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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 18 hours ago

Attaque à Istanbul : « Ça devient compliqué pour Erdogan »

Mon, 02/01/2017 - 18:09

Les autorités turques recherchent toujours ce lundi l’auteur de l’attaque contre une boîte de nuit d’Istanbul qui a fait au moins 39 morts dans la nuit du réveillon. Quelques heures avant la revendication de l’attentat par Daech, Didier Billion, directeur adjoint de l’Iris, spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient, soulignait que l’organisation terroriste avait multiplié les attaques sur le sol turc depuis juillet 2015.

Le PKK kurde a nié toute implication dans cet attentat. C’est donc Daech ?

Le mode opératoire tout comme la cible semblent en effet désigner Daech. Les séparatistes kurdes s’en prennent généralement aux policiers et aux militaires, même si leurs actions tueDidier Billion, directeur adjoint de l’Iris, spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient.nt aussi des civils. Attaquer une boîte de nuit rappelle évidemment les attaques du 13 Novembre à Paris. Daech frappe les imaginaires, aveuglément. Une boîte de nuit est à leurs yeux un endroit de perdition, symbole de la décadence occidentale. Et facteur aggravant : en terre d’islam.

Pourquoi l’organisation cible autant la Turquie, qui l’a pourtant longtemps ménagée ?

Dans son obsession de vouloir renverser Assad en Syrie, le pouvoir turc a fait preuve de complaisance avec les djihadistes. Mais il y a deux ans, le président Erdogan, constatant qu’il était de plus en plus isolé, a révisé sa stratégie, allant même jusqu’à accepter depuis cet été qu’Assad participe au processus de transition ! Ankara s’est alors mis à cibler Daech qui se venge depuis juillet 2015 en multipliant les attentats sur le sol turc. C’est d’autant plus facile pour les djihadistes que la Turquie, qui abrite 3 millions de réfugiés syriens, a 900 km de frontière commune avec la Syrie.

Cette volte-face sur la Syrie est-elle liée à la question kurde ?

Clairement. Erdogan s’inquiète de voir les Kurdes syriens alliés au PKK turc, marquer des points en Syrie. Pas question pour Ankara de laisser se former un territoire autonome kurde à cheval sur les deux pays. Entre eux, c’est une course contre la montre, qui va notamment se jouer dans la prochaine bataille de Raqqa, le fief syrien de Daech.

La Turquie est donc prise dans un étau…

Le pouvoir est aux prises avec trois ennemis, ce qui fait beaucoup : Daech, le PKK kurde et les partisans du prédicateur Fethullah Gülen (accusés d’avoir voulu renverser Erdogan le 15 juillet). Le pouvoir turc a beau se prétendre très fort et museler les médias, il est extrêmement fragilisé par ces trois fronts. D’autant plus que les purges spectaculaires dans l’administration, l’armée et la police qui ont suivi le putsch raté n’arrangent pas la situation. Tout comme l’économie qui se dégrade depuis quelques mois. Pour Erdogan, cela devient très compliqué. Et personne, surtout pas l’Europe, n’a intérêt à ce que la Turquie soit trop affaiblie.

Propos recueillis par Charles De Saint Sauveur

Quel est le poids de la France dans la lutte contre Daech ?

Mon, 02/01/2017 - 17:04

La marge de manœuvre de la France en Irak et surtout en Syrie est très limitée. Après les attentats de Paris, François Hollande a expliqué qu’il allait renforcer les bombardements aériens contre Daech à Rakka. C’est une erreur. La multiplication des frappes touche la population civile et aboutit, au final, à sa radicalisation. L’outil majeur contre Daech reste un travail de renseignement pour infiltrer les réseaux djihadistes.

Ceci posé, il est certain que la visite du président français à Bagdad est une bonne chose. Elle représente un soutien à des autorités irakiennes qui essaient d’inclure toutes les composantes du pays. Ce gouvernement fonctionne bien mieux que le précédent. Mais la société irakienne est fragmentée, affaiblie économiquement, victime quotidienne d’attentats. Le pouvoir irakien doit aussi composer avec les revendications des Kurdes d’Irak, même s’ils n’ont pas de velléité sécessionniste.

La tâche est autrement plus difficile avec Damas. Les autorités françaises ont longtemps expliqué que la solution ne pouvait passer que par un départ de Bachar Al Assad. Aujourd’hui, cette ligne s’est infléchie. La position du président syrien s’est considérablement affaiblie, mais il fait partie de la solution politique qui sera discutée à Astana, sous l’égide de la Russie. À ce stade, aucune puissance occidentale n’est conviée dans la capitale kazakhe. C’est la première fois depuis des décennies que les États-Unis sont absents d’un conflit au Moyen-Orient.

Depuis le début du conflit syrien, Moscou a une position claire. Ses analyses ont été confirmées par les faits. Dans ces conditions, la France n’est pas plus faible que les États-Unis, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Elle essaie de marquer de son empreinte la situation régionale, en tentant d’être active sur le dossier antiterroriste. En Irak, elle a considéré que la solution contre Daech passait par un règlement politique, par un gouvernement plus inclusif, ce qui est maintenant le cas. En Syrie, la France a eu l’illusion qu’une solution strictement militaire était possible.

Ce qui importe maintenant, c’est que le signal fort d’une relance du processus politique soit envoyé à Astana. Un compromis permettrait alors d’organiser les combats au sol contre Daech. Ils seraient menés conjointement par les forces armées syriennes, les Kurdes, les rebelles modérés. L’opération pourrait débuter dans quelques mois. C’est la seule solution pour en finir avec cette organisation. Les Russes n’ont aucun intérêt à participer à ces combats au sol. Mais il faudra ensuite soigner les fractures de la société syrienne. Elles sont immenses. Astana ne pourra donner qu’un cadre théorique qu’il sera difficile de mettre en œuvre dans un pays ravagé.

Recueilli par Pierre Cochez

The Diverging Economics of European Populism

Wed, 21/12/2016 - 11:54

The relative calm on Europe’s financial markets contrasts with the worsening economic and political stalemate. For the time being, financial markets seem to be driven much more by monetary policy on both sides of the Atlantic and the short-term growth outlook than by the underlying political and economic threats facing the EU. After the episodes of market panic that have characterised the euro crisis, the current phase of complacency might have some advantages. Behind the rather benign assessment of the situation lies the belief that the European establishment has, to some extent, the ability to counter the populist tide sweeping across the continent or, at least, to stick together. Nonetheless, a dynamic of political and ideological divergence along national lines, which predates the electoral rise of populist parties, is gaining traction within the European establishment itself. Populism, far from being a uniform anti-EU movement, thus aggravates a pre-existing logic that leaves the EU unarmed against its own flaws. This situation threatens both the euro zone’s process of rebalancing and the path towards a “soft Brexit.” Populism in a fragmented Europe will have a different kind of economic impact than Donald Trump’s election in the United States.

Long-term sovereign yields have spiked across Europe, notably in core countries, for reasons which, although diverse, do not reflect this underlying situation. European markets mostly seem to be driven less by a fundamental assessment than by the ECB’s signalling of a gradual normalisation (owing to a mixture of economic and political considerations) and rates dynamics in the United States. Donald Trump’s victory has reinforced expectations of a growth-friendly agenda and subsequently enabled the Fed to embark on a more credible path of rate hikes, the anticipation of which has lifted long-term interest rates in the US and abroad. Similarly, European stocks tend to follow Wall Street’s rally (the sustainability of which could be questioned), in a more moderate fashion though. Meanwhile, a series of major events ranging from the Brexit vote to Italy’s referendum amid a severe banking crisis or a new showdown over Greece’s bailout keep fuelling fundamental speculations about the EU’s fate but have fallen short of triggering a full-blown financial crisis so far.

There would be no point, at first glance, in lamenting market complacency. In 2011 and 2012, market trepidation about the euro zone’s debt crisis had debilitating political effects. The bureaucratic imposition of self-defeating austerity measures has infamously delayed any genuine recovery or deleveraging in the hardest-hit countries. The euro zone’s ability to preserve its integrity, thanks to an improvised institutional response centred on the ECB’s rhetoric and, later, on the euro’s devaluation by means of massive asset purchases, has subsequently altered the perception on the trading floor of the way EU politics operates. The euro’s preservation is an existential issue, indeed, not only for EU institutions but also for most national establishments, which have spent the past three decades focusing on monetary unification. This alone underpins the commitment to avoid a break-up in times of crisis. It does not however guarantee agreement among nineteen national governments, with different economic traditions, on the radical kind of mutualisation or macroeconomic coordination that can make a currency union viable long term.

Commentators tend to analyse the rising tide of populism in Europe as a rather homogeneous trend that challenges the EU’s political and economic orthodoxy in a context of economic hardship. The real picture is more complex, since populism follows specific national patterns. Should anti-establishment movements come to power across the EU, this would not translate into a common platform of government, quite the contrary. Looking into specific matters, France’s National Front and the Alternative for Germany, for example, share a common hostility to the euro (in a rather abstract fashion) and to immigration. This should not be considered a far-reaching common platform though. Their broader approaches turn out to be hardly compatible, whether under the single currency or even a looser type of association.

On the economic front, the FN is a statist party that draws on a traditional version of French-style, administrative Keynesianism while the AfD sticks to the economic beliefs (ordoliberal ones, to put it simply) that are entrenched in Germany’s conservative politics, generally speaking, and notably within Angela Merkel’s CDU. The mutualisation of debt and the federalisation of economic policy are even more taboo to German populists than to establishment parties in Berlin. More importantly, contrary to the most common variety, German populism further deters the government from considering a significant investment plan or from encouraging sufficient wage hikes, which would nevertheless be critical to any internal rebalancing of the European economy in terms of competitiveness. The current race to the bottom does the exact contrary.

In the US, Donald Trump’s approach, despite a highly controversial campaign, draws on an economic assessment that can reach beyond anti-establishment rhetoric. His protectionist electoral stance has translated into a more reasonable quest to create manufacturing jobs in the US. This comes at a time when major innovations, notably in the car industry, make this prospect tangible through subtle economic means rather than a self-harming trade war. The dollar’s overvaluation is certainly a threat. This approach — which resonates in the UK with Teresa May’s evocation of an “industrial policy” — nevertheless signals a fundamental shift that eventually redefines political economy from within.

In continental Europe, without even considering precise electoral outcomes, the pressure exercised by populist movements upon national governments aggravates a fundamental situation of divergence and incompatibility. Europe’s various brands of populism share a common anti-establishment stance. In most cases, they also display a wobbly organisation, an entrenched culture of extremism and a lack of institutional credibility. Despite these similarities, they diverge in many respects and unsurprisingly rely on national lines of thought. Reducing anti-establishment politics to a homogeneous trend adds to the current confusion about the EU’s dynamic. Populist movements pose a threat to the EU not so much because of their Eurosceptic stance but because they highlight and deepen the fault lines that separate national political scenes. The single currency in particular makes this situation all the more harmful since no rebalancing can take place in this framework without a complex, perhaps unreachable level of political coordination.

Les divergences économiques des populismes européens

Wed, 21/12/2016 - 11:52

Le calme relatif sur les marchés européens offre un contraste saisissant avec l’aggravation de la situation de fond. Pour l’instant, les marchés semblent être davantage influencés par l’évolution des politiques monétaires des deux côtés de l’Atlantique et les perspectives de croissance à court terme que par les menaces politico-économiques auxquelles l’Union européenne est confrontée. Après les accès de stress financier qui ont caractérisé la crise de l’euro, la phase actuelle de complaisance pourrait présenter certains avantages. L’interprétation implicitement bienveillante de la situation semble motivée par l’idée que l’establishment européen a la capacité, dans une certaine mesure, de contrer la vague populiste qui secoue le continent ou, au moins, d’opposer un front uni.

Pourtant, une dynamique d’éclatement politique et idéologique entre pays, qui est antérieure à la montée électorale des partis populistes, gagne en intensité au sein de l’establishment européen lui-même. Le populisme, loin d’être un mouvement anti-UE uniforme, aggrave donc en fait, particulièrement en Allemagne, une logique préexistante qui laisse l’UE démunie face à ses propres failles. Cette situation empêche aussi bien un rééquilibrage au sein de la zone euro que des négociations pragmatiques sur le Brexit, en raison des pressions populistes au cœur de l’UE et du raidissement simultané du système dans sa périphérie. Le populisme, dans une Europe fragmentée, promet donc d’entraîner des conséquences économiques d’une nature différente de celles de l’élection de Donald Trump aux États-Unis.

Les taux souverains de long terme ont grimpé à peu près partout en Europe, notamment en Allemagne, pour des raisons qui, bien que diverses, ne reflètent pas cette situation sous-jacente. Les marchés européens semblent moins guidés par une évaluation fondamentale que par les signaux de la BCE quant à une normalisation progressive (en raison d’un mélange de considérations économiques et de pressions politiques) et la dynamique des taux aux États-Unis. La victoire de Donald Trump a renforcé les attentes d’un plan d’action propice à la croissance et a permis à la Fed de se lancer dans une voie plus crédible de hausses de taux, dont la perspective a propulsé les taux d’intérêt à long terme des deux côtés de l’Atlantique. De même, les marchés boursiers européens tendent à suivre le rallye de Wall Street (dont la viabilité pourrait être mise en doute), de façon certes plus modérée. Dans le même temps, une série d’événements majeurs, du vote du Brexit au référendum italien en pleine crise bancaire en passant par la nouvelle épreuve de force au sujet du plan de sauvetage grec alimente des spéculations de fond quant au sort de l’Union européenne, sans pour autant déclencher une véritable crise financière jusqu’à présent.

Il serait peu sensé, à première vue, de se plaindre de la complaisance des marchés. En 2011 et 2012, l’agitation financière sur la question des dettes publiques de la zone euro avait produit des effets politiques déconcertants. L’imposition par les bureaucraties nationales, européennes et internationales de programmes d’austérité contreproductifs a retardé toute reprise véritable et tout désendettement dans les pays touchés. Toutefois, la capacité de l’establishment politique de la zone euro à maintenir la monnaie unique, grâce à une réponse finalement centrée sur la rhétorique de la BCE et, plus tard, sur la dévaluation de l’euro au moyen d’achats d’actifs massifs, a modifié la façon dont les salles de marché perçoivent la politique européenne dans son ensemble.

La préservation de l’euro constitue bien un enjeu existentiel, non seulement pour les institutions de l’UE, mais aussi pour la plupart des élites nationales, qui se sont focalisées, au cours des trois dernières décennies, sur la question de l’unification monétaire. Cet aspect sous-tend à lui seul l’engagement à éviter l’éclatement de la zone en temps de crise. Il est insuffisant, en revanche, s’il s’agit de trouver un véritable terrain d’entente entre dix-neuf gouvernements nationaux, aux traditions économiques diverses, sur le type très ambitieux de mutualisation ou de coordination macroéconomique qui rendrait en théorie l’union monétaire viable.

Les commentateurs ont tendance à analyser la montée du populisme en Europe comme une tendance relativement homogène qui défie l’orthodoxie de l’UE dans un contexte de difficultés économiques et de tensions identitaires. La réalité est plus complexe, étant donné que le populisme suit des tendances nationales spécifiques. Les mouvements anti-establishment, même s’ils parvenaient au pouvoir dans toute l’UE, n’auraient pas une plateforme commune de gouvernement, bien au contraire. Si l’on s’intéresse à des sujets spécifiques, le Front national en France et l’AfD en Allemagne, par exemple, partagent une hostilité commune à l’euro (selon des modalités plus ou moins précises) et à l’immigration. Pour autant, leurs approches se révèlent, dans l’ensemble, difficilement compatibles.

Sur le plan économique, le FN est un parti étatiste dont l’approche repose sur une version française du keynésianisme administratif alors que l’AfD suit un credo économique qui n’est pas très éloigné, dans le fond, du centre de gravité ordolibéral de la politique allemande, sur le plan économique. La mutualisation ou la fédéralisation de la politique économique sont encore plus taboues aux yeux des populistes allemands que pour les partis allemands traditionnels. De façon plus importante encore, contrairement à la variante la plus commune, le populisme allemand tend plutôt à dissuader le gouvernement d’envisager un plan d’investissement significatif ou d’encourager des hausses de salaire importantes. Ces mesures sont pourtant les seules qui permettraient de rééquilibrer l’économie européenne, en ce qui concerne la compétitivité entre les divers pays, et de stimuler la croissance. L’actuelle course à l’abîme a l’effet précisément opposé.

Aux États-Unis, l’approche de Donald Trump s’appuie, malgré une campagne controversée, sur une évaluation économique qui dépasse les limites de la simple contestation antisystème. L’approche protectionniste qu’il a présentée au cours de la campagne se traduit surtout par la volonté de créer des emplois manufacturiers au sens large. Cela arrive à un moment où des innovations importantes, notamment dans l’industrie automobile, rendent cette perspective tangible à l’aide de moyens plus discrets et efficaces qu’une guerre commerciale ouverte, dans un environnement mondial où la manipulation monétaire va bon train. La surévaluation du dollar constitue certainement une menace à cet égard. Cette approche (dont on trouve une variante particulière au Royaume-Uni avec l’évocation par Theresa May d’une stratégie industrielle) indique néanmoins un changement fondamental qui redéfinit finalement la réflexion politico-économique de l’intérieur.

En Europe continentale, sans même spéculer sur la tournure que prendront les diverses élections, la pression exercée par les mouvements populistes sur les gouvernements nationaux aggrave une logique fondamentale de divergence et d’incompatibilité des approches. Les diverses variantes de populisme européen partagent certes un même type de position antisystème. Dans la plupart des cas, elles affichent également une organisation bancale, une culture partisane qui reste enracinée dans l’extrémisme et un manque de crédibilité institutionnelle. Malgré ces similitudes, les mouvements en question diffèrent à bien des égards sur le plan économique et reposent naturellement sur des habitudes de pensée nationales, que l’on retrouve au centre de leurs échiquiers politiques respectifs. En particulier, le populisme allemand tend à rendre encore plus rigide la politique économique allemande et exclut toute coordination macroéconomique. Dans le reste de la zone euro, le populisme tend plutôt à nourrir un rejet des règles fiscales de l’euro et des establishments nationaux qui, en retour, se pétrifient encore davantage.

La réduction du populisme européen à une tendance uniforme, sans voir notamment la spécificité allemande en la matière, ajoute à la confusion qui règne actuellement quant à la dynamique de l’Union européenne. Les mouvements populistes constituent une menace pour l’UE non pas tant en raison de leur positionnement eurosceptique que parce qu’ils soulignent et approfondissent les lignes de fracture qui séparent les scènes politiques nationales et empêchent des stratégies de rééquilibrage réalistes. La monnaie unique rend cette situation d’autant plus nocive qu’aucun rééquilibrage ne peut avoir lieu dans ce cadre sans un niveau particulièrement élevé, sans doute inaccessible, de coordination politique.

Thaïlande, le royaume entre deuil et incertitudes

Wed, 21/12/2016 - 11:19

C’est une Bangkok parée de noir et de blanc – les couleurs du deuil et de la pureté – que le visiteur étranger découvre en ce crépuscule 2016, année essentiellement marquée, au ‘’pays du sourire’’, par un événement douloureux pour les 68 millions de Thaïlandais : la disparition courant octobre du vénéré souverain Bhumibol Adulyadej (Rama IX), après 70 années de règne (1946-2016). Un décès qui, tout anticipé[1] fut-il par la population et les autorités, n’en frappa pas moins une nation déjà éprouvée par d’autres tourments, politiques[2] et sécuritaires[3] d’une part, socio-économiques (relative atonie de la croissance) et climatiques[4] de l’autre ; il n’est guère que les Affaires extérieures[5] qui aient globalement laissé en paix cette pièce majeure de l’hétérogène puzzle sud-est asiatique.

Au bienveillant souverain Rama IX – que le peuple de l’ancien Siam n’a probablement pas fini de pleurer – succède donc son fils unique, le Prince Vajiralongkorn (64 ans), auquel l’étiquette protocolaire royale attribue désormais (dans sa version courte) la dénomination officielle de Rama X. Le monarque tout juste investi dans ses fonctions[6], est encore bien loin de jouir auprès de ses sujets du lustre et de l’autorité de son père, dans cette monarchie constitutionnelle au cours politique pour le moins agité[7]. Un nouveau roi qui aurait donc définitivement tiré – par la force des choses… – un trait sur son attitude désinvolte passée et qui entendrait, dit-on dans les milieux bien informés de Bangkok[8], tenir à l’avenir pleinement son rôle de souverain ; un projet distinct de ce qu’on lui prêtait comme ambition jusqu’alors. A voir naturellement dans quelle mesure ces velléités – protocolaires ou politiques – insoupçonnées s’accommoderont des desseins de l’influent establishment[9] de la capitale, pour qui l’avènement, fut-ce d’un souverain en cette terre de bouddhisme, ne saurait non plus compromettre les intérêts.

Ce, d’autant que l’horizon politique national reste à court-moyen terme ‘’balisé ’’ de sérieuses contingences et incertitudes ; consécutif au résultat d’une consultation référendaire (7 août 2016) mise en musique par le gouvernement du général-Premier ministre Prayuth – le Conseil national pour la Paix et l’Ordre (CNPO) -, le retour d’une démocratie ‘’raisonnée’’, un temps envisagé courant 2017, reculerait a priori dans le temps d’une bonne année. L’organisation d’un scrutin législatif s’envisage à présent au second semestre 2018 (pour mieux accompagner la période de deuil national) ; au plus tôt…

Cette ‘’démocratie encadrée’’ est chère à l’establishment – car affaiblissant les formations politiques échappant à son contrôle tutélaire – mais elle est dénoncée par son antithèse populiste[10]. Cette démocratie, qui privilégierait notamment les gouvernements de coalition tout en réduisant l’autorité des hémicycles parlementaires, n’est pas du goût de l’ensemble des Thaïlandais. Si ces derniers savent gré au CNPO du peu souriant Premier ministre Prayuth d’avoir ramené quelque ordre depuis deux ans, dans les rues de la capitale, et le fonctionnement des institutions, cette configuration politique est loin de constituer à ses yeux la panacée. Encore qu’en ces temps de transition monarchique parsemée d’intrigues de palais et de rivalités diverses, la présence rassurante voire anesthésiante de l’armée au sommet de la gestion des affaires nationales (quand bien même son bilan extra-sécuritaire reste sujet à discussion) n’est pas tout à fait pour déplaire…

Loin du Palais Royal de Bangkok, à des centaines de kilomètres en direction des recoins méridionaux du royaume, la tension, la violence et l’effroi n’ont, en revanche, connu ni moratoire ni interruption avec la disparition automnale du monarque, à l’instar de ces six victimes imputées aux séparatistes musulmans (provinces de Pattani et Narathiwat), le 7 décembre 2016. Seize mois après le meurtrier attentat perpétré dans le centre de la capitale – au sujet duquel les autorités demeurent encore bien byzantines pour ce qui a trait à ses motivations et instigateurs quels qu’ils soient -, le péril terroriste ne fait guère cas du recueillement observé par la nation. Pas plus dans un royaume bouddhiste endeuillé qu’ailleurs, la violence radicale et l’extrémisme ne connaissent aucune trêve.

Le regard que porte la communauté internationale sur le ‘’patient thaïlandais’’, affecté depuis le tournant du siècle par quelques pathologies ou carences[11] diverses assurément soignables mais au traitement visiblement trop amer pour être bien assimilé, est plus teinté de désarroi que de craintes existentielles. La crise politique, aussi longue et fiévreuse soit-elle, reste strictement du domaine domestique ; ses incidences économiques touchent avant tout le royaume et ne bouleversent pas les grands équilibres macroéconomiques régionaux ou mondiaux.

La dimension sécuritaire se lit peut-être avec davantage d’appréhension ; longtemps hors champs des radars internationaux, l’insurrection identitaire-séparatiste agitant, balafrant les quatre provinces musulmanes méridionales (autrefois malaises), résonne quelque peu différemment au regard d’autres théâtres de crise associant radicalisation, violence et terrorisme. Le fait que ce royaume bouddhiste abrite une minorité musulmane[12], qu’il est avéré que des citoyens thaïlandais soient partis ces dernières années combattre aux côtés de Daech en Syrie ou en Iraq ou encore que l’attentat du 17 août 2015 porte a priori une signature plus identitaire, religieuse que politique ou partisane, entourent cette thématique sensible – que peine à aborder publiquement le Conseil National pour la Paix et l’Ordre – d’un halo d’inquiétude compréhensible.

Si les Thaïlandais dans leur majorité s’accordent pour faire prévaloir le souvenir du défunt souverain sur les querelles partisanes et les intrigues, il ne fait en revanche guère doute que la matrice du moyen terme reste pétrie de points d’interrogation, de crises potentielles à l’intensité variable. L’arrivée d’un nouveau monarque et la douleur de ses sujets ni changeront rien.

[1] L’âge avancé du monarque et sa santé déclinante laissaient présager à court terme une telle possibilité.

[2] Cf. population divisée sur des lignes de fracture partisanes très tranchées ; gouvernement militaro-militaire en place depuis deux ans et demi.

[3] Cf. poursuite de l’insurrection séparatiste musulmane dans le sud (depuis 2004) et de sa kyrielle quasi-quotidienne d’attentats et d’assassinats ; contexte post-attentat du 17 août 2015 dans le centre de Bangkok (une vingtaine de victimes).

[4] Notamment ces deux années de sécheresse consécutives impactant durement la production agricole nationale.

[5] Si l’on met de côté les appels à un retour ‘’prochain’’ de la démocratie émanant de diverses capitales occidentales.

[6] Avant de pleinement ‘’prendre la main’’ à l’issue de l’année de deuil en cours, soit en octobre 2017.

[7] A l’instar de cette vingtaine de coups d’Etat militaires perpétrés (avec ou sans succès) du vivant de Bhumibol, dont le dernier au printemps 2014…

[8] Entretiens réalisés dans la capitale thaïlandaise par l’auteur de la note mi-décembre 2016.

[9] Lequel regroupe, en une matrice aussi influente que riche et puissante, le palais royal, les élites économiques et industrielles, les milieux bancaires.

[10] Qu’incarnent le Pheu Thai Party (PTP) des anciens Premiers ministres Thaksin et Yingluck Shinawatra, ainsi que le mouvement des ‘’chemises rouges’’.

[11] On pense ici notamment à l’instabilité gouvernementale, à la mobilisation partisane exacerbée, à la paralysie occasionnelle des institutions ou encore à l’impact négatif sur l’économie et l’image, l’attractivité extérieure du royaume.

[12] Dont la volumétrie serait sensiblement plus importante que ne le laissent entendre les statistiques nationales officielles.

Bilan stratégique 2016

Wed, 21/12/2016 - 10:43

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, revient sur les moments forts de l’année stratégique 2016.

Quels progrès ont été effectués sur cette question d’Europe de la défense ?

Wed, 21/12/2016 - 09:32

Le Brexit ou la remise en cause de l’OTAN par Donald Trump sont des évènements de nature à inquiéter les citoyens européens. Les résultats du sommet des chefs d’Etat européens de la semaine passée, où la sécurité européenne a été discutée, sont-elles de nature à rassurer les Européens ?

Faisons une expérience. Je suis un citoyen qui s’intéresse un peu à la marche du monde. Je me dis qu’en 2016, l’Europe n’est pas forcément en train d’évoluer dans le bon sens : elle est moins unie, moins puissante et moins prospère qu’avant. Son environnement extérieur est instable, et elle fait face à un certain nombre de menaces. Le Brexit remet en cause sa cohésion de l’intérieur. Les déclarations de Trump remettent en cause la cohésion de l’Otan. Je me dis que, malgré tout, l’Union européenne reste le premier acteur économique mondial. Je me mets alors en tête d’identifier ce qu’elle fait pour peser sur le cours des choses, autrement que par sa puissance économique. Notamment sur les sujets qui sont au centre des préoccupations depuis 2014, du fait du conflit en Ukraine, du terrorisme, des migrations ou de la crise syrienne : les questions de sécurité et de défense.

Puisque les chefs d’Etat européens sont l’incarnation de la volonté démocratique des 28 pays européens, et qu’ils se sont réunis la semaine passée devant les caméras, j’irais chercher ce qu’ils en ont dit en mon nom, en me lançant dans une recherche Google. Je tomberais probablement sur le site du Conseil européen. Cinq minutes plus tard, il est possible que je trouve la section dévolue aux conclusions des chefs d’Etat, puis la déclaration en question sous une pile de communiqués divers. Armé d’un peu de patience, je trouverais une section consacrée à la sécurité extérieure et la défense, qui contient cinq paragraphes. Des travaux paraissent avoir été menés par des acteurs différents au cours des derniers mois : la Commission européenne, le SEAE, le Conseil des ministres, et l’Otan. J’irais regarder la nature de ces différents travaux et leurs différentes étapes, mais je ne serais pas en mesure de répondre à ma question initiale : quel est donc le plan de l’Union européenne en matière de sécurité en réponse aux évènements de 2016 ? Je m’en retournerais sur les réseaux sociaux car tout cela est décidément un peu compliqué.

Un citoyen, même tout à fait vigilant sur ces questions, peut ainsi avoir l’impression que rien n’a été fait sur le sujet. Cela est dommage car en réalité, l’Union européenne a progressé sur ces dossiers au cours des derniers mois. Mais elle le fait à sa manière. Elle avance sur le temps long et de manière incrémentale – pas forcément sur le temps court. Elle le fait de manière éparpillée – et parfois désordonnée – entre les différentes institutions qui la composent. Enfin, elle garde une incapacité surprenante à communiquer ses résultats. Elle met ainsi en avant les différents plans élaborés avec la Commission, le SEAE et l’Otan. Les experts se chargeront de l’exégèse, mais en quoi cela répond-il véritablement à la question, à savoir quelle est la position de l’Union européenne sur le sujet ?

Quels progrès ont été effectués sur cette question d’Europe de la défense ?

Je distinguerai grossièrement trois phases. La première phase dure environ 10 ans, de 1998 à 2008. Elle est marquée par un certain enthousiasme, de nombreuses déclarations d’intention, comme la capacité de déployer 60.000 soldats en opération extérieure, mais aussi de réalisations concrètes comme les opérations de la PSDC ou la mise en place de l’Agence européenne de défense. La deuxième phase se situe entre 2008 et 2013 où rien n’avance sur les questions de défense. L’Europe est en crise et l’économie – à juste titre – est le dossier prioritaire pour les dirigeants européens qui doivent répondre aux attentes des citoyens à courte échéance. La défense disparait ainsi de l’agenda.

Depuis 2013, l’Union européenne a mis les déclarations d’intention en sourdine pour se concentrer sur la mise en œuvre de projets concrets, notamment dans les domaines capacitaires et industriels. L’idée est de se donner les moyens d’avoir une ambition en avançant de manière plus pragmatique, et pas forcément à 28. Il s’agit paradoxalement d’une démarche à l’anglo-saxonne. L’année 2013 marque ainsi la relance du processus de défense européenne par les institutions.

C’est Herman Van Rompuy qui met la question de la défense et de la sécurité à l’agenda du Conseil européen. Rendons à César ce qui est à César : l’Europe, souvent critiquée pour son manque d’anticipation, a mis la défense européenne à l’agenda avant la crise ukrainienne, les attaques terroristes, la crise des migrants, le Brexit ou encore l’élection de Donald Trump. De son côté, la Commission européenne – qui représente les intérêts collectifs de l’Union européenne -, s’investit sur les questions de défense et commence à parler d’« autonomie stratégique ». Par ce terme, la Commission estime que l’Europe doit pouvoir gérer son environnement stratégique, de manière autonome. Fin novembre 2016, la Commission franchit un nouveau cap : elle rend possible l’établissement d’un financement destiné au secteur de la défense. Concrètement, des fonds seront disponibles pour la recherche dans le secteur de la défense. Cette action est d’une importance capitale, car aujourd’hui, les Etats membres manquent de moyens. En s’investissant sur cette question, elle peut relancer la machine très en amont. Un troisième acteur s’est efforcé de soutenir ces efforts. La Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité a publié une nouvelle stratégie globale de politique étrangère pour l’Union européenne. A l’automne 2016, elle a fait des propositions pour traduire concrètement ce document stratégique. Plusieurs projets sur les questions de défense ont ainsi été mis sur la table en novembre. Ceux-ci concernent les capacités militaires et opérationnelles, les incitations à la coopération, etc.

Si des progrès importants ont été accomplis, il reste aujourd’hui à transformer l’essai : mais cette tâche incombe aux Etats membres. La défense reste résolument une prérogative nationale, et ce sont eux qui doivent désormais se mettre en ordre de bataille. Les ingrédients sont là mais c’est seulement via les Etats membres que l’Europe de la défense se concrétisera. Reste que 2017 sera une année fort compliquée pour faire avancer ces dossiers du point de vue politique, du fait notamment des élections à Paris et à Berlin.

Vous avez évoqué un ensemble de projets en matière de défense qui ont été mis sur la table ces derniers mois. Quels sont-ils ?

Parmi les projets importants, deux tabous symboliques sont tombés. D’une part, la mise en place d’une capacité de contrôle et de coordination des opérations extérieures de l’Union européenne. Il ne s’agit pas d’un QG opérationnel permanent susceptible de faire concurrence à l’OTAN mais d’une capacité accrue pour coordonner les actions extérieures. Cette structure, même embryonnaire, est importante dans le sens où elle permettrait de réaliser des retours d’expérience et d’accumuler une culture stratégique européenne. Une revue annuelle de défense est également prévue. Elle ferait chaque année une veille des efforts des Etats européens en termes de capacité de défense et produirait des recommandations. Nous défendons cette idée depuis longtemps. Par ailleurs, le tabou symbolique du financement de la défense par des fonds communautaires est tombé puisque la Commission pèse désormais sur ces questions. Des financements seront disponibles pour permettre aux Etats de travailler ensemble sur les questions de défense. La coopération structurée permanente pourrait aussi être mise en place, sans que l’on en connaisse précisément les modalités. Si certains Etats refusent de renforcer la coopération sur les questions de défense, elle permettrait à ceux qui souhaitent aller plus en avant de continuer de coopérer ensemble.

Poutine : l’homme le plus puissant du monde ?

Tue, 20/12/2016 - 15:37

Le magazine Forbes a désigné à nouveau le président russe Vladimir Poutine comme l’homme le plus puissant de la planète.

Il est certain que le président russe aura marqué l’année 2016. Tout a semblé lui réussir. Donald Trump, qui a confessé son admiration pour lui, a été élu à la présidence des États-Unis. Cela devrait permettre à Poutine, qui juge la politique américaine peu respectueuse des intérêts russes, d’avoir un partenaire à Washington, et non plus un leader qui lui est hostile. Son allié, Bachar Al-Assad, qui semblait vaciller sur son siège il y a quatre ans, est toujours en place et ses forces viennent de reprendre la ville d’Alep, moment clé de la guerre civile syrienne. De plus, les dirigeants ukrainiens adversaires de Poutine, n’ont pas su relever leur pays ou s’attaquer à la corruption qui y règne.

Au pouvoir depuis seize ans, Poutine fascine et suscite les commentaires les plus contradictoires. Il bénéficie d’une cote de popularité interne exceptionnelle auprès des Russes, qui ne s’explique pas uniquement par le fait qu’il contrôle en grande partie les médias nationaux. Sa population lui reconnaît le fait d’avoir redressé économiquement le pays et restauré le prestige international de la Russie. Par contre, il est présenté de façon extrêmement négative dans les médias occidentaux : un tyran brutal et cynique, principal responsable de la dégradation du climat international. Il est vrai qu’il n’hésite pas à employer la force au moment où les Occidentaux, après les échecs en Irak, Afghanistan et Libye, sont tétanisés à l’idée de le faire. Bref, visible et fort, il dénote parmi les autres dirigeants.

Est-il pour autant l’homme le plus puissant du monde ? Certainement pas. Il ne faut pas confondre visibilité et puissance. La Russie ne pèse que 10 % du produit intérieur brut (PIB) américain et les dépenses militaires russes sont inférieures dans la même proportion aux dépenses militaires américaines. La dénonciation par Washington et l’OTAN de la menace militaire russe est largement un artifice de propagande afin de justifier leur politique. Il est par contre vrai que Poutine a un pouvoir de décision quasiment absolu dans son pays, alors que le président américain n’a pas les mains entièrement libres, eu égard au Congrès, à la Cour suprême ou à une opinion publique qui se détourne de plus en plus des affaires du monde.

L’homme le plus puissant du monde est en réalité plutôt le président chinois, même si ce dernier ne fait pas de déclarations fracassantes. À la tête d’un pays en bonne santé économique, il jouit également d’une forte adhésion de sa population du fait même de la réussite économique et de la fierté nationale retrouvée. Par ailleurs, la Chine, contrairement à Moscou et Washington, si elle augmente régulièrement sa puissance militaire, ne s’est pas engagée dans des opérations extérieures qui finissent par être coûteuses et même désastreuses pour ceux qui les mènent.

Certes, la Russie ne fait qu’accorder une aide limitée, dans la limite de ses moyens, aux indépendantistes du Donbass. En Syrie, elle ne s’est pas lancée dans de lourdes opérations terrestres de masse mais se concentre sur des opérations aériennes qui ne mettent pas en danger la vie de ses hommes. Mais la victoire à Alep, si elle consolide le régime syrien, ne consolide en rien la Syrie. Le pays est détruit. Il n’y a plus d’infrastructures, de système éducatif ou de santé, et surtout d’activité économique. Le scénario de Grozny en Tchétchénie – on détruit tout et on reconstruit afin d’obtenir l’adhésion de la population – ne pourra être reproduit, car la Russie n’a tout simplement pas les moyens de reconstruire la Syrie. Même si les combats s’arrêtaient aujourd’hui, il faudrait trente ans pour que la Syrie retrouve son niveau de 2011. La victoire des troupes gouvernementales syriennes à Alep est en grande partie en trompe-l’œil. La Russie ne pourra pas, même avec la complicité de l’Iran, tenir éternellement à bout de bras le régime de Bachar Al-Assad. Il faudrait donc que Poutine profite de sa victoire et de la position de force qui est la sienne pour rechercher une solution politique. Saura-t-il le faire ? Si ce n’est pas le cas, les limites de sa puissance seront rapidement visibles.

Ghana, l’exception de l’alternance

Wed, 14/12/2016 - 11:23

L’alternance politique est un phénomène suffisamment exceptionnel en Afrique pour que le cas du Ghana mérite d’être souligné. Sur les 200 chefs d’Etat qui se sont succédés sur le continent depuis 1960, une vingtaine seulement ont quitté le pouvoir volontairement et, sur ce nombre, la moitié l’ont fait dans le cadre d’une transition démocratique. Au Ghana, les gouvernants – successivement depuis trente-cinq ans Jerry Rawlings, John Agyekum Kufuor, John Atta-Mills, John Dramani Mahama et à présent Nana Akufo-Addo – ne manipulent pas la Constitution pour rester en place. Et quand ils sont battus, ils abandonnent la place avec l’élégance des chefs traditionnels destitués par les cadets.

Pour en arriver là, il a fallu que le pays passe par différentes phases, douloureuses parfois. Faisons le compte : 12 ans de parti unique, 23 ans de régime militaire, 23 ans de pluripartisme. Nana Akufo-Addo, le nouveau président, fit en février 2006 devant les étudiants de l’Université de Kumasi ce résumé imagé de l’histoire de son pays :

« Imaginez que vous prenez la route de Kumasi. Vous commencez sur une large mais brève autoroute, avec optimisme et une bonne dose d’idéalisme. Mais avant même d’arriver à la barrière d’Ofankor, le trafic est tel qu’il désespère n’importe quel homme. Chemin faisant, nous avons perdu du temps, nous avons aussi perdu beaucoup de nos bons compatriotes ; nous nous sommes arrêtés pour changer nos pneus crevés ; notre radiateur a explosé et les durits ont fui ; nous avons tourné à droite quand il était indiqué d’aller à gauche causant de graves collisions ; nous avons perdu patience avec d’autres automobilistes ; le sang a coulé, provoqué par des disputes de chauffards ; nous n’avons pas respecté les feux, ignoré la signalisation, heurtant de front d’autres véhicules en tentant d’éviter des nids de poule, empruntant aussi de nombreuses déviations sur une route en travaux brisant les amortisseurs des voitures ; nous nous sommes arrêtés pour embarquer les morts et les blessés ; parfois continuant la route de peur d’une embuscade de ces coupeurs de route qui volaient notre trésor – la liberté – alors que nous rêvions de lendemains qui chantent. Nous avons commandé de nouvelles routes qui résistèrent moins de trois ans au trafic croissant. En bref, cela fut un voyage rough et tough sous la conduite de chauffeurs malveillants, méprisant notre légitime besoin d’un peu de confort. Mais nous avons survécu. Savez-vous pourquoi ? Parce que tout le long de ce périple plein de dangers, nous avons serré notre ceinture de sécurité de la confiance – de la foi tenace que Dieu ou Allah nous a donnée et qu’aucune iniquité ne peut nous ôter. Nous sommes restés sur le chemin parce que nous sommes demeurés fidèles à notre identité, à cette chose qui fait de nous des Ghanéens, et cette chose, c’est notre amour de la liberté. »

Selon l’Afrobaorometer Survey, plus de 80% des Ghanéens estiment que la démocratie est préférable à n’importe quelle autre forme de gouvernement. La vitalité démocratique trouve diverses formes d’expression et le pays présente beaucoup d’avantages appréciables : pas d’élections truquées ou suspectes, pas d’exclusion dans la fonction publique ou l’Université sur des critères ethniques ou religieux, pas d’atteintes à l’indépendance de la justice, pas d’instrumentalisation des règles de citoyenneté par les politiciens pour évincer des opposants ou des groupes de la vie politique, aucun prisonnier politique dans les geôles du pays. Autant de bonnes pratiques qui réduisent la vulnérabilité du pays à des coups d’Etat, comme dans le passé, quand les envies de renverser les gouvernements par la force trouvaient leur terreau dans les comportements déviants des régimes non-démocratiques.

Si la politique se joue avec vigueur mais sans débordements violents, c’est que le Ghana dispose aujourd’hui d’institutions et de règles acceptées. Pour devenir ministre, préfet, juge à la Cour Suprême ou membre du Conseil d’Etat, il faut passer devant l’Assemblée nationale. Après avoir été désigné par le président, le candidat se présente devant une commission parlementaire pour « vérification » (le vetting) avant de prêter serment devant le juge de la Cour suprême. Ce n’est pas une simple formalité, les députés en profitent pour affirmer leur indépendance, avec un empressement proche du zèle.

La corruption reste, comme ailleurs, un défi. Ses causes sont à chercher dans une multitude de facteurs combinés, qui vont du sentiment de l’obligation que certains individus ressentent envers les leurs (famille, clan…) jusqu’à la manière discriminatoire dont le pays a été intégré dans l’économie mondiale. Le Ghana n’échappe pas au phénomène, et la rente pétrolière a, depuis dix ans, exercé sa « malédiction » sur les comportements, mais dans des proportions modérées, autant que l’on puisse en juger. La pratique des « cadeaux » oblige les hommes politiques à disposer, pour leurs campagnes électorales comme pour respecter une partie de leurs promesses, de moyens financiers très importants. Ensuite, une fois élu, le député est jugé à « sa capacité à retourner » (ability to deliver the goods) des gratifications et des ressources de l’Etat en direction de ses électeurs : la réfection d’une route, la construction d’une maternité, l’octroi de bourses d’études pour les jeunes, des faveurs diverses… La provenance de ces fonds peut-être diverse, fortune personnelle, redistribution de fonds du parti, ressources de l’Etat mis à la disposition des parlementaires pour le développement de leur circonscription. La gestion des fonds publics au Ghana est encadrée par la Constitution et par un certain nombre de textes votés par le Parlement depuis 2000. Malgré cela, des lacunes importantes subsistent notamment dans l’application du code des marchés publics dont la règle de concurrence est souvent détournée, dans l’efficacité du contrôle interne des dépenses non-salariales et dans la gestion du fichier de la solde des agents publics.

Plusieurs institutions veillent au grain. La Ghana Anti-Corruption Coalition (GACC) reconnaît que si des mesures ont été prises depuis 2000 pour rénover la gestion des finances publiques, renforcer la liberté de la presse ce qui permet la dénonciation des abus, les résultats ont été encore insuffisants. Cela tient au fait que chez les gouvernants et les fonctionnaires, l’adhésion aux normes de l’Etat impartial et de l’éthique de l’intérêt général peut parfaitement coexister avec un attachement tout aussi sincère à des normes qui favorisent l’enrichissement personnel et les intérêts particuliers. Le passage à des institutions démocratiques et le renforcement de la liberté d’expression constituent au Ghana des conquêtes indéniables de ces vingt dernières années. Il ne semble cependant pas avoir encore bouleversé les pratiques abusives de prélèvement mais avoir seulement permis d’en dénoncer publiquement les excès.
A défaut d’être riches, les journalistes ghanéens sont mal payés pour leur papier mais leur liberté n’est pas menacée. Les relations qu’ils entretiennent avec les magistrats, les policiers et les militaires, ne sont pas toujours simples. Ils revendiquent leur rôle de « chiens de garde », de journalistes d’investigation. Lorsque des hauts fonctionnaires sont soupçonnés d’être impliqués dans des affaires de corruption ou de drogue, la presse ne prend pas de gants. Il est des thèmes plus délicats. La religion et les disputes entre chefferies font partie des sujets qui nécessitent le plus de précautions. Il vaut mieux éviter une excommunication ou des représailles de chefs courroucés.

Le Ghana semble bien installé dans une démocratie pacifiée et mature. Certes l’histoire de l’Afrique enseigne la modestie aux prévisionnistes, mais il y a peu de risques que le pays revienne en arrière. Avec Nana Akufo-Addo, on peut raisonnablement parier que les velléités autoritaires seront contenues, les contre-pouvoirs respectés, les libertés garanties. De toutes les manières, la société civile y veillera.

Les dérives antirusses du Monde

Wed, 14/12/2016 - 09:43

Par un tweet, j’ai accusé Le Monde de tenir un discours antirusse manichéen. Je voudrais développer un peu plus cet argument, reprenant la lecture du quotidien du soir, daté du 9 au 11 décembre 2016.

Je constate et déplore la dérive autoritaire de Vladimir Poutine en interne, notamment par ses tentatives d’étouffement de la société civile et des organisations non gouvernementales, illustrées récemment par la fermeture du bureau d’Amnesty international. J’estime que les bombardements sur Alep sont constitutifs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Mais, pour autant, je trouve que la majeure partie de la presse française traite systématiquement et depuis longtemps la Russie avec hostilité.

« Poutine théorise sa nouvelle guerre froide » est le titre d’un article du Monde daté du 9 décembre 2016. Évoquer une nouvelle guerre froide est discutable d’un point de vue stratégique. Il n’y a pas deux blocs opposés l’un à l’autre ou deux alliances militaires globales qui se font face. Par ailleurs, s’il y a un climat d’hostilité, faut-il penser que la Russie en est seule responsable et que la dégradation du climat n’a commencé qu’après l’annexion de la Crimée ? Les Occidentaux n’auraient-ils aucune part de responsabilité et ne font-ils que réagir aux (mauvaises) actions de la Russie ? C’est débuter l’histoire en 2014 et oublier tout ce qui s’est produit avant : élargissement de l’OTAN, déploiement d’un système antimissiles, guerre du Kosovo, guerre d’Irak, intervention en Libye… Autant d’éléments qui ont également contribué à dégrader le climat.

Dans le document de trente-huit pages qui, selon la journaliste Isabelle Mandraud entérine une nouvelle guerre froide, le terme de « sécurité » figure à soixante-dix reprises et « menace » vingt-cinq fois. On voit mal en quoi le terme de « sécurité » est inquiétant. Quant à celui de « menace », il est cité dans tous les documents de ce type. Le document accuse l’Union européenne (UE) « d’expansion géopolitique ». C’est certes exagéré. L’UE a plutôt envie de digérer ses récents élargissements que d’en réaliser de nouveaux. Mais beaucoup reconnaissent aujourd’hui, y compris ceux qui y étaient à l’époque favorables, que l’accord d’association proposé à l’Ukraine était trop exclusif à l’égard de la Russie. José Manuel Barroso fut plus atlantiste qu’européen lors de sa conclusion. Le document russe semble également considérer comme agressif la volonté occidentale de maintenir sa position, en imposant ses points de vue sur les processus internationaux. Mais, en dehors de la Russie, n’est-ce pas un constat fait dans de nombreux pays non occidentaux ? L’article reproche de plus à la Russie de considérer le système antimissile américain comme une menace pour sa sécurité nationale. Il faudrait donc en conclure qu’à partir du moment où l’Otan estime que ce système ne l’est pas, il faut le tenir pour acquis. Elle nie ainsi à la Russie le droit de déterminer ce qu’elle ressent ou non comme une menace mais accorde de fait ce droit à l’Otan. Pourtant, comment ne pas voir que cette résurgence de « la guerre des étoiles » de Ronald Reagan relance la course aux armements et apparaît comme une remise en cause de l’équilibre nucléaire entre Moscou et Washington ? La journaliste semble avoir oublié que, lorsqu’il a été élu en 2008, Barack Obama avait déclaré que ce système était censé protéger contre une menace inexistante par des technologies non prouvées et un financement incertain, et qu’il a d’abord souhaité l’abandonner avant de plier devant le complexe militaro-industriel. Il aurait d’ailleurs été utile de comparer les dépenses miliaires de la Russie agressive et des pacifiques États-Unis. Ces dernières sont dix fois supérieures.

Isabelle Mandraud reproche ensuite à la Russie de vouloir échapper aux obligations nées du traité sur les forces nucléaires intermédiaires mettant fin à la bataille des euromissiles, conclu en 1987 par Mikhaïl Gorbatchev. Cela reste hypothétique mais elle omet de préciser que, pour pouvoir déployer son système de défense antimissile, les États-Unis ont abrogé unilatéralement le traité ABM faisant partie de l’accord Salt 1 conclu en 1972 entre Nixon est Brejnev, symbole de la détente qui avait résisté à toutes les vicissitudes de la nouvelle et réelle guerre froide des années 80. Le lecteur du Monde ne saura pas que dans l’histoire du contrôle des armements, seuls deux États ont rompu les engagements qu’ils avaient souscrits en ce domaine : la Corée du Nord et le traité de non-prolifération nucléaire ; les États-Unis et le traité ABM.

Le 10 décembre, un article du monde est titré : « Les Russes fustigent les Occidentaux ». Les Occidentaux, eux, protestent ou condamnent. Ils ne fustigent pas.

Le 11 décembre 2016, c’est Sylvie Kauffmann qui reproche à François Fillon ou Dominique de Villepin d’épouser le récit russe de la guerre froide : celui de l’humiliation par l’Occident et de la poussée de l’Otan vers l’Est, sans un mot sur le soulèvement de Maïdan, l’annexion de la Crimée ou le bombardement délibéré des hôpitaux de Syrie. Si ces derniers faits sont indéniables, peut-on dire que contester la volonté américaine d’imposer un monde unipolaire équivaut à reprendre le récit russe ? En n’évoquant pas l’élargissement de l’OTAN, après la disparition qui avait suscité sa création, la guerre du Kosovo en dehors de toute légalité internationale, le dispositif de système antimissile, la guerre d’Irak, l’intervention libyenne, ne reprend-on pas un récit américain ou occidental ? George Kennan, concepteur de l’endiguement, condamne l’élargissement de l’Otan en le présentant comme une faute géopolitique. De nombreux géopolitologues américains réalistes – comme John Mearsheimer – déplorent que les États-Unis jettent Moscou dans les bras de Pékin, alors que la Chine est le véritable défi pour les États-Unis. Reprennent-ils eux aussi le récit russe ? Faisant référence à la phrase assassine de François Mitterrand, traitant de « petit télégraphe de Brejnev » Valery Giscard d’Estaing, S. Kauffmann semble réserver ses amabilités à François Fillon. Mais n’y a-t-il pas des petits télégraphistes de l’Otan ? Le Monde va-t-il enquêter sur les réseaux atlantistes en France, à mon sens bien plus nombreux que les circuits d’influence russe ? Si les liens entre la Russie et l’extrême droite existent, faut-il assimiler à cette dernière tout ce qui n’est pas antirusse ?

Il est légitime de critiquer la Russie. Verser dans le Russian bashing est excessif.

Comment la France lutte-t-elle contre la corruption dans les jeux ?

Tue, 13/12/2016 - 17:14

Philippe Ménard est chef du service central des Courses et des Jeux de la Police judiciaire. Il répond à nos questions à l’occasion de la conférence  » Le dispositif anti-corruption français est-il adapté au secteur sportif ?  » organisée par l’IRIS le 8 novembre 2016 :
– Comment la corruption se traduit-elle au quotidien dans les jeux comme les paris sportifs ?
– Comment se lancent les enquêtes pour corruption dans le secteur des jeux ?
– Quels obstacles votre service rencontre-t-il au quotidien ?
– La loi « Sapin II » va-t-elle permettre de lutter plus efficacement contre la corruption ?

Football Leaks, fraude fiscale : une pratique généralisée ?

Tue, 13/12/2016 - 10:17

Après les Lux Leaks et les Panama Papers, personne ou presque ne semble surpris que des joueurs de football, millionnaires, s’adonnent à de l’évasion ou de l’optimisation fiscale. Ces pratiques sont-elles, aujourd’hui, généralisées dans les entreprises et chez les personnalités les plus riches ?

Il convient de distinguer trois niveaux d’optimisation. Tout d’abord l’ « optimisation fiscale ». Elle est l’objet de toutes entreprises et consiste à payer le moins d’impôts possible. L’optimisation est parfaitement légale et fait partie de la gestion des affaires. Toutes entreprises, PME comprises, usent de ce levier financier.

On trouve ensuite l’évasion fiscale. Cette activité illégale consiste à échapper à l’impôt en plaçant son argent dans des paradis fiscaux de manière excessive. Elle constitue un « abus de droit », donc un délit.

Le troisième niveau est la fraude fiscale. Lorsque l’on cache intentionnellement une partie de ses revenus ou de son patrimoine aux impôts. La fraude fiscale constitue le délit le plus grave.

Les révélations des Football Leaks concernent des cas de fraude et d’évasion fiscale. Ces pratiques sont courantes. L’évasion fiscale et la fraude, en tenant compte de celles liées aux charges sociales (fraudes sociales), représentent un manque à gagner de plus de 100 milliards d’euros par an pour la France en impôts et en taxes non payés. La somme est conséquente.

A la vue de ce chiffre, la pratique semble généralisée. Pourquoi le football est touché ? Tout simplement parce que de grosses sommes d’argent circulent dans ce milieu. Ce type de fraude n’est pas lié à la mentalité du footballeur mais à celles de certains individus disposant de revenus conséquents. Dans la fraude, joueurs, entreprises ou personnes disposant de hauts revenus vont emprunter les mêmes circuits illégaux que ceux empruntés par les barons de la drogue.

D’après les révélations, Cristiano Ronaldo serait parvenu à dissimuler plus de 150 millions d’euros. Cette somme vous parait-elle conséquente par rapport aux cas habituels d’évasion fiscale ? Par quel mécanisme peut-on parvenir à dissimuler autant d’argent ?

150 millions d’euros représentent une grosse somme, mais compte tenu des revenus de Cristiano Ronaldo, elle ne me parait pas excessivement élevée.

Pour dissimuler une telle somme, les fraudeurs utilisent les mêmes procédés que ceux empruntés par Jérôme Cahuzac. Le montage le plus simple consiste à facturer des prestations depuis un paradis fiscal, où les activités des sociétés et des banques sont opaques. Au lieu de payer un joueur dans le pays où il vit, l’entreprise va le payer par l’intermédiaire d’une société-écran installée dans un paradis fiscal et dont personne ne connaîtra l’existence.

Prenons, par exemple, une société située aux Iles Vierges dont le bénéficiaire final serait Cristiano Ronaldo. Pour ne pas payer d’impôts sur les revenus issus du droit à l’image, le joueur et ses partenaires pourraient faire en sorte que l’argent qui lui est dû soit versé à sa société basée aux Iles Vierges. La fiscalité avantageuse de ce pays permettra aux joueurs de ne pas payer d’impôts, ou presque pas.

D’autres montages, plus complexes, parviennent à financer une personne par une combinaison de plusieurs sociétés-écrans imbriquées de telle sorte qu’il devient difficile de retrouver la trace du fraudeur qui percevra l’argent issu du montage.

La France a adopté, en novembre, la loi « Sapin II » sur la transparence de la vie économique. Que va-t-elle changer ? A l’instar de Jerôme Cahuzac, risque-t-on de voir de plus en plus d’évadés fiscaux traduits en justice dans les prochaines années ?

Ce n’est pas la loi « Sapin II » qui amènera plus d’évadés ou de fraudeurs devant la justice, mais la volonté des gouvernements et des juges d’aller jusqu’au bout des enquêtes. Le cas Jerôme Cahuzac traduit clairement cette volonté de ne plus enterrer les affaires. On peut donc espérer une amélioration dans le traitement des cas d’évasions et de fraudes fiscales.

La loi « Sapin II » contient toutefois quelques avancées. La loi permettra notamment un accès plus facile aux informations liées aux fiscalités des individus et des entreprises.

L’une des grandes avancées de la loi concerne les lanceurs d’alertes. Ce sont souvent ces derniers qui permettent l’obtention d’informations permettant de traduire un fraudeur devant la justice. Les lanceurs d’alertes seront mieux protégés et certaines dispositions de la loi pourraient leur permettre de percevoir un dédommagement car, une fois leur identité révélée, ils se retrouvent souvent au chômage. J’attends tout de même de voir ce qu’il se passera concrètement, quelle forme prendront les dédommagements et s’ils seront suffisants.

Si la loi « Sapin II » va faire évoluer positivement certains aspects de la lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale, je n’attends pas de réels bouleversements. L’aboutissement des affaires dépendra de la bonne volonté des pouvoirs publics et judiciaires.

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