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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Bilan de la COP 22 : action ou échec ?

Thu, 24/11/2016 - 11:10

La COP 22 a-t-elle débouché sur des avancées et des mesures concrètes en termes de lutte contre le réchauffement climatique ? Quel bilan peut-on en dresser ? A-t-elle été un succès pour le Maroc ?

Annoncé comme une COP de l’action après celle de Paris, Marrakech n’a pas été à la hauteur des attentes. Peu de décisions ont été prises, si ce n’est la fixation de l’agenda des années à venir. 2018 sera une année cruciale car les objectifs de réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES) pourraient être revus à la hausse par les pays développés. Certains pays comme l’Allemagne ont ainsi annoncé leur plan pour 2050 (réduction des émissions de 80 à 95% par rapport à 1990). Une plateforme des stratégies 2050 a d’ailleurs été créée. Côté financement, si la dotation de l’enveloppe de 100 milliards progresse, les discussions sur les modalités d’utilisation des fonds demeurent difficiles. Les Etats ne sont pas toujours d’accord sur les priorités à donner à l’atténuation, ce que demandent les pays développés, ou à l’adaptation, exigence des pays en développement qui, pour la plupart, affrontent déjà les conséquences des changements climatiques.
L’initiative AAA (Adaptation pour l’agriculture africaine), portée par le Maroc, a aussi été critiquée par certaines ONG (Rabat, premier producteur de phosphate est en effet suspecté de vouloir capter une partie des fonds en promouvant le recours aux engrais phosphatés). Le principal problème reste l’absence de discussion sur l’écart à combler entre les contributions nationales proposées et les efforts restant à faire pour atteindre les objectifs de limitation à 2°C – voire l’hypothétique limite de 1,5 – inscrits dans l’Accord de Paris. Le PNUE rappelait dans un rapport publié juste avant la conférence que celles-ci nous plaçaient pour l’heure sur une trajectoire d’augmentation de la température de 2,9 à 3,4°C d’ici la fin du siècle. C’est insuffisant.

Onze Etats ont profité de la COP 22 pour ratifier l’Accord de Paris, ce qui porte le nombre de ratifications à 110 en plus de celle de l’Union européenne. D’autres pays, notamment la Russie, se font attendre. Quels sont ces pays réticents à une ratification et pour quelles raisons ? Existent-ils des leviers pour les inciter à passer à l’acte ?

Le fait que l’Accord de Paris entre en vigueur quelques jours avant l’ouverture de la COP22 constitue une bonne nouvelle, et une première mais cela est bien loin de résoudre l’ensemble des problèmes.
Si la Russie ne ratifie pas, c’est parce qu’elle préfère voir venir et qu’elle n’a pas encore de contrepartie suffisamment intéressante. Rappelons que sa ratification du Protocole de Kyoto, nécessaire à son entrée en vigueur après le désistement américain, avait été obtenu contre son adhésion à l’OMC et à la condition que l’année 1990 constitue la date de référence pour l’effort de réduction (l’économie et l’Union soviétique s’étant effondrées l’année suivante, cela permettait à Moscou d’atteindre ses objectifs dès la signature). L’Accord de Paris étant entré en vigueur, il n’y a pas lieu de se presser pour la Russie qui souhaite prendre son temps pour évaluer l’impact de l’Accord de Paris – guère populaire au sein des entreprises – en Russie, dont l’économie reste largement dépendante des exportations de pétrole et de gaz. Le gouvernement souhaite ainsi élaborer une stratégie de développement bas carbone avant de ratifier le texte et peut-être voir les sanctions internationales maintenues à son encontre s’assouplir…

L’annonce de la victoire de Trump aux élections présidentielles américaines a eu cours pendant la COP22. A-t-elle impacté son bon déroulement ? Concrètement, un climato-sceptique à la tête des Etats-Unis peut-il remettre en cause les engagements du pays pris en faveur du climat ?

La victoire de Trump a surpris tout le monde, y compris le secrétariat de la Convention climat. Cela a eu un impact sur l’ambiance de la COP22 et aurait pu être un facteur de démobilisation, mais finalement, les Etats ont plutôt fait bloc pour ne pas totalement briser l’élan de l’année dernière. Ban Ki-Moon s’était montré rassurant à la tribune, les faits semblent lui donner raison puisque que le futur président américain a annoncé qu’il restait ouvert sur cette question, déclarant, au New York Times le 22 novembre, qu’il pensait qu’un lien existait entre les activités humaines et le changement climatique. Interrogé sur la sortie de l’Accord de Paris, il n’a répondu ni par l’affirmative ni par la négative, arguant qu’il « suivait la question de très près ». La nomination du climato-sceptique Myron Ebell à la tête de l’Agence pour la protection de l’environnement n’est toutefois guère encourageante. Ce « revirement » pose surtout deux questions distinctes : d’abord celle de la capacité des candidats, dits populistes, à respecter les engagements pris devant leurs électeurs et ensuite celle du poids et de la manière dont peut s’exercer la contrainte internationale. Malgré le fait que l’Accord de Paris ne soit quasiment pas contraignant, y participer demeure important. L’idée est que la contrainte est exercée par le groupe ; tout Etat qui cherche à s’y soustraire prend le risque de s’opposer à ses partenaires, de détruire le texte et de rompre la confiance engendrée jusque-là. C’est une lourde responsabilité. C’est aussi la preuve qu’il est très délicat – voire impossible – d’établir des pronostics sur le comportement de Donald Trump et sur les mesures qu’il choisira d’appliquer ou non, sur les postures qu’il prendra. Une nouvelle leçon pour les sondeurs et prévisionnistes…

Preventing criminal risks linked to the sports betting market (update on the Precrimbet programme)

Wed, 23/11/2016 - 11:49

What are the results of the Precrimbet research phase, which just ended?

The goal of this research phase was to analyse the nature and extent of criminal risks linked to the sports betting market and underline the responsibilities of betting operators, regulators and law enforcement with regards to risk management and mitigation. The objective was also to identify and promote good practices and existing solutions which have already been implemented at national and international levels.

We used different sources of information. The first one is a series of interviews conducted in various countries such as France, Italy, Belgium, Estonia, Greece and Singapore. We also sent questionnaires to a number of regulators and betting operators who informed us about their regulations and policies, as well as their opinions on sensitive matters.

An important lesson is that the subject of criminal risks in sports betting has become a critical issue. Many public authorities expressed their concern. We are not only talking about match fixing, which is already being addressed within the EU, but about money laundering, criminal infiltration within the betting industry, illegal betting or cybercrime. We see that high divergences exist between the evolution of criminal behaviour in general, expanding through globalisation and the Internet, and the capacities of law-enforcement against contemporary crimes. In this sense, national situations are very diverse. Some countries have more knowledge and expertise, especially on subjects such as cybercrime or money laundering, than others.

The betting sector is vulnerable because it is highly liquid (around 500 billion euros bet each year worldwide), has a strong virtual dimension, and is transnational. Many operators are based offshore, and around 70-80% of the bets are placed by consumers from jurisdictions where the concerned betting operators do not have an authorization to accept the bets. That represents a major problem because it means that many potential criminal risks are not rightly monitored and addressed by national regulators.

We conducted a risk assessment of betting market at the EU level and we set a number of priorities. One of the most important risks today regards the potential criminal infiltration of the betting industry, as revealed in 2015 through a major case involving Italian mafia and Maltese-based websites. Controlling betting operators allows criminal networks to easyly launder money and raise profits making through the provision of illegal betting, especially if these betting networks combine retail and online activity. The risk-based approach must be adapted to each national context, depending notably on the level of organized crime infiltration and the size of the illegal betting market.

During the research phase, Dr Ingo Fiedler conducted a “mystery benchmarking” of 19 betting operators in order to check if they respect national legislations of several countries such as Belgium, Italy Germany, France and Spain. It proved that most of the tested operators were indeed compliant and law-abiding. It further shows that fighting illegal betting bears results.

At last, we propose 14 recommendations to the national and to the European level which regards mostly public authorities. Those recommendations are ambitious and level the challenges of the fight against this modern criminal threat. We naturally promote the existing tools at national levels, but also international instruments, such as the Convention of the Council of Europe on the manipulation of sports competitions or the implementation of the 4th EU Anti-Money Laundering Directive.

The first Precrimbet seminar took place last week in France. What were the objectives of this event?

The first Precrimbet seminar took place at the premises of the French betting regulator, the “Autorité de régulation des jeux en ligne” (ARJEL), which demonstrated a real interest in hosting it. The participants were the representatives of the entities that compose the French national platform against match fixing, built in anticipation of the entry into force of the Council of Europe Convention.
The French betting regulation (2010) is rather restrictive. In particular, ARJEL issues a list of authorized competitions (in cooperation with sport organisations), pay-out rates are limited and a strong emphasis is put on the fight against illegal betting (retail betting is controlled by a monopolistic operator, FDJ). In terms of control, ARJEL implements a quite unique technical system which gives it the possibility to control all the betting transactions placed online on the licensed operators. This frontal system can automatically detect suspicious sports events.

During this seminar, we presented to the participants the Precrimbet preliminary results, which were confirmed by law-enforcement.
We also gained information from ARJEL on their specific risk-management approach, and how it is shared within the national platform.

A specific session dwelled upon the exchange of information and cooperation. The goal was to analyse how an information or an alert linked to match-fixing is managed by the platform. At last, we had a session on the implementation of the anti-money laundering directive, as some provisions of this implementation are still under discussion.

What next for the Precrimbet programme? What are your priorities?

In total, 12 seminars will be organized among EU Member states. The seminars agendas and official dates will be updated on the Precrimbet programme webpage on the IRIS website. Greece (15 of December) and UK (24 of January) are the two next countries we will visit, and they will again be organised in collaboration with the national betting regulators.

The subject of criminal risks linked to betting is as critical as it is new for the public authorities of many States, that’s surely why we had a positive response from the betting regulators we contacted and to whom we proposed to organize those events. The current priorities for the Precrimbet programme is to adapt our research findings to national needs, because each country has a different vision, different available tools and experiences in addressing this type of criminal risks.

Also, the goals are to disseminate knowledge and expertise and good practices. Many States are currently building their national platform against match fixing, as required by the Convention of the Council of Europe, even though this Convention has not entered into force yet.

The objective of the national seminars is moreover to test our preliminary findings and collect additional information regarding the national frameworks and experiences. In June 2017, two months after having organized the last seminar, we will publish a comprehensive White book which will be sent to all relevant national and international authorities in the EU. It will draw all the conclusions of our research and seminar phases. The publication will also be an opportunity to present our work to the European Commission, which funds our program. The EU commission is in a strong position to favour transnational cooperation, exchange of information and assist Member States in their apprehension of the criminal risks.

More about PreCrimBet Programme.

« Du sexisme dans le sport » – 3 questions à Béatrice Barbusse

Wed, 23/11/2016 - 11:46

Noblesse de calendrier aurait dit Léo Ferré. Alors que je venais de lire le matin dans l’avion qui me ramenait de Beyrouth le livre de Béatrice Barbusse, Du sexisme dans le sport, paru aux éditions Anamosa, l’après-midi, Nathalie Boy de la Tour était élue présidente de la Ligue de football professionnel (LFP). Béatrice Barbusse, ancienne sportive de haut niveau, est sociologue et maître de conférences à l’université Paris-Est Créteil. Elle a été la seule femme à présider en France un club professionnel masculin d’handball tous sports collectifs confondus, l’US Ivry Handball, de 2008 à 2012. Elle préside le Conseil d’administration du centre national pour le développement du sport.

Vous préconisez le développement d’une « conscience de genre » – à l’instar d’une conscience de classe – pour lutter contre les discriminations. Pouvez-vous expliquer ?

Pour lutter contre les discriminations, il faut dans un premier temps que les groupes discriminés soient conscients d’appartenir à un tel groupe social. Autrement dit, à l’instar de la conscience de classe, il faut que les membres appartenant au genre féminin aient conscience de constituer un « genre en soi » mais aussi un « genre pour soi ». Ici, le genre féminin existe bien objectivement en tant que catégorie sociale discriminée. Il existe de nombreux indicateurs pour le démontrer. En l’occurrence, les statistiques avancées dans le livre et dans de nombreux rapports montrent bien que dans le sport la place des femmes est marginale. Nous faisons ainsi face à un « genre en soi ». Mais pour que le genre constitue une catégorie non pas seulement objective mais aussi subjective, il faut que les femmes aient conscience d’appartenir à une catégorie à part et en particulier discriminée. Il faut qu’elles aient le sentiment de faire partie d’un « genre pour soi ».

Cette conscience de genre est indispensable afin de lutter contre les discriminations pour plusieurs raisons. La première est qu’une femme qui a tout à fait conscience d’appartenir à un genre discriminé saura davantage faire preuve de réflexivité à l’égard de son propre comportement qu’une femme qui a juste conscience d’être une femme. Dès lors, celle qui a cette conscience peut éviter de reproduire des comportements qui favorisent sa propre infériorisation et celle de toute la gent féminine. De l’autre côté, celle qui la nie en adoptant le comportement classique de la selfmade woman (« J’y suis bien arrivée, moi ! ») accepte au fond de fait la situation inégalitaire et s’y adapte tant bien que mal sans jamais la remettre en cause. Alors que, et c’est la deuxième raison, lorsque l’on est consciente d’appartenir à une catégorie discriminée, infériorisée, on a plus de chance de se mobiliser pour lutter contre et donc de se rebeller. Voilà pourquoi la conscience de genre est si importante. Sans son développement, le sexisme dans le sport a encore de beaux jours hélas. Pour dire les choses plus simplement, si les femmes de sport, et les sportives en premier, n’ont pas pleinement conscience d’appartenir à une classe discriminée, alors elles ont toutes les chances d’y rester.

Le plafond de verre en matière de sport est-il en train d’être remis en cause ou paraît-il toujours solide ?

Le plafond de verre se fissure de plus en plus ces dernières années. On le voit bien dans le football avec l’arrivée à des fonctions inimaginables encore il y a quelques années de Corinne Diacre à Clermont, de Nathalie Iannetta à l’UEFA et de Nathalie Boy de la Tour à la tête de la Ligue de football professionnel (LFP) ou de Stéphanie Frappart à l’arbitrage. Mais il reste encore solide. Les fissures qui apparaissent ne sont pas suffisamment importantes pour que le plafond s’écroule totalement. Il faudra encore du temps pour que les choses s’équilibrent réellement.

Il faudra surtout continuer à mesurer les évolutions, à les scruter, et surtout à les provoquer. À cet égard, il est intéressant de suivre en ce moment les résultats des élections fédérales pour voir si les fédérations respectent la loi du 4 août 2014 ou si elles vont plus loin. Et oui pourquoi pas ? Prenons le cas d’une fédération où la proportion des femmes licenciées est inférieure à 25% : elle n’a donc pas l’obligation d’avoir 40% de femmes au moins à son conseil d’administration. Pour autant, elle peut volontairement aller au-delà de la stricte proportionnalité et aller vers les 40%. C’est comparable avec la responsabilité sociale des entreprises. Elle les oblige à respecter les règles et les minima imposés par le droit du travail et le droit social mais rien ne les empêche de les dépasser. Hélas, la quasi-totalité des fédérations n’iront pas au-delà de ce que la loi leur impose, ce qui démontre bien que le sexisme ne disparaitra pas tout seul…

Y-a-t-il des sports plus rétifs que d’autres à l’égalité homme/femme ?

Dans les sports dits « masculins », c’est-à-dire ceux où le nombre de licenciés masculins est très élevé, il est plus difficile de faire accepter l’égalité homme/femme, mais en même temps c’est au sein de ces sports que les évolutions seront de fait plus significatives. On le voit aujourd’hui avec la boxe et le football. Certes, les mentalités sont peut-être plus rétives en raison de la prégnance d’une culture patriarcale, mais lorsqu’il y a un volontarisme politique affiché et assumé comme dans le football français, les évolutions sont bien là. Lorsque des boxeuses comme Estelle Mossely ou Sarah Ourahmoune réalisent des performances sportives – comme aux derniers Jeux olympiques (JO) de Rio – cela réveille les consciences et peut accélérer les évolutions.

En sens inverse, dans les sports où les femmes sont davantage pratiquantes, comme le handball, le basket, l’équitation, elles n’atteignent pas pour autant des postes de responsabilité (entraineur, arbitre, dirigeant). Comme me le faisait remarquer le professeur Pierre Parlebas la semaine dernière lors de mon intervention au laboratoire de recherche de Paris V, le sport en général (et en particulier les sports olympiques) est sexiste, alors que la plupart des pratiques corporelles notamment des jeux sportifs traditionnels ne le sont pas…

Le duel Fillon/Juppé sur les questions internationales

Wed, 23/11/2016 - 10:27

Le point de vue Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

La politique arabe de François Hollande

Tue, 22/11/2016 - 16:05

François Hollande connaissait mal le monde arabe à son arrivée à l’Élysée et assumait un tropisme affiché envers Israël [1]. L’ironie du sort fit coïncider son élection avec l’avènement de plusieurs bouleversements majeurs : les printemps arabes, la guerre en Syrie et l’essor fulgurant de Daech.

En 2012, le candidat Hollande avait promis un désengagement des troupes françaises d’Afghanistan et semblait s’inscrire sur une ligne de rupture par rapport à l’interventionnisme armé de son prédécesseur. Cette ligne de campagne faisait écho à l’image désirée et entretenue d’un socialisme pacifique et non-interventionniste. La réalité fut tout autre.

François Hollande s’inscrivit pleinement dans la lignée de François Mitterrand ou de Guy Mollet. De son prédécesseur socialiste à l’Élysée, il semble avoir gardé un pragmatisme réaliste éloigné de tout idéologie. Il hérita également du côté interventionniste du président du Conseil de la IVème République. En 1956, le dirigeant de la SFIO avait projeté l’armée française en Egypte contre la nationalisation du canal de Suez. La propagation du nationalisme nassérien à d’autres pays arabes faisait à l’époque très peur à Guy Mollet qui lança également une politique de répression sans précédent en Algérie. François Hollande repris à son compte cette realpolitik si présente dans la pratique du pouvoir socialiste de la seconde moitié du XXème siècle.

Il est indéniable que François Hollande se forgea, consciemment ou non, un statut de chef de guerre. Dans cette évolution, il est difficile de savoir quelle est la part liée à cet héritage socialiste, celle induite par ce contexte géopolitique particulièrement instable et celle due à l’influence des courants néoconservateurs actuellement actifs au sein de l’appareil d’Etat.

En effet, il semble qu’il y eut durant ce quinquennat une certaine prégnance des mouvements néoconservateurs au sein de l’Élysée, du ministère des Affaires étrangères ou de celui de la Défense.

Le général Benoît Puga, chef d’Etat-major particulier du président, catholique traditionaliste de droite, inspirateur de la politique de Nicolas Sarkozy, n’avait aucune raison d’être maintenu à ce poste à l’arrivée des socialistes à l’Élysée. Il fut pourtant jusqu’au 6 juillet 2016, date de son remplacement par l’amiral Bernard Rogel, un conseiller très écouté et omniprésent dans toutes les négociations menées par le président en matière d’opérations extérieures.

De même, Jacques Audibert, souvent présenté comme néo-conservateur et qui fut d’abord directeur des affaires politiques au quai d’Orsay puis conseiller diplomatique du président de la République, joua un rôle prépondérant dans l’intransigeance française sur le dossier du nucléaire iranien. Certains parlaient alors de l’influence des « faucons » du quai d’Orsay.

De son côté, Jean-Yves Le Drian, accompagné d’un directeur de cabinet – Cédric Lewandowski – également catalogué comme « faucon », assuma totalement les guerres décomplexées de l’armée française.

Pour autant, contrairement à ce qu’avancent de nombreuses critiques, François Hollande ne poursuivit pas le tournant atlantiste opéré par Nicolas Sarkozy. De par ses nombreuses opérations extérieures unilatérales et ses positionnements souvent en porte-à-faux envers les Etats-Unis, François Hollande fit siens les concepts gaullo-mitterrandistes d’indépendance, de souveraineté et de « grandeur » de la France.

Néanmoins, une certaine homogénéité semble faire défaut au bilan de la politique arabe de François Hollande. Jean-Paul Chagnollaud souligne ce manque de cohérence globale qui viendrait du fait qu’elle ne fut pas pensée dans les mêmes ministères selon les zones géographiques où elle s’appliquait : Laurent Fabius aux Affaires étrangères déterminant prioritairement le positionnement de la France en Iran, en Syrie, en Israël et en Palestine alors que la politique française dans la péninsule arabique ou sur le continent africain était d’abord décidée par Jean-Yves Le Drian à la Défense [2].

Un point commun notable relia tout de même ces deux ministères lors de ce quinquennat : la priorité donnée au commerce extérieur. Sous la présidence de François Hollande, la diplomatie fut perçue comme un outil au service du commerce extérieur français. En 2014, le quai d’Orsay se para officiellement du titre de ministère des Affaires étrangères et du développement international et ouvrit une Direction des entreprises et de l’économie internationale. Les chiffres du commerce extérieur devinrent un des baromètres de l’efficacité du ministère et la diplomatie économique une priorité affichée.

De son côté, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian se présenta lui-même comme « le ministre de l’export d’armement » [3]. Il mit en place à l’hôtel de Brienne un comité d’exportation de défense afin d’harmoniser les positions stratégiques du gouvernement et la vision commerciale des industriels. Accouplée à de nombreux déplacements ministériels à l’étranger, cette méthode se révéla très efficace et aboutit à une explosion des ventes de matériel militaire dans les pays arabes (Rafales au Qatar et en Egypte, Mistral en Egypte, hélicoptères au Koweït…).

Au-delà de ses grandes lignes transversales – à l’heure où la campagne présidentielle de 2017 est déjà lancée – faisons donc un bilan détaillé du positionnement français dans le monde arabe sur ces quatre dernières années.

Un équilibre difficile à trouver en Afrique du Nord

Les relations conflictuelles latentes entre l’Algérie et le Maroc à propos du Sahara occidental n’ont jamais facilité le travail de la diplomatie française dans cette région.

Dans un souci d’équilibre et malgré quelques incidents diplomatiques souvent indépendants du pouvoir politique, le gouvernement socialiste tenta à tout prix de maintenir des relations cordiales avec ces deux partenaires historiques. Il fut difficile de déceler dans la politique de François Hollande une volonté d’avantager l’un par rapport à l’autre. Il semble au contraire que tout fut mis en œuvre pour ne froisser personne et maintenir un Etat d’équilibre au sein de ce triangle diplomatique instable.

Concernant la Tunisie, de nombreuses voix plaidèrent pour l’établissement d’un plan Marshall suite à la chute de Ben Ali. Pourtant, c’est seulement en janvier 2016 que François Hollande annonça un soutien financier d’1 milliard d’euros pour aider Tunis à sortir de la crise économique et sécuritaire dans laquelle elle se trouvait. En effet, depuis le printemps arabe de 2011, les avancées démocratiques n’ont toujours pas été suivies du décollage économique tant attendu par la population. De plus, le pays est aujourd’hui la cible régulière des terroristes de Daech. D’aucuns, comme Hervé Morin, estiment que François Hollande a sous-estimé cette menace qui pourrait aujourd’hui faire imploser la seule transition démocratique des printemps arabes [4].

De même, la France n’a entrepris que peu d’initiatives pour essayer de rétablir un Etat de droit en Libye. C’est pourtant suite à l’intervention militaire franco-anglaise qui aboutit à la mort de Mouammar Kadhafi que ce pays s’effondra dans une guerre civile.

En Egypte, lors de l’été 2013, Laurent Fabius demanda la libération du président Mohamed Morsi qui venait d’être renversé et il condamna la répression contre les Frères musulmans. Pourtant la diplomatie française comprit qu’elle avait plus d’intérêt à supporter Abdel Fattah al-Sissi arrivé officiellement à la tête de l’Etat en mai 2014 qu’à défendre les Frères musulmans pourtant démocratiquement élus. Le maréchal fut perçu comme un allié de poids dans la lutte contre le terrorisme et l’expansion des mouvements islamistes radicaux.

Dans un contexte de désengagement des Etats-Unis, les diplomates du quai d’Orsay perçurent les opportunités que pouvaient apporter ce rapprochement. Grâce à l’aide saoudienne, l’Egypte devint ainsi un partenaire économique de premier ordre achetant à la France pas moins de 24 rafales, une frégate ainsi que les deux mistrals non vendus à la Russie.

Pourtant, l’affichage répété du président François Hollande auprès du maréchal al-Sissi pourrait mettre la France en porte-à-faux face au soulèvement possible d’une population subissant une dictature terrible. La realpolitik est affaire de finesse et tous ces critères ne doivent pas être sous-estimés dans l’entretien des relations bilatérales françaises.

Dans la poudrière du croissant fertile

Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement socialiste reprit à son compte le positionnement intransigeant du gouvernement précédent envers le régime syrien. Le quai d’Orsay coupa tout lien diplomatique avec la Syrie, mais ceci sans approfondir ses relations avec la Russie ou l’Iran, seuls pays qui auraient pu peser sur un départ éventuel de Bachar el-Assad.

Les raisons stratégiques de ce positionnement furent multiples : d’une part, isoler l’Iran en faisant tomber son principal allié dans la région, d’autre part, contenter des alliés sunnites dont la France s’était grandement rapprochée.

Dès le printemps 2013, la France fournit à l’Armée syrienne libre une aide matérielle discrète. Cette dernière était alors la principale opposition au pouvoir en place et fut perçue comme la digne représentante des mouvements démocratiques issus du printemps arabe.

Au fur et à mesure que le conflit avançait, la diplomatie française se durcit et commença à se positionner éthiquement. Les termes de « punition », de « responsabilité » ou de « morale » furent fréquemment employés. Paris mit alors en avant l’utilisation d’armes chimiques pour justifier la nécessité de frappes aériennes sur Damas. Pour David Revault d’Allonnes reprenant les termes de François Hollande, cette intervention militaire en Syrie devint au fil du temps « presque une question d’honneur pour la France, sa diplomatie et son armée » [5].

L’opération aurait dû avoir lieu entre le 30 août et le 2 septembre 2013. Elle avait été limitée au tir de 16 missiles Scalp dans la région de Damas et, contrairement à ses engagements de campagne, François Hollande avait décidé de ne pas consulter le Parlement afin de profiter de l’effet de surprise des frappes.

La décision d’Obama de ne pas intervenir aux côtés de la France fut prise seulement 30 à 40 minutes avant le décollage des avions français. François Hollande se retrouva du jour au lendemain complètement esseulé. Politiquement, la France ne pouvait plus se permettre d’intervenir unilatéralement en Syrie, mais il lui était également difficile de s’aligner sur Barack Obama sans paraître comme une puissance aux ordres de Washington. Ainsi, le quai d’Orsay n’eut pas d’autres choix que de maintenir un discours extrémiste pour se démarquer clairement de celui des Etats-Unis. Le gouvernement français estime que ce fut le tournant manqué de la guerre en Syrie qui permit à la fois le renforcement du régime et de Daech qui accueillit de nombreux rebelles déçus.

C’est finalement contre Daech, que le 19 septembre 2014, François Hollande lança une campagne aérienne « Chammal » au sein de la coalition arabo-occidentale. D’aucuns, comme Pascal Boniface, pensent que la pression de la société civile est la raison première de l’intervention française supplantant les intérêts stratégiques et économiques [6]. D’autres spécialistes estiment que cette opération est d’abord le signe de l’influence néo-conservatrice du quai d’Orsay.

La France décida donc d’intervenir militairement en Irak mais – contrairement aux Etats-Unis – refusa dans un premier temps de frapper la Syrie. La logique du ministère des Affaires étrangères était alors celle du « ni Daech, ni Assad ». Parallèlement à cette campagne aérienne, une aide matérielle et humaine fut dispensée aux Kurdes en tant que composante terrestre de la lutte contre l’organisation terroriste.

Un an plus tard, l’afflux de plus en plus important de migrants vers l’Europe et la progression territoriale de Daech en Syrie poussèrent finalement le président à intervenir dans ce pays. Afin de justifier cette nouvelle opération, Jean-Yves Le Drian invoqua la légitime défense mentionnée par l’article 51 de la Charte des Nations unies et le fait que des combattants étrangers étaient formés en Syrie pour venir frapper le territoire français.

Cette évolution fut un tournant majeur de la politique de François Hollande qui décréta dès lors que la lutte contre Daech devenait son objectif numéro un, devant la chute du régime alaouite. Paris fut contraint de délaisser sa position jusqu’au-boutiste envers Damas pour pouvoir agir efficacement contre l’organisation du calife autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi.

L’électrochoc du 13 novembre 2015 confirma cette évolution du positionnement français. Ce qui fut une politique d’endiguement de Daech devint une politique d’extermination : « Il ne s’agit donc pas de contenir, mais de détruire cette organisation » annonça ainsi François Hollande devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre 2015 [7].

Pourtant, malgré cette rhétorique extrêmement agressive, la France ne mena une campagne aérienne qu’en demi-teinte, correspondant à moins de 10 % des frappes de la coalition. Cet interventionnisme sporadique et modéré pose question. Bruno Le Maire, soulignait juste après les attentats que « 10 mois [avaient été] perdus » et réclamait l’envoi de troupes au sol [8]. Selon le général Jean-Bernard Pinatel, les frappes françaises – n’étant pas en appui d’une attaque terrestre – ne furent que peu efficaces et auraient absolument nécessité une coordination avec les troupes syriennes ou les forces spéciales russes [9].

Plus qu’une nécessité stratégique, il semble que ces frappes contre Daech furent d’abord un impératif politique et moral.

Des liens étroits avec les monarchies sunnites de la péninsule arabique

Le rapprochement entre l’Arabie saoudite et la France s’intensifia dès août 2013 lorsque les Etats-Unis – malgré l’influence de Riyad – refusèrent de bombarder la Syrie suite à la découverte de l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad. L’Arabie saoudite, perdant confiance envers son proche allié américain, trouva dans la position intransigeante de la France un appui de poids pour contester le renouveau iranien sur la scène internationale. Laurent Fabius se rendit pas moins de trois fois à Riyad et le 5 mai 2015, François Hollande fut le premier chef d’Etat occidental à participer à un sommet du Conseil de coopération du Golfe.

Ce rapprochement permit ainsi à Paris d’entrevoir de nouvelles opportunités commerciales. En contrepartie, depuis 2012, la politique élyséenne s’est toujours adaptée à celle de Riyad. La France soutint la coalition menée par l’Arabie saoudite au Yémen et ceci malgré les nombreuses atteintes au droit international humanitaire. Ce positionnement émana directement de l’Élysée qui aurait donné l’ordre à la Direction du renseignement militaire et à la Direction générale de la sécurité extérieure de soutenir à tout prix l’offensive de Riyad. François Hollande craignait un effondrement des institutions Etatiques et un renforcement des groupes djihadistes au Yémen. Ces derniers auraient pu potentiellement contrôler le détroit stratégique de Bab-el-Mandeb qui mène au canal de Suez.

Pourtant, l’Arabie saoudite est souvent montrée du doigt quant à l’essor de ces mêmes courants djihadistes. En effet, pour Riyad, le financement international d’un islamisme sunnite rigoureux – souvent décrit comme l’antichambre du djihadisme – fut toujours un moyen de contrer l’éternel rival iranien, première puissance chiite. De la même façon, le Qatar participa au financement d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest, du Front al-Nosra en Syrie ou des Frères musulmans en Egypte. Toutes ces organisations sont considérées, à différents degrés et selon les pays, comme des organisations terroristes.

Il fut ainsi souvent fait critique à François Hollande de vouloir combattre Daech tout en soutenant des monarchies du golfe perçues comme le symbole d’un salafisme prosélyte. Néanmoins, ces financements étrangers sont à relativiser, ils ne représentent aujourd’hui pas plus de 5 % des fonds de Daech et sont issus principalement de fortunes privées.

Brigitte Curmi, chercheuse au Centre d’analyse de prévention et de stratégie du ministère des Affaires étrangères, écrivit dans une note interne au ministère que la « vision rétrograde de l’islam [n’était] pas sans rapport avec l’explosion actuelle du terrorisme djihadiste » et que c’est justement pour cette raison qu’il fallait « saisir l’occasion de la menace de Daech pour entamer [avec l’Arabie Saoudite] un dialogue exigeant et discret sur la parenté entre wahhabisme et extrémisme »10.

La politique arabe de la France en creux

La politique arabe de la France ne se limite pas aux seuls pays de la Ligue arabe. En l’occurrence, l’étude des relations bilatérales de Paris avec ces trois pays que sont l’Iran, Israël et la Turquie est primordiale pour comprendre et avoir une vue d’ensemble de la politique française au Moyen-Orient.

Le livre blanc de 2013 parlait sans équivoque de « la menace de l’Iran » [11]. Ainsi, Laurent Fabius fut le représentant d’une ligne dure se battant à tout prix pour que l’ancienne Perse n’accède pas à l’arme nucléaire. Lors des négociations entre Téhéran et le P5+1, la diplomatie française se détacha clairement de Washington pour défendre un accord robuste ou le compromis n’avait que peu de place. Cette intransigeance, souvent perçue comme un excès de zèle, permit néanmoins de signer un accord bien plus sûr qu’il ne l’aurait été si la France s’était alignée sur Washington.

Ainsi, la politique arabe de François Hollande fut clairement déséquilibrée en faveur des puissances sunnites. L’Arabie saoudite – en tant que pays le plus riche de la région – et l’Egypte – en tant que nation la plus peuplée – furent considérés par le quai d’Orsay comme les acteurs primordiaux de cet espace. À l’inverse, la République iranienne chiite et perse ne fut pas perçue comme puissance stabilisatrice au sein d’un Moyen-Orient peuplé majoritairement de sunnites.

Cependant, une fois l’accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien signé, Laurent Fabius se rendit rapidement en Iran le 29 du même mois pour relancer des relations diplomatiques et économiques sereines avec Téhéran. François Hollande invita ensuite Hassan Rohani pour une visite officielle à Paris dès janvier 2016. D’ailleurs, les relations diplomatiques ayant reprises sur de bonnes bases avec Téhéran, la France pourrait jouer un rôle d’intermédiaire primordial entre les monarchies sunnites et la république chiite.

L’Iran, pays de 77 millions d’habitants, reste une puissance régionale incontestable. Elle est également un marché énorme prêt à s’ouvrir aux investisseurs dont la France veut absolument faire partie. De plus, aujourd’hui, ce sont les gardiens de la révolution iranienne qui luttent sur le terrain contre Daech. Riyad n’a pour l’instant aucune volonté d’intervenir au sol en Irak et en Syrie alors que ses hommes sont déployés à la frontière yéménite. L’Arabie saoudite déploya 15 avions en Irak contre une centaine au Yémen. Les priorités saoudiennes sont claires : l’Iran est une menace plus importante que Daech et Riyad veut absolument prouver à son rival sa détermination.

Au centre de ce monde arabe en pleine ébullition, le conflit israélo-palestinien porte toujours une charge symbolique extrêmement élevée. Ainsi, toute politique arabe est en soi une politique israélienne en creux et inversement.

Fin 2012, lors du vote pour la reconnaissance de la Palestine comme Etat observateur à l’ONU, les intentions de la France restèrent floues pendant un long moment. Ce n’est qu’au dernier moment que François Hollande, tout juste arrivé à l’Élysée, décida de voter pour. Ce sentiment d’hésitation donna l’impression que le nouveau locataire de l’Élysée n’avait pas de positionnement clair et arrêté sur le conflit israélo-palestinien.

De même, l’orientation politique du gouvernement lors de la guerre de Gaza en 2014 fut pour le moins fluctuante. Le chef de l’Etat opta pour des propos résolument atlantistes en exprimant la solidarité de la France à Israël lors des premiers tirs de roquettes sur l’Etat hébreux. Pourtant, au fur et à mesure que le conflit avançait, le discours de Paris évolua vers une condamnation de plus en plus sévère des ripostes israéliennes.

Presque un an plus tard, les initiatives menées par Washington se trouvant dans l’impasse, Laurent Fabius essaya de relancer un nouveau cycle de négociations avec un nombre élargi de participants. Devant les réticences d’Israël et des Etats-Unis, il affirma même que, faute de bonne volonté de part et d’autre, la France se verrait dans l’obligation de reconnaître l’Etat palestinien. Cette déclaration faite en janvier 2016 est pourtant à relativiser. En effet, Laurent Fabius savait qu’il partirait bientôt du quai d’Orsay pour présider le Conseil constitutionnel et qu’il n’aurait pas à porter les conséquences de ces propos. Jean-Marc Ayrault, son successeur, annonça d’ailleurs rapidement que cette option n’était plus d’actualité.

La diplomatie française, de par tous ces positionnements, ne donna pas l’impression d’avoir une vision stratégique claire pour Israël et les Territoires palestiniens. D’ailleurs, le conflit israélo-palestinien sembla devenir secondaire par rapport à la menace que fit peser Daech sur l’ensemble de la région.

D’ailleurs, l’une des conséquences de l’essor du groupe terroriste fut également de replacer Ankara au centre de la scène géostratégique régionale. La Turquie, interface entre le Moyen-Orient et l’Europe, est une des puissances du pourtour méditerranéen. À ce titre, bien que sa population soit majoritairement d’origine turque et non arabe, elle pèse directement sur la politique arabe française.

Un des objectifs du gouvernement français fut donc d’apaiser les tensions avec la Turquie. Pourtant, en 2015, le déplacement de François Hollande à Erevan pour les cérémonies du centenaire du génocide arménien ne facilita pas les relations diplomatiques entre Ankara et Paris. Il en fut de même lorsqu’en janvier 2016 le président relança le processus pour la création d’une loi pénalisant la négation de ce génocide.

Parallèlement, la politique de Recep Tayyip Erdogan glissa de plus en plus vers l’autoritarisme et l’imprévisibilité. L’homme fort du pays, tour à tour Premier ministre et président, joua du statut de territoire de transit de la Turquie concernant les flux financiers, matériels et humains de Daech pour imposer ses choix politiques aux pays européens. Il put ainsi relancer les discussions sur le processus d’adhésion à l’Union européenne en contrepartie d’une aide dans la gestion des migrants en partance pour l’Europe.

La diplomatie française se retrouva coincée entre la volonté de ne pas trop s’afficher aux côtés d’un régime de plus en plus autoritaire et la nécessité de collaborer avec ce pays clés dans la lutte contre Daech.

L’influence de la politique arabe de la France sur la menace terroriste

Les liens entre la France et les pays arabes sous la mandature de François Hollande restèrent donc intenses et nombreux. De manière générale, si l’on fait exception de la Syrie, la France est encore un pays écouté et respecté par les chancelleries du monde arabe.

Pourtant, ces bonnes relations diplomatiques dénotent avec l’effondrement de l’image de la France au sein des populations de ces pays. Le discours de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité de l’ONU en 2003 contre une intervention militaire en Irak fut rapidement oublié. Depuis, le statut de la France dans les sociétés arabes est passée de celui « d’avocat du monde musulman » à celui de « pays islamophobe » [12].

Cette évolution survint bien avant la présidence de François Hollande. Néanmoins, de nombreux facteurs, directement liés ou non à sa politique, continuèrent à alimenter ces critiques envers la France. Ce fut, pêle-mêle, les interventions militaires dans les pays arabes, le recul de l’Élysée sur la reconnaissance de la Palestine, les caricatures répétées du prophète ou la pénalisation du boycott des produits israéliens. Ces événements, bien que disparates, participèrent tous à ce ressentiment des populations civiles arabes envers la France.

Le pays des Lumières, de par ce qu’il représente dans l’imaginaire collectif universel était déjà une cible symbolique de choix pour les mouvements djihadistes. Mais tous ces événements vinrent encore se superposer au mythe de la France des droits de l’homme et facilitèrent ce discours djihadiste hostile à l’hexagone.

C’est justement sur ce point du terrorisme djihadiste que le bilan de François Hollande est peut-être le plus négatif. En effet, les différentes opérations militaires extérieures n’ont jamais été en mesure de stopper les attentats, que ce soit en Afrique du Nord, en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient ou en France. De plus, d’un point de vue national, un lien direct de cause à effet s’instaura insidieusement entre le terrorisme et la population française d’origine arabe. François Hollande fut incapable de restaurer un climat serein autour du sujet de l’identité nationale. Aujourd’hui, au sein de l’arène médiatique et politique, la question de l’islam de France semble être la seule pertinente dans la lutte contre le terrorisme. À l’inverse, les soubassements géopolitiques du terrorisme ont été évincés du débat public et ne semblent plus pouvoir apporter de solution au problème des attentats sur le territoire français.

Il est intéressant de noter ce glissement dans la perception du terrorisme par la société française, et plus particulièrement par sa classe politique. La lutte contre le terrorisme djihadiste fut en premier lieu surtout perçue comme une question de défense et de relation internationales. Pourtant, plus les attentats se multiplièrent et plus cette problématique se déplaça sur le terrain de la sécurité intérieure. Les solutions présentées par la classe politique furent de plus en plus orientées vers des réformes issues de la place Beauvau plutôt que du quai d’Orsay ou de l’hôtel de Brienne. Ce glissement n’est pas anodin. La sécurité à court terme de la population française dépend bien du ministre de l’Intérieur, mais l’éradication du terrorisme djihadiste est d’abord une question de politique étrangère nécessitant du temps. Il est impossible de lutter efficacement le terrorisme sur le territoire français en se focalisant uniquement sur des thématiques nationales. La violence islamiste est avant tout la conséquence des « séismes géopolitiques que représentent la période coloniale et l’ingérence des forces occidentales dans le monde musulman » [13].

En ce sens, il semble que la différenciation des multiples courants islamiques ne fut pas assez pris en considération par l’Etat français. C’est pourtant un facteur de premier ordre dans la lutte contre le terrorisme. Il est indispensable de distinguer les djihadistes à proprement dit, les courants salafistes ou l’islamisme modéré jouant le jeu de la démocratie et de la non-violence.

François Hollande soutint par exemple le parti islamiste modéré Ennhada en Tunisie, mais abandonna les Frères musulmans égyptiens. Il choisit ouvertement le camp du maréchal al-Sissi contre ces derniers pourtant démocratiquement élus. On peut dès lors se demander si ce choix ne fut pas le meilleur moyen d’augmenter le nombre de candidats au djihad en Egypte, alors même que la motivation première de François Hollande était de stabiliser la région contre la menace terroriste. De même, un appui plus prononcé au gouvernement islamiste modéré en Tunisie aurait pu être un message fort pour contrer la propagande djihadiste et le concept de guerre de civilisation.

De la même façon, il semble que le soutien nécessaire de Paris à certains pays arabes empêtrés dans des crises internes graves fut sous-estimé par François Hollande. Ce fut le cas en Tunisie, au Liban ou en Libye, trois pays en situation délicate où l’aide française diplomatique, financière ou technique ne fut pas à la hauteur des enjeux. Il apparaît pourtant évident que l’aggravation de ces multiples foyers de tension dans le monde arabe fait le jeu des groupes terroristes djihadistes.

Il est cependant difficile de critiquer vertement la politique arabe de François Hollande dans un contexte aussi trouble que celui des printemps arabes, de la guerre civile en Syrie et de l’essor de Daech. Dans un environnement aussi instable, il peut paraître difficile d’avoir une vision sur le long terme permettant une politique cohérente.

Néanmoins, comme le précise Didier Billion s’exprimant sur les discours de François Hollande lors des traditionnelles semaines des ambassadeurs, ceux-ci manquent « singulièrement de priorités et [constituent] en réalité plus une suite d’observations et de remarques générales sur l’Etat du monde qu’une véritable feuille de route pour les diplomates français » [14]. Or, la tenue d’une ligne claire et convaincante dans un cadre si instable que le monde arabe d’aujourd’hui est d’autant plus difficile que les choix politiques stratégiques n’ont pas été décidés en amont.

Dans moins d’un an, il est peu probable que le nouveau président ne suive une politique arabe plus lisible. Néanmoins, quel qu’il soit, sa priorité restera la lutte contre le terrorisme djihadiste. Cette dernière pourrait justement être l’occasion d’initier une vraie Politique de sécurité et de défense commune en Europe. Il sera également intéressant de voir si cette lutte contre le terrorisme deviendra un vecteur de collaboration ou une source de tension entre la France et les différents pays arabes.

[1] Dalle Ignace, « Les relations entre la France et le monde arabe », Confluences Méditerranée, 2016/1, n°96.
[2] Chagnollaud Jean-Paul, « Une politique à l’épreuve de ses contradictions », Confluences Méditerranée, 2016/1, n°96, p.9-12.
[3] Revault d’Allonnes David, op.cit., p.128.
[4] Morin Hervé, in La Tribune, « Hervé Morin : « Il faut un plan Marshall pour la Tunisie et le Maghreb ! » », le 11 juillet 2015.
[5] Hollande François, cité in Revault d’Allonnes David, Les guerres du Président, Seuil, Paris, 2015, p. 62.
[6] Boniface Pascal, Conférence d’IRIS Sup’, le 23 novembre 2015.
[7] Hollande François, Discours du président de la République devant le Parlement réuni en Congrès, le 16 novembre 2015.
[8] « Après les attentats à Paris, Sarkozy marque sa différence avec Hollande », in Les Échos, le 15 novembre 2015.
[9] Pinatel Jean-Bernard, in Atlantico, « Les bombardements français en Syrie obtiennent-ils des résultats autres que symboliques ? », le 21 novembre 2015.
[10] Curmi Brigitte, cité in Jauvert Vincent, op.cit., p.289.
[11] Ministère de la Défense, Livre blanc Défense et sécurité nationale – 2013.
[12] Boniface Pascal, « Comment et pourquoi l’image de la France s’est dégradée dans le monde musulman entre 2003 et maintenant ? », Conférence de l’IRIS, le 17 décembre 2015.
[13] Nabli Béligh, Géopolitique de la Méditerranée, Armand Colin, Paris, 2015, p.195.
[14] Billion Didier, « France – Turquie : entre tensions et normalisations… », Confluences Méditerranée, 2016/1, n°96, p.71-83.

« On nous impose une identité majoritaire, blanche et chrétienne »

Tue, 22/11/2016 - 15:04

Depuis quelques mois, et surtout depuis les attentats de 2015, on n’a que le mot « République » à la bouche. Que révèle, selon vous, cette obsession de la République ?

Cela révèle l’absence de réponse aux problèmes actuels. Plutôt que de se lancer dans des discours complexes, les politiques optent pour une réponse a priori facile et consensuelle. Dès lors, le discours « républicain » tente de combler un double déficit en termes d’offre et de résultats politiques.

Tout le monde est républicain mais il existe des visions conflictuelles de la République et de la Nation…

La notion de « République » revêt divers sens : elle renvoie à la fois à la chose publique (Res publica) et à l’Etat, à une forme de gouvernement (opposée à la monarchie) et à un système de valeurs. Le débat actuel porte essentiellement sur sa dimension axiologique : les responsables politiques invoquent les valeurs républicaines comme si elles allaient de soi. Or la crise actuelle est une crise de valeurs communes. Il suffit d’interroger la devise de la République.
•Quel est le sens de « la liberté » au moment l’état d’urgence devient un « état normal » ?
•Que signifie « l’égalité » dans une société d’inégalités sociales et territoriales ?
•Que signifie « la fraternité » dans une société où l’individualisme prime et dans laquelle la solidarité avec les réfugiés se manifeste a minima.
•Que signifie la « laïcité », lorsque ce principe fondamental défini par la Loi libérale de 1905 est détourné de son sens profond pour être instrumentalisé ?

D’un côté, on aurait cet idéal républicain comme projet porté par la devise « liberté/égalité/fraternité », de l’autre certains ne se considèrent comme membres de la République alors qu’ils sont français. Est-ce un problème de transmission de ces valeurs, notamment à l’école ?

L’école française, » institution reine » de la République est devenue une machine d’ « autoreproduction sociale », une machine à creuser les inégalités (voir les rapports successifs de l’OCDE). Soit exactement le contraire de sa vocation première dans l’idéal républicain.

Le cœur de la défiance se situe dans cette promesse de mobilité sociale de moins en moins tenue. Difficile, dans ces conditions, de croire encore dans la méritocratie républicaine. Surtout que dans une société, qui une fois sortie de l’école, l’héritage (ou le capital économique, social et culturel) continue de primer sur le travail.

Vous pointez une autre question : les enjeux de la vie de la cité sont appréhendés sous l’angle de l’identité. En quoi est-ce un problème ?

Dans le monde politique comme médiatique, on souligne les identités des uns et des autres. D’une part, il s’agit d’une grille de lecture anti-républicaine puisque la République ne reconnaît pas les origines. D’autre part, cette vison tend à se substituer à une grille de lecture sociale, par classes sociales.

On assiste à une « identitarisation » de la société française qui renvoie à une vision communautariste de la société que l’on est censé combattre. Ce discours est porté par des intellectuels et éditorialistes comme Alain Finkelkraut ou Elisabeth Lévy mais aussi par nombre de responsables politiques, nationaux et locaux, de droite comme de gauche.

Une dérive que l’on constate y compris de la part des agents de l’Etat comme l’atteste la dernière « alerte enlèvement » lancée dans la soirée du mardi 18 octobre, dans laquelle le ravisseur présumé (le père d’un bébé recherché) a été décrit – avant que la formulation ne soit rectifiée par les services du ministère de la Justice – comme un individu de «race noire».

Durant l’été dernier, dans l’affaire de la « rixe de Sisco », le procureur de la République de Bastia a présenté les protagonistes comme étant d’un côté des « villageois » et de l’autre une « famille maghrébine ».

Comment la République qui se voulait porteuse des idées de progrès ou d’émancipation est devenue identitaire ?

Cette dérive identitaire n’est pas propre à la droite ou à l’extrême droite. Une partie de la gauche adopte cette grille de lecture identitaire, à travers la « laïcité de combat ». La Laïcité est un principe juridique de séparation de l’Etat et des religions (nul ne doit s’immiscer dans les affaires de l’autre), qui garanti notamment la neutralité religieuse de l’Etat (c’est-à-dire de ses agents) et la liberté de conscience (croire ou ne pas croire). Cette conception a été consacrée par la grande loi de 1905.

Or, on constate à gauche l’affirmation et le développement d’une conception plus intrusive de la laïcité : la neutralité religieuse devrait également s’imposer aux individus dans l’espace public. Un discours qui rejoint, in fine, une construction discursive née à l’extrême droite et qui fait de l’arabo-musulman (même citoyen Français) un ennemi intime de la France, et aujourd’hui celui de la République laïque.

La question de l’identité ne doit donc pas être posée ?

La question de l’identité de doit pas être tabou dès qu’il s’agit de définir les valeurs communes d’une nation.
Mais, aujourd’hui, le débat n’a rien de constructif puisqu’il revient à imposer une identité majoritaire, blanche et chrétienne pour aller vite, à l’ensemble des Français.

C’est la « tyrannie de la majorité » pour paraphraser Alexis de Tocqueville. La République est « une et indivisible », mais la société française est multiculturelle, il n’y a pas forcément de contradiction dès lors que l’on accepte l’idée de citoyens aux identités multiples mais qui s’identifient tous à des valeurs et lois communes.

Les vagues d’immigration ont changé le visage de la France mais il semble difficile de reconnaître cette société multiculturelle.

On est dans une situation de déni de la société multiculturelle. Le phénomène est aujourd’hui décrié alors que, dans les années 80, on le valorisait.

On confond la reconnaissance d’un phénomène social avec la doctrine multiculturaliste qui n’est pas dans notre tradition républicaine.

Pour moi, la cause de ce déni tient au refoulé colonial. L’affaire du burkini montre très bien qu’en France, pour un certain nombre de personnes, il faut se vêtir dans l’espace public suivant des normes sociales non définies par la loi de la république, mais par une vision déformée de l’ordre public et de la laïcité. Il a fallu attendre la décision du Conseil d’Etat pour que l’Etat de droit soit rétabli; mais la bataille idéologique, elle, continue…

Comment articuler une société de plus en plus multiculturelle et une République « une et indivisible » qui ne reconnaît pas d’appartenance particulière ?

Tout d’abord, en étant honnête historiquement. C’est une offense à l’histoire nationale de vouloir la résumer à « nos ancêtres les Gaulois ». Notre histoire nationale est plus riche et complexe. De même que l’histoire de la République. Elle est l’héritière des Lumières et de la révolution de 1789. Mais elle a aussi développé un discours racialiste et colonialiste. ce n’est dans l’intérêt de personne de taire cet héritage complexe.

Lorsque François Hollande place son quinquennat sous les hospices de Jules Ferry, il revendique l’héritage du bâtisseur de l’école publique mais il semble ignorer que Jules Ferry est aussi celui qui a prôné la colonisation et la mission civilisatrice de la France au nom des valeurs de la République.

Ensuite, comme je l’ai déjà dit, il faut donner du sens au valeurs de la République. C’est un projet à réaliser, non un acquis.

« Sauver l’Europe » – 3 questions à Hubert Védrine

Fri, 18/11/2016 - 11:08

Dans son ouvrage « Sauver l’Europe : le plan Védrine », paru aux éditions Liana Lévi, Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2002, explicite les ressorts de la crise de confiance dans l’Union européenne (UE) et développe des propositions pour la surmonter.

Faut-il « plus d’Europe » pour répondre à l’actuelle crise ?

Au contraire ! Ou, en tout cas, pas avant d’avoir convaincu les peuples, et parmi eux les sceptiques, les déçus, les allergiques (les vrais anti-européens ne changeront pas) du caractère bénéfique de soutenir un projet européen repensé. Nous n’y arriverons que si les élites européistes, si longtemps arrogantes et méprisantes, font une « pause » pour prendre le temps de les écouter, admettent que les peuples ont le droit de vouloir préserver leurs identités, de conserver une certaine souveraineté, d’avoir une meilleure sécurité, et que c’est parce qu’il n’y a pas eu de réponse raisonnable à ces demandes, notamment de la part de la gauche, qu’ils se tournent vers les extrêmes. Si l’Europe cesse de « réglementer à outrance » (Junker), de se mêler de tout et de rien, qu’une nette subsidiarité lui est imposée, alors là, oui, plus d’Europe dans certains domaines (et d’abord un Schengen viable et efficace) redeviendra justifié.

La souveraineté est sous le feu des critiques. N’est-ce pas paradoxal d’un point de vue démocratique ?

C’est le « souverainisme » plus que la souveraineté qui est présenté comme une honte et un repoussoir et c’est en effet injustifié : pour les gens normaux, la conquête par les peuples d’une certaine souveraineté sur leur propre destin a été une immense avancée démocratique. Le désir de garder une certaine souveraineté, même exercée en commun par les Européens, est légitime. Même si le « souverainisme » prend parfois des formes extrêmes et absurdes, une condamnation dégoutée n’est pas la bonne réponse…J’espère que l’on commence à comprendre, après plusieurs résultats électoraux-chocs, jusqu’où peuvent aller des peuples furieux.

Vous distinguez les anti-européens des « eurosceptiques » que vous requalifiez de « dubitatifs ». Pouvez-vous développer ?

Les médias, surtout ceux qui travaillent au contact de la Commission de Bruxelles, appellent en bloc « eurosceptiques », sur un ton réprobateur, tous ceux qui ne sont pas des européistes convaincus ou des partisans inconditionnels de la méthode communautaire. C’est un amalgame contestable.

En réalité, il faut distinguer les vrais « anti » (anti euro, anti UE) des autres : le Front national et l’extrême gauche sont anti-européens, pas eurosceptiques. Il ne faut pas les confondre avec les simples sceptiques, les déçus (on avait promis une Europe sociale, elle n’est pas là), les allergiques à la réglementation « à outrance ». À mon avis, tous, à part les vrais antieuropéens idéologiques, peuvent être convaincus de soutenir à nouveau le projet européen s’il est reconcentré sur l’essentiel (subsidiarité, que l’UE cesse de se mêler de tout). D’où le « plan » que je développe dans mon livre. Pause pour écouter les peuples, conférence refondatrice et de subsidiarité, referendum de re-légitimation. Le « système » européen doit se réformer, ou être réformé.

Y-a-t-il un conseiller pour sauver le président Trump ?

Thu, 17/11/2016 - 18:17

Dirigeants et experts, encore sonnés par la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines, tentent de se rassurer comme ils peuvent : on ne change pas du jour au lendemain de politique étrangère ! Il n’agira pas seul et le pragmatisme de son entourage devrait finir par l’emporter.

Qui prendra en charge le département d’État ? On parle de Newt Gingrich ou John Bolton. Ça promet ! Ces derniers feraient passer Dick Cheney ou Donald Rumsfeld pour des multilatéralistes adorateurs de l’ONU. Si ce type de nomination est confirmé, il y aurait un écart béant entre l’interventionnisme agressif qu’ils représentent et la volonté de se désengager des affaires mondiales prônée par Trump. Bref, on est dans le brouillard le plus complet.

Dans une interview accordée au journal Le Monde, datée du 16 novembre 2016, le général Michael Flynn ne vient pas le dissiper. Bien au contraire. Présenté comme l’un des principaux conseillers de politique étrangère du candidat Trump, on s’inquiète à l’idée de le voir prendre des responsabilités. Il a dirigé le renseignement militaire de 2012 à 2014 et est cité comme pouvant occuper le poste de Secrétaire à la Défense, Conseiller pour la sécurité nationale ou directeur de la Central intelligence agency. Il y a de quoi être inquiet. Sans s’embarrasser de fioritures, il déclare : « Nous avons un problème majeur que personne ne reconnaîtra à cause du politiquement correct : c’est l’islam. Cette religion est un problème. Je ne parle pas du monde musulman mais de l’islam. Le monde arabe doit venir à bout de l’idéologie politique qu’il appelle islam. » Question : « Vous voulez dire l’islamisme ? » Réponse : « Oui. Islamisme. Étudiez Mahomet ! On comprend comment tout cela a commencé. Au cours de ce siècle il faudra en sortir. Ça prendra du temps, des décennies peut-être. Autrement, on aura des conflits perpétuels. »

Belle confusion entre islam, islamisme, musulman, djihadisme. Car si on comprend bien le général Flynn, tant que le monde musulman croira en Mahomet, il y aura des problèmes. Il faut attendre qu’il le renie pour que la paix survienne. Ce n’est pas pour tout de suite ! À partir du moment où le monde musulman ne croira plus à l’islam, tout ira bien. On est abasourdi ! Et cela est dit très tranquillement par quelqu’un qui a exercé de lourdes responsabilités et qui s’apprête à en prendre de plus importantes encore. Dans la même veine, on ne comprend pas très bien ce qu’il préconise pour la Syrie. Tout en reprochant à Barack Obama de ne pas être intervenu en Syrie, après que la « ligne rouge » d’utilisation des armes chimiques fut franchie par Bachar Al-Assad, il reconnaît que les interventions en Afghanistan, Irak et Libye sont un désastre. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il faille renoncer à renverser les dictateurs brutaux qui martyrisent leur population ou des groupes comme l’État islamique. Pour dire après qu’il est possible de jouer la carte de régime stable même s’ils sont dictatoriaux. On nage en eaux troubles.

À ce stade, ce n’est plus un programme géopolitique, c’est la course du lièvre à travers les champs, des zigzags ultra rapides. Au secours ! Leslie Nielsen, reviens ! Ils sont devenus fous !

La prudence reste de mise dans la course à l’organisation des Jeux 2024

Thu, 17/11/2016 - 11:25

Alors que les sondages désignaient quasi unanimement Hillary Clinton comme la nouvelle chef de l’État et première Présidente américaine, Donald Trump s’est finalement imposé, à la faveur de précieuses victoires dans les Swing States. Evènement national au retentissement international, cette élection aura-t-elle des conséquences sur une autre campagne, celle de la désignation de la ville hôte pour les Jeux olympiques d’été en 2024 ?

Après le retrait officiel de la candidature de Rome, suite à la promesse électorale de sa maire Cinq Etoiles, Viriginia Raggi, l’élection du candidat républicain apporte un rebondissement supplémentaire à la course pour l’organisation des Jeux de 2024. Faut-il pour autant considérer que cette élection met hors de course Los Angeles ? Rien n’est moins sûr.

Espérer que les sorties du nouveau président américain sur les femmes, les musulmans, les Mexicains le discréditerait et disqualifierait par conséquent Los Angeles 2024 reviendrait à oublier les leçons de la défaite d’Hillary Clinton. S’il est évident que le maire démocrate de Los Angeles, Eric Gancetti, voit d’un très mauvais œil l’élection de Donald Trump, et que la candidature californienne pouvait espérer un succès d’Hillary Clinton, force est de constater que le projet de Los Angeles est extrêmement ambitieux, bénéficie a priori d’un large soutien populaire (88% des personnes interrogées en février 2016[1]) – même si les sondages sont évidemment à relativiser –, peut s’appuyer sur des alliés commerciaux de choix[2].

Or, ce sont précisément ces arguments-là qui comptent aux yeux du CIO. N’oublions pas que le CIO vote pour un projet, une ambition et non pour un Président. Les récentes désignations (Pékin 2008, Sotchi 2014, Pékin 2022) tendent à prouver le peu d’attention que l’organe olympique peut accorder aux situations politiques des pays candidats. En outre, le comité Los Angeles 2024 a réaffirmé que la candidature se poursuivrait quel que soit le résultat des urnes. Donc acte. La prestation du comité de candidature de Los Angeles cette semaine à Doha, devant l’Association des Comités nationaux olympiques (ANOC) tend à illustrer parfaitement la solidité du projet américain, avec ou sans l’intervention de son futur Président.

Toutefois, l’absence de ligne directrice dans la politique intérieure comme internationale de Donald Trump pourra toutefois poser quelques problèmes au CIO, qui recherche plutôt des gages de sécurité. L’imprévisibilité qu’il considère comme sa carte maîtresse dans les prochains mois est pourtant exécrée par l’organe olympique, qui cherche au contraire à retrouver calme et stabilité en cette période de trouble pour la gouvernance mondiale du sport.

En conséquence, ne poussons pas de « cocoricos » trop hâtifs en considérant l’élection comme jouée d’avance. Comme toujours, le souvenir des précédentes candidatures doit nous rappeler que la campagne dure jusqu’au dernier vote et que rien n’est jamais acquis.

Paris, si elle veut l’emporter, doit continuer sur sa trajectoire ascendante, sans se préoccuper des rebondissements politiques environnants, y compris dans son propre pays, surtout compte tenu des échéances électorales prochaines. C’est donc peut-être ici que doit s’exprimer l’apolitisme du sport.

 

[1] « Los Angeles Olympic bid receives wide public support in new poll », Los Angeles Times, 23 février 2016, http://www.latimes.com/sports/olympics/la-sp-la-2024-olympic-bid-public-support-poll-20160223-story.html
[2] Citons Edison International, Walt Disney Company, Snapchat

Afrique : L’agriculture face au changement climatique

Thu, 17/11/2016 - 10:17

Mariam Sow Soumaré est chargée de Programme Principal au Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Elle répond à nos questions à l’occasion de sa participation au colloque international “Climat, agriculture et sécurité alimentaire” organisé le 3 novembre 2016 par l’IRIS et l’AGPB :
– Quelles sont les conséquences du réchauffement sur les pays d’Afrique subsaharienne ?
– En quoi consiste le programme 2003-2013 pour remettre l’agriculture africaine comme motrice de croissance ? S’est-il soldé par un succès ?
– Quels changements apporte le nouveau programme continental ? Comment guider les pays africains vers une révolution verte ?

Les errances diplomatiques de Donald Trump

Wed, 16/11/2016 - 14:37

La campagne électorale du candidat républicain Donald Trump laissait présager le pire pour l‘évolution diplomatique de la première puissance mondiale. Au-delà des annonces chocs et promesses controversées, que peut-on réellement attendre de son élection ?

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis a déclenché un séisme planétaire, du fait de l’importance des États-Unis dans le monde et de sa personnalité controversée. Durant la campagne, Hillary Clinton avait insisté sur la question suivante : pouvait-on réellement lui confier le bouton nucléaire ? Si ce sujet interpelle, l’idée que Trump déclenche impulsivement une guerre nucléaire semble dépourvue de sérieux.

Mais d’autres sujets d’inquiétude sont réels. Tout d’abord, son hostilité déclarée à l’islam. Affirmer explicitement son animosité envers les musulmans pose nécessairement un problème. Même Georges W. Bush n’osait aller aussi loin. Se dirige-t-on vers un choc des civilisations ? Les nombreuses déclarations racistes de Trump risquent par ailleurs de laisser des traces au Proche-Orient. Le gouvernement israélien le considère comme un ami sûr, mais il en allait de même pour Hillary Clinton.

Trump a remis en cause l’accord de Paris de lutte contre le réchauffement climatique, signé en décembre 2015. Le possible retour sur un succès collectif obtenu dans la difficulté après plusieurs années de négociations et au prix de nombreuses concessions, inquiète fortement.

Trump reviendra-t-il sur l’accord sur le nucléaire iranien, signé en juillet 2015 à Vienne ? Là aussi, la situation n’est pas simple dans la mesure où il ne s’agit pas d’un accord bilatéral entre les États-Unis et l’Iran, mais d’un accord multilatéral signé également par ses alliés européens et la Russie, pays avec lequel Trump souhaite avoir de bonnes relations. Les pays du Golfe regarderont avec circonspection l’évolution de la situation aux États-Unis.

L’orientation nouvelle résidera sans doute dans les relations entre les États-Unis et la Russie. Tandis qu’une éventuelle élection d’Hillary Clinton laissait présager une politique plus ferme que celle de Barack Obama, Donald Trump a manifesté à de nombreuses reprises son respect et admiration à l’égard de Vladimir Poutine. Barack Obama a, quant à lui, échoué à appuyer sur le bouton reset dans les relations entre Washington et Moscou.

Il sera intéressant d’observer les réactions du vieux continent. Les véritables Européens estiment que l’élection de Donald Trump constitue un défi pour organiser cette « Europe puissance » dont le projet n’a jamais pu aboutir, par manque de volonté « à cause » du confort de la protection américaine. D’autres se montreront nostalgiques d’un ordre ancien, un temps où les États-Unis s’engageaient et commandaient les pays européens. L’Europe fera donc face à un défi nouveau dont l’issue peut s’avérer positive si les Européens le relèvent.

Donald Trump construira-t-il le mur à la frontière mexicaine ? Les relations entre les États latino-américains et les États-Unis s’étaient améliorées, avec la disparition de la doctrine Monroe, des rapports plus égalitaires et une forte diminution de l’anti-américanisme dans les pays latino-américains. L’élection de Donald Trump risque de soulever un vent d’hostilité dans la région à l’égard des États-Unis.

En ce qui concerne l’Asie, Donald Trump a menacé de demander au Japon et à la Corée du Sud de payer pour l’organisation de leur propre défense. Il veut également construire un mur économique face aux exportations chinoises. Il est vrai que ces dernières sont quatre fois plus importantes que les exportations américaines vers la Chine : elles représentent 4% du PIB chinois alors que les exportations américaines en Chine ne représentent que 0,6 à 0,7% du PIB américain. Ce mur aura cependant un impact sur les Américains en termes d’inflation. De plus, les Chinois possèdent des bons du trésor américain qu’ils peuvent retirer. Par conséquent, il ne sera pas évident pour Donald Trump d’appliquer son programme.

Sur le plan économique, Donald Trump semble se baser sur des personnalités qui ont conduit à la crise de 2008 et font partie du système qu’il ne cesse de dénoncer. Le risque de déception des électeurs américains envers Trump est donc réel et la vague populiste ne sera probablement pas aussi forte que prévue. On risque de s’apercevoir rapidement que l’ensemble des promesses faites par Donald Trump sont difficiles à mettre en œuvre.

L’option la plus probable est que, d’ici quatre ans, la politique de Trump, en crispant les relations des États-Unis avec un certain nombre d’États, associée à l’évolution naturelle de l’émergence et du rééquilibrage des relations internationales, rendent les États-Unis moins puissants qu’aujourd’hui. À partir du 20 janvier 2017, ceux qui ont été déçus par Obama risquent de le regretter amèrement.

L’élection de Trump : une impulsion décisive pour l’Europe de la défense ?

Wed, 16/11/2016 - 12:32

Le conseil de l’Union européenne s’est accordé lundi sur un plan global de mise en œuvre de la stratégie dans le domaine de la défense et de la sécurité. L’Europe de la défense est-elle en train de se relancer ? Va-t-on vers une défense européenne autonome ? Ce plan va-t-il permettre à l’Europe « de franchir un pas de plus vers l’autonomie stratégique » comme l’a déclaré le ministre de la Défense français, Jean-Yves le Drian ?

Le texte adopté lundi 14 novembre par le conseil Affaires étrangères de l’Union européenne concerne l’application de la stratégie globale de l’UE dans le domaine de la défense et de la sécurité, publiée en juin 2016. Il s’agit, en quelque sorte, d’une feuille de route indiquant la marche à suivre sur les questions de défense. Des mesures sont prises dès aujourd’hui, d’autres restent à déterminer dans les mois qui viennent.
Nous attendions ce texte mais nous étions initialement pessimistes quant à son contenu. Il a été élaboré en coordination entre l’Union européenne et les Etats membres. Federica Mogherini, Haute représente de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, a eu, en effet, à charge de préparer un texte prenant en compte les propositions faites par les Etats. A l’image de la lettre des ministres de la Défense français et allemands qui avait été rendue publique en septembre 2016. C’est donc un exercice qui implique à la fois l’institution européenne et les Etats membres
Le texte final s’avère finalement plus ambitieux que ne le laissaient envisager les discussions préparatoires. Le document final comprend 31 pages, ce qui est beaucoup. Il se présente sous la forme de conclusions communes auxquelles est annexé un document de 31 pages qui identifie 13 actions à mettre en œuvre dans les mois à venir. Sont envisagées, par exemple, la création d’un fond d’investissement pour les programmes en coopération de l’Union européenne, une intégration plus forte des capacités pour mener à bien des opérations militaires au sein de l’UE, ainsi qu’une perspective de réflexion sur la coopération structurée permanente à la fois inclusive et modulaire. Cette coopération structurée permanente figure dans le Traité de Lisbonne mais n’a jamais été définie. De manière générale, l’objectif est d’avoir une défense européenne plus forte afin de mieux assurer la sécurité des citoyens européens, grâce à des capacités militaires accrues qui seront définies en coopération.
Le terme « autonomie stratégique » revient également plusieurs fois. Son emploi ne signifie pas que l’Europe sera indépendante pour sa défense, mais qu’elle veut se donner les capacités de conduire des opérations de manière autonome et de se doter de capacités militaires, industrielles ainsi que technologiques autonomes. L’objectif est simplement que les Européens fassent plus et mieux pour leur défense ce qui conduira nécessairement à une plus grande autonomie stratégique de l’Europe.

Les déclarations de Donald Trump font redouter à certains un désengagement des Américains de la protection militaire de l’Europe. N’est-ce pas finalement une opportunité pour l’UE de resserrer les rangs et de s’entendre vers plus d’intégration ?

C’est effectivement possible. L’élection de Donald Trump met les Européens dans une situation de grande incertitude, car de sa politique étrangère et de défense, nous ne connaissons que des déclarations prononcées durant la campagne qu’il faut parfois qualifier « d’exotiques ».
Compte tenu des propos de Donald Trump et de la composition de son entourage qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, il est encore difficile de savoir si les Etats-Unis ont tranché entre deux lignes de conduite : un retour à l’isolationnisme, revendiqué par Donald Trump, ou une politique plus interventionniste, plus néoconservatrice, sous l’influence de certains conseillers puisqu’on évoque le nom de John Bolton qui faisait partie des conseillers lors du premier mandat de George W. Bush de 2001 à 2005.
Dans les deux cas de figure et dans la lignée du slogan « America first », le budget militaire des Etats-Unis devrait augmenter. Pour autant, cela ne signifie pas que les Etats-Unis adopteront une ligne interventionniste et qu’ils continueront à garantir le même niveau de protection aux Européens.
Face à ces deux options, le texte adopté par l’Union européenne apporte des réponses pertinentes. Le Vieux Continent envoie un message outre-Atlantique : plus d’efforts seront mis en œuvre par les Européens dans l’organisation de leur propre défense répondant ainsi par avance à une Amérique qui deviendrait plus isolationniste. Le New York Times ne s’y est pas trompé en titrant « Europe rethinks defense in Trump era. ». Les conclusions de la réunion du conseil des affaires étrangères du 14 novembre renvoient toutefois à des actions concrètes dont on ne verra véritablement la portée qu’en juin 2017, date à laquelle la clause de rendez-vous est fixée. Les actions concrètes restent à définir précisément et à appliquer. Or l’Union européenne nous a habitué, ces dernières années, à beaucoup de déclarations d’intention en matière de défense et de sécurité pour peu de réalisations concrètes. Il faudra rester vigilant.

Concrètement, quel serait l’impact d’un retrait de l’OTAN de la part des Etats-Unis ? L’Europe a-t-elle les moyens de se défendre ?

Je ne vois pas les Etats-Unis se retirer de l’OTAN, malgré les déclarations de Donald Trump en ce sens. En effet, l’organisation transatlantique constitue, pour la première puissance mondiale, un moyen de contrôle de la politique étrangère et de défense des Européens sans pour autant déployer des moyens réellement importants. L’OTAN est un instrument d’influence irremplaçable des Etats-Unis sur les Européens, y compris pour y exporter les équipements militaires fabriqués par l’industrie d’armement américaine. Cela étant, tout en restant dans l’OTAN, Donald Trump offrira-t-il les mêmes garanties de protection vis-à-vis de la Russie comme les pays d’Europe centrale et d’Europe du Nord le demandent aujourd’hui ? La question mérite d’être posée, notamment en ce qui concerne les Etats baltes et la Pologne.
Si la garantie de sécurité donnée aux Européens par l’Amérique de Donald Trump est limitée, elle ne disparaîtra jamais totalement, ils essaieront de trouver un accord avec la Russie pour régler le conflit ukrainien et apaiser les tensions en Europe. La résolution du conflit ne figure-t-elle pas dans les intérêts européens ? Le seul écueil d’une telle perspective est que l’Union européenne disparaîtrait une nouvelle fois de l’échiquier diplomatique, l’accord se faisant directement entre les Etats-Unis et la Russie.

« La grande histoire du monde » – 3 questions à François Reynaert

Tue, 15/11/2016 - 18:30

Cet ouvrage, publié aux éditions Fayard, se mérite. C’est un pavé. Mais un long trajet d’avion, un week-end pluvieux ou une semaine de vacances ensoleillée permet agréablement d’en venir à bout. Car, cette histoire du monde que propose François Reynaert, journaliste et écrivain, est un tour d’horizon global qui parle aussi des autres civilisations, ayant connu leur période de gloire et de désastre. Bref, qui évite un occidentalo-centrisme encore trop fréquent à l’heure de la mondialisation et de la perte du monopole de la puissance des Occidentaux.

« La terre est ronde, cela permet à tous les peuples qui l’habitent de se croire au centre du monde ». La phrase qui ouvre votre ouvrage en définit le projet…

On sait cela depuis Lévi-Strauss. Même les plus petits clans de la forêt amazonienne se pensent forcément comme « les hommes », « l’humanité », tandis que les étrangers – forcément barbares – n’en représentent que les marges. Ce sentiment a été d’autant plus fort dans les sociétés qui se sont constituées en empires : de Cyrus le grand, qui fonde l’empire Perse au VIe siècle avant notre ère, au mongol Gengis Khan (début XIIIe), aux empereurs de Chine ou aux sultans ottomans, les grands souverains se sont tous pensés comme des monarques universels, ayant vocation à régner sur la terre entière. Le fait est qu’à partir du XVIe siècle, grâce à son expansion extraordinaire et à sa domination progressive de la planète, l’Europe a pu croire que ce phantasme était une réalité. Songez qu’il y aujourd’hui moins de dix pays au monde qui n’ont jamais été colonisés par les Européens, et encore, le plus souvent – Thaïlande (ex Siam), Perse, voire Chine – ils n’ont échappé à la domination d’un seul que parce qu’ils étaient convoités par plusieurs, qui se neutralisaient.

Au XIXe siècle, l’Europe a imposé à la planète entière ses normes, sa façon de penser, son modèle de développement économique, ses découvertes technologiques (l’électricité, le chemin de fer, etc.), jusqu’à ses fuseaux horaires et son calendrier ! Évidemment, elle pouvait se croire au centre du monde. Entre 1945 et 1991, les États Unis et l’URSS l’ont remplacée, mais les valeurs défendues par ces deux modèles –capitalisme libéral d’un côté, marxisme soviétique de l’autre – étaient issues de la pensée européenne. Après la chute de l’URSS, certains, comme l’Américain Fukuyama, ont cru à une « fin de l’Histoire » qui verrait le triomphe absolu de la démocratie libérale anglo-saxonne. Cette illusion a vécu. Une grande partie des bouleversements géopolitiques d’aujourd’hui s’explique par la volonté de nombreux grands pays de retrouver leur puissance d’hier et la place centrale qu’ils estiment être la leur. La Chine en est l’exemple le plus évident ; cela se retrouve jusque dans sa dénomination officielle : en mandarin, « zhongguo » signifie le « pays du centre », « l’empire du milieu » autour de qui tournent des royaumes vassaux et barbares ; autrement dit nous.

Les puissances ou civilisations qui n’ont pas voulu – ou pu – comprendre les autres ont été condamnées au déclin et à la rupture. Est-ce une leçon que l’on peut retirer de votre livre ?

En effet. De nombreux peuples ont été dominés parce que, aveuglés par leur orgueil ethnocentrique, ils n’ont pas vu venir les nouveaux périls qui les ont emportés. Le monde arabo-musulman, par exemple, a fini par être soumis, au XIXe siècle, par les puissances européennes car il avait refusé de s’intéresser aux progrès vertigineux qui avaient eu lieu en Europe depuis trois siècles. Quand la première presse d’imprimerie est arrivée à Istanbul, à la fin du XVe siècle, le sultan a demandé ce qu’il fallait en penser à un comité d’oulémas. Ils ont condamné l’objet, car il ne fallait pas écraser le Coran. Au final, les premières presses qu’on a revues dans l’Empire ottoman sont celles qui ont été débarquées par Bonaparte, lors de l’expédition d’Égypte, à la fin du XVIIIe siècle ! Et pourtant, à l’époque abbasside (750-1258), au temps des Avicenne, des al-Khwarizmi – le père de l’algèbre, d’où dérive le nom « algorithme » – le monde musulman avait produit les plus grands savants du monde. Comme je le décris longuement dans mon livre, la Chine et l’Inde ont vécu la même chose. Ces civilisations, confites dans leur grandeur passée, n’ont pas voulu comprendre que d’autres étaient devenus plus puissants qu’eux. J’ai écrit ce livre, entre autres, pour qu’on ne commette pas la même erreur.

Qu’en déduisez-vous pour la politique étrangère française ?

La première chose qu’il faut avoir en tête, je le répète, c’est une vision claire de l’état du monde tel qu’il est, et non pas tel qu’on le phantasme. Prenez le camp des gens qui se nomment les « souverainistes ». Pour eux, il suffirait de quitter l’Union européenne (UE) pour que la France « retrouve sa grandeur ». Mais de quand précisément date cette « grandeur » ? Ils ne le précisent jamais. Faisons-le donc à leur place. Historiquement, l’apogée de la puissance française se situe juste avant 1914 : à ce moment-là, en effet, notre pays est une des quatre ou cinq puissances qui règnent sur le monde entier. Il y parvient pour deux raisons : parce qu’il possède un immense empire colonial, et parce que les puissances non occidentales (la Chine, l’Inde, etc.) sont à terre. Est- ce encore le cas ? Les gens qui rêvent de cette noble grandeur veulent ils repartir à la conquête de l’Algérie ou de l’AOF tout en ré-obligeant la Chine à signer les « traités inégaux », ces traités commerciaux qui l’ont ruinée au XIXe siècle ? Je leur souhaite bon courage. Pour ma part, dans l’état actuel du monde, je ne vois pas d’autre solution que de renforcer notre amarrage européen. On me dira que l’UE, telle qu’elle est, est catastrophique et dysfonctionnelle. C’est vrai. Le grand combat du moment consiste donc à trouver un moyen de la réformer pour la rendre efficace et puissante.

Moldavie : reste-t-il une chance ?

Tue, 15/11/2016 - 16:21

Aux marges de l’Europe, la Moldavie, pays associé à l’Union européenne mais où l’influence politique, culturelle et économique de Moscou reste très forte, a désigné son président de la République, le 13 octobre. Pour la première fois depuis vingt ans, les Moldaves étaient appelés à élire directement leur président.

La victoire du candidat socialiste Igor Dodon avec plus de 52% est présentée comme une nouvelle avancée de la Russie. Qu’en est-il vraiment dans un pays où chaque élection importante est rituellement annoncée comme un moment de choix crucial entre Est et Ouest ?

Plus qu’une victoire de la Russie, l’élection d’Igor Dodon est la conséquence presque logique de la naïveté, des hésitations et des faiblesses de l’Union européenne à ses marges orientales. Vouloir l’expliquer par la seule influence de Moscou est peut-être un moyen facile de nous dédouaner de nos erreurs.

La chute de l’élève modèle du partenariat oriental

En avril 2009, l’arrivée au pouvoir de forces pro-européennes est saluée comme une grande avancée dans la région. Dans les années qui suivent, l’Alliance pour l’intégration européenne est déchirée par les rivalités internes mais elle est fortement soutenue par l’Union européenne avec laquelle la Moldavie signe un accord d’association en 2014. Malgré ses succès diplomatiques, le gouvernement n’arrive plus à cacher ses nombreux dérapages ; corruption, népotisme, détournements de fonds, trafic d’influence.

Une affaire va faire déborder le vase : A la fin de l’année 2014, un milliard d’euros disparait des trois principales banques moldaves, mystérieusement prêtés à travers un circuit financier complexe à des emprunteurs difficilement identifiables. Un détournement gigantesque qui n’a été possible qu’avec la complicité, ou au mieux la passivité, des plus hautes autorités.

Face à ce scandale sans précédent, les bailleurs de fonds internationaux dont l’Union européenne stoppent leur aide. L’année 2015 sera marquée par une grave instabilité et par de nombreuses manifestations populaires. Les rues de la capitale sont d’abord occupées par des mouvements pro-européens issus de la société civile et hostiles au gouvernement, puis par des mouvements unionistes qui réclament un rattachement à la Roumanie voisine. Plus tard, l’opposition pro-russe multiplie les démonstrations de force. Elle est représentée par le Parti socialiste dirigé par Igor Dodon et par « Notre parti » la formation du controversé Renato Usatii.

L’Etat confisqué et la résistible ascension d’un oligarque

Un des partis membres de l’Alliance européenne, le Parti démocrate, va mettre à profit cette crise pour se débarrasser de la concurrence.

En octobre, l’ancien Premier ministre Vlad Filat, figure du rapprochement avec l’UE, est accusé de détournement de fonds et arrêté. Cette arrestation lamine son parti [1] et fait chuter le gouvernement conduit par un de ses fidèles, Valeriu Strelet. Lors de son dernier discours, Filat avertit : son arrestation ouvre le champ libre au parti rival et à son principal financeur, le sulfureux homme d’affaires, Vlad Plahotniuc. L’incarcération expéditive ainsi que la peine sévère [2] qui s’ensuit montrent le côté prémonitoire de l’avertissement et l’influence de l’oligarque sur l’appareil judiciaire.

Quelques mois plus tard, en janvier 2016, le même Plahotniuc cherche à pousser son avantage jusqu’à briguer le poste de Premier ministre. A la surprise générale, le discret président de la République Nicolae Timofti bloque son ascension et refuse sa nomination.

Un de ses affiliés, Pavel Filip, est finalement nommé à la tête d’un gouvernement si impopulaire qu’il doit prêter serment de nuit et à huis clos. Il bénéficie néanmoins d’une majorité au parlement jusqu’en 2018. Une seule concession est faite aux manifestants ; les prochaines élections présidentielles se feront au suffrage universel direct.

Le gouvernement a réussi à traverser la tempête. Pour ses nombreux détracteurs, il est le symbole de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Etat capturé ». Dans la pure tradition de nombreux pays ex-soviétiques, des partis politiques à l’idéologie de façade mettent les structures de l’Etat au service de groupes d’intérêts qui accaparent pouvoir et ressources.

Du bon usage de la rhétorique Est/Ouest

Face à la méfiance persistante des capitales européennes, le gouvernement spécule sur les désaccords entre les occidentaux dans leurs relations avec la Russie. Il met en place une partition bien rôdée, celle de la stabilité. Une promesse qui vise à rassurer l’Europe et à plaire aux milieux d’affaires, mais qui permet aussi d’espérer le soutien de partenaires très sensibles à la situation géopolitique du pays.

Parmi les pays occidentaux, l’évolution de la politique étrangère russe dans la région est perçue différemment, les Etats-Unis sont (étaient ?) plus prompts à y voir une menace immédiate. A l’intérieur même de l’Union européenne, les opinions divergent, Pologne et pays Baltes adoptent sans surprise une ligne dure à l’égard de Moscou, c’est également le cas de la Roumanie, fière de se déclarer le « meilleur allié » de Washington dans la région de la mer Noire.

Le gouvernement de Chisinau se tourne vers les Etats-Unis. Vladimir Plahotniuc lui-même, devenu « coordonnateur exécutif du conseil de l’alliance de gouvernement », y rencontre la vice-secrétaire d’Etat, chargée de l’Europe et de l’Eurasie, Victoria Nuland [3] ou les directeurs d’un think tank proche de l’OTAN, l’Atlantic Council.

La campagne du gouvernement est orchestrée par le groupe de lobbying de John Podesta [4] [5]. Le but est clair, montrer au monde que les USA sont disposés à soutenir Chisinau contre la garantie du maintien d’un cap pro-occidental.

L’opération n’est pas une totale réussite mais qu’importe, en Moldavie, les médias, en bonne partie sous contrôle, diffusent les images des délégations gouvernementales aux côtés de personnalités américaines.

La Roumanie est une autre cible de la campagne de « sensibilisation ». Début 2016, Bucarest était vent debout à l’idée d’une prise de pouvoir par le groupe de Plahotniuc jugé trop proche de Moscou. Pourtant le gouvernement roumain change d’avis, inquiet de la popularité de l’opposition pro-russe. Au nom de sa relation particulière avec Chisinau, il accorde à la Moldavie un prêt de 150 millions d’euros, au grand dam de ses partenaires européens.

La géopolitique en spectacle

Au printemps, quelques véhicules de l’OTAN et un petit groupe de soldats américains sont invités à participer à des exercices de déminage avec l’armée moldave. Des groupes de sympathisants du Parti socialiste, drapeaux rouges au vent, tentent d’arrêter devant les caméras, l’avancée, dans ce pays neutre, des Américains venus de Roumanie.

Les mouvements unionistes multiplient les manifestations. Serpent de mer de la politique moldave et roumaine, l’unionisme est un projet qui reste mal défini au-delà des élans romantiques. Ses partisans sont désunis et leur message souvent contradictoire. Pour de nombreux analystes, l’idée est aujourd’hui entretenue et relancée à dessein, quitte à manipuler ses partisans sincères, pour diviser la population.

Pour ne pas être en reste, la Transnistrie autorise de son côté des manœuvres militaires russes sur son territoire. Le controversé Dimitri Rogozine, vice-Premier ministre de la Fédération de Russie, alterne visite à Tiraspol, capitale de la république auto-proclamée de Transnistrie, et déclarations menaçantes à l’encontre de la Roumanie. Le leader socialiste Igor Dodon réaffirme son intention d’adhérer à l’Union douanière euro-asiatique et de fédéraliser la Moldavie.

Quelques mois avant la campagne présidentielle, le cirque géopolitique bat donc son plein. La stabilité promise par le gouvernement est présentée comme plus que jamais nécessaire. Le piège qui divise depuis des années les citoyens moldaves semble se refermer à nouveau.

Une campagne présidentielle inattendue

La campagne électorale débute en septembre dans une étrange atonie. Igor Dodon est le favori des sondages, le président du Parti démocrate Marian Lupu se fait l’avocat du gouvernement et de son orientation pro-européenne, Mihai Ghimpu, leader du Parti libéral, soutien du gouvernement, reprend l’antienne de l’unionisme. Les pro-européens « alternatifs » sont divisés, représentés par trois candidatures ; celles du leader des mouvements de 2015, Andrei Nastase, de l’ancienne ministre de l’Education, Maia Sandu et de l’ancien Premier ministre Iurie Leanca.

Personne n’attend grand-chose de cette campagne pour un poste sans grand pouvoir. Le camp gouvernemental ménage Dodon et s’en prend violemment aux autres candidats européens. Il devient évident qu’il se prépare à une cohabitation où chacun sera dans son rôle, un pro-russe sans grande possibilité d’agir à la présidence, un gouvernement pro-européen en posture de rempart aux visées du Kremlin. Une cohabitation orchestrée par la politique du « Kompromat » qui consiste à contenir son adversaire grâce aux informations que l’on détient sur lui.

Un premier coup de théâtre secoue la campagne électorale. Mi-octobre Andrei Nastase renonce à sa candidature pour soutenir Maia Sandu, le candidat du gouvernement se retrouve largement dépassé dans les sondages.

Marian Lupu est menacé d’une défaite humiliante, le deuxième coup de théâtre survient. A quelques jours du vote, accompagné de Vlad Plahotniuc, il déclare publiquement renoncer à sa candidature pour soutenir Maia Sandu et le parcours européen de la Moldavie.

Ce « soutien » est un baiser de Judas car les deux principaux candidats s’affrontent sur la nécessité de reprendre le pays des mains du système oligarchique.

Où les masques tombent

Malgré une forte abstention, les résultats du premier tour sont sans appel. Igor Dodon manque de peu de l’emporter avec 48% des voix, Maia Sandu est deuxième avec près de 39%.

Les habituels débats géopolitiques ne sont pas au centre de cette campagne. Dodon ne dénonce pas l’Accord d’association avec l’UE même s’il le trouve imparfaitement négocié. Les deux candidats se retrouvent sur la nécessité d’un dialogue constructif avec Moscou.

L’enjeu principal est de montrer à quel point l’adversaire est lié au « système ».

Maia Sandu est attaquée sur sa proximité supposée avec Vlad Filat et sa participation au gouvernement aux côtés du Parti démocrate. Ses réformes sont dénoncées notamment la fermeture d’établissements scolaires par souci d’économie.

Le candidat socialiste est obligé de grossir le trait pour démontrer que sa concurrente fait partie du système. Maia Sandu n’a pas à se donner tant de mal. Les agissements de l’ancien ministre de l’Economie, ses trahisons politiques, l’origine de ses biens ou celle du financement de son parti posent questions. Igor Dodon se retrouve donc mal placé pour mener campagne sur la probité, il prend position sur le terrain des « valeurs ».

Le candidat socialiste, qui n’est pas une contradiction près, se définit comme un « conservateur » attaché à l’identité moldave et à la famille traditionnelle. Il associe ces valeurs à la religion orthodoxe et s’en fait le défenseur contre une libéralisation des mœurs et une perte d’identité qu’il attribue à « l’européanisation » de la société. Dans sa croisade, il s’acharne sur une loi s’opposant aux discriminations des minorités sexuelles votée dans le cadre du rapprochement avec l’Union européenne. L’homophobie, qui doit autant à l’Eglise orthodoxe qu’au passé soviétique, est utilisée comme arme contre Sandu accusée d’être soutenue par les associations LGBT.

Entre les deux tours, les hiérarques de l’Eglise orthodoxe de Moldavie prennent fait et cause pour le candidat socialiste. Ils mettent publiquement en cause l’appartenance religieuse de Sandu, célibataire sans enfant, que les prélats décrivent fort peu charitablement comme « une femme stérile » qui n’aurait pas « rempli sa fonction naturelle ».

Autre menace pour les valeurs traditionnelles ; les migrants. Une rumeur court, Maia Sandu aurait promis à Angela Merkel l’accueil de 30000 réfugiés syriens en échange de son soutien. Cette rumeur est reprise par la plus suivie des chaînes de télévision, Prime. Un reportage y montre trois étudiants syriens appelant à soutenir Maia Sandu, prête à accueillir leurs compatriotes. La manipulation est dénoncée mais le mal est sans doute fait et Vlad Plahotniuc qui contrôle Prime confirme être un bien douteux soutien.

Deux Moldavies, un seul système

Au fil de la campagne, l’électorat des deux candidats se dessine clairement.

L’objectif de Maia Sandu est de mobiliser les abstentionnistes et la diaspora. Elle est aidée par un élan civique des Moldaves de l’étranger qui lancent des appels au vote par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Les ressorts de cette campagne parallèle sont plus grossiers mais efficaces ; les enjeux de l’élection sont dramatisés ; le mouvement est majoritairement le fait de jeunes qualifiés partis étudier et travailler en Occident, en dépit des sacrifices imposés par cette expatriation, ils sont les gagnants de l’ouverture de la Moldavie. Pour cette fraction de la population, il faut battre Dodon le Russe mais aussi son électorat trop souvent décrit comme « les déplorables » d’une autre élection récente.

Pour assurer sa victoire, Igor Dodon doit maximiser le vote ethnique en ciblant les régions à forte population russophone en agitant le péril unioniste, mais il s’adresse surtout à un électorat populaire souvent rural qui dépasse les segmentations ethniques. L’électorat d’Igor Dodon est largement composé de ceux qui n’ont pas pu bénéficier de l’ouverture à l’Union européenne, trop âgés, trop isolés, trop peu qualifiés pour envisager leur vie ailleurs ou intégrer les rares secteurs économiques porteurs, un électorat auquel il faut ajouter ceux qui ont pâti de l’embargo imposé par la Russie. Une population plus traditionnaliste, inquiète des évolutions du monde souvent présentées de façon déformée par certains médias. Un électorat sensible au message d’une église dont les liens avec le pouvoir sont troubles et qui, comme dans l’ensemble du monde orthodoxe, constitue une opposition sourde à la philosophie libérale.

Le public d’Igor Dodon est également le plus touché par les effets des réformes demandées par l’Union européenne ou les bailleurs internationaux. Argent détourné par les uns, réformes appliquées à la hussarde pour les autres par un gouvernement peu apte à mettre en place des politiques publiques équilibrées. Politiques d’austérité, privatisations, réduction des dépenses publiques menées au profit des plus forts. Ces mesures laissent en déshérence des populations et des régions entières.

Au-delà de leur polarisation, les deux votes expriment une protestation contre un même objet, perçu de façons différentes : un système corrompu qui se perpétue en balançant constamment entre deux blocs antagonistes.

A l’Est, rien de nouveau

Le second tour est émaillé d’incidents. Les rumeurs de fraude circulent. Irrégularités ou lacunes administratives, elles n’ont pas fait pencher la balance.

Les résultats confirment les constatations du premier tour. La capitale et les régions limitrophes qui concentrent services et secteurs d’activité fonctionnels et la diaspora optent pour Maia Sandu. Le reste du pays choisit Igor Dodon, avec une majorité écrasante dans les régions russophones, mais le candidat socialiste remporte également des départements où la présence des minorités est faible. Maia Sandu n’a pu refaire son retard malgré une participation en hausse.

Igor Dodon est donc élu. Il se présente comme un dirigeant à poigne mais à l’écoute du peuple. Il s’engage à lutter contre le système, promet un Etat protecteur et la défense de la nation moldave. Il est l’ami de la Russie et de l’Europe. Un profil devenu fréquent.

La Russie salue cette victoire, la presse occidentale y voit une nouvelle alerte. Le gouvernement de Chisinau se déclare prêt à collaborer avec le président élu et que la direction européenne de sa politique n’est pas remise en cause. La Commission européenne accueille avec quelques réserves l’élection du président en rappelant la nécessité des réformes . Le même jour, le Conseil des affaires étrangères européen félicite les pays du partenariat oriental de leurs progrès.

Maiavem o sansa ? [6]

La possibilité d’une évolution politique en Moldavie est cependant apparue pendant cette campagne électorale. Une opposition pro-européenne unie a pris forme et obtenu sans grands moyens ni expérience un résultat inespéré. Cette opposition a démontré plusieurs choses. Il est possible de mener une campagne réussie en s’adressant à tous les citoyens sans les diviser par ethnies, sans faire référence à un protecteur ou une à une menace extérieure, il est possible qu’une femme mène cette campagne. La campagne de Maia Sandu a également montré que les Moldaves de l’étranger et que les jeunes pouvaient se mobiliser s’ils savaient pour qui voter. Cette opposition doit aujourd’hui convaincre qu’elle peut-être aussi celle de catégories plus défavorisées.

Les élections présidentielles ont une dimension symbolique. La majorité a tourné la tête vers la Russie plus souvent par dépit que par envie, mais Igor Dodon, sans grand pouvoir, ne pourra rester que dans une opposition de façade. Le véritable enjeu sont les élections législatives prévues en 2018, à l’opposition européenne de les préparer au mieux, si l’UE garde la volonté de ne pas se couper de ses marges, il reste une chance.

[1] Le Parti libéral démocrate de Moldavie
[2] Neuf ans de prison ferme
[3] Victoria Nuland est connue entre autre pour des propos peu amènes vis-à-vis de l’Union Européenne, tenu en pleine crise ukrainienne.
[4] Le directeur de la campagne électorale d’Hillary Clinton
[5] Cf ; https://www.opendemocracy.net/od-russia/eleanor-knott-mihai-popsoi/our-man-in-moldova-plahotniuc
[6] En roumain ; il nous reste une chance, slogan de campagne utilisant le prénom de la candidate.

Barack Obama : quel bilan ?

Tue, 15/11/2016 - 12:43

De nombreux observateurs estiment que Barack Obama a déçu. Si c’est le cas, c’est au regard des immenses espoirs placés en lui au moment de son arrivée à la Maison Blanche en 2009. Tout le monde se réjouissait évidemment du départ de Georges W. Bush, remplacé par un président sympathique, ouvert au monde, multiculturel et multilatéraliste. Mais il était d’ores et déjà certain que Barack Obama ne pouvait réparer toutes les erreurs, et leurs conséquences, de son prédécesseur. Il n’avait pas de baguette magique et n’était pas de surcroît le président de la communauté internationale, comme certains l’espéraient. On pouvait cependant souhaiter qu’il défende l’intérêt national américain avec plus de clairvoyance que Georges W. Bush.

Dresser un bilan de son action diplomatique nécessite une analyse, dossier après dossier, de ses succès et de ses échecs.

Les réussites

La première consiste à ne pas avoir lancé les États-Unis dans une nouvelle guerre. Barack Obama avait été élu pour mettre fin aux guerres dans lesquelles Georges W. Bush a empêtré l’armée américaine : les guerres d’Irak et d’Afghanistan, aux goûts, coûts et conséquences catastrophiques, aussi bien sur le plan matériel que stratégique. Il a tenu sa promesse. Mais, le cas syrien interpelle : fallait-il dresser une ligne rouge pour ensuite ne pas en assurer le respect, lorsque Bachar Al-Assad a fait usage d’armes chimiques ? Lancer une guerre en Syrie, en dehors de tout mandat des Nations-unies, n’aurait pas forcément arrangé la situation mais, en fixant des limites qu’il n’a pas respectées, Barack Obama a commis une erreur. Autre cas d’étude, le conflit israélo-palestinien. Sur ce dossier, les marges de manœuvre de Barack Obama étaient faibles. Il a demandé à Benyamin Netanyahou de cesser les colonisations ; ce dernier l’a ignoré. Compte tenu de l’obtention du prix Nobel de la paix et de son discours du Caire, cette impuissance est synonyme de défaite pour Obama. Mais elle est à observer au regard de la relation « spéciale » qu’entretiennent Israël et les États-Unis et du blocage du Congrès et de la société américaine face aux initiatives de leur président. Les relations personnelles sont mauvaises entre Netanyahou et Obama. Toujours est-il que les États-Unis ont augmenté leur aide à Israël, malgré le refus de ce dernier à tenir compte des remarques américaines.

Il convient également de mettre au crédit d’Obama, l’élimination d’Oussama Ben Laden et, peut-être avant son départ de la Maison blanche, la fin de l’État islamique en tant qu’entité territoriale. Cet événement ne mettra cependant pas fin au terrorisme, car ses causes n’ont pas été éliminées.

Le futur ex-président a de plus normalisé ses relations avec l’Iran, mauvaises depuis 1979. Il écarte ainsi deux dangers : un Iran nucléaire ou une guerre pour l’empêcher d’acquérir ce statut. Il a démontré, avec les autres membres du P5 +1, que la voie diplomatique était préférable à une solution militaire, préconisée par certains acteurs. Des acteurs qui ont oublié les conséquences négatives de la guerre d’Irak qu’ils avaient eux-mêmes recommandée. Autre point positif : le rétablissement des relations avec Cuba qui met un terme à une mésentente datant de 1959 et plante le dernier clou au cercueil de la guerre froide.

Enfin, l’accord de Paris a contribué à apprécier positivement l’héritage de B. Obama. Les États-Unis se sont, par le passé, montrés très réticents à un accord sur le climat. Avec la Chine, ils ont mis fin à ces réticences. Ce succès, qui est aussi celui de la France, vient embellir le tableau diplomatique d’Obama.

Les échecs

Le principal échec de B. Obama en matière diplomatique est peut-être son incapacité à actionner le bouton « reset » des relations avec la Russie. Les rapports entre Moscou et Washington sont en effet toujours glaciaux. Contrairement à sa promesse de 2008, Barack Obama n’a pas mis fin au programme de défense anti-missile. Il le considérait à l’époque comme un programme coûteux faisant face à une menace inexistante fondée sur des technologies non prouvées. Les pressions du complexe militaro-industriel ont peut-être eu raison de ses réticences. Il a ainsi accepté un redéploiement, motif de crispation pour la Russie. Tant sur l’Ukraine que sur la Syrie, les positions de Moscou et de Washington divergent. Et Moscou n’a pas digéré l’élargissement de l’OTAN.

Durant l’affaire libyenne, Barack Obama avait accepté, avec réticence et en retrait, de soutenir l’action menée par la France et la Grande Bretagne. Cette intervention militaire, à laquelle la Russie n’avait pas initialement mis de veto, a été changée en cours de route, passant d’une « simple » protection de la population à un changement de régime. La tournure prise a également contribué à dégrader les relations entre Moscou et Washington.

Barack Obama n’est certainement pas parvenu à entreprendre tout ce qu’il souhaitait. Des espoirs excessifs – au regard de ses marges de manœuvre – ont sans doute été placés en lui, mais son bilan reste équilibré et relativement bon. Avec l’arrivée prochaine de Donald Trump à la Maison blanche, il est certain qu’on le regrettera.

« Monde arabe, le grand chambardement » – 3 questions à Yves Aubin de la Messuzière

Mon, 14/11/2016 - 12:27

Yves Aubin de la Messuzière, diplomate, fut directeur de la section Afrique du Nord et Moyen-Orient du Quai d’Orsay entre 1998 et 2002. Son dernier ouvrage Monde arabe, le grand chambardement, paru aux Éditions Plon, est particulièrement éclairant et livre une remarquable analyse des grands bouleversements qui touchent la région.

Pourquoi diagnostiquez-vous un affaiblissement global des puissances arabes ?

Il y a à l’évidence une perte de puissance dans le monde arabe, qui s’est manifestée depuis le début des années 2000. Que constatait-on avant l’émergence des révoltes arabes en 2011 ? Du fait du déclin de l’Égypte, dans les dernières années Moubarak, et de l’effondrement de l’État irakien après l’invasion américaine en 2003, les seules puissances qui comptent au Proche et Moyen-Orient ne sont pas arabes : Israël, la Turquie et l’Iran. Malgré les sanctions sévères liées à la poursuite de son programme nucléaire, le régime des Ayatollah conservait un potentiel militaire important, grâce à une armée aguerrie. En dépit d’un arsenal considérable, la Libye ne disposait pas d’un poids stratégique. La donne géostratégique s’est significativement modifiée au cours de ces cinq dernières années et on assiste à un nouveau rapport de force dans la région et au sein du monde arabe. Depuis l’accession au trône du roi Salmane, en 2015, l’Arabie saoudite, dont la diplomatie était plutôt discrète, affirme de nouvelles ambitions régionales. Elles se concrétisent par la constitution d’une coalition rassemblant les pays arabes du Golfe, la Jordanie et le Maroc, autant d’États sunnites, afin d’engager une offensive contre la rébellion houthiste du Yémen. Malgré les moyens militaires considérables engagés par Riyadh, premier acheteur d’équipements militaires au monde, l’intervention dont l’objectif est de contenir l’influence de l’Iran dans la région, est un échec. La monarchie wahhabite, déjà affaiblie par la chute de la rente pétrolière et la contestation d’une jeunesse marginalisée et frustrée, fait face au risque d’une déstabilisation. L’Égypte du maréchal Sissi cherche à retrouver son poids stratégique, mais son relèvement se fait à l’ombre des pays du Golfe, plus particulièrement de Riyadh, qui financent son développement et ses équipements militaires. D’un équilibre jadis dominé par les grands États au cœur du nationalisme arabe – l’Égypte, la Syrie et l’Irak – on passe à un basculement de puissance au profit d’un pôle golfique plutôt stable et attractif économiquement.

Les interventions politiques et militaires des deux puissances non arabes que sont l’Iran et la Turquie, en Syrie, au Liban et en Irak, limitent les marges de manœuvre des pays arabes, notamment du Golfe. La Syrie de Bachar Al-Assad a délégué à l’Iran une partie de sa souveraineté. En s’appuyant sur le Hezbollah, les Pasdarans sont à l’avant-garde de la confrontation sur le terrain avec toutes les formes de rébellion (avec le soutien aérien russe). La Turquie est engagée depuis peu au nord de la Syrie pour empêcher la constitution d’une autonomie kurde. En Irak, l’Iran s’assure un rôle dans la reconquête de Mossoul par le contrôle de milices chiites, tandis qu’Ankara se pose en protecteur des Turkmènes et d’autres populations sunnites. Au Liban, l’élection du général Aoun à la présidence, avec l’appui du Hezbollah renforce la main de Téhéran et affaiblit l’influence de Riyadh.

Les concepts d’islamisme politique, islamisme radical, salafisme et djihadisme sont-ils interchangeables, comme certains commentaires le laissent paraître ?

En effet, il existe parfois une réelle confusion entre ces différents concepts. L’islam politique, qu’il faut distinguer de l’islamisme radical, désigne un courant idéologique visant à l’établissement d’un État fondé sur les principes de l’islam. L’organisation des Frères musulmans, en Égypte, ainsi qu’Ennahda en Tunisie, entrent dans la catégorie du courant islamo-conservateur, dénomination la plus pertinente pour le distinguer des mouvances radicales salafistes ou djihadistes. L’un comme l’autre, sont parvenus au pouvoir au lendemain de la chute des régimes autocratiques, dans le cadre de processus démocratiques. Mais les expériences égyptienne et tunisienne de domination de l’islam politique n’ont eu qu’un temps bref, en raison de leur incapacité à gouverner. C’est en ce sens que l’on peut évoquer l’échec de l’islam politique, même si Ennahda participe au gouvernement et, qu’au Maroc, le PJD cohabite avec le Makhzen qui détient l’essentiel du pouvoir.

Le djihadisme se définit comme une doctrine radicale au sein de l’islam, qui prône la violence pour la réalisation d’objectifs à la fois religieux et politiques. Son but est de reconstituer la Oumma, la communauté des musulmans. C’est l’invasion de l’Afghanistan par les soviétiques en 1979 qui a ouvert la voie au djihadisme mondial dont Al-Qaïda sera la représentation la plus radicale. L’organisation de Ben Laden deviendra la matrice du Front Al Nosra et de l’État islamique.

Le salafisme est plus complexe à définir, tant il a emprunté des modes d’actions différentes, selon qu’il soit quiétiste ou djihadiste. À l’origine, sa doctrine exalte le comportement des pieux ancêtres, dénommés « Salaf ». Il s’est surtout développé en Arabie saoudite, lorsque les Saoud dans leur conquête du pouvoir à la fin du XVIIIème siècle, se sont appuyés sur le mouvement religieux ultraconservateur wahhabite, d’inspiration salafiste. Le royaume wahhabite est depuis des décennies le propagateur du salafisme par l’entremise d’imams formés dans l’université islamique de Médine. Ainsi plusieurs mosquées salafistes de France sont financées par La ligue islamiste mondiale, le bras armé de la propagande religieuse du Royaume. Les responsables gouvernementaux français créent la confusion lorsqu’ils font le lien entre le salafisme et le djihadisme le plus radical. Les enquêtes sur les attentats terroristes en France révèlent que leurs auteurs n’ont pas été radicalisés dans les mosquées salafistes. Le salafisme en France est largement quiétiste auquel on peut reprocher, par contre, d’encourager le repli communautaire.

L’Union européenne est-elle affaiblie de manière durable dans la région ?

Sans conteste, l’Union européenne pèse de moins en moins dans la région proche orientale, alors même que les convulsions au cœur du monde arabe l’atteignent directement de par sa proximité géographique. Plusieurs pays, plus particulièrement la France, sont la cible des organisations terroristes, tandis que d’autres subissent les flux migratoires. Sur l’ensemble des crises de la région, on ne peut que constater l’absence d’une stratégie d’ensemble, qu’il s’agisse de l’Irak, de la Syrie ou de la Libye, et récemment concernant « la crise des réfugiés ». L’Union européenne semble atteinte d’une cécité collective face aux grands bouleversements de l’Histoire. Autre signe de cette absence de stratégie, l’échec de l’Union pour la Méditerranée, qui devait consacrer la solidarité entre les deux rives. L’Europe ne sera probablement pas partie prenante dans la solution politique du conflit central syrien, qui émergera d’un accord entre Washington et Moscou, avalisé par les principaux acteurs régionaux : la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite.

Le Monde selon Donald Trump ?

Mon, 14/11/2016 - 12:03

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Corée du Sud : période agitée au ‘’pays du matin calme’’

Thu, 10/11/2016 - 18:06

Habituée aux coups de tonnerre répétés et aventurismes divers émanant de Pyongyang, la péninsule coréenne et la communauté internationale sont moins rompues aux (rares) soubresauts impulsés depuis Séoul ; en cet automne 2016 atypique, la capitale américaine n’a pas le monopole des (mauvaises) surprises ; contre son gré, sa lointaine cousine sud-coréenne semble bien partie pour lui emboîter le pas.

Déjà aux prises avec un environnement régional tendu entretenu par le régime nord-coréen (deux essais atomiques et vingt tirs de missiles balistiques réalisés depuis janvier) et un contexte économique en retrait des attentes de la population (PIB + 2,6% en 2015 ; projections autour de +2% en 2016), la République de Corée (4e économie d’Asie ; 11e économie mondiale) se voit irrémédiablement happée par une grave crise politique impliquant directement la Maison Bleue, la présidence sud-coréenne.

Première femme à accéder à ces fonctions dans le pays (en février 2013), Madame Park Geun-hye (parti Saenuri), fille d’un ancien chef de l’Etat (le général Park Chung-hee ; 1963-1979), risque fort de connaître une fin de mandat (jusqu’en février 2018) tourmentée. Les 200 000 personnes attendues dans les rues de Séoul samedi 12 novembre pour appeler à sa démission ne nous démentiront pas.

Emportés ces dernières semaines par une véritable tempête politique associant l’humain (affectif ; relations personnelles) et le financier (allégations de détournement de fonds par une proche), le crédit et l’autorité de la présidente flirtent avec des abimes d’impopularité dont il parait difficile de se remettre, alors que l’opposition et ses principaux ténors ne ménagent pas leur peine pour sceller définitivement le sort de l’administration en place.

Longtemps bâtie, en plus de son affiliation politique paternelle, sur un socle de sérieux et d’intégrité, l’autorité de cette énergique sexagénaire aura le plus grand mal à se remettre de l’imbroglio dans lequel ses relations personnelles (de longue date) avec certains individus aux projets personnels notamment financiers, ainsi qu’aux prérogatives controversées (cf. conseil de la présidente en dehors de tout mandat, y compris en matière de politique intérieure et extérieure) ont miné la Maison Bleue et réduit son crédit à une quantité négligeable.

Ses tentatives de sortie de crise ‘’par le haut’’, avec la nomination-validation par l’opposition d’un Premier ministre aux compétences élargies jusqu’au terme de la mandature actuelle, sont jugées hors de propos et se heurtent à une hostilité marquée, reflet de son crépuscule politique prochain.

Les propos d’une majorité d’observateurs recueillis ces derniers jours à Séoul trahissent une sourde colère de l’opinion et une rupture de confiance avec les élites dirigeantes. Ils font également état d’une réelle lassitude pour les ‘’affaires’’ à répétition affligeant la nation, pourtant exposée, comme bien d’autres en Asie-Pacifique et ailleurs, à des enjeux autrement plus importants (socio-économiques notamment ; croissance ; emploi ; sécurité). Dans la morosité du moment, peu d’interlocuteurs osent espérer quelque éclaircie salvatrice pour le gouvernement, lequel devrait trainer sa peine jusqu’au prochain scrutin présidentiel, prévu d’ici une longue quinzaine de mois. A moins que Mme Park ne décide, sous la pression de la rue et de ses (bons) conseillers, de quitter prématurément son poste (peu de gens misent, pour l’instant, sur une telle hypothèse) ; auquel cas, selon la Constitution, un scrutin pourrait alors être organisé sous soixante jours…

En théorie, la faiblesse passagère affligeant la présidence sud-coréenne aurait pu donner matière à quelque attaque (rhétorique) facile de la part du régime nord-coréen, généralement prompt à se saisir de tout argument, avéré ou grossier, pour malmener, houspiller ou menacer les autorités du sud. A cette heure, on serait plutôt surpris par la relative retenue de Pyongyang ; une ‘’réserve’’ inhabituelle sur laquelle on n’aurait pas nécessairement misé en pareille circonstance.

Naturellement, cette atypique ‘’discrétion’’ nord-coréenne pourrait ne pas durer. Occupé à digérer la surprise de l’élection du candidat républicain à la présidentielle américaine, le régime nord-coréen pourrait très vite retrouver ses (mauvais) esprits et recouvrer sa traditionnelle logorrhée critique et calomnieuse à l’endroit de Séoul, en forçant comme il se doit sur les traits.

Si l’agitation verbale de Pyongyang sur cette thématique sensible est pour l’heure le cadet des soucis de l’administration Park, il en va bien différemment de l’arrivée prochaine de Donald Trump à la Maison-Blanche. Au plus haut niveau de l’Etat, au quartier-général des principaux partis de l’opposition, dans les états-majors de l’armée sud-coréenne comme dans les influents centres de recherche et think tanks du pays, la stupeur du succès républicain (ni anticipé, ni appelé de ses vœux) a jeté ce qu’un euphémisme commode nommerait un froid polaire, en cet automne précoce sur le plan politique, partisan et stratégique.

Des premiers échanges sur le sujet auprès de ces diverses autorités, il ressort une préoccupation générale quant aux contours à venir de la relation jusqu’alors privilégiée américano-sud-coréenne, pierre de touche sécuritaire et stratégique de Séoul des dernières décennies. Les diverses sorties de Donald Trump ces derniers mois sur le sujet – fussent-elles à l’occasion contradictoires et à replacer dans un contexte de campagne électorale faisant peu cas de mesure (cf. financement de la présence militaire américaine en Corée du Sud ; retrait possible des troupes US) – ont sensiblement ébranlé les cercles du pouvoir et de réflexion au sud du 38e parallèle, précipitant ces derniers vers la nécessité de concevoir de possibles ajustements politiques, militaires, géopolitiques.

Troublés plus que réellement apeurés, les responsables sud-coréens, déjà accaparés ou affligés par la crise politique domestique en cours, guettent et espèrent de leurs vœux les premiers signaux rassurants en provenance de la future administration américaine, pourvu qu’ils aillent majoritairement dans le sens de l’apaisement et qu’ils confirment Séoul dans son statut d’alliée stratégique majeure des Etats-Unis en Asie-Pacifique. En ces temps intérieurs difficiles, le ‘’pays du matin calme’’ et ses 51 millions d’individus n’ont aucune appétence pour des lendemains stratégiques incertains ; le voisinage avec l’imprédictible et menaçante Corée du Nord suffit amplement à leur peine.

«Une politique étrangère des Etats-Unis plus imprévisible»

Thu, 10/11/2016 - 16:04

Donald Trump a fait beaucoup de déclarations sur la politique étrangère des Etats-Unis. Pas facile de s’y retrouver. Y a-t-il une ligne directrice ?

La politique étrangère de Donald Trump devrait être très transactionnelle, pas forcément cohérente mais au coup par coup, basée sur les qualités de négociateur dont il aime se féliciter. Ce qu’il y a de certain, c’est que nous aurons à faire avec une politique des Etats-Unis moins cohérente, en tout cas plus imprévisible, notamment sur les trois grands chantiers internationaux laissés par le président sortant Barack Obama derrière lui : l’Europe de l’Est, c’est-à-dire l’Ukraine et la Russie, le Moyen-Orient et l’Asie.

Quels changements apparaissent cependant envisageables dans les relations avec la France et l’Europe ?

Il est sûr que le nouveau président aura moins de respect pour ses vieux alliés européens, dont la France, qui risquent d’être davantage à l’épreuve. L’Europe devra s’organiser. Quand je dis l’Europe, c’est surtout l’Allemagne et la France pour définir une attitude commune car la Grande-Bretagne se retrouve pour longtemps écartée de toute influence internationale. Si la France et l’Allemagne ne sont pas capables de parler d’une même voix pour exprimer une politique commune sur les grands sujets, cela risque de poser problème.

Un certain nombre de traités sont en question, en négociation, en processus de ratification (Cop 21, Tafta…). Peut-il y avoir une en remise en cause ?

Sur un point, Trump a été clair. Il a déjà dit qu’il ne voulait pas de la COP 21 sur le climat, que ce n’était pas un traité, et d’ailleurs que le Sénat américain, qui ratifie les traités – aux Etat-Unis, ce n’est pas le président –, ne l’aurait pas fait.

II y a les dossiers sensibles du terrorisme, la Syrie, l’Irak. Trump prône l’isolationnisme, avec quelles conséquences ?

Il faudra de toute façon que le nouveau président compose avec tous les éléments institutionnels de la diplomatie américaine. Il ne sera pas seulement un homme fort ou une grande gueule. Il pourrait s’entendre avec la Chine par exemple dans une stratégie à long terme. Sur le problème syrien, l’establishment a les clés, le problème de la Syrie et de l’Irak, par effet de conséquence, se règle au niveau de la Turquie, membre de l’Otan, l’Iran et l’Arabie saoudite. Quant au Proche-Orient, on remarque qu’on ne parle plus du problème israélo-palestinien.

Le caractère provocateur, «à l’emporte-pièce» de Donald Trump, mis en exergue par ses déclarations pendant la campagne peut-il donc être «contrôlé» par l’administration ?

L’establishment va jouer son rôle pour lisser la politique étrangère. Mais dans le même temps, Donald Trump peut dire : «J’ai un mandat du peuple américain». Ce qui n’était pas évident avant, avec Barack Obama, l’est davantage aujourd’hui, parce que le Congrès est aussi républicain. Cela dit, je crois que pour mieux connaître la politique étrangère mise en œuvre par Trump, il ne faut pas se baser sur ses déclarations de campagnes mais plutôt sur ses futures déclarations. Il a déjà commencé à changer, d’ailleurs, dès son élection. Dans sa première déclaration, il s’est posé en rassembleur. Alors…

Recueilli par D.H.

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