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Politique étrangère (IFRI)

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La revue de référence sur les questions internationales
Updated: 1 month 4 weeks ago

J-5 : le nouveau numéro de Politique étrangère !

Wed, 29/11/2017 - 10:18

À 5 jours de la sortie en librairie, découvrez la vidéo de présentation du prochain numéro de Politique étrangère (n° 4/2017) !

Au sommaire

DOSSIER : « L’Irak après Daech »

CONTRECHAMPS : « Trump : une rupture de l’ordre mondial ? »

Et de nombreux articles d’actualité : Corée du Nord, Yémen, Iran…

> > Découvrez le sommaire complet du numéro ici < <

L’Allemagne vacille

Wed, 29/11/2017 - 09:00

Dans l’émission de Christine Ockrent du 25 novembre dernier sur France Culture, l’article écrit par Hans Stark, « Élections allemandes : le jour d’après », et publié dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n° 3/2017) a été mentionné.

« Angela Merkel qui a dominé la scène internationale, ces dernières années,  n’est pas prête à lâcher la barre, malgré les difficultés. Pourquoi ? Est-ce qu’on enterre trop vite la chancelière ?  Quel calendrier politique en Allemagne et pour l’Union Européenne alors que les négociations pour le Brexit sont en jeu ? »

Stéphan Martens, Enseignant à l’université de Cergy Pontoise et chercheur associé au Comité d’études des relations franco-allemandes (IFRI).  Il a publié avec Philippe Gustin, _France-Allemagne : relancer le moteur de l’Europe,aux éditions Lemieux, en 2016 et vous avez co-dirigé avec Barbara Kunz et Hans Stark, L’Allemagne sur la scène internationale : en quête de stabilité dans un monde qui change_ publié cette année aux éditions Presses universitaires du Septentrion.

Hans Stark, Secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes de l’Ifri (Institut Français des Relations Internationales) et professeur à l’université de Paris IV. Outre l’Allemagne sur la scène internationale, précédemment cité, il a co-dirigé avec Nele Katharina Wissmann, L’Allemagne change ! : risques et défis d’une mutation,  aux Presses universitaires du Septentrion en 2015. Signalons aussi, dans la revue Politique étrangère, « Élections allemandes : le jour d’après » (n° 3, automne 2017).

Pour réécouter l’émission, cliquez ici.

Pour lire intégralement l’article de Hans Stark, cliquez ici.

Politique étrangère n° 4/2017 : votez pour (é)lire votre article préféré !

Mon, 27/11/2017 - 11:37

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L’Europe face à la réapparition des blessures Est-Ouest

Fri, 24/11/2017 - 11:33

Dans son édito du 24 novembre intitulé « L’Europe face à la réapparition des blessures Est-Ouest », Jacques-Hubert Rodier, éditorialiste diplomatique aux Échos, a mentionné un article écrit par Paul Gradvohl dans le dossier « Décompositions démocratiques » publié dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n° 1/2017).

« Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin s’effondrait. L’Europe se prenait à rêver de son unité de l’Atlantique à l’Oural, voire jusqu’à Vladivostok si « la maison commune » chère à
Mikhaïl Gorbatchev prenait corps. Vingt-huit ans après, l’Europe est fracturée non seulement entre les pays de l’Ouest et la Russie mais aussi à l’intérieur même de l’Union européenne, entre vieilles démocraties occidentales et anciennes démocraties populaires. « Après un quart de siècle, le monde réalise que la sécurité n’est pas assurée. L’Europe a peur de la Russie, et la Russie a peur de l’OTAN », affirmait récemment le fondateur du think tank berlinois Dialogue of Civilization (DOC), le Russe Vladimir Iakounine, considéré comme proche de Vladimir Poutine.

Fantasme ou réalité, cette « insécurité » n’a pas recréé une nouvelle guerre froide opposant deux blocs antagonistes. Mais elle a réveillé de vieilles rancœurs que l’on pensait éteintes. La Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie sont en train de faire une « contre-révolution culturelle aux relents vert-de-gris », note Paul Gradvohl, professeur à l’université de Lorraine.

Dans un pied de nez de l’histoire, ces quatre pays qui ont rejoint l’Union européenne et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) expriment leur répulsion à l’égard du « diktat » de Bruxelles, comme l’exprime le Premier ministre hongrois, l’ultra-conservateur Viktor Orban. Ce rejet se traduit par un « choix nouveau : l’option pro-russe ou la reprise de conserve d’un discours sur Bruxelles l’identifiant à un centre supranational et dictatorial », ajoute encore Paul Gradvohl dans la revue Politique étrangère de l’Ifri (printemps 2017). Le Premier ministre hongrois, auquel on doit le concept de « démocratie illibérale », souligne un diplomate à Budapest, redoute que « Bruxelles [n’]impose de nouvelles règles ». Un sentiment largement partage à Varsovie par Jaroslav Kazcinsky, le leader du FiS qui dirige la Pologne, ou à Bratislava et à Prague.

Lisez la suite de l’article sur Les Échos.

Retrouvez l’article de Paul Gradvohl, « Orban ou le souverainisme obsidional », sur Cairn.info.

Le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie

Wed, 22/11/2017 - 15:51

Suite à la condamnation à perpétuité de Ratko Mladic par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) pour le génocide de Srebrenica, mais aussi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, nous vous invitons à relire le dossier du numéro d’hiver 2015-2016 de Politique étrangère« Justice pénale internationale : un bilan », et notamment l’article de Jean-Arnault Dérens, « Le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie : une faillite annoncée ? ».

« La création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), en 1993, devait marquer le début d’une nouvelle ère du droit international. Loin des « tribunaux des vainqueurs » formés après les conflits, il s’agissait de créer une juridiction neutre et impartiale, pouvant dire le droit alors que la guerre se poursuivait encore. Telle fut du moins le « récit des origines » que le Tribunal tenta d’imposer alors que, dans la décennie suivante, il faisait figure d’instrument central des processus de démocratisation et de stabilisation des Balkans d’après-guerre. Le TPIY tirait même gloire d’avoir été la première juridiction internationale ayant mis en accusation un chef d’État en exercice – en l’occurrence Slobodan Milosevic, inculpé le 22 mai 1999.

La création de cette juridiction ne résulte pourtant pas d’un projet longuement mûri, mais d’un concours de circonstances, voire d’un pis-aller face à l’incapacité internationale à mettre fin au conflit ouvert en Bosnie-Herzégovine. Au moment du vote de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations unies créant le TPIY, le 25 mai 1993, les initiatives internationales visant à stopper le conflit s’enlisaient ; et le rapport du comité d’experts que dirigeait le rapporteur des Nations unies pour l’ex-Yougoslavie Tadeusz Mazowiecki, venait de confirmer l’ampleur des exactions et crimes commis par les différentes parties, notamment les Serbes… La création du TPIY fut donc une réponse au choc provoqué dans l’opinion publique par ces révélations, et au constat de l’impuissance de la diplomatie. En 2002, dans son témoignage au procès de l’ancienne dirigeante serbe de Bosnie Biljana Plavsic, l’ancienne secrétaire d’État américaine Madeleine Albright fit un aveu confondant : « Nous étions en train de faire quelque chose de nouveau, mais chacun pensait qu’il n’y aurait pas d’accusé, qu’il n’y aurait pas de procès, qu’il n’y aurait pas d’audience, qu’il n’y aurait pas de prononcé de sentence…« 

D’âpres batailles diplomatiques ont précédé la création du Tribunal : Russes et Américains, pour une fois d’accord, étaient partisans d’une juridiction d’exception, directement soumise au Conseil de sécurité, les Européens souhaitant un tribunal indépendant. La formule finale relève du compromis : le TPIY est un tribunal indépendant placé sous la responsabilité du Conseil de sécurité. Et il n’a jamais cessé d’être balloté par des pressions politiques contradictoires.

Né sous une étoile si incertaine, le TPIY est pourtant toujours là, tentant de boucler ses derniers procès, alors qu’il aurait dû fermer ses portes depuis près d’une décennie. A-t-il rempli sa mission, ou plutôt ses missions ? Celle de juger les personnes coupables de violations graves du droit international humanitaire sur le territoire de l’ancienne Yougoslavie, mais aussi celle d’aider les sociétés concernées à faire face à leur passé récent, et de contribuer de la sorte à l’indispensable réconciliation régionale ? Au regard des deux objectifs, le bilan est plus que décevant.

Une justice efficace et impartiale ?

Depuis sa première audience du 8 novembre 1995, le Tribunal a mis en accusation 161 personnes et clos les procédures pour 113 d’entre elles. Après l’arrestation de l’ancien dirigeant serbe de Croatie Goran Hadzic le 20 juillet 2011, aucun inculpé ne reste en cavale. Dix inculpés sont décédés avant leur transfert à La Haye, six autres – dont l’ancien président Milosevic – avant la fin de leur procès. Une vingtaine de dossiers ayant été remis par le procureur à des cours de justice locales, le TPIY pourrait, au terme de son mandat, avoir jugé 125 personnes.

Ce bilan chiffré pose déjà nombre de questions. S’il a toujours été entendu que le TPIY n’avait pas pour mission de juger tous les exécutants des crimes des guerres yougoslaves, à quel niveau de responsabilité devait-il s’arrêter ? Autrement dit, quelle logique permet d’expliquer pourquoi certains responsables politiques ou militaires ont été inculpés par le TPIY, d’autres par des tribunaux de leurs pays, et pourquoi certains, enfin, n’ont pas été inquiétés ? […] »

Lisez l’article dans son intégralité sur Cairn.info.

Creating Japan’s Ground Self-Defense Force

Mon, 20/11/2017 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de David Hunter-Chester, Creating Japan’s Ground Self-Defense Force, 1945-2015. A Sword Well Made (Lexington Books, 2016, 312 pages).

Cette étude présente une histoire institutionnelle complète des forces terrestres d’autodéfense japonaises (JGSDF). David Hunter-Chester, colonel américain en retraite, a passé 20 de ses 26 années de carrière militaire dans des postes ayant trait au Japon. Il maîtrise la langue japonaise, et s’appuie sur de nombreux témoignages.

L’ouvrage suit un plan chronologique. Il s’ouvre sur les débats qui se sont déroulés dans l’administration américaine, au cœur de la Seconde Guerre mondiale, sur le sort à réserver à l’armée impériale japonaise. Après la reddition de leur pays, les dirigeants japonais ont fait le choix radical de renoncer constitutionnellement non seulement à la guerre mais aussi aux armes. Pourtant, seulement cinq ans après la capitulation, et le pays étant encore sous occupation américaine, le Japon débute son réarmement. Non sans une forte opposition des citoyens japonais, qui associent le militaire à la guerre, aux privations de liberté et au militarisme.

C’est le début de la guerre froide – et en particulier la guerre de Corée (1950-1953) – qui provoque le réarmement. La peur d’une invasion communiste du Japon est au plus haut. Mac Arthur ordonne la création d’une « force de police de réserve » de 75 000 hommes. La nouvelle organisation est formée et équipée par l’armée américaine, et revêt plus l’allure d’une unité militaire que d’une force de police. Pendant la deuxième moitié des années 1950, deux Premiers ministres japonais se font l’avocat de la refonte de la constitution japonaise, et d’une remilitarisation plus franche. Mais à la même époque, le terme « réarmement » a clairement pris une connotation négative auprès de la majeure partie de la population japonaise. De plus, la priorité politique va très nettement au développement économique. Pourtant, le Japon réarme.

La deuxième grande étape de l’histoire des JGSDF s’ouvre dans les années 1970. Elles deviennent alors une force moderne à haute techno­logie. La menace soviétique et les exercices réguliers avec les Américains sont les catalyseurs de cette transformation. Les JGSDF obtiennent des chars, des hélicoptères de combat, etc. En 1992, une nouvelle étape est franchie, avec l’autorisation de déploiement dans le cadre des missions de maintien de la paix de l’ONU. Les premières opérations de ce type permettent aux JGSDF de renforcer leur professionnalisme.

Mais c’est surtout la perception d’une Chine de plus en plus agressive qui provoque de nouvelles évolutions pour la défense japonaise. Après une dizaine d’années de diminution du budget de la défense, le renversement de cette tendance en 2013 est un symbole fort.

Aujourd’hui, l’armée japonaise est l’une des plus puissantes du monde. Toutefois, la fiction voulant que les forces d’autodéfense japonaises soient différentes des autres armées est maintenue. Cela passe notamment par une très forte participation, dès leur création, des JGSDF aux missions d’aide à la population. Le déploiement de 100 000 hommes lors de la catastrophe de Fukushima constitue d’ailleurs un modèle pour bon nombre d’armées dans le monde.

Avec ce livre très complet et détaillé, David Hunter-Chester nous offre certainement l’ouvrage de référence en anglais sur l’histoire des forces terrestres d’autodéfense japonaises. Une lecture indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à la défense du Japon.

Rémy Hémez

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Canada/États-Unis : les enjeux d’une frontière

Wed, 15/11/2017 - 10:39

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Emmanuel Brunet-Jailly propose une analyse de l’ouvrage de Pierre-Alexandre Beylier, Canada/États-Unis : les enjeux d’une frontière (Presses universitaires de Rennes, 2016, 368 pages).

Pierre-Alexandre Beylier a refondu sa thèse, et organisé ce texte en trois sections et dix chapitres qui se lisent bien et forment une étude fine des politiques frontalières qui rassemblent, et divisent, le Canada et les États-Unis.

La première partie du livre s’ouvre sur une histoire de la transformation du 49e parallèle en frontière fonctionnelle. Le deuxième chapitre évalue les idées fondatrices de cette frontière pacifique qui, depuis 1840, est surtout une limite administrative ; c’est la démarcation non militarisée la plus longue au monde. Au cours de la première partie du XXe siècle, dont traite dans le troisième chapitre, Beylier souligne la transformation d’une frontière fonctionnelle, comprise de manière étroite du point de vue politique. La dépression économique des années 1930 et la guerre froide (années 1960), contribuent à sa transformation en un « bloc nord-­américain » qui organise les politiques de défense sur l’ensemble du continent. Le quatrième chapitre examine les idées qui, grâce à l’Accord de libre-échange nord­américain (ALENA, 1994), soutiennent les transformations économiques de ce continent sans conflit.

La deuxième partie du livre expose la transformation fondamentale qui affecte cette région pacifique et économiquement intégrée à partir du 11 septembre 2001. Un premier chapitre sur le terrorisme et la sécurité est suivi d’une analyse précise des politiques de « frontières intelligentes », et de leurs implications pour les futures politiques sécuritaires et économiques. Le troisième chapitre résume les succès et échecs, et les implications géopolitiques de ces nouveaux accords, qui affectent négativement des idéaux sécuritaires et libre-échangistes maintenant centenaires.

Dans la troisième partie du livre, trois chapitres examinent les coûts réels des politiques de « frontiérisation ». Le premier examine les baisses des flux marchands et l’augmentation des coûts sécuritaires pour les personnes, les gouvernements, et les entreprises. La frontière est « plus épaisse », elle érode l’ALENA et même la confiance qui lie les deux nations. Cela bénéficie à certains segments spécifiques de l’économie et de la politique aux États-Unis : les vues isolationnistes et nativistes progressent. Le deuxième chapitre détaille les différences entre les constructions médiatiques et idéationnelles, et la réalité. Certaines ­perceptions deviennent des réalités : le Canada est l’hôte d’organisations ­terroristes et ses politiques sécuritaires sont laxistes. Pour Beylier, cette ­situation reflète l’ajustement malheureux des États-Unis à ce nouvel environnement où de nombreuses menaces émanent de cellules terroristes locales qui n’ont pas leurs sièges au Canada. Ces changements de perceptions mènent à des difficultés accrues entre les États-Unis et le Canada. Le sentiment d’amitié centenaire facile et banale est un désavantage, en particulier pour les États-Unis qui en ignorent la complexité. Ces sentiments affectent les politiques frontalières, sécuritaires et économiques après plus d’un siècle de succès.

Un petit regret, néanmoins : qu’un ouvrage de cette qualité n’ait pas référencé plus de littérature canadienne sur ces sujets ; mais il s’agit d’un livre important pour les spécialistes et leurs étudiants francophones.

Emmanuel Brunet-Jailly

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Sidérations. Une sociologie des attentats

Mon, 13/11/2017 - 14:08

Deux ans après les attentats du 13 novembre 2015, nous vous invitons à relire cette recension de l’ouvrage de Gérôme Truc, Sidérations. Une sociologie des attentats (PUF, 2016), écrite par Marc Hecker et publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère n° 4/2016.

Cet ouvrage est tiré d’une thèse de doctorat soutenue à l’École des hautes études en sciences sociales en 2014. Gérôme Truc a cherché à comprendre pourquoi des individus se sentent touchés par des attentats qui ne les ont pourtant pas directement visés. Pour ce faire, il se penche plus spécifiquement sur trois attaques terroristes dont les dates ont marqué le début du XXIe siècle : 11 septembre 2001, 11 mars 2004 et 7 juillet 2005. Il analyse les réactions politiques, la couverture médiatique et les témoignages de milliers d’anonymes. L’effet de sidération, explique-t-il, varie en fonction d’un « entrelacs complexe de sentiments impersonnels et personnels ».

On retiendra plus spécifiquement trois points de ce livre. Le premier a trait au poids de la culture politique et historique du pays touché. Les événements du 11 septembre 2001 sont intervenus l’année des commémorations du soixantième anniversaire de Pearl Harbor. Un blockbuster commémoratif était diffusé depuis le mois de mai à travers tous les États-Unis. Ainsi l’effondrement des tours du World Trade Center a-t-il immédiatement été interprété par la population américaine, mais aussi par de nombreux responsables dont George W. Bush, comme un « nouveau Pearl Harbor ». Dès lors, comme en 1941, l’entrée en guerre paraissait inéluctable.

Le deuxième point concerne la résilience des populations face à une attaque. Là encore, la culture nationale a son importance. Au Royaume-Uni, la résistance de la population britannique au moment du Blitz s’est imposée comme une référence après le 7 juillet 2005. Toutefois, la résilience n’est pas seulement affaire de culture et de comparaisons historiques. Elle se travaille et se construit. Depuis l’attentat de Madrid – présenté par de nombreux responsables politiques de pays membres de l’Union européenne comme un « 11 Septembre européen » – les dirigeants britanniques expliquaient que le Royaume-Uni serait visé. Le maire de Londres, notamment, s’évertuait à préparer la population à un attentat perçu comme inéluctable. Et une fois l’attaque survenue, une campagne d’affichage fut entreprise pour tenter de souder les Londoniens dans l’adversité.

Le troisième point relève de la couverture médiatique, qui diffère sensiblement d’une rive à l’autre de l’Atlantique. Cette différence se remarque particulièrement pour ce qui est des images de victimes. Alors que les attentats du 11 septembre 2001 ont été les plus meurtriers de l’histoire, leurs aspects visuels les plus crus ont été occultés. Et pour cause : la police a empêché la presse de circuler librement sur les lieux des attentats, dans les hôpitaux ou les morgues. À l’inverse, les journalistes ont eu accès à la gare d’Atocha après les attentats de Madrid, et des photographies de cadavres – non floutées – ont été publiées en une des principaux journaux espagnols. Occulter par pudeur ou montrer pour dénoncer : le dilemme se pose aux médias au lendemain de chaque attentat.

D’autres passages de cet ouvrage mériteraient d’être évoqués, notamment ceux qui concernent les manifestations post-attentats ou encore les débats suscités par les minutes de silence. Alors que la France est touchée par une vague de terrorisme sans précédent, la lecture de Sidérations se révèle des plus utiles.

Marc Hecker

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1914-2014 La Grande guerre et le monde de demain

Sat, 11/11/2017 - 10:18

À l’occasion de l’anniversaire de l’armistice de 1918, nous vous invitons à relire le numéro spécial de Politique étrangère « 1914-2014. La Grande guerre et le monde de demain » publié en 2014 pour célébrer le 100e anniversaire de la Grande guerre.

« Nous avons vécu avec elle 100 ans durant. Qu’en faire maintenant ? La Première Guerre mondiale a créé son siècle, et elle nous parle toujours : de ce que nous sommes, de ce que nous serons.

Fondatrice d’un siècle : l’affaire est claire. Le débat sur les causes de la guerre reste ouvert aux polémiques et les publications récentes n’échappent pas au choc des arguments : facteurs politiques internes, dialectique des alliances et des appareils militaires, affrontement de géopolitiques organicistes voyant la vie des États comme expansion de puissance continue, etc. Mais l’analyse de la mécanique du passage de la paix au conflit armé est vite dépassée. Le premier conflit industriel et total du champ international a modelé notre vision de la guerre, de la mobilisation intégrale des sociétés, de la dynamique technique au service de la guerre. Il a créé un « système de guerre » nouveau, des formes opérationnelles et tactiques, des appareils armés qui fonctionnent jusqu’à nos jours. Il a ouvert une réflexion de long terme sur les rapports entre le politique et le militaire, non seulement en termes d’autorité, mais dans la définition même de la stratégie : est-elle manière de gagner la guerre ou de gérer un affrontement global – politique – qui la dépasse de beaucoup ?

Le premier conflit mondial pèse lourd dans l’affirmation des nations. Il dissout trois empires et porte au sommet le choc de visions nationales mises au service d’une révision des rapports de puissance, entre Royaume-Uni, Allemagne émergente, France… Il fait appel aux contingents de peuples colonisés qui, bientôt, mettront l’expérience au service de leur propre émancipation. Portant les nationalismes à incandescence – voir les débats sur l’« art allemand », l’« art français »… –, il manque faire disparaître l’idée même de nation dans l’opprobre de la guerre, en même temps qu’il amorce par ses ravages le déclin historique de toutes les nations européennes. Et pourtant, l’occasion de la guerre, de ses mobilisations économiques, sociales, morales, permet un renforcement des structures de chacun de ces États. Responsable de la conduite de la guerre, l’État moderne l’est aussi de la construction de la paix à l’extérieur des frontières, et il étend son contrôle interne à des champs de plus en plus larges de la société civile : le Welfare State européen naît de l’économie de guerre, puis de la nécessité de relever l’économie de la paix.

Les échanges économiques n’ont certes pas attendu le premier conflit mondial pour s’internationaliser. D’une certaine manière, le conflit est lui-même produit de la mondialisation de la fin du XIXe siècle qui met en cause les anciens rapports de puissance. Mais la Première Guerre mondiale débouche sur une redéfinition de l’ouverture des économies (voir les fameux « Quatorze Points » du président Wilson) qui campe au cœur du système international, où elle sera réinstallée, sous des apprêts neufs mais toujours très américains, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

Pour que l’atroce conflit puisse être réputé « der des ders », il doit accoucher d’un nouveau système international et de références, de règles, permettant de le stabiliser. Pour dépasser le simple rapport des forces, l’idée d’organismes étatiques en développement et en compétition naturelle, ou un dialogue réduit aux plus puissants, il faut fonder le système sur la responsabilité des acteurs et sur le droit. C’est à l’issue de la Grande Guerre que l’on envisage, pour la première fois, de traduire en justice ceux qu’on accuse d’être responsables du massacre – projets concrétisés 30 ans plus tard à Nuremberg et à Tokyo. Et c’est ce même conflit qui pose les bases d’un système universel gérable, à travers les complexes montages des traités de la fin de la guerre et le beau nom de Société des nations. La SDN ne sera ni universelle ni efficace, mais l’idée de créer de la sécurité à travers des accords et des forums pérennes, le tout dans un système organisant une coexistence permanente, est née. […]

Lisez la suite de l’éditorial ici.

Découvrez le numéro complet ici.

Singapore: Smart City, Smart State

Thu, 09/11/2017 - 11:17

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Delphine Allès propose une analyse de l’ouvrage de Kent E. Calder, Singapore: Smart City, Smart State (Brookings Institution Press, 2016, 256 pages).

Kent E. Calder se donne le double projet de définir le concept « d’État intelligent » et de détailler les caractéristiques qui inscrivent Singapour dans cette catégorie. Le smart state est selon lui capable de « percevoir et répondre de manière efficiente aux difficultés extérieures (géographiques, démographiques, financières, politiques et technologiques) et aux marchés, en utilisant les dernières avancées en matière de technologies de l’information et de la communication ». L’auteur assume la dimension normative de son analyse et ne cache pas son admiration pour les réalisations du système politique, économique et social singapourien.

Il revient sur les innovations mises en œuvre depuis l’indépendance de la cité-État (1965), notamment en matière de management public, pour compenser ses handicaps stratégiques et économiques et se positionner en carrefour politique et économique mondial. L’ouvrage présente à cet égard un utile panorama des politiques publiques singapouriennes, et des aspects qui font de la cité-État un modèle pour ses homologues développés (en tant qu’État-providence fiscalement viable) comme pour de nombreuses villes en développement (en tant que ville « vivable » malgré sa densité démographique).

On peut s’interroger sur le choix du qualificatif smart state plutôt qu’État-stratège (avec des dirigeants planifiant leurs objectifs et déployant les moyens à leur disposition pour les atteindre) ou entrepreneurial (cherchant à maximiser sa prospérité en minimisant ses investissements), mâtiné d’une forme de paternalisme. L’État singapourien définit en effet les composantes essentielles du bonheur de ses citoyens et leur enjoint de les poursuivre, à travers ses politiques d’ingénierie sociale (par exemple, le fait d’imposer une certaine répartition ethnique dans les logements publics, largement majoritaires dans l’île) ou économique (en imposant par exemple une épargne personnelle et en favorisant l’accès à la propriété).

Certains silences doivent également être évoqués. Le modèle politique et économique singapourien est largement décrit à travers la gestion semi-privée de nombreux services publics, mais les processus décisionnels ayant déterminé ces choix sont éludés, de même que l’étroite imbrication entre les sphères politique et économique. Si la viabilité du modèle socio-­économique singapourien est louée, l’augmentation des inégalités, source de tensions sociales croissantes, est abordée très rapidement et sans revenir sur les stratégies envisagées par les autorités pour y faire face. Les effets du paternalisme sur la créativité singapourienne, source de préoccupation pour les autorités elles-mêmes, ne sont pas non plus soulignés. Enfin, l’auteur n’évoque que très rapidement les contestations suscitées par ce smart modèle, alors que la gestion de l’opposition et la canalisation de ses modes d’expression constituent un défi pour sa stabilité.

L’ouvrage sera utile au lecteur en quête d’un éclairage sur les spécificités du modèle singapourien et son émergence progressive, ou à l’étudiant en politiques publiques désireux de saisir les ressorts d’une combinaison unique entre vision politique et économique à long terme, constructivisme social et stabilité institutionnelle. Il souligne par ailleurs utilement le rôle central des villes, catalyseurs de la mondialisation et acteurs économiques et politiques d’une importance croissante au côté des États sur la scène mondiale.

Delphine Allès

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Military Strategy: A Very Short Introduction

Mon, 06/11/2017 - 09:56

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage d’Antulio J. Echevarria, Military Strategy: A Very Short Introduction (Oxford University Press, 2017, 144 pages).

Cet ouvrage, publié dans la ­collection « Very Short Introductions », ­équivalent britannique des « Que sais-je ? », est signé d’Antulio J. Echevarria, rédacteur en chef de Parameters, revue de l’U.S. Army War College. Il définit la stratégie militaire, objet de son étude, comme la recherche de la réduction de la capacité physique et de la volonté de combattre d’un adversaire. Sa mise en œuvre se fait en temps de paix ou de guerre, et peut impliquer, directement ou indirectement, l’emploi de la force. L’auteur nous offre un propos synthétique et stimulant, utilisant systématiquement des exemples historiques pour l’étayer.

Echevarria débute son passage en revue des stratégies militaires par les catégories de l’annihilation et de la dislocation, qui répondent le plus souvent à la volonté ou au besoin d’un des belligérants d’emporter rapidement la victoire. Par l’annihilation, on cherche à réduire significativement, ou à détruire, la capacité physique d’un adversaire en une ou deux batailles décisives. La dislocation vise, elle, à vaincre par une manœuvre inattendue qui déstabilise l’adversaire. Ces deux stratégies supposent généralement une prise de risque élevée.

L’auteur passe ensuite à l’étude des stratégies d’attrition et d’épuisement. La première vise à consumer les ressources matérielles de l’adversaire. La deuxième se concentre sur la détérioration de sa volonté de combattre – c’est donc, autrement dit, une « attrition psychologique ». Ces deux méthodes impliquent des conflits longs, et des coûts socio-économiques élevés.

Le troisième duo regroupe dissuasion et coercition. La dissuasion entend persuader l’adversaire que l’on dispose de suffisamment de capacités physiques et psychologiques, soit pour défaire un agresseur, soit pour que les coûts de l’agression dépassent les bénéfices attendus. La coercition consiste, elle, à prendre des mesures punitives, d’intimidation, de récompense, etc., afin d’imposer sa volonté à l’adversaire.

L’auteur étudie ensuite la terreur et le terrorisme. Une stratégie de terreur peut prendre, par exemple, la forme de bombardements massifs indiscriminés, comme pendant la Seconde Guerre mondiale. Echevarria revient dans cette partie de son ouvrage sur le débat qui cherche à déterminer si le terrorisme constitue une tactique ou une stratégie. Il estime que, généralement, il s’agit d’une tactique, mais qu’employé systématiquement pour la poursuite de buts politiques, le terrorisme est bien une stratégie.

L’auteur s’attache enfin à expliquer les stratégies de décapitation et d’assassinats ciblés. Les deux reposent sur le présupposé qu’éliminer physiquement les leaders d’un mouvement peut résoudre un problème plutôt que l’aggraver – ce qui n’est guère évident. Les dilemmes moraux et légaux sont ici également prégnants. Ces stratégies, facilitées par l’accroissement de la portée et de la précision des armements, sont pourtant de plus en plus privilégiées par les gouvernements occidentaux, du fait de leurs faibles coûts matériels et politiques.

Ce court ouvrage, agréable à lire, permet de bien appréhender les grandes catégories des stratégies militaires, et il sera utile à toute personne, étudiant comme praticien, qui cherche à clarifier ses idées sur ce sujet.

Rémy Hémez

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Sortir de la guerre en Bosnie-Herzégovine

Thu, 02/11/2017 - 08:30

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Thibault Boutherin propose une analyse de l’ouvrage de Cécile Jouhanneau, Sortir de la guerre en Bosnie-Herzégovine (Karthala, 2016, 384 pages).

Voici le résultat d’un travail audacieux, d’une qualité et d’une ampleur qui méritent d’être soulignées. Il est né sous les meilleurs auspices : il s’agit d’une version remaniée de la thèse de doctorat en science politique soutenue par l’auteur à l’Institut d’études politiques de Paris en 2013, sous la direction de Jacques Rupnik et Marie-Claire Lavabre. Travail ambitieux : il entend tester la validité – d’aucuns préciseraient la réfutabilité – des lectures des débats et des antagonismes politiques en Bosnie-Herzégovine selon des lignes de rupture strictement ethno-nationales. Les processus de stabilisation, de construction étatique et, à terme, d’intégration européenne ont un préalable impérieux : celui de la pacification du pays, dans toutes ses composantes et notamment nationales, y compris à l’échelle locale. Or, celle-ci est conditionnée par un travail de mémoire tel qu’il a dû s’opérer dans d’autres régions d’Europe et du monde.

Le travail de recherche de Jouhanneau s’est penché sur la politisation des discours de mémoire et sur l’effectivité de ces tentatives. Les lignes de fracture politique mises en scène entre Bosniaques, Croates et Serbes se retrouvent-elles en réalité dans la vie, la vision, la parole des citoyens bosniens ? Pour mesurer cela, l’auteur s’est intéressé à la figure du détenu de camp, qui constitue depuis l’éclatement de la guerre un point sensible, puisqu’il incarne la figure paroxy­stique et symbolique de la victime/héros de guerre. Or les définitions du détenu, du camp, de l’intention des belligérants sont sujettes à un débat encore très politisé aujourd’hui. Cécile Jouhanneau a choisi d’éprouver ces concepts et l’approche qui en est faite en allant sur le terrain (à Brcko, district au statut spécifique au sein de la Bosnie-Herzégovine, qui représente parfaitement le morcellement du territoire selon des lignes ethno-­nationales), pour y interviewer sur place d’anciens détenus de camps et des associations les représentant. Elle en a recueilli les témoignages qui l’ont aidée à observer une différence conséquente, non anodine, avec les discours que les leaders politiques (et certains chercheurs) veulent y plaquer.

À l’appui d’une observation scientifique, fondée sur une méthode rigoureuse qui assoit la valeur de ce travail et de ses conclusions, l’ouvrage met en exergue des schémas qui s’avèrent grossis ou biaisés par rapport à la vision qu’en ont les victimes elles-mêmes et les citoyens de façon générale. Il ne se limite pas à souligner la résistance des récits et de la mémoire des victimes de la guerre en Bosnie-Herzégovine. Il met aussi en lumière, au quotidien, sur le terrain, un évitement des sujets porteurs de conflit ou de désaccord. Ce que l’auteur appelle « civilité » constitue un levier indirect de la pacification du pays, et peut-être une clé pour sa stabilisation et la transition, qui semble tarder à se traduire dans le discours politique, vers le parachèvement d’une construction nationale.

Par son approche spécifique, et l’apport de ses conclusions, le travail de Jouhanneau permet de dépasser la rhétorique et les postures des dirigeants politiques, et offre un aperçu éprouvé de la réalité sur le terrain 20 ans après les accords de Dayton, dans un territoire qui expose clairement les limites de ces derniers. En cela, cet ouvrage comptera certainement comme une référence dans le monde francophone de la recherche sur la région des Balkans occidentaux.

Thibault Boutherin

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Arctique : une exploration stratégique

Tue, 31/10/2017 - 08:30

Le blog Reflets du Temps, qui consacre une large place aux questions internationales, a publié le 28 octobre un article mettant à l’honneur le numéro d’automne (n° 3/2017) de Politique étrangère : « Arctique : une exploration stratégique ».

Dans son numéro d’automne, la revue de PE de l’IFRI nous emmène en deux endroits du monde, à la fois connus de chacun d’entre nous, mais souvent embarrassés de représentations fantasques ou incomplètes. L’Arctique d’abord, qui fera l’objet de cette recension, mais aussi L’Arabie Saoudite en question qui nourrit deux articles passionnants et complémentaires de la rubrique Contrechamps (ainsi de celui intitulé « Arabie Saoudite, faux ami ou vrai ennemi ? »).

En dehors de l’introduction, « Les dynamiques géopolitiques de l’Arctique », pas moins de trois forts articles nous emmènent là-haut, dans les glaces qui fondent, où les appétits se déchaînent, et où, probablement pourront se jouer, demain, quelques cartes maîtresses d’importance du monde à venir. L’introduction le pose d’emblée sur la table : « Les dynamiques s’inscrivent à la fois dans un contexte régional caractérisé par des revendications territoriales, et dans un contexte global marqué par des tensions accrues entre Russie et Occident ».

« Comprendre les rivalités arctiques » revient utilement sur un espace qui fut stratégique durant le dernier conflit mondial, ainsi que pendant la guerre froide, pour ensuite s’assoupir. Territoires – 15 % de la planète pour 4 millions d’habitants – qui actuellement concentrent bien des regards, tant inquiets (marqueur terriblement spectaculaire du réchauffement climatique) que concupiscents ; réserves considérables en matières premières et sources d’énergie, mais aussi route nouvelle Est/Ouest, rendue possible dans des eaux devenues plus navigables, sans oublier l’usage des mers, la pêche, et l’extension des plateaux continentaux. Tout étant en partie lié – d’un mal, un bien ? – à la fonte des glaces.

Les États de l’Arctique (Russie, Canada, USA, Islande, Danemark, Norvège, Suède, Finlande) sont tous membres de l’OTAN sauf évidemment la Russie. On saisit donc la portée stratégique de la zone dans la géopolitique actuelle, d’autant que passent le nez à la fenêtre, la Chine, ou l’UE, intéressés au plus haut point, bien qu’extérieurs.

Immenses anciens « déserts blancs », à la gouvernance particulière, ce que montre le second article « Le conseil de l’Arctique, la force des liens faibles ». Créé en 1996, ce conseil s’est d’emblée positionné en « soft law » ; le dialogue, la mise en place de projets de coopérations, notamment scientifiques, étant le mode choisi de fonctionnement. Une forte dépolitisation caractérisait les débats, considérant comme extérieurs à leurs pouvoirs toute position de médiation ou de prise en mains des conflits. Le sujet pressant du changement climatique et de ses diverses implications bien au-delà des frontières de la zone arctique, exige depuis peu un fonctionnement – et des institutions – moins « soft ». Des États observateurs (dont la France depuis 2000) participent dorénavant au conseil ; les ordres du jour se penchent sur des revendications de peuples autochtones, la délimitation des lignes côtières, la souveraineté au-delà des zones économiques exclusives. Même si la construction institutionnelle impose encore à ce jour une gouvernance non coercitive, se tenant fortement éloignée des problématiques militaires, le climat général change, et le conseil évolue, piloté par faits et demandes même extérieurs à la zone. […]

Pour lire l’article en entier, cliquez ici.

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L’Afrique des possibles

Mon, 30/10/2017 - 08:30

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Clélie Nallet, chercheur au Programme Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage Pierre Jacquemot, L’Afrique des possibles. Les défis de l’émergence
(Karthala, 2016, 336 pages).

L’« émergence » africaine est devenue un thème routinier des cabinets de conseil en investissement, de la littérature économique en général, et de la communication d’un nombre croissant d’États africains. Les dynamiques socio-économiques et politiques que recouvre le récit de l’émergence du continent sont néanmoins complexes. L’ouvrage de Pierre Jacquemot en offre un panorama complet et nuancé.

Fort de ses expériences de diplomate et de chercheur, l’auteur traite un nombre important de thématiques : pression démographique, paysanneries et défis alimentaires, performances économiques, villes, climat, systèmes éducatif et de santé, entreprenariat, partenaires du continent, investissements et aide, intégration et migrations, stratification sociale, inégalités, etc. Trois axes forts se dégagent ainsi pour l’analyse : les dynamiques socio-économiques en cours, les États et la gouvernance, la place du continent dans la mondialisation.

La multiplicité des thèmes abordés et l’étendue de la zone géographique concernée font de ce livre un ouvrage de généralisation. Conduit avec agilité, il constitue une référence pour qui souhaite acquérir une vision à la fois globale et fine du continent. L’auteur ne se contente pas de rappeler que l’Afrique subsaharienne est composée de 49 pays aux trajectoires et situations variées. Il illustre cette diversité par des exemples révélateurs de disparités inter- et intra-nationales. Les grandes dynamiques du continent, telles que la croissance démographique et l’urbanisation, sont toujours remises en perspective, et connectées aux cadres d’analyse de l’économie politique de l’Afrique contemporaine.

L’auteur échappe ainsi à la « dialectique du désespoir et de l’euphorie », du « chaos et du futur radieux », qui surgit trop souvent dès que l’on parle du continent africain. On dépeint ici un continent qui « ne va ni bien ni mal », qui connaît des transformations socio-économiques et démographiques importantes, et dont l’avenir est aujourd’hui incertain. Alors que l’impressionnante croissance de la population est régulièrement présentée comme une « bonne nouvelle », l’auteur parle de transition démographique inachevée et d’un dividende démographique (essor d’une population jeune venant gonfler les rangs de la population active et créer de la croissance économique) plus potentiel que réel pour le moment. Sa concrétisation dépendra de l’évolution à venir des taux de fécondité, ainsi que de la capacité des économies, et des États, à créer un marché du travail capable d’absorber le nombre grandissant de jeunes actifs potentiels.

L’ouvrage se clôt sur l’exercice délicat des scénarios prospectifs, et sur l’identification des conditions qui permettraient d’atteindre le ­scénario le plus souhaitable : celui d’une
« émergence durable et inclusive ». Les réponses sont plurielles et indéterminées :
« L’avenir a ses ruses. Il est ouvert, en dépit des inerties du dedans et des contraintes
du dehors, des défis à relever comme des opportunités qui se présentent, anticipées
ou imprévisibles. »

Clélie Nallet

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Armoured Warfare

Thu, 26/10/2017 - 09:57

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage d’Alaric Searle, Armoured Warfare: A Military, Political and Global History (Bloomsbury, 2017, 288 pages).

Alaric Searle ambitionne d’écrire une histoire du combat blindé dépassant l’étude d’une campagne, d’une armée nationale ou des technologies. L’approche suivie par l’auteur est chrono­logique, chaque chapitre éclairant un moment phare de l’évolution du combat blindé.

Après une introduction qui revient notamment sur la terminologie utilisée, le livre s’ouvre logiquement sur les débuts des chars d’assaut pendant la Première Guerre mondiale. Les résultats initiaux sont décevants. Les problèmes mécaniques sont multiples et une doctrine d’emploi performante fait défaut. Les progrès sont cependant rapides et, en 1918, l’efficacité militaire des chars s’est largement améliorée. La période de l’entre-deux-guerres est ensuite paradoxale pour le combat blindé, entre progrès et stagnation selon les pays et les années. Pour les Britanniques par exemple, l’immédiat après-guerre est un moment de foisonnement, en particulier doctrinal, avec la publication de plusieurs manuels dédiés au combat blindé. Cependant, dès les années 1930, un fort retour du conservatisme au sein de l’institution militaire britannique empêche une intégration totale de la dimension blindée.

Un chapitre est ensuite consacré à la Blitzkrieg et à ses succès initiaux en 1939-1941. Searle cherche à faire la part du mythe et de la réalité autour de ce concept qui n’a jamais été formalisé par les Allemands. La Blitzkrieg ne survit pas à la campagne de Russie. Les Soviétiques reprennent le dessus, puis submergent les armées du Reich en produisant beaucoup plus de chars, mais aussi par leur capacité à mieux utiliser leurs ­unités blindées. L’auteur consacre également un chapitre au combat blindé dans les guerres de Corée (1950-1953), d’Indochine ­(1946-1954) et du Vietnam ­(1962-1972), trois théâtres d’opérations qui démontrent, selon lui, que l’emploi des chars n’est pas confiné aux plaines d’Europe centrale.

Les conflits israélo-arabes entre 1948 et 2006 font légitimement l’objet d’un long développement. Ils fournissent en effet de nombreux exemples ou contre-exemples d’emploi de grandes formations blindées. Les guerres d’Irak et du Golfe (1980-2016) ne sont pas oubliées. On soulignera ici des réflexions bienvenues sur la guerre Iran-Irak ­(1980-1988) au cours de laquelle les pertes massives de chars et de véhicules blindés, quel que soit le camp, ont démontré un manque de maîtrise de la planification, de la logistique et de la doctrine d’emploi des unités blindées.

Le dixième et dernier chapitre est sûrement celui qui suscite le plus de réflexions. Il aborde la question du « rôle politique » du char à travers les symboles qu’il représente, que ce soit celui de la victoire, comme lors des défilés, de l’oppression (Budapest 1956, Tiananmen 1989), ou de la puissance technologique d’un pays via la production d’un char de combat national. Il est dommage que la question de l’existence d’un message politique lié à l’envoi des chars sur un théâtre d’opérations ne soit pas évoquée. Peut-être cela n’est-il qu’un débat franco-français…

Au final, même si ce livre n’offre pas l’histoire globale annoncée en restant dans des sujets d’étude plutôt traditionnels (quid des Sud-Africains en Angola, par exemple ?), il donne une perspective historique intéressante sur le combat blindé et ses caractéristiques générales. L’ouvrage d’Alaric Searle est une utile introduction, tant pour l’historien que pour le praticien.

Rémy Hémez

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Chine, les visages de la justice ordinaire

Mon, 23/10/2017 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017).
Émilie Frenkiel propose une analyse de l’ouvrage de Stéphanie Balme, Chine, les visages de la justice ordinaire (Presses de Sciences Po, 2016, 336 pages).

Dans cet ouvrage qui se veut synthétique et pédagogique sur l’évolution de la justice depuis la fin de la Révolution culturelle, Stéphanie Balme rassemble le fruit de plusieurs années de recherches et d’enquêtes de terrain. Elle y dresse un bilan contrasté : malgré la modernisation et l’importation du droit positif et l’importante place du droit dans la société chinoise (explosion des publications juridiques, conscience du droit, mouvement de défense des droits), on observe « des écarts béants » entre le discours officiel omniprésent sur l’importance du droit et du principe constitutionnel de « gouvernement conforme au droit » (yifa zhiguo), et la réalité. La pratique juridique, encore ancrée fortement dans les traditions impériale et socialiste, se caractérise par une forte dépendance vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif, un rapport punitif au droit, un recours régulier aux procédures parajudiciaires (telle la médiation traitée au chapitre 4).

Les deux premiers chapitres sont consacrés aux principales étapes de la transformation juridique des 40 dernières années. Après le maoïsme et sa conception d’une justice populaire de masse peu encline aux procédures formelles, ce n’est que dans les années 1990 que la justice redevient une priorité pour la Chine, avec des réformes juridiques pragmatiques et expérimentales élaborées par un parti scientiste souhaitant répondre aux nouvelles attentes sociales.

Malgré un processus de modernisation, passant par la normalisation, la profes­sionnalisation et l’informatisation de la justice chinoise, le Parti communiste chinois refuse les principes et les mécanismes techniques (autonomisation de la justice, hiérarchie des normes constitutionnellement garantie, etc.) au fondement de l’élaboration d’un état de droit.

L’explosion du nombre de litiges civils (8 millions par an), instrument de contestation, témoigne d’un meilleur accès à la justice pour les justiciables, mais cette dernière est totalement soumise aux contingences des pouvoirs locaux et centraux, qui s’assurent que chaque décision de justice est politiquement correcte et socialement acceptable (chapitre 3). L’auteur décrit également le populisme judiciaire qui consacre le pouvoir de l’opinion publique, surtout en ligne. Le chapitre 5, consacré aux réformes de la justice pénale, présente un autre angle de ces évolutions contrastées : de réelles améliorations sont à noter concernant la justice des mineurs et la réduction du nombre de condamnations à la peine capitale, en même temps que le pouvoir dont bénéficient encore les organes de la sécurité publique, notamment dans le cas de détentions en résidence surveillée, autorise tous les abus. En effet, si le crime de « contre-révolutionnaire » a été retiré de la loi pénale en 1997, c’est pour être remplacé par celui d’ « atteinte à la sécurité de l’État ». La philosophie pénale est restée centrée sur la nécessité de sauvegarder l’ordre public, et les termes vagues utilisés par la loi de procédure pénale permettent des décisions arbitraires. De plus, la prégnance de la culture de l’aveu limite l’efficacité des mesures pour ­lutter contre l’usage de la torture.

Ce panorama se clôt sur l’impossibilité d’une justice constitutionnelle en Chine, du fait de la censure de son patrimoine constitutionnel pourtant riche, et de la répression infaillible (dont témoigne le décès du principal signataire de la charte 08 lors de la rédaction de cette recension) des rares avocats, juristes et autres militants critiquant l’état de droit minimal prôné par le constitutionnalisme officiel.

Émilie Frenkiel

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Kurdistan(s)

Fri, 20/10/2017 - 09:30

Nous vous invitons à relire le dossier « Kurdistan(s) » publié dans le numéro d’été 2014 (PE n° 2/2014) qui éclaire avec recul la complexe problématique kurde, au moment où celle-ci se pose de façon de plus en plus précise.

Relisez notamment :

« […] Victimes de l’histoire, ou d’eux-mêmes ? La vitalité de la poussée identitaire kurde attire aujourd’hui l’attention sur une diversité qui, en réalité, a toujours été porteuse de divisions. […] La projection d’une identité kurde commune doit beaucoup au travail de leur diaspora européenne, longtemps structurée autour du noyau des Kurdes de Turquie, majoritaires. Les dynamiques politiques aujourd’hui à l’oeuvre sur les terres d’origine des Kurdes posent à terme l’inévitable question de l’organisation politique globale et du leadership de la communauté. Reste à comprendre si les Kurdes souhaitent aujourd’hui avoir leur propre État, ou s’ils veulent plutôt trouver avec les États existants des arrangements politiques et sociaux viables, permettant de dépasser définitivement le négationnisme identitaire pratiqué jusqu’ici. »

« En Irak, les Kurdes disposent d’un quasi-État. La guerre civile syrienne a pour résultat d’autonomiser les Kurdes du pays. La politique ambiguë de l’AKP dégage au profit des Kurdes un nouvel espace politique en Turquie. Ce développement d’entités s’approchant de structures étatiques ne conduit cependant pas à la constitution d’un espace politique unique. Il demeure fragile, et divise les Kurdes en espaces séparés, autant qu’il les réunit dans une aspiration politique commune. […] »

« Depuis 1991, les partis kurdes dominent et administrent le « Kurdistan irakien ». Cette autonomie pose à Bagdad de multiples problèmes, dont celui du partage des rôles pour l’exploitation et la commercialisation pétrolières. Surtout, les limites de ce Kurdistan, géré comme un État, sont incertaines. Dans les espaces contestés s’opposent les logiques communautaires et les découpages administratifs : les frontières militaires, administratives, de fait et de droit, ne correspondent pas. »

 

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The Big Stick

Thu, 19/10/2017 - 10:59

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Le Général Vincent Desportes propose une analyse de l’ouvrage d’Eliot A. Cohen, The Big Stick. The Limits of Soft Power and the Necessity of Military Force (Basic Books, 2017, 304 pages).

Voilà un puissant plaidoyer, à rebours de bien des idées reçues. Il ne surprend pas venant d’Eliot Cohen, penseur reconnu de la guerre et de l’usage de la force. Favorable à l’intervention américaine en Irak en 2003, il n’hésitait pas à affirmer que l’élection de Donald Trump « serait un désastre total pour la politique étrangère américaine ».

Solidement argumentée, la thèse de Cohen demeure simple : même s’il convient d’être prudent sur son usage, la puissance militaire américaine a ­toujours un rôle important dans la politique extérieure et la stabilité du monde dont l’Amérique, qu’elle le veuille ou non, demeure le gardien. Il faut donc sortir des syndromes irakien et afghan et la restaurer au plus tôt, pour se tenir prêt à influer sur la marche du monde : la passivité des États-Unis n’est une bonne chose pour personne. Le néo-­isolationnisme de l’époque Obama a laissé plus de guerres qu’il n’en avait trouvées à son entrée à la Maison-Blanche. La puissance militaire n’est pas un instrument dépassé, inutile ou dangereux : le big stick (gros bâton), qui paraissait si nécessaire à Roosevelt alors que les États-Unis commençaient à se dresser comme une grande puissance, l’est tout autant au moment où ce rôle leur est disputé, au détriment de leurs intérêts.

L’ouvrage rappelle la pertinence de l’affirmation rooseveltienne : « Ne dites rien que vous ne soyez prêts à appuyer par des faits et, malgré la modération de vos propos, tenez-vous prêts à agir. »

Les responsables américains doivent réapprendre à utiliser la « puissance dure », découvrir ses nouveaux usages. Les défis sont nombreux, de l’apparition de la Chine comme rival militaire, à l’expansionnisme russe en passant par la menace nucléaire de la Corée du Nord, bientôt de l’Iran, et la vague d’islamisme radical. Pour faire face, les États-Unis ne pourront faire l’économie de la restauration de leur puissance militaire. Cohen n’ignore pas qu’elle « est toujours utilisée dans la douleur et qu’elle est un instrument brutal et imprécis… davantage qu’un scalpel, elle est un couteau dont la lame peut facilement se retourner dans la main de celui qui l’utilise » mais rien ne la remplace. Par son emploi, ou la menace de son emploi, elle demeure l’argument ultime.

Cohen constate que, bien que l’armée américaine soit encore d’une puissance redoutable, ses capacités ont fortement décru ces deux dernières décennies, tout comme sa puissance relative. C’est grave car la menace est aujourd’hui multiple dans un monde beaucoup plus compliqué que celui de la guerre froide. Les forces elles-mêmes doivent évoluer dans leurs capacités, les besoins de demain – l’espace, le cyber, les actions hybrides – différant de ceux d’hier : une profonde adaptation est nécessaire. Pour Cohen, « l’Irak, l’Afghanistan et le conflit contre Al-Qaïda ont montré que les États-Unis n’ont pas compris leurs adversaires […] mais qu’ils n’ont pas fait beaucoup mieux dans la compréhension d’eux-mêmes ».

L’ouvrage de Cohen est structuré, documenté et bien écrit. Il rappelle qu’il y a une réalité du monde, et qu’elle est celle de l’affrontement des volontés. Si l’Amérique a une vision du monde, si elle y a des intérêts et veut défendre les valeurs qui lui sont utiles, elle doit pouvoir y agir et pas seulement par la « puissance douce » : celle-ci n’est rien si elle ne s’appuie solidement sur la « puissance dure ».

Le message est évident, percutant. S’il vaut pour la rive ouest de l’Atlantique, il vaut aussi à l’est : il doit être entendu par le 8e président de la Ve République… et porté jusqu’à Bruxelles.

Vincent Desportes

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La Revanche de l’Histoire

Mon, 16/10/2017 - 11:08

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, directeur des publications de l’Ifri et rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de Bruno Tertrais, La Revanche de l’Histoire (Odile Jacob, 2017, 144 pages).

Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, est spécialiste des questions de défense. Il n’est pas historien et ne prétend pas l’être. Son expérience des zones de conflit lui a néanmoins permis de mesurer l’impact de l’histoire dans les soubresauts de la politique internationale. Ainsi La Revanche de l’Histoire ne porte-t-elle pas tant sur l’histoire elle-même que sur l’instrumentalisation politique et stratégique qui peut en être faite. Comme le disait Paul Valéry : « L’histoire justifie ce que l’on veut. »

Qu’est-ce au juste que cette « revanche de l’histoire » ? Thierry de Montbrial, dans un ouvrage au titre similaire paru dans les années 1980, y voyait un « retour du tragique ». Bruno Tertrais explique quant à lui : « La revanche de l’Histoire est, dans une large mesure, un désir de Passé. On en a besoin comme d’un doudou, on cherche une Histoire de confort. » Avant d’ajouter que cette revanche n’est pas antimoderne, et ne saurait être un simple retour en arrière : « Les nationalismes chinois, russe et turc, les droites occidentales, prétendent au contraire nouer une nouvelle alliance entre tradition et modernité. » Cette volonté de concilier des visions du monde ancestrales et les technologies les plus récentes peut produire des tragédies. Que l’histoire soit utilisée comme source d’inspiration – combien y a-t-il eu de « nouveaux Saladins » au Moyen-Orient ? –, ou au contraire comme repoussoir – l’analogie munichoise… –, elle peut conduire à une montée des tensions voire à la guerre.

Tertrais nous propose un « tour du monde des fantômes du passé ». La confrontation entre la Chine et le Japon se nourrit des haines anciennes. La période 1839-1949 est présentée par les autorités chinoises comme le « siècle de l’humiliation ». La thématique de l’humiliation est aussi présente au Moyen-Orient – où Daech ne manque pas de dénoncer les affres du colonialisme – et en Russie, où Vladimir Poutine mobilise tant l’histoire tsariste que l’ère soviétique pour asseoir son pouvoir. Quelques pages sont, bien sûr, consacrées au conflit israélo-­palestinien et aux guerres balkaniques. À propos des Balkans, Churchill disait que certaines régions produisent davantage d’histoire qu’elles ne peuvent en consommer…

La dernière partie de cet essai stimulant est intitulée « Du bon usage du passé ». L’auteur émet quelques recommandations pour éviter que l’histoire ne produise des effets dévastateurs. Tout d’abord, il rappelle les dangers des analogies historiques qui sont souvent utilisées plus comme des slogans mobilisateurs que comme des outils de réflexion. Puis il insiste sur le fait que l’oubli peut avoir ses vertus. Et de citer l’édit de Nantes, qualifié de « loi de l’oubli ». L’amnésie n’a pas vocation à être totale ni définitive mais, à certaines périodes, il paraît impossible de conjuguer mémoire et réconciliation. Enfin, la mémoire est justement évoquée pour souligner le trop-plein de lois mémorielles. « Aujourd’hui, pour nous Européens, le devoir d’Histoire est sans doute plus important que le devoir de mémoire », affirme Bruno Tertrais. Reste à savoir quelle histoire. Comme le montre le débat suscité par la publication de l’Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017) sous la direction de Patrick Boucheron, l’histoire – comme la sociologie – reste un sport de combat.

Marc Hecker

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La spirale du déclassement

Fri, 13/10/2017 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2017). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Louis Chauvel, La spirale du déclassement. Essai sur la société des illusions (Seuil, 2016, 224 pages).

Louis Chauvel, professeur à l’université du Luxembourg, analyse ici le déclin des classes moyennes dans les sociétés industrialisées.

En début de livre, le sociologue s’attache à montrer que la racine du problème tient essentiellement à la « repatrimonialisation » qui touche les États occidentaux depuis 30 ans. Ce phénomène, dû à la stagnation des salaires, à la hausse du chômage et à l’enrichissement des ménages détenteurs de biens immobiliers, a accru les inégalités puis, au fil des années, rigidifié la reproduction sociale. Cette évolution est évidemment traumatique pour les générations nées à partir de 1960. Cependant, elle correspond aux modalités de développement des États émergents dans lesquels le capitalisme familial se nourrit de la mondialisation pour accroître le patrimoine des élites locales.

Si la « civilisation de classe moyenne » est en train de vaciller, c’est parce que ses piliers se fissurent : doutes croissants sur la méritocratie et l’idée de progrès social, remise en cause du salariat, réduction de la protection sociale, difficulté à devenir propriétaire et démonétisation des diplômes. Louis Chauvel s’attarde sur ces deux derniers points. Particulièrement marqués en France, les déclassements scolaire et résidentiel sont les symptômes les plus criants de la paupérisation et du mal-être des jeunes générations. La frustration qu’elle engendre inquiète l’auteur, surtout dans le cas où elle prendrait des formes politiques extrêmes. Les événements récents lui donnent raison : si le corps électoral avait été composé exclusivement des 18-24 ans, le second tour de la présidentielle de 2017 aurait opposé Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon.

Le « grand déclassement » – à savoir le dépassement de la classe populaire et de la «classe moyenne inférieure » françaises par la classe moyenne des pays émergents – est ensuite étudié. Ce mouvement de fond est appelé à s’amplifier sous l’effet de trois facteurs : la poursuite du creusement des inégalités en France, la réduction continue entre le niveau de vie moyen ­français et émergent et la réapparition de conflits de classes violents.

L’analyse va crescendo et les 30 dernières pages de l’ouvrage sont aussi remarquables qu’émouvantes. Pour Chauvel, la crise que la France et les pays développés traversent actuellement est liée à l’insoutenabilité de leur modèle économique et social et à leur incapacité à se réformer. Il n’hésite pas à invoquer les travaux de Joseph Tainter sur la décadence et l’effondrement des sociétés complexes pour nous alerter sur le sort tragique qui nous guette. Seul un sursaut de notre jeunesse peut assurer le salut d’une civilisation qui a si longtemps cru à la science et au progrès humain. Parallèlement, l’auteur déplore un incroyable déni de réalité de la part des dirigeants politiques et des médias. Mais ses critiques les plus acerbes sont adressées à plusieurs de ses collègues, et à certains pans de la sociologie, qui s’évertuent à déclasser la notion de réalité et à construire une dangereuse illusion sociale.

La Spirale du déclassement est un livre majeur et passionnant. C’est aussi un cri d’alerte.

Norbert Gaillard

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