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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance !

Tue, 04/10/2016 - 10:27

Voilà, sous sa forme interrogative, un thème de colloque ou un sujet de dissertation assez répandu depuis quelques années, notamment consécutivement aux attentats du 11 septembre 2001, le bourbier afghan ou le désastre irakien. Nous sommes ainsi, fréquemment, invités à nous interroger sur l’avenir de la puissance américaine, son implication dans les enjeux sécuritaires majeurs, ses capacités, ses compétiteurs, ou encore (un sujet qui ne date pas d’hier) sa volonté de jouer les premiers rôles. Et ce « nous » ne se limite pas aux observateurs de la politique américaine, mais s’invite dans de nombreuses discussions informelles prophétisant de manière plus ou moins crédible le « déclin de l’empire américain ».

Mais c’est bien d’une exclamation dont il est ici question, comme s’il s’agissait désormais d’un fait acquis, ou d’une évidence que les prochaines années (avec un nouvel exécutif) ne feraient que confirmer. Et cette exclamation fait partie intégrante de la vision que les deux candidats à l’investiture suprême ont de la politique étrangère, comme en témoignent leurs programmes respectifs, ou à défaut, leurs sorties médiatiques. Le premier débat télévisé du 26 septembre n’a fait que le confirmer, plusieurs sujets de politique étrangère et de sécurité ayant été évoqués, à défaut d’être traités.

Comme sur d’ailleurs à peu près tous les autres sujets, c’est Donald Trump qui s’est, depuis déjà plusieurs mois, montré le plus prolixe sur sa conception de la politique étrangère américaine. Volonté de revoir, et parfois d’annuler, les traités de libre-échange signés au cours des deux dernières décennies ; mettre fin au rapport de force avec Moscou ; soutien sans faille à Israël ; désengagement des zones conflictuelles au Moyen-Orient ; réinterprétation des implications de Washington au sein de l’OTAN ; remise en cause de la stratégie du pivot vers l’Asie ; désengagement des dossiers sécuritaires épineux comme la Corée du Nord ; climato-scepticisme (le réchauffement climatique est selon lui une invention des Chinois)… Un vaste programme qui pourrait se résumer par une remise à plat de toute la politique étrangère des Etats-Unis, et un refus d’apparaître systématiquement en première ligne. Le magnat de l’immobilier ne souhaite s’impliquer que quand les intérêts américains sont en jeu, et quand il y a un bénéfice à en tirer. Pour le reste, pas question de voir Washington jouer les premiers rôles. Pour quelle raison pourrait-on lui demander ? Et la réponse est simple : Trump reconnaît implicitement que les Etats-Unis n’ont plus les moyens d’une superpuissance, et moins encore d’une hyperpuissance. En conséquence, il faut se recentrer sur les impératifs, et ne pas se mêler de toutes les affaires du monde. On parle ici, sans doute de manière exagérée, d’un retour de l’isolationnisme, mais il est indiscutable que c’est une première depuis la fin de la Guerre froide. S’il n’était pas obsédé par un discours aux accents populistes, Trump pourrait ainsi claironner à ses supporters « Les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance ! » et décliner ainsi son programme. Pas très vendeur, mais dans le contenu, c’est bien de cela dont il s’agit, et de manière finalement très explicite. Très loin du slogan Make America great again, ce serait ainsi plutôt du America is not so great anymore.

C’est cependant, et paradoxalement, du côté d’Hillary Clinton que l’aveu d’un déclin des Etats-Unis sur la scène internationale fut le plus net. Un aveu d’autant plus inquiétant qu’il fut formulé par l’ancienne Secrétaire d’Etat, qui a par ailleurs effectué lors de son mandat (2009-2013) des déplacements officiels dans plus de pays qu’aucun de ses prédécesseurs (elle semble d’ailleurs en faire un gage de son expérience et de sa compétence, ce qui est pour le moins discutable). La petite phrase resta assez inaperçue, noyée dans un flot d’attaques assez médiocres et de démonstrations de populisme formulées par Trump, mais aussi dans une moindre mesure par l’ancienne First Lady. Elle n’en est cependant pas moins significative de cet aveu, terrible, que les Etats-Unis ne sont plus désormais à un niveau de puissance tel que sa politique étrangère peut être menée en toute indépendance. L’ancienne Secrétaire d’Etat s’inquiéta ainsi de ce qu’une puissance étrangère, en l’occurrence la Russie, soutienne la candidature de Donald Trump, et parasite par la même occasion la campagne. Passons sur le sérieux d’une telle attaque, pour nous concentrer sur ce qu’elle suggère, à savoir que les Etats-Unis pourraient être influencés par des puissances extérieures. Rien de nouveau, répondraient immédiatement les sceptiques et les adeptes de théories du complot en tous genres, Washington pouvant être soumis à une multitude d’influences extérieures. Peut-être. Toujours est-il que cet aveu est ici formulé par celle qui dirigea la diplomatie américaine pendant quatre ans, et ambitionne la fonction suprême, et c’est ce qui fait sa singularité. Ainsi donc une campagne présidentielle dans la plus vieille démocratie du monde serait parasitée par une puissance extérieure. Ainsi donc un candidat à la Maison-Blanche serait le candidat de Moscou. Cela revient clairement à reconnaître que les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance, et c’est en ce sens un message très négatif envoyé non seulement aux électeurs, mais plus encore au reste du monde.

On regrette que les deux candidats ne mettent pas d’avantage en avant leur différence fondamentale en matière de politique étrangère, et les débats télévisés devraient justement servir entre autres à cela (restons optimistes, il y en a encore deux). Digne héritier – sans doute bien malgré lui – des réalistes, Trump semble ainsi privilégier en toutes circonstances l’intérêt national américain, quitte à se montrer (très) cynique sur certains dossiers. De son côté, Hillary Clinton s’inscrit dans une école libérale aux accents messianiques qui place les Etats-Unis et les valeurs américaines au centre du système-monde, rappelant le principe de « nation indispensable » cher au mari de la candidate démocrate, et accessoirement ancien président. Assez simple finalement comme choix, que nous pourrions traduire par une formule également très simple : « Faut-il accepter la réalité que les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance, ou au contraire faire de la résistance ? » Sans doute serait-il dès lors plus judicieux de présenter clairement cette différence aux électeurs, qui pourraient ainsi s’exprimer sur ce que représentent pour eux les Etats-Unis sur la scène internationale, plutôt que de multiplier des attaques indignes et des déclarations éparpillées qu’il nous faut, à la manière d’un puzzle, remettre en place.

Crimes de guerre à Alep : indignation sélective ?

Mon, 03/10/2016 - 18:23

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

« QSI voudra pérenniser les bienfaits des importants investissements réalisés au sein du PSG »

Mon, 03/10/2016 - 10:10

Pourquoi des pays comme la Chine ou le Qatar – présentant des caractéristiques très différentes – ont-ils décidé d’investir massivement dans le sport et plus précisément dans le football ?

En développant sa diplomatie sportive, un pays cherche à rayonner à l’international par l’intermédiaire du sport. Cela peut se traduire par différentes composantes : l’organisation de grandes compétitions sportives, l’obtention d’excellents résultats au niveau continental ou international, la reconnaissance d’un centre de formation particulièrement performant, la mise en place d’échanges en matière de savoir-faire via la création de coopérations…
L’intérêt des pays pour le sport en général et le football en particulier n’est pas une nouveauté. La diplomatie sportive a émergée depuis déjà plusieurs décennies. A ce niveau, on peut notamment citer la diplomatie du ping-pong mise en place entre la Chine et les Etats-Unis dans les années 1970.
Après, certains pays décident de porter plus particulièrement leur choix sur le football car c’est le sport le plus universel et le plus médiatisé. C’est aujourd’hui la discipline qui permet de toucher le plus grand nombre de personnes en matière de diplomatie sportive.
Pour le Qatar, l’objectif premier des investissements était d’acquérir une véritable notoriété sur la scène internationale. Il y a une quinzaine d’années, hormis les spécialistes du Moyen-Orient, peu de gens s’intéressaient à ce pays et à sa politique. Aujourd’hui, grâce aux investissements sportifs qui ont été consentis, le Qatar a réussi à se faire un nom et à devenir un acteur à part entière sur la scène internationale sportive et, surtout, politique !
Concernant la Chine, la situation est quelque peu différente. Avant d’entreprendre ses investissements dans le football, la Chine était déjà très présente sur la scène internationale sportive, politique et économique. Néanmoins, le football suscite désormais un tel intérêt que le pays a décidé également de s’intéresser à ce sport pour des questions de puissance.

Comment le Qatar a-t-il choisi le PSG pour réaliser son premier mouvement de grande ampleur au sein du football mondial ?

Globalement, les investissements opérés par les Qataris au cours des dernières années ne se sont pas limités au sport. Ils ont également réalisé des opérations financières dans l’immobilier – principalement des hôtels – ainsi que dans des entreprises de luxe.
Au final, l’image renvoyée par Paris était très cohérente avec la stratégie de diversification d’activités entreprise par le Qatar. Le PSG est le club d’une grande capitale avec un palmarès assez fourni. Le Qatar pouvait associer indirectement son nom à la ville de Paris.

Les investissements réalisés par QSI au sein du PSG seront-ils maintenus au-delà de l’organisation de la Coupe du Monde 2022 ?

L’organisation du Mondial 2022 constituera indéniablement un temps fort de la politique mise en place par le Qatar. Toute la stratégie sportive du pays tourne autour de cet événement.
Cependant, on peut raisonnablement estimer que QSI soutiendra le PSG à long terme. QSI voudra pérenniser les bienfaits des importants investissements réalisés au sein du PSG. Le Qatar a entrepris de profondes réformes dans son pays ce qui implique une stratégie de long terme menée par le pays dans le secteur sportif. Il y a une réelle volonté du Qatar de placer le sport au cœur des préoccupations nationales, notamment pour des raisons de santé publique.

Les faibles cours des matières premières peuvent-ils affecter la stratégie d’investissements de QSI au sein du PSG ?

La chute des cours de certaines matières premières et notamment du pétrole a eu des conséquences importantes en termes de diplomatie sportive. Le cas de l’Azerbaïdjan est parlant. Lors des dernières années, ce pays avait développé une politique assez volontariste concernant la diplomatie sportive. Compte tenu de la baisse des cours du pétrole, le pays a finalement été contraint de réduire ses investissements dans le secteur.
Cependant, le cas de Qatar est différent. Les investissements opérés dans le sport sont également réalisés dans l’optique de diversifier ses activités, et justement, de ne plus être aussi dépendant des cours des matières premières. Si la baisse du cours des matières premières aura inévitablement des effets sur la vie économique du pays, le Qatar ne devrait pas baisser ses investissements dans le secteur sportif, même s’il sera peut-être amené à réaliser quelques arbitrages.

Quels sont les bénéfices tangibles perçus par le Qatar depuis que le pays a décidé d’investir massivement dans le football ?

Le premier objectif du pays était de faire émerger le Qatar sur la scène internationale, tant sur le plan sportif que politique. On peut dire aujourd’hui qu’il a été atteint. Le Qatar a réussi très rapidement à dépasser le simple cadre sportif à travers sa politique d’investissements.
Après, il est difficile d’avancer plus d’éléments de réponses pour le moment. Un premier bilan ne pourra être dressé qu’au lendemain de la Coupe du Monde 2022. En organisant un tel événement, le Qatar va attirer les projecteurs sur lui. L’organisation d’une telle compétition lui permet de bénéficier d’une incroyable exposition médiatique mais le pays rencontre également des critiques sur certains aspects de sa politique, critiques qui pourront s’intensifier à l’approche de 2022. Il faudra alors voir si les éloges auront pris le pas sur les critiques ou inversement.

Contrairement au Qatar, le gouvernement chinois investit indirectement dans le football en s’appuyant plutôt sur les gros acteurs économiques et industriels du pays. Ce choix est-il pertinent ?

Il faut analyser cette réorientation stratégique de la Chine de deux points de vue : sportif/politique et économique.
Sur le plan sportif/politique, le président chinois Xi Jinping a fait part à de nombreuses reprises de sa passion pour le football, de sa volonté d’investir dans ce domaine pour que la Chine ne soit plus un « nain footballistique ». Alors que la Chine a véritablement émergé lors des dernières années comme une grande puissance du sport mondial, le pays n’a pas réussi à reproduire les mêmes résultats concernant le football.
Pour effacer les mauvaises performances, le pouvoir central a déployé en 2015 un plan stratégique en trois étapes : augmenter le nombre de licenciés, accroitre la construction et le développement d’infrastructures et la formation d’entraineurs d’ici à l’horizon 2020 ; faire de la Chine un acteur de premier rang en Asie et organiser une Coupe du Monde à l’horizon 2030 ; enfin, obtenir un statut « footballistique » en conformité avec le statut économique accordé désormais à la Chine.
D’un point de vue économique, le pouvoir central a incité un certain nombre de grands groupes du pays à diversifier leurs investissements, au niveau sectoriel mais aussi géographique, en augmentant leurs activités à l’étranger. Un certain nombre d’études menées ont indiqué que le football pouvait être considéré comme la porte d’entrée idéale pour les grands groupes chinois afin de pénétrer les différents marchés européens. C’est pour cela que des entreprises chinoises ont multiplié leurs investissements à destination de clubs français, espagnols ou encore italiens au cours des derniers mois. L’objectif n’est donc pas purement sportif mais également économique.

Sur quels critères les entreprises chinoises sélectionnent-elles les clubs dans lesquels elles investissent ?

Pour répondre à cette question, on peut prendre l’exemple français. Tous les investissements réalisés ont été opérés auprès de clubs bénéficiant d’un très bon centre de formation. L’AJ Auxerre ou encore l’Olympique Lyonnais forment régulièrement d’excellents joueurs au sein de leur académie. Ainsi, à travers leurs investissements, les entreprises chinoises font un pari sur l’avenir. Il y a une volonté de mener un travail sur le long terme en investissant dans des cibles attractives tout en développant un certain savoir-faire qui pourrait, plus tard, être importé en Chine. Les entreprises chinoises veulent comprendre les mécanismes qui permettent de mettre en place un club performant tout en s’appuyant sur une formation efficace.
En parallèle des investissements opérés, il faut avoir en tête le redémarrage du championnat chinois de Chinese Super League, après être tombé en désuétude car complètement gangrené par la corruption. A l’époque, cette compétition avait fait fuir les spectateurs, les sponsors et les diffuseurs. Il y a une volonté de renouveler ce championnat avec l’arrivée de nouveaux partenaires et la mise en place d’une nouvelle politique. Mais, pour durer sur le long terme, ce championnat doit s’imprégner de bonnes pratiques. Et on peut penser que les investissements réalisés actuellement dans le football européen constituent un bon moyen pour apprendre les bonnes pratiques afin de les reproduire au niveau local.

A l’avenir, la Chine peut-elle s’imposer comme une superpuissance du football mondial ?

Les déclarations de Xi Jinping depuis 2012, notamment en matière de développement du football, sont récurrentes, constantes et surtout de plus en plus précises. Il existe véritablement un plan, mis en place en 2015 et bien orchestré, pour concrétiser ce projet sur le court, moyen et long terme. Le développement du football n’est pas du tout un sujet pris à la légère en Chine. Nous sommes face à une politique réfléchie et pensée par les dirigeants chinois. Dans ses discours, le président chinois revient régulièrement sur les moqueries que peuvent susciter les performances de la Chine en matière de football, jouant sur ce ressort pour accélérer son développement. Le président chinois en fait une véritable question d’honneur !
D’ailleurs, il est possible de faire un parallèle avec la politique menée par le pays concernant le développement de l’escrime. Dans l’optique des Jeux de Pékin, en 2008, la Chine avait identifié ce sport comme priorité de développement. La Fédération avait alors recruté au pays les plus grands maîtres d’armes, dont certains Français, afin de faire progresser les escrimeurs chinois. Et, en quelques années, la Chine est passée d’une nation relativement absente dans ce sport à un pays en capacité de ramener de nombreuses médailles. D’ailleurs, la Chine a étoffé son palmarès dans cette discipline lors des dernières olympiades.
Aujourd’hui, il n’est pas encore possible d’affirmer catégoriquement que la Chine deviendra une superpuissance du football. Néanmoins, le pays devrait atteindre certains de ses objectifs, notamment au sujet de la croissance du nombre de licenciés ou encore de la montée en gamme de ses centres de formation. Des éléments qui aideront le pays à renforcer sa compétitivité, afin de devenir une nation qui compte concernant le ballon rond. Après, il faudra que le succès populaire perdure au sujet de cette discipline pour envisager un développement durable de la discipline.

Assiste-t-on à une dépolarisation du football mondial ?

Ce phénomène est déjà perceptible. Lors du mercato hivernal 2016, la Chinese Super League a été la compétition qui a le plus investi sur le marché des transferts, devant la Premier League ! Au cours de cet entretien, nous avons essentiellement évoqué la Qatar et la Chine mais d’autres pays commencent également à s’éveiller au football comme l’Inde, via l’émergence de sa nouvelle compétition.
Aujourd’hui, il est clair que le football s’inscrit pleinement dans la mondialisation. Une mondialisation sportive qui passe également par l’organisation de compétitions internationales dans de nouvelles régions. Du coup, on se dirige plutôt vers une multiplication des nations en capacité de remporter la Coupe du Monde.
Ce phénomène n’existe pas uniquement dans le football. A un degré moindre, on retrouve une même tendance dans le rugby avec l’émergence de nouvelles nations comme le Japon, au rugby à XV ou le Kenya au rugby à VII. Un mouvement qui devrait encore renforcer l’intérêt et l’enthousiasme des foules pour les grandes compétitions internationales sportives !

D’autres pays pourraient-ils suivre le même chemin que le Qatar et la Chine en investissant massivement dans le football lors des années à venir ?

Le sport devient un instrument pris de plus en plus au sérieux afin de repositionner un pays sur la scène internationale. Même si la diplomatie sportive n’est pas nouvelle, la stratégie du Qatar a révélé au grand jour le pouvoir du sport dans les relations internationales. Et d’autres pays pourraient être tentés d’imiter une telle stratégie.
Néanmoins la conjoncture économique, avec un ralentissement de la croissance mondiale, pourrait réduire les ambitions de certaines nations dans ce domaine. Certains pays ne peuvent plus aujourd’hui se permettre d’investir massivement dans le secteur sportif sous peine de connaître une vive contestation sociale. Les investissements dans le secteur sportif peuvent s’avérer très payants mais ils sont également à risque, en raison notamment de la part d’incertitude dans les résultats.

Funérailles de Shimon Peres et des accords d’Oslo

Mon, 03/10/2016 - 10:02

Le prix Nobel de la Paix Shimon Peres a été inhumé à Jérusalem. Si plus de 90 délégations internationales ont assisté aux funérailles de l’ancien président israélien, l’ensemble de la communauté internationale n’était pas réuni à cette occasion.

Seule la communauté occidentale était présente en force. Preuve à la fois du sentiment d’appartenance de l’Etat israélien au monde occidental et de la normalisation inachevée de ce pays, comme l’atteste en particulier l’absence de toute représentation– au niveau des chefs d’Etat– de ses voisins arabes… exception faite du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Cette apparente incongruité marque en réalité la part de responsabilité de l’Autorité palestinienne dans l’impasse actuelle. L’échec du « processus de paix » est perçu aussi comme un échec de cette entité politique, incapable d’endiguer la colonisation et d’ériger enfin un Etat palestinien. Si la corruption endémique et l’absence de perspective politique continuent d’altérer sa légitimité, la présence de son président Mahmoud Abbas aux funérailles de Shimon Peres symbolise la rupture avec son propre peuple.

Les funérailles de Shimon Peres étaient aussi celles des accords d’Oslo, auxquels son nom demeure associé. Du reste, l’échec de ces accords s’explique aussi par l’attitude israélienne si bien symbolisé par la dualité de Shimon Peres. Derrière son discours de paix qui sied si bien aux élites occidentales, la réalité historique est plus cruelle : à travers ses diverses fonctions politiques et institutionnelles, il a non seulement accompagné la politique de colonisation israélienne, mais il a contribué à rendre le projet d’Etat palestinien quasi irréalisable. Une réalité historique qui contraste avec la manière dont le monde occidental s’est plu à présenter de façon toute élogieuse cet animal politique hors pair qui a cautionné, alors qu’il était ministre de la Défense dans les années 1970, les premières colonies juives en Cisjordanie, mais aussi directement impliqué dans des décisions/actes susceptibles de relever de la catégorie des actes de guerre… Il était en effet Premier ministre en 1996 quand un bombardement de l’aviation israélienne a causé la mort de plus de 100 civils réfugiés dans un camp de réfugiés de l’ONU, dans le village libanais de Cana.

Dans le même temps, son rôle est indéniable dans le rapprochement israélo-palestinien qui a suscité un espoir de paix et la perspective d’une solution à deux Etats, israélien et palestinien. Il a d’emblée soutenu les négociations secrètes– le Parlement israélien n’abrogera la loi du 6 août 1986 interdisant les contacts avec l’OLP que le 19 janvier 1993– israélo-palestiniennes qui se sont tenues durant deux ans par l’entremise de la Norvège.

Ministre des Affaires étrangères de son grand rival travailliste Yitzhak Rabin– qu’il a convaincu d’engager leur pays dans cette voie diplomatique – il était chargé des négociations une fois officialisées, qui aboutiront en 1993 à la conclusion des fameux « Accords d’Oslo ». L’accord de principe (ou « Oslo I ») sur les arrangements intérimaires d’autonomie consacre la reconnaissance mutuelle de l’OLP et d’Israël, et créé l’Autorité Palestinienne, entité responsable pour une période transitoire d’autonomie (de cinq ans au plus) de la gestion de certaines villes de Cisjordanie et de Gaza. Yasser Arafat reçoit le Prix Nobel de la Paix en 1994, en compagnie des Israéliens Shimon Peres et Yitzhak Rabin…

Toutefois, l’ambiguïté et les silences de ces Accords indiquaient d’emblée un risque d’échec. Des questions cruciales n’avaient pas été tranchées, ni même abordées : le statut de Jérusalem-Est, le sort des réfugiés, les colonies de peuplement, le tracé des frontières, l’accès à l’eau. Les accords de « Taba » (« Oslo II », 1995) prévoient l’extension des territoires autonomes gérés par l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et une série de retraits israéliens, suivant un découpage de la Cisjordanie en trois zones A, B et C. L’acception de cette typologie territoriale constitue avec le recul historique une erreur stratégique de la part des Palestiniens. L’arrivée au pouvoir de la droite nationaliste (Likoud) bloque la réalisation de ce plan de retrait… Alors que la période transitoire d’autonomie a expirée depuis mai 1999, maigres sont les réalisations du processus d’Oslo. Le déclenchement de la seconde Intifada traduit la frustration palestinienne à l’égard d’accords qui n’ont pas ouvert à la voie à la libération nationale.

C’est dans ce contexte que le Prix Nobel de la Paix Shimon Peres n’hésitera pas à assurer le service après-vente – sur la scène internationale – de la politique de colonisation d’Ariel Sharon, de retour au pouvoir au début des années 2000, malgré sa responsabilité directe dans le massacre de Sabra et Chatila en 1982. Un cynisme qui disqualifie l’analogie hasardeuse de Barack Obama, qui n’a pas hésité à élever Shimon Peres au même rang que Nelson Mandela. L’amour rend aveugle, dit-on…

Alep : victime du jeu des (im)puissances

Thu, 29/09/2016 - 16:33

La 71e Assemblée générale des Nations unies s’est conclue sans aucune perspective de paix ou solution de règlement du conflit en Syrie. Si la question a naturellement été évoquée par de nombreux chefs d’Etats et de gouvernement, ces déclarations ont instillé un sentiment d’impuissance de la communauté internationale. Bien que Daech soit un ennemi stratégique commun aux deux coalitions diplomatico-militaires, les Occidentaux n’ont pas hésité à mettre en accusation les agissements des alliés russes et syriens (liés au régime). Les dernières vagues de bombardement ont été qualifiées de « crimes de guerre » par la France. La trêve conclue laborieusement par les Russes et les Américains est caduque depuis le 19 septembre. L’impasse diplomatique laisse le champ libre à la force militaire. Or les coalitions présentes commettent des « bavures » et provoquent des victimes « collatérales ».

Aujourd’hui, la ville d’Alep– la plus importante du pays, après Damas– est l’épicentre du conflit. Les aviations russes et syriennes mènent depuis une campagne de bombardements intenses sur les quartiers à l’Est d’Alep tenus par les insurgés. Les bombardements intenses de l’armée russe– soutien inconditionnel au régime d’al-Assad– et de l’armée syrienne loyaliste tentent de briser la rébellion située à l’Est d’Alep. Les bombardements– guidés par les Gardiens de la révolution iraniens et les soldats du Hezbollah libanais– qui ont visé des sites civils, en particulier des hôpitaux, ont été qualifiés de « crime de guerre » par le secrétaire général de l’ONU. Devant le Conseil de sécurité de l’ONU, Ban Ki-Moon n’a pas hésité à déclarer qu’en Syrie, « le carnage continue et personne n’est épargné » ; « c’est pire que dans un abattoir ». Des déclarations sans effet. Les victimes civiles sont toujours plus nombreuses. Des civils privés de refuge et de vivres, assiégés et affamés. Une tragédie humanitaire qui dure depuis de longs mois …

L’aviation russe est accusée d’avoir eu recours à des « bombes perforantes » ou « bunker buster », destinées à atteindre les infrastructures souterraines. Il s’agit là d’un nouveau signe de l’investissement toujours plus important des Russes en Syrie. Déjà présentes dans le port méditerranéen de Tartous, les forces russes ne cessent de se renforcer avec l’envoi de conseillers et de soldats (dont le nombre reste difficile à chiffrer), mais aussi d’hélicoptères militaires, de quelques chars, de pièces d’artillerie, de véhicules blindés de transport de troupes, etc. Un cap a été franchi avec le déploiement d’avions de combat dans la région de Lattaquié, fief de Bachar al-Assad. S’il convient de ne pas exagérer l’engagement militaire russe, il contraste malgré tout avec les atermoiements occidentaux en général, et américains en particulier, y compris pour soutenir plus fortement les groupes d’opposition rebelle.

Aujourd’hui, plus que jamais, la clef du conflit se trouve dans les mains de Moscou. Vladimir Poutine est guidé par un opportunisme et un cynisme certains qui l’amènent à lancer ce qui semble être une « guerre totale ». Conscient de l’équilibre des forces favorable, le drame syrien perdurera tant que les intérêts stratégiques russes ne seront pas satisfaits. En attendant, c’est peuple syrien d’Alep qui paye le prix lourd du jeu des puissances…

La France, en crise d’identités ?

Thu, 29/09/2016 - 15:42

Pascal Blanchard est historien, chercheur au CNRS au Laboratoire communication et politique. Il répond à nos questions à propos de l’ouvrage qu’il a co-dirigé : « Vers la guerre des identités ? De la fracture coloniale à la révolution ultranationale » (La Découverte) :
– La France est-elle en crise d’identités ?
– Les attaques terroristes qui ont secoué la France ces dernières années sont-elles symptomatiques de cette crise d’identités ?
– Quels éléments vous permettent d’affirmer que la France n’assume pas sa politique coloniale ? Le cas échéant comment l’assumer ?

Le débat Clinton/Trump a-t-il changé la donne ?

Wed, 28/09/2016 - 11:15

Après les multiples attaques personnelles auxquelles se sont livrés les deux candidats à l’élection présidentielle, le débat d’hier a-t-il finalement débouché sur une confrontation d’idées ? Quelles ont été les attitudes des deux candidats ? Hillary Clinton a-t-elle semblée plus sereine ?

Non. Le débat d’hier n’a pas vraiment donné lieu à un débat de fond. L’opposition entre Donald Trump et Hillary Clinton reste, en ce sens, conforme à la campagne et les deux candidats en partagent la responsabilité. Le républicain, d’une part, pour ses déclarations provocantes, souvent réductrices, et pour sa tendance à établir des contre-vérités ainsi que des informations erronées. La démocrate, d’autre part, qui peut être critiquée pour son incapacité à proposer un véritable programme dans cette campagne. Madame Clinton semble se cantonner à mettre en avant son expérience en tant que secrétaire d’Etat, de sénatrice de l’Etat de New-York et de First Lady.
Durant une grande partie du débat, Trump a donné l’impression d’avoir cherché à se maîtriser, à modérer ses prises de position et à paraître présidentiable comme il le fait depuis son investiture. Sur la fin du débat, il a cependant brisé l’armure en adoptant une attitude plus vindicative, agressive, voire nerveuse, attitude qui était la sienne durant les primaires républicaines. Hillary Clinton, en revanche, s’est montrée plus sereine. En démontrant notamment ses capacités à répondre aux questions de manière plus juste et modérée. Aux reproches qu’elle serait incapable d’enchainer une campagne et cinq ans de mandat présidentiel, l’ex-First Lady a mis en avant son expérience et l’endurance dont elle a fait preuve au département d’Etat, pour lequel elle a visité 112 pays, signé plusieurs traités et géré des dossiers brûlants. En ce sens, elle a semblé supérieure à son adversaire au cours du débat.
Bien que meilleure, lundi, je ne pense pas que la prestation d’Hillary Clinton l’ait été suffisamment pour qu’elle soit en mesure de mettre un coup d’arrêt à la montée de Donald Trump, en pleine progression dans les sondages.

L’actualité américaine est actuellement dominée par les questions raciales, sécuritaires et de politique étrangère. Quelles ont été les positions des candidats sur ces thématiques ?
La sécurité, avec l’emploi, fait partie des principales préoccupations des Américains. Après les attentats et les émeutes en Caroline du Nord, cette question s’invite de nouveau dans la campagne.
Hillary Clinton a, quant à elle, pris une posture plus modérée, mais ses discours ont moins d’impact sur l’opinion. En qualifiant d’« inacceptables dans une démocratie » les émeutes raciales et les problèmes liés aux forces de police en Caroline du Nord, elle adopte l’attitude qui doit être celle du président Obama. En pleine campagne, elle doit plutôt donner une dimension populiste à ses discours et se présenter comme celle qui fera, du vivre ensemble, une réalité aux Etats-Unis.
Sur ces questions, Donald Trump a fait, en revanche, preuve de lucidité et il a profité des problèmes de santé d’Hillary Clinton pour marquer des points. Il entend rassurer les Américains en se présentant comme le candidat légitime dans la lutte contre l’insécurité. En Caroline du Nord, il a dénoncé les discriminations vécues par les minorités noires. Un discours à contre-courant par rapport aux propos tenus par le républicain ces derniers mois. Il se donne ainsi, l’opportunité de susciter la sympathie des électeurs noirs qui resteront, sans doute, réfractaires au vote Trump. Toutefois, la Caroline du Nord, un Etat clé, bascule progressivement en faveur du milliardaire.
Sur la politique étrangère, les deux candidats ont refusé de rentrer dans un débat de fond. Donald Trump a mis en avant les nombreux changements qu’il souhaite opérer une fois élu tandis qu’Hillary Clinton s’est contentée de valoriser son expérience de secrétaire d’Etat. Les divergences entre le républicain et la démocrate demeurent néanmoins fondamentales. Trump, d’une part, se fait l’apôtre du réalisme en privilégiant l’intérêt national en toutes circonstances. Son réalisme, proche de la pensée d’Henri Kissinger, se traduit par une prise d’initiative quand la situation le permet, un désengagement ou un retrait dans les dossiers où les intérêts américains ne sont pas suffisamment concernés, ainsi qu’une remise en cause des alliances stratégiques et des relations américaines avec certains compétiteurs, notamment la Russie. Avec Donald Trump, le réalisme ferait son grand retour à la maison blanche.
Hillary Clinton, est, en revanche, une libérale convaincue. Elle met en avant les institutions internationales, elle prône une certaine responsabilité des Etats-Unis dans les affaires du monde. Son discours est proche du mode d’action de l’administration Bill Clinton.
Donald Trump et Hillary Clinton symbolisent deux visions différentes des relations internationales. En l’absence de débats de fond, ces visions n’ont malheureusement pas été mises en lumière.

L’Amérique assistera à deux nouvelles confrontations entre Hillary Clinton et Donald Trump. Un candidat peut-il remporter les élections sur un débat ?
Contrairement au système français où un seul débat est organisé entre les deux candidats, le système américain permet à celui qui perd le premier round, de se rattraper et de remporter les deux prochains. Cela avait notamment bénéficié à Barack Obama, lorsqu’en 2012, Mitt Romney se montre beaucoup plus convaincant que lui lors du premier débat. Les 2e et 3e débats avaient alors permis au président sortant de rendre meilleure copie et d’inverser le rapport de force.
L’enjeu de ces débats, très suivis aux Etats-Unis, est de convaincre ces 20% d’indécis, qui ne savent pas encore précisément pour qui ils voteront. En 1960, le débat entre Kennedy et Nixon ont joué en la faveur du premier qui a remporté les élections. En 1988, l’attitude, très hésitante, de Micheal Dukakis lors du débat face à Georges Bush ont contribué à sa défaite. Victorieux en 1988, l’attitude de Georges Bush lui fera défaut en 1992 lorsque, face à Bill Clinton, il regarde plusieurs fois sa montre, laissant croire que les débats l’ennuient.
Dans le cas d’Hillary Clinton, l’on ne peut pas dire que le débat de mardi ait été décisif. Cela fait trois semaines que Donald Trump progresse dans les sondages aux dépends de son adversaire. Si la prestation de la démocrate a été bonne, elle ne l’a pas suffisamment été, selon moi, pour inverser la tendance. La victoire dépendra peut-être des deux prochains débats. Elle dépendra aussi des capacités des candidats à aller à la rencontre et à convaincre les électeurs des 5 Etats clés qui seront décisifs dans la campagne (Ohio, Caroline du Nord, Floride, Colorado, Nevada). Donald Trump pour l’emporter, devrait conquérir les 5 Etats, selon les sondages, il est désormais en tête dans quatre. Les élections s’annoncent serrées.

Les paris sportifs : « Un fléau plus important que le dopage »

Tue, 27/09/2016 - 17:33

Pour Pascal Boniface, le trucage de paris sportifs est un phénomène autant voire plus important que le dopage. Mais la lutte s’organise, estime-t-il. Raison pour laquelle le nombre d’affaires qui éclatent au grand jour ne cesse d’augmenter.

En matière de tricherie dans le sport, on pense en premier lieu au dopage, qui a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. Mais les paris sportifs ne sont-ils pas un fléau plus grave, dans un milieu où les enjeux financiers sont énormes ?

L’ampleur du phénomène est très grande. Ce fléau est certainement encore plus important que le dopage, puisqu’il est multiforme et peut concerner plusieurs acteurs. Il met en cause l’intégrité des compétitions. Et permet des liens entre le crime organisé et le sport. Mais ce danger est de plus en plus pris en compte par les différentes instances sportives et les pays. Il y a une convention européenne en la matière. En Chine, les pouvoirs publics, qui étaient assez peu préoccupés par ce type de dérives, voire bienveillants à leur égard, commencent à s’organiser. Interpol également. Il y a eu un temps de retard par rapport à la lutte contre le dopage. Mais désormais, c’est un phénomène mieux identifié. Et comme pour le dopage, ce n’est pas parce qu’il y a plus d’affaires qui éclatent au grand jour, qu’il y a plus de paris truqués. Au contraire, cela signifie qu’ils sont davantage identifiés et dénoncés.

Que peut-on faire ? Est-il possible d’empêcher que des joueurs parient contre leur propre équipe, par exemple ?

C’est évidemment le pire cas d’espèce : qu’un joueur parie sur sa propre défaite. C’est le vieux mythe du boxeur qui se couche parce qu’on a parié sur sa perte. La légende est connue. De la prévention est faite dans les clubs. Quelques cas ont été révélés. Les moyens de surveillance dont on dispose aujourd’hui laissent penser que l’impunité recule. Mais comme pour le dopage ou la criminalité, il n’y a pas de risque zéro. C’est une lutte sans fin. Il y a deux excès à éviter : le déni de réalité et le « tous pourris ». Les clubs et les responsables de loterie légale eux-mêmes luttent contre ces dérives car s’ils se retrouvent impliqués dans des affaires de paris truqués, ils tuent la poule aux oeufs d’or. Ces dernières sont les premières victimes des paris truqués parce que si les joueurs ont l’impression que tout est joué à l’avance, ils ne vont plus parier.

Ces dernières années, le sponsoring par des entreprises de paris en ligne a explosé. Clubs et fédés ne sont-ils pas les victimes consentantes de ce business ?

Si un opérateur de paris qui sponsorise un club est pris la main dans le sac, son business plan est détruit. Le problème des paris truqués ne vient pas des entreprises qui ont pignon sur rue, mais d’autres opérateurs « gris ». Pour lutter contre cela, il faut certainement harmoniser les sanctions au niveau européen. Et développer le contrôle du jeu en ligne. En France, l’Arjel, l’autorité de régulation des jeux en ligne, détecte assez facilement les paris suspects. Il faudrait sans doute aussi limiter ce sur quoi on peut parier. Aujourd’hui, on peut miser sur l’équipe qui obtiendra le premier corner, etc. On pourrait limiter les paris aux résultats des matchs. Car on peut très bien truquer des paris sans truquer le résultat d’un match. Le problème aujourd’hui ne se situe pas au niveau des grands clubs, car corrompre le Real ou Manchester United, cela coûterait beaucoup trop cher. C’est dans les niveaux inférieurs qu’il y a des problèmes de corruption et de détournement de l’intégrité du sport.

Propos recueillis par Corentin di Prima

« Je crois que l’on arrive au bout du phénomène Trump »

Tue, 27/09/2016 - 16:37

Que retenez-vous de ce premier débat Clinton-Trump ?

Le débat a vraiment été intéressant. Je n’ai pas vu le temps passer malgré l’heure peu favorable en France… Donald Trump n’est pas sorti de sa posture habituelle, comme s’il était en meeting avec des formules assez générales, un peu toutes faites. Comme face aux questions du modérateur sur le financement de sa politique fiscale. Je pense d’ailleurs qu’il ne sait pas comment la financer… Hillary Clinton était ultra-préparée, maîtresse d’elle-même, maniant même l’humour et la pugnacité, avec des formules bien préparées comme sur les positions racistes de Trump contre Obama. Pour moi, elle a gagné des points mais il ne faut pas pour autant tirer des conclusions hâtives. Il reste deux débats et les sondages sont serrés.

Trump conserve-t-il toutes ses chances ?

Ça va se jouer dans cinq à six États décisifs. Il faut remarquer que Donald Trump les a martelés en évoquant le Michigan, l’Ohio, la Floride. Il essaie de séduire dans ces États-là qui lui sont assez favorables. Mais je crois que l’on arrive au bout du phénomène Trump. Son succès est basé sur la provocation, la défense du petit peuple blanc. Pour l’instant, il ne semble pas trop capable d’aller au-delà de son électorat. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’il va perdre. Il ne faut surtout pas le sous-estimer.

Qu’est-ce qui séduit les Américains chez Trump ?

C’est le phénomène du discours anti-élites, anti-système. De cette partie de l’électorat qui se méfie des élites politique et financière, de la mondialisation et de l’évolution démographique. C’est à peu près la même chose qui se passe en France avec la campagne de Nicolas Sarkozy qui fait du Trump. Il s’agit de jouer avec l’identité, de faire du storytelling autour de l’identité économique, historique, raciale et patriarcale.

Comment Hillary Clinton répond-elle sur son appartenance au système et son supposé manque d’endurance ?

Lors du débat, Donald Trump a beaucoup martelé sur le fait qu’Hillary Clinton est depuis longtemps au pouvoir. Mais elle a fait valoir son expérience positive, son expérience de femme d’État : « OK, j’appartiens au système mais j’ai voyagé dans 112 pays, j’ai signé des accords de paix… » De ce point de vue, elle a réussi à relancer sa campagne après sa maladie. On sent une nouvelle dynamique, appuyée par son camp, une véritable machine de guerre.

Pourquoi Clinton ne fait-elle pas plus la différence face aux excès de langage de son adversaire ?

Elle n’arrive pas à creuser l’écart parce qu’elle n’arrive pas à convaincre les jeunes. Elle ne fait pas rêver car elle ne promet pas le renouveau. Dans sa manière d’être ou de se vêtir, elle reste très classique, à la différence de l’écologiste Jill Stein ou du libertarien Gary Johnson (on les oublie mais ils se présentent aussi). Comme pour son adversaire d’ailleurs, elle a plutôt un électorat qui se situe au-delà de 40 ans.

Propos recueillis par Olivier Berger

Colombie, accords de paix : quels impacts pour la population et l’économie colombiennes ?

Tue, 27/09/2016 - 12:34

L’accord de paix avec les FARC, qui met fin à un conflit cinquantenaire et qui doit encore être validé par référendum, changera-t-il, selon vous, le quotidien des Colombiens ?

Le conflit changera le quotidien d’une certaine catégorie de Colombiens. Les FARCS sont essentiellement ancrés dans des zones rurales. La paix est susceptible d’apporter des améliorations dans la vie de ceux qui vivent dans ces régions, mais pour les habitants de grandes villes comme Bogota, Medellín, Cali, cette nouvelle parait presque aussi lointaine que pour un Européen.

Pourquoi certains politiques colombiens s’opposent-ils à l’accord ?

Les principaux opposants à l’accord sont deux anciens Présidents de Colombie : Alvaro Uribe (2002-2010), Andres Pastrana (1998-2002). Les raisons de l’opposition de ce dernier sont difficiles à comprendre. Il avait lui-même tenté de négocier un accord de paix à l’issue duquel il avait concédé aux FARC un territoire grand comme la Suisse. Mais, mal préparées, les négociations n’avaient abouti à rien de concret. Une affaire d’orgueil se cache-t-elle derrière ce refus, alors que ses successeurs réussissent là où il a échoué ?

Quant à Alvaro Uribe, il fait partie de ces notables de l’intérieur de la Colombie qui ont été victimes de tentatives d’enlèvement de la part des FARC, de chantages financiers, et qui ont activement participé à des combats plus ou moins légaux dans la guerre contre la guérilla. Alvaro Uribe représente une Colombie, rurale, héritière d’un monde, qui n’est plus celui d’aujourd’hui.

Quel sera l’impact des accords de paix en Colombie sur le trafic de drogue à l’échelle nationale et internationale ? 

La drogue fait partie des six points négociés dans le cadre de l’accord entre les FARC et le gouvernement colombien. En signant les accords de paix, les guérilleros s’engagent à abandonner leurs activités de trafic de drogue. Pendant plusieurs années, les FARC ont été accusés d’être un groupe de narcoterroristes, les auteurs de cette appréciation, laissant ainsi entendre que la résolution du trafic des stupéfiants était liée à une victoire militaire ou à un accord sur le trafic de drogue avec les seules FARC.

La situation est, en réalité, plus complexe. Le trafic de stupéfiants brasse beaucoup d’argent et touche la totalité de la société colombienne. En marge des accords de paix, plusieurs groupes armés restent actifs sur le territoire. L’ELN (l’Armée de libération nationale), seule guérilla encore en activité, et les anciens paramilitaires. Uribe avait négocié une cessation des hostilités avec ces derniers. Elle n’a pas donné les résultats escomptés. Une grande partie des paramilitaires s’est reconvertie dans le trafic de stupéfiants en créant ou renforçant des bandes criminelles, BACRIMS dans le jargon politique colombien. Si l’Etat colombien n’occupe pas le terrain, l’ELN ou les bandes criminelles risquent de se réapproprier les zones de trafics abandonnés par les FARC.

Quels sont les enjeux socio-économiques de la Colombie, aujourd’hui ? La paix peut-elle relancer la croissance et rendre le pays plus compétitif sur le plan commercial ?

La Colombie est déjà un pays compétitif. Elle fait partie des rares pays d’Amérique latine, avec notamment la Bolivie et le Pérou, qui affichent, encore aujourd’hui, une croissance positive. Anticipant les accords avec les FARC, les autorités ont d’ores et déjà lancé une offensive destinée à attirer les investisseurs étrangers. La paix devrait notamment permettre au gouvernement de diminuer ses dépenses de sécurité (armée et police), au profit de dépenses et d’investissements destinés au développement et à l’amélioration des infrastructures du pays. Certains experts estiment que la fin de la guerre pourrait faire gagner un à deux points de croissance à la Colombie.

Les accords de paix laissent envisager des horizons meilleurs pour la Colombie, d’autant plus que les accords ont été  bien accueillis par la communauté internationale. Le Secrétaire général de l’ONU, les Secrétaires d’Etat des Etats-Unis, du Vatican ainsi que quinze présidents d’Amérique latine ont fait acte de présence à Carthagène, lieu de signature des accords en Colombie, tout comme les responsables de grandes institutions financières internationales, dont la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, le FMI. Pourquoi ? Le monde, tel qu’il est aujourd’hui, laisse peu d’occasions de se réjouir. Parmi les nombreux conflits d’aujourd’hui, en Afrique, au Moyen-Orient, mais aussi en Europe de l’Est, la Colombie est un des rares exemples de résolution qui aboutit par la voie de négociations de paix.

Néanmoins, la présence européenne, modeste, est surprenante compte tenu de la portée d’un accord dont l’exemplarité dépasse la Colombie. L’Espagne, en crise, a délégué son ancien roi, Juan Carlos, et les autres pays membres de l’Union, leurs ministres des Affaires étrangères, ou vice-ministres et ministres délégués.

Syrie : « Rien ne peut se faire sans l’aval du conseil de sécurité »

Mon, 26/09/2016 - 16:04

L’Organisation des Nations unies (ONU), est la somme des États membres qui la composent. À l’ONU, rien ne peut se faire sans l’aval du conseil de sécurité composé de cinq membres (Chine, États-Unis, Fédération de Russie, France et Royaume Unie), car ils disposent du pouvoir de veto qui est l’expression politique d’un État.

C’est le cas pour le conflit israélo-palestinien où un nombre considérable de résolutions onusiennes a été l’objet d’un veto américain parce que Washington ne souhaitait pas imposer quoi que ce soit à Israël.

Un jeu de dupes

Sur le dossier syrien, il ne peut pas y avoir de règlement sans un accord entre les États-Unis, chef de file qui soutient un certain nombre de groupes d’opposition et compte dans ses rangs la Turquie et l’Arabie saoudite, et de l’autre la Russie qui soutient le régime de Bachar, soutenu aussi par l’Iran. Le conflit syrien est un jeu de dupes entre des puissances qui annoncent vouloir établir un règlement alors qu’en coulisse, elles continuent à alimenter des groupes d’opposition.

Le 9 septembre, un accord pour un cessez-le-feu en Syrie a été conclu entre Washington et Moscou. Il a volé en éclat au bout d’une semaine, parce que Washington n’a pas réussi à imposer aux groupes qu’il soutient sur le terrain de le respecter.

En Syrie, il n’y a pas une guerre, il y en a des dizaines. À Alep, le groupe dominant sur le terrain, c’est al Nosra, qui s’est rebaptisé Fatah al Cham (pour faire oublier son affiliation à Al-Qaida). Al Nosra était exclu de l’accord de cessez-le-feu.

D’autres groupes comme les salafistes d’Ahrar al-Cham et l’armée syrienne libre, soutenue les États-Unis, et qui se battent aux côtés d’al Nosra à Alep, n’ont pas respecté le cessez-le-feu parce qu’ils sont dépendants du bon vouloir d’al Nosra. Pour que le cessez-le-feu perdure, il faudrait qu’ils se désolidarisent d’al Nosra.

La Russie marque des points

La Russie aussi, qui marque des points dans cette guerre, n’est pas disposée à abandonner ses acquis sur le terrain et laisser les djihadistes se renforcer et s’organiser. À la moindre violation du cessez-le-feu, Moscou et l’armée syrienne ont répondu par des attaques massives sur les positions de l’opposition à Alep.

Le mécanisme d’une négociation se passe toujours en plusieurs temps. Les acteurs négocient entre eux, comme les Russes et les Américains le font en Syrie. Ensuite, une fois que celui-ci est respecté, l’ONU peut intervenir pour mener les négociations, pour la mise en place d’un gouvernement de transition et ensuite le processus des élections, dans le cas syrien.

Mais la première phase se passe toujours entre les grandes puissances. C’est ce qui s’est passé entre Washington et Téhéran pour les négociations qui ont abouti à la signature de l’accord sur le nucléaire iranien. Il faut distinguer entre le pouvoir réel sur le terrain et le pouvoir juridique de l’ONU. L’ONU vient en appui quand les grandes puissances en ont besoin. Mais sans leur volonté, l’ONU ne peut rien faire tant qu’existe un droit de veto.

Recueilli par Agnès Rotivel

Colombie : « Le succès de l’accord de paix dépendra de l’intégration des anciens guérilleros »

Mon, 26/09/2016 - 15:52

Comment la guérilla des FARC est-elle née et comment expliquez-vous sa longévité ?

Il faut remonter à 1948 et à l’épisode dramatique de la « Violencia », guerre civile qui a fait deux cent mille à trois cent mille morts, opposant libéraux et conservateurs, après l’assassinat du leader libéral Jorge Eliécer Gaitan. A l’issue de cette guerre civile, les FARC lancent leur première conférence, en 1964. Ils commencent leur bataille dans les campagnes et militent pour une réforme agraire.
La rébellion des FARC a duré parce qu’elle a réussi à vivre d’elle-même. Elle avait les moyens d’acheter des armes grâce au trafic de stupéfiants, aux enlèvements crapuleux qui visaient les notables installés dans les campagnes et à la taxation des activités économiques. Cette manne financière lui a permis de passer d’un système de guérilla rudimentaire, dans les années 1980, à une organisation capable de déstabiliser l’armée au milieu des années 1990.
Pendant toutes ces années, les FARC ont surtout été actives dans le sud du pays et dans les régions situées aux frontières du Panama et du Venezuela. Les négociations de l’accord de paix ont duré quatre ans, mais à aucun moment il n’y a eu de cessez-le-feu, car les deux parties savaient qu’il était facile de bloquer des négociations en le violant. Pendant les discussions, les FARC ont donc continué à attaquer les colonnes de l’armée. Les violences ont diminué au fur et à mesure.

Entre 1984 et 1999, il y a eu trois processus de paix, qui ont tous échoué. Pourquoi celui-ci aboutirait-il, selon vous ?

Les combattants sont fatigués, usés et ils ont bien conscience qu’ils n’arriveront jamais à prendre le pouvoir par les armes. Ils subissent aussi la pression des partis de gauche qui voient leur développement entravé parce qu’ils sont accusés de soutenir la guérilla. La Colombie est aussi le pays d’Amérique latine qui réserve la part la plus importante de son budget au secteur militaire. Le gouvernement prend conscience que le pays pourrait augmenter significativement sa croissance économique s’il investissait moins dans les dépenses militaires. Les deux parties ont donc intérêt à ce que le processus aboutisse.
Il y aura, le 2 octobre, un référendum. D’après les sondages, le oui l’emporte assez largement. Mais le véritable enjeu est le taux de participation. Il faut qu’il y ait un maximum d’électeurs pour assurer la légitimité de cet accord.

Que contiennent les 297 pages de l’accord de paix ?

Cela peut paraître surréaliste dans un pays urbain, mais la réforme agraire est l’un des principaux points abordés, car il constitue l’ADN des FARC. Cette réforme consisterait à restituer les terres aux paysans expropriés. Ceux qui produisent de la coca devront, quant à eux, se reconvertir dans d’autres cultures.
Le deuxième point concerne la reconversion des FARC en mouvement politique. L’accord prévoit qu’ils aient d’office cinq députés et cinq sénateurs pendant deux législatures, c’est-à-dire huit ans. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est symbolique. L’idée est de dire : « Maintenant, c’est à vous de faire mieux en vous mobilisant lors des campagnes électorales futures. » En mai 2017, l’organisation compte donc se réunir pour créer un parti politique, dont on ne connaît pas encore le nom.

Les FARC ont exprimé, à l’issue de leur conférence nationale du 23 septembre, leur « soutien unanime » à l’accord de paix. Mais existe-t-il un risque de dissidence ?

Oui, il y a des éléments dissidents. Ce sont les plus radicaux et ceux qui sont le plus impliqués dans les trafics. Les responsables ont indiqué qu’ils étaient assez résiduels, mais ils ne vont pas s’envoler dans la nature. L’ELN (deuxième guérilla de Colombie après les FARC, qui a refusé de participer au processus de paix) peut très bien constituer une plate-forme d’accueil pour ces personnes-là. Elles peuvent aussi, comme ce fut le cas en Amérique centrale, rejoindre des bandes criminelles.

Le défi le plus important à relever semble être la (ré)intégration des guérilleros dans la société civile. Comment y parvenir ?

Cela suppose un débat très difficile, celui de la justice transitionnelle. Comment répondre aux attentes des victimes sans faire peser sur un trop grand nombre de combattants le poids de la justice ? Les FARC ne vont pas signer pour aller en prison. En même temps, ce conflit qui dure depuis cinquante-deux ans, a fait plus de deux cent mille morts. Le gouvernement ne peut donc pas mettre cette question sous le tapis.
L’accord prévoit que ceux qui ont commis un crime contre l’humanité seront poursuivis par des tribunaux colombiens. Des peines de cinq à sept ans sont prévues pour ceux qui reconnaîtront les faits. Dans le cas contraire, s’ils sont reconnus coupables, ils seront condamnés à vingt ans de prison. D’autres peines de réparation sont également prévues, comme participer à la recherche de mines antipersonnel.
Il faut aussi penser au désarmement des guérilleros. De ce côté-là, des choses ont déjà été négociées. Il y aurait une vingtaine de points de concentration, répartis dans tout le pays, où chaque combattant serait suivi et recevrait une indemnité pendant six mois. L’idée est de les orienter vers des activités post-conflit.
Le succès de l’accord de paix dépendra de la réussite de l’intégration des anciens combattants dans la société civile. Pour y parvenir, la Colombie multiplie les appels du pied envers le patronat et la communauté internationale. Quinze chefs d’Etat et de gouvernement seront présents pour la signature, mais il y aura aussi le FMI et la Banque mondiale, ce qui prouve bien la dimension économique de cet accord. Beaucoup de pays ont déjà tissé des liens commerciaux avec la Colombie, mais l’objectif est qu’ils investissent davantage. La signature de l’accord va renforcer l’attractivité économique du pays.

Comment l’opinion publique, notamment les victimes du conflit, accueille-t-elle cet accord ?

Le conflit colombien a touché la périphérie et n’a fait qu’effleurer les grandes villes, comme Medellín et Bogotá, qui subissent davantage la violence des cartels. La population urbaine n’est donc pas vraiment concernée par la guérilla. En revanche, dans les campagnes, les gens attendent la signature de l’accord. Ce ne sont pas dans les régions où les combats ont été les plus intenses que la résistance est la plus forte, mais dans les grandes villes et les milieux conservateurs, qui profitent de cet accord pour s’opposer au président [centriste] Juan Manuel Santos.

Propos recueillis par Feriel Alouti

Espagne 2016, seconde patrie de Buridan

Sun, 25/09/2016 - 16:26

On connaît le drame absurde vécu par l’âne de Buridan. Affamé et assoiffé, il meurt de faim et de soif, incapable de choisir entre bol d’eau et seau de céréales. Buridan n’est peut-être pas l’inventeur de cette histoire. Il aurait pu l’être. Comme il pourrait être aujourd’hui le chroniqueur incontesté du feuilleton électoral ouvert en Espagne en décembre 2015, et toujours en septembre 2016 bobiné sur un logiciel débranché.

Incapables de faire des choix, des alliances parlementaires, les partis politiques espagnols s’enferment dans un autisme ayant interdit toute sortie majoritaire de décembre 2015 à septembre 2016.

Les acteurs du drame, partis politiques comme électeurs, et in fine, la démocratie parlementaire, y survivront-ils? Pendant longtemps l’Espagne aura été exemplaire et montrée comme telle. Elle est en effet sortie d’une interminable dictature militaire sans effusion de sang. Les adversaires historiques avaient confectionné une Constitution mêlant eau et vin. Assurant une convivialité démocratique acceptable, cette nouvelle Espagne avait été donnée en exemple aux pays et peuples en quête de sortie de dictature, de l’Amérique latine à l’Europe de l’Est.

Le pays survit tant bien que mal à cette situation insolite. Le Roi, Philippe VI, est opportunément mis à contribution. De la conférence des Nations unies sur les migrations à l’Assemblée générale de l’ONU. Son père, Juan Carlos, qui avait abdiqué, a été pourtant sollicité pour représenter l’Espagne à la signature de l’accord de paix entre Colombiens des FARC et le gouvernement. En transition prolongée, l’exécutif est dans l’incapacité constitutionnelle de répondre aux attentes pressantes de la Commission européenne. Tout comme de prendre une quelconque initiative législative ou internationale. Certes les apparences sont sauves. Le pays marche sur la vitesse acquise. Mais pour combien de temps encore? L’OCDE s’en est inquiétée. Le ministère espagnol des affaires étrangères a tiré lui aussi une sonnette d’alarme: « notre pays est un canard boiteux international ».

De fait, la machine a relativement bien fonctionné de 1978 à 2015. De droite à gauche, les partis politiques se querellaient dans les limites autorisées par la Loi fondamentale, respectant les compromis et les non-dits de la transition démocratique. Deux grands partis, l’un de centre gauche, le PSOE, et l’autre de centre droit, l’UCD, puis le Parti Populaire, ont monopolisé pendant 35 ans les aspirations modérément opposées des électeurs. Bien huilé, ce va-et-vient centriste balançait mollement et sans heurts majeurs les Espagnols et leur pays, de droite à gauche.

La mécanique s’est brutalement enrayée le 20 décembre 2015. Ce jour-là le parlement Janus, tel Shiva, écrasant les démons du passé, a bourgeonné. Le bipartisme a pris du plomb dans l’aile. Le consulat parlementaire exercé par le PP et le PSOE était désormais contesté de droite à gauche, en passant par les périphéries géographiques, par Bildu, la Coalition des Canaries, Ciudadanos, Compromis, Convergence et Union, la Gauche Républicaine catalane, le Parti nationaliste basque, Podemos, formation agrégat de diverses familles, En marea, En Comu Podem… Les lapins multicartes partisanes sortis du chapeau des électeurs n’ont pas été en mesure d’inventer l’usine à gaz qui aurait permis de fabriquer une majorité. Les lignes rouges respectives des différentes familles politiques les uns à l’égard des autres ont contraint à répéter l’exercice électoral.

Mieux, ou pire, le 26 juin 2016, le parlement élu le 20 décembre 2015 dissous faute d’entente a resurgi de ses cendres. Indifférents au crime de lèse-démocratie modèle de la transition, les électeurs ont de nouveau semé leurs choix à tout vent. Bis repetita placent. Grosso modo les Espagnols ont confirmé le 26 juin 2016 leur option préférentielle pour une représentation éclatée. Les partis politiques ont été renvoyés à la case départ. Les deux partis historiquement dominants ont été à nouveau contestés à droite et à gauche par de nouveaux venus. Les hauts-le-cœur réciproques avaient empêché de trouver un compromis majoritaire de décembre 2015 à juin 2016. La feuille de route des différents partis restait en septembre 2016 toujours aussi insensible au message des électeurs. La date butoir fixée par la Constitution, pour une nouvelle dissolution, le 31 octobre, se rapproche. Faute de majorité à cette date, un retour à la case électorale serait incontournable.

Comment en est-on arrivé là? Le Parti Populaire a péniblement négocié un accord avec la nouvelle formation de centre droit, Ciudadanos. Le seul représentant de la Coalition des Canaries s’est joint à l’entente. 137 PP plus 32 Ciudadanos plus 1 CC, font 170. Manquent encore six députés pour former une majorité. Le Parti nationaliste basque et feu Convergence et Union de Catalogne, formations de centre droit en d’autres temps, en 1996 avaient apporté les voix manquantes au PP. C’est aujourd’hui exclu. Fort de sa majorité absolue depuis 2012, le PP a fait la sourde oreille à toutes les revendications basques et catalanes. L’alliance du PP avec Ciudadanos, parti explicitement centraliste, exclut toute hypothèse allant dans cette direction.

Au centre gauche, Podemos a mangé les communistes de la Gauche démocratique, mais a laissé filer ses homologues de Galice (En Marea) et de Valence (Compromis). Podemos soupçonne publiquement le PSOE de complaisance à l’égard du PP. En clair d’être capable de s’abstenir pour donner au PP et ses alliés une majorité minimale lui permettant de gouverner. Podemos refuse toute perspective de pacte à trois, Podemos plus PSOE plus Ciudadanos, proposé par les socialistes. Socialistes qui refusent mordicus de faciliter par leur abstention la perpétuation du PP de Mariano Rajoy aux commandes de l’Espagne. Le ménage à trois est par ailleurs tout aussi inacceptable pour Ciudadanos. Podemos met sur la table la perspective d’une alliance avec le PSOE, les indépendantistes basques et catalans. Ce mariage à 5 permettrait en effet de passer la ligne majoritaire de 176 sièges. Mais le prix à payer serait lourd de conséquences. Les indépendantistes catalans (17 sièges) conditionnent leur soutien à un feu vert de la majorité ainsi constituée à leurs aspirations souverainistes. Le PSOE refuse cette perspective qui engagerait L’Espagne, selon eux, dans une aventure institutionnelle aux conséquences imprévisibles.

Si dissolution il y a, compte tenu des délais fixés par la Constitution, ce troisième rendez-vous avec les urnes devrait être organisé… le 25 décembre. Autant dire que tous les partis se regardent en chiens de faïence et cherchent des boucs-émissaires. Ciudadanos, Podemos et le PP font porter le chapeau au PSOE. Le PSOE en refusant de s’abstenir, pour les uns (PP et Ciudadanos) ou de s’allier avec les indépendantistes (Podemos) serait le fauteur de trouble. Mais pourquoi faire simple quand on peut compliquer les choses. L’impasse collective a provoqué une montée d’adrénaline au sein du PSOE comme de Podemos. Tandis que Ciudadanos s’interroge sur la pérennité de son alliance avec le PP. Quant aux partis indépendantistes catalans, la paralysie du système politique espagnol les pousse à imaginer une fuite en avant, catalane pur sucre.

La crise économique, les scandales de corruption, le repli nationaliste du parti Populaire, ont brisé les consensus fabriqués pendant la transition démocratique. L’Espagne institutionnelle est comme paralysée par l’ampleur du drame. Alors que la montée collective du doute menace d’envoyer par-dessus bord les partis de gouvernement, l’unité nationale, la Royauté, et de plus en plus le respect des valeurs démocratiques.

Syrie : les Nations unies au secours de la trêve ?

Thu, 22/09/2016 - 17:53

La 71e Assemblée générale des Nations unies s’est tenue le mardi 20 septembre à New-York. De nombreux chefs d’Etats y ont évoqué la Syrie et ont appelé, avec plus ou moins de véhémence, à la résolution diplomatique du conflit. Pensez-vous que la tenue de l’Assemblée générale des Nations unies et les discours qui y ont été prononcés auront un impact sur la situation en Syrie ?

Les différents discours ou partie de discours prononcés par des chefs d’Etat sur la Syrie à l’ONU attestent, malgré récentes les tentatives diplomatiques et la conclusion d’une trêve, que la question syrienne est loin d’être réglée.
En dépit des critiques que l’on peut formuler à son égard, l’ONU reste le seul lieu où une solution politique peut être trouvée à la crise syrienne. Du point de vue de l’organisation des relations internationales, c’est le lieu de rencontre de tous les Etats.
Pour revenir sur le cas syrien, il y a un constat d’impuissance, un manque de courage, ainsi qu’un manque de lucidité. Jusqu’à aujourd’hui, les Etats-Unis et la Russie, deux membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, ont occupé le terrain. Mais la disposition est asymétrique : la Russie – alliée de Bachar el-Assad – a un projet politique sur la Syrie, alors que l’administration Obama est totalement en retrait depuis plus de trois ans. La trêve conclue entre Sergueï Lavrov et John Kerry, le 10 septembre, n’a pas donné les effets escomptés. L’existence de clauses secrètes conclues entre les deux parties, à l’insu des autres membres du Conseil de sécurité, laissait planer le doute quant à la durabilité de l’accord de trêve.
Invité à s’exprimer à l’Assemblée générale des Nations unies, François Hollande a fait preuve de véhémence. Malheureusement, l’exécutif français n’est pas le mieux placé pour donner des leçons au reste du monde sur le dossier syrien. Le gouvernement de Hollande, et celui de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, ont enchainé les erreurs depuis l’éclatement de la guerre civile. La diplomatie française a d’abord estimé que le conflit se réglerait rapidement avant d’établir pour préalable à toute solution diplomatique le départ de Bachar el-Assad. Elle a ensuite agité la menace d’une intervention militaire. Les Français n’ont cependant jamais été en mesure de tracer une voie politique et d’émettre des propositions de sortie de crise. François Hollande devrait faire preuve de plus de modestie sur ce dossier infiniment compliqué. Pour cette raison, hausser le ton est inutile, si dans le même temps, on ne se donne pas les moyens de contribuer à dépasser les blocages.

Le bombardement d’un convoi humanitaire mardi 20 septembre met en péril la trêve. Washington accuse la Russie, Moscou nie. Que sait-on de cet « incident » ? La trêve est-elle définitivement rompue ? Selon vous, Washington pourrait-il hausser le ton alors qu’Obama est critiqué pour sa « passivité » dans le dossier syrien ?

Le fait que le convoi ait d’une part été bombardé, d’autre part que les frappes aient été effectuées par la voie aérienne, laisse peu de doutes quant à l’implication de l’armée syrienne ou de l’armée russe. Cependant, la coalition dirigée par les Etats-Unis a aussi commis une « bavure » en bombardant les positions des forces loyalistes, le 17 septembre, quelques jours après le début de la trêve. Dans tous les cas, la situation urgente et tragique de la Syrie ne se prête pas au décompte des bavures et des non-respects de l’accord commis de part et d’autre. Les responsabilités sont partagées.
L’enjeu, aujourd’hui, est de rebondir et de mettre en œuvre tous les éléments pour avancer des propositions et sauver la trêve. Pour cela, calme et sang-froid sont nécessaires. Il y a tout de même des évolutions sur le terrain. Si nous sommes convaincus qu’il ne peut y avoir qu’une solution politique, il faut reprendre le dossier de la trêve comme premier élément tangible d’une voie de résolution de crise et réunir les conditions nécessaires à sa mise en œuvre.
En dépit des intentions, les négociations restent compliquées. La question des groupes terroristes, notamment Fatah-al-Cham, est particulièrement délicate. En bombardant leurs positions, des groupes qui ne sont pas considérés comme terroristes risqueraient aussi d’être touchés. A Alep, les groupes disparates de l’Armée syrienne libre (ASL) ont fait alliance avec Fatah-al-Cham. L’imbrication des fronts sur le terrain complique ainsi la situation et rend une solution militaire impossible à la résolution du conflit. C’est pourquoi il n’existe qu’une solution diplomatique. Le temps presse car au fur et à mesure que la situation s’enlise, les terroristes gagnent du terrain.
Par ailleurs, les Russes avancent efficacement leurs pions dans le conflit profitant d’une certaine apathie des Etats-Unis. En outre, je ne pense pas que Barack Obama modifiera sa stratégie, à la fin de son mandat et à deux mois de l’approche des élections présidentielles. L’asymétrie entre la volonté politique des Russes et l’indécision des Etats-Unis est manifeste.

Quelles armées, ou groupes armés, sont en position de force en Syrie dans l’éventualité de négociations ?

Les groupes les plus efficaces sur le terrain sont ceux avec qui on ne veut légitimement ni discuter, ni négocier. En revanche, le Haut conseil pour les négociations, soutenu par les pays occidentaux, l’Arabie Saoudite, le Qatar, a peu de capacités opérationnelles sur le terrain comparées à celles des combattants de l’Etat islamique ou de Fatah-al-Cham. Compte tenu des divisions et du manque d’emprise des rebelles dits « modérés », il me semble que la solution la plus efficace, en vue d’aboutir à un accord, serait que les membres de la communauté internationale négocient à l’ONU – et sans les rebelles -, un compromis qui serait ensuite présenté aux différents groupes de combattants syriens avec qui la communauté internationale accepte de dialoguer. Le compromis doit être trouvé dans les murs de l’ONU.

Trois explications pour comprendre le succès du Rafale aujourd’hui

Thu, 22/09/2016 - 11:27

1. Un programme à maturité qui arrive au bon moment

Le Rafale, depuis son entrée en service dans les années 2000, ne s’est pas exporté. En effet, l’avion n’était pas encore éprouvé au combat – c’est le cas aujourd’hui -, ses capacités étaient encore limitées en termes notamment de missiles et de radars, et les Américains proposaient des avions, certes en fin de vie, mais éprouvés au combat et à des coûts inférieurs au Rafale.. La concurrence était alors trop forte. Aujourd’hui, l’avion a fait ses preuves en Libye, en Afghanistan au Mali ainsi qu’en Syrie. Il est également arrivé à maturité en termes de capacité de radars et de missiles. Les Américains préfèrent, en outre, proposer le F-35, avion plus moderne, mais aussi plus cher, non éprouvé au combat, et qu’ils ne proposent pas à tous les pays. Parallèlement, le concurrent européen du Rafale, l’Eurofighter tarde à acquérir sa capacité d’attaque au sol, le Gripen suédois est moins performant et une partie de sa technologie est dépendante des Etats-Unis. Reste comme concurrent crédible les avions russes, qui concurrençaient le Rafale en Inde, mais les capacités de soutien et de maintenance des Russes laissent aujourd’hui à désirer. Le Rafale s’impose donc comme la meilleure option en 2016.

2. L’Inde : des contrats toujours au long cours

L’annonce de l’achat par l’Inde de 36 avions de combat vient à l’issue d’une négociation de contrat de plus de quatre ans. En janvier 2012, l’Inde avait annoncé son intention d’acheter des Rafale dans le cadre d’un appel d’offres où Européens, Américains, Russes et Français s’affrontaient. En première intention, les Indiens souhaitaient acheter 126 avions, parmi lesquels, 108 devaient être fabriqués en Inde. Les conditions imposées par les Indiens étaient très contraignantes à mettre en œuvre, et augmentaient le coût des avions. Finalement, le président indien Modi a décidé, l’année dernière, d’opter pour l’achat de 36 avions fabriqués en France même si le contrat donnera lieu à des accords de compensation à hauteur de 50% du contrat. Ce type de contrat, avec compensations et transferts de technologie, est habituel aujourd’hui dans les transferts d’armement, mais un an de négociations a encore été nécessaire. Ce qui pourrait apparaitre comme « le roman de la vente du Rafale à l’Inde » n’est toutefois pas exceptionnel pour les habitués des négociations de contrats d’armement avec l’administration du ministère de la Défense indien. Sa bureaucratie est, en effet, très lourde, mais d’une certaine manière démocratique, et les avis sont souvent divergents entre les différents services concernés.

3. La vente d’armes, une règle : ne pas confondre le rôle de l’Etat et celui de l’industriel

La vente de Rafale à l’Inde qui succède à celles conclues avec le Qatar et l’Egypte ne doit pas uniquement son succès à l’avion de Dassault. Des ventes de sous-marins à l’Australie, d’hélicoptères à la Pologne et à la Corée du sud, pour ne citer que quelques exemples, ont précédé le contrat avec l’Inde. La France a, ces cinq dernières années, enfin réussi à organiser son système de soutien et de promotion à l’exportation. Cela restera notamment au crédit du ministre de la Défense Jean-Yves le Drian. La recette de ce succès est pourtant simple. A l’Etat le rôle de l’Etat, celui d’inscrire la vente d’armes dans le cadre de la politique étrangère et de défense de la France, de développer, si nécessaire, la notion de partenariat stratégique, et de jouer le rôle d’assistance en maitrise d’ouvrage si l’Etat acheteur le souhaite, en s’appuyant sur les compétences de la Direction générale de l’armement (DGA). A l’industrie pour sa part, le rôle de présenter l’offre technique et de négocier prix, accords de compensation et transferts de technologie, sous le contrôle de l’Etat français dans ce dernier cas. Cela nécessite bien évidemment une bonne coordination entre l’industriel et l’Etat, coordination qui certes ne semblait pas acquise entre le gouvernement français et Dassault il y a cinq ans, mais qui s’est avéré très efficace à l’usage. Tout le monde avait toutefois intérêt à ce que le Rafale s’exporte, comme les autres armements français, afin de soulager le budget de la défense tout en préservant la compétitivité de l’industrie de défense française. Cette compétitivité est elle-même la clé de notre capacité à préserver une politique souveraine.

Les attentats aux Etats-Unis vont-ils influencer la campagne présidentielle ?

Wed, 21/09/2016 - 19:00

Les attentats des 17 et 18 septembre peuvent-ils redynamiser la campagne de Donald Trump qui a fait de la lutte contre le terrorisme son fer de lance ?

Je ne pense pas que la campagne de Trump manque de dynamisme, c’est plutôt le cas de celle de Clinton. Les attentats confortent le candidat républicain dans sa ligne. Celle-ci combine la remise en cause de la politique d’Obama au Moyen-Orient et présente la candidate démocrate comme étant dans cette continuité. Trump porte de graves allégations envers Hillary Clinton, qu’il accuse d’être à l’origine de la naissance de Daech. Le candidat républicain fait, en effet, le lien entre l’intervention américaine en Irak, soutenue par Clinton à l’époque, et l’émergence de l’organisation terroriste. Même s’il ne le dit pas clairement, ses critiques de l’intervention américaine en Irak pourraient également viser la politique des néoconservateurs de l’ère George W. Bush qui soutiennent aujourd’hui Clinton et appellent à voter contre lui.
Donald Trump s’inscrit ainsi dans une rhétorique dénonciatrice sans véritablement proposer de politiques de lutte contre le terrorisme. Peu de propositions émanent de ses discours, mis à part l’interdiction d’accès au territoire des musulmans du monde entier, surtout ceux venant de pays qu’il estime « complaisants » avec le terrorisme – dont la France. Il conserve ainsi sa diatribe qui consiste à opposer les musulmans au reste de la population.

Comment analysez-vous la réaction d’Hillary Clinton et du camp démocrate ? La campagne risque-t-elle d’infléchir à droite et de se radicaliser sur les thématiques sécuritaires ?

Hillary Clinton perd du terrain dans les sondages, pas forcément au profit de Trump, mais de Gary Johnson. Le candidat du Parti libertarien la malmène notamment en Floride, selon les sondages, un Etat stratégique pour l’ex-First Lady. Elle ne parvient pas à séduire la jeunesse.
Face aux attentats, Hillary Clinton a tout intérêt à continuer de jouer sur son expérience en matière de lutte contre le terrorisme et de politique étrangère. Depuis le début de la campagne, elle met régulièrement en avant son statut d’ex-secrétaire d’Etat, son rôle dans la lutte contre l’islamisme et, entre les lignes, sa participation au gouvernement qui a traqué et tué Ben Laden. Hillary Clinton défend, ce que certains lui reprochent, un interventionnisme militaire et une vision géopolitique qu’on peut qualifier d’agressive. Elle parvient, d’une part, à mettre en avant expérience, fermeté, professionnalisme et responsabilité potentiellement en tant que chef d’Etat, et donc chef des armées, elle attaque Trump, d’autre part, sur son amateurisme, ses idées fantaisistes, et donc sa dangerosité.
En conséquence, je ne crois pas qu’Hillary Clinton radicalisera son discours en prônant, par exemple, une intervention militaire au sol en Syrie. L’opinion américaine est encore traumatisée par les expériences irakienne et afghane qui ont coûté cher au pays, humainement et financièrement parlant. Elle n’a donc aucun intérêt à droitiser son discours et je pense qu’elle va essayer de conserver une posture professionnelle et responsable sur les questions de terrorisme.

Ces nouvelles attaques sur le sol américain sont-elles en mesure de modifier la politique étrangère de Barack Obama, deux mois et demi avant la fin de son mandat ? Pensez-vous que le président américain, par sa réaction aux attentats, peut influencer l’électorat et la campagne d’Hillary Clinton ?

Je ne pense pas que Barack Obama changera de stratégie en termes de politique étrangère au moment où l’accord avec la Russie sur la Syrie se fragilise. A un mois et demi de l’élection, je ne vois pas le président américain prendre des mesures qui risqueraient de mettre en danger Hillary Clinton et le camp démocrate en vue des élections.
Barack Obama risque, en revanche, de multiplier ses interventions médiatiques dans le cadre de la campagne, pour durcir le ton à l’encontre de Donald Trump et pour soutenir Hillary Clinton. A l’approche des élections, le président des Etats-Unis intensifiera ses discours de soutien envers la candidate démocrate, mettant en avant une femme politique professionnelle, crédible et réfléchie, face à un candidat irrationnel et changeant constamment d’idées. Il vient du reste d’appeler fermement les Afro-Américains à se déplacer le 8 novembre.

Libye : le rapport accablant sur l’expédition franco-britannique

Wed, 21/09/2016 - 12:47

Il y a cinq ans, l’intervention militaire des forces de l’OTAN – soutenues par quelques pays arabes – prenait fin en Libye. Le 15 septembre 2011, le président de la République française Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique David Cameron – suivis de près par Bernard-Henri Levy -, débarquaient à Benghazi en libérateurs du peuple libyen… On connaît la suite : un pays qui a sombré dans le chaos, toujours sans gouvernement national, en quête de sécurité et stabilité politique, en proie à la division et aux tensions claniques et tribales. Une situation interne qui a des répercussions directes sur l’environnement régional, puisque l’éparpillement des armes de l’ex-armée loyaliste et l’ancrage de foyers djihadistes constituent autant de source de déstabilisation pour les voisins égyptiens, maghrébins et subsahariens. La situation actuelle est le fruit de l’intervention militaire de la coalition internationale. En ce sens, les Occidentaux portent une responsabilité historique – mais pas totale- dans la tragédie libyenne.

Ce jugement est directement tiré des conclusions du rapport parlementaire britannique rendu public le 14 septembre dernier. Que dit ce document officiel ? D’abord, que l’intervention militaire en Libye était fondée sur une mauvaise évaluation de la situation : David Cameron « a fondé l’intervention militaire britannique en Libye sur des suppositions erronées et une compréhension incomplète du pays ». En effet, les députés britanniques estiment que la menace contre les civils a été exagérée et que la rébellion comprenait une composante islamiste-djihadiste par trop sous-estimée : « [Le gouvernement britannique] n’a pas pu vérifier la menace réelle que le régime de Kadhafi faisait peser sur les civils ; il a pris au pied de la lettre, de manière sélective, certains éléments de la rhétorique de Mouammar Kadhafi [et de Bernard Henri-Lévy ?]; et il a échoué à identifier les factions islamistes radicales au sein de la rébellion ». La stratégie du Royaume-Uni dans ce dossier « fut fondée (…) sur une analyse partielle des preuves », insistent ces parlementaires. De plus, les députés accusent David Cameron d’avoir privilégié une stratégie coercitive et d’avoir ainsi négligé la voie diplomatique et politique en vue d’écarter Mouammar Kadhafi du pouvoir : « Un engagement politique aurait pu permettre de protéger la population, de changer et de réformer le régime à un coût moindre pour le Royaume-Uni et la Libye. Le Royaume-Uni n’aurait rien perdu en suivant ces pistes, au lieu de se focaliser exclusivement sur le changement de régime par des moyens militaires. »

Un tel dévoiement n’est pas le produit du hasard. La France et la Grande-Bretagne- soutenus en l’espèce par les Etats-Unis- ont une longue tradition en matière d’expédition militaire, en particulier sur les rives sud et est de la Méditerranée. L’épisode libyen s’inscrit aussi dans l’histoire de l’ingérence de ces anciens empires européens dans les affaires intérieures des pays arabes. Etait-elle pour autant illégale? L’intervention des puissances occidentales- sous l’égide de l’OTAN- se fondait sur la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui permettait le recours à la force par des frappes aériennes en vertu du principe de la « responsabilité à protéger des populations civiles ». Plus précisément, la résolution- adoptée en vertu de l’article 42 de la Charte des Nations Unies- décide non seulement l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne- qui consiste à interdire tous vols dans l’espace aérien de la Libye, à l’exception des vols dont l’objectif est d’ordre humanitaire- mais « autorise les Etats membres (…) à prendre toutes les mesures nécessaires (…) pour protéger les civils et les zones peuplées par des civils sous la menace d’attaques y compris Benghazi, tout en excluant une force étrangère d’occupation sous quelque forme que ce soit dans n’importe quelle partie du territoire libyen ». La résolution présentait une base juridique suffisamment large pour permettre des formes d’interventions avec des tirs au sol, mais sans déploiement au sol de forces terrestres (la résolution excluait en effet « toute force étrangère d’occupation »). Surtout, même si elle ne fixait ni calendrier des opérations, ni objectifs précis, le mandat onusien ne visait nullement le renversement du régime libyen. Or non seulement des attaques aériennes ou par missiles ont été menées au-delà des « lignes de front » ou zones de combat entre l’armée loyaliste et les rebelles, mais des opérations ont visé la personne même du colonel Kadhafi afin de faire tomber le pouvoir en place. En ne se limitant plus à la protection des civils, mais en cherchant la chute du régime, les puissances occidentales ont agi en dehors du cadre strict de la résolution de l’ONU et ont ainsi franchi les limites de la légalité internationale. L’opération destinée à protéger les civils s’est transformée en une opération de renversement de régime. Une stratégie qui fut d’ailleurs assumée par les principaux protagonistes : le primat de la puissance sur le droit transparaissait dans une tribune commune des principaux chefs d’Etat et de gouvernement de la coalition (Nicolas Sarkozy, Barack Obama et David Cameron), dans laquelle ils avaient explicitement demandé le départ de Mouammar Kadhafi, ce que la résolution de l’ONU n’exigeait/n’autorisait pas…

Derrière le renversement du régime, les motivations réelles qui ont animé le président français Nicolas Sarkozy ont été « révélées » par le rapport britannique. Soupçonné d’avoir bénéficié en 2007 de fonds libyens afin de financer sa campagne, il aurait pris la décision d’intervenir en Libye en 2011 dans le but, entre autres, d’accéder au pétrole libyen, d’accroître l’influence française en Afrique du Nord et… d’améliorer sa situation politique en France. Non seulement on est très loin des considérations humanitaires et droits-de-l’hommiste invoquées à l’époque- y compris par la voix du médiatique BHL-, mais l’intérêt du peuple libyen ne semble à aucun moment pris en compte. Seuls les intérêts nationaux et personnels (celui de N. Sarkozy) ont voix au chapitre.

Ce rapport parlementaire britannique intervient alors que Barack Obama a déjà reconnu que « cet épisode libyen a été la pire erreur de [s]on mandat ». En France, un tel questionnement politique est introuvable. La question semble taboue, notamment parce que la droite parlementaire comme la gauche socialiste avaient soutenu ensemble cette intervention. Cette responsabilité politique collective n’est pas de nature à faciliter l’examen de conscience ou du moins l’évaluation a posteriori d’une intervention militaire qui demeurera dans les annales. Reste le réflexe mimétique, qui laisse espérer que les assemblées parlementaires françaises se saisiront du dossier pour constituer une commission d’enquête…

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