarges

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Les grandes lignes de la politique étrangère de la France

Fri, 02/02/2018 - 11:08

Créée en 1936, Politique étrangère est la plus ancienne revue française dans le domaine des relations internationales. Chaque vendredi, découvrez désormais « l’archive de la semaine ».

* * *

Cet article, écrit par le journaliste allemand Ernst Weisenfeld, a été publié dans le numéro de printemps 1975 (n° 1/1975). Analysant les principaux événements depuis la Seconde Guerre mondiale, l’auteur s’efforce de définir les réactions que suscite à l’extérieur la politique étrangère française. Bien que celle-ci continue à être fortement influencée par les options fondamentales du gaullisme, on constate une certaine réorientation, notamment en ce qui concerne les rapports avec les États-Unis, et le souci d’adapter la diplomatie de la France à ses possibilités réelles.

« L’élection du nouveau président de la République et certains gestes qui ont accompagné ce changement, ont été interprétés avec raison comme les signes d’un réajustement de la politique étrangère française. Bien que l’échec indéniable du candidat gaulliste n’ait pas été lié à des problèmes de politique étrangère, il a cependant montré que dans de très larges couches électorales une « certaine idée de la France » trouvait moins d’échos qu’auparavant. Les changements intervenus dans la diplomatie française restent en-deçà de ce que beaucoup attendaient, ce qui explique la déception qui s’est manifestée ici et là. Une telle déception aurait pu être évitée si l’on s’était rendu compte à temps des quelques données fondamentales, des contraintes intérieures et des intérêts de base qui déterminent l’action internationale de la France.

Je vais essayer d’analyser ces facteurs essentiels.

Lorsque en 1950, la France, sous l’impulsion de son ministre des Affaires étrangères, Robert Schuman, et de son Commissaire au Plan, Jean Monnet, a conçu sa politique européenne, elle cherchait avant tout et d’une façon originale et durable à tirer les conséquences du fait que la période d’après-guerre s’était terminée par la désunion et les conflits dans le camp des vainqueurs de la deuxième guerre mondiale.

Cette conception était basée sur un certain nombre d’idées fondamentales.

Il s’agissait en effet de :

— Canaliser l’industrie allemande désormais libre de toute entrave dans une direction qui excluerait un nouveau conflit franco- allemand et qui faciliterait l’industrialisation de la France.

— D’amarrer les Allemands disponibles à l’Occident et de contrôler l’exigence allemande visant la réunification du pays.

— De rendre progressivement à l’Europe une personnalité qui lui permettrait de se maintenir dans un monde dominé par la rivalité des deux grandes puissances sorties de la guerre. De cette façon on espérait aussi rendre plus crédible la voix de la France.

— De s’assurer que cette Europe-là bénéficierait de la protection et de l’aide des États-Unis d’Amérique et de faire de Paris l’interlocuteur préférentiel de Washington.

— De tenir donc, si possible, les Anglais à l’écart et de mettre l’accent non pas sur « l’entente cordiale », mais sur la coopération franco-allemande.

Les milieux politiques étaient de plus en plus conscients du fait que les liens avec les voisins allemands allaient se développer plus vite que les liens avec l’Angleterre. Ainsi, la visite officielle que la reine d’Angleterre fit à Paris en 1957, quelques jours après la signature du Traité de Rome, fut parfois qualifiée de visite d’adieu. Les espoirs nourris par P. Mendès-France de pouvoir mener la politique européenne avec le concours britannique ne devaient pas se réaliser et la participation de Londres à l’Union de l’Europe occidentale (U.E.O.) conçue comme un substitut à la défunte C.E.D. n’y pouvait rien changer. Un Européen aussi averti que Paul-Henri Spaak, lorsqu’il occupait la fonction de Secrétaire général de l’OTAN, disait en 1960 dans une conversation avec des journalistes : « La France a poursuivi, dès le début, l’objectif de tenir les Anglais à l’écart du continent ». Cette interprétation trop sommaire, en ce qu’elle ne distinguait pas entre la politique du général de Gaulle et celle de la IVe République était cependant juste dans la mesure où ni la conception gaulliste, ni celle des intégrationnistes européens n’admettaient la participation pleine et entière de la Grande-Bretagne. P. Mendès France a dû constater à plusieurs reprises pendant vingt ans que sa demande de faire l’Europe avec les Anglais ne fut appuyée que par une minorité.

Au début des années 50, lorsque cette conception européenne fut traduite dans la réalité, il existait en général un climat de confiance avec les États-Unis malgré quelques tensions qui se manifestaient notamment dans le domaine militaire.

Le gouvernement de Washington s’était déclaré en faveur des intentions françaises et ce n’était qu’en matière de décolonisation qu’apparaissaient de graves divergences. En Indochine, la France ne résistait pas aussi longtemps que Washington l’aurait souhaité et le repli français se faisait d’ailleurs avec l’aide des Soviétiques. En Algérie, par contre, la France résistait trop longtemps selon les Américains et l’expédition de Suez, menée de concert avec l’Angleterre et de connivence avec Israël, afin de renforcer les positions françaises en Afrique du Nord, provoqua un conflit avec Washington qui fut pourtant modéré du fait qu’à cette époque, la tension Paris-Moscou était encore plus aiguë. […] »

Lisez la suite de l’article ici.

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Guerre, armée et communication

Thu, 01/02/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Éric Letonturier, Guerre, armée et communication (CNRS Éditions, 2017, 216 pages).

Cet ouvrage collectif se concentre plus particulièrement sur l’impact de la révolution numérique et des réseaux sociaux sur l’institution militaire et le fait guerrier. Il n’est pas possible de revenir ici sur toutes les contributions. Nous en évoquerons quelques-unes, parmi les plus marquantes.

André Thiéblemont, dans une partie particulièrement intéressante pour les non-initiés, s’intéresse aux phénomènes de communication en zone de combat. Il explique notamment l’enjeu que représente la transmission des ordres. Cette transmission se voit bouleversée au moment où les réseaux numériques permettent de passer d’un système strictement pyramidal à une diffusion horizontale.

Une excellente synthèse de l’histoire des « soldats de l’image » est proposée par Bénédicte Chéron. Le premier service des armées dédié à la communication naît en 1915. Plus récemment, l’année 2004 a constitué un tournant. Lors de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, les armées françaises ont manqué d’opérateurs pour filmer les événements de l’hôtel Ivoire, et « l’absence d’images utilisables pour venir appuyer l’histoire des armées françaises a pénalisé la communication politique et militaire ». En conséquence, le développement du service de communication a été accéléré. La fin de la guerre d’Afghanistan et l’opération Serval en 2013-2014 constituent une autre période charnière. Les « réalités guerrières » sont désormais mieux assumées.

Barbara Jankowski nous propose quant à elle une intéressante mise en perspective de l’évolution de l’opinion des Français sur leurs armées. Elle est désormais très favorable – 87 % d’avis positifs en 2016 –, alors qu’elle était négative à la fin de la guerre d’Algérie. La professionnalisation en est une explication majeure. L’approbation des opérations extérieures est, elle aussi, forte. En janvier 2013, 71 % des Français étaient favorables à l’intervention militaire au Mali. Cette caractéristique distingue la France de la plupart de ses alliés. Cette adhésion est cependant conditionnelle : un événement comme l’embuscade d’Uzbin de 2008 reste susceptible de faire basculer l’opinion.

L’état de la présence des militaires français dans l’espace public numérique est exposé par Michel Sage. Certains soldats, aviateurs et marins ont en effet profité de l’avènement de ce nouveau support pour s’exprimer, et devenir, selon le mot de l’auteur, des « milinautes ». L’omniprésence d’internet et des réseaux sociaux a poussé l’institution militaire à réagir, en imposant parfois la déconnexion en opération extérieure, en menant des campagnes de sensibilisation au bon usage des réseaux sociaux, ou encore en « contre-communiquant » via des sites internet institutionnels et une présence croissante sur les réseaux sociaux. L’armée de Terre a, par exemple, plus de 100 000 followers sur Twitter. L’auteur pointe en conclusion un risque de « cantonnement numérique » qui limiterait les militaires à un entre-soi.

L’ouvrage mérite donc d’être lu, en dépit de la présence de contributions de qualités variables, et parfois à la limite du sujet.

Rémy Hémez

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Face aux interrogations les plus sombres du début 2018

Wed, 24/01/2018 - 09:00

Le blog Reflets du Temps, qui consacre une large place aux questions internationales, a publié le 20 janvier un article mettant à l’honneur le numéro d’hiver (n° 4/2017) de Politique étrangère : « L’Irak après Daech ».

La revue Hiver 2017-2018 nous guide comme toujours, via ce « savant » qu’on comprend facilement, dans plusieurs chemins pouvant s’inscrire comme un « faire le point » sur les inquiétudes majeures, nous guettant en ce début 2018.

Nous avons du coup lu la revue un peu différemment de notre façon habituelle, utilisant certes le dossier phare (L’Irak après Daech) et certains points du dossier second (Trump, une rupture de l’ordre mondial ?), mais approfondissant aussi deux forts articles de la partie Actualités, chacun comprendra pourquoi : Yémen, imbroglio politico-juridique, désastre humanitaire, impasse militaire ; et Corée du Nord/États-Unis : jusqu’où ira la confrontation ?

Antoine Bondaz éclaire – et c’est difficile de poser des jalons sur l’incertitude, les contradictions, les rebondissements d’une telle situation – la question que tout un chacun se pose en ce début d’année : la confrontation Corée du Nord/États-Unis, avec dès le titre le mot-clef de la problématique – jusqu’où.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-Un, la militarisation à marche forcée appuyée sur un très fort développement de l’arsenal nucléaire, et des capacités balistiques l’accompagnant, ne font plus aucun doute ; pas plus que l’escalade verbale foncièrement menaçante de D. Trump. Le face à face s’incarne aussi du reste dans ces deux personnalités – particulières – et dans les échos spécifiques sur leur population-public. L’article a le mérite de reposer la chronologie de la confrontation, et de souligner – certes, seulement hic et nunc dans cette géopolitique changeante – les stratégies possibles, les objectifs probables, les hypothèses de « solutions » se dessinant. Ainsi, ce sont d’armes sécuritaires, certes, dont il est question pour la Corée avec cette hausse (et ce perfectionnement) de son arsenal nucléaire, mais bien autant d’armes identitaires répondant à des champs politiques tournés vers la population. Outil « indispensable au juche » recherche de l’indépendance politique, « s’opposant au sadae » ayant défini par le passé la dépendance par rapport à l’empire Chinois. Contrairement à nos représentions occidentales, la RPDC aligne certaines réussites économiques notamment en croissance, sous l’égide d’une réelle autorité du dictateur dirigeant. Si les USA veulent à terme contraindre les Coréens à la dénucléarisation, à l’instar de la communauté internationale – ce qui passe par la table des négociations – il faudrait mesurer et trier dans les sanctions à l’œuvre actuellement, et ne jamais négliger la Chine, ni comme acteur de futures négociations, ni même comme inhérente à tous les concepts sur la confrontation (principal client de 90% des exportations nord-coréennes). Quant à l’éventualité de ripostes militaires dont des frappes nucléaires, l’article montre combien ce serait d’un coût considérable, notamment humain, et d’un résultat plus qu’incertain… […]

Pour lire l’article en entier, cliquez ici.

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Les Français en guerres de 1870 à nos jours

Tue, 23/01/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Matthieu Chillaud propose une analyse de l’ouvrage de François Cochet, Les Français en guerres de 1870 à nos jours (Perrin, 2017, 456 pages).

Bien connu pour ses nombreux travaux sur l’expérience combattante ainsi que sur la captivité et la mémoire des guerres, François Cochet, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Lorraine jusqu’à 2017, appartenait au très petit nombre d’historiens militaires français qui professaient dans le milieu universitaire. Véritable legs aux nouvelles générations pour qui l’histoire militaire – et notamment l’histoire-bataille, centrée sous la conduite des opérations tactiques et stratégiques – n’est plus ni boudée, ni discréditée dans l’alma mater comme elle le fut longtemps, cet ouvrage se présente, dans une profondeur historique (de la guerre de 1870 à nos jours), comme une synthèse remarquable de la culture de guerre de la France.

Conscription, armements, culture militaire, tactique, batailles, traumatismes de guerre, rien n’échappe ici à l’analyse, qui légitime le commencement de l’étude par la guerre de 1870, premier conflit moderne de l’histoire, non seulement par les armements qui ont fait des progrès immenses au milieu du XIXe siècle mais déjà par la rapidité de déplacement des troupes et l’importance de la logistique. À bien des égards, cette guerre constitue effectivement une rupture importante dans les manières de combattre, qui vont aussi profondément changer durant toutes les guerres dans lesquelles la France sera belligérante (Grande Guerre, Seconde Guerre mondiale, guerres de décolonisation et opérations extérieures sous toutes leurs formes). Dans chacune d’entre elles, François Cochet identifie les acteurs, analyse les motivations des combattants et examine les formes des combats. Les tâtonnements sur les formats des armées et les hésitations sur les principes de la conscription, de l’armée professionnelle et de la réserve, sont largement étudiés à l’aune des doctrines et des stratégies du moment. Entre messianisme et patriotisme, les motivations des Français qui se battent sont ensuite considérées. Enfin, François Cochet examine les mutations des guerres et la manière dont les combattants français y font face.

On trouvera bien peu de défauts à cet ouvrage à l’exception de quelques bévues sur les noms (le commandant de la Force de protection des Nations unies, par exemple, n’était pas le général Pierre Cot mais Jean Cot) et, peut-être aussi d’un système de référencement de notes de bas de pages qui ne rend pas la lecture aisée. Quelques cartes et une imposante bibliographie parachèvent le travail didactique de François Cochet qui, avec cet ouvrage, redonne in­contestablement légitimité à l’étude académique du fait militaire – une étude des combats dans une histoire globale –, tout en répondant à des problématiques diverses (géopolitique et géostratégie, analyse politico-militaire, relations opinion/gouvernement/commandement, rapports armée/nation).

Il fut un temps où l’histoire militaire était caricaturalement accusée de s’attacher au seul fait guerrier, qui paraissait bien annexe par rapport aux données démographiques ou économiques, et le terme d’« historien militaire » n’était pas loin de paraître un qualificatif déshonorant. S’il existe encore quelques reliquats de cette époque dans le monde universitaire, l’ouvrage de François Cochet ne pourra que contribuer à réévaluer la légitimité de l’histoire militaire dans l’alma mater.

Matthieu Chillaud

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Obama: The Call of History

Mon, 22/01/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Maya Kandel propose une analyse croisée des ouvrages de Peter Baker, Obama: The Call of History (Abrams, 2017, 320 pages) et de Michael d’Antonio, A Consequential President: The Legacy of Barack Obama (Thomas Dunne Books/St Martin’s Press, 2017, 320 pages).

Parmi les livres déjà parus sur la présidence de Barack Obama, et en attendant les mémoires du principal intéressé, un livre se distingue particulièrement : celui de Peter Baker, chronique illustrée des huit années d’Obama à la Maison-Blanche, par un observateur de première ligne puisque Baker fut le correspondant du New York Times à la Maison-Blanche. C’est également un « beau livre », avec son grand format et les photos de Pete Souza (entre autres). C’est enfin une référence grâce à sa chronologie détaillée et son index très complet. Baker livre un récit chronologique, articulé autour des principales étapes de la présidence Obama, ainsi que de portraits plus personnels de la famille et de l’entourage (Joe Biden) du président.

Achevé après la victoire de Donald Trump, il en tient compte pour l’héritage d’Obama, avec un dernier chapitre au titre évocateur : « Une insulte personnelle. » C’est un atout au regard d’autres ouvrages comme celui de Michael d’Antonio, dont le propos aurait été différent s’il n’avait été achevé avant novembre 2016 : il reste cependant intéressant, en particulier pour un public français, car l’auteur revient davantage sur le contexte politique et partisan, lié avant tout à des questions intérieures moins suivies en Europe. Ainsi les pages sur la réforme de santé illustrent à quel point Obama a dû faire face (sur tous les sujets en réalité) à une opposition systématique, corrosive et souvent mensongère.

Ces deux livres, qui ambitionnent d’analyser la présidence Obama au regard de l’histoire, décrivent un premier mandat dédié à l’économie, à la réforme de santé, et à la tentative d’extraire l’Amérique des guerres de Bush – un premier mandat marqué sur le plan politique interne par la défaite démocrate aux élections de mi-mandat de novembre 2010, mais aussi auréolé du raid victorieux au Pakistan qui permet aux Américains, dix ans après les attentats du 11 septembre 2001, de « rendre justice » en tuant Ben Laden. Baker revient en détail sur ce raid, sans nul doute le pari le plus risqué de la présidence d’Obama, que celui-ci décrira ensuite comme « les 40 minutes les plus longues de [sa] vie ». Un détail est frappant rétrospectivement : c’est en effet la veille, lors du White House Correspondents’ Dinner, institution de la vie washingtonienne, qu’un Obama particulièrement en verve se moque de Trump, présent dans la salle et visiblement humilié.

Le second mandat est plus sombre, avec le retour des blessures et fractures américaines, raciales en particulier, marqué par les violences policières et la naissance du mouvement Black Lives Matter. Sur le plan international surtout, 2014 apparaît comme la véritable annus horribilis d’Obama, avec une succession de victoires de l’État islamique en Irak et en Syrie, l’annexion de la Crimée par la Russie, l’assaut contre Erbil qui conduit les militaires américains à revenir en Irak et à s’impliquer directement en Syrie.

Ce qui se dégage de ces deux livres, c’est aussi, peut-être surtout, la violence contemporaine américaine : violence des guerres de la politique étrangère, violence des armes qu’un système politique vicié par l’argent des lobbies ne parvient pas à réguler, violence du discours politique, des tensions raciales, des attaques personnelles… et de la victoire de Trump, dont l’ascension sur la scène politique est tout entière construite sur un mensonge d’une rare violence politique : celui du birther movement, qui prétendait qu’Obama n’était pas né aux États-Unis, et dont l’objectif était d’instiller dans le débat public l’illégitimité d’Obama. Ce n’est pas là la moindre des ironies tragiques de l’histoire politique américaine contemporaine.

Maya Kandel

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Histoire mondiale de la France

Fri, 19/01/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Maurice Vaïsse propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Patrick Boucheron, Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017, 800 pages).

L’ambition de cet ouvrage est de proposer à un large public « une histoire de France accessible et ouverte ». D’ailleurs, Patrick Boucheron annonce, dans son ouverture, que ce livre se veut « innovant » et « joyeusement polyphonique ». Difficile aux lecteurs de la revue Politique étrangère de bouder une telle invitation, qui privilégie « l’approche du grand large ». Et de fait l’ouvrage, qui se décline de la Préhistoire à 2015 en 146 entrées par dates, illustre le rapport de la France au monde dans un sens bien précis : il ne s’agit pas d’une histoire de la France mondiale, mais d’une histoire mondiale de la France.

Ce qui donne lieu à diverses réinter­prétations d’événements, ou à des choix décalés. Citons comme exemples intéressants la notice sur la création de Marseille par les colons grecs, qui n’est pas le départ de l’hellénisation de la Gaule ; celle sur le rôle des Gaulois qui réclament le droit d’accéder au Sénat de Rome ; au détriment du mythe de Poitiers et de Charles Martel en 732, l’auteur de la notice évoque Ruscino (près de Perpignan), où une troupe musulmane s’installe en 719 : les archéologues y décèlent des occupations successives ou simultanées, où l’Afrique se mêle à l’Europe.

Le développement sur Bouvines est un bel exemple d’« histoire mondiale » : « la journée » a peut-être « fait la France », mais l’auteur tient à démontrer qu’elle se dissout dans une approche du grand large ; de même pour les commentaires sur la figure de Rachi, qui rayonne à partir de la ville de Troyes, en plein Moyen Âge.

La révocation de l’édit de Nantes comme événement européen était plus attendue, de même que l’évocation du Code civil, code pour plusieurs nations ; plus près de nous, l’affaire Dreyfus comme affaire européenne, et l’exposition coloniale de 1931 qui pose la question d’une mentalité impériale de la France.

Autant on prend intérêt à lire ces notices substantielles et originales qui font revisiter avec fraîcheur l’histoire de France, autant on est parfois agacé par un parti pris volontaire et militant de minorer le rôle de la France en le dissolvant dans un ensemble mondial ou européen. Que la France n’ait pas tout inventé ou ne soit pas exemplaire en tout, que la nation française résulte d’un amalgame, qui le contesterait ? Mais on a l’impression que ce livre constitue une réponse tardive à la création du ministère de l’Identité nationale – ce qui serait beaucoup diminuer son intérêt. Cet ouvrage rassemble des contributions de qualité, dont on peut contester parfois les présupposés, mais qui ont le mérite d’inciter à la réflexion.

Maurice Vaïsse

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The Shipwrecked Mind: On Political Reaction

Thu, 18/01/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Laurence Nardon, responsable du programme Amérique du Nord de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Mark Lilla, The Shipwrecked Mind: On Political Reaction (The New York Review of Books, 2016, 168 pages).

Universitaire spécialiste de l’histoire des idées politiques, Mark Lilla enseigne à l’université Columbia et écrit régulièrement pour la New York Review of Books. Il poursuit depuis de longues années une réflexion sur l’évolution des idées politiques en Occident.

Après les premières étapes du miracle grec, de la pensée chrétienne médiévale, des Lumières (un domaine de prédilection), la Révolution française fut suivie de diverses écoles au XIXe siècle, entre progressisme, réaction et conservatisme. La pensée des Lumières ne subit-elle pas depuis un dévoiement ? Mark Lilla décrit le développement continu de l’individualisme depuis l’après-guerre, avec la libération des mœurs des années 1960, le triomphe de l’ultra-libéralisme des années 1980 (individualisme économique), jusqu’à aujourd’hui où, grâce à internet, les individus s’affranchissent des autorités scientifiques et intellectuelles pour développer chacun leur propre expertise sur tous les sujets.

Lilla passe en revue un certain nombre d’intellectuels qui déplorent cette situation. Il commence par définir la « réaction » en politique : le réactionnaire regrette un âge d’or passé et rêve d’une rupture politique, violente s’il le faut, qui pourrait faire renaître cet âge d’or. Il est ainsi plus proche du révolutionnaire (qui rêve pour sa part d’une révolution progressiste) que du conservateur qui, lui, ne souhaite aucun changement.

S’ensuit une galerie de portraits de penseurs partageant une vision critique de la pensée et de la politique occidentales du XXe siècle et, partant, un certain pessimisme. Le penseur juif allemand Franz Rosenzweig, le gnostique Eric Voegelin et l’incontournable Léo Strauss, considéré aujourd’hui comme l’inspiration des penseurs néoconservateurs américains, sont présentés tour à tour. Viennent ensuite d’autres théoriciens, comme le « néo-réactionnaire » Alain Badiou ; ou Brad S. Gregory, critiqué d’une plume acerbe. L’enchaînement des chapitres paraît parfois un peu artificiel : c’est le propre des recueils d’articles rédigés sur une longue période.

Le dernier chapitre, résultat du séjour de l’auteur à l’Institut d’études avancées (IEA) de Paris en 2015, tente d’analyser la sidération de la société française, attachée à la démocratie et la liberté d’expression, face aux attentats de janvier 2015. De façon un peu réductrice, Mark Lilla décrit la pensée française face au défi de l’islamisme radical en présentant le roman Soumission de Michel Houellebecq et la trajectoire intellectuelle d’Éric Zemmour…

Mark Lilla, qui se définit comme un progressiste, serait-il gagné par l’anti-modernisme propre aux auteurs dont il retrace la pensée ? Il y a plusieurs raisons de le croire. Tout d’abord, et de façon frappante, pas une seule femme parmi les auteurs présentés. Peut-être n’y a-t-il aucune intellectuelle réactionnaire valable dans la période étudiée par Lilla ?

Surtout, Lilla est aujourd’hui au centre d’une controverse aux États-Unis. Dans un éditorial du New York Times au lendemain de la victoire de Donald Trump en novembre 2016, puis dans son nouveau livre The Once and Future Liberal (Harper Collins, 2017), il critique le multiculturalisme du Parti démocrate, qui a selon lui causé sa défaite, et l’appelle à proposer un projet proprement unificateur pour le pays. Rédigé avec assez peu d’empathie pour son public, l’ouvrage sent le soufre pour les progressistes bien-pensants.

Laurence Nardon

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