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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 2 weeks 4 days ago

Canicule : une vague de désinformation et de climatoscepticisme s’abat sur l’Europe

Mon, 24/07/2023 - 11:49

La semaine dernière, le bassin méditerranéen a été touché par des températures historiques. Un grand nombre de villes en Espagne, France, Italie, Grèce, Turquie et du Maghreb ont vu leurs températures de l’air non seulement dépasser les normales de saison, mais aussi les records de températures maximales. En France, les 40°C ont notamment été dépassés en Corse, dans les Pyrénées-Orientales et dans le Var. Plus inquiétant : la barre des 45°C a été dépassée pour la première fois en Catalogne, à dix kilomètres de la frontière française. On a également atteint les 45-46 °C en Sardaigne et en Sicile, et l’on s’est dangereusement approché des 50°C en Grèce, en Tunisie et en Algérie. Les territoires ne sont pas les seuls à être touchés : la mer Méditerranée a elle aussi atteint des records, avec des températures allant jusqu’à 28-30°C.  Ces températures sont dues à la présence d’un dôme de chaleur : des masses d’air chaud stagnent en un même endroit à cause de la présence d’un anticyclone de blocage. Si les changements climatiques n’augmentent pas la fréquence de ces dômes de chaleur, ils sont directement responsables de leur intensité hors norme. Il faut rappeler que chacune des quatre dernières décennies a été plus chaude que toutes les décennies qui l’ont précédée depuis 1850, et que la température à la surface du globe est actuellement supérieure de 1,2 degré à celle observée sur la période 1850-1900.

Ces températures présentent de réels risques pour la sécurité des populations, au premier chef desquels des risques de coups de chaud et de déshydratation. En 2022, durant l’été le plus chaud jamais relevé en Europe, on avait déjà déploré plus de 60 000 décès sur le continent à cause des canicules. La sécurité des populations est aussi menacée par la multiplication des incendies, eux-mêmes favorisés par l’assèchement des sols, et induisant d’importants problèmes respiratoires. Dans l’archipel espagnol des Canaries, où les températures sont montées à 40°C, 4 000 hectares sont partis en flammes. Les Alpes suisses ont également été frappées par un important incendie de forêt dans la région du Haut-Valais, et plus d’une centaine d’incendies se sont déclarés en Grèce depuis lundi dernier, ce qui a entraîné l’activation du mécanisme européen de la Protection civile avec l’envoi de forces de soutien françaises et italiennes. Dans ce contexte, un feu de forêt frappant l’île de Rhodes depuis près d’une semaine a notamment conduit à l’évacuation par bateau de 2000 personnes, et à la relocalisation de 30 000 personnes sur l’île. Enfin, à moyen terme, les dégâts causés sur les cultures par de telles chaleurs plongent une partie de la population dans l’insécurité alimentaire et dans la précarité financière. Les températures ont en effet dépassé la limite de viabilité d’une large part des espèces méditerranéennes, menaçant notamment les cultures d’olives et les vignes, et entraînant des souffrances extrêmes pour les animaux d’élevage. Il faut rappeler par ailleurs que ce stress thermique s’ajoute à une situation de stress hydrique installée depuis plusieurs mois dans certaines régions. L’Espagne a connu, dès le printemps, une grave crise agricole ayant entraîné la perte de 5 millions d’hectares de céréales.

Face à ces températures qui valident l’état de la recherche scientifique sur les changements climatiques et leurs impacts sur l’habitabilité des territoires, une vague de désinformation s’abat sur l’Europe. La meilleure illustration en est sans doute la vague de tweets publiés avec le hashtag #caniculemoncul qui est apparu dans les tendances françaises avec, notamment, plus de 1000 tweets le 18 juillet. Dans ces tweets, il s’agit de dénoncer la « propagande » qui serait diffusée par les instituts scientifiques officiels et les médias, dans le cadre des prévisions et relevés météorologiques comme des reportages menés dans les régions frappées par la canicule. Selon les auteurs de ces tweets, les températures observées seraient tout à fait dans les normales de saison, mais les médias chercheraient à faire croire à la population qu’elles sont hors-norme, par l’utilisation d’une terminologie – « dômes de chaleur », « canicule » – et de couleurs effrayantes – l’usage du rouge écarlate et du violet sur les cartes météo. L’objectif de cette propagande serait, à terme, de légitimer la mise en place par le gouvernement d’un pass climatique – analogue au pass sanitaire. Cette crainte d’un pass climatique témoigne en ce sens d’un transfert de la défiance systémique de la question sanitaire à la question climatique, mettant en évidence le rejet de toute politique liée à des impératifs environnementaux. À cet égard, la fondation Jean Jaurès précise d’ailleurs que les théories liées au pass climatique sont presque exclusivement portées par les mouvements antivaccinaux sur les réseaux sociaux.

Plus concrètement, l’essor de ces théories sur les réseaux sociaux se traduit par des menaces verbales croissantes à l’égard des scientifiques du climat, notamment les météorologues, professionnels comme amateurs. Alors que la communauté scientifique s’engage sur les réseaux sociaux à communiquer des informations accessibles sur l’évolution des données climatiques et météorologiques, elle s’expose à d’abondantes insultes et menaces personnelles. Ce phénomène n’est pas l’exclusivité de la France : dès le mois de mai, alors que l’Espagne était en pleine période de sécheresse, l’agence météorologique nationale avait reçu une vague de messages de haine sur les réseaux sociaux, mais aussi par mail et par téléphone. Ces messages, qui faisaient suite aux prévisions publiées par l’agence relativement à la vague de chaleur anormale qui touchait le pays, avaient notamment été condamnés par la ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera. Il faut noter par ailleurs que le déni climatique n’est pas réservé aux cercles conspirationnistes et antisystèmes. En France, il infuse toutes les sphères de la société française sous une forme plus discrète et banalisée, jusqu’au gouvernement – le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, ayant lui-même affirmé sur France Inter que les températures observées étaient « assez normales », ce au lendemain de l’attribution de la Légion d’honneur à Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, et quelques semaines après la dissolution des Soulèvements de la Terre.

De telles prises de position mettent en évidence plusieurs formes de déni de l’information scientifique liée au climat : un déni des savoirs climatologiques sur les manifestations physiques concrètes des changements climatiques ; un déni des savoirs en sciences humaines et sociales sur les activités économiques et industrielles qui sont à la source des modifications anthropiques de l’atmosphère ; et plus généralement, un déni de l’urgence qui caractérise la situation climatique, relevant d’une réelle menace existentielle pour les sociétés humaines. Or, avançant des faits scientifiques qui traduisent l’inadéquation des modes de production et de consommation contemporains vis-à-vis des contraintes et limites physiques de notre planète, les discours scientifiques sur le climat et l’environnement sont souvent ignorés, ou décrédibilisés par une sphère dirigeante qui les assimile à des discours militants. En outre, si les cercles conspirationnistes esquissent le portrait d’une presse relayant de manière excessive la préoccupation climatique, une très large partie des médias participe, en réalité, de la marginalisation du discours scientifique sur le climat. Malgré une progression du traitement médiatique des canicules et une mise en lien avec les changements climatiques de plus en plus fréquente, Franceinfo note qu’un article consacré à la canicule sur trois reste associés à des images connotées positivement, comme des personnes profitant d’une glace ou d’une fontaine. Quota Climat et l’institut Rousseau sont d’ailleurs à l’origine de la création d’un groupe de travail transpartisan sur le traitement médiatique de l’urgence climatique à l’Assemblée nationale, mettant en évidence la nécessité de redoubler d’effort quant à la visibilité de la question dans les productions médiatiques. Pourtant, s’il semble essentiel que les journalistes, comme les scientifiques, poursuivent leurs efforts dans la diffusion de l’information climatique, la question de leur sécurité, tandis qu’ils sont exposés à des violences et menaces de plus en plus fortes, doit être posée.

Sommet des BRICS sans Poutine

Thu, 20/07/2023 - 17:51

C’est désormais officiel, Vladimir Poutine ne participera pas au sommet des BRICS qui se tiendra fin août en Afrique du Sud. Il s’agit là d’un revers diplomatique majeur pour Vladimir Poutine. L’Afrique du Sud est un pays proche de la Russie, qui n’a pas condamné l’agression russe contre l’Ukraine, mais qui semble là avoir cédé aux pressions pour mettre au ban le président russe, ce qu’elle n’avait pas fait à l’époque avec Omar el Bechir, lui aussi alors poursuivi par la Cour pénale internationale. Quel impact aura cette décision, aussi bien d’un point de vue international que s’agissant de la crédibilité interne de Vladimir Poutine ?

Retour sur le Sommet UE/Celac de Bruxelles

Thu, 20/07/2023 - 16:32

Les 17 et 18 juillet 2023, les dirigeants de l’Union européenne (UE) et de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac) se sont réunis à Bruxelles. Malgré les divergences des pays européens et latino-américains sur les dossiers évoqués, ce sommet a permis aux États présents d’aboutir à une déclaration commune, évoquant notamment la question de la guerre en Ukraine ou encore celle des droits humains. Une déclaration à laquelle seul le Nicaragua a refusé d’apporter sa signature.

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme Amérique latine/Caraïbe, revient sur les enjeux de ce sommet dans le cadre de ses “Chroniques de l’Amérique latine”.

« La grande manipulation de Paul Kagamé » – 4 questions à Françoise Germain-Robin et Deo Namujimbo

Wed, 19/07/2023 - 13:30

Deo Namujimbo est journaliste et écrivain franco-congolais, Françoise Germain-Robin est ex-grand reporter à l’Humanité. Ils répondent à mes questions à l’occasion de la parution de « La grande manipulation de Paul Kagame » aux éditions Arcane 17.

Comment expliquer que Paul Kagamé continue de garder une excellente image dans les médias français ? 

Françoise Germain Robin : Il est tout à fait clair que Paul Kagamé a acquis un statut de héros en 1994 lorsqu’il a pris le pouvoir à Kigali, en mettant fin au génocide des Tutsi et en chassant du pays les génocidaires du « hutu-power ». Il est apparu comme un sauveur, une sorte de chevalier sans peur arrivant d’Ouganda à la tête de sa jeune armée pour chasser les méchants. Depuis lors, sa gestion du pays a été magnifiée par la presse. Et il bénéficie, un peu comme Israël, d’un capital de sympathie mêlée de culpabilité face au génocide, qui rend quasiment impensable de le critiquer. Peu de journalistes ont suivi les exactions de son armée en République démocratique du Congo (RDC) où elle a pourchassé et massacré des dizaines de milliers de réfugiés hutus, et aussi, pas mal de Congolais. Le fait qu’il ait aidé Laurent-Désiré Kabila à chasser le vieux dictateur Mobutu, dont tout le monde voulait se débarrasser, a fait oublier tout le reste. Et depuis lors, il a réussi à donner une image rassurante de son pays : stabilité, reconstruction, modernisation jusqu’à faire de Kigali la capitale ultramoderne d’une « start-up nation » que l’on donne en exemple dans une Afrique qui va globalement plutôt mal ! Seuls quelques journalistes anglo-saxons comme Michela Wrong, Judi Rever, Stephen Smith ont montré l’envers du décor, à savoir l’élimination de toute opposition y compris par le crime, la répression sans pitié et la misère cachée d’une immense majorité de la population, sans parler des sanglantes ingérences armées chez les voisins, notamment en RDC. Cela commence juste à bouger un peu depuis qu’il est établi que Kagame est derrière les exactions de la milice M23 dans ce pays dont elle occupe plusieurs localités. D’ailleurs, plusieurs ouvrages, en plus du nôtre, sont parus ce printemps pour dénoncer cette situation et briser le silence.

Pourquoi l’immense RDC est en position d’infériorité face au petit Rwanda ?

FGR : Je veux juste dire que le « petit Rwanda » est doté d’une armée puissante, bien entrainée, disciplinée. Elle est bien armée par les États-Unis, la Grande-Bretagne et depuis peu aussi la France. L’Union européenne participe aussi à son financement. En ce qui concerne « l’immense RDC », je laisse Déo répondre.

Deo Namujimbo : Si le Rwanda est petit, son armée ne l’est pas, elle qui se permet de « louer » des milliers de supplétifs aux forces de maintien de la paix dans plusieurs pays africains, et même à Total Énergies au Mozambique. Tout en clamant hypocritement qu’elle est en RDC pour chasser les génocidaires des FDLR … depuis 25 ans ! Elle bénéficie depuis longtemps du soutien logistique et stratégique des États-Unis et de la Grande-Bretagne et elle est fortement soupçonnée de participer au pillage des minerais en RDC. De plus la RDC n’a pas d’armée à proprement parler, dirigée par des officiers affairistes pour la plupart mis en place par le Rwanda, des soldats mal payés et démotivés, sans aucune abnégation pour la cause nationale ni amour de la patrie. Les soldats congolais sont en permanence préoccupés par la survie de leurs familles, ce qui ne leur laisse pas le temps de penser à la défense de la patrie. La RDC a été sous embargo du conseil de sécurité de l’ONU sur les armes pendant plus de 20 ans, comme pour l’empêcher de se défendre.  Un embargo qui vient juste d’être partiellement levé en mars.

L’image de Kagame est-elle plus atteinte aux États-Unis qu’en France ?

FGR : Nous montrons dans ce livre que les États-Unis ont toujours été les soutiens fidèles et très actifs de Paul Kagamé, qu’ils l’ont aidé à prendre le pouvoir depuis l’Ouganda, pays anglophone qui était leur plaque tournante dans la région. Soutien que dénonce par exemple la sénatrice Cynthia McKinney dans une lettre au président Bush que nous reprenons dans notre livre. Kagame était « l’enfant chéri » de Bill Clinton qui continue d’agir au Rwanda à travers sa fondation, accusée de participer au pillage des ressources du pays voisin. Il a fallu que les incursions de l’armée rwandaise et ses exactions deviennent insoutenables dans la deuxième guerre du Congo (1998-2002), pour que Washington fronce les sourcils. Barack Obama en revanche s’est fâché et a coupé l’aide militaire au Rwanda en 2012, quand, déjà, le M23 occupait l’est du Congo. Cette sanction a conduit au retrait de la milice. Depuis qu’elle est revenue, il y a un an, les États-Unis ont bien demandé à Kagamé de ne plus la soutenir, mais l’avertissement n’a été suivi d’aucune sanction. En revanche, l’arrestation et le procès de Paul Rusesabagina, le héros du film « Hôtel Rwanda », entre temps devenu citoyen américain et opposant à Kagamé, a sérieusement perturbé les relations américano-rwandaises et abîmé l’image du Rwanda et de son chef suprême aux États-Unis. Même s’il a été libéré en mars.

DN : Au même moment, la France et l’UE, tout en condamnant cette complicité avec le M23, octroient 20 millions d’euros à Kagame !

Comment mettre fin au pillage de la RDC ?

FGR : Il faudrait d’abord que la RDC retrouve sa souveraineté. Ce n’est pas simple, vu l’état de l’armée, comme l’a dit Déo. Le président Tshisekedi en est tellement conscient qu’il fait appel à des armées d’autres pays africains (Kenya, Angola, Burundi) pour faire face au M23 ! Il faudrait aussi que les puissances qui soutiennent le Rwanda cessent de le faire et cessent aussi de faire semblant de ne pas voir ce qui se passe. Il y a peu de chance que cela arrive, car ce sont eux qui sont finalement les bénéficiaires du pillage des minerais comme le cobalt, le coltan ou le lithium dont leurs industries ont besoin et qu’ils obtiennent ainsi à bas prix.

DN : Pour finir, bien des Congolais, notamment les fonctionnaires et les hommes d’affaires, devraient cesser de profiter de la situation pour s’enrichir honteusement au détriment de la criante majorité de la population. En résumé, les Congolais en général, au pays et dans la diaspora, de plus en plus conscients de la trahison de leurs élites, manifestent le besoin de changement, mais ont besoin de dirigeants responsables et de moyens pour changer les choses.

 

Turquie : vers une intensification de la politique étrangère d’Erdoğan ?

Wed, 19/07/2023 - 12:20

Visite dans les pays du Golfe, soutien accordé à l’adhésion de la Suède à l’OTAN ou encore échanges avec Moscou autour de la reconduction de l’accord sur les exportations de céréales ukrainienne, Ankara déploie depuis quelques jours une politique étrangère très active. Quels sont les tenants et aboutissants de la visite du président turc dans la région du Golfe ? Quelles conclusions peut-on tirer de ses récentes prises de position au sommet de l’OTAN ? Qu’en est-il de sa relation avec la Russie ? Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, spécialiste de la Turquie.

 

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a entamé ce lundi une série de visites aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite et au Qatar. Quels sont les enjeux de cette tournée dans la région du Golfe ?

Il y a deux enjeux complémentaires, économiques et géopolitiques. La presse turque évoque la perspective de 25 milliards de dollars d’investissements financiers cumulés de la part des États du Golfe concernés. L’objectif est ambitieux, mais s’avère vital pour la Turquie dont nous connaissons la situation économique très dégradée et dont une des clés du rebond réside justement dans les investissements directs étrangers (IDE). Au retour des visites officielles de Recep Tayyip Erdoğan, il faudra faire un bilan détaillé des accords contractés et des secteurs où ils se déclinent, notamment pour ce qui concerne les projets de connexions des réseaux d’oléoducs irakiens à la Turquie.

Ces accords confirmeraient non seulement le rôle de hub énergétique régional du pays, mais ils renforceraient son importance géopolitique. C’est le deuxième enjeu de ces voyages officiels du président turc. Nous nous rappelons qu’à l’occasion des processus révolutionnaires arabes déclenchés en 2011, de fortes turbulences avaient marqué les relations de la Turquie avec de nombreux pays de la région parmi lesquels l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. L’acmé des tensions a eu lieu au moment où l’Arabie saoudite entraînait plusieurs de ses voisins dans une tentative d’asphyxie économique et politique du Qatar en 2017. Fidèle à son partenariat, la Turquie a été à ce moment le plus précieux des soutiens du petit émirat qatari et lui a permis de contourner immédiatement les tentatives d’embargo à son encontre.

Ces tensions relèvent désormais du passé et la réconciliation est actée depuis plusieurs années. Avec Téhéran et Riyad, Ankara apparait comme l’une des trois capitales qui s’affirment dans la région et a parfaitement compris qu’à ce stade il valait mieux jouer la carte de la fluidité plutôt que celle du bras de fer. Il apparaît ainsi évident que la Turquie cherche à se réconcilier avec les multiples États avec lesquels elle s’était brouillée. C’est fait avec Israël, c’est en cours avec l’Égypte. Le processus est néanmoins beaucoup plus compliqué avec la Syrie.

C’est donc dans ce contexte qu’il faut comprendre ces visites officielles de Recep Tayyip Erdoğan dans le Golfe.

 

Au-delà de sa volonté affichée d’apaiser ses relations avec les pays du Golfe, le président turc a également fait un pas vers l’Occident la semaine dernière en soutenant l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et en donnant son accord à celle de la Suède. Alors qu’Ankara bloquait l’adhésion suédoise depuis plus d’un an, que traduit ce revirement de position vis-à-vis de la politique étrangère turque ?

Nous avons toujours été enclin à considérer que la Turquie finirait par accepter l’adhésion de la Suède au sein de l’OTAN. C’est chose faite, même si la décision doit être ratifiée par le Parlement turc, en vacances actuellement. Dans le cadre de négociations internationales, c’est une tactique diplomatique habituelle de la Turquie que de « faire monter les enchères » et tendre les exigences au maximum sur une position dure, pour in fine accepter un compromis au dernier moment.

La surprise est venue de la demande de Recep Tayyip Erdoğan de lier le soutien de son pays à l’adhésion de la Suède à l’OTAN à celle de la réactivation des négociations d’adhésion avec l’Union européenne (UE) dont nous savons qu’elles sont de facto gelées depuis plusieurs années.

La demande a pu apparaitre comme saugrenue, puisqu’en réalité les deux dossiers ne sont pas directement connectés. Il faut néanmoins souligner que Charles Michel, président du Conseil européen, a dû participer au jeu des négociations à Vilnius. Il en ressort des engagements, assez vagues au demeurant, sur la révision de l’accord d’union douanière qui lie la Turquie et l’Union européenne (UE) depuis 1996 d’une part et sur le dossier de la suppression des visas pour les citoyens turcs désireux de se rendre au sein de l’UE d’autre part. Ces éléments indiquent que si la relation entre les deux parties reste extrêmement compliquée il s’agit désormais de la refonder pour aller de l’avant.

Mais surtout, l’accord sur l’adhésion de la Suède prouve une nouvelle fois que la Turquie continue d’attacher une grande importance à son appartenance à l’organisation transatlantique tant elle constitue sa meilleure assurance sécurité. Contrairement à ce qu’expliquaient doctement quelques observateurs, notamment en 2019-2020, la Turquie n’a jamais eu l’intention de sortir de l’OTAN. Elle reste un allié turbulent et souvent incommode mais un partenaire incontournable.

 

Moscou ne voit pas d’un bon œil ce fléchissement de la politique étrangère turque à l’égard des membres de l’Alliance, alors que l’accord sur les céréales ukrainiennes qui permettait à Kiev de maintenir ses exportations à travers la mer Noire arrive à terme ce 17 juillet. Or Ankara demeure identifié comme un médiateur entre l’Ukraine et la Russie. Quel positionnement compte adopter Recep Tayyip Erdoğan vis-à-vis de cet accord ? Comment la relation entre la Russie et la Turquie est-elle susceptible d’évoluer ?

Il est clair que sur plusieurs dossiers récents, les divergences entre Moscou et Ankara sont manifestes. Réception chaleureuse de Volodymyr Zelensky à Istanbul au début du mois de juillet, soutien à une candidature ukrainienne à l’OTAN, acceptation par Ankara des adhésions de la Finlande puis finalement de la Suède qui accroissent l’encerclement de la Russie, sont autant d’éléments qui irritent Vladimir Poutine.

Il n’en demeure pas moins que les contacts sont régulièrement maintenus entre ce dernier et Recep Tayyip Erdoğan qui ne cesse de parler de lui en évoquant leur amitié réciproque. On a aussi vu le président turc être un des premiers à apporter son soutien à son homologue russe lors de la vaudevillesque tentative de coup d’État de Prigogine. Enfin Vladimir Poutine doit effectuer une visite officielle en Turquie au cours du mois d’août qui permettra probablement de régler les irritants.

Les responsables russes comprennent parfaitement que la Turquie est un élément de médiation dont ils ont besoin et la Turquie tire pour sa part profit de ce rôle de médiateur potentiel. Pour autant, Recep Tayyip Erdoğan n’est pas omniscient comme le prouve la décision russe de non-reconduction de l’accord sur les exportations de céréales sur lequel le président turc s’est pourtant beaucoup investi. Il a clairement indiqué qu’il continuerait à tenter de convaincre son ami Poutine de modifier sa position et d’accepter la prolongation de l’accord. À suivre donc.

On le voit à partir de ces quelques éléments récents la Turquie poursuit le déploiement de sa diplomatie à 360 degrés et entend bien poursuivre une politique qui la rend incontournable.

Chine : un rebond de la croissance économique en trompe l’œil ?

Tue, 18/07/2023 - 16:16

Selon les chiffres annoncés ce lundi par le Bureau national des statistiques de Chine, Pékin a enregistré 6,3% de croissance sur ce second trimestre 2023. Un rebond qui témoigne d’une reprise des activités économiques chinoises après l’abandon de la politique zéro Covid malgré un ralentissement de la croissance chinoise depuis plus d’une décennie. Comment expliquer la décélération de la croissance chinoise ? Quelles répercussions celle-ci pourrait-elle avoir sur la politique intérieure et étrangère chinoise ? En quoi la reconfiguration économique mondiale, matérialisée par un processus de dédollarisation, pourrait-elle bénéficier à la Chine ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Asie-Pacifique.

 

Les 6,3 % de croissance au deuxième trimestre annoncés par la Chine seraient une nouvelle en trompe-l’œil selon de nombreux analystes, la croissance annuelle du PIB chinois continuant de décélérer progressivement depuis 2007. Quelle lecture faites-vous de la situation économique chinoise ? Quels sont les facteurs à l’origine de cette décélération ?

Qu’elle se situe autour de 6% ou en dessous, ce qui est tout à fait possible, il est indiscutable que la croissance économique chinoise est, depuis plus d’une décennie, très en deçà des chiffres vertigineux des trois décennies précédentes. Il faut cependant rester prudent. D’une part, le niveau de développement que la Chine a désormais atteint rend quasiment impossible un taux de croissance supérieur à 10%, et la Chine est ainsi devenue – même si elle continue de le nier – un pays développé. D’autre part, Wen Jiabao, alors Premier ministre, avait annoncé à la suite de la crise des Subprimes en 2008 aux États-Unis, une modification en profondeur du modèle de développement de la Chine, avec un effort désormais placé sur le développement des classes moyennes, et donc des hausses substantielles de revenus. Cela a occasionné une baisse très sensible du taux de croissance du PIB, mais pas un appauvrissement de la Chine, et encore moins des Chinois. Enfin, Pékin paye le prix de sa politique anti-covid de confinement long et très sévère, avec une reprise de l’activité économique qui fût retardée, et enclenchée il y a quelques mois seulement, en pleine période de guerre en Ukraine. On note donc à la fois des facteurs structurels et une conjoncture que des choix politiques hasardeux n’ont fait que renforcer pour expliquer cette croissance en demi-teinte. Une chose est cependant sûre : l’économie chinoise ne se porte pas au mieux actuellement. Ce n’est pas une bonne nouvelle non seulement parce que cela a une incidence mondiale, mais aussi parce que Pékin peut se lancer dans des initiatives afin de relancer sa croissance qui peuvent se traduire par une remise en cause des structures économiques internationales, notamment un processus de dédollarisation, d’où des tensions géopolitiques pouvant s’ajouter aux perturbations économiques.

 

En quoi le ralentissement de la croissance chinoise pourrait-il peser sur la politique extérieure de la Chine ? Constitue-t-il par ailleurs une menace pour Pékin sur le plan intérieur ?

Il s’agit potentiellement une menace pour le pouvoir en place, qui fonde sa légitimité, sorte de nouveau contrat céleste (en référence à la Chine impériale), sur le bien-être économique et social. Cependant, il faudrait non seulement qu’une croissance en baisse s’impose dans la durée, mais aussi que cela impacte les revenus des Chinois pour provoquer une perte de légitimité. Le risque ne doit pas être exclu, mais il ne fait pas s’emballer non plus, la Chine n’étant pas dans une situation sociale détériorée au point que ses dirigeants seraient remis en cause. Preuve en est la relance de projets d’investissements compris dans la Belt and Road Initiative (BRI) mis en sommeil pendant la pandémie. C’est en revanche sur la politique extérieure que les changements les plus notables sont à attendre. La BRI a repris, mais c’est une BRI 2.0, peut-être moins ambitieuse, mais surtout plus soucieuse de résultats tangibles, et donc plus sélective. Cela peut provoquer des tensions avec des pays qui se sont habitués aux largesses de Pékin, et pourraient voir la Chine demander des remboursements de prêts, entre autres. Enfin, et nous allons y revenir ; une tentative de dédollarisation pour imposer une nouvelle monnaie d’échange pourrait se traduire par des tensions grandissantes avec Washington.

 

La Chine s’inscrit, parmi d’autres pays, dans un processus de dédollarisation des échanges économiques mondiaux accéléré cette année par la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales à l’égard de la Russie. Par ailleurs, la création d’une nouvelle monnaie commune figure à l’agenda du Sommet des BRICS qui se déroulera du 22 au 24 août prochain en Afrique du Sud. En quoi cette reconfiguration économique mondiale pourrait-elle bénéficier à la Chine ?

Ce n’est malheureusement pas assez dit dans les analyses sur la guerre en Ukraine, mais c’est une réalité qui s’amplifie très sensiblement mois après mois : ce conflit s’accompagne d’un recul très net de l’Occident, qui n’apparait plus auprès des sociétés émergentes comme la référence. Et ce processus de désoccidentalisation, que les BRICS – qui pourraient rapidement s’élargir à de nouveaux membres – appellent de leurs vœux, place la Chine en position de force. Pékin voit dans la crise internationale actuelle occasionnée par la guerre en Ukraine une opportunité : celle de proposer une alternative, à la fois diplomatique et économique, à l’Occident. Et Pékin n’est pas seul sur ce terrain, en témoigne le positionnement d’un pays comme l’Inde, mais aussi l’Afrique du Sud et le Brésil, sans faire mention de la Russie pour des raisons évidentes liées au conflit. Au-delà des BRICs, c’est un mouvement beaucoup plus important, parfois qualifié de « Sud global » dans lequel la Chine occupe un rôle majeur, qui demande une désoccidentalisation et la fin de la mainmise occidentale sur l’économie internationale. Ajoutons que les visites répétées depuis un mois de membres de l’administration Biden indiquent une inquiétude de Washington liée au risque de dédollarisation que Pékin semble appeler de ses vœux, désormais relayé par d’autre émergents. Cette inquiétude est fondée tant la domination du dollar pourrait être remise en cause.

 

J’ai lu… « Macron-Poutine : les liaisons dangereuses », ouvrage d’Isabelle Lasserre

Mon, 17/07/2023 - 20:27

Dans le contexte de la guerre en Ukraine et des récents revirements de la France sur l’intégration de l’Ukraine d’abord à l’Union européenne puis à l’OTAN, et celui des évolutions de son positionnement au sein de l’Union européenne, notamment au regard de sa relation avec Moscou, Pascal Boniface échange avec Isabelle Lasserre, journaliste, responsable des questions de diplomatie et de stratégie au Figaro, autour de son ouvrage « Macron-Poutine : les liaisons dangereuses » paru aux éditions l’observatoire (https://www.editions-observatoire.com…)

Inde : « Le bilan de Narendra Modi est ambivalent »

Fri, 14/07/2023 - 11:22

Pourquoi faut-il prendre l’Inde au sérieux ?

C’est tout d’abord la première population mondiale, devant la Chine. Une population jeune, avec une importante tranche des 18-25 ans. Le pays affiche le troisième produit intérieur mondial à parité du pouvoir d’achat (PPA) derrière la Chine et les États-Unis. C’est le premier gisement mondial d’informaticiens, de chercheurs et de techniciens en biotechnologie et le troisième marché automobile devant le Japon. Ce marché conjugue deux atouts. Un marché intérieur dynamique tiré par la consommation. D’autre part, des niches d’excellence globale qui se confirment.

Le Premier ministre Narendra Modi a-t-il modernisé le pays ?

Il n’y a pas eu d’amélioration notable dans les infrastructures énergétiques et les transports, mis à part dans l’aérien. Cela ne tient pas qu’à Narendra Modi lui-même mais au fait que l’Inde est dans une situation extrêmement complexe, de par sa densité de population. C’est trois fois la taille du Nigeria avec une population sept fois plus grande. Le bilan de Narendra Modi est ambivalent. D’un côté, il a cultivé auprès des investisseurs étrangers une image d’homme de décision, comme le montre l’achat, en 2016, de 36 Rafale pour 8 milliards d’euros. De l’autre, Narendra Modi est extrêmement archaïque. Un homme qui fait des pujas (rites d’offrandes) et est extrêmement intolérant sur le plan religieux. En Inde, on s’en prend aux musulmans et on pourchasse ceux qui fêtent la Saint-Valentin. Le parti nationaliste BJP au pouvoir, c’est l’hindouisme traditionnel, pour ne pas dire traditionaliste.

Modi est allié de la Russie, visite les États-Unis et la France… Comment analyser ses positions diplomatiques ?

L’Occident doit prêter attention à une petite phrase qui a été reprise dans le communiqué du G20 de Bali, en novembre 2022. Elle fixe le modus operandi de la diplomatie indienne. « This is not an era for war. » Ce n’est pas une ère pour la guerre. Pour les Indiens, l’Occident représente une menace guerrière aussi importante que la Russie. L’Inde souhaite donc la paix et un équilibre Est-Ouest.

À quel point le régime indien devient-il autoritaire ?

À l’arrivée du gouvernement BJP nationaliste hindou en 2014, il y avait un risque de dérapage néofasciste. Aujourd’hui, Narendra Modi et son entourage ont compris que la société indienne n’allait pas tomber dans le piège nationaliste. L’Inde n’est pas un pays autoritaire à la chinoise. Mais Narendra Modi doit toujours gérer au sein du BJP une faction extrémiste. Il existe une forte rivalité entre le ministre de l’Intérieur Amit Shah, qui est vraiment néofasciste mais très laïque, et Yogi Adityanath, le ministre en chef de l’Uttar Pradesh, le plus grand État de l’Inde, qui est un moine hindou.

Pour les entreprises étrangères, l’Inde peut-elle être plus attractive que la Chine ?

Attention à l’excès d’optimisme ! Gare à l’indomania qui conduit à un comportement moutonnier des entreprises étrangères ! On l’a déjà connue au début des années 2000, lorsque le taux de croissance de l’Inde a commencé à se rapprocher des 10 %. On parlait d’un pays qui allait prendre la place de la Chine. Ce cycle haussier était en partie gonflé par l’excès de liquidités à l’international. Et puis, comme dit l’homme d’affaires Warren Buffet, « c’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus ». Des entreprises comme Renault et Peugeot se sont alors aperçues que le marché indien était moins porteur que prévu. On pensait que le marché automobile indien allait atteindre 3 millions d’unités. Il a fallu attendre 2020 pour que cela soit le cas.

Qu’en est-il de la corruption ?

Le centre de Bangalore.© Harsha Vadlamani/PANOS-REA / PANOS-REA / Harsha Vadlamani/PANOS-REA POUR « LE POINT »

C’est moins une corruption au plus haut niveau, comme en Chine, qu’une corruption latente qui concerne les niveaux les plus bas. Elle n’est pas que vénale, elle est aussi comportementale. Il ne faut jamais oublier la fierté des Indiens qui n’acceptent pas qu’on se fie uniquement à leurs supérieurs. D’autant que l’imaginaire du colonialisme reste ancré dans la société. Michelin a, par exemple, sous-estimé pour l’implantation de son usine de pneus les contraintes administratives que l’on peut appeler « babucratie », un « babu » étant le quolibet utilisé pour désigner un fonctionnaire indien. Cette petite corruption se traduit par des allongements de délais et des blocages de projets.

L’Inde peut-elle s’affirmer comme la nouvelle usine du monde ?

Les grandes entreprises étrangères ne diront pas publiquement que l’Inde va remplacer la Chine, qui reste encore pour elles un marché stratégique. Pourtant, dans les faits, elles réduisent la voilure dans l’empire du Milieu en se renforçant en Inde. L’histoire montre plutôt une coexistence de l’Inde et de la Chine.

L’Inde n’est pas encore très compétitive sur le plan de l’export, même si elle a deux grands pôles à Chennai et à Pune, en raison de contraintes de logistique et du coût de l’énergie. Les entreprises étrangères doivent être capables de produire en prix domestiques, donc en roupies. La fameuse voiture Maruti symbolise le grand succès d’une entreprise étrangère, celle de la firme japonaise Suzuki. Du côté français, L’Oréal a réalisé un sans-faute en misant sur de petits flacons vendus dans les commerces de rue pour quelques roupies seulement. Il faut savoir être pragmatique et s’adapter au marché.

 

Propos recueillis par Olivier Ubertalli pour Le Point.

France : la panne diplomatique ?

Thu, 13/07/2023 - 15:38

La fête nationale est l’occasion de revenir sur l’état de la diplomatie française et les raisons de ce que certains voient comme une panne. Les difficultés intérieures rejaillissent sur l’image de la France à l’étranger et réduisent ses marges de manœuvre, tandis qu’elle subit les conséquences d’erreurs politiques passées, en particulier sur le continent africain. Les évènements géopolitiques actuels, entre tensions sino-américaines et guerre en Ukraine, rebattent les cartes : on assiste à une reprise de l’OTAN, une crise de l’autonomie stratégique européenne, et un virage tactique du président français qui tente de se rapprocher des pays d’Europe de l’Est. Dans ce contexte, quelle place la France peut-elle encore occuper dans le monde ? L’analyse de Pascal Boniface.

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