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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 2 weeks 4 days ago

Guatemala : les enjeux d’une élection en Amérique centrale

Wed, 21/06/2023 - 17:29

Le 25 juin prochain, la population guatémaltèque est appelée aux urnes pour élire son ou sa prochain.e chef d’État et vice-président.e, les 160 membres du Congrès, plus de 300 maires, ainsi que 20 élus du Parlement centraméricain. Dans le cas où aucun des candidats pour la présidence n’obtient la majorité absolue au premier tour, un deuxième sera organisé le 20 août. Une conclusion au premier tour reste virtuellement impossible avec plus de vingt candidats en lice. Ces élections au sein du pays le plus peuplé d’Amérique centrale (17,8 millions d’habitants) ont lieu dans un contexte social de défiance envers le régime et les institutions. Cela s’explique notamment par de très nombreux cas de corruption des élites dirigeantes, et par un glissement du pouvoir actuel, incarné par Alejandro Giammattei depuis 2020, vers un régime de plus en plus autoritaire, voire considéré autocratique pour certains. Cette situation se traduit par un sentiment de rejet et de lassitude partagé. En effet, sur un corps électoral de près de 9 millions d’habitants, presque un tiers d’entre eux ne se sont pas inscrits sur les listes électorales.

Malgré le fait que l’économie du Guatemala soit la première de la région (86 milliards de dollars de PIB en 2020), c’est également une des plus inégalitaires avec 60% de la population vivant sous le seuil de pauvreté et 56% concernée par des phénomènes d’insécurité alimentaire. Les populations indigènes, qui représentent près de 45% de la population totale (le taux le plus haut d’Amérique centrale) sont les plus touchées. Les gouvernements successifs ont historiquement toujours rechigné à investir dans des projets d’infrastructures et de développement pourtant indispensables. La crise sanitaire du Covid-19 a fait chuter le PIB d’un point et demi, mais le Guatemala a fait preuve de résilience et l’économie a enregistré une croissance du PIB de respectivement 8% et 4% en 2021 et 2022. Cela s’explique en partie par la stabilité des secteurs exportateurs pendant la crise, notamment de matières premières telles que des produits agricoles (bananes, canne à sucre, café) ; mais aussi produits chimiques et textiles. La reprise de l’économie nord-américaine a également joué un rôle dans la résilience de celle du pays, en favorisant l’augmentation des envois de fonds (remesas) des diasporas à l’étranger, notamment depuis les États-Unis où vivent 3 millions de Guatémaltèques. Ces « remesas » représentent plus de 15% du PIB du pays. De par ses relations historiques et actuelles avec les États-Unis, le Guatemala est un des seuls pays de la région à prendre une position pro-occidentale sur la scène internationale. Il s’agit de l’un des derniers pays centre-américains à reconnaître la souveraineté de Taiwan, et sur la question de la guerre en Ukraine, Alejandro Giammattei est le seul président de toute l’Amérique latine à avoir explicitement soutenu Kiev en se rendant à la rencontre du président Zelensky dans la capitale ukrainienne en 2022.

Les Guatémaltèques auront, lors du premier tour de l’élection présidentielle, le choix parmi plus de 20 candidats. Cependant, le Tribunal suprême électoral a d’ores et déjà écarté trois d’entre eux de la course pour des raisons d’ordre juridique qui ont été contestées avec véhémence par les principaux concernés. La plupart des analystes politiques jugent que ces décisions constituent un « simulacre de démocratie » et s’inquiètent de la dégradation de l’État de droit au Guatemala.

Le premier candidat à avoir vu sa candidature refusée par l’instance électorale est Roberto Arzu, membre du parti politique Podemos (droite). Thelma Cabrera (Movimiento para la Liberación de los Pueblos, gauche), issue des peuples autochtones mayas, s’est également vue dénier la possibilité de joindre la liste de candidats. Son colistier Jordan Rodas, ancien procureur spécialiste des droits humains, fait l’objet d’une enquête suite à une plainte déposée par son successeur. Il dénonce une stratégie d’exclusion politique pour un parti d’opposition qui a une base électorale importante avec l’appui des minorités ethniques indigènes et qui est arrivé en quatrième place lors des élections précédentes. Le troisième candidat à s’être fait écarter de la course présidentielle est l’homme d’affaires Carlos Pineda et son parti Prosperidad Ciudadana (droite), favori dans les sondages avec près de 23% d’intentions de vote. Il a pareillement critiqué la décision du Tribunal suprême électoral, postant sur son compte Twitter : « La corruption a gagné, et le Guatemala a perdu ». Un ancien chef du parquet anticorruption a été arrêté le même jour que l’éviction de Carlos Pineda, remettant en cause l’impartialité des institutions accusées de garder en place un pouvoir autoritaire et corrompu.

Le Guatemala traverse depuis plus de 5 ans une crise socio-politique liée en grande partie aux nombreuses affaires de corruption au sein du gouvernement. L’expression devenue commune de “Pacte de corrompus” regroupe oligarques, hommes d’affaires et parfois même trafiquants de drogue qui s’allient afin de passer outre les institutions publiques et garantir leur immunité. En 2007, a été créée la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG), institution onusienne qui a démantelé plusieurs réseaux de corruption et qui a envoyé l’ancien président Otto Pérez Molina en prison en 2015 pour ces mêmes raisons. De grandes manifestations ont alors eu lieu dans tout le pays, donnant voix à une société civile jusqu’alors inexistante. La CICIG a été contrainte d’arrêter ses activités en 2019 sur l’ordre du président de l’époque Jimmy Morales lorsque ce dernier a fait l’objet d’une enquête liée au financement illicite de sa campagne, malgré une grande popularité au sein de la population. Sous la présidence d’Alejandro Giammattei, environ 30 juges et procureurs spécialistes de la lutte contre la corruption ont été contraints de s’exiler. De même, la liberté de la presse est mise à mal, avec nombre de journalistes enquêtant sur des scandales de corruption à répétition qui sont ensuite poursuivis en justice et parfois contraints de s’exiler. En témoigne le sort du quotidien El Periodico, symbole de la presse d’opposition, qui a dû cesser ses publications le mois dernier après de nombreuses tentatives d’intimidation et de procès politiques de la part de l’État. De nombreuses ONG, ainsi que des gouvernements, dénoncent une tentative de « criminalisation » du travail de journaliste au Guatemala. Malgré ces évictions témoignant de la détérioration des mécanismes institutionnels, d’une liberté de la presse bafouée, d’une corruption généralisée à peine dissimulée, la population guatémaltèque ne compte pas se précipiter aux urnes le 25 juin, faisant état d’un désintérêt et d’une lassitude partagée.

À la suite des trois exclusions, il reste donc 22 candidats en lice. Trois dénotent et sont placés en tête, notamment grâce à l’éviction de Carlos Pineda qui leur bénéficie en distribuant ses voix. Sandra Torres, avec son vice-président Romeo Guerra, représente le parti Union Nacional de la Esperanza se revendiquant de « centre gauche », et est considérée favorite avec 23% d’intentions de vote. Ex-première dame, ancienne épouse d’Alvaro Colom, elle a déclaré vouloir mettre en place des mesures sécuritaires similaires à celles de Nayib Bukele, président du Salvador. Le dirigeant populiste-autoritaire est devenu une figure en Amérique latine (avec un taux d’approbation situé dans son pays entre 70% et 90% selon les enquêtes) grâce à sa stratégie de répression agressive des gangs déployée depuis mars 2022. Son gouvernement a fait emprisonner plus de 68 000 personnes affiliées ou non aux réseaux de trafic salvadoriens au travers d’arrestations arbitraires, piétinant l’État de droit, et présageant un tournant vers l’autoritarisme. Sandra Torres n’est pas la seule à s’inspirer largement des méthodes Bukele : c’est également le cas de Zury Rios (Valor, extrême droite, avec comme pour colistier Héctor Cifuentes), en troisième position avec 19% d’intentions de vote, et qui, constitutionnellement, ne devrait pas être en mesure de se présenter à l’élection, étant la fille de l’ancien dictateur Efrain Rios Montt. Zury Rios a exprimé son admiration envers Bukele, promettant qu’elle lancerait au moins trois projets de construction de « méga prisons ». Entre Zury Rios et Sandra Torres se trouve Edmond Mullet avec son vice-président Max Santa Cruz (Cabal, centre droit) qui comptabilise 21% d’intentions de vote.

Il est intéressant de noter que peu d’informations relatives aux programmes des candidats sont accessibles, à la fois dans les médias, mais aussi sur les sites internet, et surtout que peu de choses différencient ces programmes. Ces derniers sont principalement axés autour de propositions sécuritaires et, curieusement, autour de la lutte contre la corruption, sans qu’ils ne parviennent à établir de véritables propositions au profit de la population. En ce qui concerne le parti sortant (Vamos, conservateur), le score du candidat, Manuel Conde, et de son colistier Luis Suarez, montre l’impopularité du gouvernement d’Alejandro Giammattei : les intentions de vote pour eux s’élèvent à peine à 4%.

C’est donc dans un contexte de fermeture de l’espace démocratique et d’atteintes à l’État de droit que vont se dérouler les élections d’ici quelques jours. L’unique possibilité de construire une force d’opposition se situe au sein de l’élection des membres du Congrès, avec une coalition de députés qui puisse être indépendante du pouvoir exécutif.

Visite d’Anthony Blinken à Pékin : une volonté d’apaisement ?

Tue, 20/06/2023 - 14:32

 

Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a effectué une visite officielle de deux jours en Chine au cours de laquelle il s’est entretenu avec le président chinois Xi Jinping le 19 juin 2023, une première depuis la visite de Mike Pompeo il y a cinq ans. Alors que les tensions se cristallisent entre les deux pays, Pékin et Washington semblent vouloir renouer le dialogue. Quels étaient les enjeux de cette rencontre bilatérale ? Comment la relation sino-américaine est-elle susceptible d’évoluer, notamment à l’aune des élections présidentielles américaines ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Asie-Pacifique.

Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken s’est rendu à Pékin pour une visite officielle de deux jours au cours de laquelle il s’est entretenu avec son homologue chinois, Qin Gang, et le président Xi Jinping. Dans quel contexte s’inscrit cette rencontre bilatérale ? Quels en étaient les enjeux ?

Le premier enjeu, qui peut paraitre simple, mais s’avère crucial, concerne la reprise du dialogue. Depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden et, plus encore, la rencontre très tendue entre Anthony Blinken et son homologue de l’époque Wang Yi à Anchorage début 2021, la relation sino-américaine s’est non seulement dégradée, mais elle s’est surtout accompagnée de critiques très vigoureuses exprimées réciproquement et à distance par les deux pays. C’est également la première visite officielle d’un secrétaire d’État américain en Chine depuis celle de Mike Pompeo en octobre 2018, il y a près de cinq ans, avant la pandémie. L’actuel locataire de Foggy Bottom devait se rendre à Pékin en début d’année, mais son déplacement fut reporté sine die en raison de la crise provoquée par l’affaire des ballons « espions » survolant le territoire américain. Pendant cette période de tensions, en particulier au cours des dernières semaines, la Chine a relancé sa diplomatie, multipliant les déplacements et les accueils d’officiels. Il était donc important pour les États-Unis de reprendre le dialogue, et de matérialiser cette visite officielle attendue.

Anthony Blinken et Xi Jinping ont déclaré avoir trouvé des « terrains d’entente ». Le gouvernement chinois a notamment assuré qu’il ne fournirait pas d’armes à la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine, selon les propos rapportés par le secrétaire d’État américain. Néanmoins, de nombreux dossiers, tels que la question taiwanaise ou la rivalité commerciale, continuent de cristalliser les tensions entre les deux puissances. Quelle voie semble emprunter la relation sino-américaine à l’issue de cette rencontre ?

Sur certains sujets, le dialogue est dans l’impasse. C’est notamment le cas de Taiwan ou des droits de l’homme en Chine. En « faisant la leçon » à Pékin lors de la rencontre d’Anchorage, Anthony Blinken avait adopté la stratégie du parler-vrai, voire du rentre-dedans, mais sans aucun espoir de succès. Cette stratégie rompait avec celle de son prédécesseur, soucieux de négocier les relations commerciales, sans évoquer les autres points de divergence. C’est cependant, précisément, sur les questions commerciales que les négociations sont possibles, et le déficit commercial américain très important en 2022, supérieur à 380 milliards de dollars, ne peut laisser insensible la Maison-Blanche. Cela ne veut pas dire que les autres points de divergence sont négligés, mais on entre dans une nouvelle séquence entre les deux pays, notamment quand on voit que Qin Gang, homologue d’Anthony Blinken depuis le début de l’année, a accepté une visite officielle à Washington, à une date qui reste à déterminer. Comme quoi la diplomatie commence, le plus simplement du monde, par la volonté de se parler. Il y a, dans cette visite d’Anthony Blinken, quelque chose de rassurant à l’heure où les apôtres de l’apocalypse sont omniprésents.

Dans quelle mesure les élections présidentielles américaines de 2024 pourraient-elles remettre en cause cette volonté de stabilisation des relations entre Pékin et Washington ?

L’inquiétude américaine liée à l’affirmation de puissance de la Chine est l’un des rares points de convergence entre Démocrates et Républicains, qui partagent depuis maintenant plus d’une décennie une sorte d’obsession chinoise. La méthode dans l’engagement vis-à-vis de Pékin peut cependant différer, comme on a pu l’observer au cours des trois dernières administrations. En d’autres termes, la nature de la rivalité sino-américaine, qui s’inscrit dans la durée, ne changera pas, quel que soit le locataire de la Maison-Blanche. En revanche, un retour des Républicains pourrait se traduire par l’amplification de l’accent mis sur l’intérêt national, et donc les relations commerciales.

MBS à Paris : les enjeux d’une visite

Tue, 20/06/2023 - 10:41

La longue visite que Mohammed Ben Salmane (MBS) – plus de 10 jours – est en train d’effectuer en France suscite des réactions nombreuses et contrastées.

Comme très souvent, on oppose à cette occasion une diplomatie morale, qui conduirait à prendre ses distances avec le prince héritier et homme fort du royaume, et realpolitik qui conduit à lui dérouler le tapis rouge. Reconnaissons au président Macron une réelle constance, il n’a jamais été question pour lui de boycotter MBS, tandis que le président Biden voulait en faire un paria. Joe Biden a bien été contraint de se rendre à Riyad pour demander au prince d’augmenter sa production pétrolière. MBS a fait exactement l’inverse quelque temps après, de surcroît en liaison avec la Russie. Mais il a également accueilli le président Volodymyr Zelensky lors d’un sommet de la ligue des États arabes alors que ce dernier faisait route pour le G7 d’Hiroshima. Et il y a eu une réconciliation historique et la réouverture des relations diplomatiques avec l’Iran sous l’égide de la Chine. Bref, MBS entend n’être plus dans une relation de dépendance unique avec les États-Unis et on peut dire que le Pacte du Quincy, établi en 1945, et selon lequel, en échange de la protection du régime saoudien, Washington obtenait un accès privilégié au pétrole saoudien, est révolu.

Emmanuel Macron estime que l’Arabie saoudite est un pays incontournable, et étant âgé de 38 ans, il est probable que MBS y soit à la tête très longtemps. Le PIB saoudien est 2 fois supérieur à celui des Émirats, 4,5 fois à celui du Qatar et se situe au 21e rang mondial.

Donc le président français clôt le chapitre de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, qui près de cinq ans plus tard, colle toujours à la réputation de MBS. Si l’on se situe sur le terrain des valeurs, on peut d’ailleurs s’étonner que la mort de ce journaliste, certes très bien introduit à Washington, compte plus que les dizaines de milliers de Yéménites qui ont été tués du fait d’opérations militaires saoudiennes.

Le prince héritier veut changer non seulement l’image de son pays, mais son pays lui-même. Il veut l’ouvrir au monde extérieur, permettre le cinéma et plus largement des loisirs autrefois interdits, donner aux femmes le droit de conduire, rendre plus attractive la vie de la jeunesse et faire de son pays une superpuissance des compétitions sportives.

Karim Benzema, Cristiano Ronaldo et bientôt d’autres vont évoluer dans le pays. Il ne s’agit pas seulement d’accueillir des vedettes vieillissantes, mais de constituer un championnat national réellement compétitif. L’Arabie saoudite organise par ailleurs le rallye Dakar et a réunifié sous son égide le golf mondial.

S’il a échoué à faire venir Léo Messi et ses 7 ballons d’or, ce dernier sert quand même d’Ambassadeur pour le développement du tourisme en Arabie saoudite – dont MBS voudrait qu’il se développe en dehors du seul tourisme religieux. Le pays va créer une nouvelle compagnie aérienne qui vise 30 millions de passagers et 100 destinations d’ici 2030.

Riyad est par ailleurs candidate à l’organisation de l’exposition universelle de 2030 et probablement à la Coupe du monde de football après avoir vu l’engouement suscité par l’édition 2022 au Qatar.

Au-delà du sport washing et de la nécessité de corriger l’image du pays, il y a une réelle volonté de préparer l’après-pétrole toujours à l’horizon 2030.

Il s’agit également de mettre au travail une population habituée à la rente. Il est donc à la fois modernisateur et répressif, n’acceptant pas que l’on se mette sur son chemin.

Grâce à l’augmentation des prix de l’énergie, MBS dispose d’importantes réserves financières. De quoi organiser un clientélisme et attirer des soutiens.

Derrière le salon du Bourget, le discret mais impitoyable bras de fer engagé par Emmanuel Macron avec l’Allemagne

Tue, 20/06/2023 - 09:20

Le salon du Bourget, qui débutait ce lundi, a été l’occasion, pour Emmanuel Macron de faire le tour de tout ou partie des stands installés. C’est aussi le cadre d’un évènement plus discret mais pas moins important : un bras de fer, qui oppose la France à l’Allemagne sur la question de la défense européenne. Olaf Scholz milite pour la création d’un plan de défense aérienne ainsi qu’un système anti-missile, projet que la France ne semble pas embrasser. Comment expliquer cette différence d’approche ?

Les Français, en coopération avec d’autres dont les Italiens, ont déjà des systèmes de défense anti-missiles. Ces projets n’ont pas tous abouti, pour certains d’entre eux, ils sont encore en devenir. Les Allemands, pour leur part, veulent un système neuf, dont on ne connaît pas encore les modalités exactes ou les contours. N’oublions pas non plus qu’il existe des systèmes de défense américains qui intéressent de nombreux pays de l’Union européenne.

Il y a, de fait, une compétition entre Allemagne et France en matière de défense aérienne. Les Allemands cherchent à prendre la tête sur ce sujet, comme ils essaient d’ailleurs de le faire sur le projet MGCS, un char de guerre franco-allemand. C’est pourquoi les gouvernants allemands ont décidé de consacrer énormément d’argent, dans les quelques années à venir, pour moderniser leur défense. Concrètement, cela veut dire qu’ils achètent beaucoup de matériel militaire, ce sur quoi ils communiquent très peu.

En Allemagne, l’achat de matériel militaire en collaboration avec l’industrie s’est imposé comme une priorité. Nous sommes donc dans un système où c’est l’industrie qui est privilégiée, ce qui ravive ce genre de compétitions autant que cela ne pousse à oublier les tentatives de travail à échelle européenne.

A quel point les deux pays sont-ils engagés dans un bras de fer sur ce sujet ? Comment cela se traduit-il dans les actes et dans les mots ?

Pour le moment, il y a d’un côté un ensemble qui veut poursuivre ce qui a déjà été initié (et qui est d’ailleurs basé sur le système français) et de l’autre il y a l’Allemagne qui souhaite un système nouveau, dont elle pourrait prendre le leadership.

Il n’est pas exagéré de parler parler de bras de fer entre la France et l’Allemagne sur ces questions. Chacun des projets, il faut bien l’avouer, présente des avantages : celui envisagé par l’Allemagne est plus moderne. Celui prôné par la France a fait montre de ses capacités et peut s’enorgueillir d’une certaine expérience.

Emmanuel Macron, sans critiquer trop durement le projet (intitulé Sky Shield), n’a pas manqué de pointer du doigt sa dépendance prononcée sur des armes et des équipements manufacturés en dehors de l’Union européenne. Est-ce réellement un problème, selon vous ? 

On parle beaucoup, ces derniers temps, de “défense européenne” mais aussi d’armée européenne ou d’équipement européen.

Hélas, nombreux sont ceux qui ont visiblement oublié qu’avant d’en arriver là, il faut déjà mettre en place une politique étrangère commune. Or, cette dernière est tout à fait absente des discours : c’est la grande oubliée du moment. Dès lors, quiconque parle d’armée européenne sans aborder ce sujet montre qu’il ignore les bases et c’est relativement grave.

Ceci étant dit, on peut s’interroger sur les raisons qui poussent à ce désaccord. La France prône une certaine souveraineté européenne, notamment parce qu’elle bénéficie de quelques pépites qui lui permettent pratiquement de se développer seule. Certaines études, menées il y a quelques années, montrent bien que l’Hexagone est en mesure de produire un successeur au Rafale à l’aide de la Grande-Bretagne et de la Suède. Ce serait alors un projet très indépendant, sur le plan européen.

Mais nous sommes sortis de cette vision-là aujourd’hui ; en témoigne le récent accord signé concernant un potentiel nouvel avion de combat européen. La principale préoccupation d’un partenaire comme l’Allemagne ne porte pas sur les performances de la machine mais bien sur le pourcentage qu’elle touchera du budget total. Les vrais problèmes de maîtrise d’ouvrage, de compétences… tout ça n’est évoqué que de manière très anecdotique. C’est un schéma assez catastrophique.

Dans quelle mesure cela pourrait-il influencer le degré d’efficacité du projet ? Particulièrement si l’on se repose essentiellement sur des armes étrangères ?

Pour le moment, il n’est à priori pas question de se reposer sur des armes étrangères. Quel que soit le système proposé, il est supposé s’appuyer sur de l’équipement européen. Il est évident que, pour un certain nombre d’entre nous, il est difficile d’admettre que l’autonomie complète de pays relativement petits (comme la France ou l’Allemagne, en l’occurrence) est impossible dans le domaine de l’armement. Si l’on souhaite être exportateurs, il faut aussi importer.

Dès lors, il est évident qu’il y aura partages et coopérations à réaliser. Ces dernières, quand elles sont bien faites, peuvent donner naissance à des produits assez efficaces, comme c’est le cas du Jaguar ou de l’Alpha Jet. En revanche, les coopérations qui sont dirigées par des financiers et des industriels ; lesquels n’écoutent pas les militaires… C’est l’assurance d’un projet comparable à l’A400M : coûteux et pas nécessairement plus efficace.

La question de la défense est-elle une question industrielle ? Ou relève-t-elle d’autres considérations ?

Selon moi, la défense c’est avant tout l’outil de la souveraineté nationale (ou fédérale, c’est selon). Dans le cadre de l’Europe, cela implique une gouvernance et une politique étrangère commune, rappelons-le. Ensuite, il y a un outil militaire à qui on donne suffisamment de moyens. Commencer par discuter des moyens et ensuite, éventuellement, de l’outil militaire, en oubliant la politique étrangère commune… c’est mettre le char avant les bœufs.

Quand l’OTAN prend le contrôle, les choses se passent correctement. Quand il s’agit de coalitions temporaires ou des alliances de circonstances comme au Sahel, on se retrouve généralement avec une incohérence totale.

Qui de la France ou de l’Allemagne semble retirer le plus de gains de ce bras de fer, selon vous ?

Pour le moment, c’est difficile à dire. Il faudra attendre de savoir quel sera le projet finalement retenu. Aboutira-t-on à un seul système utilisé par tous les Européens ou y en aura-t-il plusieurs qui fonctionnent en parallèle, comme cela a longtemps été le cas ? Nous sommes capables de faire chacun de notre côté, au détriment de la cohérence, ou au contraire trouver un commun accord sur le domaine de la défense aérienne, par exemple.

Propos recueillis par Atlantico.

Donald Trump et Kim Jong-un : 5 ans après la rencontre, quel bilan ?

Mon, 19/06/2023 - 12:35

Il y a 5 ans, le 12 juin 2018, Donald Trump et Kim Jong-un se sont réunis sur l’île de Sentosa pour signer la déclaration de Singapour visant à établir une pacification de la péninsule coréenne et une dénucléarisation de la Corée du Nord. Un événement qualifié d’historique à cette période puisqu’il s’agissait de la première rencontre entre un président états-uniens et son homologue nord-coréen. Que reste-t-il de cette rencontre ? Quelles en étaient les conditions ? En quoi constitue-t-elle un échec ? Directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Asie-Pacifique, Barthélémy Courmont vous donne régulièrement rendez-vous pour ses « Chroniques asiatiques ».

J’ai lu… « L’humiliation », ouvrage d’Étienne de Gail

Mon, 19/06/2023 - 12:13

Du conflit russo-ukrainien à la relation franco-allemande, en passant par les tensions au Moyen-Orient, les relations internationales sont marquées par l’humiliation, « passion de la revanche », selon Étienne de Gail. Cette dernière peut passer par la violence, le sentiment d’influence, ou encore la sublimation. Pour comprendre la géopolitique sous le prisme des passions, Pascal Boniface échange avec Étienne de Gail autour de son ouvrage « L’humiliation » publié aux éditions Bouquin. Étienne de Gail est analyste en géopolitique et chef de cabinet d’Hubert Védrine.

« Le mal algérien » – 4 questions à Jean-Louis Levet et Paul Tolila

Mon, 19/06/2023 - 10:58

Spécialistes de la société et du pouvoir algériens, Jean-Louis Levet et Paul Tolila répondent à mes questions à l’occasion de la parution de leur ouvrage « Le mal algérien » aux éditions Bouquins.

1/ Le Hirak est-il en fin de course ?

Le Hirak s’est arrêté sous les menaces conjuguées de la Covid et de la répression d’État ; sa propre logique protestataire (méfiance des leaders, rejet de l’organisation partisane) constituait son talon d’Achille face à un pouvoir prétorien souligné par l’omniprésence médiatique du chef de l’État-Major de l’époque, Gaïd Salah. On peut risquer ici une analyse en termes structurels et conjoncturels : dans les profondeurs socio-politiques de l’Algérie, toutes les causes structurelles du Hirak demeurent actives, mais la conjoncture qui a provoqué son déclenchement (pouvoir « bouteflikien » affaibli, désordre des clans au pouvoir face à la nécessaire transition, invraisemblable projet de 5e mandat) a, elle, disparu. Comme le mouvement des Gilets jaunes en France, le Hirak ne reviendra sans doute pas sous sa forme connue. Mais il a été un moment d’apprentissage des deux côtés dans l’affrontement « gouvernants/gouvernés » : les pouvoirs ont eu des sueurs froides dans cette alerte et les revendications populaires ont fait l’expérience de leur force, mais aussi de l’absence d’un horizon politique organisé.

Une situation qui ne sera pas sans conséquences sur la prudence et les pratiques répressives des gouvernants algériens ni, on peut le penser, sur l’évolution future des contestations. Dans un pays sans État de droit ni tradition démocratique, toute capitalisation politique est utile : « l’ancien Hirak » est peut-être en fin de course, mais celui à venir pourrait emprunter des chemins aujourd’hui insoupçonnés.

2/ Quelles perspectives pour la jeunesse algérienne ?

Si la jeunesse est l’avenir de toute nation, celle d’Algérie ne bénéficie d’aucune perspective prometteuse. Rien pour elle dans un État où les libertés fondamentales reculent et où l’économie et le marché du travail sont atones. Diplômés ou non diplômés, les jeunes vivent une situation difficile faite de débrouille, de petits boulots et, souvent, de marginalisation. Quitter le pays devient pour beaucoup une obsession que les gouvernements ne font pas grand-chose pour contredire.

De la fin des années 1970 à aujourd’hui, l’Algérie a fait exactement le chemin inverse de celui effectué par les pays émergents. Le pays cumule à la fois une montée vertigineuse de l’économie clandestine (34% du PIB en 2000, entre 50 et 70% aujourd’hui selon les estimations) au sein de laquelle une contrefaçon de masse (30% de la totalité des produits vendus dans le pays dont 70% sont importés de Chine) empêche les entreprises de se développer, de créer des emplois de qualité et favorise les trafics en tout genre pour le plus grand profit des importateurs en osmose avec le pouvoir ;  une désindustrialisation massive (de 35% du PIB à la fin des années 80 à moins de 5% depuis 2015) entraînant un recentrage encore plus marqué sur les hydrocarbures et les produits miniers, au lieu de la diversification tant prônée par tous les gouvernements successifs ; enfin, une dé-agriculturisation continue : la production agricole assurait 93% des besoins nationaux dans les années 1970 ; aujourd’hui le pays importe 50% de ses besoins alimentaires.

Un pareil contexte ne favorise ni l’entrepreneuriat des jeunes, ni leur formation utile, ni même un emploi peu qualifié dans le secteur du bâtiment où les travailleurs – corruption oblige – sont massivement « importés ».

3/ Les femmes peuvent faire bouger les choses ?

Avec les jeunes, les femmes sont à la fois les victimes de cette situation et les atouts de demain du pays.

Victimes, car elles sont confrontées à une discrimination tant sociale (17,7% seulement des femmes en 2011 dans la population active[1]) que légale avec un code de la famille qui établit en 1984 (et modifié à la marge en 2005) la supériorité des hommes en plaçant les femmes sous la tutelle du père ou du mari.

Atout, car dans leur ensemble elles mènent un long combat pour leur émancipation. À commencer dans leurs études et à l’université où elles trustent les premières places des promotions successives. Nous y avons constaté une soif d’apprendre, une curiosité intellectuelle forte et une envie de progresser incroyable. Elles font d’autant plus preuve de courage que dans cette société de plus en plus fragile, l’islamisme ne fait que progresser, avec l’appui tacite des autorités. En tant que système de normes conservatrices, il a pénétré en profondeur la société algérienne. Comme nous le glissait à l’oreille une jeune professeure à la fin d’une conférence-débat, « derrière une femme voilée, il y a toujours un homme ». Nombreuses aussi sont les initiatives prises par les femmes pour affirmer leur existence par rapport à la domination masculine qui instrumentalise la culture traditionnelle et la religion. En témoigne la création de nombreuses associations dans les domaines culturel, social et économique. Enfin dans le Hirak leur engagement a été d’autant plus fort qu’il rassemblait toutes les générations : les filles connaissant les combats de leurs aînées, leurs déceptions, leurs frustrations. Comme dans tout le Maghreb, les femmes sont un atout formidable pour l’Algérie de demain.

Une condition : un régime politique moins étouffant.

4/ France/Algérie, éternelles querelles et réconciliations ?

Oui, la relation France/Algérie ressemble à un cercle vicieux. Les deux pays tournent en rond dans un étrange ballet d’accusations et d’embrassades qui pourrait sembler drôle si, à la fin, il n’en devenait pas ridicule, voire sinistre. Il est ridicule de voir deux pays qui ont tout pour s’entendre et se comprendre, jouer ce jeu pernicieux de la dispute récurrente et il est sinistre de voir à quel point les deux États se sont annexés les questions d’histoire et de mémoire pour des motifs peu respectables. Ici et là-bas cette situation répond à des impératifs politiques intérieurs dissymétriques, mais convergents : marketing politique en France, fuite en avant nationaliste en Algérie. Or la France peut difficilement ignorer les hydrocarbures algériens, et surtout un ensoleillement exceptionnel pour l’énergie solaire (3500 heures par an contre 1500 en France) ni la situation géostratégique de l’Algérie en Afrique ; de son côté l’Algérie ne peut se passer des flux économiques avec l’Europe et la France ni des travailleurs expatriés qui réduisent son taux de chômage et transfèrent leurs salaires. Même dans une pure logique d’intérêts bien compris, il faudrait arrêter le cercle vicieux. Le problème le plus sensible est, bien sûr, l’instrumentalisation des mémoires et, là, il faut reconnaître que c’est du côté algérien que le bât blesse. L’Algérie est allée très loin en accusant la France de génocide, en l’assimilant aux pratiques nazies ; on enseigne cela à l’école et les islamistes font leur miel de ces contre-vérités. Tant que les deux États ne réfrèneront pas leurs appétits pour la manipulation historique, on risque de croupir dans cette pantalonnade d’indignations surjouées et de réconciliations factices. Le peuvent-ils ? Les deux peuples l’attendent. On ne peut qu’espérer…

 

[1] Étude de l’OIT, « Algérie, la fierté des femmes qui travaillent », 16 janvier 2014.

Salon du Bourget : entre compétition transatlantique et…querelles européennes

Fri, 16/06/2023 - 16:15

Une compétition transatlantique encore plus âpre

Le salon du Bourget qui s’ouvrira le lundi 19 juin sera comme à l’habitude une vitrine de la compétition transatlantique dans le domaine aéronautique. Dans le domaine de l’aviation commerciale, on s’interrogera sur le nombre d’avions vendus par Boeing, combien d’avions vendus par Airbus : la traditionnelle compétition Europe/États-Unis.

Mais avec le conflit en Ukraine, cette compétition a pris une autre dimension dans le domaine militaire. L’enjeu est pour le moment limité : l’arme aérienne n’est pas celle qui est la plus utilisée dans le conflit ukrainien hormis l’exception notable des drones de tous types – reconnaissance, drones armés – et de toute taille. Pour autant, dans le domaine des avions de combat, les pays d’Europe centrale ont déjà fourni les avions qu’ils détenaient encore de l’époque soviétique, Mig-29 slovaques et polonais, et le débat sur la livraison de F-16 à l’Ukraine est aujourd’hui sur la table : ce n’est plus un tabou. La formation des pilotes ukrainiens, déjà annoncée par un certain nombre de pays, y compris la France, précédera sans doute la livraison de ces avions à l’Ukraine, les Pays-Bas apparaissant les premiers en lice, leurs exemplaires de F-16 étant en cours de remplacement par des F-35 américains. Dans ce cas, la prééminence américaine apparait claire, mais elle n’est, au fond, pas nouvelle. Les pays européens susceptibles de livrer des F-16 sont des pays ayant déjà acquis avant la guerre en Ukraine des F-35 destinés à les remplacer. Le mouvement qui se met en place dans les pays d’Europe centrale et sur le flanc sud-est de l’OTAN est et sera sans doute plus au détriment des Européens. Les Polonais, qui ont livré leur Mig-29 à l’Ukraine, ont déjà acquis des F-35. Quant aux Roumains, ils sont en train de mettre au rebus leurs vieux Mig-21 soviétiques pour acquérir des F-16 norvégiens un peu moins vieux, les Norvégiens faisant l’acquisition de F-35 américains tout neufs : la boucle est bouclée. Elle est assez significative du triptyque positif qui accompagne l’offre américaine : garantie de sécurité américaine/interopérabilité dans l’OTAN/charges de travail offerte à l’industrie locale en cas d’acquisitions d’avions américains. Pour le moment, ces arguments de vente fonctionnent même si on peut avoir certains doutes sur la pérennité et l’ampleur de la garantie de sécurité américaine dans le futur, y compris proche, et sur l’absence de transfert de technologie en cas de ventes d’avions de combat américains qui, bien loin de renforcer la capacité des Européens à assurer leur sécurité sur le long terme l’affaiblit.

Qui ne doit pas masquer les querelles européennes

Paradoxalement, alors même que les yeux seront tournés vers le Bourget pour scruter l’avenir de l’industrie de défense européenne, c’est à Bruxelles que s’est engagé un bras de fer qui pourrait bien conditionner l’avenir de l’industrie de défense européenne.

Tout est parti de l’initiative européenne lancée pour fournir des munitions à l’Ukraine. Cette initiative comprend 3 volets. Le premier consiste dans le financement de munitions à l’Ukraine pour une valeur d’un milliard d’euros. Le second volet consiste dans le financement d’acquisition en commun de ces mêmes munitions pour reconstituer les stocks de munitions de l’Union européenne. Dans les deux cas, l’argent vient de la facilité européenne de paix, c’est-à-dire un fonds européen constitué de contributions nationales. Ainsi, la France contribue à hauteur de 18% à la facilité européenne de paix.

Mais le volet le plus novateur est le 3e, celui qui doit permettre de financer la remontée en puissance de l’industrie munitionnaire européenne. Ce volet 3, à la différence des deux premiers, est géré par la Commission européenne avec un projet de règlement communautaire intitulée Act in Support of Ammunition Production[1], soit le sigle ASAP, clin d’œil à l’expression britannique as soon as possible. Il faut faire vite pour venir en aide à l’industrie de défense européenne pour soutenir un rythme de fabrication des munitions bien supérieur à ce qui existait. Mais à la différence des deux premiers volets, c’est de l’argent prélevé sur le budget communautaire et non sur un fonds auquel les États membres contribuent.

L’initiative est à la fois novatrice et louable pour 3 raisons.

Elle inscrit l’Union européenne dans une démarche de politique industrielle de défense qui constitue un revirement à 180° pour une institution dont la réputation était d’être ultralibérale basée sur une compétition à tout prix qui ne peut s’appliquer, tout au moins en totalité, à une industrie dont l’objectif est celui d’assurer la sécurité des États et des citoyens.

Elle constitue un formidable incitateur à ce que les Européens prennent mieux en compte leur sécurité en reposant plus sur leur industrie de défense en étant moins dépendant des industries des pays tiers, à commencer par l’industrie américaine. Politiquement parlant, ASAP, c’est le rêve de ceux qui veulent construire une autonomie stratégique européenne, donc celui de la France.

Elle oblige les Européens à réfléchir collectivement à leur sécurité et non plus sur une base nationale qui est inadaptée aux défis de sécurité auxquels sas habitants font face.

Mais les crédits sont communautaires et c’est là que le bât blesse. Sans entrer dans les détails longs et fastidieux pour expliquer les articles 13 et 14 du projet de règlement communautaire, la commission a cherché à faire au mieux pour que les crédits communautaires soient dépensés de la manière la plus rationnelle possible, car elle est garante de la bonne utilisation des crédits communautaires.

Pour ce faire, la Commission européenne demande que les entreprises fournissent à la commission toutes leurs données sur leurs capacités de production de munition : c’est l’article 13. Allant plus loin, la commission peut demander à une entreprise de fournir en priorité des produits de défense si un État éprouve des difficultés à faire les acquisitions de munitions destinées à l’Ukraine : c’est l’article 14. Dans les deux cas, l’État doit donner son agrément à la commission pour mettre en œuvre les dispositions de l’article 13 et de l’article 14.

De ce fait, pour nombre d’États dont la France, et pour les entreprises de défense, la Commission européenne a franchi deux lignes rouges. Ces dispositions conduisent en effet la Commission européenne à se substituer aux États pour faire de la politique industrielle de défense. Elle demande par ailleurs à des entreprises qui sont en compétition sur les marchés de défense de fournir des données sur leur capacité de production qui sont des informations commerciales sensibles.

C’est donc une révolution copernicienne dans la répartition des compétences entre l’Union européenne et les États en matière de politique industrielle de défense qui est en jeu au détour de ces deux articles. Pour le moment, l’opposition est frontale. Nombre d’États, dont la France, souhaitent la suppression pure et simple de ces deux articles.

Le risque dans ce débat qui doit être tranché en moins de 15 jours est que l’on prenne des décisions extrêmes dans un sens ou dans un autre sur un texte dont l’enjeu en lui-même n’est pas d’une importance stratégique, mais dont l’issue pourrait conditionner la vision que l’on a de l’industrie européenne de défense et plus largement de l’Europe de la défense dans les 50 ans à venir. La France dans ce débat n’a pas intérêt à s’opposer purement et simplement à ces deux articles d’une part parce que notre pays est le fer de lance du projet d’autonomie stratégique européenne. Or, le projet de la Commission européenne est en parfaite cohérence avec cet objectif. Et, d’autre part, parce qu’elle doit se démarquer d’une Allemagne dont on voit bien dans la récente stratégie de défense qu’elle prend ses distances avec le projet européen.

La Commission européenne doit de son côté comprendre les réticences des États. On ne peut pas, au nom d’arguments techniques, bouleverser du jour au lendemain l’équilibre institutionnel sur un sujet aussi stratégique.

En d’autres termes, un accord doit être trouvé : il ne peut y avoir ni vainqueur ni vaincu dans ce dossier : le débat que vient d’ouvrir la commission est légitime, car il se fait au profit du développement d’une autonomie stratégique européenne, mais ce serait une erreur si la commission faisait adopter ce règlement contre l’avis des États.

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[1] Defence: €500 million and new measures to urgently boost EU defence industry capacities in ammunition production.

« La république autoritaire » – 4 questions à Haoues Seniguer

Fri, 16/06/2023 - 11:40

Politiste, spécialiste de l’islamisme marocain et des rapports entre islam et politique en France, Haoues Seniguer répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « La république autoritaire » aux éditions Le Bord de l’eau.

1/ Vous dites être devenu progressivement maghrébin et musulman par et dans le regard de l’autre…

En effet. Dans le préambule de l’ouvrage, je tente de rendre compte à la fois d’un aspect philosophique et socio-biographique, à dimension réflexive, qui caractérise mon écriture, à l’intérieur d’une démarche sociologique plus large.  Je joue volontairement sur un paradoxe ontologique, qui a trait à l’identité personnelle. (On est autant ce que le regard de l’autre porte sur nous que celui que l’on porte à soi-même). Laquelle travaille n’importe quel individu, et plus encore celui qui a des origines africaines, maghrébines, et est de surcroît de confession musulmane : on peut, au gré de son itinéraire, de ses rencontres, etc., être et aspirer à être autre chose, jamais totalement le même ni complètement différent de ce que l’on est ou a pu être au cours d’un parcours de vie. On peut être quelqu’un à un moment donné, sous un certain aspect, dans un espace déterminé, et (aspirer à) être, devenir quelqu’un d’autre, en d’autres lieux, à d’autres moments de son histoire personnelle, de ses interactions. Or ces variations, l’islamophobe ou le raciste les lui refuse.

Plus précisément, comment devenir ce que je n’ai cessé d’être, à savoir musulman et d’origine algérienne ? Ce peut paraître étonnant pour la religion, qui relève a priori d’un choix, mais pas complètement selon moi (je m’en expliquerai par la suite), et nettement moins s’agissant des origines que personne ne choisit : nous sommes toutes et tous le produit d’une histoire familiale dont nous héritons, que nous pouvons réinvestir et réinventer, certes, mais pas effacer.  J’ai surtout cherché à exemplifier, suivant une modalité subjective, ce que d’autres, aux origines et au parcours peu ou prou similaire au mien, expérimentent ou ont expérimenté, aisément ou plus malaisément selon les cas : être régulièrement renvoyé à ses origines et à sa religion réelles ou présumées, en raison d’un faciès, d’un nom, d’habitudes vestimentaires et alimentaires, d’un accent, d’un habitat, alors même que nous évoluons au sein d’une République supposément colorblind, c’est-à-dire aveugle aux couleurs. C’est ce que, précisément, les sociologues, à l’instar d’Erving Goffman (1922-1982), appellent le stigmate. Celui-ci agit essentiellement comme un marqueur de discrédit : on vous demandera par exemple, tandis que vous ne dites pas forcément sur un plan public que vous êtes musulman, ce que vous pensez du voile, des attentats islamistes, du halal, etc. Or, il m’est apparu nécessaire, compte tenu de mon expérience, au nom d’une double exigence citoyenne et universitaire, dans un contexte terroriste, de dire d’où je parle. Je ne me satisfaisais plus d’une posture passive et réactive, produite par des injonctions par ailleurs contradictoires proférées par un certain personnel politique, tous bords idéologiques confondus.

2/ Vous mettez en cause une certaine gauche qui connaitrait une dérive identitariste…

La Gauche, vous le savez mieux que moi, n’est pas homogène, elle n’est pas monolithique. Mais une certaine gauche, ponctuellement ou durablement, flirte ou a flirté avec le culturalisme et l’identitarisme.

Il est possible d’en donner des exemples précis, circonscrits et circonstanciés. Manuel Valls, quand il était Premier ministre, soutint le projet constitutionnel de protection de la Nation, finalement avorté, sous la férule de François Hollande président (2012-2017). Celui-ci incluait la déchéance de nationalité pour les binationaux de naissance auteurs de crimes graves, tels que les faits de terrorisme. C’était donner quitus à l’extrême droite puisque s’instaurait une différence d’appréciation entre les Français, à raison d’origines réelles ou présumées. Le Printemps républicain, co-fondé par le politiste Laurent Bouvet (1968-2021) et le préfet en disponibilité, Gilles Clavreul, ne s’est jamais exprimé à ma connaissance sur ce qui relevait d’un scandale moral et politique aux yeux d’énormément de gens, musulmans ou non.

Par ailleurs, la vision de la laïcité cultivée et promue par le Printemps républicain, qui se dit de gauche, est de nature culturaliste. Cette vision postule une exceptionnalité négative de l’islam et des musulmans qu’il faudrait en quelque sorte rééduquer pour qu’ils intériorisent vraiment un héritage laïque dont ils ne prendraient pas suffisamment la mesure.

3/ Les musulmans ne seraient selon vous acceptés qu’en faisant profil bas, sauf à être accusés d’être islamistes…

J’ai remarqué, et ce, depuis plusieurs années, et encore plus après les attentats islamistes de 2015, que toute visibilité apparente ou présumée de l’islam dans les espaces publics est immédiatement assimilée à une espèce d’activisme de type « islamiste » (adjectif complètement vidé de sa substance scientifique), et donc aussi, par voie de conséquence, à des manœuvres « entristes » ou « séparatistes » d’individus et groupes qui voudraient en découdre avec l’État et la société. Militer contre l’islamophobie peut désormais vous valoir au moins deux types possibles d’accusations suivant votre appartenance : l’accusation d’islamisme si vous êtes musulman, et/ou celle d’islamo-gauchisme si vous êtes non-musulman. Dans le pire des cas, vous risquez, si vous êtes une association, la dissolution par décret en Conseil des ministres, comme l’ont éprouvée en 2021 le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI).

4/ Pourquoi faudrait-il renouer avec l’esprit de l’École de Francfort ?

Par École de Francfort, je réfère aux deux penseurs qui en furent les piliers, à savoir Max Horkheimer (1875-1973) et Théodor Adorno (1903-1969), et à l’un de leurs héritiers, Jürgen Habermas. Ils ont jeté les bases de la Théorie critique. Pour résumer à grands traits cette pensée profuse, renouer avec l’esprit, c’est tirer enseignement de leur philosophie sans oublier le contexte qui l’a vu naître et se développer : l’antisémitisme, le traumatisme encore incandescent de la barbarie antisémite nazie et de ses complices européens. En somme, il ne suffit pas de se réclamer des Lumières, de la Raison, de l’universalisme, voire de la laïcité, pour en être d’authentiques défenseurs. Encore moins si cette proclamation ne s’accompagne pas du souci éthique permanent de l’Autre, de l’altérité, des fragilités que connaissent les groupes sociaux déclassés, minoritaires, plus ou moins stigmatisés. Une Raison sans « conscience de soi » peut alors se transformer en instrument d’exclusion, de haine, voire de barbarie. Quant à Habermas, je retiens de lui l’idée selon laquelle un État de droit démocratique, où prévaudrait un universalisme en partage, doit être le lieu où les citoyens puissent se sentir à la fois comme « les auteurs et destinataires du droit ».

Réintégration de Bachar al-Assad sur la scène internationale : quel avenir pour la Syrie ?

Fri, 16/06/2023 - 09:30

Le mois de mai 2023 a été celui de la réintégration du régime de Bachar al-Assad au sein de la Ligue arabe après une décennie d’exclusion, en atteste sa participation au sommet qui s’est déroulé le 19 mai à Djeddah en Arabie saoudite. Il avait effectivement été écarté de la scène internationale du fait de la répression des contestations politiques sur son territoire, soit la mort de centaines de milliers de civils syriens. En parallèle, l’opposition syrienne se mobilise pour tenter de rétablir un dialogue avec le régime. Que doit-on attendre du retour de Bachar al-Assad sur la scène internationale ? Les pourparlers entre Damas et l’opposition ont-ils des chances d’aboutir ? Quels sont les défis que doit relever la Syrie ? Qu’en est-il du conflit sur son territoire ? Le point avec David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste du Moyen-Orient.

Le 4 juin dernier, l’opposition syrienne a appelé à la reprise de pourparlers avec Damas, tandis que plus de 150 organisations de la société civile syrienne viennent de se réunir à Paris pour fédérer leurs voix dans les décisions touchant à l’avenir d’un pays aujourd’hui dévasté. Qu’est-ce que l’opposition syrienne aujourd’hui ? De quoi est-elle constituée ? Quel est son poids et ses soutiens ?

Effectivement, l’« opposition syrienne » a appelé à l’issue d’une réunion à Genève le 4 juin dernier, à la reprise des pourparlers avec le régime de Bachar al-Assad sous l’égide de l’ONU, dans le prolongement de la réintégration du régime de Damas dans le giron de la Ligue arabe le 7 mai 2023, après plus d’une décennie d’ostracisation depuis le 12 novembre 2011. « Les contextes internationaux, régionaux » et la situation en Syrie « sont propices à la reprise de négociations directes […] dans le cadre d’un programme et d’un calendrier précis », a ainsi estimé dans un communiqué le comité de négociations établi à Riyad le 24 novembre 2017 en succédant au haut-comité des négociations (HCN) préalablement formé également en Arabie saoudite le 10 décembre 2015. Un comité de négociations censé regrouper les principaux représentants de l’opposition au régime de Bachar al-Assad, soit 36 membres agglomérant des mouvements divers et souvent très divisés notamment sur la question de principe du maintien ou non au pouvoir de Bachar al-Assad[1].

À l’issue d’une réunion de deux jours à Genève – les sept principales composantes de ladite opposition syrienne ne s’étaient pas retrouvés depuis près de trois ans et demi – est ressorti un document commun en vertu duquel le Comité a appelé, sans grande conviction, « à soutenir les efforts des Nations unies » pour prendre les mesures nécessaires en vue d’une « solution politique globale », conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU en date du 18 décembre 2015. Prévoyant entre autres des élections censées se tenir « dans les 18 mois » sous la supervision de l’ONU ainsi qu’une « gouvernance crédible, inclusive et non sectaire » afin d’arrêter un calendrier et les modalités de rédaction pour une nouvelle constitution. Toutes choses qui n’ont jamais connu le moindre commencement de mise en œuvre. L’opposition syrienne a, de fait perdu, une grande partie du soutien dont elle bénéficiait de la part de certains pays de la région. Si le Qatar ou l’Égypte étaient représentés à Genève, ni l’Arabie saoudite, ni les Émirats arabes unis n’avaient envoyé de délégations, les deux pétromonarchies ayant désormais repris leurs relations diplomatiques avec le régime de Damas. Et même la Turquie, longtemps principal soutien des rebelles contrôlant des régions du nord de la Syrie, a également montré des signes de rapprochement avec Bachar al-Assad.

En contrepoint, quelques 150 organisations civiles syriennes se sont réunies le 7 juin 2023 à Paris pour le lancement d’une plateforme non-gouvernementale commune intitulée Madania (« société civile ») avec l’objectif déclaré de retrouver une voie autant qu’une voix pour cette société civile syrienne se voulant partie prenante de l’avenir d’un pays dévasté par plus d’une décennie de guerre. « Notre vision est de créer un mouvement civil syrien uni par des valeurs communes d’égalité, de respect des droits humains, de démocratie, et une Syrie libérée de toutes formes d’influence », a lancé à la tribune son initiateur, un riche homme d’affaires britannique d’origine syrienne, Ayman Asfari, déjà à la tête d’une fondation caritative. « Nous voulons avoir une voix forte dans le processus politique et notre objectif est de reconstruire un nouveau contrat social » a-t-il ajouté, assurant que l’objectif n’était pas de se substituer à l’opposition syrienne. « Nous ne voulons pas remplacer l’opposition, ni détruire le peu qu’il en reste, mais travailler avec elle », a-t-il encore souligné. Minée dès l’origine par ses divisions, l’opposition se retrouve néanmoins aujourd’hui en quelque sorte réduite à une « peau de chagrin ».

 

Ces pourparlers ont-ils des chances d’aboutir alors que l’on constate une normalisation et un retour de Bachar al-Assad sur la scène internationale avec notamment la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe ? Le régime de Bachar al-Assad y a-t-il un intérêt ? Où en est-on du conflit sur le terrain syrien ?

Ces demandes ont peu de chance d’aboutir dans la mesure où le régime syrien qui considère avoir gagné militairement – et maintenant politiquement avec sa réintégration officialisée au sommet de la Ligue arabe de Djeddah le 19 juin 2023 – ne va certainement pas manifester la moindre velléité de négociation d’un processus politique qui se voudrait inclusif selon les attendus, pour l’heure inaboutis, du Comité constitutionnel mis en place en 2019. Après de longues tractations entre le régime de Damas, l’opposition syrienne et l’ONU, la mise en place d’un Comité constitutionnel pour la Syrie avait été annoncée le 23 septembre 2019. Il était censé travailler à la rédaction d’une Constitution ouvrant la voie à de nouvelles élections. Au sein de ce comité comprenant 150 personnes, le régime syrien avait désigné 50 de ses membres, soit autant que l’opposition syrienne et enfin les 50 dernières personnes avaient été sélectionnées par l’ONU qui avait tenu à inclure dans sa liste des représentants de la société civile. Chargé de la rédaction de la constitution pour l’après-guerre en Syrie, ce comité devait ouvrir la voie à des élections dans le pays, alors qu’une première présidentielle, qui s’était tenue le 3 juin 2014 en pleine guerre civile, avait reconduit le président Bachar al-Assad avec une très large majorité dénuée de toute pertinence démocratique. Une autre présidentielle s’était tenue le 26 mai 2021 dans les mêmes conditions en reconduisant une nouvelle fois le reis syrien. L’idée de ce comité avait été agréée formellement en janvier 2018 sous l’impulsion tacite de la Russie, soutien du président Bachar al-Assad. Mais ce dernier, en position de force après avoir repris le contrôle de la majeure partie du territoire syrien, n’avait eu de cesse faire de l’obstruction, retardant sa formation et sa mise en place. Les discussions entre l’ONU, l’opposition syrienne et le régime de Damas ont notamment longtemps achoppé sur les procédures de fonctionnement de cette instance et sa hiérarchie avant d’arriver à l’accord annoncé fin septembre 2019. Les mois précédents, l’émissaire de l’ONU, Geir Pedersen, et le régime syrien avaient notamment bataillé ferme sur certains noms de la liste onusienne incluant des représentants de la société civile. À cette occasion, feu le chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem, avait réitéré « l’engagement de la Syrie en faveur […] du dialogue syro-syrien afin de parvenir à une solution politique […] loin de toute intervention étrangère ». Pour les Occidentaux, l’objectif dudit Comité constitutionnel devait être de parvenir à l’organisation de nouvelles élections qui soient inclusives et intègrent les millions de réfugiés qui ont fui le pays et la guerre. Mais Bachar Al-Assad a depuis fait en sorte d’hypothéquer toute révision constitutionnelle notamment susceptible d’élargir un corps électoral qui lui serait défavorable.

L’année 2023 représente néanmoins un tournant, d’abord avec les conséquences du séisme du 6 février et avec la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe décidée le 7 mai suivant. « Nous nous trouvons à un moment potentiellement important, avec une attention renouvelée sur la Syrie – en particulier de la part de la région – qui pourrait soutenir nos efforts pour faire avancer une solution politique à ce conflit », a ainsi déclaré le 27 avril dernier le Norvégien Geir O. Petersen, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie depuis le 31 octobre 2018, en remplacement de Steffan de Mistura (31 mai 2014 – 31 octobre 2018). Geir O. Pedersen a affirmé avoir poursuivi ses contacts en faveur d’un processus politique dirigé et contrôlé par les Syriens. Il a reconnu que « les Nations unies ne peuvent y parvenir seules » et qu’elles ont besoin du soutien de tous les acteurs clés. « Aucun groupe d’acteurs existant – ni les parties syriennes, ni les acteurs d’Astana[2], ni les acteurs occidentaux, ni les acteurs arabes – ne peut à lui seul apporter une solution politique », a-t-il déclaré. Selon lui, « pour résoudre chacun des innombrables problèmes de la Syrie, il faut plusieurs clés, chacune détenue par une partie prenante différente, qui ne peut être négligée et qui peut bloquer si elle est exclue ». Et d’ajouter : « Je continuerai à dialoguer directement avec les parties syriennes et à leur rappeler, en particulier à ce stade au gouvernement syrien, qu’elles doivent saisir l’occasion en étant prêtes à aller de l’avant sur les questions de fond ». Geir O. Pedersen a également souligné qu’il était prêt à faciliter le dialogue intersyrien, notamment en convoquant à nouveau le Comité constitutionnel à Genève, qui ne s’est pas réuni depuis près d’un an. Entretemps, il continue de réunir un large éventail de Syriens à Genève et dans la région, y compris des représentants des femmes et de la société civile. « Ces réunions montrent que les Syriens ont encore beaucoup de choses sur lesquelles ils peuvent s’entendre, au-delà des clivages », a-t-il insisté en comptant sur les potentiels attendus positifs d’une déconfliction régionale initiée par l’accord du 10 mars 2023 entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Le 19 mai dernier, le sommet arabe, auquel a pris officiellement part le président Bachar al-Assad, a souligné la « nécessité de prendre des mesures effectives et efficaces pour parvenir à un règlement » du conflit en Syrie qui a fait quelque 500 000 morts, 13 millions de personnes ayant dû fuir leur foyer, dont 6,6 millions étant devenus des réfugiés dans les pays limitrophes. Dans un discours devant le Conseil de sécurité fin mai, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Geir O. Pedersen, a estimé de son côté que la « nouvelle activité diplomatique » dans la région depuis avril 2023 « pourrait représenter une opportunité si elle est saisie ».

 

Si les États arabes semblent avoir mis fin à l’isolement de la Syrie, de nombreux dossiers demeurent objets de tensions : trafics de drogues, situation des réfugiés, relations avec la Turquie autour de la question kurde et la frontière turco-syrienne, etc. Des avancées sur ces dossiers vous semblent-elles réalistes ?

La Syrie de Bachar al-Assad a été réintégrée dans le giron de la Ligue arabe le 7 mai dernier, mais le processus avait été progressif. Le 18 mars 2023, Bachar al-Assad était reçu à Abu Dhabi, après l’avoir déjà été en mars 2021. Mais surtout le ministre des Affaires étrangères syrie, Faiçal al-Meqdad se rendait à Riyad le 12 avril 2023 moins d’une semaine plus tard, c’était son homologue saoudien, Fayçal Ben Fahran Al Saoud qui faisait le déplacement à Damas le 18 avril 2023. Autant de signes qui laissaient présager un rapprochement imminent. Le 1er mai 2023, une réunion à Amman en Jordanie réunissait les ministres des Affaires étrangères d’Arabie saoudite, d’Égypte, d’Irak et de Jordanie, ainsi que le ministre syrien des Affaires étrangères Fayçal al-Mekdad. L’objectif de cette réunion était de discuter des moyens de normaliser les relations avec la Syrie, dans le cadre de la mise en place d’un règlement politique de la guerre civile qui a ravagé le pays durant plus d’une décennie. Une déclaration finale à l’issue de la réunion avait précisé que les ministres avaient discuté des moyens de rapatriement volontaire des quelque 6,6 millions de réfugiés syriens, ainsi que de la coordination des efforts pour lutter contre le trafic de drogue. Selon cette même déclaration, Damas aurait accepté de « prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la contrebande aux frontières avec la Jordanie et l’Irak » et de déterminer l’origine de la production et du transport des stupéfiants dont une grande partie se ferait sous la supervision plus ou moins directe de membres de l’entourage de Bachar al-Assad. Il s’agissait d’une exigence de Riyad pour lever son veto à une réintégration du régime de Damas au sein du giron arabe et ce, d’autant plus que le royaume saoudien est le premier marché de consommation du captagon, cette amphétamine qui rapporterait à la Syrie, qui en est devenue le premier producteur mondial, entre 5 et 10 milliards par an selon les sources. Il lui permet en partie de pallier le déficit de ressources financières imputables aux sanctions qui frappent le régime de Damas. Le régime a montré par le passé – comme en novembre 2021 pour contenter les demandes expresses d’Amman qui avait rouvert son poste-frontière de Jaber-Nassib (nord-est de la Jordanie) – qu’il était en mesure de réduire drastiquement les flux, à défaut de pouvoir totalement éradiquer le trafic.

Par ailleurs, il y a évidemment la question du retour des 6,6 millions de réfugiés dont une grande partie se trouve encore en Turquie, des réfugiés que le régime de Damas ne souhaite pas vraiment le retour. C’est la raison pour laquelle le régime syrien avait promulgué le 2 avril 2018 le fameux décret n°10 facilitant l’expropriation de pans entiers du territoire syrien, en particulier dans les zones périurbaines, aujourd’hui en ruines, mais où le soulèvement anti-Assad s’était développé. Adoptée par le Parlement au nom de la reconstruction du pays, cette législation pourrait aboutir à priver des centaines de milliers de réfugiés proches de l’insurrection de toute perspective de retour et à permettre l’installation de nouveaux résidents moins suspects, notamment des chiites des milices pro-iraniennes (notamment d’origine afghane et/ou pakistanaise). Cette problématique du retour des réfugiés est l’un des éléments qui ont poussé Ankara à se rapprocher de Damas avec la perspective pour le président Erdogan, qui a mené ces dernières années plusieurs opérations militaires contre les Kurdes du nord de la Syrie – « bouclier de l’Euphrate » (août 2016-mars 2017), « Rameau d’Olivier » (janvier-mars 2018) et « Source de paix » (octobre 2019), de constituer un espace potentiel de réinstallation de ces réfugiés désormais beaucoup moins bienvenus en Turquie. Un processus de rapprochement entre ces deux ennemis jurés sur le terrain syrien avait été mis ostensiblement mis en évidence à Moscou, le 28 décembre, lors une rencontre inattendue entre les ministres de la défense syrien et turc, Ali Mahmoud Abbas et Hulusi Akar, en présence de leur homologue russe, Sergueï Choïgou. Il s’agissait alors de la première entrevue publique de ce niveau entre la Turquie et la Syrie depuis 2011, même si des contacts secrets entre les chefs des services de renseignement des deux pays avaient repris il y a près de trois ans. Une étape significative, alors que la Turquie avait été à la pointe du soutien de l’opposition armée et civile contre le régime de Bachar al-Assad, et qu’elle demeure décrite comme une « puissance occupante » par Damas, en raison de la présence de ses troupes dans le nord de la Syrie. La rencontre à Moscou avait été l’occasion d’évoquer la gestion de la longue frontière en commun, des réfugiés syriens, et des « efforts conjoints pour combattre les groupes extrémistes » selon un communiqué du ministère de la défense russe. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait multiplié les signaux d’ouverture depuis l’été en faveur d’une normalisation avec Damas par intérêt bien compris dans la perspective des élections présidentielles alors à venir pour le président Erdogan soucieux de ménager un électorat de plus en plus rétif à accepter la présence massive de réfugiés syriens en Turquie. Il faudra attendre encore un peu pour voir si les attendus positifs se concrétisent en ce qui concerne les parties prenantes des conséquences catastrophiques de la guerre civile syrienne pour la région du Proche et Moyen-Orient, voire au-delà.

 

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[1] Le Comité de négociation est composé de 36 membres issus des mouvements suivants : la Coalition nationale syrienne (CNS) disposant de 8 sièges mêlant « libéraux «  et « islamistes » ; le Comité de coordination national pour le changement démocratique (CCNCD), une formation de gauche critique de la militarisation du soulèvement, disposant de 5 sièges ; la « plateforme du Caire », disposant de 4 sièges ; la « plateforme de Moscou », disposant de 4 sièges ; les groupes de l’opposition armée, disposant de 7 sièges ; les Indépendants, disposant de 8 sièges.

[2]  Le « processus d’Astana » constitue un ensemble de rencontres multipartites entre différents acteurs étrangers de la guerre civile syrienne. L’accord d’Astana qui a été signé par la Russie, l’Iran et la Turquie portait initialement sur la création de zones de cessez-le-feu dans le pays. Le texte n’avait été ratifié ni par le régime syrien, ni par l’opposition syrienne, mais a servi de cadre pour les négociations entre les trois partenaires géopolitiques parties prenantes de la situation. Le 29 avril 2023, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Vershinine, a annoncé que la prochaine réunion d’Astana sur la Syrie se tiendrait au second semestre de cette année : « Les réunions de la formule de haut niveau d’Astana ont lieu régulièrement, et la prochaine réunion est prévue pour le second semestre de cette année, mais il n’y a pas encore de date précise », expliquant que « la formule Astana est très efficace, et dans son cadre des réunions ont eu lieu au niveau ministériel et au niveau des représentants spéciaux des pays participants. Serrgueï Vershinine avait ajouté : « Nous voyons à chaque fois que cette formule constitue un facteur important de stabilisation de la situation en ce qui concerne la résolution de la crise en Syrie et le règlement dans la région en général », notant que des développements positifs sont maintenant apparus concernant la Syrie, principalement liés au renforcement ses relations avec les autres pays de la région, ce qui est bienvenu. La 19e rencontre internationale sur la Syrie au format Astana s’est précisément tenue dans la capitale kazakhe, Astana, en novembre 2022.

 

 

 

Première stratégie de sécurité nationale allemande : quels enjeux ?

Thu, 15/06/2023 - 18:44

Près d’un an et demi après le début du conflit en Ukraine et six mois après la publication de la nouvelle Revue nationale stratégique (RNS) française, le 14 juin 2023, l’Allemagne a adopté en Conseil des ministres sa première « Stratégie de sécurité nationale ». Cette dernière fait l’objet aujourd’hui d’un débat officiel au Bundestag. Le point avec Gaspard Schnitzler, chercheur à l’IRIS et co-directeur de l’Observatoire de l’Allemagne de l’IRIS.

En quoi consiste cette « Stratégie de sécurité nationale » tant attendue outre-Rhin et pourquoi arrive-t-elle seulement maintenant ?

Annoncée dans le contrat de coalition, il s’agit d’une grande première pour l’Allemagne qui disposait jusqu’à présent de Livres blancs sur la défense (dont le dernier date de 2016), mais qui ne s’était jamais doté d’un tel document d’analyse des menaces et des priorités stratégiques depuis la création de la République fédérale en 1949.

Initialement prévue pour octobre 2022, puis annoncée pour la conférence de sécurité de Munich (MSC) en février 2023, elle aura finalement été publiée avec huit mois de retard, juste à temps pour le prochain de sommet de l’OTAN à Vilnius en juillet prochain.

Au-delà des divisions internes, notamment entre le chancelier Olaf Scholz (SPD) et sa ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Die Grünen), sur un certain nombre de sujets, ce retard est en partie dû à l’approche horizontale privilégiée par le gouvernement dans l’élaboration de cette stratégie. En effet, si la rédaction de la nouvelle stratégie de sécurité nationale allemande a été confiée au ministère des Affaires étrangères, dirigé par l’ancienne candidate à la Chancellerie Annalena Baerbock, cette dernière a fait l’objet d’une large consultation, en interne, entre la Chancellerie et les ministères concernés (affaires étrangères, défense, intérieur, économie…), comme en externe, cette dernière ayant associé parlementaires, think tanks et représentants de la société civile allemande. Il est important d’avoir à l’esprit que cette stratégie se veut avant tout un outil destiné à consolider la culture stratégique en Allemagne, ainsi que l’illustre l’engagement pris par le gouvernement de développer des échanges réguliers sur sa mise en œuvre avec le Parlement, les Länder et la population allemande.

Cette approche se démarque sensiblement de celle de la France, dont la nouvelle Revue nationale stratégique (RNS) présentée en novembre 2022, a été élaborée tambour battant, faisant l’objet de très peu de consultations externes.

 

Que faut-il retenir de ce document ?

Sous le slogan « Robustesse. Résilience. Durabilité. Une sécurité intégrée pour l’Allemagne », ce document d’une soixantaine de pages s’articule autour de deux axes majeurs : le rôle de l’Allemagne en Europe et dans le monde (1) et les piliers de la sécurité allemande (2).

Parmi les annonces phares, il convient de retenir l’inscription de l’objectif de l’OTAN de dépenses de défense équivalentes à 2% du PIB. Bien qu’ayant déjà été annoncée à l’occasion du discours d’Olaf Scholz devant le Bundestag, trois jours après l’invasion russe de l’Ukraine, son inscription dans un document aussi stratégique avait fait l’objet d’intenses débats ces derniers mois au sein de la coalition. L’annonce semble particulièrement ambitieuse, alors qu’avec 58,5Md€ de budget de défense en 2023, l’Allemagne ne dépense à ce jour qu’environ 1,4% de son PIB. Atteindre les 2% reviendrait donc à dépenser environ 84Md€, soit une hausse de 25Md€. Certes l’utilisation des crédits du fonds spécial de 100Md€ dédié à la modernisation de la Bundeswehr pourrait permettre d’y parvenir, mais impliquerait une refonte du système d’acquisitions allemand. En effet, le ministère de la Défense peine déjà à dépenser les 8,5Md€ de crédits du fonds spécial lui ayant été attribués cette année.

Une autre annonce particulièrement attendue concerne la Chine, qui est reconnue dans le document comme un « concurrent et un rival systémique ». Une affirmation atténuée dans la phrase suivante, qui précise qu’il s’agit également d’un partenaire, commercial, mais pas seulement, admettant que « de nombreux défis internationaux parmi les plus urgents ne sauraient être résolus » sans ce dernier. Pour rappel, en 2022, les exportations allemandes vers la Chine représentaient environ 100Md€ contre seulement 24Md€ pour la France. Si cette ambivalence a pu être soulignée et critiquée, elle illustre un certain pragmatisme. La stratégie que l’Allemagne entend adopter vis-à-vis de la Chine devrait être précisée dans les prochains mois, avec l’adoption d’une stratégie dédiée (China-Strategie), dont certains éléments ont déjà fuité il y a quelques semaines dans la presse outre-Rhin.

Il est intéressant également de noter l’importance accordée par le texte à la « résilience » – que ce soit en matière d’approvisionnement, d’infrastructures critiques, d’énergie ou de matières premières – et au renforcement de capacités telles que le cyber et le spatial. Conséquence directe de la crise du Covid-19 et de la guerre en Ukraine, cette prise de conscience s’inscrit dans la continuité des textes adoptés au niveau européen ces derniers mois (i.e. Communication sur les matières premières critiques, Stratégie spatiale de défense…) et traduit la volonté de l’Allemagne de se positionner sur des sujets qui jusqu’à présent restaient l’apanage de pays doté d’une véritable culture stratégique. S’ils demeurent peu développés, dans ce qui se veut être un « document-cadre », ces éléments devraient faire l’objet dans les prochains mois de stratégies dédiées.

Sur le plan capacitaire, en plein débat sur l’avenir des programmes de coopération franco-allemands (SCAF, MGCS, CIFS, Eurodrone, etc.) et sur les instruments de soutien aux acquisitions en commun et à l’industrie de défense que la Commission européenne tente de mettre en place (EDIRPA, ASAP…), le positionnement allemand demeure ambivalent. En effet, la stratégie insiste sur la détermination du gouvernement à renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) et sur la priorité donnée aux « solutions européennes » en matière d’acquisitions, deux objectifs encourageants, mais qu’il convient d’accueillir avec prudence, tant les récents choix capacitaires allemands s’en éloignent. Ce principe est d’ailleurs contrebalancé  par l’affirmation selon laquelle le « critère décisif » en matière de choix d’équipement reste « le comblement rapide de lacunes capacitaires ». Sans surprise, et conformément au contrat de coalition, la stratégie rappelle également la volonté allemande de parvenir à une harmonisation progressive du contrôle des exportations au niveau européen et de se doter d’une nouvelle législation en la matière, qui devrait être adoptée courant 2023. Il est intéressant néanmoins de noter le souci accordé à la prise en compte des exigences propres aux projets de coopération en matière d’armement, afin que ce contrôle ne dissuade pas d’éventuels partenaires de coopérer avec l’Allemagne ou d’acheter de l’équipement allemand.

Enfin, contrairement au discours de Prague d’Olaf Scholz en août 2022, qui, de façon remarquée, avait omis de mentionner la France, « l’amitié profonde » entre les deux voisins et leur « rôle moteur » en Europe, sont cette fois-ci mentionnés à plusieurs reprises.

 

Comment cette stratégie a-t-elle été accueillie outre-Rhin ?

Très attendu, le document a reçu un accueil plutôt mitigé, notamment de la part de la presse et de l’opposition, qui lui reprochent son manque d’ambition et son caractère trop général. L’opposition (CDU/CSU) dénonce notamment une stratégie du « plus petit dénominateur commun », qui manque de substance à force de recherche de compromis. Elle regrette également deux manques : d’une part, le renoncement à la création d’un « Conseil de sécurité nationale », sur le modèle de ce qui existe aux États-Unis, pourtant annoncé dans le contrat de coalition, mais qui s’est heurté aux rivalités entre le SPD et les Verts, et d’autre part le manque de consultation des Länder dans l’élaboration du document. Par ailleurs, quelques points spécifiques, tels que l’interdiction des hack back dans le domaine cyber (une pratique qui consiste à répliquer à une cyberattaque par des mesures de représailles), ont également cristallisé une partie des critiques. Néanmoins, certains membres de l’opposition, tel le député CDU Johann David Wadephul, ont accueilli cette dernière de façon plus positive, jugeant l’analyse de la menace « pertinente », malgré un manque de propositions concrètes sur les mesures à mettre en œuvre.

En France, cette première stratégie de sécurité nationale allemande a pour l’instant suscité peu de réactions, en dehors des milieux spécialisés. Il ne fait aucun doute qu’elle devrait être scrutée de près par les acteurs de la défense, industriels et ministère des Armées en tête, qui l’attendaient avec impatience depuis plusieurs mois. La publication inédite d’une synthèse en langue française devrait faciliter sa diffusion.

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Consulter la « Stratégie de sécurité nationale » allemande en allemand et en anglais.

Une course aux armements sans ligne d’arrivée ?

Thu, 15/06/2023 - 13:13

Dans un contexte de tensions accrues en Ukraine, autour de Taïwan et dans le Golfe, l’année 2022 a vu les dépenses militaires mondiales exploser. Selon le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), elles ont atteint la somme record de 2 240 milliards de dollars l’an passé. Même des pays comme l’Allemagne et le Japon, traditionnellement réticents à l’augmentation de telles dépenses, entrent pleinement dans la course aux armements. Alors, les États ont-ils eu tort de croire dans les dividendes de la paix espérés avec la fin de la guerre froide ? Jusqu’où ira la relance des budgets de Défense ? Et jusqu’où ces hausses des dépenses seront-elles acceptées ? L’analyse de Pascal Boniface

Le Sénégal à un point de bascule. Des droits et des libertés en danger

Thu, 15/06/2023 - 11:15

Au-delà de l’affaire Sonko et des dissensions politiques, les droits humains sont plus que jamais en danger et les civils sont les premiers affectés. Malgré une récente accalmie à Dakar et dans les grandes villes du Sénégal, des violences policières, des enfermements abusifs et une restriction des libertés fondamentales, dans un contexte préélectoral, ont marqué les esprits.  

Frustration et ressentiments : une jeunesse dans la rue

Depuis les émeutes de mars 2021, les rues sont régulièrement prises d’assaut par une population excédée. Loin d’être une conjoncture politique et sociale passagère, les confrontations entre forces de l’ordre et populations civiles sont de plus en plus rapprochées et se généralisent autour d’un même schéma : une population harassée qui sort dans la rue et manifeste son mécontentement croissant et une réponse par la répression et l’usage excessif de la violence. Une frustration généralisée muselée qui s‘inscrit dans une fracture politique entre les partisans du pouvoir établi et forces de l’opposition.

Suite au verdict condamnant le leader d’opposition Ousmane Sonko pour « corruption de la jeunesse » et qui paraissait au départ pour des accusations de viol et menaces de mort, de nouvelles vagues de violence sont survenues le jeudi 1er juin 2023 avec encore une fois de nombreux affrontements entre forces de l’ordre et manifestants dans la capitale et plusieurs autres villes du Sénégal (Ziguinchor, Bignona, Saint-Louis, etc.). Ce qui est reproché, ce sont, dans un premier temps, les procédures de justice expéditive pour les opposants politiques et toutes formes de critiques du pouvoir de Macky Sall. Plus que des manifestations pro-Sonko, c’est un régime de corruption endémique et d’arrestations arbitraires qui est contesté. Les médias, les intellectuels et les associations de défenses des droits humains ont alerté sur une potentielle dérive autoritaire du Président Macky Sall et dans une stratégie de  3e mandat à l’approche des prochaines élections de 2024.

Ajoutée à cela, la situation socio-économique est préoccupante et la crise sanitaire liée au Covid-19 a significativement interrompu une forte croissance et impacté les perspectives économiques du pays. Les ménages se sont appauvris et les inégalités accrues. L’effet de la crise en Ukraine a fait grimper le prix des denrées alimentaires et des biens de première nécessité. Au niveau de l’accès à la santé, malgré de nombreux efforts, le Sénégal reste un pays où il y a un fort manque en structures adaptées et une relative insatisfaction des besoins sanitaires. Encore une grande part de la population n’a pas accès aux services sociaux de base, se retrouve dans une insécurité alimentaire et fait face à des pénuries d’eau. La jeunesse, quant à elle, est particulièrement touchée par un manque d’insertion professionnelle et d’accès à des structures éducatives de qualité. Au Sénégal, le chômage avoisine les 22% pour une population qui a majoritairement moins de 25 ans. Si la jeunesse représente un des grands défis, la classe politique sénégalaise peine à s’en saisir et à l’intégrer comme une des grandes priorités de l’agenda politique.

Une jeunesse en quête d’opportunité et avide de changement, un manque d’inclusivité de la croissance économique, une perte de légitimité du pouvoir en place et un affaiblissement des institutions, sont autant d’ingrédients qui cristallisent les ressentiments dans le pays.

Des droits et des libertés en danger

Entre le 1er et le 5 juin 2023, à Dakar et dans plusieurs grandes villes du Sénégal, les rues se sont embrasées et les manifestations lourdement réprimées. La décision de peine de deux ans de prison du « leader des jeunes » Ousmane Sonko ne pouvait qu’être contestée dans une atmosphère de tension et de durcissement du pouvoir. Durant cinq jours, les manifestations violentes ont paralysé le pays. Du côté des forces de l’ordre, le recours à la force est totalement disproportionné et l’usage des armes à feu ne s’est pas limité à son caractère dissuasif. Durant la première nuit d’insurrection, entre le 1er et le 2 juin, 9 morts ont été comptabilisés et de nombreux blessés. Au bout de trois jours, les émeutes ont fait officiellement 23 morts d’après la Croix-Rouge sénégalaise et Amnesty International (dont au moins 3 enfants). En réalité, les manifestants font état d’un bilan provisoire de plus de 30 personnes tuées entre le 1er et le 3 juin. Aux dizaines de morts s’ajoutent de nombreux blessés, soit plus de 36 policiers et gendarmes et 390 manifestants blessés.

Ces faits de brutalité policière et d’atteinte à la dignité humaine à l’encontre des civils sont aussi représentatifs d’une dégradation globale des droits humains et d’un recul des libertés fondamentales ces dernières années au Sénégal. Une violence de la part des forces de l’ordre qui s’est totalement banalisée depuis le début des tensions politiques faisant d’eux des forces de la répression.

Un mois avant les dernières émeutes, le 10 mai 2023, Ngor fut le théâtre de violents affrontements entre la population et la police. Cette manifestation, qui concernait au départ un litige foncier, s’est conclue par des tirs à balles réelles et la mort d’une jeune adolescente, les riverains quant à eux parlent de trois morts. Ce qui est décrié à ce moment-là, c’est le communiqué de presse du ministère de l’Intérieur qui conclut à un accident, la jeune fille aurait « été mortellement touchée dans l’eau, probablement par l’hélice d’une pirogue ». Suite à cet épisode, les réseaux sociaux s’enflamment, on crie au « mensonge d’État ». Plusieurs évènements de ce type démontrent que toute forme de contestation est fortement réprimée en amont de l’organisation des élections de 2024.

Lors des dernières émeutes de juin 2023, les centaines d’arrestations pour la plupart arbitraires ont marqué l’opinion publique, soit plus de 500 selon le gouvernement sénégalais, adultes et mineurs confondus, dans des conditions carcérales engorgées et particulièrement dégradantes.

Mais bien avant ces dernières manifestations, plusieurs opposants politiques, personnalités publiques, journalistes et civils ont déjà fait l’expérience carcérale pour avoir exprimé un désaccord avec le pouvoir en place ou tout simplement émis une absence de sympathie au président de la République. L’arrestation des civils devient aussi une pratique quasi systématique face à toute forme d’opposition, et l’ensemble des appareils du pouvoir est mobilisé dans ce sens.

Maître Patrick Kabou, avocat et défenseur de plusieurs personnes incarcérées abusivement selon lui, a affirmé lors d’un entretien qu’il y a au Sénégal « un non-respect des procédures judiciaires et des accusations fondées sur rien du tout ! C’est notamment le cas de l’un de mes clients, le journaliste Pape Alé Niang accusé d’avoir dévoilé des secrets défense, des accusations qui ne sont pas fondées sur des écrits juridiques. Mais c’est aussi le cas de Ndeye Maty Niang, accusée d’outrage à magistrat, appel à l’insurrection et compromission de la sécurité publique ». Maître Kabou a également alerté sur la fibre socioethnique qui caractérise certaines de ces arrestations arbitraires. En effet, selon lui, plusieurs innocents ont été arrêtés ou tués, car dit-il, ils « portent des noms à connotation « sudiste » et originaires de la Casamance. ». On compte notamment, selon lui, Ousmane Kabiline Diatta, accusé de terrorisme et représentant une menace pour la paix et la sécurité publique, ou encore Francois Mancabou, violenté durant une arrestation, envoyé à l’hôpital suite à de graves blessures qui lui ont été fatales. De plus, il ajoute que lorsque « l’on vous met ce type de chef d’accusation, on vous met un mandat de dépôt et on vous oublie ! Vous êtes incarcéré en attente d’un procès qui ne viendra peut-être pas ! » L’analyse que Maître Kabou donne de la situation actuelle du Sénégal, est que le pouvoir judiciaire ne répond plus à une certaine impartialité propre à la volonté de faire justice selon les codes de lois, mais agit « sous le mandat du pouvoir exécutif qui fait pression. L’affaire Sonko n’est plus un dossier judiciaire, mais une affaire politique que l’on défend au parquet ! » Il ajoute qu’« À chaque fois quand monsieur le président Macky Sall est dos au mur, il va à Touba (ville religieuse du Sénégal et haut lieu de pèlerinage pour la confrérie des Mourides), ce qui ne règle rien ! Le fond du problème au Sénégal, c’est la violation des droits fondamentaux et libertés individuelles, comment peut-on passer d’une manifestation pacifique à des dizaines de morts ? »

Médias, ONG, diasporas… : tous mobilisés 

Malgré des réseaux sociaux suspendus dès le début des hostilités, puis restreints les derniers jours d’insurrection, ils ont joué un rôle non négligeable dans la diffusion de l’information et la production de messages de contestations. Plusieurs artistes, créateurs de contenus, sportifs, etc., ont demandé la fin des violences sous le hashtag #FreeSénégal sur Twitter, Instagram et Facebook, déjà utilisé lors des émeutes de mars 2021. C’est notamment le cas des rappeurs Dip Doundou Guiss et des membres du groupe Dara ji Family, Faada Freddy et Ndongo D, qui ont dénoncé les violences policières envers les civils, ou encore de l’humoriste  Dudufaitdesvidéos qui a prôné la liberté d’expression et la démocratie. Des personnalités relativement apolitiques se sont exprimées telles que l’artiste designer Selly Rabi Kane qui a déclaré via Instagram que « La jeunesse sénégalaise est une jeunesse politique, qui est en son plein droit de juger les gouvernants sur leur gestion du pays. » Ou encore le footballeur Sadio Mané qui a demandé à ce que « Toutes les parties prenantes de la nation unissent immédiatement leurs efforts pour retrouver la paix ». De nombreux photographes ont également suivi et documenté les évènements en temps réel via le partage de contenus audiovisuels sur les réseaux sociaux (et en fonction des aléas de la connexion à Internet).

La diaspora sénégalaise de par le monde a été particulièrement impliquée dans la communication des contenus exposant des brutalités policières envers la population. Parmi les images qui ont le plus choqué, des vidéos d’enfants utilisés comme boucliers humains ou d’un commerçant voulant traverser, se faisant gifler par un policier. D’autres encore montrent des individus passés à tabac alors qu’ils ne représentaient aucune menace et parfois ne faisaient même pas partie du cortège de manifestations. Une diaspora mobilisée également physiquement à travers l’organisation de manifestations dès le 3 juin à Paris, Milan ou encore New York. En réponse à cela, les consulats de ces grandes villes ont fermé temporairement.

Dans ce contexte de restrictions des libertés fondamentales, liberté de réunion, d’expression et liberté de la presse, et de graves violations des droits humains, les ONG et associations se sont engagées sur plusieurs niveaux. Tout d’abord, dans l’assistance portée auprès des victimes blessées. Très vite, les hôpitaux et structures sanitaires ont manqué de sang ; les associations sénégalaises ont participé aux campagnes de collectes de sang et à la gestion des blessés. Suite aux débordements à l’Université Cheikh Anta Diop, plusieurs initiatives de la part de structures associatives et des actions solidaires se sont également mises en place pour accompagner les étudiants afin qu’ils puissent rentrer chez eux. Plusieurs bâtiments ont brûlé au sein de l’université et les cours sont suspendus jusqu’à nouvel ordre depuis les premiers jours d’insurrection.

Les ONG présentes sur le territoire continuent d’avoir un rôle de défenseurs et de plaidoyer pour faire respecter les droits humains et contester les violences commises envers les civils. Amnesty International avait déjà signalé, lors de son rapport sur les droits humains au Sénégal 2022, une restriction des libertés de réunion et d’expression, le recours excessif à la force et les mauvais traitements exécutés par les forces de l’ordre. Suite aux derniers évènements, Amnesty International demande aux autorités sénégalaises une enquête indépendante et transparente sur les répressions meurtrières. L’ONG a alerté sur la présence d’hommes armés habillés en civil aux côtés des forces de l’ordre . Les médias nationaux et internationaux ont également relayé cette information.

Concernant le droit d’informer et la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé des abus lors des manifestations, notamment les coupures et restrictions d’internet et des réseaux sociaux, ainsi que celle des signaux des télévisions privées notamment la chaîne Walfadjri interrompue pendant 48h. Conformément au Code de la presse sénégalais, les autorités ont le droit de suspendre certains médias pour motifs exceptionnels. Les associations de journalistes qui agissent pour la liberté de la presse au Sénégal, telle que l’Association des professionnels de la presse en ligne (APPEL), ont rappelé la nécessité de réformer le Code de la presse considérant la coupure des canaux d’information comme un abus de pouvoir. Reporters sans frontières (RSF) dénonce également les brutalités et arrestations arbitraires des reporters couvrant les troubles sociopolitiques.

Le positionnement reste difficile pour les ONG sénégalaises et étrangères qui souhaitent pouvoir continuer leurs activités et assurer leur présence sur le terrain auprès des populations bénéficiaires. Cependant, plusieurs se sont engagées à défendre les droits des victimes et alerter l’État des dangers de la situation pour les plus vulnérables. Ce fut notamment le cas de plusieurs partenaires de la protection de l’enfance, parmi lesquels : SOS Village d’enfants, Save the Children, Plan International, UNICEF, l’agence des Nations unies pour les droits de l’homme, etc. Ces organisations ont collectivement fait paraître une déclaration pour déplorer l’implication d’enfants dans les manifestations et la mort de certains d’entre eux. Il souhaite engager l’État et l’ensemble de la population à protéger les enfants en situation d’insurrection.

Quant au positionnement des religieux, des acteurs sociaux incontournables, il est ambivalent dans un Sénégal au bord du chaos. Prônant un retour au calme, la paix et la cohésion sociale, leur posture semble inchangée depuis les manifestations de mars 2021. Macky Sall a notamment rencontré lors d’une visite de médiation nocturne le 5 juin, le calife général de la confrérie des Mourides à Touba pour trouver des solutions pour « pacifier » l’espace public. Un scénario répétitif qui dure depuis plusieurs années déjà, alors que le peuple du Sénégal en deuil attend une déclaration officielle de la part du président.

Une accalmie de courte durée ? 

Cette insurrection restera inscrite dans l’histoire du peuple sénégalais comme un point de non-retour.  Les droits humains et les libertés fondamentales n’ont pas été respectés démontrant un recul démocratique. Alors que les familles enterrent leurs morts et que les tensions sont redescendues, ces évènements sous-entendent tout de même que les prochaines échéances électorales (si elles sont maintenues) risquent de se tenir dans un climat de tensions et de violences du même ordre. Les frustrations et ressentiments persistent et particulièrement au sein d’une jeunesse en colère. Il est important d’engager un travail de mémoire des individus, hommes, femmes et enfants, qui ont perdu la vie, été blessés et violentés lors de ces dernières émeutes et des précédentes. Sans un travail d’enquête, de justice et de résilience, l’accalmie risque d’être de courte durée.

What the Trump Indictment tells us about the State of American Democracy

Wed, 14/06/2023 - 10:46


As anyone with a smartphone knows, the Justice Department indicted former President Donald J. Trump yesterday.  While the US Government has yet to release information about the indictment, Trump’s lawyers have told media outlets that he will be tried for his mishandling of national security documents and for his subsequent obstruction of attempts by the National Archives and the FBI to repossess those files.  The move makes Trump the first former US president to be formally charged with a federal crime.

The indictment comes at a perilous time for American democracy.  Trump himself apparently considers the charges a sign that the American democratic experiment is failing, as his post-indictment communication on social media suggests.  The Justice Department move, he said, is part of a “Continuing attack on our once free and fair elections.  The USA is now a Third World nation, a nation in decline.”  More neutral observers worry that democratic norms are under pressure in the post-Trump era and that the trend lines are not promising for American democracy.  Freedom House, which ranks democracy around the world, still rates the United States as “free,” but the “city on a hill” now falls behind many other countries, including almost all of the European Union, in rankings of global freedom.  Freedom House notes that “in recent years its democratic institutions have suffered erosion, as reflected in rising political polarization and extremism, partisan pressure on the electoral process, bias and dysfunction in the criminal justice system, harmful policies on immigration and asylum seekers, and growing disparities in wealth, economic opportunity, and political influence.”

Just what does the Trump indictment tell us about the state of American democracy?  Do the charges, as Trump suggests, represent a hijacking of American democracy by the “Thugs and Radical Left Monsters” who maliciously indicted the 45th president and presumptive candidate of the republican party in the 2024 elections?  Alternatively, do the charges demonstrate a remarkable resiliency in America’s institutions, even during a period of political stress?  The indictment is a mirror to American democracy.  What do we see?

Rule of law still prevails.  In many parts of the world, of course, rulers are never called into account for their misdeeds.  Here, a former president, until January 2021 arguably the most powerful man in the world, will answer for his alleged failure to respect laws concerning national security information.  President Trump has and will seek to portray the action as a “witch-hunt,” a politically motivated prosecution designed by the Biden Administration to eliminate a formidable political rival.  He will point to the fact that Biden himself was found to have improperly kept classified documents.  But the facts suggest that the judicial system is working as it should, no matter how challenging the political environment.  The Biden Administration has scrupulously avoided engagement in this case, going so far as to appoint a special prosecutor to conduct the investigation.  It is Trump’s apparently willful disregard for the law and deliberate obstruction of legal attempts to retrieve national security information, as opposed to a simple carelessness as in the case of Biden (or former Vice President Pence, or former Secretary of State Clinton), that is the basis for the prosecution.  The Justice Department appears to be treating Trump no better, and no worse, than other, non-presidential American citizens who have been charged with similar crimes.

Nevertheless, norms of behavior on the part of American leaders have been eroded.  Trump is not the first US president to find himself in legal jeopardy.  President Nixon avoided any potential criminal action related to Watergate with a pardon granted by his successor, and President Clinton settled with a special prosecutor rather than face charges over potential perjury in the Monica Lewinsky affair.  However, criminal activity, or the suggestion of it, has generally been seen in the past as disqualifying for political figures.  The traditional response of a national politician facing similar charges would have been to withdraw immediately from the presidential campaign to “prove my innocence and spend time with my family.”  Trump, though, is unrepentant, and in classic Trump style he has attempted to turn the charges into a political strength rather than a weakness.  In fact, Trump’s “victimization” by the “deep state” is a major pillar in his fundraising efforts.  As his campaign website urges supporters, “As the never-ending witch hunts heat up, please make a contribution to defend our movement and SAVE America…”

The republican party is largely failing to choose rule of law over narrow partisan interests.  Much of the republican party, and in particular the right wing of the party, has rallied to the former president’s support without taking the time to consider the merits of the case.  Republican Speaker of the House Kevin McCarthy, for example, responded to the indictment thus: “Today is indeed a dark day for the United States of America. It is unconscionable for a president to indict the leading candidate opposing him.”  Most prominent republicans speak in terms of “weaponization” of the judicial system, even though they have not seen the actual indictment and much of the information we have seen suggests at least the possibility that Trump may have committed the crimes of which he is accused.  Even Trump’s main rivals for the republican nomination, whose interests are presumably served by the charges, largely dismiss the possibility that the charges are legitimate.  One candidate, Vivek Ramaswamy, has even promised to pardon Trump on the first day of his administration.  In a democratic, two-party system, the fact that one party refuses to allow the judicial process to run its course before seeking to undermine its legitimacy is worrisome.

The American electorate is so polarized that Trump’s supporters are actually energized by their candidate’s legal challenges.  Yesterday’s indictment is not Trump’s first.  In April, Trump was charged in New York with falsifying business records in relation to his alleged coverup of the Stormy Daniels affair.  His polling numbers with republican primary voters went up, considerably, after he was charged.  Immediately after the indictment, Trump’s support over main republican rival Ron DeSantis jumped to 57% to 31% (they had been neck and neck in some polling in February).  In a nutshell, Trump’s hard core of support within the republican base is unimpacted by the suggestion that the candidate might be a criminal.  In fact, May polling found that more republican voters felt more positively about Trump after charges were filed (27%) than less (22%). Essentially, MAGA republicans see charges not as a sign that the former president might be a law breaker but rather that the justness of his cause is so great that his political opponents will stop at nothing to bring him down.

The 2024 elections are yet another turning point in the American democratic process, and this indictment raises the stakes.  Trump may well win the republican nomination, and current polling has Trump and Biden essentially even in a rematch of the 2020 election.  Presumably, Trump’s case will go to trial before the general elections more than a year from now, and a conviction before the elections is a possibility.  Were Trump to continue his campaign as a convicted felon, or to win election, the challenges to American democracy could well be existential.

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