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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 2 weeks 9 hours ago

Vers une désoccidentalisation du monde ?

Thu, 06/07/2023 - 17:01

Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient, et Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste de l’Amérique latine, répondent à nos questions à l’occasion de la parution du numéro 130 de La Revue internationale et stratégique (RIS), qu’ils dirigent sur le thème « Vers une désoccidentalisation du monde ? »

– Pourquoi avoir choisi de traiter de la désoccidentalisation du monde dans ce numéro de la RIS ?
– En quoi ce phénomène se distingue-t-il de revendications historiques comme celles des « non-alignés » ? La désoccidentalisation du monde s’inscrit-elle dans une tendance plus profonde à l’œuvre dans les pays dits du « Sud » ?
– Quels seraient les acteurs et valeurs d’un monde « désoccidentalisé » ?

Dernier lancement d’Ariane 5 : quel avenir pour l’Europe spatiale ?

Thu, 06/07/2023 - 15:02

Le 5 juillet dernier, après deux reports de lancement, Ariane 5 a effectué avec succès son 117e et dernier décollage depuis la base de Kourou, en Guyane. Réputé pour sa fiabilité durant ses 27 années en service, le lanceur a placé en orbite deux satellites français et allemand. Ariane 6 devrait prendre le relai à partir de la fin de l’année, avec pour mission de faire face à la concurrence accrue des acteurs du secteur. Alors, l’Europe spatiale est-elle encore à la hauteur ? Comment évolue-t-elle dans l’environnement de plus en plus compétitif de l’aérospatial ? Le point avec Philippe Steininger, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste des politiques de défense et des questions aérospatiales.

 

En décembre 2022, le lancement réussi du télescope James Webb par Ariane 5 avait été largement célébré. Mais alors qu’Ariane 6 accuse un important retard et que les fusées Soyouz sont rendues inutilisables par la guerre en Ukraine, le report de l’ultime lancement d’Ariane 5 le 15 juin dernier soulève des doutes. L’Europe spatiale doit-elle craindre un décrochage technologique ? S’agit-il d’un simple défaut conjoncturel, ou d’un problème structurel ?

Évoquons tout d’abord Ariane 5, qui tire sa révérence après plus d’un quart de siècle de service et 117 lancements, dont 80 consécutivement réussis, ce qui lui a permis de s’imposer comme l’un des lanceurs les plus fiables du monde. Sur le plan technique, Ariane 5, qui a été conçue par le CNES, a aussi démontré son excellence, notamment lors du lancement du télescope James Webb de la NASA en décembre 2021. Ce dernier a en effet été installé sur sa trajectoire de transfert très loin de sa position finale et avec une extrême précision grâce à la performance du lanceur, ce qui participe à l’optimisation de sa durée de vie.

S’agissant de la question posée d’un éventuel décrochage technologique de l’Europe spatiale, il convient tout d’abord de relever le caractère contrasté de la situation actuelle. En matière de satellites, l’Europe demeure très bien placée, à la fois sur le plan technique et en termes de parts de marché grâce, notamment, à ses grands maitres d’œuvre industriels. Beaucoup d’équipementiers occupent par ailleurs des positions fortes face à la concurrence, et des start-up très prometteuses proposant des services ou des systèmes spatiaux se multiplient en Europe.

Pour autant, il est incontestable que l’Europe des lanceurs traverse actuellement une crise qui résulte à la fois du conflit en Ukraine, qui a entrainé le retrait du Soyouz russe de l’offre européenne de lancement, et des retards pris dans le développement du lanceur Ariane 6. Plusieurs éléments permettent néanmoins d’envisager un avenir plus serein. Dans les prochains mois, Ariane 6 entrera en service en offrant des performances et une compétitivité accrues par rapport à son prédécesseur, ce qui n’a pas échappé aux acteurs du marché, puisque près d’une trentaine de lancements sont d’ores et déjà dans le carnet de commandes d’Arianespace. En parallèle, l’Europe prépare activement l’avenir en développant le démonstrateur d’étage réutilisable Themis équipé du moteur à bas coût Prometheus, qui vient de parfaitement réussir un test important. Ces avancées annoncent la sortie de crise.

 

On observe depuis quelques années les progrès du new space, incarné par SpaceX, et l’émergence de nouveaux pays désireux de développer une stratégie aérospatiale propre (Inde, Chine, Arabie saoudite, EAU…). Faut-il craindre cette course à l’espace ? Quelle lecture faites-vous de l’émergence de ces nouveaux acteurs ?

Il y a aujourd’hui un peu moins d’une centaine d’agences spatiales dans le monde et leur nombre a été décuplé dans les dix dernières années. Cette simple donnée démontre l’intérêt grandissant que portent toujours plus de pays aux affaires spatiales. En parallèle des États, des acteurs privés investissent aussi l’écosystème spatial en se multipliant rapidement, comme le souligne le fait qu’en France seulement, une start-up du secteur se crée chaque semaine. Sur le plan économique, l’activité spatiale mondiale représentait 350 Md$ en 2017 ; cinq années plus tard, elle représentait 464 Md$ (+ 32 %) et cette évolution ne semble pas devoir s’arrêter.

Alors, faut-il craindre ces évolutions en y voyant une « course à l’espace » porteuse de dangers pour nos intérêts ? Je ne le crois pas. En premier lieu, l’espace est un bien commun de l’humanité et l’on ne saurait en réserver l’usage à quelques privilégiés par principe. Ensuite, il apporte des réponses aux grands enjeux de notre siècle, qu’il s’agisse d’offrir aux hommes des services de connectivité, d’assurer leur sécurité, ou de surveiller l’évolution du climat. Que toujours plus de talents et de moyens soient mobilisés dans cette voie me semble en réalité très vertueux. Ce faisant, il s’agit pour notre pays de s’associer en bonne place à cette dynamique et sans doute, pour les Européens, de se garder des effets délétères que pourrait créer une inutile concurrence entre eux. Bien sûr, comme le souligne à juste titre la stratégie spatiale de défense française, il s’agit aussi d’être en mesure de défendre ses intérêts dans l’espace.

 

Quels sont les risques de cette concurrence dans le domaine de l’aérospatial pour la souveraineté européenne ? L’Europe dispose-t-elle d’une volonté politique et de moyens (notamment financiers) suffisants et pour la conserver ?

Le marché spatial a vu apparaître ces dernières années de nouveaux acteurs très compétitifs opérants de nouveaux systèmes spatiaux sur des bases industrielles et technologiques entièrement inédites. Parmi ceux-ci, la société américaine Space X, qui a établi un nouveau standard redoutablement efficace dans le secteur des lanceurs en maitrisant la technique du « réutilisable ». Space X place en outre en orbite à un rythme impressionnant les satellites de sa méga-constellation de télécommunications Starlink. Cette société a l’ambition de se positionner sur le marché en maitrisant toute la chaine de la valeur, produisant le lanceur, les satellites, les segments sol, tout en assurant et distribuant un service.

Dans le domaine des satellites commerciaux de télécommunication, par exemple, le changement d’échelle induit par l’évolution du marché est particulièrement impressionnant. Il y a dix ans encore, la production mondiale annuelle était de quelques dizaines de gros satellites, alors que des milliers de petits satellites doivent aujourd’hui être produits rapidement pour constituer les méga-constellations qui se constituent.

Les conséquences d’une telle évolution sont multiples sur le plan industriel et commercial. Ce nouveau paysage met fortement sous tension les acteurs européens du spatial, qui sont en majorité français. Ceux-ci font face aujourd’hui à une concurrence particulièrement agressive, que ce soit dans le domaine des lanceurs comme des systèmes orbitaux, avec des lignes de produits qu’ils doivent rapidement adapter au marché. Il en va de leur pérennité, un enjeu certes économique, mais aussi stratégique, car les mêmes industriels produisent les systèmes spatiaux civils et militaires.

Il importe donc de mettre en œuvre une politique spatiale orientée en faveur de l’industrie du secteur pour en maintenir la qualité et la vigueur, facteurs clefs pour permettre un accès autonome à l’espace et garantir la capacité à fournir des systèmes militaires, dont certains ont une dimension stratégique. C’est la ligne qui est tenue de longue date par la France et qui a permis de doter nos armées de capacités spatiales à la fois de hautes performances, et qui couvre un très large spectre (SATCOM, observation et écoute électronique), ce que peu de pays peuvent mettre en avant.

La faiblesse de l’effort public européen en faveur de l’espace comparé à celui des États-Unis interroge cependant. L’ensemble des budgets consacrés à l’espace par les pays européens est en effet environ six fois inférieur au budget spatial américain et, même ramené au PIB, il est encore cinq fois moins élevé. Dans le même temps, malgré son opacité, on sait que le budget spatial chinois est déjà important et ne cesse d’augmenter. Il est permis de douter, dans ces conditions, que l’Europe conserve ses positions dans le domaine spatial sans consentir à un effort financier accru.

Tensions dans les Balkans occidentaux : quel rôle pour l’Union européenne et les puissances étrangères ?

Wed, 05/07/2023 - 11:04

En mai dernier, suite à l’élection de maires albanais à l’issue d’un scrutin largement boycotté par la population, d’importantes violences ont éclaté dans le nord du Kosovo. Les forces de l’OTAN, déployées dans le pays depuis 1999, ont dû intervenir face aux manifestants serbes qui tentaient d’accéder aux mairies. Quinze ans après la proclamation de l’indépendance du Kosovo encore non reconnue par la Serbie, et dans un contexte de tensions accrues en Europe, comment comprendre la situation dans les Balkans ? Quel est le rôle des puissances étrangères dans le conflit ? Où en est le processus d’intégration européenne de ces pays ? Le point avec Henry Zipper de Fabiani, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste des Balkans et de l’Asie centrale.

 

Les Balkans ont récemment été projetés au cœur de l’actualité internationale suite à l’escalade des tensions au nord du Kosovo. Une première depuis l’indépendance du pays en 2008, qui met à nouveau en exergue la complexité de la mosaïque ethnolinguistique des Balkans. En quoi la question identitaire a-t-elle été à l’origine de tensions, mais également d’un remodelage interne des frontières au sein des Balkans ? Quel rôle les pays voisins jouent-ils dans l’exacerbation de ces violences liées à la question identitaire ?

Les épisodes de tension dans les Balkans occidentaux sont effectivement récurrents, principalement au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine, mais ils sont aussi intervenus en Croatie, en Serbie, en Macédoine et en Albanie, à la suite de l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 1990 : aucun des six pays des Balkans occidentaux aujourd’hui, tous candidats à l’Union européenne (UE), n’a été épargné. Tous sortaient de près d’un demi-siècle de communisme. Hormis l’Albanie, tous résultaient de la décomposition de la Yougoslavie – un empire multinational en miniature. Tel est le contexte global qu’il convient d’avoir à l’esprit : une lente et douloureuse recomposition étatique, sociale, économique, accompagnée des turbulences inhérentes à l’accouchement de la démocratie et des libertés qui l’accompagnent, de l’économie de marché et des excès qui s’ensuivent – un univers où tous les réseaux souterrains se donnent aussi libre cours, concurrençant violemment les bonnes pratiques que l’on tente d’imposer.

Privilégier la dimension « identitaire » apparaît ainsi trop réducteur, tout comme l’évocation d’un « remodelage des frontières » : mis à part le Kosovo et le Monténégro, détachés de la Serbie, l’un en 1999 dans la violence – avant son indépendance formelle en 2008 -, l’autre en 2006 sans drame, c’est au contraire la stabilité qui frappe – mis à part le cas de la Bosnie-Herzégovine dont le découpage intérieur reflète les positions acquises pendant la guerre et consacrées par les accords de Dayton. Les récentes tensions au Kosovo s’inscrivent dans une suite d’incidents qui ponctuent la difficile normalisation des relations entre Belgrade et Pristina. Le Kosovo a quitté la République fédérative de Serbie en réaction à la politique agressive de Milosevic qui conduisait à un nettoyage ethnique. La tragédie de la Bosnie-Herzégovine a débouché sur une cohabitation sous haute surveillance entre communautés différentes. Comme le Kosovo, elle ne doit la paix toute relative dont elle jouit depuis près de 30 ans qu’à la présence d’une force multinationale et à un suivi multilatéral continu.

Le facteur identitaire n’explique pas en soi des situations où il est plus instrumental que fondamental : les politiques l’invoquent quand cela les arrange, pour justifier des tentatives de recomposition en fonction de leurs intérêts. Observons d’ailleurs que la structure fédérale de la Yougoslavie avait permis de concilier diverses identités et d’amorcer une mixité intercommunautaire chez un habitant sur six. Aujourd’hui, c’est encore un État fonctionnel et au service de tous les citoyens qui sera la clé de la stabilité, et il serait illusoire d’invoquer un éventuel remodelage des frontières dans un espace où les contours internes et externes de la Yougoslavie sont restés à peu près stables.

Les voisins de cette région, désormais tous membres de l’UE, ont parfois tendance à jouer avec des formules imaginaires reposant sur le passé et omettant les mérites de l’UE pour la circulation des personnes et des biens, et pour la gouvernance. La Hongrie a naguère manifesté sa proximité avec la minorité magyare de Voïvodine, province autonome de Serbie. Certaines forces en Croatie compatissent régulièrement avec la communauté croate de Bosnie-Herzégovine, lésée par certaines dispositions des accords de Dayton. L’ancien président du gouvernement de Slovénie, Janez Janša, avait brièvement suscité une grande perplexité en agitant le spectre d’ajustements frontaliers. Surtout, du fait de son seul nom, la Macédoine a successivement suscité des réactions négatives de la Grèce puis de la Bulgarie. Après l’accord de Prespa entre Skopje et Athènes, qui accepte désormais le nom de « Macédoine du Nord », la Bulgarie a finalement levé ses objections à l’ouverture de négociations d’adhésion – objections qui reposaient sur un discours national niant la langue et l’existence même de ce pays. La présidence française de l’UE en 2022 s’est employée avec succès à obtenir cet accord. En conséquence de quoi, la Macédoine du Nord et l’Albanie ont pu ouvrir des négociations en vue d’adhérer à l’UE.

Ainsi, cahin-caha, malgré quelques abcès de fixation, avec quatre pays sur six en négociation d’adhésion, les six pays des Balkans occidentaux progressent vers l’UE. Sarajevo est aussi en meilleure position avec son statut de candidat fraîchement reconnu. Le cas le plus épineux reste celui du Kosovo. L’UE et les États-Unis s’emploient à faciliter le dialogue Belgrade-Pristina, champ le plus perméable aux interférences extérieures, essentiellement russes.

 

Au-delà des pays voisins, quelle est l’influence de puissances telles que la Russie, la Chine ou encore la Turquie dans les Balkans ? Quels sont leurs intérêts dans la région ?

Même si les trois puissances extérieures aux Balkans occidentaux mentionnées sont toutes, à des titres divers, engagées dans des stratégies de limitation, voire d’endiguement, de la construction européenne et de ses implications, leurs intérêts sont de natures très diverses. Toutes les trois s’inscrivent dans des logiques impériales en grande partie inspirées par la nostalgie de leur passé, surtout pour la Russie et la Turquie dont les imaginaires conservent des attaches avec cet espace. D’où l’idée d’une revanche à prendre afin de ne pas être totalement aux marges d’un espace où elles pensent avoir conservé des affinités, voire des complicités.

Pour la Russie, cette attitude découle d’un ancrage traditionnel dans les mondes slave et orthodoxe, illustré tout au long du XIXe siècle, en opposition avec l’Empire ottoman. Il en reste la conviction à Moscou que les Balkans constituent une chasse gardée – réapparue au grand jour dès 1991, lorsqu’il fut question d’une intervention armée, de l’ONU puis de l’OTAN, pour mettre fin aux conflits de Bosnie-Herzégovine puis du Kosovo. Aujourd’hui, la Russie refuse d’entériner la nomination d’un Haut Représentant en Bosnie-Herzégovine et n’approuve la poursuite de l’opération ALTHEA de l’UE que pour éviter un retour de l’OTAN. Elle s’efforce d’apparaître comme l’interlocuteur naturel des nationalistes de la Republika Srpska (République serbe de Bosnie) dont le président, Milorad Dodik, est reçu à Moscou. Mais c’est surtout avec Belgrade que la Russie cherche à consolider des liens, les Serbes jouant de ceux-ci pour prendre des demi-mesures comme l’acceptation des sanctions à condition de ne pas les appliquer – mais, en tant que candidat, la Serbie est en principe tenue d’appliquer la politique extérieure et de sécurité de l’UE. Moscou s’efforce aussi de jouer de l’arme du gaz pour s’attacher la fidélité de Belgrade – comme celle de Budapest – et, par ailleurs, de concentrer sur la région une bonne partie de sa désinformation. De son côté, la Croatie, bonne élève de l’UE dans le soutien à l’Ukraine, cherche à optimiser ses avantages naturels dans une compétition pour le transit du gaz … azerbaïdjanais ou américain.

Sans négliger l’occasion de marcher sur les plates-bandes de l’UE, la Chine se porte sur tout projet pouvant servir sa stratégie des « Routes de la soie » (BRI). À cet égard, le format dit « 16 +1 » lui donne depuis 2012 un cadre politique d’influence dépassant les seuls projets industriels et commerciaux – les « 16 » étant un groupe composite constitué des derniers venus dans l’UE (les trois Baltes, les quatre de Visegrád, la Bulgarie et la Roumanie) et des pays de l’ex-Yougoslavie (Slovénie, Croatie, et les candidats des Balkans occidentaux sauf le Kosovo). Rappelons que la Chine a déjà obtenu la concession du port du Pirée, l’une des portes de la région. À ce stade, son influence se concentre sur des projets d’infrastructure, notamment d’autoroutes comme au Monténégro ou en Serbie, dont le gigantisme ne paraît guère adapté aux besoins locaux – une manière de prendre des gages afin de s’approprier des ressources naturelles. Pékin a aussi tenté de s’implanter par la fourniture de vaccins à l’occasion de la pandémie du Covid, et a passé des accords avec la Croatie sur le numérique – alors que l’UE s’efforce de garder la main, notamment sur la 5G. D’autres enjeux apparaissent aussi de manière opportuniste, mais dans des secteurs stratégiques comme l’exploitation des ressources en lithium, où l’UE semble bien déterminée à éviter l’emprise chinoise. L’UE reste vigilante, alors que le Monténégro et la Macédoine du Nord sont particulièrement dépendants de Pékin du fait de leur endettement très élevé. La Bosnie-Herzégovine risque aussi de tomber dans ce genre de dépendance.

La Turquie garde un certain prestige dans les Balkans, à commencer par la Bulgarie, mais aussi, bien sûr, chez les Bosniaques de Bosnie-Herzégovine, parmi les Albanais d’Albanie – surtout du Nord – et les Kosovars, au Kosovo comme en Macédoine. La place d’Istanbul exerce un rayonnement certain, bien au-delà des milieux musulmans. Sa force d’attraction semble avoir bénéficié de la guerre d’Ukraine, en accroissant un cosmopolitisme centré sur la mer Noire et le Caucase, qui attire des milieux déçus par une Europe perçue comme trop exigeante et donneuse de leçons. La tournée du président Erdogan, fin 2022, en Bosnie-Herzégovine, Serbie et Croatie, témoigne de l’intérêt intact d’Ankara pour une péninsule dominée pendant cinq siècles par l’Empire ottoman.

 

La Serbie et le Monténégro ont débuté il y a neuf ans une demande d’adhésion au sein de l’UE. Comment le processus d’intégration des pays des Balkans au sein de l’UE est-il perçu par les États membres ? Les candidatures de l’Ukraine et de la Moldavie à l’UE pourraient-elles amener à un élargissement de l’UE incluant ainsi d’autres pays des Balkans ?

La Serbie et le Monténégro ont effectivement ouvert en janvier 2014 des négociations avec l’UE en vue de leur adhésion, plusieurs années après avoir obtenu le statut de « pays candidat ». La discrétion inhérente à ce genre de processus ne signifie pas qu’il ne progresse pas : la Serbie a ouvert 22 chapitres sur 35, dont deux clos provisoirement ; le Monténégro 33, dont trois clos provisoirement. La reprise de l’acquis communautaire requiert des travaux en profondeur et des mesures touchant une gamme très large de secteurs. Cela suppose aussi une forte convergence avec la politique extérieure et de sécurité des Vingt-Sept.

S’agissant des candidatures de l’Ukraine et de la Moldavie – qui pourraient être rejointes à terme par la Géorgie si elle surmonte certaines difficultés comme le respect des droits de l’homme, notamment des libertés –, l’élan de solidarité suscité par la situation dramatique qu’elles traversent depuis l’agression russe du 24 février 2022 a effectivement conduit l’UE a raccourcir le délai entre le dépôt de leur candidature et son acceptation. Mais il peut y avoir un délai assez long avant que les négociations soient formellement ouvertes, puis que les trente-cinq chapitres soient déclarés clos. L’objectif clairement énoncé voilà plus de vingt ans reste bien l’élargissement de l’UE aux six pays des Balkans occidentaux et aux deux ou trois nouveaux candidats, soit une Europe à trente-quatre ou trente-cinq.

Cette extension à de nouveaux candidats soulève diverses difficultés que nos dirigeants ont entrepris de surmonter dans une dynamique d’élargissement qui recueille un quasi-consensus -le cas du Kosovo, non reconnu par cinq pays membres pour des raisons qui tiennent à leur propre situation et non à ce pays, étant à part. Il faut néanmoins que les lenteurs inhérentes à ces négociations n’alimentent pas une lassitude qui gagne les opinions publiques – et qui fait le jeu des eurosceptiques. Les réflexions commencent donc à s’orienter vers des modalités d’extension aux candidats d’avantages qui ne viendraient normalement qu’avec l’adhésion formelle. L’initiative française de Communauté politique européenne doit aussi être comprise dans cet esprit, bien qu’elle englobe quasiment tous les États d’Europe, y compris le Royaume-Uni et la Turquie. Mais l’accueil fait à cette formule illustre un besoin fort de tisser des liens avec l’UE dans des domaines très concrets de coopération, au-delà des lourdeurs du formalisme de l’adhésion.

À terme, il faudra nécessairement élaborer des procédures innovantes entre pays membres, en fonction des domaines concernés et de leur degré de conception ou de mise en œuvre. La guerre d’Ukraine pourrait bien avoir rebattu les cartes dans la région bien au-delà de turbulences immédiates affectant un petit nombre de pays.

 

Guatemala, des résultats contre toute attente

Fri, 30/06/2023 - 17:39

Le 25 juin dernier se sont déroulées au Guatemala les élections présidentielles, législatives, municipales et celles du Parlement centraméricain. A la surprise générale, la victoire écrasante de partis de droite n’a pas eu lieu, et l’arrivée au second tour d’un candidat de centre gauche, Bernardo Arévalo, présente une lueur d’espoir pour un peuple qui est las de ses institutions politiques et d’une corruption endémique. Le grand gagnant de ce premier tour n’est autre que le vote nul, représentant plus de 17 % des suffrages exprimés, après l’éviction de trois des candidats qui ont appelé leurs partisans à ne voter pour aucun des candidats en lice ; ainsi que les votes blancs qui s’élèvent à 7%. L’abstention s’est établie elle à 40% (une proportion qui s’inscrit dans l’histoire d’un pays qui connaît des taux d’abstention massifs). Sandra Torres, placée en tête des sondages durant la campagne, a obtenu 15,7% des voix, devant Bernardo Arévalo, la surprise de premier tour, qui a recueilli 12% des suffrages exprimés (les sondages le pointaient en 8e position avec 3% d’intentions de vote). Manuel Conde, le candidat du parti gouvernemental sortant (Vamos, conservateur), s’est finalement hissé à la 3e place avec 7,8% de voix.

Pour la troisième fois, Sandra Torres, ancienne épouse de l’ancien président Alvaro Colom (2008-2012), sera donc au deuxième tour. S’auto-proclamant de « centre gauche », elle tente de plus en plus de capter les votes conservateurs en accentuant notamment ses propositions sécuritaires et en prenant pour modèle Nayib Bukele, le président d’El Salvador, dont la politique de répression des gangs fait écho dans les pays d’Amérique latine. Opposée au retour de la Cicig (Commission internationale contre l’impunité au Guatemala, institution onusienne qui a démantelé plusieurs réseaux de corruption et qui a dû cesser ses activités en 2019 sur ordre du président de l’époque), Sandra Torres a été détenue en 2019 à la suite d’un « financement électoral illégal de son parti et association illicite ». Elle a passé 3 mois en prison, puis a été assignée à résidence, pour ensuite être acquittée en 2022. Sandra Torres, malgré sa popularité dans les milieux ruraux et chez les femmes, concentre une grande proportion de « votes de rejet » (« antivoto »), correspondant au fait qu’un grand nombre de citoyens préféreraient allouer leur vote pour n’importe quel autre candidat plutôt qu’elle. Son programme se veut de centre-gauche, incluant le « retour de programmes sociaux » mis en œuvre sous la présidence de son ancien époux Alvaro Colom, l’octroi d’un « demi-salaire minimum » aux mères célibataires, la suppression de la TVA sur les paniers des ménages, ainsi que des projets d’accords bilatéraux avec le gouvernement de Nayib Bukele à visée sécuritaire. Selon la politologue Gabriela Carrera, si Torres venait à gagner, il s’agirait de la continuité du gouvernement d’Alejandro Giammattei, avec la nuance de politiques clientélistes plus liées aux aides sociales.

Arévalo est le fils de l’ancien président Juan José Arévalo, premier président élu démocratiquement après la « révolution d’octobre » de 1944. Son parti, Semillas, (« Graines », centre-gauche) se présente comme social-démocrate et progressiste (malgré le fait qu’Arévalo se positionne contre le mariage pour tous et l’avortement). Il est né à la suite des révoltes de 2015 (contre l’ancien président Pérez Molina jugé pour corruption), pour s’ériger en tant que groupe d’analystes sur ces événements. Le Guatemala étant un pays où dominent les forces conservatrices, il s’agit là d’une vraie surprise qu’un parti de gauche parvienne au deuxième tour. Pourtant, pour certains experts, il ne s’agit pas tant d’un vote en faveur du parti Semillas, mais plus d’un vote de contestation contre un système politique épuisé et qui ne répond plus aux attentes des Guatémaltèques, comme le prouvent les chiffres de l’abstention, des votes nuls, et blancs. Arévalo, pour sa part, est largement soutenu par les jeunes et les mouvements étudiants, notamment au sein des zones urbaines. Son programme se définit avec 10 axes de travail, parmi lesquels se trouvent des politiques de développement social, l’amélioration de l’infrastructure économique, des politiques sécuritaires, l’amélioration de l’assistance et de la sécurité sociales, et des politiques environnementales, entre autres. Il s’est publiquement prononcé contre la criminalisation de journalistes, juges et procureurs qui ont été contraints de s’exiler sous le gouvernement de Giammattei. Il accuse également les derniers gouvernements d’avoir « réduit l’espace démocratique et d’avoir instauré des mesures autoritaires au sein du pays », et déplore le départ de la Cicig. Il déclare vouloir engager des politiques visant la restauration de garanties démocratiques, notamment au travers de la création d’un Système national anticorruption.

Pour le politologue Renzo Rosales, ces résultats sont la preuve qu’il existe une crise de la représentation démocratique au Guatemala. La désaffection des candidats est élevée (notamment envers Sandra Torres), ainsi que celle concernant le système politique actuel. Selon le chercheur, il sera difficile de gouverner pour les deux candidats. Arévalo propose un programme qui semble aller à contre-courant de ce qu’a pu vivre le Guatemala jusqu’à présent, du fait de ses propositions à caractère social et de son orientation à gauche. Torres, quant à elle, aurait plus d’appuis au Congrès et son programme est plus « ductile et se conforme aux attentes [du marché] ». Le caractère inattendu des résultats provient du fait que plusieurs candidats qui partaient favoris ont été exclus par le Tribunal suprême électoral parce que « perçus comme antisystème » (Thelma Cabrera et Carlos Pineda notamment). Le « Pacte de corrompus », un regroupement d’oligarques, d’hommes d’affaires, parfois même de trafiquants de drogues est considéré comme une sorte de « dictature de la mafia corporatiste » qui tient les rênes des réseaux économiques et politiques du pays. Ces élections étaient, selon Renzo Rosales, l’occasion pour ce microcosme élitiste de venir étendre son pouvoir au sein des municipalités, du Congrès et du palais présidentiel, en faisant fi du système de partis politiques, puisque 24 des 30 partis inscrits au début de la campagne électorale répondaient aux attentes du « Pacte des corrompus ».

Enfin, s’agissant des élections législatives, les résultats des votes sont éclatés entre plusieurs partis : le camp présidentiel « Vamos » a obtenu le plus grand nombre de sièges (39 sur 160 au total), le parti « UNE » de Sandra Torres, 28, « Semillas », 23. Aucune formation ne disposera donc d’une majorité. Deux autres partis ont obtenu un résultat supérieur à 10 sièges : « Cabal » (parti de l’ex-candidat de centre-droit Edmond Mulet avec 18) et « Viva » (Armando Castillo et Édgar Grisolia avec 11). Ces résultats font état d’une grande fracture et d’une fragmentation politiques, et ne faciliteront pas la tâche du ou de la prochain.e locataire du palais présidentiel, pour qui le premier chantier doit impérativement être la reconstruction du dialogue démocratique national.

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Sources :

https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-66016616

https://www.rfi.fr/es/programas/noticias-de-am%C3%A9rica/20230627-guatemala-las-elecciones-dejan-entrever-un-futuro-dif%C3%ADcil-para-le-pr%C3%B3ximo-gobierno

https://www.msn.com/es-cl/noticias/mundo/elecciones-en-guatemala-candidato-sorpresa-disputar%C3%A1-balotaje-tras-primera-vuelta-donde-gan%C3%B3-el-voto-nulo/ar-AA1d5ICb

https://nuso.org/articulo/Guatemala-elecciones/

https://www.nodal.am/2023/06/sandra-torres-y-bernardo-arevalo-iran-al-balotaje-y-el-voto-nulo-quedo-en-primer-lugar/

https://legrandcontinent.eu/fr/2023/06/25/10-points-pour-comprendre-les-elections-de-2023-au-guatemala/

Sahel : de quelles luttes d’influence parle-t-on?

Thu, 29/06/2023 - 11:45


Suite à la condamnation de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko le 1er juin dernier, son parti (Pastef) a appelé à la mobilisation contre le président Macky Sall, faisant craindre une déstabilisation du pays. De nombreux médias ont alors révélé que le parti serait largement financé par le Qatar, interrogeant sur son influence politique et religieuse sur le Sénégal, et plus largement sur la lutte d’influence opérée par des puissances étrangères sur toute la zone sahélienne. En quoi le contexte est-il propice à de telles pressions, et quels sont les intérêts de ces pays dans la région ? La France, qui a dû se retirer du Mali, joue-t-elle encore un rôle dans cette guerre d’influence ? Le point avec Jean-Marc Gravellini, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste des enjeux sécuritaires et de développement dans la zone sahélienne.

Le Sénégal traverse une crise politique majeure depuis la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko le 1er juin 2023. Quel rôle jouent les puissances étrangères dans cette crise ? Quelles sont les « forces occultes » dénoncées par les personnalités proches du président Macky Sall ?

Il est difficile d’être catégorique sur l’interférence de puissances étrangères, mais on a malgré tout plusieurs indices. La presse – et une presse plutôt bien informée, qui n’a pas de parti-pris particulier – assure qu’Ousmane Sonko et son parti bénéficient de financements, notamment en provenance du Qatar. Cela est à restituer dans deux contextes.

On constate aujourd’hui que les mouvements prônant un islam radical proche idéologiquement du Qatar et d’autres émirats, contestent des gouvernements comme celui de l’Ouganda et de la RDC. Or, ces pays, qui subissent ces tentatives de déstabilisation, devraient devenir à l’échelle du continent de grands producteurs d’énergies fossiles.

Le deuxième phénomène, qui est à mon avis beaucoup plus ancien, est celui des tentatives de pénétration d’un islam radical, traditionnel et d’inspiration wahhabite, sur des pays africains notamment sahéliens. On observe toute une stratégie d’implantation de ces réseaux à travers des mosquées, l’enseignement coranique, des rapprochements avec certains leaders religieux. Il y a ainsi une opposition entre un islam sunnite tolérant d’inspiration soufie – qui est la tradition dans ces pays sahéliens, y compris le Sénégal avec ses confréries mourides et tidjanes –, et une tentative de pénétration à l’œuvre depuis plusieurs années d’un islam plus radical, rigoriste et wahhabite.

Dans le contexte rappelé plus haut d’émergence d’enjeux économiques majeurs, aggravé de rivalités entre les différents mouvements de l’islam sunnite, le risque de déstabilisation est grand.

À chaque fois – et c’est vrai pour les mouvements islamistes, mais aussi pour les puissances étrangères comme la Russie –, ces tentatives interviennent à des moments où les pays connaissent des crises et des problèmes de gouvernance.

Aujourd’hui, la contestation par Ousmane Sonko d’un nouveau mandat pour le président Macky Sall et sa poursuite par la justice sénégalaise créent un climat favorable aux mouvements sociaux, portés en particulier par la jeunesse. Tout compte fait, c’est donc le moment idéal pour que des tentatives de déstabilisation en provenance de l’extérieur agissent au Sénégal, dans un contexte où les enjeux économiques, et notamment pétroliers et gaziers, sont très importants.

Plus largement, on observe dans tout le Sahel une lutte d’influence de la part des puissances politiques et religieuses étrangères. Quels en sont les acteurs émergents et les ressorts ?

Le contexte général dans les pays sahéliens (particulièrement au Mali et au Burkina Faso) est caractérisé par des crises multiples aux temporalités différentes qui s’accumulent, se croisent, et créent un environnement propice à l’intervention de puissances extérieures qui saisissent le moment pour s’affirmer.

Il est d’abord le fait d’échec des politiques économiques, mais aussi la crise socio-politique, avec une contestation très forte des pouvoirs centraux par les éléments périphériques de la société, comme les Touaregs, ou encore par la remise en cause de l’autorité traditionnelle des anciens par la jeunesse. Ce sont aussi des crises ethniques ancestrales (la question de la place des Peuls dans la société retrouve toute son acuité, mais aussi la prédominance Mossi contestée au Burkina Faso), auxquels s’ajoutent des conflits sociopolitiques, avec des populations sédentaires et agricoles s’opposant aux populations d’éleveurs nomades. Toutes ces crises constituent aujourd’hui un terreau favorable à la déstabilisation.

La crise climatique impacte également beaucoup plus fortement encore ces pays sahéliens. Si les prévisions se réalisent, l’augmentation de la température sera 1,5 fois supérieure à celle qu’on enregistrera ailleurs dans le monde. On constate déjà une baisse des rendements agricoles d’environ 20% tous les dix ans.

Les crises extérieures compliquent aussi la situation de ces pays. La crise en Algérie dans les années 2000 a par exemple eu pour conséquence l’arrivée de terroristes du GIA (Groupe islamique armé) au Mali. On peut également citer la crise en Libye et la crise migratoire. Chaque année, huit millions de personnes migrent depuis le Sahel, dont sept millions dans la région.

Quant à la situation sécuritaire, elle est dramatique dans plusieurs pays comme au Mali où près de 80% du territoire malien n’est plus contrôlé par l’État central, ou encore au Burkina Faso à plus de 60%.

Ce contexte caractérisé par de nombreuses crises est un terreau fertile pour des puissances étrangères qui tentent de s’implanter et d’influencer ces pays, notamment au plan religieux avec l’opposition entre un islam sunnite soufi tolérant et un islam plus rigoriste.

Sans oublier de mentionner bien évidemment certaines puissances, dont la Russie directement ou via la milice Wagner, qui veulent également positionner leurs pions. Il s’agit ici d’une influence politique, diplomatique, mais aussi économique du fait de l’exploitation de mines d’or et d’usines par exemple.

La France est-elle désormais hors-jeu dans cette lutte d’influence ?

Dans ce contexte – et en particulier dans les pays sahéliens francophones –, il faut trouver un bouc émissaire. Et la France, en tant qu’ancienne puissance coloniale très présente sur les plans militaire et économique, est pointée du doigt. Il y a donc une attention particulière sur l’Hexagone, qui a contrario n’est pas du tout portée de la même manière par les pays anglophones de l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.

Plus généralement, on peut affirmer qu’il existe une forme de rejet des valeurs de l’Occident, qui s’exprime à l’encontre de la France dans ses anciennes colonies.

Ce rejet de l’Occident a plusieurs sources. Il y a le « deux poids, deux mesures », c’est-à-dire la façon dont les Occidentaux paraissent réagir de manière différenciée en fonction des partenaires et de leur perception des enjeux. Deux exemples : face à la crise sanitaire, l’Occident a su mobiliser des moyens considérables pour préserver avant tout ses intérêts, ou encore la guerre en Ukraine qui a amené les pays occidentaux à dégager des ressources très importantes pour contrer l’expansionnisme russe en Europe, ce qui n’a pas été fait dans de mêmes proportions dans d’autres régions notamment africaines. Cela crée un ressentiment. Il y a aussi la contestation parfois épidermique du modèle politique avec le rejet de la démocratie, mais aussi des valeurs qu’elle porte comme la défense des droits des minorités, notamment LGBT. Dans beaucoup de pays d’Afrique, on assimile parfois la laïcité à la défense des droits des LGBT, ce qui est évidemment un non-sens. Au Sahel et plus généralement en Afrique de l’Ouest et centrale, c’est finalement le rejet global des valeurs de l’Occident qui s’exprime au travers du rejet de la France.

Mais, les évènements en Russie, l’effondrement possible de ce régime mafieux, et la position désormais compliquée de la milice Wagner pourraient peut-être amener quelques remises en cause des alliances passées récemment au Mali voire au Burkina Faso.

On peut aussi s’attendre, selon les déclarations du président Macron en février dernier, à des évolutions de la politique française, notamment sur le plan militaire avec des bases mixtes ouvertes aux contingents africains. Ces évolutions combinées à une présence plus âpre sur les réseaux sociaux pourraient peut-être permettre une redistribution des cartes.

La situation de la France dans ces pays n’est donc pas totalement désespérée, et on peut assister à des revirements, si toutefois trois conditions sont réunies : 1) une coopération davantage partenariale dans les domaines politique, militaire et économique, 2) des dirigeants africains qui assument vis-à-vis de leur opinion publique leur choix et leurs alliances, comme c’est le cas aujourd’hui au Niger, et enfin 3) la prise en compte à sa juste valeur des menaces extérieures qui pèsent sur ces pays du point de vue économique et sur fond de rivalités religieuses et civilisationnelles.

Moyen-Orient : quelles recompositions géopolitiques ?

Wed, 28/06/2023 - 17:25

Depuis quelques semaines désormais, de nouvelles alliances semblent se dessiner au Moyen-Orient et plusieurs États, notamment l’Iran, l’Arabie saoudite et la Turquie, tentent de s’affirmer et de prendre une forme de leadership dans la région. Quelles sont les recompositions géopolitiques à l’œuvre au Moyen-Orient ? Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, vous donne rendez-vous régulièrement pour les chroniques du Moyen-Orient.

 

Le dollar, de l’hégémonie à la remise en question

Wed, 28/06/2023 - 16:37

Lors de sa visite en Chine en avril 2023, le président brésilien Lula Da Silva interrogeait les raisons de l’hégémonie du dollar, suggérant l’utilisation de devises concurrentes pour les échanges internationaux. Il faisait écho aux voix de plus en plus nombreuses à s’élever contre la toute-puissance de la monnaie américaine. Le dollar est perçu comme un instrument de domination dont abusent les États-Unis pour s’endetter et faire appliquer leur droit à l’étranger. Plus encore : avec l’augmentation des sanctions américaines – y compris contre des pays alliés -, l’émergence d’économies concurrentes, et la remise en cause de l’ordre mondial hérité de la fin de la guerre froide, la dédollarisation est un processus déjà bien enclenché.
Alors, comment le dollar s’est-il imposé comme LA monnaie internationale, symbole de la puissance économique des États-Unis ? Conservera-t-il encore longtemps son hégémonie ? Jusqu’où ira le phénomène de dédollarisation de l’économie mondiale ?
Éléments de réponse en vidéo agrémentée de photos, cartes et graphiques.

« L’Arabie saoudite copie le modèle du Qatar »

Tue, 27/06/2023 - 20:12

En quoi l’approche de l’Arabie Saoudite est-elle comparable à celle du Qatar ?

L’Arabie Saoudite copie clairement le modèle du Qatar en faisant à Newcastle ce que QSI a fait au PSG et en se positionnant pour organiser une Coupe du monde de football à l’horizon 2030-2034. Les objectifs sont les mêmes ; à savoir s’acheter une bonne image.

En quoi est-elle différente ?

Au contraire du Qatar, l’Arabie Saoudite attire des joueurs d’envergure internationale dans son propre championnat. D’abord parce qu’il est, à la base, d’un meilleur niveau footballistique, ensuite parce que le PIB du pays est quatre à cinq fois supérieur à celui du Qatar donc lui offre encore davantage de possibilités financières pour diversifier ses investissements.

Enfin, le besoin de redorer son image est bien plus important en Arabie qui a une approche moins moderne de l’Islam et applique une charia plus rigide, pour compenser la répression du régime du Prince MBS (Mohamed ben Salmane) et effacer les traces de la guerre au Yémen et de l’assassinat de Jamal Khashoggi (journaliste saoudien opposant au régime assassiné au sein du consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul en octobre 2018, Ndlr).

A terme, est-ce un danger pour le football européen ?

Pour le moment non car ça ne concerne que les joueurs en fin de carrière. Jusqu’à présent, l’Europe a pillé les pays africains et sud-américains, où très peu de joueurs du cru évoluent dans leur équipe nationale. Désormais, nous sommes concurrencés par plus riches que nous. Il va falloir s’y faire.

Il faut voir si la greffe va prendre ou si l’évolution va plutôt ressembler à ce qui s’était passé aux Etats-Unis à l’époque du Cosmos de New-York dans les années 80. Même si, à travers CR7, Benzema ou Kanté, avec Messi s’il avait accepté, l’Arabie Saoudite recrute avant tout des millions de followers pour gagner en visibilité internationale.

Pour savoir si leur championnat peut devenir une vraie alternative aux championnats européens, nous aurons une première réponse avec N’Golo Kanté. S’il est toujours appelé en sélection par Didier Deschamps, ça ne peut que le crédibiliser.

 

Propos recueillis par Frédéric Denat pour Le quotidien du sport.

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