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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 4 weeks 22 hours ago

Balkans : quels liens entre trafic d’armes et terrorisme ?

Wed, 01/02/2017 - 14:54

Nils Duquet est chercheur senior à l’Institut flamand pour la paix. Il répond à nos questions à l’occasion de son intervention dans le cadre du séminaire “Trafic d’armes en situation post-conflits : Etude de cas et enjeux”, organisé par l’IRIS et le GRIP avec le soutien de la DGRIS, le mardi 24 janvier 2017.
– Pourquoi la question du trafic d’armes devient-elle de plus en plus préoccupante pour la France ?
– Quels liens existent-ils entre les trafiquants d’armes aux Balkans et le terrorisme en France ?
– Comment lutter contre la prolifération des armes ?

Les incohérences économiques des « trumperies » à l’heure de la mondialisation et du multi-partenariat

Wed, 01/02/2017 - 14:37

Les mesures prises par décret – et les responsables choisis aux postes stratégiques – sont en phase avec les annonces de la campagne et les « trumperies » ou les « faits alternatifs » de Donald Trump. Elles occupent les médias en poursuivant sa victoire en termes de communication. Elles détricotent les politiques que son prédécesseur avait difficilement mises en place du fait de l’opposition du Congrès. Elles font penser à un enfant qui cherche à détruire sur la plage le château de sable de son rival qui l’aurait humilié. Les textes qui avaient mis des années à être élaborés sont effacés par une signature dont la taille est à la mesure de l’ego du personnage.

Sur le plan géopolitique, les décrets traduisent une grande incohérence. Donald Trump s’oppose à la Chine mais la favorise en supprimant l’accord de partenariat transpacifique (TPP). Il sanctionne les victimes du terrorisme, victimes également des politiques américaines mais refuse de s’en prendre au terreau du djihadisme ou aux Etats qui le favorisent (notamment l’Arabie saoudite). Les mesures prises dans le domaine du climat attestent également de cette incohérence. Les décrets contre les réfugiés, les propos en faveur du Brexit, ceux contre les Européens, les Mexicains ou les musulmans engendrent des manifestations populaires et des réponses des Etats humiliés. Les mesures très conservatrices au niveau de la société sont durablement assurées compte tenu du basculement stratégique de la Cour suprême. Les réactions s’effectuent aussi bien sur le plan politique, éthique que juridique. Les trumperies n’ont pas, jusqu’à présent, conduit à des positions fortes de l’Union européenne ou des organisations internationales. Les diplomates sont désarçonnés par la communication immédiate et le langage des tweets.

La voix des économistes se fait en revanche peu entendre, du moins en Europe, alors que les « prix Nobel » Paul Krugman ou Joseph Stiglitz sont présents dans le débat. La critique du libre-échange, le « patriotisme » économique et le primat donné au politique sur l’économie sont en phase avec les économistes critiques mettant l’accent sur les fractures liées à la mondialisation libérale et prônant un retour à la souveraineté nationale. Les experts sont souvent considérés par les opinions et les partis « populistes » comme faisant partie du « système » et des élites et des défenseurs de la mondialisation libérale. Le minimum de consensus sur des raisonnements de base de l’économie est souvent absent chez les économistes qui, de plus, parlent une langue peu compréhensible. Les informations vérifiées ont fait faillite dans un monde de « post-truth » et de « fake news ». Or, les économistes ont, depuis leurs origines, cherché à comprendre le monde non pas comme un gâteau que l’on partage et dont les parts des uns se font aux dépens des autres. Ils ont plutôt cherché à démontrer que la taille du gâteau peut évoluer en fonction d’un certain nombre de facteurs. Les parts de chacun peuvent croître même si elles sont asymétriques. Sous certaines conditions, « nul ne gagne que l’autre ne gagne ». Il importe de dissocier les représentations simplistes immédiates des fausses évidences des analyses distanciées prenant en compte la complexité. Lier la production, le commerce, la monnaie et la finance, implique d’intégrer les rapports de force, les représentations et la confiance, les effets d’interdépendance et les incertitudes liées à des effets de système. Les interdépendances conduisent à des résultats contre-intuitifs.

L’objet de ce papier est ainsi de mettre l’accent sur les incohérences économiques des déclarations et des décrets du nouveau président américain, au regard de la complexité de la globalisation, des enseignements consensuels du raisonnement économique et de certains faits vérifiés et non pas « alternatifs ».

Les coups de menton, les mesures unilatérales d’une puissance, les liens avec les lobbies financiers, pétroliers et militaro-industriels, peuvent doper à court terme l’économie des Etats-Unis et dynamiser sa bourse (le Dow Jones est à plus de 20.000 points). La confiance, le volontarisme, la dérèglementation, le non-respect des accords internationaux peuvent évidemment libérer des énergies, réduire des carcans et favoriser à court terme la croissance et l’emploi. Le FMI a, ainsi, réévalué les prévisions de croissance des Etats-Unis du fait de l’effet Trump. Ce pays incarne une puissance hégémonique. Les mesures prises par ses dirigeants, par définition, ne sont pas applicables à l’échelle planétaire (émissions de gaz à effets de serre, financement de la dette, importance du marché intérieur, protectionnisme, rôle du dollar, etc.). Mais, la représentation nationaliste, raciste, affairiste, « tweeteriste » de M. Trump n’est pas en phase avec le monde économique, les relations multilatérales et le multi-partenariat géopolitique même s’il exprime certaines failles de ce monde. Celui-ci est devenu interdépendant, tout en étant asymétrique et caractérisé par des fractures sociales et territoriales du fait notamment de la puissance du monde de la finance, des multinationales, de la militarisation des puissances, notamment émergentes, mais également des nouvelles technologies. La vision manichéenne du monde et le regard dans le rétroviseur, privilégiant la « vieille économie » aux dépens de la nouvelle économie liée aux révolutions technologiques, conduisent à des incohérences, à des effets de retour non intégrés, à une incertitude et à une imprévisibilité à moyen et long terme. Nous privilégierons quelques dossiers.

Le plan de relance et la dette américaine

Les annonces de baisse des impôts et de plans de relance par des investissements d’infrastructures supposent un accord de la Chambre des représentants alors que les Républicains avaient contraint Barack Obama à réduire le déficit budgétaire. La dette fédérale a dépassé 100% du PIB américain et se rapproche, en janvier 2017, des 20.000 milliards de dollars. Les Etats-Unis en tant que puissance économique dominante ont des atouts qui ont peu à voir avec ce que seraient des politiques de relance des Etats européens souverains et l’explosion de leur dette en dollars s’ils sortaient de la zone euro. Le dollar est une monnaie de réserve, de transaction et de valeur refuge. Les « non-résidents » ont joué un rôle important dans le financement de la dette, notamment par les achats des bons du Trésor. L’épargne mondiale est aujourd’hui mobilisable à des taux d’intérêt limité. Les effets d’annonce de Trump et les soutiens des lobbies pétroliers, financiers et militaro-industriels ont fait exploser Wall Street. Ils peuvent attirer les capitaux extérieurs et participer à des financements privés-publics.

Il importe toutefois de prendre en compte certaines tendances structurelles. Les réserves des pays émergents pétroliers et asiatiques se réduisent. La tendance prévisible est celle de la hausse des taux d’intérêt. Le secteur privé tend à se substituer au secteur officiel et les résidents l’emportent sur les non-résidents dans le financement de la dette fédérale (investisseurs institutionnels mutual funds, fonds de pension, assurance). Les détentions de la dette américaine sont de plus en plus volatiles avec motif de spéculation (différentiel de rendements) se faisant aux dépens des motifs de précaution (réserves de change). L’attractivité des capitaux extérieurs est fonction également d’un climat de confiance que les tweets et les décrets racistes peuvent limiter.

La discrimination identitaire et les multinationales américaines

Les décrets reposant sur des identités communautaires vis-à-vis des immigrés mexicains ou des réfugiés venant de pays musulmans, à l’exception des minorités chrétiennes, sont évidemment en contradiction avec les valeurs historiques d’une terre d’immigration, avec la Constitution et les conventions internationales. Ils peuvent scandaliser les consciences morales. Ils soulèvent un tollé général des Démocrates et de Barack Obama, ont conduit au limogeage de la ministre de la Justice par intérim et ont obligé à changer la règle concernant, non pas le territoire de naissance, mais la nationalité des réfugiés. Du point de vue de la realpolitik, ils sont en contradiction avec les pratiques des multinationales qui sont multiculturelles et qui visent à utiliser les compétences mondiales. Les multinationales correspondent à plus de 2/3 du commerce mondial. Elles se positionnent sur les nouvelles technologies. Aux Etats-Unis, elles se trouvent au cœur du dynamisme de la Silicon Valley, des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) et de la nouvelle économie en compétition avec les oligopoles mondiaux. Les discriminations et humiliations de certains pays conduisent à réduire leur marché pour les multinationales américaines (cf. l’Iran). La double protection contre les marchandises et les travailleurs étrangers, outre leur côté contradictoire, ne peut que toucher à la fois les secteurs innovants à la recherche de compétences mondiales, les multinationales dans des secteurs basiques (cf.la riposte de Starbucks disant embaucher 10.000 réfugiés) et les petits métiers générateurs d’activités de base, disposant d’une main d’œuvre étrangère à bas coût.

L’unilatéralisme versus le régionalisme et le multilatéralisme

Les crises du multilatéralisme commercial au sein de l’OMC avaient conduit à une généralisation des accords régionaux. Le protectionnisme de Trump est en rupture avec la position de la majorité des Républicains. Le raisonnement en termes de droits de douane et de balance commerciale ignore que la protection est aujourd’hui essentiellement non-tarifaire et que les effets de la protection supposent une analyse fine par segments productifs des chaînes de valeur régionales ou mondiales. En s’en prenant au multilatéralisme et aux accords régionaux, la première puissance mondiale ne peut que renforcer les compétitions commerciales, les mesures de représailles et de rétorsions, ainsi que l’application d’une loi du plus fort sans règles. La politique unilatérale de protectionnisme, ou bilatérale d’accords commerciaux entre Etats, répond à une attente des perdants américains de la mondialisation, exprime des rapports de force qui peuvent, à court terme, favoriser la puissance dominante. Elle est cependant en totale contradiction avec les enseignements de la théorie économique, le contexte de mondialisation et les acceptations des règles internationales. Elle repose sur une vision mercantiliste de l’économie en termes de balance commerciale et du monde concurrentiel des affaires où « nul ne gagne que l’autre ne perd ». Elle répond à des intérêts de territoires ou à des catégories de personnes dépendantes de la vieille économie et victimes de l’innovation destructrice et – mais elle ne prend pas en compte les coûts et avantages au niveau macro-économique – les activités innovantes et les interdépendances existant au niveau transnational. Le partenariat trans-pacifique (TPP) visait à isoler la Chine et l’Inde au sein du monde pacifique. Sa remise en question offre un boulevard, notamment à la Chine et en partie à l’Inde, pour dominer cette zone pacifique. L’accord de l’Alena avait été signé pour freiner la pression migratoire venant du Mexique, en contrepartie d’investissements des firmes américaines dans les zones frontalières, les maquidalloras. A défaut de l’avoir supprimé, l’accord a réduit le flux migratoire. Il a également permis une réduction des prix des produits importés et d’accroître le marché américain et donc, globalement, la création d’emplois. La remise en question de l’Alena, en dehors du fait qu’elle implique des délais, menace la division du travail bénéfique aux Etats-Unis et interdit toute prévisibilité pour les décideurs économiques. Elle favorise donc des comportements opportunistes à court terme de la part des acteurs économiques.

Le protectionnisme commercial, la FED et le cours du dollar

Dans une vision nationaliste et mercantiliste de guerre commerciale, de protectionnisme inflationniste et de confusion entre la balance commerciale et la balance des paiements, Donald Trump veut un dollar faible assurant la compétitivité des entreprises localisées aux Etats-Unis. Or, les mesures prévues pour financer les investissements d’infrastructure, l’attractivité des capitaux, la protection commerciale, comme la création d’emplois dans un quasi plein emploi (chômage de 4,7%), ne peuvent que favoriser une hausse des prix, des salaires et des taux d’intérêt. La Fed risque de favoriser une hausse des taux pour freiner l’inflation et donc de dollar fort. Celui-ci risque de conduire à une crise de la dette des pays émergents et européens qui peuvent l’emporter sur les effets de compétitivité.

La dérégulation financière et les menaces d’une crise systémique

Il faut être prudent sur les mesures effectives de dérégulation financière que prendra Donald Trump malgré – voire à cause – de ses liens avec Goldman Sachs et Wall Street. L’histoire ne repasse pas toujours les plats. La question de la régulation est mondiale et les Etats-Unis ont une place centrale du fait du rôle du dollar dans le système financier international et de la part prépondérante des bons du Trésor américain dans les réserves internationales du reste du monde. Les déclarations de Trump en faveur de la dérégulation financière, de la fin du carcan limitant la croissance et l’emploi, ainsi que les prévisions de hausse du taux d’intérêt, ont évidemment dopé les actions des banques. Après les mesures enclenchées par Reagan en 1981, remettant en question la régulation financière mise en place par Roosevelt lors de la grande crise, les Démocrates (Bill Clinton) comme les Républicains (George W. Bush) avaient contribué à cette dérégulation jusqu’à la crise des subprimes et la banqueroute de Lehman Brothers en 2007-2008. L’explosion de la dette publique avait permis de sauver le système financier. Le Dodd-Frank Act d’Obama avait alors visé à éviter une crise systémique, elle s’accompagnait de la règle Volcker, limitant la spéculation des banques en se délestant des placements financiers spéculatifs.

La « relocalisation » des « vieilles » industries et le mythe de la création d’emplois

La politique d’Obama avait conduit à un quasi plein-emploi même si, bien entendu, il existait des zones sinistrées par la désindustrialisation. Les mesures prises vont raréfier le travail et augmenter les coûts salariaux dans un contexte inflationniste, tout en favorisant certaines vieilles industries. Les mesures d’attractivité par la baisse des impôts conduisent à des recréations d’emplois dans des secteurs menacés mais elles ont globalement des effets négatifs au niveau national. Le monde économique est celui des chaînes de valeur et non des importations et exportations nationales. Certains segments productifs d’industries « relocalisées » comme l’automobile peuvent être créateurs d’emplois mais les industries légères bénéficiant de faibles coûts de transport, ou les industries innovantes liées aux nouvelles technologies, sont insérées dans des chaînes de valeur. Les droits de douane ont pour effet de taxer la valeur ajoutée.

Les mesures pro-réchauffement climatique et l’accord sur le climat

Les déclarations, les choix des responsables et les mesures prises (grosses cylindrées, oléoducs, etc.), ont évidemment pour conséquence de renforcer le modèle énergivore, carboné, générateur d’externalités très négatives. Ils constituent un contre-exemple par rapport aux avancées des pays réticents (Canada, Russie, pays pétroliers). Ils contribueront vraisemblablement à accroître les catastrophes naturelles aux Etats-Unis et donc les coûts pour les sociétés d’assurance. Les décisions favorables au réchauffement climatique contribueront également à donner le leadership technologique aux pays investissant dans les nouvelles énergies, à commencer par la Chine.

Beaucoup d’inconnues demeurent. Le modèle proposé par Trump fait abstraction de toutes les interrogations du monde scientifique sur la durabilité de l’American way of life et les limites de l’American first. La politique est un art de compromis. La paix durable suppose que les forts n’humilient pas les faibles (Clausewitz). Le monde des affaires, mesuré à l’aune du dollar et des milliardaires, n’est pas un modèle de gestion d’un pays dans un monde complexe. La division devient profonde au sein des citoyens américains. Le devenir du monde dépendra des politiques des grandes puissances émergentes et de l’Union européenne. Les « trumperies » sont des opportunités notamment pour l’Europe pour se ressaisir, si la régulation de la mondialisation génératrice de fractures progresse mais également si les nationalismes étroits et les populismes ne l’emportent pas.

« Réinventer le progrès » – 3 questions à Pascal Canfin

Wed, 01/02/2017 - 10:39

Pascal Canfin, ancien ministre délégué au Développement et ancien député européen, est directeur général du WWF France. Il répond à mes questions à l’occasion de son ouvrage, « Réinventer le progrès : entretiens avec Philippe Frémeaux », co-écrit avec Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, et paru aux éditions Les Petits matins.

Vous écrivez qu’il n’y a pour le moment aucun pays qui ait à la fois un indice de développement humain satisfaisant et une empreinte écologique soutenable. Le développement durable serait-il une fiction ?

En effet, aucun pays ne parvient à concilier production soutenable et développement humain satisfaisant (IDH > 0,8). Ce constat peut provoquer deux réactions. La première consisterait à percevoir le développement durable comme une utopie impossible à concrétiser, une « fiction », tandis que la seconde (la mienne) envisage ce problème comme le défi de notre génération. Nous devons inventer l’économie neutre en carbone, celle qui respecte les ressources naturelles et assure le développement humain. Au fond le XXe siècle a été celui de l’explosion de la productivité du travail permettant un progrès social inégal dans l’histoire. Le XXIe siècle devra être celui de l’augmentation considérable de la productivité des ressources. Aujourd’hui, nous les gaspillons, nous utilisons pour des usages jetables des ressources rares et nous transformons la planète en une gigantesque poubelle.  La révolution de la productivité des ressources est un ressort de création d’emplois majeur et la condition pour ne pas subir les conséquences d’un dérèglement climatique incontrôlé.

Un appel d’offres émis par la ville de Budapest en 2015 pour des bus électriques a été emporté par un constructeur chinois. La Chine a également entamé un plan massif d’investissements dans les énergies renouvelables. Ira-t-elle jusqu’à prendre le leadership sur ce sujet ?

Si le continent européen est le plus pauvre en richesses naturelles, il est le plus riche en capital humain. Dès lors, le défi de l’économie européenne réside dans sa capacité à mobiliser cet avantage comparatif dans la mondialisation. Des industriels commencent à se projeter dans l’avenir d’une économie neutre en carbone mais ils sont encore trop peu nombreux. Alors qu’une partie des industriels européens avaient pris une longueur d’avance sur leurs concurrents mondiaux, votre exemple, comme beaucoup d’autres, illustre la diminution rapide de l’avance européenne au profit de la Chine, qui investit massivement dans la transition énergétique. La Chine a réalisé des investissements records dans les énergies renouvelables en 2015 avec plus de 100 milliards de dollars, soit 36 % des financements mondiaux. Cette tendance fait peser le risque que nous soyons devancés, à terme, dans des secteurs où nous étions précurseurs. C’est pour cela qu’un grand plan d’investissements dans l’économie verte, coordonné en Europe, serait à la fois bon pour l’emploi et pour notre compétitivité. Et bien sûr bon pour la planète !

En quoi le réchauffement climatique a-t-il des répercussions sur la conflictualité [Syrie, État islamique en Afrique de l’Ouest (ex-Boko Haram), etc.] ?

De nombreuses études théoriques et empiriques montrent les liens importants entre environnement et sécurité, car le changement climatique est à l’origine de nombreux phénomènes : il accroît la fréquence des sécheresses, des inondations, des tempêtes etc. et ces catastrophes provoquent une baisse des rendements agricoles qui se répercute sur les prix. Le New England complex systems institute a mis en évidence[1] la hausse du prix des aliments comme élément déclencheur principal des révoltes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Lorsque les habitants ne peuvent plus cultiver leurs terres ou s’alimenter, ils sont contraints de se déplacer pour survivre, et se rendent souvent sur des territoires où les ressources sont déjà pleinement exploitées. À ce titre, les exemples que vous évoquez sont révélateurs. La sécheresse historique qui a frappé la Syrie entre 2007 et 2010 a aggravé la lutte pour les ressources au sein d’une région déjà marquée par des rivalités politico-religieuses. En Afrique de l’Ouest, la réduction de 80% de la superficie du lac Tchad en quelques décennies a créé des tensions entre éleveurs et agriculteurs et a obligé certains hommes, qui se retrouvaient sans ressources, à travailler avec Boko Haram.

Les répercussions du changement climatique sur la conflictualité sont plus ou moins directes et parler de « multiplicateur de menaces », comme le fait le département d’État américain, est la meilleure façon de montrer que, s’il n’explique pas les conflits à lui seul, le changement climatique amplifie les tensions au sein des régions fragilisées. Pour résumer cette situation, on peut dire qu’un système insoutenable sur le plan environnemental provoque de l’instabilité, qui, ajoutée à d’autres facteurs de vulnérabilité (affrontements religieux, ethniques, politiques), augmente l’insécurité et multiplie le risque de conflits. Les migrations actuelles et à venir sont à la fois le témoin et le ferment de cette insécurité croissante. C’est pourquoi, s’engager dans la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement participe d’un travail de paix. D’ailleurs, le Comité Nobel norvégien l’a symboliquement reconnu dès 2007, en accordant au GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le prix Nobel de la paix. La nécessité d’une approche 3S « soutenabilité-stabilité-sécurité » est désormais saisie par de nombreux spécialistes français et internationaux des questions environnementales, géostratégiques ou militaires, mais insuffisamment par les représentants politiques qui devront s’en emparer lors de l’élection présidentielle.

[1] https://arxiv.org/PS_cache/arxiv/pdf/1108/1108.2455v1.pdf

Mexique : réactions et alternatives aux menaces de Donald Trump

Tue, 31/01/2017 - 18:06

Comment les Mexicains réagissent-ils aux déclarations d’intention de Donald Trump de leur faire payer un mur à la frontière américano-mexicaine ?

Les annonces de Donald Trump, nouveau président des Etats-Unis, concernant la construction et le financement d’un mur frontalier par le Mexique s’inscrivent dans une série de déclarations hostiles aux Mexicains entamée bien avant son élection. Durant la campagne des présidentielles, Donald Trump avait en effet plusieurs fois tenu des propos à caractère xénophobe en associant notamment immigration mexicaine, à maladie, viol et criminalité. Ces multiples déclarations l’ont rendu très impopulaire au Mexique. Aujourd’hui, 83 % des Mexicains ont une vision négative de Donald Trump, d’après un sondage du quotidien El Financiero.

Le nouveau président américain a confirmé après sa prise de fonction cette hostilité à l’égard du Mexique alors même que le gouvernement mexicain a dans un premier temps essayé d’établir des bonnes relations avec son administration. Durant la campagne présidentielle, Enrique Peña Nieto, le chef d’Etat aztèque, avait reçu Donald Trump, s’attirant, les jours qui suivirent, les critiques de l’opinion et des partis politiques mexicains. La visite avait été perçue comme une humiliation par les Mexicains. Donald Trump, une fois rentré en territoire américain, avait non seulement réitéré son intention de construire le mur mais il avait ajouté qu’il le ferait payer aux Mexicains.

Une fois Donald Trump installé à la Maison Blanche, Enrique Peña Nieto lui a tendu une nouvelle fois la main. Il a nommé un ministre des Affaires étrangères Luis Videgaray. Il est considéré comme compatible avec Donald Trump dont il avait organisé la visite à Mexico durant la campagne présidentielle. Il a également extradé le narcotrafiquant mexicain « El Chapo Guzman », répondant à une demande de la justice étatsunienne restée en attente. Luis Videgaray et son collègue chargé de l’économie Ildefonso Guajardo avaient été envoyés à Washington pour préparer l’entretien entre les présidents américain et mexicain, censé avoir lieu le 31 janvier 2017. Mais en marge des pourparlers, Donald Trump a déclaré que les Mexicains financeraient le mur, d’une manière ou d’une autre, ajoutant que les Mexicains ont largement profité de l’Aléna et que l’accord devait être renégocié. Propos, ayant contraint Enrique Peña Nieto, sous la pression de l’opinion, des médias et des acteurs politiques mexicains, à annuler sa venue.

Donald Trump menace l’imposition d’une taxe aux importations en provenance du Mexique pour financer le mur. L’existence de l’Aléna est remise en cause. Quelles seraient les conséquences de l’annulation de la zone de libre-échange en Amérique du Nord pour le Mexique ?

C’est une décision inattendue pour le Mexique et pour un bon nombre d’Américains du Nord. Personne ne s’attendait à une remise en cause aussi rapide et brutale de l’Aléna, d’autant plus qu’il n’existe, pour l’heure, au Mexique, aucune option alternative sérieuse à la zone de libre-échange Aléna. Le gouvernement mexicain considère encore qu’un terrain d’entente peut être trouvé. Les deux économies sont en effet intégrées. Le Mexique a bénéficié, grâce à l’Aléna de multiples implantations nord-américaines, asiatiques, européennes.

Mais tenant compte de la conjoncture créée par D. Trump, les autorités mexicaines sont mises à la recherche d’alternatives. Elles essayent de bonifier les accords commerciaux signés avec les voisins latino-américains, et en particulier, ceux de l’Alliance du Pacifique : la Colombie, le Pérou, le Chili. Le Mexique surmontant sa rivalité historique avec le Brésil, explore la faisabilité de complémentarités, notamment dans le domaine agricole. Les exportations brésiliennes, dans ce domaine, mais aussi argentines, pourraient se substituer à celles des Etats-Unis. L’Union européenne, avec qui l’accord de libre-échange a été actualisé, pourrait également être approchée.

Une alternative plus effective pourrait être trouvée dans la zone pacifique. Le Mexique est signataire le Traité transpacifique (TPP) que Donald Trump refuse de ratifier. La Chine propose désormais aux pays de la zone pacifique de se substituer aux Nord-Américains comme partenaire commercial de référence. Par ailleurs, les dirigeants chinois ont également fait part de leur volonté d’intensifier leurs relations commerciales bilatérales avec les Mexicains.

Des alternatives existent donc à l’affaiblissement des liens commerciaux avec les Etats-Unis. Pour l’historien Lorenzo Meyer, après une première indépendance à l’égard de l’Espagne, l’action de Donald Trump ouvre peut-être la voie à une seconde indépendance, cette fois-ci sur le plan économique et vis-à-vis des Etats-Unis[1].

Quel est le bilan de l’actuel gouvernement mexicain ? Cette crise peut-elle affaiblir la position d’Enrique Peña Nieto ?

Le bilan d’Enrique Peña Nieto était un bilan en demi-teinte, à la fin 2016. La chute des prix du pétrole au moment où le Mexique cherchait des investisseurs étrangers dans le domaine des hydrocarbures, libéralisé à cet effet, a déstabilisé le budget national. L’état actuel du marché n’est pas suffisamment attractif pour inciter à ce genre d’investissements. La baisse des prix du baril, dont dépend fortement l’économie mexicaine, a engendré une baisse de ses revenus.

Après les hydrocarbures, le second pilier de l’économie mexicaine est lié à l’Aléna, à ses relations économiques avec les Etats-Unis. La dégradation des rapports américano-mexicains, cumulée à la chute des prix du baril ont contraint Enrique Peña Nieto, début janvier 2017, à augmenter les taxes sur l’essence. Impopulaire, la mesure a provoqué des émeutes et des pillages dans le pays.

Avec un bilan mitigé et des tensions avec son voisin nord-américain, la fin du mandat d’Enrique Peña Nieto s’annonce difficile. Cependant, il pourrait profiter de l’indignation générale des Mexicains à l’égard de Donald Trump pour s’assurer du soutien de son peuple face aux Etats-Unis, gage de cohésion nationale.

[1] Entretien in El Financiero, 29 janvier 2017

Trafic d’armes en situation post-conflit : quels enjeux ?

Tue, 31/01/2017 - 09:47

Jean-Pierre Maulny est directeur adjoint de l’IRIS. Il répond à nos questions à l’occasion du séminaire “Trafic d’armes en situation post-conflits : Etude de cas et enjeux”, organisé par l’IRIS et le GRIP, avec le soutien de la DGRIS, le mardi 24 janvier 2017 :
– Pourquoi avoir organisé un séminaire sur le trafic d’armes en situation post-conflit ?
– Quels sont les principaux enseignements du séminaire quant aux risques présentés par les trafics d’armes ?
– Comment s’organise la coopération internationale pour lutter contre le trafic d’armes ?

Les premiers pas diplomatiques (?) de Trump

Mon, 30/01/2017 - 18:42

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

« Le droit au bonheur » – 3 questions à Pierre Haski

Mon, 30/01/2017 - 11:13

Pierre Haski, journaliste, a cofondé le site d’informations Rue89. Ancien correspondant en Afrique du Sud, au Moyen-Orient et en Chine, il est aujourd’hui chroniqueur de politique internationale à L’Obs. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Le droit au bonheur : la France à l’épreuve du monde », aux Éditions Stock.

Vous dîtes que la France se découvre « puissance moyenne dans une Europe malade ». Est-ce dû au fait que nos dirigeants aient perdu le sens du long terme ?

Il y a plusieurs raisons. D’abord, pendant longtemps, sous les présidences du général de Gaulle et de François Mitterrand surtout, la France a « boxé au-dessus de sa catégorie », pour employer une métaphore sportive. Leur posture pendant la guerre froide et le statut particulier de la France ont permis de donner à notre pays un surcroit d’influence dans un contexte de division du monde en blocs. La dernière manifestation de ce statut particulier a été, bien après la fin de la guerre froide, le refus français de participer à l’invasion de l’Irak décidée par l’administration Bush en 2003. Mais, loin d’annoncer un sursaut de l’esprit d’indépendance, ce fut le chant du cygne avant une période de reflux.

Depuis, le réel a rattrapé la France et l’Europe : dans la nouvelle recomposition du monde, nous avons manqué une marche, fait les mauvais choix, et le monde multipolaire que nous appelions de nos vœux dans les années 90 se construit au sein du pôle européen, et même contre lui (cf : Trump et Poutine). La France a tout intérêt à cesser de se gargariser de mots, comme le font souvent les candidats à la présidentielle, et à accepter son statut de puissance moyenne, au lieu d’adopter des postures pseudo-gaulliennes vides de sens. Il ne s’agit pas ici de plaider le renoncement, mais le réalisme : je dis et répète dans mon livre que la France ne manque pas d’atouts, à condition d’être lucide sur elle-même et sur le monde, et de comprendre les mécanismes de l’influence et de la puissance dans le contexte actuel.

Nos dirigeants politiques ont effectivement perdu le sens du long terme, à la fois en raison du « court-termisme » du système politique, suspendu à l’élection suivante, mais aussi de leurs propres parcours, de leurs formations intellectuelles, et de leur ignorance du vaste monde et de ses enjeux géopolitiques au moment de leur accession au pouvoir. Comment peut-on encore élire des dirigeants qui n’ont pas mis les pieds en Asie ou en Afrique et ne découvriront ces mondes émergents qu’à travers des visites officielles ou des relations d’État à État ? Ce n’est pas un sophisme, mais une condition sine qua non de la redéfinition d’une stratégie viable pour la France au XXI° siècle. Je plaide, de ce point de vue, pour revisiter d’urgence notre politique africaine, la débarrasser des restes de Françafrique et surtout de toute approche néocoloniale. À ce prix, nous « rentrerons dans l’Histoire », pour reprendre une phrase (tristement) célèbre.

La diplomatie française est-elle devenue occidentaliste ?

Lorsque Nicolas Sarkozy a décidé du retour de la France dans les structures militaires de l’Otan, il a dit vouloir supprimer une hypocrisie qui consistait à être « dedans et dehors à la fois ». Mais en réalité il a fait plus que ça : il a fait rentrer la France dans le rang, et même si la France ne s’est pas toujours alignée (avec l’Allemagne elle s’est ainsi opposée, à juste titre, à l’entrée de la Géorgie et de l’Ukraine dans l’Otan), elle a perdu sa singularité au profit d’un positionnement ouvertement atlantiste, ou, selon un mot plus contemporain, occidentaliste. Et la remarquable continuité, de fait, entre les quinquennats Sarkozy et Hollande n’en est pas le moindre paradoxe.

Dix ans plus tard, le tournant amorcé par Nicolas Sarkozy apparait d’autant plus comme une erreur qu’il est survenu à la fin de l’ère néo-conservatrice de George W. Bush, et au début de celle de Barack Obama qui, s’il a rendu une certaine dignité à la présidence des États-Unis, a amorcé un désengagement de la première puissance mondiale dont la Syrie a fait les frais, avec la diplomatie française en victime collatérale lors de l’épisode des « lignes rouges » de l’été 2013.

Aujourd’hui, tout est à reconstruire dans la doctrine diplomatique française, alors que démarre avec fracas l’ère Trump, ouvertement hostile à l’Europe et aux valeurs que défend la France. Je plaide dans mon livre pour un débat posé et informé sur la politique étrangère à la faveur de cette campagne électorale, qui se déroule dans un contexte de bouleversements stratégiques mondiaux. Quelle place pour la France en Europe et dans le monde ? Avec quelles alliances, quels objectifs, quels moyens ? C’est un débat-clé qui conditionne tout simplement le fait de savoir si nous allons subir le nouvel ordre mondial qui se dessine, ou en être les acteurs.

Vous déplorez l’importation en France du conflit au Proche-Orient. Que faudrait-il faire pour en limiter les effets négatifs ?

C’est un fait que la France, qui compte en son sein la plus grande communauté musulmane et la plus grande communauté juive d’Europe, est particulièrement sensible aux soubresauts du Proche-Orient, et en particulier du conflit israélo-palestinien. C’est le cas depuis très longtemps – sans remonter à la quatrième République, on rappellera que la guerre de juin 1967, il y a un demi-siècle cette année, avait eu un profond retentissement en France -, mais le facteur nouveau est l’émergence, dans les années 80, d’une génération de jeunes Français issus de l’immigration arabo-musulmane qui s’est mobilisée pour la cause palestinienne à partir de la première intifada dans les territoires occupés. Pouvait-on éviter qu’une partie des communautés juive et musulmane en France se retrouvent en opposition frontale sur ce sujet ? C’est sans doute naïf de le penser, en raison, d’une part, de la place centrale de la question palestinienne dans les inconscients collectifs juif et arabo-musulman, et, d’autre part, de l’évolution des relations intercommunautaires en France, marquées par la concurrence des mémoires, de la victimisation, des fantasmes et des réalités de l’influence et du statut social.

Pour autant, il me semble qu’on pourrait grandement limiter les effets négatifs de l’impact du conflit israélo-palestinien en France en construisant des passerelles au lieu de murs entre les communautés, comme on l’a fait ces dernières années. L’alignement total et inconditionnel des instances communautaires juives françaises – qui ne représentent pas l’ensemble des juifs de France mais sont les seules à s’exprimer en leur nom – sur la politique israélienne quelle qu’elle soit, a beaucoup contribué à cette opposition, tout comme la poussée de la composante religieuse dans la construction identitaire des Français musulmans. Là où, dans les années 80, les combats sociaux pour l’égalité permettaient à des juifs et des musulmans de se retrouver côte à côte, la radicalisation des positions rend désormais ce rapprochement difficile et rare.

Il manque aujourd’hui des voix courageuses, de part et d’autre, pour aller à contre-courant des forces qui poussent à l’affrontement, ou au moins à l’hostilité et l’éloignement. Des voix légitimes qui diraient que l’intérêt de tous, dans le contexte d’une société française fragilisée et divisée, et dans un monde redevenu dangereux et incertain, est de travailler à ce qui nous rassemble, pas à ce qui nous divise. Où sont-elles ?

Monde arabe : le grand chambardement

Fri, 27/01/2017 - 18:41

Yves Aubin de La Messuzière est diplomate, ancien ambassadeur au Tchad, en Irak, en Tunisie et en Italie. Il répond à nos questions à propos de son ouvrage “Monde arabe, le grand chambardement” (Plon) :

– Quels facteurs expliquent les mouvements de contestation qui secouent les pays arabes depuis 2011 ?
– Seule la révolution tunisienne a abouti sur une transition démocratique… Pourquoi ?
– Vous estimez que le danger au Moyen-Orient ne sera plus incarné par l’Iran mais par l’Arabie Saoudite. Pourquoi ?

« Histoire du petit livre rouge » – 3 questions à Pascale Nivelle

Fri, 27/01/2017 - 11:58

Pascale Nivelle, journaliste, ancienne correspondante de Libération à Pékin (2006-2009), écrit aujourd’hui dans M, le magazine du Monde et Elle. Elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Histoire du petit livre rouge », aux éditions Tallandier.

Vous expliquez que Le petit livre rouge a pour origine l’angoisse d’une bureaucratie. Pouvez-vous développer ?

Les origines du « petit livre rouge » datent du début des années 1960, lorsque les dirigeants des journaux de Chine ont l’obligation de diffuser à longueur de colonnes la pensée de Mao Zedong, ou Mao Tsé-Toung comme on disait à l’époque. C’est un véritable casse-tête. L’œuvre du Grand Timonier, composée de ses discours, ses entretiens avec différentes personnalités, ses écrits et poèmes depuis une quarantaine d’années, est rassemblée dans quatre tomes épais : « Les Œuvres choisies » du président Mao. En tirer chaque jour des aphorismes ou des extraits compréhensibles pour les masses chinoises, sans s’attirer les foudres du Parti communiste (PCC), est un exploit. C’est pourquoi les gratte-papiers des journaux chinois ont eu l’idée de compiler des formules ou des textes courts, pour en faire des « catalogues ». En 1962, un employé du journal de l’Armée de Libération, en visite chez ses confrères de Tianjin, une ville proche de Pékin, tombe sur un lexique de ce genre. Les « pensées » du président sont classées par thèmes. Elles sont claires et précises. Le visiteur enthousiaste repart avec le « catalogue », qu’il confie à une collègue, avec la mission d’en faire un vrai livre. Elle s’en acquitte vaillamment, et, trois ans plus tard, avec la bénédiction de Mao qui a suivi l’affaire de près, la version quasi définitive du petit livre rouge est prête. Trente-trois chapitres et trois-cents pages : il tient dans la poche et dans la main, et, avec sa couverture en plastique rouge, résiste à toutes les intempéries. Chaque soldat en est équipé et doit l’apprendre par cœur.

On est à la veille de la Grande Révolution culturelle prolétarienne lancée par Mao pour retrouver le pouvoir. Depuis 1959, destitué de son titre de président de la République, il est contesté à l’intérieur du PCC à cause du Grand Bond en avant, sa calamiteuse révolution industrielle soldée par une immense famine. Avec sa femme Jiang Qing, une ancienne actrice de Shanghai, et son ministre des armées Lin Biao, il fomente sa Révolution culturelle, prétexte à des purges massives. Son arme de propagande est l’opuscule rouge, nommé en Chine Les Hautes Instructions ou les Citations du Président Mao Tsé Toung. Il va d’abord fanatiser la jeunesse : les fameux gardes rouges vont en faire leur bible, leur manuel de guerre civile. Mao l’appelait sa « bombe spirituelle ».

Le petit livre rouge a-t-il été le livre le plus vendu au monde ?

Après l’armée et les gardes rouges, chaque Chinois a été équipé du « petit livre », ce qui représente plusieurs centaines de millions d’exemplaires… Puis Mao a voulu exporter sa Révolution culturelle dans le monde entier. Le « petit livre rouge », en différentes éditions, a été traduit en cinquante-deux langues dont l’espéranto, et été exporté dans cent-cinquante pays, sur tous les continents. On peut dire qu’après la Bible des chrétiens, c’est le plus grand best-seller de tous les temps, tiré à deux milliards d’exemplaires selon les chercheurs occidentaux, et cinq milliards selon l’agence officielle Chine Nouvelle !

On peut parler d’un record, surtout au regard de la brièveté de la vie de cet ouvrage : en 1979, trois ans après la mort de Mao, quand son rival du début des années 60, Deng Xiaoping, est arrivé au pouvoir, le « petit livre rouge » fut interdit par une directive du PCC. Ce « poison » a permis la « distorsion de la pensée de Mao » et a causé un « grand tort », en permettant à la Bande des quatre d’exercer « une influence pernicieuse » … Cent millions d’exemplaires ont été détruits. Mais on continue d’en voir beaucoup aujourd’hui en Chine. Entre les exemplaires historiques, dont le prix atteint plusieurs milliers d’euros chez les antiquaires, et les innombrables copies destinées aux touristes, le « petit livre » de Mao est omniprésent. Tout comme son auteur, embaumé dans son mausolée place Tian’anmen et emblème des billets de banque chinois.

Comment expliquer l’engouement, proche de l’hystérie, de tout un groupe d’intellectuels français, en faveur de Mao Tsé-Toung ?

Cela reste un mystère, que les intéressés ont désormais eux-mêmes du mal à expliquer. L’édition française du « petit livre rouge » est arrivée en décembre 1966, par le canal de l’ambassade de Chine à Paris, et a fait un tabac. Dans La Chinoise, Jean-Luc Godard a très bien filmé le fanatisme des étudiants français, pour beaucoup issus de la bourgeoisie, autour cet ouvrage. Pendant quelques années, les maos hexagonaux en ont fait leur bréviaire, leur pensée unique, leur manuel de vie, comme en Chine. Dans tout le quartier latin, à commencer par l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm d’où est parti le mouvement maoïste, on s’est mis à brandir et réciter le « petit livre rouge ». Quand on sait qu’il a été conçu pour des militaires chinois illettrés, cela ne manque pas de sel…

En France, et dans beaucoup d’autres pays, certains ont imité « la campagne des jeunes instruits envoyés à la campagne » en Chine. Si les jeunes Chinois n’avaient d’autre choix, les étudiants maoïstes français, eux, étaient des embrigadés volontaires. Ils se sont enrôlés dans les fermes et les usines, pour exporter la révolution de Mao. Quarante ou cinquante ans après, on peine à comprendre cet aveuglement, compte tenu des atrocités de la Révolution culturelle en Chine. Il faut préciser qu’elles n’étaient pas connues par les intellectuels maoïstes. Beauvoir, Althusser, Barthes, Sollers, Glucksmann, et bien d’autres, ont été fascinés par Mao, qui les invitait généreusement à visiter son paradis de la Révolution. Et tous sont tombés dans le panneau de la propagande. Tous, sauf un : Pierre Ryckmans, alias Simon Leys, qui a dénoncé la Révolution culturelle dans un livre paru en 1971 : Les Habits neufs du Président Mao. Mis au ban de l’intelligentsia européenne, il dû attendre plus de dix ans avant d’être écouté et reconnu.

Cet engouement aveugle, qui a des racines dans la déception provoquée à gauche par le rapport Khrouchtchev en 1956, reste cependant un grand mystère. Contrairement à la Chine, où il est une relique respectée, plus personne ou presque ne défend le « petit livre rouge » en France. Repentis, silencieux ou carrément passés sur l’autre rive de leurs convictions de jeunesse, les anciens maos ont rangé les Citations du Président Mao Tsé-Toung tout au fond de leurs bibliothèques, quand ils ne l’ont pas jeté.

Syrie : La Turquie, acteur clé des négociations

Fri, 27/01/2017 - 10:58

Quels enseignements tirer de la conférence d’Astana entre la délégation syrienne et celle de l’opposition ?

Indépendamment des faibles résultats obtenus, le fait qu’une réunion entre le régime syrien et une partie des groupes rebelles ait pu se tenir constitue tout d’abord une première victoire. La reprise des quartiers orientaux d’Alep, à la fin du mois de décembre, marquant l’avancée du régime syrien et de ses alliés, a indéniablement créé un électrochoc, notamment dans les rangs des rebelles. Elle a, de ce fait, rendu nécessaire et possible la réunion au sein de la capitale du Kazakhstan.

Les trois parrains des négociations étaient bien sûr présents à Astana : la Russie, la Turquie et dans une apparente moindre mesure, l’Iran, même si sa délégation a été politiquement très active. En ce qui concerne l’opposition, une délégation représentant les principales factions rebelles était présente avec la participation de 13 chefs militaires à l’exception, bien sûr, des groupes qualifiés de terroristes. Ces derniers n’étaient pas conviés à ce début de processus de négociations, auxquelles ils s’opposent en outre par principe.

Cela étant posé, on peut constater que certains groupes rebelles présents à la table des négociations étaient qualifiés de terroristes par Moscou il y a quelques semaines encore. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, ce qui indique la volonté de la Russie de parvenir assez rapidement à des avancées.

Si les résultats de ces pourparlers restent ténus, ils ne constituent qu’une première étape avant un deuxième rendez-vous qui se tiendra à Genève le 8 février prochain, dans le cadre de l’ONU cette fois. A Astana, les accords trouvés concernent avant tout la confirmation de la volonté que le cessez-le-feu initié le 30 décembre soit appliqué. Cette décision ne signifie certes pas que tous les combats seront stoppés, mais un processus s’engage. Une deuxième décision importante concerne l’aide humanitaire. Des efforts seront mis en œuvre pour la faire parvenir dans les zones et villes encore assiégées par les forces du régime, la majorité, ou par des groupes rebelles.

Si la mise en place de ces décisions sera compliquée, elle traduit la volonté d’aller de l’avant malgré les nombreux obstacles, d’autant que le cadre de la déclaration commune fait explicitement référence à la résolution 2254 adoptée à l’unanimité du Conseil de sécurité de l’ONU, le 18 décembre 2015.

Certes, elle ne constitue qu’une première étape, et l’une des difficultés réside dans l’interprétation de ce compromis. Pour mémoire, outre la mise en œuvre d’un cessez-le-feu, la résolution prévoit qu’au terme de six mois de pourparlers, le processus doit établir « une gouvernance crédible, inclusive et non-confessionnelle » veillant à la préservation des institutions étatiques et qui aura la tâche de rédiger une nouvelle Constitution. Des élections libres devront ensuite être organisées dans les dix-huit mois sous la supervision de l’ONU.

La Turquie fait partie, avec la Russie et l’Iran, des « parrains » de la négociation. Quel est son rôle dans les pourparlers ? Quels intérêts défend-t-elle ?

La Turquie se trouve dans un partenariat quelque peu asymétrique avec la Russie et l’Iran. Ces deux derniers ont en effet toujours maintenu des positions en faveur du régime syrien. La Turquie, en revanche, a soutenu la rébellion mais a opéré un changement considérable en ne faisant plus du départ de Bachar al-Assad un préalable aux négociations. Ce changement de position lui a permis de se remettre au centre du jeu diplomatique.

Si la Russie, au vu de son long engagement militaire aux côtés de Bachar al-Assad, dispose de meilleurs atouts dans la négociation, pour en initier, contrôler et animer le contenu et l’agenda, la Turquie est néanmoins un acteur indispensable. Les Turcs ont, en effet, d’étroits contacts avec de multiples groupes rebelles présents. Plusieurs d’entre eux se sont réunis, quelques jours avant la conférence d’Astana, à Ankara, avec les services de renseignements turcs. La réunion visait, en quelque sorte, à préparer ce rendez-vous décisif. Désormais, la Turquie raisonne politiquement. Si elle s’est un temps bercée de l’illusion d’une solution militaire à la crise syrienne, ce n’est plus la ligne qu’elle développe depuis le début de l’été 2016.

Les parrains partagent au moins l’idée qu’une solution politique doit être trouvée. Sur ce point, la Turquie est un acteur incontournable : sans son accord, aucune avancée significative ne peut être réalisée sur ce dossier.

La Russie et la Turquie ont longtemps eu des positions antagoniques sur le conflit syrien, l’un soutenant Bachar al-Assad, l’autre la rébellion. Quelles stratégies se cachent derrière ce rapprochement qui a surpris plus d’un observateur ?

La position obstinément défendue par la Turquie durant cinq ans à propos du conflit syrien, a contribué à l’isoler sur la scène internationale. Sa persistance à exiger le départ de Bachar al-Assad comme préalable à toute hypothétique solution politique, lui a fait perdre en crédibilité. Et ce, alors que de nombreux pays qui avaient une position similaire, comme la France, ont progressivement modifié leur approche du dossier. Pour sortir de l’isolement diplomatique, la Turquie a été contrainte de réévaluer ses positions en cessant d’exiger un départ immédiat du président syrien.

En outre, à la frontière turco-syrienne, le groupe séparatiste kurde de Syrie, le Parti de l’union démocratique (PYD), a opéré une avancée significative au cours des derniers mois. Le PYD est une franchise du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et, à l’instar de ce dernier, il est considéré comme une organisation terroriste par Ankara. Or, nous savons que la question kurde reste un paramètre essentiel, voire existentiel, pour la Turquie. Elle considère qu’un accord politique sur le dossier syrien lui permettrait de contrôler la zone kurde de Syrie, et d’éviter son expansion. Les Kurdes de Syrie gèrent en effet, de facto, deux importantes portions du territoire syrien, néanmoins séparées par une zone qui leur échappe encore. Ils aspirent à conquérir cette dernière pour réaliser une jonction entre les deux territoires. Les autorités turques veulent à tout prix les en empêcher car cela signifierait alors qu’une très large partie de sa frontière avec la Syrie passerait sous contrôle d’une entité qu’elle considère comme terroriste.

Enfin, si la Turquie a longtemps manifesté une certaine forme de complaisance à l’égard des djihadistes, on peut considérer qu’elle est désormais engagée dans une lutte implacable contre les groupes affiliés à Daech, levant ainsi toute ambiguïté sur le sujet. Cette évolution lui a permis d’acquérir un rôle important dans les pourparlers.

Pourquoi les Balkans comptent (partie 2)

Thu, 26/01/2017 - 17:54

Après une première partie consacrée aux tensions grandissantes dans la région balkanique sur fond d’activisme russe, cette seconde partie entend prendre de la hauteur en démontrant que l’étude de la région n’est pas seulement importante en elle-même et pour elle-même, mais constitue une grille de lecture académique, politique et historique essentielle pour décrypter les grandes tendances à l’œuvre dans le monde occidental, entre repli identitaire, populisme et tentation autoritaire.

Le grand malentendu des guerres balkaniques réside dans la façon dont elles ont été perçues par le monde politique occidental et l’opinion publique, c’est-à-dire comme un conflit entre peuples barbares arriérés tout droit sortis des aventures de Tintin en Syldavie, qui n’avaient cessé de se massacrer entre eux depuis la nuit des temps. La thèse essentialiste des « haines ancestrales » s’est inscrite dans l’esprit des observateurs et décideurs comme un postulat tellement évident que tous les plans de paix proposés à partir de 1992 consistaient en une séparation territoriale et ethnique des peuples, acceptant ainsi comme allant de soi la rhétorique des leaders nationalistes locaux. Le succès de cette thèse doit beaucoup à la fois au livre de Robert Kaplan « Balkan Ghosts » sorti au début du conflit alors que très peu d’intelligence avait encore été produite, mais aussi aux analyses de Samuel Huntington sur le caractère religieux des guerres yougoslaves. L’un comme l’autre occupent encore aujourd’hui une place centrale dans la façon dont les décideurs comprennent les relations internationales puisque le premier est toujours aussi publié et lu tandis que le second a façonné l’imaginaire intellectuel de très nombreux décideurs actuels, ce qui transpire dans les propos du nouveau président Américain Donald Trump.

C’est ainsi que les conflits en ex-Yougoslavie sont largement représentés dans l’imaginaire occidental, accolés à l’expression éculée de « baril de poudre » pour désigner la région, quand le terme balkanisation revêt lui aussi sa charge péjorative dans le sens d’un émiettement sans fin. Sans doute cette représentation incite-t-elle l’observateur occidental à penser que ce qui s’est produit en Yougoslavie ne peut pas se reproduire ailleurs dans le monde civilisé qu’est l’Occident. Or, cette absence d’altérité ressentie est précisément la raison pour laquelle tout ce que les chercheurs, politistes, historiens, juristes, sociologues, ont pu produire sur l’ex-Yougoslavie depuis une vingtaine d’années est dramatiquement négligé alors que les problématiques traitées sont d’une brûlante actualité.

Cette cécité sur la Yougoslavie, miroir de la cécité de l’écrasante majorité des analystes tant sur le Brexit que sur la victoire de Donald Trump, relève de la même incapacité à saisir les enjeux profonds des bouleversements d’une époque, que ce soit en 1989 ou aujourd’hui. Ces enjeux portent principalement sur la remise en cause de la légitimité du système politique dominant, hier le communisme en Yougoslavie, aujourd’hui la démocratie libérale en Occident qui, sur fond de mondialisation non-régulée et de crise économique et morale, a ouvert la voie à une nouvelle génération de partis populistes et nationalistes.

Souvenons-nous des causes de l’effondrement de la Yougoslavie. D’abord la perte de légitimité d’un système idéologique et politique qui s’effondrait partout à l’Est de l’Europe. Ensuite, une grave crise économique au cours des années 1980 qui a fait tourner des centaines d’usines à vide et absorbé l’épargne de la classe moyenne. Enfin, en réaction, la montée de discours nationalistes et populistes dans chaque république yougoslave de la part d’entrepreneurs politiques. Et ce, en vue de conquérir puis conserver le pouvoir en substituant la logique schmittienne de l’ennemi et la propagande à la démocratie et l’information. Conquérir le pouvoir par le nationalisme et le conserver par la guerre était la stratégie de légitimation des pouvoirs serbe de Milosevic et croate de Tudjman. De fait, les leaders populistes qui conquièrent le pouvoir en faisant appel aux émotions telles que la peur et la haine sont contraints de gouverner en utilisant les mêmes méthodes, ce qui implique de réduire au silence et désigner à la vindicte populaire parfois violente les opposants (élites politiques, intellectuelles et culturelles, société civile) accusés de trahison envers le « vrai peuple ». De ce point de vue, il n’y a vraiment rien de nouveau entre les discours d’un Franjo Tudjman et ceux d’un Nigel Farage, aujourd’hui repris par une partie du parti conservateur. Seul le contexte change.

Souvenons-nous ensuite de ce qu’était la Yougoslavie avant son effondrement. C’était le pays le plus avancé de l’espace communiste en termes économiques et politiques. Sa diplomatie non-alignée en avait fait un acteur majeur de la guerre froide. Le passeport yougoslave était le seul qui permettait de voyager facilement aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est. Les Yougoslaves étaient au contact direct de l’Occident, notamment à la frontière avec l’Italie où les marchandises circulaient plus ou moins facilement. Ils consommaient les mêmes produits, écoutaient la même musique, avaient lu aussi bien Hugo que Tolstoï à l’école, et les Occidentaux y allaient déjà en vacances. Sarajevo a même organisé les Jeux Olympiques d’hiver en 1984 ! Les peuples yougoslaves ne sont donc pas des barbares arriérés qui ont passé des siècles à se haïr et se massacrer.

Certes, l’Histoire n’est pas une science exacte où l’on pourrait dupliquer à l’identique une configuration dans un autre espace-temps afin d’observer si les conséquences convergent. Pour autant, la crise économique de 2008 et ses suites en Europe (crise grecque, austérité massive, émigration de jeunes diplômés, sentiment de déclassement des classes moyennes), la crise des migrants depuis 2014, la menace terroriste aigue au sein même de l’Europe, la montée en puissance consécutive des partis populistes, nationalistes et xénophobes dans toute l’Europe et aux Etats-Unis, l’épuisement du projet politique européen, de même que le malaise autour d’un modèle de démocratie représentative et parlementaire qui fabrique son propre rejet par son endogamie et son impuissance, sont autant de facteurs qui expliquent cette sensation de craquement général et de basculement vers un horizon inconnu à mesure que les consultations électorales se traduisent par des victoires d’options et de personnages « hors-système » (Brexit, Trump). Or, ces victoires, quand bien même aucune autre ne viendrait s’ajouter en 2017 après les élections en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, ne manqueront pas de redessiner l’Europe et le monde des prochaines années et décennies. Dans cette optique, nous pouvons peut-être regarder l’espace post-yougoslave non plus comme une zone périphérique attardée, mais plutôt comme un modèle possible, parmi d’autres, d’anticipation de ce à quoi aboutirait une crise profonde de la démocratie, ajoutée à une montée des nationalismes en Europe. Il ne s’agit pas de comparer l’ex-Yougoslavie à l’Union européenne en tant que telle, mais de prendre garde contre le risque de dissonance cognitive qui empêcherait d’analyser correctement les faits et les tendances. Vu sous cet angle, la désagrégation guerrière yougoslave ne serait pas une guerre archaïque d’un monde ancien et révolu mais une guerre moderne d’un monde qui vient. La guerre en Yougoslavie n’avait peut-être pas 50 ans de retard, elle avait peut-être juste 30 ans d’avance, d’où l’intérêt de se plonger dans les « Balkan studies ». Au regard de l’Histoire, ni la paix, ni la démocratie ne sont nulle part immortelles.

 

La fin du TPP : un non-événement aux conséquences majeures

Wed, 25/01/2017 - 18:24

Donald Trump l’avait promis pendant sa campagne électorale, il a tenu parole dès son entrée à la Maison-Blanche : il a signé le 23 janvier un document qui met fin à la participation des Etats-Unis au Traité de libre-échange Transpacifique (TPP).
Cette décision met de facto fin au traité, qui avait été mis en place à l’initiative de l’administration Obama et rassemblait douze Etats soit, aux côtés des Etats-Unis, le Canada, le Mexique, le Pérou, le Chili, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, Singapour, la Malaisie, le Vietnam et Brunei. Si le choix de Donald Trump de mettre un terme à un accord dont il a dénoncé le contenu n’est pas en soi un évènement majeur, il donne un avant-goût de ce que sera la politique américaine en Asie-Pacifique, et ouvre une nouvelle ère dans le rapport de force avec la Chine, contre laquelle le TPP avait été pensé. En ce sens, ses conséquences seront majeures, et pas uniquement limitées aux échanges économiques et commerciaux.

Le TPP, un traité limité

Lors de sa signature, qui concluait un long cycle de négociations, le TPP fut présenté comme un accord de libre-échange rassemblant plus de 800 millions de personnes, et pesant autour de 40 % du PIB mondial. Mais derrière ces chiffres à première vue impressionnants se cache la réalité d’un traité à la portée limitée, en particulier sur son volet asiatique. Seuls cinq pays du continent l’ont signé, et le Japon est parmi eux le seul membre du G20. La Corée du Sud, qui a déjà un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, n’en fait pas partie, l’Indonésie non plus, et la Chine en fut délibérément exclue, l’objectif du TPP étant précisément de constituer un front face à la montée en puissance de la Chine dans ses aspects économiques et commerciaux à échelle de son continent (et accessoirement du monde). En clair, le TPP était beaucoup plus modeste dans ses leviers que dans ses ambitions, et pouvait même sembler dérisoire en comparaison avec l’intensification des échanges entre la Chine et ses voisins qu’il avait vocation, mais pas les moyens, de contrer.

Côté américain, ce traité était présenté comme un moyen de relancer l’économie. Selon la commission américaine du commerce international (USITC), le TPP aurait permis aux Etats-Unis d’accroître le PIB de 0,15 % d’ici 2032, et de gonfler ses exportations de 1 %. Au-delà du fait que cela reste relativement modeste (si nous parlons bien ici de 40 % du PIB mondial), ces estimations restent discutables, et n’apportent pas nécessairement de plus-value par rapport à la multiplication d’accords bilatéraux, à la manière de celui qui existe avec la Corée du Sud.

Dans son contenu ensuite, l’accord contient 30 chapitres qui portent sur la réduction des droits de douanes, mais aussi la propriété intellectuelle, l’environnement, le droit du travail, l’accès aux marchés publics, ou encore un accord de protection des investissements. Sur ces différents points, on relève de multiples zones d’ombres aux effets incertains sur l’économie et l’emploi aux Etats-Unis justifiant la posture de Donald Trump, mais aussi un grand flou sur la capacité de certains pays signataires de « se mettre au niveau », compte-tenu des immenses déséquilibres économiques et sociaux entre les 12 membres, auxquels s’ajoutent des disparités politiques majeures. Bref, le TPP avait été, avant même sa signature, dénoncé par ses détracteurs comme un accord mal conçu, et difficilement applicable.

Rappelons enfin que ce traité, signé à Auckland fin février 2016, n’est pas encore entré en vigueur, et son annulation confirme un statut de mort-né plutôt qu’un retour en arrière. Pour ces différentes raisons, la décision de Donald Trump n’est pas spectaculaire, car annoncée, et elle ne concerne pas non plus un traité dont il est possible de mesurer la portée.

La Chine en embuscade

La Chine n’a pas tardé à prendre les devants dans cet après-TPP qui se profile, anticipant même le retrait annoncé des Etats-Unis. Ainsi, à l’occasion d’un sommet de l’APEC les 21 et 22 janvier, et quelques jours après ses propos lors du forum de Davos, le président chinois Xi Jinping a invité son pays et ses voisins à mettre en place un partenariat économique régional intégral. Le projet est ambitieux, puisqu’il doit inclure en plus de la Chine, les pays de l’ASEAN, l’Inde et l’Australie. Et il rejette dans le même temps toute participation des Etats-Unis (que l’on imagine difficilement Donald Trump cautionner de toute façon). Cette position de Pékin n’est pas surprenante, d’abord parce que la Chine a toujours perçu, à raison, le TPP comme directement dirigé contre elle, mais aussi parce que les dirigeants ont multiplié les initiatives de leur côté, afin justement de le contrer.

L’annonce de l’administration Trump est donc une victoire pour Pékin, qui voit le terrain se dégager, et on peut aisément imaginer que de nombreux membres du TPP vont se rapprocher de la Chine, avec laquelle ils entretiennent déjà des relations économiques et commerciales très importantes. Des pays comme Singapour, la Malaisie, l’Australie, et même le Vietnam ont ainsi déjà manifesté leur intérêt pour l’initiative de Pékin, tournant ainsi très rapidement le dos au TPP. Et les autres membres de l’ASEAN suivront. Au final, à l’exception du Japon qui se retrouve orphelin du TPP, en dépit des efforts de Shinzo Abe, premier dirigeant étranger étant venu féliciter à New York Donald Trump après son élection, les pays asiatiques ont déjà remplacé les Etats-Unis par la Chine comme partenaire économique et commercial vers lequel ils vont se tourner.

Il convient d’ajouter à ces intentions chinoises les multiples initiatives entreprises depuis quelques années, dont la création de la Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures (AIIB) est la plus significative. Là aussi, les pays asiatiques y sont quasiment tous membres (à l’exception du Japon), et les Etats-Unis n’en font pas partie (à l’inverse des principales économies européennes). Si le TPP disparait, l’AIIB va de son côté poursuivre ses activités et même se renforcer, ce qui illustre encore le poids grandissant de la Chine dans son environnement régional, que le TPP n’est jamais parvenu à remettre en question. L’accord mis sur pied par le tandem Obama-Clinton faisait sens en ce qu’il cherchait à contrer l’expansion chinoise, sa disparition laisse la porte grande ouverte à Pékin.
La fin du pivot vers l’Asie

Reste la portée politique de la décision de Donald Trump, qui signe ni plus ni moins l’arrêt de mort de la stratégie du pivot, initiée dès l’arrivée au pouvoir de Barack Obama en 2009 et la tournée d’Hillary Clinton (sa première en tant que Secrétaire d’Etat) en Asie (Japon, Corée du Sud, Chine et Indonésie), et officialisée en 2011. Le TPP fut présenté comme l’une des principales concrétisations de cette stratégie de repositionnement en Asie, aux côtés d’accords stratégiques avec différents pays de la région. Alors en campagne, Donald Trump a violemment condamné la présence militaire au Japon et en Corée du Sud, en accord avec les partenariats stratégiques en vigueur avec ces deux pays, ainsi que le parapluie nucléaire américain dont bénéficient Tokyo et Séoul (dans le cas d’une éventuelle agression nord-coréenne). Trump a même suggéré que ces deux pays prennent en main leur destinée sécuritaire, quitte à se doter de l’arme nucléaire pour faire face aux gesticulations de Pyongyang.

En Asie du Sud-est, la stratégie du pivot a démontré ses limites fin 2016, avec le revirement des Philippines, lorsque Rodrigo Duterte a fait savoir, lors de sa visite officielle à Pékin (20 octobre 2016), qu’il tournerait le dos aux États-Unis, l’allié traditionnel, et qu’il se rapprocherait de la Chine. Certes, la Chine est un voisin encombrant, mais Manille ne peut l’ignorer, d’autant que sa capacité d’investissement (ainsi que l’aide au développement), jamais défaillante, est difficile à refuser. Il a été suivi de quelques jours par le Premier ministre malaisien, Najib Razak, qui a annoncé depuis Pékin, où il était lui-aussi en visite officielle, l’établissement de liens militaires plus étroits avec la Chine. Ces revirements traduisent le peu de crédit que les alliés de Washington placent dans la nouvelle administration Trump et sa politique asiatique. Et c’est la Chine qui en est le principal bénéficiaire.

Reste donc à savoir à quoi ressemblera la relation entre les Etats-Unis et la Chine, étant donné que la « politique asiatique » de Washington est avant tout une politique chinoise.

Pour l’heure, la Chine est plus à la recherche d’un compromis que d’une confrontation, mais un compromis qui se ferait assez nettement à son avantage, traduisant ainsi la position de force dans laquelle l’empire du milieu se trouve en Asie-Pacifique. L’Armée Populaire de Libération (APL) verrait même d’un bon œil une sorte de « Yalta du Pacifique » dans lequel le Pacifique Est serait sous tutelle américaine, et le Pacifique Ouest sous tutelle chinoise, ce qui marquerait le leadership chinois sur la rive asiatique, mais dans le même temps impliquerait de plus grandes rivalités entre les deux pays dans le Pacifique. La stratégie du pivot semblait être une réponse par la négative à ce partage du Pacifique, et était dès lors être perçue à Pékin comme une volonté manifeste de renforcer la rivalité. Et pourtant, la question d’un grand bargain est souvent évoquée dans les cercles stratégiques et académiques américains défendant les thèses réalistes. En mettant fin au TPP, Trump ne fait que relancer l’idée selon laquelle ce grand bargain pourrait rapidement devenir le fondement de la politique étrangère américaine en Asie.

Crise gambienne, fin de partie : vers une transition démocratique sous haute tension

Wed, 25/01/2017 - 12:07

Durant six longues semaines, l’avenir de la Gambie a été suspendu à la décision d’un seul homme : Yayah Jammeh. Après avoir reconnu sa défaite à l’élection présidentielle du 1er décembre 2016 et félicité son adversaire Adama Barrow, cet homme coutumier des volte-face a contesté, moins d’une semaine plus tard, la validité des résultats et demandé l’annulation de l’élection, aux motifs d’irrégularités dans la comptabilisation des votes et l’organisation du scrutin. Durant six semaines, il a successivement mis en échec deux missions de la Cédéao visant à organiser les conditions de son départ, saisi la Cour Suprême de son pays, décrété l’Etat d’urgence tandis que son mandat était officiellement terminé, laissant craindre l’imminence d’une riposte armée mandatée par l’UA et l’ONU. Puis, face aux défections dans son camp et parmi les membres de son armée, il a finalement consenti au départ dans la nuit du 20 au 21 janvier 2017. Direction Conakry puis la Guinée équatoriale.

Mission de la CEDEAO : sauver le soldat Jammeh ?

Volontiers présenté sous les traits d’un excentrique, toujours affublé d’un chapelet et d’un large boubou blanc qui masque un gilet pare-balles, Yayah Jammeh est en réalité un dictateur sanguinaire. Ayant régné sans partage sur la Gambie pendant 22 ans, arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat en 1994, Jammeh a multiplié les infractions aux droits de l’Homme et à la liberté d’expression. Il a muselé la presse d’opposition, procédant à des vagues d’arrestation. La plus notable reste, sans doute, celle de juin 2009 où il fit emprisonner pas moins de neuf journalistes suite à la publication d’un communiqué du Syndicat de la presse gambienne, l’appelant à reconnaître la responsabilité de son gouvernement dans l’assassinat de leur confrère Deyda Hydara en 2004. Il ne s’est guère révélé plus amène à l’égard de ses opposants politiques. Après des manifestations organisées par l’opposition en 2016, il a procédé à des rafles et l’un des leaders de l’UDP (United Democratic Party), Solo Sandeng a été tué en prison dans des conditions qui, à ce jour, restent opaques. Des signaux alertant sur la dérive de son régime ont été nombreux : son isolement, d’une part, sur la scène internationale depuis 2013 tandis qu’il sortait unilatéralement du Commonwealth, et d’autre part, la dénonciation de la répression, de la torture et des exactions commises par son régime à l’endroit de ses concitoyens, dans un rapport intitulé l’Etat de peur publié en 2015 par Human Rights Watch. Bien que peu peuplée (moins de deux millions d’habitants, selon le dernier recensement de 2013), la Gambie est, aujourd’hui, devenue en pourcentage, et au regard de sa superficie, l’un des principaux foyers d’immigration en Afrique.

Malgré son isolement sur le plan international, ses méfaits et sa tentative de nier le verdict des urnes qu’il n’avait vraisemblablement pas anticipé au regard du régime qu’il avait imposé à ses concitoyens, il a réussi à négocier sa feuille de route et imposer son agenda à la Cédéao. Jusqu’au dernier moment, l’incertitude a plané. Il s’est payé le luxe avant de monter dans l’avion présidentiel affrété par Alpha Condé, le président de la République de Guinée, d’être acclamé par quelques-uns de ses partisans. Il s’est encore fendu de la lecture d’un communiqué diffusé sur la chaîne d’information gambienne (la GRTS) dans lequel il se félicitait du respect de la démocratie et que pas une goutte de sang n’ait été versée. S’il y a tout lieu de céder au soulagement suite à ce départ qui ouvre une nouvelle ère pour la Gambie, on peut s’interroger sur la manière de créer les conditions d’une réconciliation, sur la longue durée, tandis que le sang a déjà été versé. Sur ce dossier il n’y aura vraisemblablement aucune poursuite pénale.

La crise gambienne a révélé les difficultés et les hésitations de la Cédéao. La communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest a joué la carte de la prudence, un conflit ouvert étant toujours susceptible de dégénérer, trahissant toutefois en sous-main des enjeux géopolitiques. Les pays anglophones ont certes mené sans succès les deux missions de négociation mais l’envoi d’un contingent nigérian de 200 hommes, d’un navire de guerre et d’un hélicoptère de reconnaissance donnent le ton. Ils feront partie de la reconstruction de la Gambie post-Jammeh. Il n’est pas tout à fait inopportun de constater que la médiation organisée par la Mauritanie (ex membre de la Cédéao) et la Guinée Conakry, deux voisins avec lesquels le Sénégal entretient des relations de voisinage difficiles, a emporté la décision de Jammeh de quitter son pays. Il semble, au vu de ces différents éléments, qu’il y ait eu une volonté de préserver l’intégrité et la souveraineté gambienne, de sorte à ne pas la laisser dans une situation de dépendance vis-à-vis du Sénégal. En effet, les appétences sénégalaises en faveur d’une Sénégambie des peuples sont largement connues.

Malgré des satisfecit au regard de la résolution d’une crise africaine par la communauté interafricaine de nombreux écueils demeurent. Signe que la situation reste fragile, les troupes de la Cédéao (ECOMIG), sous commandement sénégalais, vont quadriller le territoire pour une durée indéterminée. Si les Nigérians, Togolais, Maliens participent à cette opération multilatérale et interafricaine, le gros des contingents reste sénégalais au point que l’on peut lire ici ou là des raccourcis mettant en avant une intervention des troupes sénégalaises. Et il faut dire que l’enjeu pour Dakar est d’importance. Depuis 1989, date de l’échec de la confédération sénégambienne, les autorités dakaroises attendent une opportunité pour créer les conditions d’une intégration entre le Sénégal et la Gambie. La prudence devra toutefois être de mise au risque d’ensemencer un nationalisme gambien anti-sénégalais. Les Gambiens, dans leur ensemble, restent, en effet, marqués par l’épisode confédéral (1981-1989) au cours duquel les militaires sénégalais sont accusés d’avoir commis, en toute impunité, larcins et exactions à l’encontre de leurs concitoyens.

Après six semaines de tensions insoutenables qui ont laissé craindre une escalade de la violence, Jammeh est parti laissant pour tout legs une critique à l’égard de l’ingérence sénégalaise dans les affaires gambiennes, sapant la légitimité de son successeur.

Vers un new deal Sénégalais ?

Au Sénégal, la Gambie est perçue comme « une verrue », un obstacle géographique, économique et militaire qui empêche, au quotidien, toute gestion rationnelle de son territoire Le Sénégal est entravé en son sein. Le lien terrestre le plus court pour rejoindre le Nord ou le Sud du pays suppose la traversée de la Gambie par la route transgambienne. Dans cet écartèlement territorial, le centre politique dakarois se retrouve de facto coupé de la Casamance, au Sud, ce qui a pu y favoriser l’imagination d’une trajectoire dissociée du reste du Sénégal. Enfin, les politiques économiques poursuivies par les autorités des deux pays divergent et opposent assez schématiquement un libéralisme gambien au protectionnisme sénégalais. Cette distorsion fiscale nourrit le jeu de la contrebande privant le Sénégal de ressources légitimes. Dans ces conditions, on comprend que la gestion de la transition démocratique en Gambie est cruciale pour le Sénégal, surtout si elle s’oriente vers une politique de négociation.

Suite au sommet Afrique-France (13-14 janvier 2017) où il a pu s’assurer de l’onction de ses pairs, le nouveau président gambien, Adama Barrow a trouvé refuge au Sénégal, le 15 janvier, où il a été officiellement investi, ce 19 janvier, à l’ambassade de Gambie. Il est raisonnable d’imaginer, vu la configuration, que des pourparlers sur l’après Jammeh aient été engagés avec les autorités sénégalaises. En effet, malgré la proximité entre les deux Etats et leur interdépendance consubstantielle au regard de la répartition de leur territoire, ils entretiennent depuis 50 ans des relations de voisinage difficiles. Le gouvernement sénégalais ne cesse d’y être confronté à la limite de son action : impossibilité de juguler la contrebande en provenance de la Gambie ou de rejoindre le Nord et le Sud. Tandis que pour la Gambie les frontières héritées constituent le point de départ de leur souveraineté. Cette lecture dissymétrique a été le creuset de toutes les tensions et incompréhensions entre les deux pays, et ce bien avant l’arrivée de Yayah Jammeh au pouvoir.

Dès l’époque coloniale, les administrateurs coloniaux français avaient critiqué la création de cette colonie dans la colonie du Sénégal. Entre 1914 et 1918, confrontée à l’hémorragie de jeunes hommes qui avaient rejoint la Gambie pour se soustraire à la brutalité du contingentement français, des propositions d’échanges de territoires avaient sérieusement été envisagées. Depuis les années 60, les autorités dakaroises n’ont eu de cesse de plaider en faveur d’une intégration entre les deux pays au motif d’une ressemblance entre les populations situées de part et d’autre de la frontière Sénégal/Gambie. Peu enclin à souscrire à cette lecture le Premier ministre Dawda Jawara, rejoint dans cette démarche par Senghor sollicitèrent en 1963 l’intervention d’une mission onusienne à titre consultatif. Reconnaissant la continuité socio-culturelle entre les deux pays, elle conclut que la reconnaissance de l’intégrité et de la souveraineté de la Gambie était la condition sine qua none de toute discussion sur une formule juridique de type fédéral ou confédéral (1964, envoi d’une mission onusienne à titre consultatif). Plaidant en vain pour une solution fédérale, les Sénégalais ont dû se satisfaire d’une association sur des secteurs peu régaliens. Depuis, l’histoire entre les deux pays a été jalonnée de crises, et plus particulièrement pendant la période 1969-1974. En 1969, tandis que le président Senghor arrive en visite officielle à Bathurst (ancien nom de Banjul) en vue de négocier une union économique et douanière, des milliers de jeunes craignant que le Sénégal ne leur impose un diktat s’emparèrent de la rue et s’en prirent avec violence aux symboles de la République sénégalaise. En 1971, puis en 1974, des incidents de frontière faillirent virer à l’affrontement. Ils obligèrent les deux pays à trouver des sorties de crise pacifique. La construction d’un pont transgambien apparut comme un symbole de ce réchauffement diplomatique sinon que le président Jawara finit par remettre en question sa faisabilité en 1977, décidant le gouvernement sénégalais à construire la rocade routière permettant de contourner sur son territoire la Gambie. La mesure ne s’est jamais révélée probante dans la mesure où elle augmente le temps de trajet dans des zones, qui plus est, non sécurisées. Ces différents rapports montrent la structuration des rapports de force entre le Sénégal et la Gambie depuis plus de 50 ans.

Si le nouveau président élu, Adama Barrow est un inconnu, son porte-parole Halifah Sallah est engagé sur la scène politique depuis 1985. A l’époque, il le fit pour dénoncer la confédération sénégambienne jugée sous domination sénégalaise au regard de l’attribution des postes dans les instances dirigeantes ; le Sénégal ayant, par exemple, refusé toute rotation dans l’exercice de la présidence. En 1987, Sallah fut l’un des co-fondateurs du journal Foroyya (liberté en mandingue). Une des revendications de ce journal, courroie de relai du Parti de gauche PDOIS, était l’indépendance de la Gambie sous-entendant sa sujétion, sa vassalisation au pouvoir sénégalais, d’où un recours permanent à un vocabulaire historiquement connoté faisant référence au champ lexical de la colonisation de la Gambie par le Sénégal. Aujourd’hui encore, celui qui se présente comme un panafricaniste convaincu plaide en faveur d’une intégration régionale excluant d’avoir pour seul interlocuteur le Sénégal. Le renouveau des relations entre le Sénégal et la Gambie risque donc d’être complexe malgré le fait que la Gambie soit redevable vis-à-vis du Sénégal au regard de son investissement dans la gestion de la crise. Un manque de coopération, pourrait par ailleurs, être assez mal perçu côté dakarois.

Pour finir, le déploiement des troupes sénégalaises en Casamance pourrait se révéler une opportunité pour Dakar de mettre un terme à la rébellion casamançaise qui dure depuis près de 35 ans, et ce d’autant plus que leur allié Yayah Jammeh a été sorti du jeu politique. Des confrontations sont, sans doute, à attendre dans cette zone, au risque de réanimer le conflit casamançais… Par le passé, on a toujours observé une concomitance entre les troubles en Gambie et en Casamance et ce bien que les objectifs poursuivis aient pu différer. La signature du pacte de Kaur entérinant la confédération sénégambienne à la fin de l’année 1981, fut suivie en Casamance par l’organisation, courant 1982, d’une marche populaire conduite par le MFDC, considérée comme l’acte fondateur de la revendication indépendantiste. En 1989, parallèlement à la dissolution des instances de la confédération et du gel des relations entre le Sénégal et la Gambie, le conflit casamançais se radicalisait. Ces différents éléments permettent de conclure que la trajectoire casamançaise doit être analysée en interaction avec la trajectoire gambienne, et ce d’autant plus que Jammeh a largement soutenu la rébellion durant son règne. Nul ne sait combien d’hommes sont encore dans le maquis tandis qu’une stratégie militaire sénégalaise semble clairement se dessiner.

Quels scénarios Sénégal/Gambie ?

Le président Barrow va sans doute bénéficier d’un état de grâce mais le cadre programmatique de son action reste pour l’instant mal connu. Sans doute a-t-il été lui-même surpris de sa victoire, à la mesure du désarçonnement dans les rangs de Jammeh. Il aura pour tâche de retisser les liens avec les organisations internationales détricotés par son prédécesseur. Des aides pour la reconstruction du pays lui seront sans doute allouées. La question principale reste, toutefois, la renégociation des liens avec le Sénégal voisin. Espérons que dans une situation asymétrique et ce tandis que le gouvernement Barow n’a pas été proclamé, il n’y aura pas la tentation de faire resurgir d’emblée des formules juridiques comme la confédération ou la fédération au risque d’ensemencer les germes d’un nationalisme défensif anti-sénégalais, comme cela a pu être le cas par le passé. Des sources de première main confirment que les Gambiens seront opposés à ces différentes propositions.

Une intégration sectorielle sur certains projets-phares pourrait, dans un système gagnant-gagnant, favoriser un premier rapprochement entre les deux pays. La mise en route du chantier du pont transgambien permettrait le désenclavement de la Casamance mais surtout mettrait un terme définitif aux problèmes rencontrés par les populations qui souhaitent gagner selon le Nord ou le Sud du Sénégal et qui, dans les conditions actuelles, pâtissent de longues heures d’attente au niveau des bacs tandis que nombre de ces bacs se révèlent de surcroît défectueux. Ce serait également l’opportunité de mettre un terme à la déforestation de la Casamance et du trafic de bois organisé par la Chine et évacué via la Gambie. La résolution du problème de la contrebande, qui reste la principale source de revenus de la Gambie, risque d’être un dossier éminemment complexe à régler. Il va falloir à chacun d’entre eux beaucoup de patience et d’abnégation avant de ne lever les verrous qui ont empêché jusqu’ici de créer les conditions d’une communauté de destins.

La Gambie, petit pays d’une bande de 10 kilomètres de part et d’autre des deux rives du fleuve sur une longueur de 300 kilomètres, reste un enjeu régional et stratégique. Dans ce contexte, la prudence reste la meilleure des conseillères.

« L’intérêt du parlement britannique est de peser sur les conditions de sortie de l’UE »

Tue, 24/01/2017 - 18:44

Au Royaume-Uni, la cour suprême a rendu sa décision mardi 24 janvier : le gouvernement de Theresa May devra obtenir l’approbation du parlement avant de lancer les négociations de sortie de l’Union européenne. Cette décision était-elle attendue ?

Du point de vue juridique, la décision de la cour suprême n’est pas inattendue. La cour suprême ne fait que confirmer la décision prise en novembre par la Haute Cour de Londres. En revanche, le climat politique, lui, s’est transformé. Nous étions alors dans un moment politique où on avait l’impression que le « hard Brexit » restait évitable, et qu’il subsistait une marge de manœuvre pour négocier un Brexit plus « doux ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Theresa May a compris en décembre que les Européens ne transigeraient pas sur les libertés fondamentales de l’UE. En retour, elle a clarifié son approche la semaine passée et opté pour une rupture nette, en arguant du soutien de l’opinion publique. On a aujourd’hui l’impression que le hard Brexit sera difficile à éviter.

Cela vous surprend-il compte tenu des résultats du référendum en faveur du Brexit ?

C’est la façon dont le débat a été posé qui est surprenante. Depuis le référendum, « la voix du peuple » semble être devenue un argument massue pour ne plus accepter le fonctionnement classique des institutions. Le Royaume-Uni est une vieille démocratie parlementaire, au sein de laquelle le législatif, le judiciaire et l’exécutif font leur travail en fonction de leurs prérogatives respectives. Par un processus juridique tout à fait ordinaire, la cour de Londres a décidé que le gouvernement n’avait pas l’autorité de déclencher l’article 50 sans l’aval du parlement. Mais on a l’impression aujourd’hui que la souveraineté populaire se définit exclusivement par la voix du peuple, qui peut tout emporter avec lui. Les journaux britanniques ont ainsi interprété cette décision comme si l’organe juridique du Royaume-Uni s’opposait à la voix du peuple, et on a vu en une des tabloïds les titres suivants : « les juges, ces ennemis du peuple. »

Compte tenu de son pouvoir, le parlement pourrait-il prendre le risque de bloquer le déclenchement de l’article 50 ?

Je ne pense pas que ce soit le problème principal aujourd’hui. L’enjeu majeur, c’est à mon avis le poids que pourra peser le parlement sur les termes de la sortie de l’Union européenne en 2019. À mon avis, il y aura un échange de bons procédés entre le Parlement et le gouvernement. D’un côté, Theresa May a besoin d’un processus rapide au Parlement pour pouvoir respecter son calendrier et activer l’article 50 d’ici à la fin mars, et pour que les négociations au parlement ne s’embourbent pas ; de l’autre, l’intérêt du parlement est de peser sur la négociation des conditions de sortie du Royaume-Uni de l’UE. Et donc, toujours pour le Parlement, d’être consulté sur un maximum de sujets lorsque l’accord de sortie aura été négocié avec l’UE, et ce à échéance 2019. Nous sommes dans une situation politique où il n’est pas dans l’intérêt d’un parti travailliste affaibli et divisé de s’opposer à la « volonté populaire » en bloquant l’activation de l’article 50. Le voudrait-il qu’il n’en aurait de surcroît pas les moyens.

Sur quel sujet, par exemple, le Parlement veut avoir son mot à dire ?

La question fondamentale sera le marché unique. Theresa May ne peut pas demander l’accès au marché unique – elle a compris qu’il était incompatible avec son souhait de contrôler les flux migratoires. Reste qu’une partie des travaillistes et des députés écossais souhaite cet accès. Theresa May a confirmé que le parlement serait consulté sur la sortie. Ainsi il est envisageable qu’il demande un droit de regard sur les conditions de l’accès au marché unique. Ce n’est pas le seul domaine, mais c’est le point le plus sensible.

D’un côté, si Theresa May souhaite comme elle l’a dit dans son discours, mardi 17 janvier, un hard Brexit, elle ne peut pas faire de compromis. Mais d’un autre côté, une partie du parlement, et notamment les Écossais, veut un accès au marché unique. Dans ce rapport de force, on verra qui prendra le dessus car en arrière-plan se joue la question écossaise. L’Écosse a voté à 62 % pour le maintien dans l’UE et elle souhaite avoir accès au marché unique, position incompatible avec celle de Theresa May.

Cela va donc entraver la marge de la première ministre britannique ?

Il est étonnant de voir le temps qu’il a fallu à Theresa May pour se rendre compte que l’UE ne transigerait pas sur ses libertés fondamentales, et qu’en réalité l’accès au marché unique n’était pas compatible avec le contrôle qu’elle souhaitait exercer sur les migrations. Elle s’est heurtée à l’unité des 27 autres pays membres, qui n’ont guère le choix aujourd’hui car l’avènement d’une Europe à la carte signerait l’arrêt de mort de l’UE. Elle pensait pouvoir négocier, enfoncer une brèche pour diviser l’Europe, mais s’est retrouvée isolée au conseil européen de décembre. C’est alors seulement qu’elle s’est résolue au « Hard Brexit ».

Recueilli par Agnès Rotivel

La patrie entre Espagne et Pays basque

Tue, 24/01/2017 - 18:31

Patria, La patrie. 100.000 exemplaires vendus de septembre à décembre 2016. Une adaptation cinématographique en route. La patrie basque, basque d’Espagne, a fait rebondir les ventes en librairie. Elles en avaient bien besoin, plusieurs dizaines de points de vente ayant disparu outre Pyrénées ces dernières années. Paradoxe en ces temps de divorce entre Madrid et sa périphérie catalane, le roman, c’est d’un roman en effet qu’il s’agit, fait un tabac à Barcelone, aussi bien qu’à Madrid et à Bilbao.

« Patria » enfonce le lecteur dans les va et vient d’individus flottants, perdus dans les figures imposées par les donneurs d’ordre politiques. L’épaisseur de vécus en clairs obscurs, la grisaille du quotidien, brouillent le regard que d’un côté et de l’autre on porte sur « les évènements » du Pays-basque, le terrorisme, (ETA), le contre-terrorisme, (les GAL), l’indépendantisme basque, l’Espagne et son unité. « Patria », de façon inattendue, révèle un divorce entre lecteurs-citoyens-électeurs et « responsables » partisans de tous bords.

Depuis la guerre civile, -au moins-, l’Espagne n’en finit pas de coudre, tailler et redécouper, la carte et la charte de son agrégat national. Le Pays-basque pendant des années a joué le rôle de mouton noir, rebelle, violent, inassimilable, en apparence, à toute tentative de compromis avec l’Espagne et Madrid. Les Catalans, abandonnant leur talent négociateur, ont pris le relais depuis un lustre. Le succès inattendu de « Patria », écrit par un auteur basque à cent pour cent, natif de Saint-Sébastien (Donostia), Fernando Aramburu, met le doigt sur une attente restée jusqu’ici cachée. Celle de trouver enfin, après tant de haines, et de peines, un terrain d’entente.

Le poids d’un passé qui a divisé les cœurs et les esprits, le poids des crimes commis au nom de la patrie basque et de l’Espagne une et indivisible, le choc des trains partisans depuis les débuts de la transition démocratique ont fatigué sans doute les volontés les plus radicalisées. La dernière aventure indépendantiste du Parti nationaliste basque, tentative avortée d’organiser un référendum d’autodétermination en 2006, les ultimes attentats d’ETA, soldés par la mort absurde de deux immigrés équatoriens, « la fin de territoires » nationaux en perte de compétences érodées par la mondialisation et l’européisation, ont assoupli les discours souverainistes antagonistes.

Prenant le contrepied de la voie catalane, après avoir observé le cours du monde et celui de l’Europe communautaire, PNV et PSE, – Parti nationaliste basque et Parti socialiste d’Euskadi, noyau historique des forces politiques basques ont posé la question basque en termes institutionnellement solubles dans la Constitution espagnole. Les deux partis, ont décidé de gouverner ensemble, au lendemain du dernier renouvellement du parlement basque, le 24 novembre 2016[1]. Pour élargir l’autonomie reconnue à la Communauté autonome basque par la Loi fondamentale espagnole.

L’échec du Plan Ibarretxe, plan devant conduire le Pays Basque à l’indépendance, porté par le PNV, a forcé le changement stratégique. Exit Ibarretxe et son équipe. Le successeur, Iñigo Urkullu, a détricoté la méthode. Adaptant l’objectif d’autogouvernement qui reste le cap Nord de la boussole nationaliste aux conditions du monde. La revendication indépendantiste, a-t-il expliqué de façon répétée, est une vieillerie héritée du XIXème siècle. L’ETA l’a défendue, mais « ETA, c’était hier »[2]. « Demander (l’indépendance) dans une union européenne de 28 Etats, avec d’autres en attente (..) me parait problématique. La UE est fondée sur l’interdépendance, les souverainetés partagées, je crois que le défi est celui d’imaginer l’insertion d’un Etat construit comme l’espagnol [3]» »Dans un monde globalisé l’indépendance est pratiquement impossible. (..) C’est un concept du XIXème siècle. Notre nationalisme est du XXIème siècle, (..) de souveraineté partagée »[4]. Les temps modernes sont européens et globaux. Les Etats sont déconstruits par le cours des choses. Nul besoin de perdre temps, énergie à défier un château de carte qui s’affaisse sous les coups de butoir de vagues globales et bruxelloises. Le PNV, écartant toute option majoritaire avec Sortu, formation nationaliste radicale, a choisi de gouverner avec les socialistes. Cette alliance, a commenté Inigo Urkullu, en réponse à une question sur l’option indépendantiste, « permet d’avancer vers l’autogouvernement, (..) en accord avec d’autres partis, en respectant les majorités ».[5]

Il suffit a-t-il poursuivi de surfer sur la vague. De saisir les moments de difficulté du pouvoir en place à Madrid, ou des grands partis politiques pour négocier un peu plus de compétences pour Euskadi (le Pays Basque), et ainsi sans recours aux extrêmes, qu’il s’agisse d’un conflit constitutionnel autour de l’autodétermination, ou de la violence, d’arriver progressivement à une sorte de responsabilité partagée. Iñigo Urkullu très logiquement ne manque jamais une occasion de préciser que « le droit à décider » des Basques, tel qu’il l’entend, n’a rien à voir avec celui des partis nationalistes et indépendantistes catalans[6]. Fort de cette allégeance à la Constitution espagnole il en demande le respect par le gouvernement central comme par les autres présidents de régions autonomes. Il a ainsi dans son discours de fin d’année 2016 rappelé à Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol, qu’il est ouvert au dialogue. Et donc qu’il demande au gouvernement de ne plus recourir aux tribunaux pour contester les lois votées par le parlement basque. A l’intention de ses homologues, chefs de régions autonomes, qui exigent une égalité de traitement entre toutes les collectivités territoriales, il rappelle que la Loi fondamentale reconnait dans une disposition additionnelle des droits historiques, au Pays basque[7].

Une enquête[8] publiée en décembre 2016 complète la perception intuitive de l’écrivain Fernando Aramburu. Les Basques sont divisés en multiples sensibilités. 31% voteraient en faveur de l’indépendance. 39% y seraient opposés. Mais les nationalistes représenteraient 46% de l’électorat. Et les non nationalistes 50%. 47% considèrent qu’il existe une nation basque. Et 67% souhaitent la perpétuation avec ou sans changement du système autonome. Conclusion, beaucoup de romans »Patria » achetés, et une cote de popularité exceptionnelle pour le président du gouvernement, le lehendakari Urkullu. Qui « travaille pour plus d’autogouvernement, sans mélanger cela avec l’indépendance, (parce que) dans l’UE l’unilatéralité n’a pas d’avenir [9]».

[1] Date du débat d’investiture. Les élections se sont tenues le 25 septembre 2016
[2] In « El Pais », 5 juin 2011
[3] In « El Pais », 25 janvier 2016
[4] In « El pais », 4 décembre 2016, réponse à Luis R. Aizpeolea
[5] In « El Pais, 4 décembre 2016
[6] Voir, entretien accordé au quotidien « El Pais », 3 octobre 2014
[7] In « El Pais », 2 janvier 2017
[8] Euskobarómetro, sondage sur le sentiment indépendantiste
[9] Déclaration faite le 19 décembre 2016

Succès des Marches des femmes: « Trump risque d’être pris à son propre piège »

Mon, 23/01/2017 - 18:52

Ces manifestations vous ont-elles surprise?

Non, elles ne sont pas surprenantes compte tenu des propos extrêmement choquants tenus par Donald Trump à propos des femmes pendant toute sa campagne, mais aussi du programme très rétrograde et ultra conservateur de son vice-président et de son gouvernement concernant leurs droits, comme la remise en cause de l’avortement ou l’arrêt des subventions au planning familial.
En revanche, l’ampleur de cette mobilisation est surprenante, notamment aux Etats-Unis avec deux millions de manifestants à travers le pays et à l’étranger: 100 000 manifestants à Londres, des milliers à Paris.

Ces mouvements pourraient-ils converger?

Non, je ne pense pas. En réalité, le 21 janvier se situe à la veille de la journée des manifestations anti-avortement qui ont lieu chaque année pour protester contre l’arrêt de 1973 de la Cour suprême sur l’avortement aux Etats-Unis. Et s’il est vrai que dans tous ces pays il y a une tentation de revenir en arrière, comme en France avec François Fillon et sa politique familiale ultra-conservatrice, sa proximité avec Sens commun et la Manif pour tous, ou en Angleterre avec le Brexit, il reste très compliqué de se fédérer au niveau international.
Mais, ce qui est intéressant est que les réseaux sociaux alimentent l’existence d’une communauté qui lutte pour les droits des femmes. Ainsi, ces manifestations construisent une dynamique et envoient un message à tous les gouvernements occidentaux qui dit: « Nous restons vigilants ».

L’élection de Donald Trump peut-elle favoriser une convergence des mouvements féministes américains?

Cette élection bouleverse tout le militantisme aux Etats-Unis. Pour le mouvement féministe, elle est en particulier l’occasion de lever certaines contradictions. Car outre-Atlantique, surtout avec la campagne d’Hillary Clinton, ce mouvement est souvent associé aux femmes blanches issues des classes aisées. Du coup, pour certains, il ne prendrait pas suffisamment en compte les inégalités raciales et sociales.
Une partie du mouvement féministe américain est également vu comme très démodé par la jeunesse: il ne se préoccuperait pas des questions environnementales, internationales et des jeunes justement. Les mobilisations de samedi sont donc l’occasion pour le parti démocrate de se mettre à jour et pour tous les mouvements féministes de se fédérer.

Ces mouvements féministes pourraient-ils se rapprocher d’autres combats aux Etats-Unis?

Oui tout à fait, comme avec Black Lives Matter, ce mouvement de la jeunesse afro-américaine qui combat le racisme envers les Noirs. Cette jeune génération de militants pourrait trouver un terrain d’entente avec les militants féministes.
Ce qui est certain, c’est que les manifestations de samedi ont réuni des citoyens de tous âges, des militants des années 1960 comme des jeunes, de toutes les communautés, blanche, afro-américaine, asio-américaine ou hispanique, et de toutes les classes sociales. Les manifestants ont trouvé un ennemi commun: Donald Trump.
Donc cela peut être une force, notamment pour le parti démocrate s’il réussit à renouveler son logiciel sur les combats féministes. Pour Donald Trump, le risque est qu’il soit pris à son propre piège. Lui qui promet de rompre avec la démocratie indirecte et de donner le pouvoir au peuple pourrait être déstabilisé s’il méprise trop ces mouvements populaires.

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