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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 6 days ago

Des élections sans suspense en Ethiopie pour un pays à l’avenir incertain

Tue, 26/05/2015 - 15:43

Les élections législatives et régionales se sont déroulées le 24 mai en Ethiopie. Les résultats seront annoncés à la fin du mois de juin et ils seront, à n’en pas douter, un satisfecit pour le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), coalition qui dirige le pays depuis 1991. La prochaine rentrée parlementaire verra donc une situation semblable à celle d’aujourd’hui : la mainmise totale de l’EPRDF sur la vie politique et institutionnelle du pays. D’après la Constitution de 1995, le Premier ministre sera « désigné par le parti ou la coalition » ayant remporté les élections. HaileMariam Desalegn devrait donc être reconduit dans ses fonctions.

Le bilan économique, politique et diplomatique de ces cinq dernières années reste cependant mitigé.

L’Ethiopie affiche une des plus fortes croissances africaines, réalise de très nombreux travaux d’infrastructures (routes, aéroports, chemins de fer, tram), et s’attache à développer une agriculture et une industrie performantes. Symbole de cette volonté, la construction du grand barrage de la renaissance devrait être achevée en 2017 et il deviendra la plus grande installation de ce type sur le continent africain permettant à l’Ethiopie d’exporter une partie de l’énergie qu’il fournira. En revanche, la population souffre du prix de la vie (salaires faibles, loyers élevés, denrées de base chères…). Les télécommunications (téléphonie, internet) sont loin d’être de qualité. Les coupures d’eau et d’électricité sont encore courantes dans la capitale de l’Union africaine et l’anarchie des constructions d’hôtels, d’immeubles d’entreprises enlaidit Addis Abeba. L’Ethiopie est donc un pays en pleine croissance, ouvrant de nombreux chantiers mais il reste beaucoup à faire sur le plan intérieur pour que la population bénéficie rapidement des retombées de ce développement.

Ces élections auront mis en lumière le cavalier seul de l’EPRDF et donc l’absence d’une réelle opposition, acceptée comme telle. Comme le faisait remarquer un article de l’Ethiopian Herald [1] du 11 avril, « Ethiopian Government understands and believes that serious and professional international or foreign observation could play constructive role in making the 2015 Ethiopian national election free, fair and peaceful and legitimate… However international observers may have their own draw-backs. These include trying to interfere in the electoral process, being ignorant to local circumstances related to history, culture, and other factors ». Et de conclure « Therefore Ethiopian election 2015 observation process must be seen and judged by the Ethiopian public to the Ethiopian public ». Seuls quelques observateurs de l’Union africaine ont été déployés sur l’ensemble du territoire. Le rapport cinglant d’Ana Gomez (UE) suite aux élections de 2005 ne se reproduira pas. Tout au contraire puisque l’Union européenne vient d’annoncer qu’elle augmenterait sa généreuse assistance à l’Ethiopie « considering the proper utilization of funds ».

Sur le plan diplomatique, l’Ethiopie est à la tête de l’IGAD [2] et du COMESA [3]. Elle est le plus important contributeur des missions de maintien et de soutien à la paix des Nations unies et de l’Union africaine. Elle est donc un partenaire incontournable qui bénéficie, de plus, d’un fort soutien américain. La Declaration of principles sur le Nil signée entre l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan le 23 mars 2015 est historique. C’est le premier document signé par les trois États. Cette avancée ne fera qu’améliorer l’intégration régionale encore balbutiante dans la corne de l’Afrique. Mais depuis plus d’un an et demi, l’Ethiopie n’a pas réussi à trouver une solution au problème du Soudan du Sud. Elle mène pourtant au titre de l’IGAD les multiples négociations pour amener Salva Kiir et Riek Machar à un accord. A la frontière entre l’Ethiopie et l’Erythrée, la situation ne s’améliore pas et aucun des deux États ne semble disposer à faire la moindre concession.

En un peu plus d’une décennie, l’Ethiopie s’est radicalement transformée. Mälläs Zénawi a su donner l’impulsion nécessaire pour que son pays prenne la bonne direction. Mais depuis sa disparition en août 2012, l’Ethiopie semble marquer le pas et les résultats tardent à venir. Si elle reste sans conteste la puissance régionale dans une corne de l’Afrique bien instable, la situation intérieure doit bénéficier des retombées d’une croissance élevée et le paysage des partis/coalitions politiques va devoir s’ouvrir. Sans de notables progrès dans ces deux domaines, il ne peut être exclu que des mécontentements profonds et des troubles sociaux surgissent et compromettent la volonté des dirigeants éthiopiens de devenir un pays à revenus intermédiaires en 2025.

 

[1] Journal gouvernemental
[2] L’Autorité intergouvernementale pour le développement est la Communauté économique régionale qui regroupe sept États (Ethiopie, Soudan du Sud, Soudan, Ouganda, Kenya, Djibouti, Somalie). L’Erythrée, qui s’en était retirée en 2007, n’a pas été autorisée malgré sa volonté depuis 2011 à réintégrer l’organisation.
[3] Marché commun en Afrique orientale et australe. Une des huit Communautés économiques régionales de l’Union africaine.

Daech : il est temps de changer de stratégie en Syrie et en Irak

Sat, 23/05/2015 - 09:50

Comment ne pas être inquiet devant l’absence de prise de conscience du danger que représente l’organisation de l’État islamique (Daech), non pas seulement pour la Syrie et l’Irak, mais pour l’ensemble des États musulmans, de la Tunisie jusqu’au Pakistan, pour l’Afghanistan et l’Asie centrale, en passant évidemment par la Libye, l’Égypte, le Liban et tout le Moyen-Orient. L’Arabie saoudite, mère fondatrice de Daech et son ancêtre Al-Qaïda, ne sera pas épargnée.

Palmyre avant-hier, Ramadi il y a six jours, sont tombés aux mains de l’organisation de l’État islamique. En un an, Daech et son redoutable « Kalife » Abou Bakr al Baghdadi, ont montré de quoi ils sont capables : exécutions massives, enterrements vivants de ceux qui ne pensent pas comme eux, décapitations, immolations par le feu d’innocents… Au-delà de ces pratiques inhumaines, le projet publiquement annoncé, à savoir l’instauration du califat dans tout le monde musulman, est à prendre au sérieux. L’avènement de Daech est l’aboutissement d’un processus commencé avec l’invasion soviétique en Afghanistan : les aides financières et militaires américaines et saoudiennes furent accompagnées d’envoi de volontaires au djihad, par la création de milliers de madrasas wahhabites au Pakistan et finalement la création d’Al-Qaïda par Oussama Ben Laden dont les faits d’armes se sont finalement limités à quelques attentats dont New York et Washington.

L’invasion américaine en Irak a ensuite constitué une occasion en or pour les djihadistes, qui ont rapidement créé la branche irakienne d’Al-Qaïda, dans la province d’al-Anbar, aujourd’hui aux mains de Daech. Cette branche profitant de la répression américaine (la destruction de Falloujah et le scandale d’Abou Ghraïb ne sont que des exemples), elle s’est enracinée au sein de la communauté arabe sunnite. La rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite – cette dernière ne supportant pas que l’Irak passe sous l’influence de l’Iran par l’intermédiaire du pouvoir chiite à Bagdad -, a alimenté le développement de cette organisation, ainsi que sa transformation en « État islamique en Irak », puis en « État islamique en Irak et en Syrie » et désormais simplement « État islamique ».

Le régime syrien n’a pas été épargné par le printemps arabe. Mais les manifestations initialement pacifiques pour des revendications démocratiques, ont rapidement été entachées de violence. Dès le début de l’insurrection, la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar ont chacun soutenu leur protégé respectif pour des raisons certes différentes, mais avec un objectif commun : renverser le régime de Bachar al-Assad. Mais l’intervention de « l’État islamique en Irak » sur le territoire syrien a totalement modifié la nature de l’insurrection et son objectif. Aujourd’hui, plus de 90 % des insurgés appartiennent à Daech – qui contrôle presque la moitié de la Syrie – ainsi qu’à ses alliés al-Nosra (al-Qaïda) et d’autres organisations djihadistes.

Palmyre est tombé. De nombreux journalistes s’interrogent sur le danger qui menace la merveilleuse cité archéologique, patrimoine de l’humanité. S‘il est normal et légitime de s’inquiéter pour ces trésors historiques, souhaitons que la chute du Palmyre et de Ramadi puisse ouvrir les yeux de l’Occident et de ses alliés arabes, riches mais totalitaires, du golfe Persique. Daech, avec ses 40 à 50 000 combattants fanatiques prêts à mourir pour une cause imaginaire, est doté d’armements modernes qui lui permettent de mener cette guerre sur plusieurs fronts et tirer des centaines de missiles sur la ville de Palmyre.

Qui fournit ces armements ? D’où viennent ses combattants ? Où s’entrainent-ils ? Où sont soignés leurs blessés ? Il est impossible d’imaginer que les services de renseignements des pays occidentaux soient à ce point aveugles et qu’ils ne constatent pas que Daech menace désormais une vaste région allant du Maghreb jusqu’au Pakistan et à l’Asie centrale et que Daech a été aidé à établir probablement le premier État de l’État islamique en Libye. Sans oublier que l’opinion publique dans ces pays imagine que Daech est une création occidentale pour déstabiliser la région…

Il est temps que la coalition internationale change de stratégie, qu’elle force les pays qui soutiennent en armes et en argent ou autorisent le passage de combattants de Daech, et qu’elle mette fin à ce jeu d’une gravité sans pareil. Face à l’évolution de la situation, il n’est plus raisonnable de laisser l’organisation de l’État islamique instaurer un pouvoir barbare, inhumain et dangereux pour l’Europe, s’installer en Syrie, sous prétexte que le président syrien Bachar al-Assad est un dictateur. Il ne faut pas transformer la Syrie en une seconde Libye puissance dix. M. Zarif, ministre des Affaires étrangères iranien, a déclaré il y a quelques jours dans une interview au magazine allemand Spiegel, que si l’Iran ne venait pas en aide au régime syrien, Daech serait déjà au pouvoir à Damas.

La recherche d’une solution politique en Syrie, y compris le départ de Bachar al-Assad, suppose que l’avancée de l’État islamique jusqu’à Damas soit arrêtée. Il me semble que si un choix devait être fait entre Bachar al-Assad et Abou Bakr al-Baghdadi, cela serait vite fait. Un changement de la part de la coalition internationale permettrait d’éviter ce choix.

Les défis de la politique étrangère de la France

Fri, 22/05/2015 - 16:18

Conférence-débat exceptionnelle de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international, ancien Premier ministre, à l’attention des étudiants d’IRIS Sup’, l’école des relations internationales de l’IRIS, le mercredi 20 mai 2015 au sein de l’espace de conférences de l’IRIS. Animée par Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Le Burundi basculera-t-il à nouveau dans le chaos ?

Fri, 22/05/2015 - 15:14

De violentes manifestations ont lieu au Burundi depuis le 26 avril. Qui sont les manifestants et quel est l’objet de leur colère ? Comment expliquer cet embrasement soudain du pays ?
Les manifestants sont essentiellement les populations jeunes de Bujumbura qui ont l’appui des dix-huit partis d’opposition, relativement unis. On est moins certains qu’il y ait eu d’importantes manifestations dans les zones rurales. Ce sont des jeunes qui refusent principalement ce qu’on appelle, si ce n’est un coup d’État constitutionnel, du moins une manipulation constitutionnelle. Cette dernière tient au fait que le président Pierre Nkurunziza se représente pour un troisième mandat, malgré les dispositions des accords d’Arusha de 2000, réalisés sous l’égide de Nelson Mandela. Ces accords prévoient que seuls deux mandats consécutifs peuvent être effectués par un président. L’argutie juridique utilisée par Pierre Nkurunziza repose sur le fait que pour son premier mandat, il n’avait pas été élu au suffrage universel mais par le Parlement. La Cour constitutionnelle, qui est aux ordres du président, a considéré cette troisième candidature comme valide – le
vice-président de la Cour a d’ailleurs été obligé de fuir suite à cette décision. Par ailleurs, on observe que les manifestations se sont traduites par une très grande violence de la part de la police, qui a tiré à balles réelles sur la foule. On sait également que des milices, manipulées par le pouvoir, sont intervenues auprès des manifestants pour entrainer cette violence. On est donc dans une situation où le mécontentement est croissant. Certains ont à l’esprit les manifestations au Burkina Faso contre la manipulation constitutionnelle de Blaise Compaoré ou encore des exemples de pays où une transition démocratique a pu avoir lieu.

Au vu de l’histoire violente et difficile du Burundi, la confrontation entre les différents groupes ethniques a-t-elle été dépassée ou peut-on craindre de nouveaux affrontements de ce type ?
Il faut savoir que le Burundi a subi les mêmes troubles suite à la disparition du président Cyprien Ntaryamira en 1994. Il y a alors eu des affrontements à caractère ethnique entre les Hutus et les Tutsis, faisant environ 300 000 morts. De 1993 à 2003, le Burundi a traversé une période de très forte insécurité, y compris après les accords d’Arusha signés en 2000. La situation s’était ensuite peu à peu apaisée sur le plan des conflits ethno-régionaux. Ce sont les Hutus qui sont globalement au pouvoir au Burundi, à la différence du Rwanda. Les accords d’Arusha ont fait en sorte que la moitié des responsables soit d’origine Hutu et la moitié des responsables de l’administration de l’armée soit d’origine Tutsi. Les questions ethniques ou religieuses n’étant plus considérées comme des questions importantes, le conflit a pu être dépassé pendant au moins dix ans. Par conséquent, les manifestations récentes n’ont absolument pas eu un caractère ethnique.
Ceci étant, quand on connait l’histoire du Burundi, on sait que la question de l’ethnie peut être instrumentalisée à la fois par le pouvoir politique – c’est à craindre – mais également par les pays voisins. On sait par exemple que des milices Hutus sont très proches des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) en République Démocratique du Congo (RDC). Si jamais des provocations entrainaient la mort de Tutsis, il y aurait immédiatement une intervention de Paul Kagame, actuel président du Rwanda. Inversement, si des Hutus étaient tués, une intervention de la RDC serait également à prévoir.

Lors de la manifestation du mardi 19 mai, des personnalités politiques et des membres de la société civile se sont joints à un rassemblement à Bujumbura. Après un coup d’État raté de l’armée burundaise en date du 13 mai, quid de l’opposition politique ? Un report des élections peut-il permettre un retour au calme ?
L’opposition a été relativement unie jusqu’à présent. Après l’échec du coup d’État, les manifestants ont dans un premier temps été extrêmement prudents et n’ont pas immédiatement organisé d’importantes manifestations. Néanmoins, depuis la reprise du pouvoir par le président Nkurunziza, le mouvement s’est très nettement renforcé avec un nombre d’arrestations important. La police a à nouveau tiré sur les manifestants faisant des morts. La situation n’est pas du tout contrôlée, et l’armée a au départ remplacé la police dans ses fonctions. Cette dernière a désormais repris son rôle mais l’armée reste quant à elle extrêmement divisée et apparait aujourd’hui en retrait. L’incertitude porte sur la position que l’armée adoptera in fine. Ce qui est sûr, c’est que les mouvements sont actuellement en marche et que la stabilité politique du pays est fortement mise à mal.
De son côté, le président a accusé les Shebabs de menacer l’ordre du pays, mais cette déclaration n’a évidemment eu aucune crédibilité auprès des populations. Il a limogé son ministre de la Défense qu’il avait trouvé trop proche des putschistes, ainsi que son ministre des Affaires étrangères, plutôt pour contenter les opinions occidentales. On est donc face à un pouvoir qui renforce son dispositif sécuritaire et annonce qu’il souhaite lutter contre le terrorisme. Par conséquent, il est évident que les élections ne pourront pas avoir lieu si elles se déroulaient dans de telles conditions. Si Pierre Nkurunziza venait à se représenter pour un troisième mandat, il y a selon moi un risque réel de dérive. Quoi qu’il en soit, troisième mandat ou pas, des affrontements importants seront à craindre. Le Burundi a connu des conflits extrêmement violents historiquement et reste un pays vulnérable.
Le plus vraisemblable est que ces élections soient reportées, comme le demande l’Union africaine, les représentants de l’Union européenne ou encore l’opposition. L’idéal serait que le président ne se représente pas et qu’il décide de se retirer, comme Blaise Compaoré l’a fait au Burkina Faso. Il ne faut pas non plus négliger la pression des États voisins dans la mesure où le Burundi fait partie de la Communauté d’Afrique de l’Est et doit tenir compte de l’avis de ses partenaires. Les acteurs régionaux ne seront pas indifférents à l’évolution de la situation et peuvent jouer sur le Burundi pour agir en fonction de leurs propres intérêts. Enfin, il peut aussi y avoir une pression exercée par la communauté internationale ou par les États-Unis. Ces derniers se sont d’ailleurs prononcés en affirmant que le président était légitime à la suite du coup d’État raté du 13 mai, mais ne soutiennent pas pour autant une troisième candidature de Pierre Nkurunziza. Celui-ci a aujourd’hui choisi la méthode forte, malgré les conseils des pays africains et occidentaux. S’il va jusqu’au bout, les violences risquent de resurgir avec une intensité et des effets de contagion au Rwanda et en RDC qu’il est difficile de prévoir.

« Musulmans au quotidien » – Trois questions à Nilüfer Göle

Fri, 22/05/2015 - 10:11

Nilüfer Göle est sociologue et directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Musulmans au quotidien : une enquête européenne sur les controverses autour de l’islam », aux éditions la découverte.

Votre enquête veut donner la parole aux « musulmans ordinaires » sur lesquels se focalisent les controverses, mais qui sont absents des débats médiatiques. Comment expliquer cela ?

Il y a une focalisation médiatique sur l’islam sans donner la voix aux musulmans, en ignorant les visages multiples. Les controverses autour de l’islam présentent une occasion pour nos sociétés de confronter la différence islamique, de débattre des normes séculières et religieuses, de familiariser l’un avec l’autre. Mais, très souvent, l’hypermédiatisation empêche l’exploration de la multiplicité des points de vue, la possibilité d’échange, et reproduit des oppositions binaires, des représentations simplistes et caricaturales d’autrui. Les traits de la différence sont constamment agrandis, les personnages à scandales sont sollicités dans les débats médiatiques, tandis que la présence des musulmans « ordinaires », leur insertion au sein de la vie quotidienne dans les pays européens, est désavouée. Les citoyens musulmans ne sont en rien ordinaires, car ils sont « survisibles » comme sujet de controverses, tout en restant inaudibles et invisibles. J’ai voulu renverser la perspective et rendre compte des visages humains et des trajectoires multiples des musulmans de citoyenneté européenne. Pour cela il fallait mettre en place un dispositif de recherche, un « espace public expérimental », créer un lieu d’écoute et d’échange entre gens impliqués ou tout simplement concernés par les controverses autour de l’islam. L’islam est devenu une affaire publique. Cela signifie qu’il devient une affaire de tous et non seulement des musulmans et des migrants. Ces controverses signalent la présence des musulmans dans la vie publique et que l’on se trouve dans une phase post-migratoire.

Selon vous, c’est la conjonction de deux affaires en 1989, celle du foulard en France et la fatwa contre Salman Rushdie, qui ont rendu visible la présence de l’islam en Europe, mais d’une façon très dérangeante. Vit-on encore sous ce double choc ?

Rétrospectivement, on peut dire qu’en 1989 les deux acteurs emblématiques de l’islam en Europe avaient fait leur irruption sur la scène publique. Depuis, le voile des femmes musulmanes d’un côté, et la fatwa de mort de l’autre, désignent le champ shariatique dans lequel nous débattons de la présence des musulmans. Mais, il faut distinguer les deux logiques d’action, les façons de croire bien différentes. Cela devient un enjeu principal aussi bien pour les musulmans que pour la démocratie des pays européens. Ne pas faire l’amalgame entre les actes terroristes, les assassinats ciblés et les pratiques de la croyance ordinaire deviennent une condition sine qua non pour faire société. Or la figure du djihadiste semble occuper tout le terrain aussi bien media et politique qu’académique. L’espace public est dominé par la médiatisation des débats, les régulations juridiques et l’emprise des politiques sécuritaires. C’est l’ordre public qui prime sur la vie de la cité, tout en amenuisant le potentiel démocratique de l’espace public.

Contrairement aux idées reçues, votre livre et votre enquête montrent, en fait, que les musulmans affirment leur citoyenneté. Pouvez-vous préciser ?

En effet, contrairement à ce que l’on pense, l’affirmation de la religiosité ne signifie pas automatiquement une hostilité à l’égard d’autrui, ni un rejet de la citoyenneté. Au quotidien, les musulmans ordinaires cherchent à aller vers autrui, s’investir dans les espaces de vie européens, saisir les opportunités professionnelles, voire artistiques, investir la vie associative, tout en cherchant à affirmer, voir réinventer, leur rapport à la foi. Ainsi on voit l’émergence d’un « islam européen », que l’on ne retrouve pas dans les pays à majorité musulmane. Les musulmans en Europe sont dans un apprentissage de leur citoyenneté en situation minoritaire, dans un environnement séculier et sans pouvoir se projeter dans un Etat islamique. Ils sont moins dans une démarche shariatique et plus à la recherche des « styles de vie halal ». C’est le « certificat halal », le permis de vivre comme une euro-musulmane qu’ils cherchent à obtenir. Les fatwas de mort, les attentats terroristes, font dérailler le parcours et l’avenir de la citoyenneté des musulmans, en confisquant le sens de leur religion. L’initiative citoyenne du mouvement « pas en mon nom » / « not in my name », est une réponse à cette logique djihadiste et rompt avec cette représentation violente de la communauté des croyants. Les musulmans en Europe se trouvent aussi en rapport d’interdépendance avec les citoyens d’autres religions et de confessions. Une chaine humaine créée par les musulmans, autour de la synagogue à Oslo, après les attentats ciblés à Paris et à Copenhague, illustre bien ce genre performatif de la concitoyenneté, produit par les dynamiques européennes.

À quoi servent les think tanks ?

Thu, 21/05/2015 - 17:10

La recherche stratégique française souffre d’un déficit chronique et il n’existe que quatre think tanks ayant une visibilité internationale : l’Ifri (Institut français des relations internationales), le Ceri (Centre d’études et de recherches internationales), la FRS (Fondation pour la recherche stratégique) et l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques). Cela crée un décalage avec les ambitions internationales affirmées de notre pays. Cette regrettable situation a des racines historiques.

La tradition régalienne française et l’émergence d’une politique étrangère autonome avec la Ve République voyaient d’un mauvais œil l’existence de centres de recherche indépendants, vus comme autant d’obstacles et de gênes éventuels pour l’exécutif. La tradition des think tanks était plutôt atlantique et américaine, facteur supplémentaire de méfiance du pouvoir gaulliste. À de rares exceptions près, l’université optait pour une recherche théorique et considérait comme non scientifiques les études à destination des décideurs.

L’État considérait qu’il avait suffisamment de moyens d’information grâce, entre autres, à un réseau diplomatique particulièrement développé et aux services de renseignements. Cela conduit à un réseau faible de think tanks, non seulement par rapport aux mastodontes américains, mais également en comparaison avec des pays européens, comparables par la taille, comme l’Allemagne (doté d’un système puissant de fondations politiques ou d’entreprises et où le système fédéral poussait à la multipolarité), à la Grande-Bretagne et même aux pays d’Europe du Nord.

Le système des fondations et des dons défiscalisés, inconnu en France, a commencé à se développer depuis peu, mais il ne s’oriente pas sur la recherche stratégique. Ce sont des domaines qui peuvent donner lieu à polémique, où le consensus n’est pas toujours possible. Résultat, les grandes entreprises françaises, y compris celles dont l’activité est fortement soumise aux aléas stratégiques, consacrent de fortes sommes au mécénat culturel, plus consensuel et gratifiant, et pratiquement rien aux études géopolitiques.

À quoi servent les think tanks ? Certes, l’administration a ses propres canaux d’information mais un point de vue complémentaire, avec une approche différente, n’est jamais inutile. Il est également un rôle d’information du public, une fonction pédagogique pour décrypter les enjeux internationaux. Un débat contradictoire, libre et ouvert, est un enjeu démocratique pour éclairer sur les options internationales du pays. Il y a surtout un rôle majeur dans la grande bataille d’idées qui se jouent au niveau international : le soft power, la puissance douce, joue un rôle de plus en plus important. C’était déjà le cas dans les années 1960, où les positions spécifiques françaises avaient du mal à être soutenues faute de combattants dans le cercle des débats d’idées internationaux, où les positions américaines étaient en force. La situation s’est développée (et du point de vue français aggravée) depuis cette époque. Le débat d’idées compte plus, les échanges sont plus nourris et plus fructueux, l’influence exercée par ce biais sur les opinions est plus grande et le rôle des opinions s’est lui-même accru. Et la France est proportionnellement plus absente.

La France, qui comptait déjà un retard relatif vis-à-vis de ses ambitions à l’égard des pays occidentaux, perd maintenant du terrain vis-à-vis des pays émergents. L’époque où les très rares experts chinois participaient au débat pour amener les positions officielles est révolue. Il y a désormais un puissant réseau de think tanks et d’experts qui s’exportent et participent aux échanges intellectuels. La Russie a également musclé son dispositif.

Partout dans le monde, les pays se dotent de think tanks au gré de leur affirmation sur la scène internationale, avec des moyens conséquents, qui ne peuvent que faire rêver leurs homologues français. Certains se contentent de répéter les positions de leurs propres gouvernements, d’autres sont plus mobiles, plus ouverts, plus actifs : Asie, Amérique latine Afrique, Asie centrale, Golfe, etc. Tous les pays qui font plus entendre leur voix sur la scène internationale le font également par le biais de leurs chercheurs en relation internationale.

Avec des ressources publiques déjà faibles et en régression, des ressources privées qui vont vers d’autres horizons, notre pays risque d’accroître la faiblesse de ses positions dans le débat d’idées international.

Quelle stratégie de sécurité pour l’Europe ?

Thu, 21/05/2015 - 16:46

Pierre Vimont est Senior Associate, Carnegie Europe, ancien ambassadeur de France auprès des États-Unis et ancien secrétaire général exécutif du SEAE. Il répond à nos questions à l’occasion de son intervention dans le cadre de la conférence-débat organisée par l’IRIS le 18 mai 2015 :

– Quels sont les défis sécuritaires auxquels l’Europe doit répondre aujourd’hui ?
– Les pays européens ont-ils les mêmes priorités et les mêmes attentes en termes de sécurité ?
– Selon vous, est-il possible de concilier les intérêts de tous au sein d’une stratégie commune ? Par quels moyens ?

Asie centrale : la menace des néo-Taliban

Thu, 21/05/2015 - 13:49

Les Taliban avaient promis leur « offensive de printemps » pour le 24 avril. En réalité, cette dernière a commencé dès le mois de mars, à un endroit où on ne l’attendait pas : le Nord de l’Afghanistan, seuil à majorité tadjiko-ouzbèke de l’Asie centrale, relativement épargné par la guerre jusqu’ici.

Est-ce l’indication d’un intérêt du mouvement insurrectionnel pour les islamistes centre-asiatiques qui, parfois, appellent son intervention ? L’état d’esprit des rebelles n’est pas si simple. Il apparaît en effet que les Taliban afghans seraient plutôt enclins à restreindre leur action à l’Afghanistan même, voire à négocier avec le gouvernement de Kaboul, « mais que les insurgés étrangers présents à leur côté ne leur permettront pas de participer aux négociations de paix » [1]. La forte connexion entre révoltés et trafic de drogues incite également à la projection du conflit vers l’Asie centrale.

Les néo-Taliban

Depuis 2013, l’arrivée de guérilleros étrangers dans les provinces du Nord, via le Nouristan et la Kunar, avait été remarquée, notamment du fait d’accrochages meurtriers avec les Gouvernementaux au Badakhshan. Le 19 mars 2015, nous avions signalé que « les islamistes du MIO (Mouvement islamique d’Ouzbékistan qui a fait allégeance à Daech), disposent dans le Badakhshan de près de 1000 guérilleros prêts à s’infiltrer vers le Ferghana, et de 2500 sur les confins turkmènes menaçant le gisement de gaz de Galkynych ». [2]

Ces premiers « étrangers » ont été renforcés, ces derniers mois, par différents groupes islamistes arrivés avec leur encadrement et, parfois, leurs familles « qui s’impliquent dans la propagande, la fabrication des explosifs et la préparation au combat » [3]. Taliban pakistanais du TTP (Tehreek-e-Taliban Pakistan), Ouzbeks, Tadjiks, Kazakhs, Ouighours, Turkmènes, de l’Asie centrale, mais aussi Arabes et Tchétchènes, ils seraient aujourd’hui plus de 5000 à s’adjoindre au noyau insurrectionnel originel composé de Pachtouns locaux, de trafiquants nord-afghans, mais aussi de Tadjiks : les « étrangers » apportent leur soutien mais aussi essayent, par la force s’il le faut, d’influencer les Taliban en imposant leur orientation et leurs méthodes, plus proches de l’Émirat islamique ou d’Al-Qaïda que des réalités afghanes [4]. Ainsi en est-il allé, semble-t-il, au Badakhshan où quelques escarmouches ont dénoté une résistance initiale aux arrivants.

D’où viennent-ils ? Selon Nourulhaq Ulumi, ministre de l’Intérieur afghan, « l’opération militaire pakistanaise dans la zone tribale du Waziristan a forcé les rebelles à se replier en Afghanistan. Ces derniers tentent maintenant de déplacer la guerre depuis le Sud du pays vers le Nord, ce qui représente une nouvelle pression pour les forces afghanes dans les régions septentrionales » [5]. En fait, la hiérarchie talibane semble avoir préféré éloigner ces redoutables trublions vers le Nord-afghan dans l’espoir de s’en débarrasser en direction de l’Asie centrale…

Les étrangers ou néo-Taliban, pour l’instant à peu près acceptés par les résistants locaux, se sont répartis dans les localités peu accessibles, voire les massifs montagneux [6] de l’intérieur des provinces, mais aussi à proximité du Pyandj (haut cours de l’Amou-Darya) et dans les régions les plus névralgiques : Badakhshan et Koundouz. Ils y font face aux routes tadjikes remontant vers Douchanbé et Bichkek (M 41) qui correspondent aux grands axes du trafic de drogue qu’il s’agit de maintenir. Ils sont aussi présents et actifs dans le Bagdis et surtout le Faryab, face aux gisements de gaz turkmènes et le long d’un autre circuit de la drogue. Un parlementaire de la région n’a-t-il pas déclaré, le 14 avril, au ministre de l’Intérieur : « Je tiens à vous dire que la province du Faryab n’est pas dans vos mains. 80% de son territoire est sous le contrôle des Taliban ». [7]
Fait totalement nouveau : toutes les autres provinces du Nord sans exception connaissent la présence de Taliban : des opérations de contre-insurrection y ont été menées en réponse aux actions terroristes de tout genre qui se sont multipliées de toutes parts ces derniers temps.

La nouvelle insurrection : un état de guerre d’un bord à l’autre du Nord-afghan

Le front ouest face au Turkménistan

Le 2 février, dans la province de Faryab, près de 1000 familles ont fui leurs maisons après qu’un civil a été tué et vingt autres blessés lors d’affrontements en cours dans le district de Qaisar. Trois villages de ce district tombent aux mains des insurgés le 9 avril « après d’intenses combats ». La province de Faryab et celle de Bagdis constituent sur la frontière turkmène un foyer d’agitation quasi permanent entretenu par les 2500 néo-Taliban qui y sont déployés à une centaine de kilomètres seulement du deuxième gisement gazier au monde, celui de Galkynych, approvisionnant notamment la Chine.

Le front central de Koundouz face au Tadjikistan du Sud et l’Ouzbékistan

Dès le 2 février, le gouverneur de la province de Koundouz, l’un des grands nœuds stratégiques de l’Asie centrale, a demandé que les militaires affrontent la présence d’éléments de Daech dans sa province. Le 14 mars, effectivement, l’armée afghane déploie à Koundouz une unité de 1000 hommes « destinés à opérer de nuit » : cela signifie qu’elle est composée de troupes spéciales suivies par les conseillers américains. La conjoncture n’en empire pas moins au point que le gouverneur menace, le 30 mars, de démissionner.
Le 27 avril, après un pourrissement de la situation, « de violents affrontements entre forces afghanes et Taliban font plus de trente morts autour de Koundouz et les insurgés menacent la capitale provinciale. A la suite de ces affrontements, plus de 1.800 familles se déplacent vers la ville de Koundouz » [8]. Le même jour, le chef du district d’Imam Sahib (au sud du Pyandj face à la frontière tadjike) annonce qu’il a perdu le contact avec 500 policiers engagés contre les Taliban.
2000 soldats afghans supplémentaires sont immédiatement déployés. L’armée de l’Air afghane apporte son soutien et l’aviation américaine intervient le 29 avril.
Ces violentes hostilités ont fait 154 victimes – dont trente étrangers – et 134 blessés parmi les rebelles, rien que dans la région de Koundouz. Dans ce premier combat d’envergure, l’Armée nationale afghane semble avoir bien tenu face aux Taliban.
Suivies d’une fragile rémission, ces opérations marquent certainement une pointe d’effort de la part des révoltés puisqu’elles s’étendent aussi aux provinces de Bagdis, Faryab, Djaozdjan, Balkh et surtout Badakhshan.

Le front oriental du Badakhshan face au Gorno-Badakhshan tadjik… et à la Chine

Les combats dans le Badakhshan ont aussi culminé fin avril mais ont été précédés par une action particulièrement violente, dès le 10 avril, à l’intérieur de la province. Près de 500 Taliban attaquent alors les postes militaires du district de Djourm, en conquérant une vingtaine. Trente-trois soldats afghans sont tués, quatorze pris en otage dont deux décapités. Vingt-sept insurgés, dont huit néo-Taliban, parmi lesquels sept seraient tadjiks, succombent.
Les combats reprennent le 27 avril et font dix-sept victimes parmi les Taliban, dont des étrangers. Mais la péripétie essentielle ce jour là concerne Ahmad Zia Massoud, frère cadet de feu Ahmad Shah Massoud et conseiller spécial du président Ghani : « Il échappe de justesse à une attaque à la roquette alors qu’il était en visite dans le district de Barak pour examiner la situation » [9].
Une prise de contrôle dans le Badakhshan (ou Pamir afghan) pourrait permettre aux Taliban de s’infiltrer dans le Pamir tadjik et le Wakhan, zones hautement stratégiques jouxtant la Chine. Elle leur donnerait aussi, outre des aéroports, le contrôle de l’amorce tadjike de l’axe M41 vers Och et le Ferghana, route importante, sinon essentielle du trafic de drogue.

La marge de manœuvre des néo-Taliban

L’énigme principale est de savoir si les « étrangers » néo-Taliban continueront de s’entendre peu ou prou avec les Taliban pachtouns, voire ouzbeks ou tadjiks qui combattent à leur côté. La communauté d’ethnies [10] et de religion (sunnisme rigoriste) aboutira peut-être à ce résultat.

Le trafic de drogue mené en commun pourrait aussi favoriser la cohésion. Les trafiquants ont besoin aussi bien d’une sécurisation des cultures que celle de la traversée du Pyandj et des itinéraires, notamment sur le territoire tadjik. Une guerre peut favoriser cette sécurisation mais aussi la compromettre, au moins dans un premier temps.

De l’autre côté du Pyandj-Amou Darya, les sympathisants des Taliban et néo-Taliban ne manquent pas, en particulier dans la jeunesse : ils sont surtout trafiquants au Turkménistan et Gorno-Badakhshan tadjik, plutôt religieux extrémistes et islamistes au Tadjikistan, Ouzbékistan, Kyrgyzstan, voire Kazakhstan du Sud et de l’Ouest. Leur aide à des guérilleros peut être considérable. Le recrutement de jeunes gens dans le cadre ou non d’une guerre civile semble assuré au Tadjikistan, Kyrgyzstan du Sud, Ferghana ouzbek et dans la région de Tchimkent, Tarass et Turkestan au Kazakhstan [11].

Avec le Turkestan oriental, ou Xinjiang, les filières terrestres sont beaucoup plus malaisées à installer, mais existent. Certaines, parfois liées à un trafic de drogues, transitent par le Wakhan, le Pamir, la vallée de Garm, le Nord-Pakistan, voire le Cachemire. Elles sont surveillées, notamment dans le Wakhan, par des postes militaires chinois installés sur le territoire tadjik. Il ne fait aucun doute qu’un début de guérilla islamique au Turkestan occidental (ex-soviétique) aurait un énorme retentissement au Turkestan oriental (Xinjiang), région turque la plus mûre avec le Tadjikistan indo-iranien pour une subversion islamiste. Mais le souvenir de la guerre civile sera un frein au Tadjikistan, tout comme l’isolement géographique en sera un autre au Xinjiang.

Néo-Taliban, voire Taliban, trafiquants et combattants de tout acabit auront de toute façon affaire à très forte partie au Nord de la frontière du Pyandj : la 201ème base militaire russe et ses 6000 soldats peut s’y déployer en 24 heures avec ses chars, canons et blindés, et mener une guerre classique [12]. Les gardes-frontières et l’armée tadjike sont en progrès mais ont des capacités moindres. En fait, comme c’est le cas actuellement dans le Donbass, une résistance expérimentée et assez solide pourrait surgir de toute l’ex-URSS de la part des afghantsi, anciens interventionnistes soviétiques en Afghanistan, adversaires redoutables, voici trente ans, des Moudjahidines… Par ailleurs, dans toute l’Asie centrale ex-soviétique, les apparatchiki (gens d’appareil), qui appartiennent surtout à une classe moyenne en plein essor proche de la civilisation russe, devraient organiser une riposte s’ils ne veulent pas perdre par une guerre civile leur mode de vie et les avantages acquis.

Mais le glissement possible vers une guerre islamique de toute l’Asie centrale ou d’une de ses parties nécessite une étincelle, le début d’un processus de désintégration. Ce pourrait être un problème de succession dû à l’effacement des vieux présidents Nazarbaev ou Karimov, une partition (celle du Sud) au Kyrgyzstan ou, tout simplement, une subversion narco-islamiste agencée par les néo-Taliban à partir du Nord afghan en direction du Tadjikistan, voire du Ferghana ouzbek, du Sud kyrgyz ou kazakh. Nous avions insisté en
2014 [13] sur l’importance à l’avenir pour l’Asie centrale de l’islam mafieux : le voici prêt à agir !

 

[1] Bulletin mensuel du CEREDAF n°328, 12/5/2015, p. 2. C’est le point de vue du Haut Conseil pour la paix du Badakhshan directement confronté aux Taliban.
[2] René Cagnat et Sergheï Massaoulov, « Entre Etats-Unis, Chine et Russie, l’enjeu eurasien », Observatoire stratégique de l’espace post-soviétique, IRIS, p.7. Galkynych, gisement de gaz turkmène, est le deuxième en importance au monde (voir ci-après p. 5).
[3] Bulletin du CEREDAF n° 328, p.9 (Tolo News 28/4). Ces groupes appartiennent à des mouvances très diverses ou djamoat ; citons les principales : outre le MIO ouzbek lié au Mouvement islamiste du Turkestan (surtout ouighour), le Djamoat Ansarullokh, surtout tadjik, le mouvement Salafia, le Djamoat Tablig et même le groupe Taliban, etc.
[4] Ibid, p. 2 (Pajhwok Afghan News 20/4).
[5] Ibid, p.6 (Khaama Press 14/04).
[6] On signale, le 30 avril, une opération dans la montagne Alborz de la province jusqu’ici assez calme de Balkh : une centaine de guérilleros s’y seraient réfugiés. (Tolo News, 30/4).
[7] RFELRL du 15/4
[8] Reuters 27/4.
[9] Bulletin du CEREDAF n° 328, p.8 (Khaama press, 27/4).
[10] Les « étrangers » ouzbeks, tadjiks, kirghizes, turkmènes, kazakhs, venus d’Asie centrale ont beaucoup en commun avec les représentants de ces nationalités, installés depuis des lustres en Afghanistan du Nord.
[11] Dans l’Emirat islamique combattraient actuellement 300 Tadjiks, 300 Kyrgyzs, 400 Ouzbeks et Ouighours, 200 Kazakhs, des Ouighours, Turkmènes et Caucasiens en nombre indéfini.
[12] L’effectif de cette grande unité – la plus importante implantation russe à l’étranger – en cours de modernisation pourrait atteindre 9 000 hommes en 2020.
[13] « Entre Chine, Russie et Islam, où va l’Asie centrale? », Diploweb, mai 2014.

Pascal Boniface : « Avec le FC Sochaux, les Chinois peuvent se rendre sympathiques »

Wed, 20/05/2015 - 17:10

D’où vient cet intérêt des sociétés chinoises pour le football européen ?

C’est un mouvement global. Les pays asiatiques sont passionnés de sport, et les paris y sont extrêmement importants. Et on voit de plus en plus de fortunes, personnelles ou de groupe, qui se sont constituées et cherchent à investir dans le sport car elles ont compris, après d’autres, qu’il est un élément de visibilité rapide et populaire. Ils peuvent se faire connaître de façon sympathique.

Pourquoi la France en particulier ?

C’est le bon moment car les clubs ne sont pas chers. Ledus a payé 7 millions pour Sochaux, qui est club historique en France, dispose d’un potentiel intéressant en termes important d’image, de notoriété. Au contraire, en Angleterre les prix sont prohibitifs et l’Allemagne interdit des partenaires étrangers majoritaires dans ses clubs. Le foot italien et espagnol se porte économiquement mal. Donc la France paraît attractive et moins onéreuse.

Est-ce la même motivation que le Qatar ?

Le Qatar a montré l’exemple. Le succès économique des Chinois est plus ancien, mais leurs investissements à l’étranger plus récents. Des fortunes se tirent la bourre et, pour se distinguer, se servent de leur surplus économique dans le football.

Cet engagement est-il durable ?

Cela dépend si ce sont des investissements personnels ou de société. On a vu avec Mammadov pour Lens que quand une personne est seule, elle est soumise aux aléas et le vent peut tourner. Avec Rybolovlev à Monaco aussi, son divorce lui a coûté cher, et même s’il est resté, il a dû changer de politique. Les investissements d’une firme sont plus pérennes que ceux d’un milliardaire.

Faut-il se réjouir l’arrivée de capitaux étrangers en France ?

Pour un club comme Sochaux, c’est forcément une bouffée d’oxygène par rapport à leur situation : le club est descendu l’an dernier, le propriétaire historique (PSA-Peugeot, ndlr) ne peut pas mettre d’argent, le centre de formation n’est pas mis en valeur comme avant… Même si l’investissement chinois n’est pas à long terme, s’il leur permet de revenir en Ligue 1 dans les deux ans, ce sera déjà ça ! Il y a plein de clubs à vendre. Et pour suivre sportivement, leurs dirigeants savent que les capitaux étrangers sont les bienvenus.

Ramadi/Palmyre : les combats contre Daech sont-ils efficaces ?

Wed, 20/05/2015 - 12:36

Ramadi, capitale de la plus grande région de l’Irak (al-Anbar), est tombée aux mains de l’organisation de l’Etat islamique (Daech) le dimanche 17 mai 2015. Presque un an après la chute de Mossoul, comment expliquer cette nouvelle débâcle de l’armée irakienne ?
Il peut y avoir une ressemblance entre la débâcle, en juin 2014, de Mossoul et celle de Ramadi. Mais cette ressemblance n’est que d’apparence. L’offensive surprise de l’organisation de l’État islamique (Daech) contre Mossoul a révélé l’état de l’armée irakienne, une armée dissoute depuis les premiers jours de l’invasion américaine. Après le retrait américain fin 2011, Bagdad a voulu mettre sur pied une armée digne de ce nom mais cette volonté s’est heurtée à la division communautaire au sein de ses rangs. L’armée irakienne souffre de plusieurs défauts : manque d’armements, manque de formation adéquate, faiblesse criante du commandement. De l’autre côté, des officiers de l’armée de Saddam Hussein sont intégrés en partie dans le commandement militaire de Daech.
Un an après Mossoul, l’Irak ne s’est toujours pas doté d’une armée puissante, même si les Américains ont multiplié le nombre de leurs instructeurs sur place et que Bagdad a acheté des armes aussi bien aux Etats-Unis qu’à la Russie. Le pays n’a par ailleurs toujours pas d’aviation forte. La libération de la ville de Tikrit, il y a quelques mois, est un trompe-l’œil. Ce sont « les unités de mobilisation populaire » (des miliciens chiites) qui ont joué le rôle principal dans cette victoire sur Daech.
La chute de Ramadi, contrairement à Mossoul, n’est pas une surprise. Cette ville, comme l’ensemble de la province al-Anbar, a été dès le début de l’invasion américaine le fief des djihadistes. Les organisations mères de Daech sont nées dans cette ville. Les Américains n’avaient d’ailleurs pas exclu, plusieurs jours avant la chute de la capitale de l’al-Anbar, province sunnite, que la chute de Ramadi pourrait avoir une importance symbolique pour Daech mais pas une importance stratégique.

A contrario, l’armée syrienne a le même jour réussi à repousser Daech de la ville antique de Palmyre grâce à une offensive musclée. Quel était l’objectif de Daech en attaquant cette ville, sans réel intérêt militaire pour eux ?
L’armée syrienne a en effet repoussé Daech de Palmyre, lors d’un premier affrontement, mais les combats se poursuivent. Daech a lancé dimanche une pluie de roquettes et de missiles sur Palmyre. Le fait que l’organisation djihadiste soit capable de mener des offensives sur plusieurs fronts, avec un armement sophistiqué, soulève la question de l’origine de ces arsenaux. D’ailleurs, l’une des raisons de la débandade de l’armée irakienne à Ramadi a justement été le manque de munitions et d’hommes face à des djihadistes très bien équipés.
Un autre volet important de la stratégie de Daech est précisément la communication. Dans ce domaine, ils ont montré un étonnant professionnalisme et beaucoup d’efficacité. L’objectif est double : des actions spectaculaires comme des décapitations de détenus ou la destruction des vestiges de civilisations anciennes appartenant au patrimoine de l’humanité. Ces actions lui assurent la couverture des médias en Occident et ailleurs. C’est un moyen d’attirer et de mobiliser ses partisans qui désormais ne se limitent plus à l’Irak et à la Syrie. De l’Afrique, notamment la Libye qui pourrait être le premier pays de Daech, jusqu’au Pakistan et à l’Afghanistan, le groupe djihadiste a réussi à étendre son influence.

Où en est l’action de la coalition internationale contre l’État islamique ? Au vu des derniers avancements sur le terrain de Daech, peut-on considérer cette coalition, et principalement les raids aériens menés, comme efficaces ?
La chute d’une ville de 400 000 habitants, à 110 kilomètres de Bagdad, est un échec cuisant pour la stratégie de la Coalition internationale mise en place de concert avec le gouvernement irakien. Cette stratégie consistait en un engagement militaire contre Daech, principalement par voie aérienne. Si l’efficacité des bombardements aériens des positions de Daech a finalement permis aux combattants Kurdes de Kobané de résister aux assauts multiples de Daech en Irak, ils restent moins efficaces. Le deuxième volet de cette stratégie prévoyait un renforcement de la capacité de défense irakienne. Enfin, le volet le plus important et le plus efficace de cette stratégie n’était pas annoncé et officialisé : il s’agissait du rôle de l’Iran, via la présence de conseillers militaires iraniens sur le terrain ou par des aides apportées aux combattants kurdes et aux milices chiites.
L’engagement iranien, clairement affiché lors de la libération de la ville de Tikrit, a profondément inquiété l’Arabie saoudite, officiellement membre de la Coalition, mais aussi rivale de l’Iran. Sous la pression, le Premier ministre irakien M. Haïder al-Abadia, a voulu limiter le rôle de ces milices chiites, pourtant théoriquement sous son autorité. Il est néanmoins contraint de faire à nouveau appel à ces combattants, mieux formés et surtout motivés pour combattre Daech, qui a fait de la lutte contre les chiites son premier objectif.

Hiroshima : comment la société japonaise s’est-elle appropriée cette catastrophe ?

Tue, 19/05/2015 - 18:11

Barthélémy Courmont est chercheur associé à l’IRIS, rédacteur en chef de « Monde chinois, nouvelle Asie ». Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Le Japon de Hiroshima. L’abîme et la résilience » (ed. Vendémiaire) :
– Pouvez-vous nous rappeler le contexte du lancement de la bombe sur Hiroshima ?
– De quelle manière la société japonaise s’est-elle appropriée la catastrophe d’Hiroshima ?
– Quelle perception les Japonais ont-ils aujourd’hui de la question du nucléaire après la catastrophe de Fukushima ?

« La paix n’aura pas lieu : Israël-Palestine » – 3 questions à Pierre Puchot

Tue, 19/05/2015 - 11:01

Pierre Puchot est reporter Maghreb & Moyen-Orient à Médiapart. Il répond à nos questions à l’occasion de son nouveau livre « La paix n’aura pas lieu », paru aux éditions Don Quichotte.

1) Le résultat des élections législatives israéliennes et la composition du nouveau gouvernement viennent-ils confirmer le pronostic contenu dans le titre du livre ?

Hélas, oui. Aucune force politique, en dehors de la Liste unifiée, ne propose autre chose sur le dossier israélo-palestinien que de continuer à s’inscrire dans le processus d’Oslo, sans pour autant se donner les moyens de parvenir à des négociations équitables, qui permettent in fine aux Palestiniens d’obtenir un Etat viable. L’une des conditions d’existence de cet Etat est le retrait des colonies de Cisjordanie, retrait qui n’est envisagé à ce jour par aucune des principales forces politiques du pays, hormis cette Liste unifiée.

2) Pourquoi écrivez-vous qu’ « Israël n’a jamais été aussi radicalisé à droite et son armée si violente » ?

Vingt ans, déjà, se sont écoulés depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995, par un extrémiste juif. Depuis, le conflit au Proche-Orient est parvenu à un point de non-retour : la guerre à Gaza, à l’été 2014, en est la preuve flagrante. Tous les dix-huit mois, une nouvelle confrontation survient, et la question n’est plus de savoir si mais quand le prochain conflit armé éclatera. Vingt ans après la mort de Rabin et la signature des accords d’Oslo, Israël n’a jamais été aussi radicalisé à droite, son armée si violente : Gaza n’a jamais subi de destructions aussi massives ; jamais autant de roquettes n’ont été tirées par le Jihad islamique et le Hamas ; jamais autant de civils palestiniens n’ont péri sous les bombes israéliennes. Fin 2014, au lendemain de l’offensive « Bordure protectrice », la droite israélienne a promu davantage de lois ségrégationnistes à l’Assemblée. Jamais le fossé entre les deux peuples n’a paru si grand. Vingt ans après la poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, comment en est-on arrivé-là ?

Oslo, tout d’abord : entérinant la création de l’Autorité palestinienne et prévoyant le retrait progressif des forces israéliennes des territoires occupés, la signature des accords en 1993 1994 devait permettre à terme l’établissement d’un État palestinien viable, au-delà des frontières arrêtées à l’issue de la guerre de 1967. C’est tout le contraire qui s’est passé. Sous la pression des États-Unis, l’Autorité palestinienne est devenue un relais sécuritaire pour Israël. Et Oslo a conduit à la fragmentation de la Cisjordanie en plusieurs zones (A, B, C), utilisées par Israël pour isoler les Palestiniens entre eux et transformer ce territoire en une série de bantoustans. Au bout du compte, la situation est devenue bien plus problématique qu’avant 1994. Un seul coup d’œil aux cartes qui figurent au début de ce livre suffit pour s’en convaincre.

L’impasse actuelle n’est ni le résultat d’une fatalité pour deux peuples que rien ne pourrait permettre de cohabiter, ni la conséquence d’une guerre de religion sans fin. Il s’agit, en réalité, de l’aboutissement d’un déséquilibre, d’un système de négociations bipartites biaisé, entre un État souverain (Israël), en capacité d’imposer sa politique de colonisation, et une population (palestinienne) sans État ni leviers politiques pour y résister, au gouvernement divisé, sans contreparties à offrir à Israël en échange d’un retrait de colons de Cisjordanie. Paradoxalement, alors même qu’ils en avaient fait la promotion, les accords d’Oslo ont signé l’arrêt de mort de la solution à deux États et, du même coup, réduit à néant les espoirs de paix à court terme. Nous reviendrons sur ces vingt années de négociations stériles, et sur ce déséquilibre accentué par la passivité de la communauté internationale et l’absence de vision pour la région, d’une administration Obama qui a failli à sa tâche.

3) Comment expliquer l’échec d’Obama à relancer réellement le processus de paix ?

Le tournant date sans doute de l’automne 2011. La secrétaire d’État d’alors, Hillary Clinton, se rend le 31 octobre à Abou Dhabi (Émirats arabes unis) et Jérusalem, auprès de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, puis de Benjamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël. La secrétaire d’État crée alors la surprise en saluant les efforts d’Israël, en dépit du refus de ce dernier de geler la colonisation et les constructions en Cisjordanie (condition préalable à une reprise des négociations pour les Palestiniens). « Ce que nous avons reçu des Israéliens est sans précédent » et constitue « un mouvement positif » mais « ce n’est pas ce que nous préférons », a par la suite précisé la secrétaire d’État. « C’est comme pour les progrès faits par les Palestiniens en matière de sécurité », a-t-elle dit. Voilà les États-Unis convertis au concept de « gel partiel » des colonies inventé par Netanyahou. La diplomatie américaine est ridiculisée.
Pis : en 2011, Barack Obama met en garde les Palestiniens contre toute tentative d’« isoler symboliquement Israël aux Nations unies en septembre », leur demandant de ne pas proclamer la création d’un État indépendant à cette occasion.

Aux États-Unis, les analystes en avaient de toute façon fait le pari dès le début du premier mandat : l’administration Obama reculerait sur ce dossier plutôt que d’essuyer un revers qui l’affaiblirait, dans la perspective d’une réélection trois ans plus tard. C’est d’autant plus problématique qu’in fine, c’est aussi cette vision de court terme, amorcée par Bush et prolongée par l’administration Obama, qui pousse la droite israélienne à croire que son projet politique de toujours, le grand Israël de Jabotinsky, est plus que jamais possible, au détriment des Palestiniens.

Fragile in Every Sense of the Word – Nepal’s Political Crisis

Mon, 18/05/2015 - 17:40

Next year marks the 10th anniversary of the end of Nepal’s civil war, a conflict that resulted in the deaths of approximately 18,000 Nepalese and the displacement of around 100,000 more. A decade of violence and political turmoil was ended with the signing of the Comprehensive Peace Accord by the government and Maoist rebels. It was also accompanied by an agreement to draft a new political constitution for the former mountain kingdom. However, vested political interests and bad governance have once again brought a negotiation process that formally began in 2008 to a grinding halt. As a result, concerns are growing that Nepal might soon be in for another round of political upheaval – at a time when it needs it the least.

Sticking Points

The events of 22nd January amply demonstrate the potential for crisis inside this poor, fragile and now devastated state. The most recent attempt to reach a consensus on a new constitution was marred by violence between members of Nepal’s Constituent Assembly. It was the fourth time since 2010 that lawmakers have attempted to finalize the new constitution’s text. The reasons for this breakdown are all too familiar: political and ethno-religious interests continue to trump pragmatism and political expediency. The complacency and self-interest of many Nepalese lawmakers should also be taken into account. Indeed, the last significant piece of progress dates back to 2007, when a simple interim draft to govern national affairs was agreed upon.

Accordingly, the disturbance also reflects that the ‘sticking points’ between Nepal’s rival political factions have changed very little over the past few years. For instance, debates continue to rage over whether Nepal should be a secular or Hindu state as well as the final shape of country’s electoral system. Of equal (if not greater) importance is the final composition of the federal democratic republic that replaced two centuries of monarchical rule. Debates here continue to reflect the gulf between the coalition government of Prime Minister Sushil Koirala and the Maoist/Madhesi opposition. While the Nepali Congress-CPN-UML coalition is pushing for a smaller federation of six to eight states, opposition politicians continue to demand almost double this number.

The Maoist and Madhesi opposition’s support is based around their heartlands in the south of the country. Both groups want a federal system that better reflects Nepal’s diverse and complex ethnic mix. For its part, the Koirala government remains opposed to these demands, arguing that this approach would aggravate ethnic tensions and undermine a much-needed national unity. As a result, the coalition is determined to push through proposals for a federal system based on geographical rather than ethno-religious logic. The opposition, understandably, views this proposal as a recipe for further disaster.

Towards a Jana Andolan III?

Nowhere are these differences of opinion more keenly felt than on the Terai plains. Located along the border with India, the region accounts for 1/5 of Nepal’s landmass and is home to approximately 50% of its population. The Terai is also the home of the Madhesi community, an ethnic group that’s culturally and linguistically distinct from Nepal’s northern tribes. For this reason, Madhesi activists continue to lobby for a different administrative status from the rest of the country, a demand that’s bitterly opposed by the Koirala administration. So far, protestors have preferred to take non-violent forms of action against the government. However, patience is beginning to wear thin among some activists.

That said, activists from all of Nepal’s ethnic groups continue to feed off the uncertainty caused by Kathmandu’s failure to draft a workable constitution and improve the country’s parlous economic conditions. It’s estimated that a quarter of the Nepalese population lives below the poverty line on an annual income of less than 600 Euros. Moreover, a quarter of the country’s gross domestic product (GDP) can be attributed to the vast Nepalese diaspora. In response, Nepal has been plagued by general strikes and sporadic outbursts of pro- and anti-government protests since at least 2006. To further complicate matters, there have been no less than seven changes of government over the past seven years. This is just as much a reflection of the negligence and ineptitude of Nepal’s political elite as it is the general unease among the wider population.

As things stand, Nepal is currently ranked 126th out of 174 countries by Transparency International’s Corruption Perceptions Index. Many Nepalese also view the country’s political parties and legislature as hotbeds of cronyism and nepotism. It’s much the same with public appointments, with the opening line of the Nepal section of the Global Corruption Report stating:

‘’With the exception of recruitments dealt with directly by the Nepal Public Service Commission, nepotism in appointments is systematic in Nepal. Government schools are no exception’’.

Such perceptions have undoubtedly created a sense of disillusionment among Nepal’s electorate. This is further compounded by research suggesting that the country’s military, media outlets, religious bodies and business community are also viewed with a fair degree of cynicism. As a result, many Nepalese do not expect the current social, economic and political system to improve living standards, enhance transparency and provide opportunities for greater participation in the country’s politics.

One can only imagine how the recent earthquakes will impact upon Nepal’s already less-than-ideal social and economic conditions. For the time being, however, public dissatisfaction and political dissent is likely to give way to the need to rebuild the country’s infrastructure. This also means that a return to the more extreme political protests that blighted Nepal between 1990 and 2006 is unlikely to happen in the months ahead. Dialogue on a new constitution will be placed on the backburner, and troops will be (re)mobilized to aid recovery efforts rather than breaking up political protests. It also remains to be seen whether the recovery from this latest natural disaster will instill a new sense of identity among Nepal’s disparate ethnic groups.

In the Wings

The earthquake crisis is also likely to have a temporary impact on the strategic calculations of Nepal’s largest neighbors, China and India. Of the two, the latter currently has a greater vested interest in the long-term fate of the country. Kathmandu’s relations with New Delhi were cemented in 1950 with the signing of the Treaty of Peace and Friendship. An estimated 600,000 Indians currently live in Nepal, thereby expanding the country’s Hindu community and making a significant contribution to the economy. India also accounts for approximately 40% of foreign direct investment (FDI) into Nepal, as well as two-thirds of its foreign trade. However, a number of high-profile energy projects – such as the Raxaul-Amlekhgunj pipeline – have stalled as a result of the country’s political instability.
By comparison, Nepal’s relations with China remain a ‘work in progress’. In December 2012, Nepal’s foreign minister Mahendra Bahadur Pandey used his trip to China to confirm the Koirala government’s admiration for Beijing’s “peripheral diplomacy” and “development cooperation relations”. He also confirmed Kathmandu’s interest in being part of China’s ambitious Silk Road initiative. While Nepal has little to offer in the way of natural resources or manufactured goods, its involvement in one of Beijing’s flagship projects will enhance connectivity between South Asia and China. It will also provide Beijing with a greater degree of influence over a state that was once thought to be exclusively in New Delhi’s strategic backyard. Indeed, China can now stake its claim with an even greater degree of confidence now that it has replaced India as the largest contributor of FDI into Nepal.

The strategic rivalry between Beijing and New Delhi is also being played out in Nepal’s post-earthquake recovery efforts. Despite geographical proximity, neither side is prepared to coordinate their emergency and rescue activities. But that’s not to say that both countries are completely locked into a game of one-upmanship over Nepal. There are many issues where Beijing and New Delhi share mutual interests and concerns, including a desire to see the establishment of a bona fide federal republic and an end to political unrest. Just don’t expect either side to work together to resolve them.

Post-recovery

As stated earlier, efforts to rebuild the country following two earthquakes that have killed almost 10,000 Nepalese will, for the time being, take precedence over creating a political constitution. However, once rescue and reconstruction efforts have ended, the international community is likely to be confronted by an all-too-familiar Nepalese state. Elites from across the political and ethnic divides will remain locked in a battle over the future shape and trajectory of the country – much to the chagrin of ‘ordinary’ Nepalese citizens. Further social unrest inside this isolated and landlocked Asian country cannot (and should not) be ruled out.

Vers un nouveau partenariat entre collectivités territoriales et grandes ONG humanitaires ?

Mon, 18/05/2015 - 10:00

Les collectivités territoriales sont-elles des nouveaux acteurs de l’humanitaire ?
Jacques Serba : Cela dépend de ce que l’on entend par « acteur humanitaire ». Mais il est vrai qu’aujourd’hui nombreux sont ceux, et les membres présents lors de la dernière Commission Nationale Humanitaire (CNH) en premier lieu, qui voient dans les collectivités locales, les entreprises et leurs fondations de nouveaux venus dans l’action humanitaire [1]. S’agissant des entreprises elles-mêmes, on soulignera néanmoins, avec une pointe d’ironie, que le geste humanitaire réussit le tour de force de fondre l’intérêt général dans l’intérêt particulier. Mais peut-être n’est-ce qu’une lecture très libérale du mécénat par certains observateurs et non un dégât collatéral du mécénat.
L’intérêt apparemment manifesté pour les collectivités locales lors de la CNH correspond tout d’abord à une reconnaissance par l’État et les grandes organisations non-gouvernementales (ONG) de la place des collectivités territoriales, et corrélativement des associations locales, qui participent à la solidarité internationale de proximité, pour reprendre un terme cher aux collectivités territoriales. Lors de la 2ème Conférence humanitaire, qui s’est tenue à Paris en mars 2014, les participants ont effectivement reconnu que les collectivités territoriales sont des acteurs de l’humanitaire et qui, « en plus d’apporter des fonds, (…) apportent leurs valeurs et leur savoir-faire, dans un contexte de décentralisation dans la plupart des pays bénéficiaires de l’aide ». C’est d’ailleurs quelques mois après la CNH que l’article L1115-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), dans sa version du 7 juillet 2014, a consacré pleinement sur le plan juridique l’action humanitaire des collectivités territoriales, sans la limiter aux situations d’urgence comme en 2007 : « Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire ». L’action humanitaire est désormais sûrement d’intérêt local, et il n’est plus nécessaire de procéder à l’exégèse de la clause de compétence générale – dont le sujet est à l’ordre du jour de la Réforme territoriale – et de l’article 72 de la Constitution.

Si sur le plan juridique, les collectivités territoriales sont de nouveaux acteurs de l’humanitaire, pour autant elles avaient développé une longue expérience à l’international avant la sécurisation juridique de 2007…
Pierrick Le Jeune : Il est indéniable que les collectivités territoriales, avec leur kyrielle d’associations locales, au sortir de la Seconde Guerre mondiale puis du fait de la politique de décentralisation, ont joué un rôle que l’on n’a pas assez mesuré objectivement. Les chiffres du Ministère des Affaires étrangères et du Développement international (MAEDI) donnent cependant une certaine idée de la discrète ampleur du phénomène : environ 5 000 collectivités territoriales françaises interviennent auprès de 10 000 collectivités, dans près de 150 pays. Si l’action extérieure des collectivités territoriales se déroule principalement en Europe, de nombreux projets d’aide au développement et à caractère humanitaire ont vu néanmoins le jour notamment dans les pays du Sud. Ainsi par exemple, le Mali, le Burkina Faso et le Sénégal, à eux seuls, abritent 1 300 projets, soit 10 % des projets recensés par le MAEDI. Désormais, l’État et les collectivités disposent d’outils au sein de la Commission Nationale de la Coopération Décentralisée (CNCD) et la Délégation pour l’Action Extérieure des Collectivités Territoriales (DAECT) non seulement pour mieux prendre la mesure du phénomène, mais aussi pour aider au pilotage des projets et actions.
Cela étant, les collectivités territoriales sur le plan de la stratégie humanitaire sont engoncées entre le respect des engagements de l’État ( voir le début de l’article L1115-1 du CGCT) et des principes du service public, les contraintes budgétaires et les attentes de la société civile locale, engagée dans l’action humanitaire selon des modalités d’action indéniablement plus offensives que celles déployées par les collectivités locales. Les contraintes qui pèsent sur les collectivités territoriales limitent leur capacité à définir en toute indépendance leur propre « cadre d’intervention ». Or, cette indépendance est une marque de fabrique des acteurs humanitaires comme l’a dit Rony Brauman lors d’une interview donnée à Grotius international [2].

Vous faites implicitement référence au débat ouvert par la prise de position de la RATP au sujet d’une campagne d’aide au profit des chrétiens d’Orient et à la grogne des élus locaux face aux réductions des dotations en provenance de l’État. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Jacques Serba : Il ne s’agit pas de revenir sur la violente polémique que nous avons connue récemment, mais de rappeler, comme le fait Pierrick, que le sujet de la neutralité du service public confronté à une action humanitaire n’est pas nouveau. Par exemple, dans un arrêt du 23 octobre 1989, le Conseil d’État a confirmé l’annulation des délibérations des communes de Pierrefitte-sur-Seine, de Saint-Ouen et de Romainville au motif qu’elles reflétaient un parti pris dans un conflit de nature politique à l’étranger. Les conseils municipaux avaient octroyé des subventions au comité « 93 Solidarité Nicaragua libre » ou au comité « Un bateau pour le Nicaragua » afin que soient apportés des secours matériels à la population, mais en imputant expressément à l’État nicaraguayen les difficultés économiques, sanitaires et sociales rencontrées par la population.
Les délibérations des collectivités sont transmises au Représentant de l’État qui dispose du pouvoir de déférer au juge administratif les actes qu’il estime contraires à la légalité. On est très loin de la possibilité des associations humanitaires de déployer des actions de plaidoyer (advocacy) contre les Etats. On pourrait également imaginer un jour un juge refuser une subvention au motif qu’elle ne vise pas au sens strict une action humanitaire. Il ne faut pas perdre de vue que même le Bulletin Officiel des Finances Publiques au sujet du mécénat humanitaire n’autorise pas toutes les conceptions de l’action humanitaire.
Après l’effet de ciseaux sur leurs fonds propres, les collectivités sont confrontées à la réduction des dotations d’État. On évoque 11 milliards d’euros entre 2015 et 2017. Si on peut craindre la réduction des investissements des collectivités territoriales, malgré les mesures de compensation prises, on peut également craindre la baisse des aides destinées à la solidarité internationale. Les collectivités arbitreront peut-être au détriment du nouvel outil que constitue le FACECO qui a pour objectif « d’apporter une réponse d’urgence efficace et pertinente, de coordonner les énergies et les moyens quand survient la crise et de garantir la traçabilité des fonds versés ». Ce fonds de concours est en effet piloté par le Centre de crise, mais aussi par des représentants des collectivités territoriales contributrices.

Quelles solutions pour les collectivités locales aux budgets contraints ?
Pierrick Le Jeune : Après leur position de bailleurs, avec notamment la loi Oudin-Santini et celle du 7 juillet 2014 relatives au « 1% déchets ménagers » [9], les collectivités locales peuvent nouer de véritables partenariats stratégiques avec de grandes ONG, non seulement celles qui fonctionnent avec des fonds publics, mais aussi celles qui disposent de moyens propres importants et dont l’identité forte permet de coopérer tout en restant à distance des décisions publiques.
Les associations humanitaires ont besoin de monter en puissance dans l’approche urbaine de leurs missions. Selon ONU-habitat, 60 % de la population africaine sera urbaine en 2030 [3]. Si les États doivent s’adapter à cette nouvelle donne, les associations humanitaires également : adapter leur approche, leurs outils d’analyse, leurs moyens, peut-être même leurs missions, et ce d’autant plus que ceux qui sont poussés vers les villes et les mégapoles ne reviennent plus sur leurs pas.
La montée en puissance des associations humanitaires est plus politique que technique. Il ne s’agit pas pour elles d’investir l’arène politique locale, voire de repenser la ville, mais de mieux maîtriser les enjeux de la décentralisation, la gouvernance et les politiques publiques locales. Il s’agit aussi de mieux comprendre les enjeux de pouvoir locaux qui se manifestent légalement mais aussi dans les pactes de corruption, voire dans les rangs des gangs qui contrôlent tout au partie de l’espace public. L’action extérieure des collectivités françaises – les réseaux des villes – peuvent être des portes d’entrée et des lieux d’expertise pour les associations humanitaires. Les collectivités, en échange, peuvent bénéficier des savoir-faire et de la vision de terrain des grandes associations humanitaires.

En conclusion, selon vous, les grandes associations humanitaires peuvent se renforcer au contact des collectivités locales?
Jacques Serba : Avec Pierrick, nous avions dénoncé l’expression péjorative « Les émeutes de la faim » dans un article paru dans Marianne 2 en 2009 [4]. Repenser l’expression « émeutes de la faim », c’est déjà faire un pas vers la compréhension des enjeux sociaux qui s’expriment dans les villes.
Pierrick Le Jeune : En nouant de nouveaux partenariats stratégiques avec les collectivités territoriales, les grandes associations humanitaires pourraient ainsi faire échec, dans une certaine mesure, à la critique de certains analystes qui voient dans la méconnaissance des processus décisionnels publiques une faiblesse des ONG.

 

Jacques Serba et Pierrick Le Jeune sont juristes en droit public, chercheurs associés à l’IRIS, et également engagés dans le domaine humanitaire. Ils codirigent notamment l’Institut de Préparation à l’Administration Générale de Brest (IPAG) qui organise régulièrement des cycles de conférence ou des séminaires sur les thèmes de l’administration, de la Fonction publique, mais aussi sur les questions humanitaires. L’IPAG de Brest délivre un Master 2 en administration et management public. Une convention de Validation des Etudes Supérieures existe entre l’IRIS et l’IPAG de Brest.

Références :
[1] CNH 2014, Synthèse des débats, p.2
[2] Brauman, Rony, Médecins sans frontières ou la politique assumée « du cavalier seul »
[3] ONU-habitat, Loger les pauvres dans les villes africaines, p.6
[4] Serba Jacques, Le Jeune Pierrick, Vers de nouvelles émeutes de la faim?

Libertariens, riches et têtus : les frères Koch sont un danger pour Obama et la démocratie

Thu, 14/05/2015 - 09:56

Les frères Charles et David Koch sont à la tête de Koch industries, conglomérat spécialisé dans le pétrole, la chimie, le papier, les engrais, la finance, l’élevage etc. Leur fortune personnelle est évaluée à 40 milliards de dollars chacun.

Ils sont libertariens, c’est-à-dire partisans d’un libéralisme économique absolu, réclamant l’intervention minimum de l’État en tous domaines.

Leur père a fait fortune dans le pétrole en Union soviétique du temps de Staline, ce qui ne l’a pas empêché de nourrir une logique anticommuniste virulente. Il a fondé en 1958 la John Birch Society, luttant contre la prise du pouvoir des communistes aux États-Unis, perspective pourtant assez lointaine.

En 1980, ils ont soutenu Ed Clark, candidat du parti libertarien, qui proposait la suppression du FBI, de la CIA, de l’impôt sur le revenu et des pensions publiques.

Cela n’a pas réussi, mais les frères Koch semblent aujourd’hui mieux organisés. Fini le soutien aux candidats folkloriques, désormais ils veulent porter le parti républicain au pouvoir aux États-Unis.

Une influence tentaculaire

Ils sont aujourd’hui vent debout contre l’Obamacare et prônent la suppression de l’agence fédérale de protection de l’environnement. C’est leur conviction mais également leur intérêt. Leurs industries sont très polluantes, la suppression de l’impôt leur conviendra très bien.

Les frères Koch se sont en effet intéressés de près au débat d’idées. Ils ont subventionné ou créé un système de fondations, de think tank, au point que certains parlent de « kochtopus », par référence aux tentacules de la pieuvre.

Ils sont largement à l’origine de la montée en puissance du Tea Party, qui a fait une entrée en force à la Chambre des représentants, en 2010, sur des bases très réactionnaires.

Ils ont créé un nombre de structures à but non lucratif, mais idéologiquement très intéressées, des think tank ou associations qui travaillent sur des thématiques, qui servent les intérêts des frères Koch et de leur industrie. L’idée est de limiter au maximum l’action de l’État et de laisser le marché régir l’économie.

Revendications et dérégulations économiques

La Cato Institute, créée en 1977, dont ils ont pris le contrôle récemment, emploie cent personnes qui plaident pour la réduction des impôts des services sociaux et des politiques environnementales. Selon cet institut, « les théories du réchauffement climatique donnent plus de contrôle sur l’économie au gouvernement. »

Le Mercatus center, doté d’un budget de 30 millions de dollars, prône la dérégulation économique.

Des associations de citoyens ont été subventionnées (de façon défiscalisée) : Citizens for a sound economy, qui qualifie les pluies acides et autres preuves environnementales de mythes, American for prosperity, qui dispose de 600 permanents et qui a œuvré pour la victoire des candidats du Tea Party aux élections de 2010, dénonçant le communisme d’Obama.

L’Heritage foundation : au sein de cette structure a été créé Heritage action, destiné à lutter contre l’Obamacare, avec un budget de 5,5 millions de dollars.

300 millions de dollars pour choisir le meilleur candidat

Ils ont annoncé vouloir dépenser personnellement 300 millions de dollars pour sélectionner le meilleur candidat républicain, et promettent, avec leurs alliés, d’investir 800 millions d’euros pour la campagne républicaine en vue des élections de 2016.

Les frères Koch ont leurs idées et c’est leur droit.

Le problème est l’influence qu’ils peuvent exercer, grâce à leur fortune, sur l’opinion publique américaine. Et c’est là que se pose un problème de fond : quelles sont les limites de la démocratie ? Quel est le poids de l’argent dans le débat public ?

L’avenir de la démocratie se joue ici

À un moment où l’opinion, grâce aux réseaux sociaux, se renforce, n’assiste-t-on pas à un renversement de la tendance par la manipulation des informations, du fait de la fortune de quelques-uns ? Il y a un double-mouvement. L’émancipation des individus et des peuples, grâce à l’éducation et aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, et le rôle croissant des grandes fortunes sur la vie politique : milliardaires américains, récents ou anciens, oligarques russes ou ukrainiens.

La globalisation a aussi permis la constitution rapide de fortunes faramineuses. Certains, conscients que le poids de l’opinion est plus important qu’auparavant, veulent du coup l’orienter et s’en donner les moyens.

L’avenir de la démocratie se joue ici, entre la mobilisation des citoyens et l’influence des milliardaires oligarques, dont l’objectif n’est pas forcément l’intérêt général (ni l’intérêt national d’ailleurs).

Affrontements en Macédoine : faut-il craindre un nouvel embrasement dans les Balkans ?

Wed, 13/05/2015 - 12:47

Goran Sekulovski, spécialiste de la Macédoine, professeur à l’Institut Saint-Serge, répond à nos questions :
– Dans quel contexte politique et social se sont tenus les affrontements en Macédoine ? Existe-il un lien avec le conflit de 2001 ?
– Ces troubles sont-ils le fait de conflits interethniques ou de la crise politique que traverse la Macédoine actuellement ?
– La communauté internationale a-t-elle un rôle à jouer dans l’apaisement des tensions ? Comment réagissent les pays voisins de la Macédoine ?

Victoire de David Cameron : quels sont les enjeux de sa réélection pour le Royaume ?

Tue, 12/05/2015 - 14:47

Défiant tous les sondages, David Cameron a été réélu en obtenant la majorité absolue à la Chambre des communes, avec 331 sièges. Comment comprendre cette victoire ?
C’est en effet un scénario que personne n’attendait. David Cameron semble avoir gagné cette élection essentiellement sur le terrain de l’économie, qu’il a réussi à faire repartir et qui a finalement pesé plus lourd que l’effet de l’austérité sur le pays. Au-delà de la personnalité de David Cameron elle-même, qui ne suscite pas toujours une adhésion débordante, les Britanniques ont vu un dirigeant fort, crédible économiquement, et qui n’a pas hésité à prendre les décisions qui s’imposaient. Cependant, l’analyse des résultats de cette élection ne fait que commencer, notamment pour les travaillistes qui vont devoir engager une vraie réflexion, eux qui n’ont pas gagné d’élections sans Tony Blair depuis 1974. Peuvent-ils gagner une élection sans mordre sur le centre, dans un pays modéré, qui penche au centre droit ? Des interrogations se posent aussi pour les instituts de sondages, qui ont du mal à lire le vote conservateur. Ce cas de figure s’est déjà produit plusieurs fois par le passé, notamment en 1992 où l’écart entre les estimations et le vote conservateur avait été de presque 10%. Jusqu’à la veille de l’élection, un gouvernement de coalition mené par les travaillistes semblait encore le scenario le plus probable.

David Cameron, pendant sa campagne, a promis à ses électeurs la tenue d’un référendum sur le maintien ou non du Royaume Uni au sein de l’Union européenne (UE). Il souhaite négocier avec Bruxelles une réforme du fonctionnement de l’Union. Quelle est-elle ? Selon vous, y a-t-il un risque sérieux de voir le Royaume-Uni quitter l’UE ?
La sortie du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne aurait paru entièrement inconcevable il y a de cela quatre ans, rappelons-le tout de même. Le 23 janvier 2013, David Cameron a promis un referendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, décision qu’il a prise essentiellement pour des raisons de politique intérieure. Elle était destinée à tenter d’endiguer la montée du UKIP, qui se nourrit essentiellement de l’euroscepticisme et de l’aile droite de son parti. Le résultat de ces élections peut justifier cette décision « tactique », puisqu’en dépit d’avoir dicté un certain nombre des thèmes de la campagne, le UKIP se retrouve marginalisé et n’a remporté qu’un seul siège à la Chambre des Communes. Cameron a retrouvé une marge de manœuvre et pourra user de la légitimité que lui donnent ces résultats. Reste que sa majorité demeure très limitée, à l’instar de celle de John Major en 1992, qui lui avait éprouvé de grandes difficultés à sortir de l’ornière de l’euroscepticisme de son parti. Les libéraux démocrates, qui se sont effondrés, n’auront plus l’influence positive qu’ils avaient dans la coalition depuis 2010 sur les relations du Royaume-Uni avec l’UE, et Cameron éprouvera paradoxalement plus de difficultés dans ses relations avec l’aile droite de son parti.
De ce point de vue, il doit naviguer un paradoxe dans les négociations à venir : il devra donner suffisamment de gages de bonne volonté tant à l’aile droite de son parti qu’à ses partenaires européens. C’est un exercice des plus délicats. S’il veut arriver à quelque chose en Europe, il devra faire preuve de plus de doigté que ce dont il a fait preuve jusqu’à présent : être constructif, ne pas braquer, écouter et dialoguer sans trop en demander dès l’abord. Mais cela sera-t-il suffisant pour l’aile droite de son parti ? On serait tenté d’utiliser la formule récente de Yanis Varoufakis : “Red lines are inflexible but our red lines and their lines are such that there is common ground”…
Il n’obtiendra pas de concessions majeures, comme la restriction de la liberté de mouvement ou une modification significative des traités. Il n’y a aucun appétit pour ce faire en Europe, des élections se tenant en France et en Allemagne en 2017, sans parler du budget européen fixé jusqu’en 2019. Il pourra par contre obtenir des réformes plus limitées, sur les prestations sociales des nouveaux arrivants, par exemple, ou des garanties sur le marché unique. Jean-Claude Juncker s’est dit prêt à travailler avec le Royaume-Uni. Bien menées par les deux parties, ces négociations pourraient même se révéler pour l’Europe une chance et une occasion de réfléchir à son fonctionnement qu’elle doit rendre plus cohérent et moins bureaucratique.

Le Parti national écossais (SNP, indépendantiste) est le véritable outsider de ces élections obtenant un total de 56 sièges sur 59, alors qu’il n’en possédait que 6. Comment interpréter ce succès fulgurant du SNP ? Quelles conséquences peut avoir cette large victoire pour l’Écosse et son souhait d’indépendance ?
En effet, et Cameron se trouve face à un dilemme. Le SNP a tiré profit de sa campagne lors du référendum écossais de l’année passée, qui a enclenché une véritable lame de fond, que le parti a su organiser autour d’un débat de fond et d’un vrai projet de société. L’une des caractéristiques fortes de ce projet est un engagement plus profond et plus positif avec l’Union européenne. L’Ecosse est beaucoup plus progressiste et pro-européenne que le reste du Royaume-Uni. Si le Royaume-Uni sort de l’Union européenne, quid de l’Ecosse ? L’on pourrait se retrouver dans une situation où si Cameron veut défendre l’unité du Royaume-Uni, comme il professe de le faire, il devra faire campagne pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union. Mais le pourra-t-il ? S’il ne le peut pas, il est un scénario qui le verrait rester dans l’histoire comme le Premier ministre qui a démembré le Royaume, quitté l’Union et isolé l’Angleterre.

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