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2010-2018: la Grèce retrouve sa liberté (surveillée)

Tue, 06/26/2018 - 14:59

La fin du cauchemar, pour la Grèce et pour ses partenaires, est pour bientôt : le 21 août, Athènes sortira de son troisième programme d’aide européen depuis qu’elle a fait faillite au printemps 2010 et devra se financer à nouveau sur les marchés. Les ministres des Finances de la zone euro se sont retrouvés jeudi soir à Luxembourg pour libérer la dernière tranche d’aide financière promise et pour essayer d’alléger le fardeau de la dette (178 % du PIB), essentiellement détenue par le Mécanisme européen de stabilité (MES) et les États de la zone euro. Mais il n’est pas question de faire de cadeaux à Athènes : elle restera donc sous surveillance pour de longues années, jusqu’au remboursement du dernier euro, afin d’évite que ses comptes publics dérivent à nouveau. En clair, la Grèce va bénéficier d’un régime de semi-liberté.

La Grèce est un cas unique dans la jeune histoire de la zone euro : premier pays à bénéficier d’un plan d’aide de ses partenaires, elle est le dernier pays à en sortir. En effet, l’Irlande (2010-2013), le Portugal (2011-2014) et Chypre (2013-2016) ont tous réussi à se redresser dans le délai imparti, c’est-à-dire en trois ans. Tous ont renoué rapidement avec la croissance, Lisbonne se payant même le luxe, en 2016, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, de rompre avec l’austérité prônée par Bruxelles afin de relancer avec succès son économie.

L’échec de la Grèce à s’affranchir rapidement de la tutelle de Bruxelles a de multiples causes. La première est européenne : jamais la Grèce n’aurait dû entrer dans la zone euro en janvier 2001 : non seulement son économie n’était absolument pas prête à supporter un tel choc, mais elle a menti sur la réalité de son déficit public pour se qualifier, comme elle le reconnaitra elle-même en 2004, un aveu qui restera sans conséquence.Ensuite, au lieu d’achever la construction monétaire, l’Union s’est contentée de vivre sur l’acquis du traité de Maastricht de 1992. Résultat : lorsque la crise financière américaine de 2007-2008 s’est transformée en crise de la dette dans la zone euro, elle n’avait aucun instrument à sa disposition pour la gérer. Elle a donc dû les bricoler dans l’urgence, ce qui a été d’une rare complexité, en particulier parce que l’Allemagne a été particulièrement réticente à aider la Grèce. Mais les ratés ont été nombreux, les institutions européennes n’étant absolument pas équipées pour gérer l’économie d’un pays.

Surtout, elles ont montré une ignorance absolue de ce qu’était la Grèce moderne qui thésaurisait sur son image de « berceau de la démocratie » et qui était parvenue à faire croire qu’elle vivait un « miracle économique ». En réalité, elle a vécu à crédit pendant dix ans en profitant des taux bas procurés par l’euro, un argent facile qui a servi uniquement à soutenir la consommation, et non à investir dans l’économie réelle. En outre, Bruxelles n’a pas voulu voir que l’État grec était corrompu, clientéliste et prévaricateur… Fin 2009, lorsque le nouveau gouvernement socialiste a reconnu que ses prédécesseurs conservateurs avaient divisé par trois le déficit réel, il était trop tard pour enrayer la panique des marchés qui se sont débarrassés à tour de bras de la dette grecque entrainant le pays à la faillite, les taux d’intérêt demandés étant impayables.

Malgré cela, les Européens ont continué à faire confiance à un État largement inexistant pour mener à bien les réformes, ce qu’il était bien incapable de faire. Les politiques grecs ont longtemps refusé de voir la gravité de la situation de leur pays, retardant au maximum les réformes afin de préserver leur clientèle électorale. Ainsi, c’est Antonis Samaras, Premier ministre conservateur, qui a fait dérailler la sortie de la Grèce du second plan d’aide, à la mi-2014, en refusant de poursuivre des réformes pourtant restées largement théoriques en dehors des coupes dans les salaires et les retraites. C’est toute la différence avec l’Irlande, le Portugal ou Chypre doté d’États fonctionnels.

Finalement, c’est Alexis Tsipras, le leader de Syriza, un parti de gauche radicale devenu social-démocrate, parvenu au pouvoir en janvier 2015, qui se montrera le meilleur élève de Bruxelles. Après avoir engagé un bras de fer contre ses partenaires de la zone euro qu’il ne pouvait gagner, la menace d’une sortie de la Grèce de la zone euro ne faisant plus peur à personne, le jeune premier ministre a capitulé en juillet 2015 après avoir gagné un référendum contre l’austérité et a appliqué depuis avec zèle les réformes voulues par l’Eurogroupe.

Si aujourd’hui l’économie va bien, la croissance explose, le chômage se résorbe rapidement, le pays n’est pas encore tiré d’affaire : à partir de 2023, il devra commencer à rembourser l’énorme dette qu’il a contractée auprès de ses partenaires en dégageant sur le long terme un surplus primaire de 3,5 % du PIB (donc avant la charge de la dette) que tous les économistes jugent irréalistes. L’idée est donc de prolonger la durée des prêts de 2059 à 2069 (les taux sont quasiment à zéro). Même si l’Allemagne refuse encore de l’admettre, il faudra bien qu’un jour la zone euro prenne ses pertes si elle veut se débarrasser du « boulet grec » une bonne fois pour toutes et permettre à ce pays de recouvrer sa pleine liberté.

N.B.: article paru dans Libération du 22 juin

Categories: Union européenne

La Commission veut sauver le "soldat" Merkel

Fri, 06/22/2018 - 19:24

C’est par un tweet, mercredi 20 juin que Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, a fait savoir qu’il « invitait » « à une réunion de travail informelle sur les sujets des migrations et de l’asile un groupe d’États membres intéressés. Le but de la réunion, qui aura lieu ce dimanche à Bruxelles, est de travailler à des solutions européennes en vue du sommet » des 28 et 29 juin. Parmi les chefs d’États et de gouvernement « tagués » dans le tweet, Emmanuel Macron, Angela Merkel, l’Italien Giuseppe Conte, l’Autrichien Sebastian Kurz, le Grec Alexis Tsipras, le Bulgare Boïko Borissov, le Maltais Joseph Muscat et l’Espagnol Pedro Sanchez. A la suite de cette annonce, le Belge Charles Michel et le Néerlandais Mark Rutte suivi par le Luxembourg, le Danemark, la Suède, la Finlande, la Slovénie et la Croatie ont annoncé qu’ils rejoindraient ce mini-sommet informel, alors que la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie ont fait savoir qu’ils déclinaient l’invitation. Soit 16 pays sur 28.

Une convocation pour le moins étonnante, puisque Juncker préside la Commission et non le Conseil européen. Autrement dit, il court-circuite le Polonais Donald Tusk qui, pourtant, travaille déjà sur le sujet de l’asile et de l’immigration afin de réunir un consensus sur plusieurs points, notamment sur la création de plates-formes d’accueil dans les pays tiers où le tri serait fait entre les demandeurs d’asile admis à venir sur le territoire européen et les autres. La seule autre fois où la Commission s’est risquée à sortir ainsi de ses prérogatives, c’était déjà sur la question des demandeurs d’asile : au plus fort de la crise de 2015, elle avait convoqué, le 25 octobre, un « sommet » pour tenter de fermer la route des Balkans. Mais, cette fois-là, plusieurs États invités étaient non-membres de l’Union: aux côtés de l’Autriche, de l’Allemagne, de la Croatie, de la Bulgarie, de la Grèce, de la Hongrie, de la Roumanie et de la Slovénie, on trouvait en effet l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Serbie, ce qui pouvait justifier l’initiative de la Commission, celle-ci étant chargée des relations de voisinage. Cette fois-ci, on se demande quelle mouche l’a piquée.

En réalité, dès que la chancelière allemande est en difficulté, la Commission se plie toujours en quatre pour l’aider. Ni la Grèce ni l’Italie n’ont jamais eu droit à un tel traitement VIP alors qu’ils sont en première ligne depuis des années. Pis, alors que l’Allemagne s’est assise sur la solidarité européenne en décidant seule d’ouvrir ses frontières en 2015, sans que la Commission hausse un sourcil, Athènes et Rome, elles, ont eu droit aux remontrances de Bruxelles pour leurs retards à mettre en place des centres d’accueil permettant de faire le tri entre les arrivants... La Commission a même préparé un projet de conclusions reprenant pour l’essentiel les demandes de la CSU allemande destinées notamment à bloquer les «mouvements secondaires», c’est-à-dire les demandes d’asile d’étrangers qui ne l’ont pas déposé dans le pays de premier accueil comme le prévoit le régalement de Dublin. Ce projet a finalement été abandonné suite aux protestations de l’Italie qui a menacé de ne pas se rendre à Bruxelles, puisqu’on lui demandait en réalité d’assumer seule la charge des migrants...

Cette initiative de Juncker, qui doit son poste aux conservateurs allemands, est d’autant plus baroque qu’il n’y a pas de « crise des migrants », le nombre d’arrivées en Europe ayant retrouvé son niveau d’avant 2015 (-77% en Italie par rapport à l’année dernière). En revanche, il y a bien une succession de crises politiques dans certains pays, en particulier en Allemagne, la droite radicale et l’extrême-droite essayant de tirer les dividendes d’une crise déjà terminée. Bref, la Commission veut surtout essayer de sauver le soldat Merkel plus que de stopper une fantasmée « invasion migratoire ». C’est d’ailleurs pour cela que Donald Tusk a refusé de convoquer lui-même ce sommet informel.

Categories: Union européenne

Berlin et Paris veulent un budget pour la zone euro

Wed, 06/20/2018 - 00:22

La ténacité d’Emmanuel Macron a fini par payer. Angela Merkel a enfin accepté, mardi, lors du sommet franco-allemand de Meseberg (nord de Berlin) d’approfondir la zone euro comme le propose depuis un an le Président de la République, une perspective qu’elle rejetait, ou plus exactement freinait, il y a quelques mois encore de peur de créer une « union de transferts » entre le nord et le sud. Bien sûr, la chancelière n’a pas donné son feu vert à toutes les propositions du chef de l’État français : ainsi, le parlement de la zone euro et le ministre des finances européen passent à la trappe. Mais elle s’est ralliée, et c’est le plus important, au principe d’un budget propre aux dix-neuf pays qui ont adopté la monnaie unique et est enfin prête à achever l’Union bancaire. La dynamique franco-allemande est donc enfin relancée, l’Allemagne reconnaissant que l’inachèvement de la zone euro menace son existence même en cas de nouvelle crise, ce qui nuira à ses intérêts vitaux.

Méfiance allemande

Le sommet de mardi, auquel a été convié le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, afin de montrer qu’il ne s’agit pas de scinder l’Union en deux, a largement été préparé par les ministres des finances allemand, le social-démocrate Olaf Scholz, et français, l’ex LR Bruno Le Maire, qui ont négocié d’arrache-pied. Comme d’habitude, les Français proposaient et les Allemands refusaient, soupçonnant leur partenaire de vouloir faire main basse sur « le bon argent allemand ». Il a fallu des centaines d’heures de palabres pour qu’ils admettent enfin qu’il ne s’agissait pas de « faire payer l’Allemagne », un fantasme en vogue outre-Rhin, mais simplement d’assurer la pérennité de l’euro. Une résistance d’autant plus curieuse que l’accord de Grande Coalition (GroKo) signé entre le SPD et la CDU-CSU prévoyait bien d’achever la construction monétaire européenne, comme l’a reconnu la chancelière lors de la conférence de presse finale : « tout ce qui a été convenu aujourd’hui est dans le contrat de coalition ». Mais le négociateur SPD de l’accord de coalition, Martin Schulz, s’est retiré du jeu politique, et son successeur, Olaf Scholz, n’est absolument pas familier des questions européennes et, surtout, il a gardé auprès de lui les faucons qui entouraient son prédécesseur, l’intraitable Wolfgang Schäuble.

Un budget pour les Dix-neuf

Alors que la Commission, dans son projet de « cadre financier pluriannuel » (CFP) 2021-2027, avait simplement proposé d’affecter à la zone euro au sein du budget communautaire une ligne budgétaire de 30 milliards d’euros sur 7 ans, ce qui donnait un droit de regard aux 9 pays non membres de la monnaie unique, le couple franco-allemand exige un budget propre à la zone euro : les recettes et les dépenses seraient décidées à 19 même si elles seront exécutées par la Commission qui a l’habitude de ce travail.

Ce budget serait destiné à investir dans « l’innovation et le capital humain » et pourrait « financer des nouveaux investissements et venir en substitution des dépenses nationales », comme l’écrit la « feuille de route franco-allemande pour la zone euro » rendue publique hier soir. Il pourrait aussi jouer le rôle de « stabilisation macroéconomique », soit par le biais d’une « suspension temporaire de la contribution au budget de la zone euro pour les pays touchés par un choc significatif », soit en alimentant un « fonds européen de stabilisation du chômage » qui pourrait faire des prêts aux systèmes nationaux afin que l’État touché par une augmentation brutale du chômage ne perde pas ses capacités de manœuvre. Dans les deux cas, l’État qui aura bénéficié de cette aide d’urgence devra ensuite la rembourser.

Ce budget, qui devrait voir le jour en 2021, pourrait être alimenté par la taxe sur les transactions financières (TTF) « sur le modèle français » (qui taxe les achats d’actions uniquement), par le futur impôt qui frappera les géants du numérique, par une partie de l’impôt sur les sociétés et par la fameuse ligne budgétaire de 30 milliards d’euros prévus par la Commission. Si aucun chiffre n’a été avancé, ce budget ne devrait pas dépasser les 100 milliards sur 7 ans, ce qui reste largement insuffisant. Mais un pas symboliquement important aura déjà été franchi.

Un Mécanisme européen de stabilité renforcé

En cas de crise grave, le couple franco-allemand propose un système à deux paliers. D’une part, si un pays de la zone euro est confronté à un simple problème d’accès aux marchés alors que ses comptes sont en bon ordre, ce qui a été le cas de l’Irlande ou de l’Espagne, lors de la crise de la zone euro, il aura accès à une « ligne de crédit de précaution » qui sera créée au sein du Mécanisme européen de stabilité (MES, doté d’une capacité d’emprunt de 700 milliards). Une telle ligne existe au sein du FMI et elle est censée permettre à un pays de faire face à un coup de vent violent et à rassurer les marchés.

En revanche, si le pays est au bord de la faillite parce qu’il a un déficit excessif ou une dette importante, il pourrait, comme aujourd’hui, faire appel au MES que Berlin et Paris proposent d’intégrer dans les traités européens (pour l’instant, c’est un accord intergouvernemental ad hoc), ce qui permettra au Parlement européen de le contrôler. L’État qui fera appel aux prêts du MES serait soumis à un programme d’austérité destiné à le ramener à l’équilibre comme aujourd’hui, mais le MES aura un rôle moteur dans sa conception. Pour l’instant, c’est la Commission qui est à la manœuvre, mais elle n’a pas vraiment convaincu les États de sa capacité à gérer efficacement le redressement d’un pays… La volonté allemande de le renommer « Fonds monétaire européen », sur le modèle du FMI, est abandonné : on se dirige plutôt vers « Fonds européen de stabilité » ou quelque chose d’approchant. Il n’est plus question d’une restructuration automatique des dettes, mais simplement d’analyser leur soutenabilité et d’inclure dans les futurs emprunts d’Etats des clauses d’action collective permettant aux créanciers d’arriver plus facilement à un accord de restructuration.

Achever l’Uniion bancaire

Le couple franco-allemand propose de donner au MES un nouveau rôle dans le cadre de l’Union bancaire, celui de « backstop » ou de « filet de sécurité ». En effet, le « fonds de résolution unique » (FRU), alimenté par les contributions des banques, peut se révéler insuffisant en cas de faillit d’une banque systémique. Dans ce cas, il pourra faire appel au MES dans la limite des fonds du FRU : actuellement de 20 milliards d’euros, ils atteindront 55 milliards en 2024, date proposée d’entrée en vigueur de cette fonction de backstop, soit en tout 110 milliards. Comme à terme le FRU disposera de 70 milliards d’euros, ce seront 140 milliards qui pourront être mobilisés pour sauver les banques. Pour donner un ordre de comparaison, aux États-Unis, le « backstop » géré par la SEC (qui mélange deux fonctions totalement séparées dans l’Union, celles de fonds de garantie des dépôts et de fonds de résolution unique) se monte à 100 milliards de dollars. Si le MES est sollicité, le secteur bancaire sera ensuite mis à contribution pour rembourser les sommes mobilisées dans les trois ans, cinq ans au maximum.

Le mécanisme est encore vague et suscite encore de nombreuses questions : ainsi, l’Allemagne insiste pour que son Bundestag donne son feu vert à chaque utilisation du backstop, comme c’est le cas pour toute activation du MES. Une exigence qui freinera son automaticité, alors même que l’argent public allemand n’est pas mobilisé. Surtout, cela donnera un droit de véto au seul Bundestag, ce qui pose un réel problème démocratique… La France demande donc que le Bundestag donne son accord une fois pour toutes pour l’utilisation du MES comme backstop. On comprend mieux pourquoi l’Allemagne persiste à refuser un parlement de l’eurozone : pour elle, le Bundestag joue déjà ce rôle…

Le dernier pan de l’Union bancaire reste encore en jachère, celui de la « garantie européenne des dépôts bancaires » à laquelle les caisses d’épargne allemandes s’opposent avec virulence (et leurs liens avec le monde politique sont incestueux). Pour l’instant, les fonds de garantie sont uniquement nationaux et l’Allemagne pose comme préalable à une mutualisation une quasi-élimination des risques bancaires, ce qui revient à la renvoyer sine die. Mais elle accepte au moins de commencer des négociations politiques sur le sujet après le conseil européen de juin.

Reste maintenant à Berlin et à Paris à convaincre leurs dix-sept partenaires qu’ils retrouveront les 28 et 29 juin lors du Conseil européen de Bruxelles. Les Pays-Bas ou la Finlande risquent de trouver que cela va trop loin, alors que l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou le Portugal jugeront que seule une petite partie du chemin a été parcourue. C’est sans doute la force du compromis franco-allemand : même s’il ne satisfait personne, chacun peut s’y retrouver en partie.

Photo: AFP

Categories: Union européenne

Martin Selmayr envoie paître la médiatrice européenne

Mon, 06/18/2018 - 22:49

C’est un véritable doigt d’honneur que la Commission adresse à la médiatrice, au Parlement et aux médias. En effet, les réponses adressées vendredi aux sept questions adressées par Emily O’Reilly, l’ombudswoman de l’Union, à l’exécutif européen, saisie d’une plainte sur les conditions de la nomination de l’Allemand Martin Selmayr au poste de secrétaire général, sont proprement sidérantes de mépris et d’arrogance. Même le site Politico.eu, qui a volé au secours de Selmayr, en est resté, ce matin, comme deux ronds de flan. Dans la lignée du « droit de réponse » que m’a adressé le porte-parole de l’institution, le Grec Margaritis Schinas, la Commission persiste à affirmer que toutes les règles ont été parfaitement respectées et qu’affirmer le contraire n’est que malveillance et « fake-news ».

Après la résolution du Parlement européen du 18 avril, on aurait pourtant pu s’attendre à ce que l’exécutif européen fasse profil bas et joue l’apaisement. Mais c’est mal connaître Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et Selmayr, les deux hommes étant liés par une hubris sans limites. Les eurodéputés n’ayant pas osé provoquer la chute de la Commission, tout en jugeant la nomination de Selmayr illégale, ils se sentent désormais intouchables et le montrent sans vergogne.

Des «fake news» partout !

Ainsi, la Commission n’hésite pas à affirmer que sa communication a été parfaite (question 7) alors qu’elle a menti et dissimulé les faits à de nombreuses reprises. Une communication entièrement dirigée par Selmayr, faut-il le préciser ? La Commission estime avoir été victime d’une « campagne négative »de la part de certains médias (évidemment je suis visé), affirme que de « fausses informations ont été répandues »,de « fausses explications »ont été données et, pire, que des « données personnelles »ont été « utilisées illégalement » ! Un ton menaçant digne d’une démocratie illibérale. Si tout cela est vrai, on se demande pourquoi la Commission n’a pas poursuivi en justice ces journalistes qui ont osé enquêter et publier ces « fake news » ?

Le Parlement européen au pilori

Il n’y a pas que les médias qui sont visés par la colère de Selmayr, le secrétaire général tenant évidemment la plume de ces réponses, exactement comme il l’a fait pour les questionnaires de la Commission de contrôle budgétaire du Parlement. Les eurodéputés en prennent pour leur grade pour avoir qualifié sa nomination de « coup de force à la limite de la légalité, voire dépassant cette limite » (question 1). Jouant l’idiote, la Commission estime qu’« un coup se définit comme une prise de pouvoir soudaine, violente et illégale » « par l’armée ou d’autres élites au sein de l’appareil d’État » : « la Commission ne comprend pas comment une décision du collège des commissaires, proposée par le président et approuvée unanimement par tous les membres de la Commission peut être comparée à un coup de force ».Le fait que le collège, composé de commissaires qui font la preuve depuis quatre ans de leur faiblesse politique, ait couvert un acte illégal ne signifie absolument pas qu’il n’y ait pas eu « coup de force ». À la différence d’un coup d’État militaire, on peut piétiner l’État de droit sans avoir recours aux forces armées comme le démontrent tous les jours la Pologne ou la Hongrie... On comprend au passage pourquoi Selmayr veut laisser tomber l’article 7 contre Varsovie.

On peut d’autant moins parler de « coup de force » que, selon la Commission, la nomination de Selmayr « respecte toutes les règles, dans leur lettre et dans leur esprit »… Or, c’est justement le contraire que le Parlement et les journalistes qui se sont intéressés à l’affaire ont soigneusement démontré. Qu’importe : toutes les critiques sont bâties sur « une série d’allégations infondées, de fausses informations et, en général, elles tendent à vouloir remettre en cause le pouvoir de la Commission de nommer ses hauts fonctionnaires »(question 2)… Bref, ce sont non seulement les journalistes qui sont des crétins malveillants, mais les députés européens.

Avant la ruine vient l’orgueil

Pour l’exécutif européen, il s’agit d’une non-affaire puisque le SelmayrGate n’a pas nui à la réputation de l’Union. Pour le prouver, il brandit (question 2) le dernier Eurobaromètre qui montre que la confiance dans l’Union et plus particulièrement à l’égard de la Commission a augmenté. Qu’importe qu’il ait été réalisé avant l’affaire…

Bien sûr, une nouvelle fois, les commissaires n’ont pas été consultés sur ces réponses, mais ils vont les avaliser comme ils l’ont toujours fait, terrorisés qu’ils sont par Selmayr. Le Parlement européen, lui, se retrouve Gros-Jean comme devant. Et Emily O’Reilly sait déjà que si elle rend un avis négatif sur cett nomination, cela ne servira strictement à rien, le mépris de la démocratie et des contre-pouvoirs étant la marque de fabrique d’une Commission Juncker qui se sera ouverte sur les Luxleaks et se termine par le Selmayrgate.

Cela étant, comme me le confiait un eurodéputé allemand influent, il suffit d’être patient : la chute de Selmayr interviendra en même temps que Juncker partira à la retraite. Comme le dit un proverbe allemand, « Hochmut kommt vor dem Fall » : « avant la ruine, vient l’orgueil ».

N.B.: montage réalisé par les Grecques (groupe anonyme de bas fonctionnaires européens)

Categories: Union européenne

Danse d'amour entre les conservateurs européens du PPE et le PiS polonais

Mon, 06/18/2018 - 21:54

Rencontre entre le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki et le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, en janvier

Les conservateurs allemands sont prêts à vendre leur âme au diable afin de conserver le contrôle qu’ils exercent sur l’Union européenne depuis près de 15 ans. Selon nos informations, la CDU-CSU, le parti de la chancelière Angela Merkel, est à la manœuvre pour faire adhérer au PPE (Parti populaire européen) ou au moins au groupe politique PPE au Parlement européen, leurs relais d’influence dans les institutions communautaires, Droit et Justice (PiS), le parti de Jaroslaw Kaczynski au pouvoir en Pologne. Afin de faciliter ce rapprochement, Jean-Claude Juncker, l’actuel président PPE de la Commission et son âme damnée, l’Allemand Martin Selmayr, secrétaire général de l’exécutif européen et proche de la CDU, veulent abandonner les poursuites engagées contre la Pologne accusée de violer gravement l’Etat de droit… Si cette adhésion se réalisait, le PiS rejoindrait sur les bancs du PPE le Fidesz du Hongrois Viktor Orban, ce qui accentuerait la dérive droitière et eurosceptique du PPE qui fut longtemps démocrate-chrétien et fédéraliste européen.

Le PiS à la manoeuvre

C’est le PiS qui a entamé les travaux d’approche depuis quelques mois. Avec le départ programmé des conservateurs britanniques, fin mars 2019, le groupe de l’ECR (Conservateurs et réformateurs européens) dans lequel ils siègent ensemble, va voir ses effectifs fondre et il y a peu de chance qu’il demeure le troisième groupe politique du Parlement (sur huit). Or siéger dans un groupe marginal, surtout pour un parti de gouvernement, c’est la certitude de n’avoir aucune influence. Le Brexit va aussi renforcer l’isolement du PiS au sein du Conseil des ministres et surtout du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement.

Le PiS a pu toucher du doigt le prix à payer lorsqu’on n’appartient à aucune famille politique européenne. Alors que Viktor Orban peut se permettre d’instaurer dans l’indifférence générale des institutions européenne une démocrature dans son pays, le PPE ayant à cœur de protéger les siens, le PiS s’est retrouvé mis à l’index par la Commission, celle-ci l’accusant de violer l’État de droit en plaçant sous sa coupe le système judiciaire : le 20 décembre 2017, elle n’a pas hésité à dégainer pour la première fois l’arme lourde de l’article 7 du traité sur l’Union qui peut aboutir à priver le pays de son droit de vote au sein de l’Union…

Rejoindre le PPE est donc l’assurance pour le PiS de trouver un répit. Mais ce rapprochement ne serait pas possible sans l’affaiblissement de Jaroslax Kaczynski, le leader du PiS et vrai patron de la Pologne, hospitalisé pendant un mois et qui vient de sortir de l’hôpital. Selon de multiples sources européennes, sa santé s’est considérablement dégradée. Or, par son europhobie quasi-pavlovienne, c’est la principale hypothèque à une relative « normalisation » du PiS. La danse d’amour entre le PPE et le PiS indiquerait donc que l’après-Kaczynski a commencé…

Des Allemands très réceptifs

Ces appels du pied appuyés du PiS rencontrent un écho très favorable parmi les chrétiens-démocrates allemands. Ainsi, l’Allemand Manfred Weber, membre de la très à droite CSU bavaroise et patron du groupe PPE, s’inquiète des pertes que son groupe ne manquera pas d’enregistrer en mai 2019 (selon les sondages, il passerait de 219 députés à environ 180), même s’il restera sans doute le premier du Parlement. De fait, le parti populaire espagnol, le plus fidèle soutien de la CDU-CSU, vient de perdre le pouvoir et devrait se faire étriller (17 députés actuellement), tout comme Forza Italia (11), LR (20) ou encore la Plateforme civique polonaise, le parti de Donald Tusk, l’actuel président du conseil européen (22).

Dès lors une adhésion du PiS pourrait permettre de limiter la casse, même s’il traverse actuellement un trou d’air dans les sondages. La perte de PO, elle aussi bien mal en point, serait largement compensé par l’arrivée du PiS, qui plus est un parti au pouvoir qui sera sans doute reconduit lors des prochaines élections. Manfred Weber espère surtout qu’une telle adhésion sécurisera définitivement sa candidature comme tête de liste du PPE (le PiS n’ayant alors rien à lui refuser) et donc comme probable président de la Commission. En effet, le système des Spitzenkandidaten, inauguré en 2014 avec le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, garantie à la tête de la liste arrivée en tête aux Européennes qu’il prendra les rênes de l’exécutif européen.

Martin Selmayr joue sa survie

Cette manoeuvre est aussi dans l’intérêt de l’Allemand Martin Selmayr, le vrai patron de la Commission, Juncker n’étant plus que l’apparence du pouvoir. Après sa promotion très contestée au poste de secrétaire général, il cherche à sécuriser sa place. C’est donc pour complaire à Manfred Weber, qui serait alors son obligé comme président de la Commission, qu’il a essayé, la semaine dernière, de lever la procédure de l’article 7 contre la Pologne, celle-ci étant un empêchement dirimant à toute adhésion au PPE. Il s’est pour l’instant à un front uni des commissaires socio-démocrates et libéraux, une première, lui qui a toujours réussi à imposer ses vues. Mais Selmayr n’a pas dit son dernier mot, d’autant que le PPE est majoritaire au sein du collège des commissaires.

Cela étant, au sein même du PPE, la perspective d’une adhésion du PiS, passe très mal. Il y a deux semaines, lors d’une réunion du groupe, une majorité de délégations nationales (dont la Française et la Néerlandaise) ont fait savoir à Weber qu’il s’agirait d’un cassus belli, ce qui a quelque peu refroidi son enthousiasme. Pour ces élus, le PPE y perdrait le peu de ce qui reste de son âme europhile. Cela étant, à l’approche des élections, et face à la perspective d’un groupe En Marche conséquent qui pourrait s’allier aux socio-démocrates et aux Verts pour s’emparer de la Commission et des postes de pouvoir au Parlement, il est loin d’être exclu que le principe de réalité ne pousse les conservateurs à accepter parmi eux le PiS. Au final, ce seront les Allemands qui décideront, comme toujours.

N.B.: Manfred Weber a démenti notre article dans un tweet du 15 juin : «Nous démentons formellement. Il n’y a ni aspiration à faire entrer le PiS au #PPE ni discussions à ce sujet. Le @EPPGroup soutient pleinement la procédure lancée par la @EU_Commission à l’encontre du gouvernement polonais». Il s’est aussi fendu d’un article dans L’Opinion pour dénoncer la loi imposant aux juges constitutionnels un âge limite. Néanmoins, je maintiens l’ensemble de mes informations. Des contacts ont bien eu lieu et la Commission a bien cherché à laisser tomber l’article 7.

N.B. 2: Article paru dans Libération du 2 juin

Categories: Union européenne

Donald Trump, le meilleur allié de la construction européenne

Sat, 06/16/2018 - 18:34

Et si Donald Trump était une chance pour l’Union européenne ? Confrontés à l’imprévisible président américain, les Européens ont d’abord fait le pari que la raison finirait par l’emporter, une fois que le nouveau locataire de la Maison-Blanche aurait pris ses marques et que les contre-pouvoirs prévus par la Constitution américaine auraient commencé à jouer. Si, sur le plan intérieur, cela a partiellement fonctionné, en matière internationale, ce n’est pas ce qui s’est passé. Non seulement parce que le président des États-Unis dispose de larges pouvoirs dans ce domaine, mais parce qu’il peut, par simple refus de jouer le jeu diplomatique, bouter le feu à la planète, comme le G7 québécois en a fourni la démonstration. Les Européens ont désormais la certitude qu’ils ne sont plus considérés par Washington comme des alliés naturels, mais comme des ennemis potentiels, ce qui bouleverse l’ordre international hérité de la Seconde Guerre mondiale.

Un unilatéralisme pas si nouveau

Il serait inexact de croire que l’unalitéralisme américain est une novation. Jusqu’à la mise en place de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en janvier 1995, il était même la règle et il le reste encore en partie, comme l’ont montré les sanctions qui ont frappé les banques européennes qui ont osé utiliser le dollar pour commercer avec des pays placés sous embargo par les États-Unis, comme l’Iran. La différence, aujourd’hui, est le refus assumé de Trump de jouer le jeu du multilatéralisme, au point même de remettre en question l’existence de l’OMC : ce n’est pas un hasard si la Maison-Blanche n’a toujours pas désigné ses juges au sein de l’Organe de règlement des différents (ORD) de l’OMC, ce qui va paralyser à terme cette justice commerciale internationale. Ce qui est totalement nouveau aussi, c’est l’extrême brutalité de Trump qui clame via Tweeter ses oukases, refuse de toute négociation, est incapable de tenir parole et est d’une mauvaise foi sidérante.

Ainsi, à Bruxelles, on souligne que Trump, qui a annoncé son intention de frapper les importations automobiles européennes, « affirme que nos tarifs douaniers sur les voitures américains sont de 10% contre 2,5 % aux États-Unis. Mais il oublie de dire que les droits de 10 % ne touchent qu’un milliard d’euros des importations américains sur un total de 6,5 milliards, seules les voitures ne comportant aucune pièce européenne étant pleinement taxées ». De même, les camions européens sont taxés à 25% contre 22% pour les américains, le textile européen supporte des droits de 32% contre 12% pour le textile américain, les produits agricoles européens ne peuvent quasiment pas entrer aux États-Unis, etc..

L’Union occupe la place laissée par les Etats-Unis

Face à cette brutalité, la placide Commission n’a eu d’autre choix que de taper du poing sur la table au lendemain de l’imposition de droits de douane sur l’acier et l’aluminium européen, le 31 mai, en attaquant les États-Unis devant l’OMC. Mieux, des mesures de rétorsion sur près de 3 milliards d’euros d’importations américaines devraient entrer en vigueur début juillet. Profitant de ce retour de l’isolationnisme américain, une première depuis la crise de 1929, l’Union a occupé sans hésiter l’espace laissé libre : elle a signé un accord commercial inespéré avec le Japon et s’apprête à conclure avec le Mexique et le Mercosur et, à terme, avec l’Australie ou encore la Nouvelle-Zélande. Et elle compte bien profiter de la stupidité de l’administration Trump : ainsi le Mexique va annoncer l’ouverture d’un quota d’importation de viande porcine de 350.000 tonnes pour pallier le retrait américain (à comparer avec les 90.000 tonnes de bœufs que le Mercosur aimerait importer dans l’Union et qui font polémiques…)

L’OTAN affaibili

La prochaine étape de la guerre déclenchée par Trump contre ses (ex ?) alliés pourrait bien avoir lieu lors du sommet de l’OTAN de Bruxelles des 11 et 12 juillet: si les Européens restent attachés au parapluie américain, faute d’avoir les moyens à brève échéance de faire face seuls aux dangers qui les menacent, ils savent qu’il est déjà en train de se replier : Trump a qualifié, lors de sa prise de fonction, d’obsolète l’Organisation atlantique, et il n’a pas l’intention de continuer à payer pour la défense des Européens. Mais là aussi, les Européens vont avoir du mal à tourner une page de 70 ans : iront-ils jusqu’à acheter du matériel militaire européen pour envoyer un signal aux États-Unis ? On peut en douter. Or la dépendance militaire implique la dépendance économique…

Si l’Europe a su, pour l’instant, se montrer unie face aux menaces extérieures (Trump et Brexit), elle est elle-même gagnée par la fièvre « populiste », comme en Italie, en Hongrie, en Pologne ou encore en Slovénie, ce qui porte en germe le risque de désintégration. Ce n’est pas pour rien que certains proches de Trump se réjouissent de l’avènement de ces gouvernements. Et le président américain n’a jamais caché qu’il détestait l’Union, au point d’ailleurs de ne toujours pas avoir nommé d’ambassadeur à Bruxelles, depuis le licenciement brutal d’Anthony Gardner en décembre 2016… C’est pour éviter cette catastrophe que l’Allemagne, qui a besoin de l’Union pour résister à Trump, puisqu’elle sera la première touchée par la guerre commerciale qui s’annonce, et plus généralement pour assurer sa sécurité, a enfin commencé à bouger sur l’approfondissement de l’Union. Après de longs mois de silence, Angela Merkel et son ministre social-démocrate des finances, Olaf Scholz, ont enfin reconnu la nécessité d’instaurer un minimum de solidarité financière au sein de la zone euro, comme le réclame Emmanuel Macron, seul moyen de garder les Italiens, mais aussi les autres pays du sud, à bord et de les détourner des tentations europhobes. Un beau retournement dialectique : les populistes europhobes au secours de l’Europe…

N.B.: version longue de mon article paru le 11 juin

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Aquarius: Rome place les Etats européens devant leurs responsabilités

Sat, 06/16/2018 - 18:33

Le refus d’accueillir dans les ports italiens l’Aquarius et ses 629 migrants est brutal. Mais au-delà de l’émotion suscitée par cette décision sans précédent, très largement dû au fait qu’elle émane d’un ministre de l’intérieur d’extrême droite, Matteo Salvini, leader d’une Ligue qui a fait de la xénophobie son fonds de commerce, rares sont ceux qui, à Bruxelles, condamnent ce geste spectaculaire.

Car cela fait des années que l’Italie est laissée seule face aux arrivées de migrants en provenance de Libye, comme avant elle la Grèce. « Aucun pays ne s’est montré solidaire de Rome, alors que régulièrement le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement affirme, à l’unanimité, la nécessité de ne pas la laisser seule », souligne-t-on à Bruxelles. Un abandon européen qui explique en bonne partie la défaite du partie Démocrate et l’arrivée au pouvoir des démagogues du Mouvement 5 Etoiles alliés à l’extrême droite de la Ligue.

Ne pas oublier Malte

L’attitude de Malte qui a, elle aussi, refusé d’accueillir l’Aquarius, et ce n’est pas une première, en est la démonstration, alors que l’île est gouvernée par les travaillistes. C’est finalement le nouveau gouvernement socialiste espagnol qui a sauvé l’honneur, à la grande satisfaction de Rome : « De mémoire de citoyen, c’est la première fois qu’un bateau ayant secouru des migrants en Libye les débarquera dans un autre port qu’un port italien, c’est le signe que quelque chose est en train de changer », s’est ainsi félicité Matteo Salvini.

De fait, tous les pays européens qui participent aux différentes opérations de Frontex (1) en Méditerranée (Poséidon au large de la Grèce, Aeneas, au large de l’Italie, à laquelle a succédé Hermès, puis Triton et enfin Thémis), ont toujours posé comme condition que les migrants sauvés ne pouvaient être ramenés qu’en Italie et non pas dans le pays du pavillon du navire qui les avaient sauvés (2) alors que la Péninsule a accueilli, depuis 2013, plus de 700.000 migrants arrivés par bateaux. Paris, furieuse de voir arriver des étrangers sans papier chez elle, a même rétabli les contrôles à la frontière italienne et pratique une chasse impitoyable aux migrants.

Les erreurs de la Commission

La Commission, elle-même, ne s’est pas montrée très compréhensive. Fin 2015, poussé par une Allemagne qui venait d’ouvrir ses frontières à près d’un million de demandeurs d’asile et de migrants provenant de Grèce et qui voulait mettre fin à cet afflux, l’Allemand Martin Selmayr, alors chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, a ainsi ouvert deux procédures d’infraction contre la Grèce, un État en faillite, et l’Italie parce qu’ils n’avaient pas créé suffisamment de « hotspots » pour prendre les empreintes de tous les arrivants (afin de nourrir le système Eurodac). Une catastrophe politique pour Matteo Renzi, alors Premier ministre, et une bénédiction pour les « populistes » à qui Selmayr a fourni un argument de campagne en or. A la suite de cette affaire, le membre italien du cabinet Juncker a démissionné avec pertes et fracas…

Le problème est que la crise de l’Aquarius arrive à contretemps, la « vague migratoire » étant bel et bien passée. Désormais, les arrivées sont revenues à leur niveau d’avant 2015 : au 6 mai, l’Italie n’a enregistré que 9657 arrivées depuis le début de l’année, soit une diminution de 77 % par rapport à la même période de 2017. « L’Aquarius, c’est largement du show », remarque-t-on à la Commission. Mais, convient-on, cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut pas trouver des solutions durables en cas de nouvel afflux.

Dublin dans les choux

Or, si un corps européen de gardes-frontières, aux effectifs encore symboliques (1500 personnes), mais qui vont considérablement augmenter dans les prochaines années, a été créé en 2015, la solidarité entre États membres est toujours un vœu pieux et le restera pour longtemps. Il n’est pas question de remettre en cause le droit de chaque pays d’accueillir ou non un étranger arrivant sur son sol et, en matière d’asile, c’est le premier pays d’arrivée qui reste, en principe, seul responsable du traitement de la demande (règlement dit de Dublin). La Commission et une majorité d’États ont bien essayé de rendre obligatoire durant deux ans la relocalisation d’une partie des demandeurs d’asile (et non leur séjour permanent), mais ce règlement est un échec, les pays d’Europe de l’Est refusant d’accueillir des étrangers dont ils ne veulent pas, les musulmans en clair. La proposition de réforme du règlement de Dublin, qui visait à rendre permanente la relocalisation des demandeurs d’asile, est totalement bloquée et ne verra jamais le jour en l’état.

Ce qui peut se comprendre : comment obliger un État à accueillir des personnes dont il ne veut pas et surtout comment contraindre des êtres humains à se rendre dans des pays où ils ne veulent pas aller ? Et la période récente a montré qu’il ne fallait pas compter sur la bonne volonté des États, d’autant que l’Allemagne, qui a voulu se montrer généreuse, l’a payé cher avec la percée de l’extrême droite de l’AfD. Un remède à la solidarité. Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron, qui avait critiqué durement, pendant la campagne présidentielle, cette absence de solidarité européenne a vite remisé ses promesses.

Pour Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et professeur associé à Yale, « l’Europe joue la survie de son espace de libre circulation intérieur dans cette affaire. Si elle ne veut pas voir les frontières ressurgir partout, elle n’a pas d’autres choix que de trouver des mécanismes de solidarité pour soulager les pays de la ligne de front ». Cela passera aussi par des accords avec les pays tiers, comme ceux conclus avec la Turquie ou le Maroc, afin que ceux-ci assurent le contrôle de leur littoral, et des accords de réadmission avec les pays d’origine pour les étrangers qui ne seront pas admis au séjour. Le gouvernement italien vient utilement de rappeler aux Européens qu’ils doivent sortir du déni : on ne peut à la fois vouloir sauver les migrants de la noyade et se laver les mains de leur sort.

(1) L’agence européenne chargée de coordonner le contrôle des frontières extérieures de l’Union.

(2)Près de 900.000 personnes ont ainsi été sauvées depuis 2015 dans toute la Méditerranée.

N.B.: article paru dans Libération du 13 juin

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SelmayrGate: un droit de réponse de la Commission et ma réponse

Tue, 06/12/2018 - 21:21

Libération a reçu un droit de réponse de la Commission à la suite de la publication de mon article : «La Commission Selmayr en roue libre». Je le reproduis donc ci-dessous et j’y réponds moi-même puisqu’il contient des imputations diffamatoires.

L’article «Union européenne : nouvelle mascarade à la « Commission Selmayr »», paru dans votre édition en ligne du 11 juin 2018, contient plusieurs déclarations erronées qu’il convient de rectifier. Premièrement, il est totalement faux d’affirmer que la nomination du Secrétaire général de la Commission s’est faite en violation des règles du statut de la fonction publique européenne. Cette nomination a eu lieu dans le plein respect des règles en vigueur. Deuxièmement, il est également faux de dire que Mme Martinez Alberola, qui assume pleinement sa fonction de chef de cabinet du Président Juncker, serait sur le point d’être «prochainement nommée directrice générale adjointe».

Par ailleurs, M. Selmayr ne cumule pas de fonctions autres que les siennes : c’est le Président qui décide à qui confier la fonction de « sherpa » au cas par cas. Au sein de la Commission, le Secrétariat général prépare et coordonne depuis toujours les réunions du G7 et il y a toujours participé à différents niveaux.

Enfin, connaissant l’attachement de Libération à la cause de l’égalité entre hommes et femmes, je ne peux que m’interroger sur le fait que M. Quatremer semble souvent adresser ses critiques envers des femmes dont il semble considérer qu’elles occupent des postes à la Commission non pas en raison de leurs mérites professionnels mais pour d’autres considérations.

Margaritis Schinas, Porte-parole en chef de la Commission européenne

Le droit de réponse envoyé par Margaritis Schinas est totalement stupéfiant. Car c’est l’exact opposé d’une bonne politique de communication qui implique à tout le moins de ne pas mentir et de ne pas insulter ses destinataires. Comme je ne peux pas faire l’insulte au porte-parole de la Commission de lui imputer un tel alignement de contrevérités, lui qui n’est pas précisément le perdreau de l’année, j’y vois plutôt la main d’un Martin Selmayr qui semble perdre le contrôle de ses nerfs. Reprenons point par point.

1/ La Commission continue à affirmer que la nomination de Selmayr au poste de secrétaire général « a eu lieu dans le plein respect des règles en vigueur ». Je me contenterais de rappeler la résolution du Parlement du 18 avril dernier qui la qualifie au contraire de « coup de force à la limite de la légalité, voire dépassant cette limite ». Les députés européens ont même demandé à la Commission de « procéder à une nouvelle évaluation de la procédure de nomination du nouveau secrétaire général », ce qu’elle n’a pas fait, montrant toute la considération qu’elle porte à la démocratie. Alors, répéter que les règles ont été parfaitement respectées, c’est juste une insulte faite au travail d’enquête et d’analyse du Parlement européen, à la presse et à l’opinion publique. Qui la Commission croit-elle convaincre en répétant en boucle un mensonge avéré, mis à part elle-même ?

2/ Mes informations sur la prochaine nomination de Clara Martinez Alberola, ci-devante cheffe de cabinet de Jean-Claude Juncker, sont puisées aux meilleures sources. On verra ce qu’il adviendra de cette proche du Partido Popular espagnol d’ici la fin de la Commission Juncker et si je me suis trompé… Je rappelle au passage à la Commission que j’avais affirmé que la Danoise Pia Ahrenkilde Hansen serait bien confirmée à son poste de secrétaire générale adjointe auquel elle avait été nommée à « titre provisoire » le 21 février. Cela a bien été le cas à l’issue de la procédure largement bidonnée elle-aussi : un appel à candidatures limité à 5 jours ouvrables contre 10 habituellement, un délai inhabituel, car il y avait urgence selon Juncker lui-même, et une candidature unique, celle de la secrétaire générale faisant fonction, comme c’est pratique.

3/ La Commission affirme que Clara Martinez « assume pleinement ses fonctions de chef de cabinet ». A tel point deux semaines après sa prise de fonction, ce n’est pas elle qui a accompagné Juncker au Parlement européen et a siégé derrière lui, mais Martin Selmayr dont ce n’est pas le rôle. Selon mes sources, et l’affaire Selmayr a montré qu’elles étaient de bonne qualité, Selmayr continue à présider les réunions de cabinet et il n’est aucun déplacement important de Juncker dont le secrétaire général n’est pas. Selmayr s’est même vanté devant les Représentants permanents (ambassadeurs) des États il y a quelques semaines qu’il cumulerait les deux fonctions pour le même salaire et qu’il ne comprenait pas pourquoi les médias étaient choqués… Alors qu’auparavant tout ce qui venait des cabinets des commissaires devait remonter au cabinet du président, désormais tout remonte chez le secrétaire général… Tout le monde se fiche royalement de l’avis de Clara Martinez qui n’est là que pour amuser la galerie.

4/ J’aimerais que la Commission me dise quel secrétaire général a déjà été sherpa. À ma connaissance, cette fonction de préparation des grands sommets internationaux a toujours été réservée au chef de cabinet, la personne de confiance du Président. Or le président n’a confiance qu’en Selmayr.

5/ Le pompon de ce droit de réponse est l’accusationde misogynie ! Un comble ! Je rappelle à Margaritis Schinas que, sauf si je suis mal informé, ni Selmayr, ni Juncker ne sont des femmes. Par ailleurs, ce n’est pas moi qui ai fait de Clara Martinez une marionnette, mais bien Selmayr qui ne le cache même pas. Enfin, la nomination de Pia Ahrendkilde Hansen est effectivement curieuse, pour rester poli. Le fait que ce soit une femme ne la met pas à l’abri de la critique. En soutenant le contraire, c’est la Commission qui montre sa misogynie.

Quels mots pour résumer ce droit de réponse ? Pathétique ? Surréaliste ? Coupé des réalités ?

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La "Commission Selmayr" en roue libre

Tue, 06/12/2018 - 21:14

Martin Selmayr, au G7 canadien (à l’extrême droite). Clara Martinez, à gauche, au dernier rang.

Le Parlement européen a laissé passer, le 18 avril dernier, une occasion en or de sanctionner une Commission qui échappe désormais à tout contrôle. Alors que Jean-Claude Juncker, son président, a été durement critiqué pour avoir nommé au poste de secrétaire général, la plus haute fonction de l’administration communautaire, son chef de cabinet, l’Allemand Martin Selmayr, en violation des règles du statut de la fonction publique européenne, celui-ci n’a manifestement pas l’intention de changer quoi que ce soit à ses mauvaises pratiques.

Ainsi, le 15 mai, il a nommé comme secrétaire générale adjointe (SGA), la Danoise Pia Ahrenkilde Hansen, ce qui est tout sauf une surprise. En effet, l’ancienne porte-parole de José Manuel Durao Barroso a été promue « conseillère principale » le 21 février dernier, en même temps que Selmayr était nommé secrétaire général, et nommée dans la foulée au poste de SGA, mais à « titre temporaire ». Le 22 février, un appel à candidatures pour deux postes de SGA (il y en a trois en tout) a été publié avec clôture le 28 février. Un délai extrêmement bref, la moitié du temps usuel, car, comme l’a expliqué Juncker aux eurodéputés, il y a urgence à pourvoir ces postes. Mais la tourmente de l’affaire Selmayr, révélée par Libération, a conduit l’ancien premier ministre luxembourgeois à prendre son temps pour nommer définitivement Pia Ahrenkilde Hansen à son poste (trois mois contre trois semaines pour Selmayr). Une nouvelle mascarade, puisque celle-ci était bien sûr acquise depuis le début comme le montre le fait qu’elle était candidate unique, exactement comme Selmayr…

Manifestement, personne n’a envie de sesuicider en s’opposant à la candidate de Selmayr, désormais le vrai président de la Commission qui cumule, et c’est sans précédent, les fonctions de chef de cabinet et de sherpa. La cheffe de cabinet en titre de Juncker, l’Espagnole Clara Martinez Alberola, ancienne adjointe de Selmayr, n’est qu’un ectoplasme, son ancien patron continuant à présider les réunions du cabinet, Juncker n’y mettant jamais les pieds. Elle est d’ailleurs en voie de dégagement : après la chute de Rajoy et pour sécuriser l’avenir de cette encartée du Parti populaire espagnol, elle devrait être prochainement nommée directrice générale adjointe à la justice. Une promotion qui là aussi viole le statut de la fonction publique européenne, puisqu’elle n’a jamais été directrice dans les services… Mais on n’en est plus là : le népotisme et le clientélisme sont l’alpha et l’oméga de la « Commission Selmayr ».

Le collège des 28 commissaires a totalement démissionné, terrorisé par ce Raspoutine au petit pied. C’est Selmayr qui gère tout, de la communication aux propositions législatives, une situation sans précédent de mémoire d’eurocrate. C’est ainsi à lui seul que l’on doit le très décevant « cadre financier pluriannuel » 2021-2027 qui gèle le budget communautaire à son niveau actuel ou encore le projet de démantèlement partiel de la Politique agricole commune. Une dérive bureaucratique qui ne peut que renforcer les eurosceptiques à un an des Européennes.

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"Populisme", le retour du passé

Mon, 06/11/2018 - 18:10

Ma chronique dans «la faute à l’Europe», sur France Info.

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Union européenne : les discrimination entre couples homosexuels et hétérosexuels sont illégales

Thu, 06/07/2018 - 19:30

Les États de l’Union doivent reconnaître les mariages homosexuels légalement conclus à l’étranger, même s’ils l’interdisent chez eux. La Cour de justice européenne l’a jugé mardi 5 juin dans un arrêt de principe qui fait date.

L’affaire concernait un ressortissant roumain, Relu Adrian Coman, qui a épousé en 2012 en Belgique un ressortissant américain (donc non communautaire), Robert Clabourn Hamilton. Le couple a voulu s’installer en Roumanie, mais les autorités locales ont refusé de délivrer une carte de séjour au conjoint américain, puisqu’au regard de la loi roumaine, il n’était pas considéré comme un « conjoint ». S’il avait été européen, il n’y aurait eu aucun problème, puisqu’en tant que citoyen d’un État membre de l’Union, il aurait bénéficié à titre personnel d’un droit de séjour automatique (et il n’a même pas besoin d’un titre de séjour).

Mais la directive du 29 avril 2004 prévoit que, si les citoyens de l’Union ont le droit de circuler et de séjourner librement avec leur famille sur le territoire des États membres, les membres de la famille ressortissants d’un pays non membre de l’Espace économique européen ou de la Suisse doivent malgré tout demander une carte de séjour qui peut être refusée. Pour la Cour de justice, la notion de conjoint qui « désigne une personne unie à une autre personne par les liens du mariage » « est neutre du point de vue du genre et est donc susceptible d’englober le conjoint du même sexe d’un citoyen de l’Union ».

Cela ne veut pas dire qu’un État doit reconnaître sur son territoire le mariage homosexuel, mais simplement qu’il doit donner effet à un tel mariage conclu légalement à l’étranger. Pour les juges de Luxembourg, décider le contraire, aurait « pour effet de faire varier la liberté de circulation d’un État membre à l’autre en fonction des dispositions de droit national régissant le mariage entre personnes du même sexe ».

Certes, un Etat peut s’opposer au séjour d’un étranger communautaire ou non sur son sol, en particulier pour des raisons d’ordre public, comme a tenté de le faire valoir la Roumanie. Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour considère que cette exception doit être interprétée « strictement » et sous son contrôle. Elle estime qu’en l’occurrence l’ordre public ne peut pas être invoqué par la Roumanie : « l’obligation pour un État membre de reconnaître, aux seules fins de l’octroi d’un droit de séjour dérivé à un ressortissant d’un État non-UE, un mariage homosexuel conclu dans un autre État membre conformément au droit de celui-ci ne porte pas atteinte à l’institution du mariage dans ce premier État membre. En particulier, cette obligation n’impose pas à cet État membre de devoir prévoir, dans son droit national, l’institution du mariage homosexuel », pas plus qu’elle « ne méconnaît l’identité nationale » du pays en question.

Photo: AFP

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Une politique commune de l'immigration, un cadeau aux démagogues

Wed, 06/06/2018 - 18:57

Le constat est unanime : l’Union a été et est toujours incapable de gérer la « pression » migratoire qui, même si on est loin des sommets atteints à l’été 2015, ne se dément pas. Cet échec a un prix politique élevé : un peu partout en Europe, des partis « populistes » (ou plutôt démagogues) et d’extrême-droite font des scores que l’on pensait impossibles depuis la chute des régimes fascistes en 1945, certains d’entre eux parvenant même à s’installer au pouvoir comme en Autriche ou en Italie. Plus inquiétant encore : des forces politiques classiques, qu’elles soient conservatrices, libérales ou sociales-démocrates, inquiètes de cette percée, ont fait leur une partie de la rhétorique des démagogues anti-immigration et adoptent des mesures qu’ils ne renieraient pas.

Les démagogues de tous poils l’ont bien compris : la sortie de l’Union et l’abandon de l’euro ne font plus recette depuis le référendum sur le Brexit. C’est pourquoi ils sont revenus à leur cœur de métier, le rejet de l’immigration, surtout musulmane. Bien sûr, l’europhobie n’est jamais loin, puisque l’Union est accusée tout à la fois d’être incapable de juguler ces arrivées jugées massives, de ne pas être solidaire des pays de la « ligne de front » (Grèce, Italie et, dans une moindre mesure, Espagne) ou, à l’inverse, de vouloir imposer une solidarité à des pays souverains.

Des démagogues en ordre dispersé

Autrement dit, les discours sont largement inconciliables, même si tous accusent l’Union, qui n’a pourtant aucune compétence en ce domaine, de ne pas contrôler ses frontières extérieures: les nationalistes au pouvoir en Autriche, en Pologne, en Hongrie, en Tchéquie, en Slovaquie ou encore en Slovénie s’opposent à la volonté de l’Union de les obliger à accueillir sur leur sol des étrangers dont ils ne veulent pas. En Italie, on reproche à l’Union de n’être pas parvenu à imposer un partage du fardeau, une ligne que partage l’Allemagne (qui doit compter avec une partie de la CDU et de la CSU de plus en plus opposées à l’immigration) et la Grèce. La plupart des pays d’Europe de l’ouest, comme la France les Pays-Bas ou la Belgique (dont le gouvernement est dirigé par la droite radicale flamande de la NVA) mènent, sans le clamer sur les toits une politique proche de celle des pays de l’Est à l’égard des nouveaux arrivants. Mais, au delà de ces différences d’approche, tous les pays européens, qu’ils comptent ou non des partis populistes dans leur majorité, sont d’accord sur un point : il faut rendre les frontières le plus étanche possible.

Dans une telle configuration, ceux qui défendent une politique européenne de l’immigration et de l’asile devraient donc y réfléchir à deux fois. Car changer une politique communautaire est encore plus difficile qu’au niveau national : l’Union n’étant pas une fédération, ce sont en réalité les Etats décidant à la majorité qualifiée et le Parlement européen qui auraient la haute main sur cette politique et non un organe fédéral. Or le Parlement est dominé par les conservateurs et les nationalistes, tout comme le Conseil des ministres de l’intérieur où siègent aujourd’hui deux membres de l’extrême droite (Autriche et Italie), cinq membres représentant la droite radicale et/ou nationaliste (Allemagne, Belgique, Pologne, Hongrie et sans doute Slovénie) sans compter ceux qui siègent dans des gouvernements allergiques à toute immigration : Tchéquie, Slovaquie, Danemark, Pays-Bas, etc.

L’Union, une communauté d’Etats forteresses

Autrement dit, si demain on communautarise le contrôle des frontières extérieures, le droit au séjour des étrangers et le droit d’asile (1), ce n’est pas précisément une politique d’ouverture et de solidarité entre Etats membres de l’Union qui s’imposera. On en a eu un bon aperçu en mars 2016 lorsque tous les gouvernements, y compris socialistes (notamment français), n’ont rien trouvé à redire à l’accord négocié par l’Allemagne avec l’appui la Commission (elle aussi dominée par la droite) qui a sous-traité le droit d’asile à la Turquie d’Erdogan pour les flux passant par son territoire. L’absence de compétence européenne permet au moins à un ou plusieurs Etats de se montrer un peu plus généreux par un simple changement de majorité politique.

Une telle communautarisation n’est, de toute façon, pas à l’ordre du jour, une majorité de gouvernement n’en voulant pas, à l’image du premier ministre tchèque, Andrej Babis qui a fermement rejeté lundi la proposition d’Angela Merkel de confier le contrôle des frontières extérieures à un corps de garde-frontières européens… On en est même tellement loin qu’une partie des Etats est de plus en plus tentée par un abandon de l’espace de libre circulation Schengen, un des principaux acquis européens, afin de contrôler eux-mêmes leurs frontières nationale. C’est la France et l’Allemagne qui ont donné l’exemple, la première le suspendant au nom de la lutte anti-terroriste, la seconde au nom de la lutte contre les sans-papiers… Bref, l’Union devient une communauté d’Etats forteresses, un enfermement sans garantie de succès, l’Europe n’étant pas une île.

(1) L’Union n’est compétente que pour harmoniser les conditions d’entrée pour les séjours de moins de 3 mois et les droits minimaux des étrangers.

N.B.: version longue de mon article paru le 5 juin

Photo: ATTILA KISBENEDEK / AFP Patrouille le long de la frontière entre la Hongrie et la Serbie

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Phil Hogan: "notre réforme va donner plus de responsabilité aux Etats ce qui les obligera à rendre compte de leurs décisions"

Tue, 06/05/2018 - 11:18

Le commissaire européen à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan, a répondu à mes questions sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC) qu’il propose

Vous serez le premier commissaire, depuis 1958, à présider à une baisse du budget de la PAC Quel effet cela fait-il ?

Je suis sans aucun doute le premier commissaire à l’agriculture confronté au départ d’un Etat membre. Et malheureusement, comme il s’agit d’un grand pays, le Royaume-Uni, il laisse derrière lui un trou de 12 milliards d’euros par an qu’il faut combler. A cela s’ajoute le fait que les Etats veulent que l’Union s’occupe davantage de nouvelles priorités, comme l’immigration ou la défense, ce qui est légitime. Ces deux éléments ont des conséquences budgétaires même si on peut le regretter.

Cela n’aurait pas été le cas si la Commission s’était montré plus ambitieuse, par exemple en proposant un budget à 1,20 % du PIB communautaire, un chiffre avancé par Jean-Claude Juncker en septembre dernier, ce qui aurait évité des coupes dans la PAC. Or, elle se contente d’un petit 1,08 %, soit le niveau actuel.

J’aurais été ravi d’avoir un budget plus important ce qui m’aurait éviter de faire des coupes dans les dépenses agricoles. Mais nous sommes dépendant des Etats membres et de leurs contributions. Or six d’entre eux, dont l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas, la Suède ou encore la Finlande ont refusé tout effort supplémentaire. Or l’accord sur le cadre financier pluriannuel requiert l’unanimité. Néanmoins, j’espère que les négociations vont permettre d’aboutir à un accord plus ambitieux. Je suis très optimiste sur ce point, ce qui nous permettra de réduire voire de supprimer l’impact de la proposition actuelle pour les agriculteurs.

Pour l’instant la PAC souffre particulièrement.

Son budget, dans notre proposition, se monte à 365 milliards d’euros pour la période 2021-2027, ce qui, au niveau des prix actuels, représente une baisse de 5%. Si le la contribution UE au second pilier consacré au développement rural diminue de 15%, les aides au revenu ne baissent que de 3,9 %au maximum.

Le Parlement européen affirme que la baisse est de 15%.

C’est une « fake news ». Mais je vois bien comment ce chiffre est obtenu : alors que la PAC n’a jamais été indexée depuis 62 ans, certains se mettent à le faire pour donner l’impression que la baisse est plus importante. Ce calcul ne repose sur rien.

Avec votre réforme, la PAC sera gérée pour l’essentiel par les Etats membres et non plus par Bruxelles.

Peu de gens savent que déjà 50 % des dépenses actuels de la PAC sont décidés par les Etats membres. Surtout, les agriculteurs et les Etats membres ont constaté que la réforme de 2013 a créé beaucoup trop de complexité pour tout le monde. Mon but est donc de simplifier la PAC, de la rendre plus compréhensible et plus cohérente pour les agriculteurs. C’est pour cela que je veux mettre en place un nouveau système de mise en œuvre basé sur les résultats, un système qui n’est plus axé sur la conformité à des règles décidées ici, ce qui a créé une atmosphère de peur chez les agriculteurs. Nous allons désormais demander aux Etats membres de se conformer à 9 objectifs (trois économiques, trois environnementaux et trois sociaux). Pour cela, ils devront nous présenter des programmes de mise en œuvre que nous approuverons et dont nous contrôlerons la réalisation. Il s’agit d’un grand changement : une politique définie au niveau européen, une mise en œuvre effectuée au niveau national. Ce point est vu d’un œil positif par les agriculteurs, les Etats membres et le Parlement européen.

Est-ce qu’il n’y a pas un risque que chaque pays mette l’accent sur des objectifs contradictoires, par exemple l’un privilégiant les objectifs environnementaux pendant que l’autre pousse à la productivité, ce qui à terme se traduira par une fragmentation de l’Europe agricole ?

Je comprends que cela puisse être une préoccupation. C’est pour cela que nous précisons bien que la PAC restera commune et que nous veillerons à ce que ces objectifs n’aient pas d’effets néfastes sur la concurrence et la compétitivité. J’insiste : il n’y aura pas de fragmentation du marché agricole européen puisque les décisions politiques continueront à se prendre au niveau communautaire. Le principe de subsidiarité sera appliqué seulement au niveau de la mise en œuvre.

Quelle est la vision du futur de la PAC définie par ces objectifs ?

Comme cela a toujours été le cas, il faut que les agriculteurs puissent produire suffisamment d’aliments afin que nous restions les leaders du marché mondial. Mais, en même temps, il faut davantage de qualité, à la fois des produits eux-mêmes, mais aussi dans la façon dont on produit, afin d’assurer la durabilité de l’environnement. Nous devons aussi protéger le modèle familial agricole : c’est la raison pour laquelle nous devons mieux cibler l’utilisation des ressources pour permettre aux petits agriculteurs de survivre dans un contexte de marché. Enfin, les agriculteurs ont un rôle à jouer dans le développement rural.

Une partie des organisations syndicales craint que l’Europe devienne une zone de basse pression agricole qui à terme importera de la viande d’Amérique latine et du blé de la mer noire…

Ca ne sera pas le cas : cette réforme ne remet pas en cause le modèle exportateur européen et notre politique commerciale ouvre de nouveaux marchés à nos agriculteurs, notamment en Asie.

Dans les accords commerciaux signés par l’Union européenne, n’y a-t-il pas une tendance à faire de l’agriculture une variable d’ajustement ?

Si je me base sur les accords conclus depuis mon arrivée, ce n’est pas le cas. Avec le Japon, par exemple, personne ne pensait que nous obtiendrions un quota d’importation de 75.000 tonnes de bœuf, une pleine libéralisation du secteur laitier, une ouverture plus grande du marché des vins et liqueurs. Avec la Chine, nous avons obtenu des quotas d’importation de bœuf. Même chose avec le Mexique. Pour le Mercosur, attendons le résultat de la négociation.

Cette réforme ne vise-t-elle pas aussi à rendre les Etats responsables de la PAC pour éviter que la colère paysanne se tourne systématiquement contre Bruxelles ?

C’est vrai, notre réforme va donner plus de responsabilité aux Etats ce qui les obligera à rendre compte de leurs décisions. Cela sera fort inconfortable pour certains ministres qui avaient pris l’habitude de se défausser sur « Bruxelles ». Mais l’objectif premier reste vraiment de simplifier la PAC, d’introduire plus d’équité entre les agriculteurs, de réformer la chaine alimentaire pour un meilleur partage de la valeur ajoutée, d’encourager davantage d’investissement dans les zones rurales.

Votre réforme porte une attention particulière aux jeunes agriculteurs.

Ce sera la première fois que la PAC se pose la question du renouvellement des générations. Il faut savoir que seulement 6 % des agriculteurs européens ont moins de 35 ans, ce qui montre l’ampleur du défi que nous affrontons. Un des neuf objectifs que nous proposons concerne donc le soutien aux agriculteurs de moins de 40 ans : chaque pays devra s’engager à aider, en consacrant 2 % de l’enveloppe qu’il recevra, un certain nombre d’entre eux à s’installer. Le budget agricole continuera à majorer les aides directes pour ceux qui s’installent pour la première fois et fera passer l’aide à l’installation de 75.000 à 100.000 euros. Mais c’est un sujet qui concerne aussi les Etats puisque nous n’avons pas de compétence en matière de fiscalité, notamment pour créer des incitations à l’installation, de transmission de l’exploitation, d’accès à la terre.

Vous proposez aussi de plafonner les aides directes à 100.000 euros par exploitation et par an avec une dégressivité à partir de 60.000 euros.

Je crois qu’il faut instaurer de l’équité et de la justice dans la distribution des aides. Les contempteurs de la PAC lui reproche de distribuer 80% des aides à 20% des agriculteurs : un rééquilibrage est nécessaire, notamment en Europe de l’Est, au bénéfice des petites et des moyennes exploitations. Ce sera un point dur de la négociation à venir.

Categories: Union européenne

Vers un démantèlement de la PAC?

Mon, 06/04/2018 - 15:22

Pour la première fois dans l’histoire de l’Union, le budget de la politique agricole commune (PAC) va diminuer. Et fortement diminuer, au point, tout un symbole, de perdre sa place de premier budget de l’Union au profit de la politique régionale (fonds structurels). Si la proposition de « cadre financier pluriannuel » (CFP) pour la période 2021-2027 présentée le 2 mai par la Commission est adoptée en l’état par les 27 Etats membres, la PAC ne représentera plus que 30 % des dépenses européennes, contre plus de 43 % aujourd’hui. Pour ne rien arranger, cette pénurie de moyens va s’accompagner d’une large renationalisation de ce qui est non seulement la plus vieille politique commune de l’Union, mais jusque là la plus intégrée.

En effet, la énième réforme présentée vendredi par le commissaire à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan (lire ci-contre), prévoit que les Etats seront désormais libres de gérer comme ils l’entendent les fonds qu’ils recevront du budget européen à condition qu’ils s’engagent à respecter neuf objectifs définis au niveau européen. Autrement dit, on passe d’une politique commune fondée sur une vision européenne du modèle agricole à des programmes nationaux de gestion de fonds européens contrôlés (tant bien que mal) par Bruxelles... Autant dire que cette réforme marque la fin d’une époque, celle où la vie des agriculteurs était rythmée par les décisions prises à Bruxelles.

Ironiquement, la Commission présidée par Jean-Claude Juncker profite donc du Brexit et du trou budgétaire laissé par son départ pour commencer à réaliser le rêve britannique d’un démantellement de la PAC. Ce n’est pas un hasard si elle a tenté de brouiller les pistes sur l’ampleur exacte des coupes: en jouant sur les euros constants (hors inflation) et courants (inflation comprise), elle a annoncé le 2 mai une diminution du budget de la PAC d’environ 5 %. Le Parlement européen, dans une résolution adoptée mercredi, juge, lui, que le chiffre réel est de 15 %. De fait, la Commission, qui a renoncé à proposer une augmentation du budget européen pour combler le trou de plus de 10 milliards d’euros annuel laissé par le Brexit, a choisi de faire principalement porter l’effort sur la PAC, mais aussi sur les aides régionales (-10 %) afin de pouvoir financer – un peu- de nouvelles politiques (contrôle des frontières, défense, etc.).

Résultat: en France, la baisse des aides au revenu sera de l’ordre de 3,9 % (hors inflation, soit 9,5 % % en terme réel sur la période), alors qu’elle atteindra plus de 25 % au Danemark ou 13 % en République Tchèque, des pays où la part des paiements directes est plus importantes. Globalement, sur la période 2021-2027, le budget de la PAC en euros constants passera à 365 milliards d’euros à 27 contre 408 milliards à 28 entre 2014-2020. Soit 43 milliards de moins, ce qui représente une année d’aide aux revenus, ce qui donne une idée de l’ampleur de la saignée (dont une partie est imputable au Brexit).

Point particulièrement positif, Phil Hogan propose d’introduire plus d’équité dans la répartition des aides, à la fois en réduisant les écarts qui existe encore entre les pays de l’Est et ceux de l’Ouest, et surtout en plafonnant le montant annuel des aides à 100.000 euros (soit pour les exploitations de plus de 200 à 250 hectares) avec une dégressivité à partir de 60.000 euros. Les plus touchés seront l’Allemagne, la Tchéquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie pays des exploitations géantes héritées des Sovkhozes soviétiques. L’argent ainsi économisé ne retournera pas au niveau communautaire: il restera dans l’enveloppe nationale.

Car c’est là l’essentiel: chaque Etat aura droit à une enveloppe globale intouchable qu’il gèrera dans le cadre de neuf objectifs plutôt généraux assortis d’indicateurs plus précis : garantir un revenu agricole décent tout en accroissant la sécurité alimentaire, assurer une meilleure compétitivité, assurer la place de l’agriculture dans la chaine alimentaire, etc... Même si les programmes nationaux devront être approuvés par la Commission, la marge de manoeuvre laissée aux Etats est particulièrement large. « Cette nouvelle gouvernance est rendue nécessaire par l’élargissement: à 27, on ne peut plus définir à 100 % la politique agricole de Bruxelles », se justifie-t-on à la Commission. Reste qu’on se demande comment la Commission vérifiera que les pays respectent bien leur programme, vu leur propension à mentir, sauf à engager une armée d’auditeurs. En clair, la PAC risque bien de se réduire rapidement à la signature de chèques aux Etats, ce qui posera, à terme, la question du maintien de ce qui ne sera plus qu’une gigantesque caisse de compensation.

Categories: Union européenne

L'Italie encore bien ancrée en Europe

Thu, 05/31/2018 - 00:14

Un chaos italien, sans aucun doute. Une crise européenne, pas encore, comme le montre l’émotion très mesurée des marchés financiers face aux derniers rebondissements romains. Ainsi, lundi matin, l’émission de dette du trésor italien s’est très bien passée, les investisseurs n’ayant demandé aucune prime de risque significative, souligne Laurence Boone, économiste en chef chez Axa. De même, l’effet de contagion aux pays les plus fragiles, l’Espagne au premier chef, le gouvernement de Mariano Jaroy étant en sursis, a été plus que modéré. On pouvait pourtant craindre le pire, puisque la crise politique s’est nouée sur la nomination du candidat de la Ligue (extrême droite), l’économiste Paolo Savona, favorable à la sortie de l’euro, au poste de ministre des Finances. Autrement dit, l’hypothèse d’un « Italxit » rampant a repris de la consistance ce qui aurait pu provoquer une panique dévastatrice : il suffit de songer aux considérables dégâts causés par la Grèce dont l’économie ne représente pourtant que 2 % du PIB de la zone euro alors que l’Italie en est la troisième économie…

Pourquoi un tel calme ? D’une part parce que l’Italie va mieux. Elle a enfin renoué avec la croissance et elle a fait le ménage dans ses comptes publics : elle est en excédent primaire de 1,7 % du PIB en 2017 et de 1,9 % en 2018 si bien que sa dette (132 % du PIB, une dette qui date pour l’essentiel d’avant l’euro) commencera à diminuer cette année. D’autre part parce que la campagne électorale italienne n’a pas porté sur l’euro ou sur l’appartenance à l’Union. Si la Ligue reste un parti d’extrême-droite xénophobe et europhobe, qui siège sur les mêmes bancs que le Front national au Parlement européen, le Mouvement 5 Etoiles (M5S en italien) a remisé son référendum sur l’euro et sa rhétorique europhobe, privilégiant les thèmes anti-système et anti-immigration. « Depuis le référendum sur le Brexit, le M5S veut réformer l’Europe plus la quitter, à la différence de la Ligue », souligne Guy Verhostadt, patron des libéraux du Parlement européen, qui a tenté, en vain, de faire adhérer le mouvement fondé par Beppe Grillo à son groupe politique en estimant qu’il fallait l’ancrer du côté des europhiles.

Le sondage Eurobaromètre publié début mai montre d’ailleurs une progression du sentiment pro-européen dans la péninsule : une majorité d’Italiens pensent désormais que leur pays a bénéficié de son adhésion à l’Union (44 % contre 41%, soit une baisse de 7 points des opinions hostiles). De même, un sondage Eurobaromètre d’octobre dernier, montre que 45 % des sondés italiens (contre 40%) pensent que l’euro est une bonne chose pour leur pays et 62 % contre 25 % pour l’Union. Après plus de dix ans d’un désamour indexé sur une croissance nulle, l’opinion publique semble donc sortir d’une hostilité de principe à l’Union et à l’euro. A Bruxelles, on note enfin que le M5S s’est allié à la Ligue par défaut, le parti démocrate (gauche) ayant refusé pour des raisons tactiques de s’allier à un parti qui a largement siphonné son électorat dans le sud du pays… Bref, l’alliance entre le M5S et la Ligue ne serait que de circonstance et n’impliquerait nullement un virage anti-européen de l’Italie

Plus généralement, dans toute l’Union, les partis démagogues ont mis en sourdine les thèmes anti-européens au lendemain du Brexit : après les défaites des extrêmes-droites à la présidentielle autrichienne (décembre 2016), aux législatives néerlandaises (mars 2017), à la présidentielle française (mai 2017) et aux municipales italiennes (juin 2017), il est clairement apparu que les peuples ne voulaient pas suivre les Britanniques dans leur aventurisme. D’où un recentrage sur le cœur du business démagogue, le rejet des étrangers et du système, ce qui a, depuis, permis aux néo-nazis du FPÖ de parvenir au pouvoir en Autriche, à Viktor Orban d’accroitre sa majorité en Hongrie, ou encore à la Ligue et surtout au M5S d’obtenir la majorité absolue des voix. « Il n’y a qu’en France que le rejet du système a abouti à l’élection d’un démocrate pro-européen, Emmanuel Macron », souligne Guy Verhofstadt.

Cependant, ce recul de la thématique europhobe n’est que temporaire : par nature, le nationalisme est antinomique à l’idée européenne. Autrement dit, les peuples ont accordé un sursis à l’Europe et non un blanc seing. Le premier à en être conscient est le chef de l’Etat français qui appelle sans cesse à l’approfondissement de l’Union et surtout de la zone euro afin d’introduire de la solidarité entre les pays riches et moins riches. De ce point de vue, la crise italienne oblige les capitales européennes et surtout Berlin, qui rechigne à tout ce qui pourrait ressembler à une « union de transfert », à sortir de leur immobilisme. C’est en quelque sorte un « wake up call » : ne rien faire, c’est l’assurance que, partout en Europe, des majorités europhobes parviendront à un moment ou à un autre au pouvoir, ce qui mènera à l’éclatement de l’Union. Berlin sait parfaitement ce qu’elle a à perdre dans un tel scénario catastrophe : « la classe politique allemande a une énorme responsabilité », prévient Guy Verhofstadt.

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 30 mai

Categories: Union européenne

Lettre ouverte aux citoyens de l’Union européenne et aux chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres

Tue, 05/29/2018 - 19:59

Je ne signe pas beaucoup de tribune, mais celle-là je ne pouvais pas la laisser passer. A la lumière de la crise italienne qui risque d’impacter tout le projet européen, elle est plus que jamais d’actualité. Elle a été publiée par une série de médias européens au début du mois.

Dans cette période de reprise économique et d’accalmie, n’oublions pas qu’il y a peu nous avons frôlé l’abime et que notre réalité reste pleine d’incertitudes géopolitiques et financières, avec un niveau de dette mondial record pouvant entraîner une nouvelle crise. Ne croyons pas non plus que nos dirigeants puissent seuls, sans la participation active des citoyens, relever les défis de notre temps.

Le 9 mai 2016, nous lancions un appel pour une nouvelle renaissance européenne. Notrepréoccupation: éviter l’implosion de l’Union dans une période de vide politique sans précédent, de montée des populismes et de repli national. Notre conviction : seule une dynamique rassemblant leaders d’opinion et citoyens de toutes sensibilités permettrait de créer la pression politique suffisante pour garantir l’unité des 27 en cas de vote négatif au référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE. Les leaders européens avaient en effet accepté la demande de David Cameron de ne pas préparer de plan B, susceptible selon lui d’augmenter les risques d’une issue défavorable.

Notre appel a été formidablement entendu. Des dizaines de milliers de citoyens ont réagi. Des chefs d’Etat et de gouvernement nous ont reçus et, surtout, ont suivi notre double recommandation: unité dans la négociation et ébauche d’une feuille de route de relance de l’Union. Les Présidents de la Commission européenne et du Conseil européen nous ont demandé de réfléchir à cette feuille de route et à la manière d’articuler au mieux souverainetés nationale et européenne. Ce fut chose faite dans le rapport « la Voie européenne pour un futur meilleur » que nous leur avons remis en mars 2017. L’essentiel de nos propositions a depuis fait l’objet d’un puissant portage politique, aussi bien par le Président de la Commission européenne lors de son intervention sur l’Etat de l’Union, que par le Président de la République française dans ses discours de la Sorbonne et de Strasbourg. Le Parlement européen s’en est également saisi.

Certaines recommandations deviennent réalité, comme les consultations citoyennes, la nouvelle priorité donnée à l’intelligence artificielle par la Commission européenne, le travail mené pour la qualité de l’information, la modernisation du modèle social européen, ou encore le projet d’un Erasmus des collégiens et lycéens. Ces avancées devront être confirmées par un budget permettant effectivement de démocratiser Erasmus, de maintenir un programme ambitieux pour la culture, et d’accroitre l’effort de recherche et développement. Nous nous réjouissions de ces succès, mais restons inquiets.

L’envie d’Europe manifestée par nos concitoyens après le référendum britannique menace de fléchir si davantage d’actes concrets n’accompagnent pas les paroles des dirigeants. Les derniers résultats électoraux témoignent d’une montée des partis populistes. Pire, le respect de l’Etat de droit et des valeurs fondamentales, coeur du projet européen, n’a jamais été à ce point menacé au sein de l’Union. Celle-ci entre, à quelques mois du Brexit, dans une période de léthargie préoccupante.

Ce 9 mai, nous appelons donc à un nouveau sursaut des gouvernants mais aussi des citoyens, des leaders d’opinion et des dirigeants syndicaux et d’entreprise de ce continent. Sans engagement du Conseil européen de juin sur un plan et un calendrier précis fixant une relance européenne, faite d’actions concrètes impactant positivement le quotidien de nos concitoyens, les élections européennes signeront une montée en puissance sans précédent des forces populistes. Aussi encourageons-nous la participation de tous aux consultations citoyennes qui doivent inclure les plus vulnérables et donner lieu à une véritable écoute des opinions exprimées. Mais notre conviction est qu’il faut oser l’ambition et inventer une nouvelle étape de la démocratie européenne.

Nous proposons de créer un droit à la participation continue de chacun à la vie politique de l’Union et invitons tous ceux qui le souhaitent à nous rejoindre pour bâtir avec nous civico.eu, une plateforme civique permanente, transnationale et multilingue, permettant aux citoyens européens non seulement d’être consultés mais d’être eux-mêmes les initiateurs d’un dialogue civique direct ayant pour but de faire émerger des propositions concrètes nourrissant en continu les institutions européennes. Les technologies numériques, la traduction automatique avancée, l’intelligence artificielle, permettent de penser différemment la démocratie. Il ne s’agit nullement de mettre fin à la démocratie représentative mais de la compléter à travers une démocratie délibérative et participative continue. Nous croyons plus que jamais à la nécessité pour nos concitoyens européens de se constituer en force civique transnationale.

Soixante-dix ans après le Congrès fondateur de la Haye, nous appelons à un nouveau congrès des consciences européennes qui rassemble citoyens, leaders d’opinion et dirigeants de toutes sensibilités, pour écrire ensemble une page inédite de notre histoire commune. C’est en misant sur des avancées concrètes et rapides, un renouveau démocratique et un rassemblement des bonnes volontés, que nous rétablirons la confiance entre les citoyens et les institutions européennes dans un esprit renouvelé de solidarité. C’est la condition pour transformer l’Union en puissance démocratique, culturelle, sociale, écologique et industrielle, capable de peser sur les évolutions de la planète, de défendre les intérêts des Européens et de contribuer à un monde meilleur.

Signataires de l’appel CIVICO Europa (civico.eu):

Guillaume Klossa(FR), initiateur de CIVICO Europa, dirigeant d’entreprise, essayiste, et ancien sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen);Alberto Alemanno(IT), professeur de droit, fondateur du Good Lobby;László Andor(HU), économiste, ancien commissaire européen; Lionel Baier(CH), réalisateur;Miklos Barabas (HU), directeur, Maison de l’Europe;Enrique Baron Crespo (ESP), ancien président du Parlement européen;Mars di Bartolomeo(LU), président du Parlement du Luxembourg;Brando Benifei (IT), parlementaire européen; Sylvain Bonnet(FR), chef d’entreprise; Mercedes Bresso (IT), parlementaire européenne, ancienne présidente du Comité des Régions ;Elmar Brok (DE), parlementaire européen, ancien président de la commission des affaires étrangères, Parlement européen;Philippe de Buck (BE), ancien directeur général de Business Europe, membre du comité économique et social européen; Thomas de Charentenay(FR), dirigeant d’entreprise ; Daniel Cohn-Bendit(FR/DE), ancien président du groupe « Les Verts », Parlement européen;Georgios Dassis(GR), syndicaliste, ancien président du Comité économique et social européen; Piotr Dudek (PL), coordinateur jeunesse et universités, CIVICO Europa;Paul Dujardin (BE), directeur général, BOZAR; Isabelle Durant(BE), ancienne vice-première ministre, secrétaire générale adjointe de la CNUCED; Michele Fiorillo(IT), philosophe, coordinateur réseaux CIVICO Europa; Cynthia Fleury (FR), philosophe et psychanalyste;Markus Gabriel(DE), philosophe;Christophe Galfard (FR), astrophysicien et écrivain; Aart de Geus(DE), président de la fondation Bertelsmann;Felipe Gonzalez(ES), ancien premier ministre, ancien président du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen); Sandro Gozi(IT), sous-secrétaire d’Etat aux affaires européennes;Danuta Huebner (PL), ancienne commissaire européenne, présidente de la commission des affaires constitutionnelles, Parlement Européen; Ulrike Guérot (DE), directrice, European Democracy Lab; Alain Juppé (FR), ancien premier ministre, maire de Bordeaux; Charles Kaisin(BE), désigner; Mathieu Labey(FR), entrepreneur; Christophe Leclercq (FR), entrepreneur média et fondateur d’EurActiv;Jo Leinen(DE), parlementaire européen, ancien président du Mouvement européen-International; André Loesekrug (DE), fondateur d’ACapital, porte-parole du J.E.D.I;Robert Menasse(AT), écrivain; Jean-Pierre Mignard(FR), avocat; Joelle Milquet (BE), députée à la région bruxelloise, ancienne vice-première ministre; Alexandra Mitsotaki (GR), présidente, ActionAid Hellas;Jonathan Moskovic (BE), membre fondateur de CIVICO Europa, co-coordinateur du projet G1000;Ferdinando Nelli Feroci (IT), ambassadeur, ancien commissaire Européen, président du IAI (Istituto Affari Internazionali);Catherine Noone (EIRE), sénatrice, présidente de l’assemblée citoyenne d’Irlande; Johanna Nyman(FIN), ancienne présidente du Forum européen de la Jeunesse;Sofi Oksanen(FIN), écrivaine; Guilherme d’Oliveira Martins (PT), Fondation Gulbenkian, ancien ministre; Erik Orsenna (FR),écrivain;Rossen Plesneviev (BG), ancien président de la république de Bulgarie;Francesco Profumo (IT), ancien ministre, président de la fondation Compagnia di San Paolo;Sneska Quaedvlieg-Mihailovic(NL/RS), secrétaire générale d’Europa Nostra pour la protection du patrimoine européen;Jean Quatremer (FR), journaliste et essayiste;Francesca Ratti (IT), ancien secrétaire général adjoint du Parlement Européen, présidentede CIVICO Europa;Maria João Rodrigues(PT), ancienne ministre, vice-présidente du groupe « Socialistes et démocrates », Parlement européen;Robin Rivaton(FR), auteur;Petre Roman (RO), ancien premier ministre; Taavi Roivas(EST), ancien premier ministre d’Estonie; Wytze Russchen(NL), membre fondateur de CIVICO Europa; Jochen Sandig (DE),directeur de la compagnie de danse Sasha Waltz and Guests; Roberto Saviano(IT), écrivain; Nicolas Schmit (LU), ministre du travail, de l’emploi et de l’immigration;Gesine Schwan(DE), présidente de la plateforme de gouvernance Humboldt-Viadrina;Denis Simonneau(FR), président d’EuropaNova ; Benjamin Spark (BE), artiste;Farid Tabarki (NED), fondateur Studio Zeitigest ; Wolfgang Tillmans(DE), photographe et plasticien;Kirsten Van den Hull (NED), députée;René van der Linden(NL), ancien président de l’Assemblée du Conseil de l’Europe, ancien président du Sénat Néerlandais; Guy Verhofstadt(BE), ancien premier ministre, président du groupe « ADLE », Parlement européen; Vaira Vike Freiberga(LAT), ancienne présidente de la République de Lettonie;Cédric Villani (FR), mathématicien, Médaille Fields, député;Pietro Vimont (FR/IT); membre fondateur et directeur des opérations de CIVICO Europa; Luca Visentini(IT), secrétaire général de la Confédération européenne des Syndicats; Leendert de Voogd (NL), dirigeant d’entreprise; Sasha Waltz(DE), chorégraphe et danseuse ; Wim Wenders(DE), cinéaste.

Categories: Union européenne

SelmayrGate: un "coup de force" contre l'Europe, selon Ingebor Grässle (Allemagne, CDU)

Wed, 05/09/2018 - 05:22

Une tribune de Ingebor Grässle, présidente (Allemagne, CDU) de la commission de contrôle budgétaire du Parlement européen sur les leçons de l’affaire Selmayr (au centre sur la photo).

La promotion express de Martin Selmayr, annoncée le 21 février, de son poste de chef de cabinet du président de la Commission européenne à celui de secrétaire général adjoint et, quelques minutes plus tard, de secrétaire général de la Commission, a conduit à un conflit d’une rare férocité entre la Commission, le Parlement européen et la presse. Ce conflit ne portait pas «seulement» sur la procédure de nomination – une question certes très importante –, mais sur des problèmes bien plus profonds. Il a en effet révélé que la Commission ne respectait pas ses propres règles, appliquait une politique du personnel générant de fortes insatisfactions internes, confondait allègrement l’information avec la manipulation et l’autopromotion et, enfin et surtout, qu’il y avait un réel malaise autour du travail effectué par Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et Martin Selmayr.

Parlementaires, journalistes, fonctionnaires avaient un (ou plusieurs) compte(s) à régler avec l’ancien chef de cabinet, et sa promotion en est devenue l’occasion. En tant que chef de cabinet du président, Selmayr avait suscité tant de critiques qu’il se faisait peu d’illusions sur sa carrière dans la Commission de l’après-Juncker. D’ailleurs, une place l’attend depuis 2014 à la Banque européenne pour la reconstruction (BERD) sise à Londres. Mais il a manifestement changé, ou dû changer, d’avis en décidant de devenir secrétaire général. Pour ce faire, on littéralement « inventé » une procédure de nomination en deux étapes, ce qui lui a permis d’être nommé en moins de dix minutes à deux postes différents.

Le fait qu’il ait été candidat unique au poste de secrétaire général adjoint, la seconde candidature ayant été opportunément retirée, et que la procédure de sélection ait été menée à grande vitesse a soulevé des questions, mais pas de critiques sévères. En effet, dans le passé, la Commission a choisi de la même manière plusieurs secrétaires généraux adjoints. Bref, si la procédure s’était arrêtée là, il n’y aurait pas eu d’affaire. C’est sa promotion immédiate au poste de secrétaire général qui a provoqué indignation et émotion. Jusque-là, les secrétaires généraux étaient des fonctionnaires expérimentés, des directeurs généraux de longue date. Or Selmayr, certes doté d’un grand savoir-faire dans les affaires politiques quotidiennes (comme porte-parole puis chef de cabinet depuis 2009), est un fonctionnaire qui n’a aucune expérience dans la gestion des directions générales, puisqu’il n’a jamais dirigé un service depuis le début de sa carrière en 2004. Certes, sans proximité politique avec le président, aucun secrétaire général ne peut travailler efficacement. Mais il ne peut pas non plus réussir sans une véritable pratique de la gestion des grands appareils administratifs, le Secrétaire général étant le plus haut responsable de l’administration de la Commission. Or, le cabinet du président ne compte que 30 personnes, alors que le secrétariat général emploie environ 570 fonctionnaires et la Commission plus de 30.000.

En outre, apparemment seules trois personnes (l’ancien secrétaire général, le Néerlandais Alexander Italianer, Jean-Claude Juncker et Martin Selmayr) étaient au courant que le secrétaire général sortant annoncerait son départ anticipé à la retraite lors de la réunion de la Commission du 21 février et l’une de ces trois personnes, en l’occurrence le chef de cabinet, était en mesure d’utiliser cette information privilégiée à son profit exclusif. Le départ à la retraite d’Italianer et la double promotion de Selmayr n’était pas une idée spontanée, comme cela a été présenté tant au collège des commissaires, qui n’a pas été prévenu en amont, qu’au public. On peut aussi se demander si ces trois personnes ont vraiment rédigé elles-mêmes tous les documents nécessaires à la nomination du nouveau secrétaire général sans aucun contact avec la direction générale du personnel et avec le service juridique ? Y a-t-il un lien entre la prolongation des fonctions de la directrice générale du personnel, normalement touchée par la limite d’âge, et la gestion de la nomination du nouveau Secrétaire général ?

Cette affaire pose clairement la question du statut de la fonction publique européenne. Lorsque la Commission sera renouvelée en 2019, les membres des cabinets des commissaires seront encore une fois récompensés pour leur travail et promus à des postes de direction. Les grands perdants de ces parachutages seront donc les fonctionnaires de carrière «normaux» et sans proximité politique, et ce, d’autant plus que la Commission Juncker, qui se veut « politique », se distingue par son talent à interpréter de façon créative les règles afin de mieux les contourner. C’est malheureusement vrai de la Commission, mais aussi du Parlement dont le talent pour promouvoir certains candidats au détriment du reste de la fonction publique n’est plus à prouver. Ces pratiques entraînent de plus en plus de frustration au sein de la bureaucratie qui a le sentiment que les carrières dépendent davantage de l’arbitraire que d’une quelconque rationalité.

J’observe enfin avec inquiétude la manière dont les journalistes sont traités par la Commission. Les « privilégiés » ont droit à des informations exclusives et, en remerciement, ceux-ci publient des articles amicaux. Les journalistes critiques, eux, sont mis sur la touche et peuvent même voir leur intégrité professionnelle mise en cause publiquement. La procédure de nomination de Selmayr qu’ils ont mise au jour a été pour eux l’occasion de prendre leur revanche et de mener un travail d’équipe d’autant plus remarquable qu’il a été multinational. Le service du porte-parole de la Commission a été mis sous pression, incapable d’apporter des réponses crédibles aux questions des journalistes. L’information orale s’est avérée peu fiable, les explications juridiques inexactes, les tentatives d’embrouiller son monde en jonglant avec la complexité du statut de la fonction publique européenne nombreuses. Il a fallu que les députés européens posent des questions écrites afin qu’enfin la Commission sorte de l’extrême confusion des concepts qu’elle avait elle-même créée. Cette incapacité à répondre aux questions simples des médias est d’autant plus inquiétante que le service du porte-parole de la Commission est particulièrement proche du chef de cabinet du président, désormais secrétaire général.

Comme souvent, faire face à une crise est presque aussi important que la cause de la crise elle-même. Ce que nous avons appelé, dans notre résolution adoptée à une large majorité le 18 avril, un «coup de force», laisse énormément de méfiance et de doute entre la Commission, d’une part, les autres institutions, la presse et le public, d’autre part. C’est peu dire que personne n’a été convaincu par les explications de la Commission qui a toujours refusé de reconnaitre que la nomination du secrétaire général aurait pu et dû être faite différemment. Aujourd’hui, tout le monde a le sentiment d’avoir été mené en bateau. Ajoutée à l’insatisfaction considérable d’une grande partie de l’appareil bruxellois et du public, la relation perturbée entre le service du porte-parole de la Commission et une partie de la presse a exacerbé le conflit. C’est la véritable raison du différend sur la nomination de Martin Selmayr. La Commission saura-t-elle en tirer les leçons ?

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Rachida Dati n'est pas contente, mais alors pas du tout

Fri, 05/04/2018 - 18:56

Lundi, j’attirais votre attention sur un nouvelle victoire annoncée du groupe PPE faute pour le groupe socialiste d’être capable de s’unir pour faire barrage au rouleau compresseur des conservateurs européens. Je ne sais pas si mon article a eu de l’effet, mais le résultat est là : Rachida Dati, la candidate du PPE, s’est pris une claque majeure jeudi, lors d’une plénière qui a eu lieu à Bruxelles. Par 339 voix contre 246 et 62 abstentions, les eurodéputés, qui votaient à bulletin secret, se sont opposés à la nomination de l’ancienne ministre de la Justice de Nicolas Sarkozy au comité de sélection du futur procureur européen. Le PPE comptant 219 membres, il n’a donc quasiment pas réussi à aller pêcher des voix au-delà de sa propre famille.

Manifestement, le PPE ne s’attendait pas à un tel vote, alors que la candidature de Dati avait été largement avalisée par la Commission justice le 27 mars. « Ces manœuvres politiciennes et les prétextes complotistes pour contrer un vote légitime en commission parlementaire illustrent le cynisme de certains députés européens, notamment français », a piaillé dans un communiqué le président de la délégation française du groupe, Franck Proust. La réaction rageuse et un tantinet infantile de Rachida Dati sur son compte Twitter (voir la capture d’écran ci-dessus) en dit long sur sa frustration. Le dossier va maintenant retourner en commission justice afin qu’un nouveau candidat, sans doute un procureur ou un juge au CV d’incorruptible, soit désigné.

Cette affaire montre que lorsque les socialistes et les libéraux s’unissent, ils peuvent faire obstacle à la domination du PPE et qu’il existe des majorités alternatives, au moins sur certains sujets.

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Budget 2021-2017: back to the past

Fri, 05/04/2018 - 11:04

Face aux dangers qui menaçaient la Révolution, en septembre 1792, Danton a mobilisé le peuple à en lançant son fameux : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! » Presque 250 ans plus tard, face aux dangers qui pèsent sur l’Union européenne, du Brexit à la montée des populismes, la « Commission de la dernière chance », selon l’expression de son président, Jean-Claude Juncker, se contente d’un : « de la prudence, encore de la prudence, toujours de la prudence ». C’est peu dire que la proposition de « cadre financier pluriannuel » (CFP) pour la période 2021-2027, rendue publique mercredi, est loin de la « refondation » souhaitée par Emmanuel Macron. Alors que le départ de la Grande-Bretagne aurait permis de remettre à plat le budget européen, la Commission s’est laissée intimidée par « la pression des pays du nord de l’Europe, notamment du Néerlandais Mark Rutte qui est monté dans les tours, ainsi que par les réticences de l’Allemagne », comme on le regrette à Paris, et « elle a revu fortement ses ambitions de départ à la baisse ». « On coupe dans les politiques classiques que sont la Politique agricole commune (PAC) et les fonds structurels, ce qui peut se défendre, mais l’ambition sur les politiques nouvelles n’est pas à la hauteur des enjeux ».

Un budget limité à 1,08 % du RNB

Ainsi, alors que Juncker lui-même a fixé, en septembre dernier, le niveau minimum d’effort, à 1,20 % du RNB (revenu national brut), les CFP proposent un maigre 1,11 %, ce qui, en réalité, revient quasiment à maintenir l’effort à son niveau de 2014-2020, hors Royaume-Uni (le budget global passera de 1100 milliards d’euros constants à 1279 milliards d’euros constants). Mais, comme le note Jean Arthuis, le président de la commission des budgets du Parlement européen, « cette fois, le budget inclus le Fonds européen de développement (FED) d’un montant de 31 milliards d’euros qui, auparavant, était comptabilisé à part : en réalité, on est entre 1,08 et 1,09%, ce qui revient à dire que les montants ne changent pas ».

Pourquoi un tel renoncement, alors que la France avait annoncé qu’elle était favorable à l’objectif de 1,20 % du RNB tout comme la chancelière Angela Merkel et que le Parlement réclamait une hausse à 1,30 % ? Par crainte de froisser les Pays-Bas qui jugent que le budget européen est en soi une hérésie ? Évidemment pas. L’explication est à Berlin : depuis qu’elle est dotée d’une majorité stable, la chancelière est revenue à sa traditionnelle frilosité budgétaire et financière, d’autant que les socio-démocrates allemands ont renoncé à défendre la partie européenne de l’accord de Grande Coalition (GroKo) après le départ de Martin Schulz, président du SPD et candidat malheureux à la chancellerie. « On est passé d’une groko Schulz à une groko Scholz », du nom (Olaf Scholz) du ministre des finances SPD, ironise-t-on à Paris. Et Jean-Claude Juncker, président choisi par la CDU allemande, est à l’écoute de Berlin, tout comme le commissaire au budget qu’il a nommé, l’Allemand CDU Günther Oettinger, et son tout puissant secrétaire général-chef de cabinet-sherpa, l’Allemand très proche de la CDU Martin Selmayr. Avec une telle filiation, il ne fallait donc pas s’attendre à un budget qui déplaise à Berlin.

Coupes violentes

Compte tenu de cette enveloppe limitée et du manque à gagner britannique (10 milliards d’euros par an, leur contribution s’élevant à 14 milliards et les retours directs à 4 milliards), il fallait ensuite faire entrer dedans les dépenses. Sans surprise, la PAC, principale politique commune, reçoit un coup de rabot violent, compris, selon Jean Arthuis, entre 4 et 10 % (les rubriques ayant été modifiées, il est impossible pour l’instant de savoir précisément ce qu’il en est), ce qui risque d’impacter directement le revenu des agriculteurs (-15% selon Farm Europe, -5 % selon la Commission...). Les aides régionales (fonds structurels), destinées à aider les pays en retard de développement, y compris le Fonds social européen, seront encore plus impactées. Ensemble, ces deux grandes politiques devraient à peine atteindre 60 % du budget européen, contre plus de 70 % aujourd’hui. Est-ce un mal ? En réalité, on peut se poser la question, car dès le départ, les Etats conviennent des retours sonnants et trébuchants qu’ils toucheront durant 7 ans, ce qui revient à faire du budget de l’UE un simple distributeur de billets et non pas un instrument au service de politiques européennes. De ce point de vue, la montée en puissance de vraies politiques communautaires est la seule bonne nouvelle de ce budget, même si les ambitions restent très limitées (+ 114 milliards sur 7 ans) : contrôle aux frontières, politique d’asile et d’immigration, Erasmus (dont le budget double), défense, recherche.

La Commission est aussi passée à côté de son sujet du budget de la zone euro : elle prévoit simplement une ligne de 30 milliards d’euros sur 7 ans pour aider les pays qui engageraient des réformes structurelles, des fonds qui seraient accessibles aux 27… Bref, on ne voit pas très bien l’intérêt de cette ligne, d’autant que son montant est ridicule : pour rappel, le sauvetage de la Grèce a coûté près de 350 milliards d’euros.

Une durée de 7 ans a-démocratique

Même sur la durée du CFP, la Commission n’a pas osé revenir sur la durée de 7 ans totalement anachronique, surtout après le départ de la Grande-Bretagne, le principal empêcheur de budgéter en rond. Car cela rend le budget ingérable : décider aujourd’hui des dépenses de 2027 relève davantage de la cartomancie que de la science économique. Surtout, ce système est a-démocratique : l’actuel cadre budgétaire qui s’appliquera jusqu’en décembre 2020 a été décidé en 2013 par un conseil européen des chefs d’État et de gouvernement dont presque plus aucun membre n’est en fonction, par une Commission alors présidée par José Manuel Barroso et par un Parlement européen qui a été renouvelé en 2014 et le sera à nouveau en 2019, toujours dans le cadre budgétaire décidé en 2013… À l’échelle de la France, cela signifierait qu’en 2011, Nicolas Sarkozy aurait pu décider du budget du quinquennat de François Hollande et des deux premières années de celui d’Emmanuel Macron… C’est pourquoi Jean Arthuis a proposé de garder un budget pluriannuel pour les politiques qui appellent de la prévisibilité (PAC, fonds structurels, Erasmus, etc.) et que, pour le reste, on en revienne à une programmation annuelle. Mais fin 2017, la Commission a décidé, sans que l’on sache bien pourquoi, de ne pas s’engager dans cette voie.

Bref, cette proposition de CFP manque d’ambition. Et le pire est à venir : les États doivent maintenant les adopter à l’unanimité. Or, comme cela a toujours été le cas depuis 1988, les ambitions seront encore revues à la baisse : plutôt que de renverser la table pour obtenir beaucoup, la Commission a pris le risque de ne rien obtenir en demandant peu.

N.B.: l’ensemble des documents est ici. On nous les a transmis à 13h30, sachant que les papiers doivent partir vers 18 heures... On n’est même plus dans le couac de communication, sachant qu’aucun chiffre n’a changé lors de la réunion du collège de mercredi matin, les commissaires se contentant d’entériner ce qui a été décidé par le secrétaire général, Martin Selmayr (c’est la première fois qu’un secgen s’occupe du budget).

Photo: REUTERS/Francois Lenoir

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Les socialistes européens, l'armée de réserve des conservateurs

Fri, 05/04/2018 - 11:04

Mis à jour le 3 mai

Le socialisme ou plutôt la social-démocratie a-t-elle encore un avenir sur le vieux continent ? Les élections récentes, notamment en France, en Allemagne et en Italie, montrent que partout en Europe, elle s’effondre. Même si les raisons sont évidemment multiples et variables selon les pays, on peut au moins trouver un point commun à la crise existentielle qu’elle traverse si on s’intéresse au comportement des socialistes à Bruxelles que ce soit au Parlement européen (où ils forment le second groupe politique avec 187 députés sur 751), à la Commission ou au Conseil des ministres. Ce qui frappe, c’est à la fois leur extrême division idéologique et leur incapacité chronique à se comporter autrement que comme une force d’appoint des conservateurs européens du PPE (parti populaire européen).

On l’a vu lors du vote de la résolution sur l’affaire Selmayr, le 18 avril : une majorité du groupe socialiste, emmené par le SPD allemand et le PSOE espagnol, a soutenu le PPE (premier groupe avec 219 députés)qui voulait sauver la peau du secrétaire général et celle du président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Si on peut comprendre l’attitude du PPE qui ne voulait pas sacrifier ses hommes, quelle que soit la gravité de leurs fautes, celle des socialistes est incompréhensible : à un an des élections européennes, leur intérêt était de se distinguer des conservateurs et de montrer qu’il n’était pas les « idiots utiles » de la droite. Profondément divisés (les Français, les Belges, les Néerlandais et les Italiens jouant les francs-tireurs), ils ont validé la nomination de Selmayr qui n’est rien d’autre qu’une prise de contrôle brutale par le PPE de l’administration communautaire. Les commissaires socialistes n’ont pas été plus brillants, aucun d’entre eux n’ayant eu le courage de s’opposer à Juncker…

Cette incapacité à stopper le rouleau compresseur de la droit se voit à peu près dans tous les votes : si le PPE forme un bloc solide, ce n’est presque jamais le cas des socialistes. On va de nouveau le voir jeudi, lors du vote qui désignera le représentant du Parlement au sein du « comité de sélection » de 12 membres chargé d’établir une liste de candidats au poste stratégique de procureur européen qui sera chargé de poursuivre les fraudes au budget européen, une coopération renforcée décidée en octobre dernier entre 20 États sur 28.

Selon toute probabilité, le PPE devrait parvenir à imposer son candidat. En effet, le 27 mars, la commission justice a placé largement en tête Rachida Dati, l’ancienne garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy, recyclée au Parlement européen. Avec 23 voix, elle devance largement Antonio Mura, un juge italien (13 voix) et Éva Joly, ancienne procureure devenue eurodéputée écologiste (10 voix). Ce succès écrasant est dû à la dispersion des voix socialistes.

L’affaire n’est pas un point de détail. Si les conservateurs veulent absolument ce poste, c’est afin de sécuriser leur majorité : en effet, les autres membres du comité de sélection seront choisis par des gouvernements dont une bonne partie est de droite. Ainsi, le PPE aura la haute main sur la composition de la « short list », mais aussi sur le choix final qui sera fait par le Conseil des ministres (à la majorité simple) et le Parlement… La détermination de la droite à peser sur la composition du futur parquet européen (qui devrait commencer à travailler en 2020) se comprend lorsque l’on sait que plusieurs de leurs amis politiques sont impliqués dans des fraudes au budget européen. À force de rechercher le compromis avec la droite, les socialistes européens ont sombré dans la compromission. Une explication à leur perte de légitimité.

N.B.: Bonne nouvelle: les socialistes se sont enfin réveillé jeudi 3 mai. Par 339 voix, le Parlement a refusé de nommer Rachida Dati. Comme quoi, il faut simplement les mettre en pleine lumière....

Photo: REUTERS/Philippe Wojazer

Categories: Union européenne

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