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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Pakistan : un scrutin sous haute surveillance

Fri, 13/07/2018 - 16:00

À quelques jours d’un scrutin législatif national (le 25 juillet), la fièvre électorale gagne peu à peu le ‘’pays des purs’’, cette volatile pièce du puzzle asiatique où la démocratie peine toujours[1] à prendre l’ascendance sur l’autorité des généraux, ces omnipotents hommes en uniforme traditionnellement moins concernés par le développement économique national et la stabilité intérieure que l’actualité du voisin indien. Une pathologie indo-centrée dommageable pour le quotidien et le futur des 205 millions d’habitants de ce pays en développement exposé à un spectre de maux plus rédhibitoires les uns que les autres : terrorisme multiforme (islamiste radical, sectaire, autonomiste[2] ou antiétatique), gouvernance passable – une faiblesse par ailleurs répandue dans la région… -, État de droit ténu, zones de non-droit au pluriel (cf. agences tribales de la frontière pakistano-afghane ; quartiers entiers de Karachi), pléiade d’entités politico-religieuses radicales ayant pignon sur rue (dont nombre figurent sur la liste des organisations terroristes…), prééminence de la loi martiale sur la lettre (civile) de la Constitution, crise énergétique[3] et coupures de courant permanentes, incidences diverses de l’interminable conflit afghan sur le territoire pakistanais ; et l’on en passe.

Les dernières nouvelles en provenance du ‘front électoral’ et du théâtre judiciaire donnent aisément le ton du rendez-vous politique à venir : le 8 juillet, la Cour suprême mentionne la possible implication de l’ancien Président Asif Ali Zardari (2008-2013 ; Pakistan People Party) – le veuf de l’ancienne emblématique Première ministre Benazir Bhutto[4] – dans une (nouvelle) affaire de corruption et de blanchiment d’argent ; un coup direct porté aux chances de succès (déjà fort minces…) du PPP, placé par les sondages en net retrait de ses deux principaux challengers du moment, le Mouvement du Pakistan pour la Justice (PTI) de l’ancienne star nationale de cricket Imran Khan, et la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) de l’ancien 1er ministre Nawaz Sharif.

Ce dernier se trouve lui-même directement concerné par l’actualité politique du moment ; mais pas dans la position rêvée à l’avant-veille d’un scrutin national. Débarqué précipitamment de ses fonctions de chef de gouvernement – pour la 3e fois… –  un an plus tôt et déjà condamné à l’inéligibilité à vie, l’homme fort et industriel prospère du Punjab a été jugé par contumace la semaine passée (6 juillet) par une cour anti-corruption à une peine de prison de 10 ans (assortie d’une amende de dix millions de dollars), pour avoir dissimulé la propriété de divers biens immobiliers de standing dans la capitale britannique, mise en lumière plus tôt par les révélations des Panama Papers. La presse pakistanaise du 11 juillet rapporte le souhait du ‘’Lion du Punjab’’ de regagner le territoire national ces prochains jours pour répondre devant la justice des faits qui lui sont reprochés ; une hardiesse qui pourrait directement le mener en prison, nonobstant l’accueil et le soutien enfiévré de ses millions de sympathisants.

Si près de la convocation de l’électorat devant les urnes, la concomitance des révélations et des deux condamnations associées ne doit naturellement rien au hasard. Cette configuration guère anodine servirait a priori les intérêts de la très influente caste des généraux – sur laquelle les responsables politiques disposent de fort peu de prises… -, notoirement hostile à l’ADN démocratique de la PML-N et du PPP. Mais également ceux de la 3e formation politique représentée dans les enceintes parlementaires nationales, le Mouvement du Pakistan pour la Justice du très médiatique Imran Khan, dont on dit du côté d’Islamabad et de Lahore qu’il serait en des termes bien plus « chaleureux » avec la haute hiérarchie militaire. Celle-ci verrait bien cette icône sportive assumer les fonctions de chef de gouvernement (PTI) et ainsi rompre l’habitude de confier la gestion des affaires nationales à la PML-N du clan Sharif ou au PPP de la dynastie Bhutto ; surtout si le nouveau venu s’avère à l’écoute des souhaits et valide sa feuille de route auprès de l’omnipotente Pakistan army

Du Punjab au Sindh, de Peshawar à Quetta, la population pakistanaise observe le jeu des différents acteurs, jauge les chances de chacun à mesure qu’approche le jour du scrutin. Un exercice sous haute surveillance : plus de 350 000 hommes seront déployés pour maintenir l’ordre et prévenir d’éventuelles velléités de violence ; de la part du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) par exemple, la ‘branche pakistanaise’ de l’insurrection radicale talibane, dont les actions terroristes sur le territoire national sont responsables ces dernières années d’un bilan humain considérable. L’attentat-suicide meurtrier (20 victimes) perpétré par ces derniers à Peshawar (nord-ouest du pays) en matinée du 11 juillet en atteste tragiquement.

Diverses capitales régionales – au premier rang desquelles New Delhi, Kaboul et Pékin – prêtent une attention particulière à ce rendez-vous électoral animant le voisin pakistanais. Dans la première citée, les autorités indiennes espèrent profiter d’une possible alternance politique à Islamabad pour sortir de l’impasse et engager avec le futur 1er ministre pakistanais un chapitre bilatéral moins heurté, plus constructif. Une perspective qui aurait pour conséquences heureuses d’abaisser le niveau de tension dans la volatile région disputée du Cachemire – au plus haut depuis deux étés –, de réduire la volumétrie et l’intensité des incidents entre forces armées respectives à la frontière séparant les parties du Cachemire administrées par New Delhi (l’État du Jammu-et-Cachemire) et par Islamabad (Azad Kashmir), enfin, de réduire l’action sur le sol indien de diverses organisations terroristes (Lashkar-e-Toiba, Jaish-e-Mohamed) elles aussi impliquées dans une kyrielle d’attaques et de tragédies humaines.

Du côté de Kaboul, l’identité du futur chef de gouvernement du voisin oriental – autant que ses desseins à l’égard de l’exsangue et éreintée République afghane – importe également beaucoup, tant la population que  les autorités qui escomptent ici encore une politique pakistanaise plus assistante qu’ingérante, plus généreuse que pernicieuse, alors que les forces de sécurité afghanes composent (après déjà dix-sept années de conflit…) de plus en plus difficilement avec une insurrection talibane qui elle ne semble guère sur le point de rompre, et dont on ne présente plus les liens historiques avec les services de renseignements pakistanais, dont la redoutée InterServices Intelligence (ISI).

Bien entendu, les dossiers indien et afghan du prochain chef de gouvernement pakistanais – sensibles au plus haut point pour tout dépositaire de l’autorité, qu’il soit civil ou militaire – ne sauraient, quelle que soit l’identité du 21e Premier ministre (depuis 1947), relever de sa seule analyse ou compétence ; l’influente et peu conciliante caste des généraux aura comme de coutume (depuis le premier coup d’État militaire en 1958…) le premier et le dernier mot sur ces sujets de politique extérieure.

Enfin, la plus lointaine Amérique porte également un intérêt particulier aux enjeux électoraux de ‘’l’allié’’ pakistanais ; ce, quand bien même les rapports entre Washington et Islamabad se seraient très sensiblement refroidis depuis l’entrée en fonction du Président Trump, décidé à laisser moins de latitude que ses prédécesseurs aux autorités (civiles et militaires) de ce pays d’Asie méridionale, convaincu de la nécessité de ne plus aveuglement poursuivre une généreuse assistance militaire alors même que des talibans pakistanais (TTP) viennent à frapper régulièrement des cibles civiles et militaires, afghanes et étrangères (OTAN ; États-Unis), sur le sol afghan.

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[1] 71 ans après le départ de la couronne britannique et la naissance de la République du Pakistan.

[2] Au Baloutchistan notamment.

[3] Nonobstant l’existence de réserves de gaz naturel et d’un potentiel hydroélectrique conséquents.

[4] Assassinée voilà une douzaine d’années dans un attentat perpétré à Rawalpindi (banlieue de la capitale Islamabad), dans des circonstances toujours entourées de flou…

Otan ou Europe, « ils ne veulent pas payer » : mais d’où vient le mal allemand ?

Thu, 12/07/2018 - 16:59

Les Allemands plus que réticents à ce que leur pays augmente ses dépenses militaires pour qu’elles atteignent les 2% du PIB exigé par l’Otan. L’explication est autant historique que politique.

Atlantico : Selon un sondage publié par Die Welt, seuls 15% des allemands seraient favorables à ce que l’Allemagne augmente ses dépenses militaires jusqu’au seuil de 2% du PIB, conformément aux règles de l’OTAN. Pour 24% d’entre, un seuil de 1.5% serait acceptable mais 36% estiment que cela est déjà trop.​ Comment expliquer cette réticence allemande à financer des dépenses militaires ? Faut-il y voir une conséquence du poids de l’histoire, une peur du retour d’un passé​ allemand, ou le résultat d’une simple volonté de « ne pas payer » ?

Rémi Bourgeot : Plusieurs éléments se superposent en effet, et il est intéressant de voir que la réticence à accroître les dépenses militaires s’ancre en Allemagne dans l’opinion populaire et qu’il ne s’agit pas que d’une option de la classe politique.

L’aspect financier n’est pas l’unique cause naturellement si l’on prend une perspective de long terme, mais c’est un élément central, dans le contexte de la politique de désendettement du gouvernement allemand et de maximisation de l’excédent budgétaire. A partir où une garantie de défense est apportée par l’Otan notamment, on observe un réflexe qui évoque l’approche que les dirigeants allemands ont eue et ont encore de la gestion de la zone euro.

Le paradoxe n’est qu’apparent entre d’un côté une vision qui est restée essentiellement nationale de la responsabilité politique et le fait de dépendre en grande partie de garanties de défense des alliés du pays. Le paradoxe est levé d’une part par la remise en cause progressive en Allemagne des menaces sur lesquelles se concentre l’Otan et, de l’autre, par la doctrine non-interventionniste qui est au cœur de la politique allemande depuis les débuts de la République fédérale.

On peut opérer une distinction entre certains milieux d’experts géopolitiques allemands qui ont souvent été en pointe par exemple sur la thématique de la menace russe qui pèserait sur l’ensemble du continent européen et l’évolution de la perception des milieux politiques et économiques. On pouvait ainsi entendre dans certains milieux d’experts en Allemagne comme en France, vers 2014 -2015, que la Russie menaçait, après la Crimée, d’envahir les pays baltes. Après une phase d’observation de la situation, les milieux politiques et d’affaires se sont en général repositionnés, au-delà des clivages politiques, sur une stratégie plus proche d’une certaine conception de la real-politik et sur les intérêts économiques du pays en termes de débouchés commerciaux et d’approvisionnement énergétique, comme le montre la construction de Nord Stream II.

Autant l’élite allemande s’est longtemps considérée comme parfaitement intégrée à un système mondial emmené par les Etats-Unis et centré sur la participation à l’Otan, autant la mode néoconservatrice a fini par entrer en collision avec le non-interventionnisme allemand, comme en 2003 dans le rejet de l’invasion de l’Irak aux côtés de la France, et au moment de l’intervention en Libye. On observe en Allemagne un scepticisme assez général face au discours géopolitique de ses partenaires, en particulier sur les sujets relatifs au Moyen-Orient mais aussi de plus en plus sur la Russie.

Cette participation limitée à l’effort de défense commune trouve un écho particulier dans le pays au fur et à mesure que certaines des menaces pointées du doigt sont jugées peu tangibles du point de vue allemand.

Ce retrait demeure néanmoins sur des sujets cruciaux comme le Sahel ou plus généralement sur ce que pourrait être une approche coordonnée dans la lutte contre le terrorisme. En d’autres termes, la faiblesse de la contribution allemande relève d’une constante politique profonde et n’est pas simplement conditionnée aux errements de ses partenaires et de l’Otan. Une redéfinition du rôle de l’Otan dans un sens davantage centré sur les défis réels ne suffirait pas en tant que tel à éveiller en Allemagne la volonté d’une plus forte participation.

​Quelles sont les conséquences réelles de cette situation sur le pays et sur l’Europe ? Faut-il voir l’Allemagne comme un pays « à part »​ au sein de l’OTAN ?

L’Allemagne peut être vue comme un pays à part au sein de l’Otan dans la mesure où la faiblesse de sa contribution et son non-interventionnisme dépasse la question des menaces évoquées. Les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni demeurent des piliers de l’alliance, ce qui se traduit notamment par des dépenses plus conséquentes. Les problèmes liés à la question de la redéfinition des finalités de l’Otan et à certaines interventions plus que discutables, notamment en Libye, ont néanmoins indéniablement agrandi ce fossé et conforté l’Allemagne dans son retrait. La fracture au sein de l’Otan s’est ainsi considérablement aggravée et on ne peut imaginer un rééquilibrage d’un point de vue quantitatif sur les montants en jeu et qualitatif sur la capacité d’intervention qu’au terme d’une véritable concertation sur le rôle de la défense commune. Le fait que Barack Obama, et encore davantage Donald Trump, aient pointé du doigt la faiblesse des dépenses militaires allemandes a sans aucun doute créé un malaise qui oblige d’ores et déjà les dirigeants allemands à faire un effort dans une certaine mesure. Mais un rééquilibrage de long terme nécessiterait un véritable débat sur les doctrines stratégiques en vue d’un modèle de coopération qui puisse convaincre les responsables politiques ainsi que la population de la pertinence de l’approche commune.

Les conceptions politiques évoluent ces derniers temps dans un sens qui pourrait en réalité, sur le fond, rendre plus accessible un dialogue au terme duquel il serait possible d’afficher des exigences dès lors légitimes à l’Allemagne. Du fait des constructions administratives liées à l’Otan, mais aussi désormais de la thématique encore évanescente de l’Europe de la défense, ce qui fait office de doctrine commune ne représente pas nécessairement l’évolution des positions des uns et des autres ni même d’un éventuel consensus. Dans le contexte du jeu politique actuel, on voit ainsi Donald Trump accuser l’Allemagne d’être maillotée par le Kremlin ; ce qui ne peut qu’apparaître paradoxal au vu de ses idées personnelles en matière de relations internationales et des accusations auquel il fait face en ce qui concerne sa campagne présidentielle. Derrière la mise en scène autour du sommet de Bruxelles se dessine une reconfiguration qui dépasse l’Otan elle-même et qui voit ses acteurs jouer avec les codes qui la caractérise sans nécessairement les embrasser.

Ne peut-on pas également voir cette situation comme étant également le résultat des intérêts économiques recherchés par Berlin, notamment dans le contexte spécifique de la guerre commerciale initiée par l’administration américaine ?

L’aspect économique entre naturellement en compte dans ce jeu sur les codes de la défense commune. A la critique de sa politique commerciale Trump répond en pointant du doigt le manque d’engagement de Berlin dans le système interétatique qu’est l’Otan. On voit donc un jeu symbolique de mise sous pression des dirigeants allemands renvoyés à leurs propres arguments sur l’unilatéralisme américain, mais aussi un enjeu plus strictement lié aux dépenses de défense elles-mêmes. Trump pointe la faiblesse des dépenses essentiellement pour dénoncer le poids financier qui pèse sur les Etats-Unis, où les dépenses militaires représentent 3% du PIB, mais aussi au passage pour pointer la question du modèle allemand de compression des dépenses et des investissements publics.

Le président américain trouve là un moyen de pression qui est à la fois en ligne avec la doctrine de retrait relatif des affaires mondiales du type « America first » et qui repose sur la critique de politiques non-coopératives. Cette approche a notamment trouvé un écho au Royaume-Uni, qui consacre 1.8% de son PIB aux dépenses militaires et où de nombreux analystes s’accordaient à critiquer l’approche allemande en matière de dépenses militaires, alors que l’élite britannique se montre généralement critique des mesures commerciales de Donald Trump. On voit aussi un certain débat prendre forme en France, où la part du PIB consacré à la défense s’élève à 2.2%.

Soft power, politique intérieure et extérieure… Où en est Vladimir Poutine ?

Thu, 12/07/2018 - 15:41

Arnaud Dubien, chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire franco-russe, répond à nos questions :
– Peut-on considérer cette Coupe du monde de football comme une réussite diplomatique pour Vladimir Poutine ?
– Alors que Vladimir Poutine vient d’entamer son 4ème mandat, quels sont les principaux enjeux qui se posent à lui ?
– Donald Trump et Vladimir Poutine vont se rencontrer lors d’un sommet bilatéral le 16 juillet. Quels en sont les enjeux ?

Pour tout bagage, on a 20 ans

Thu, 12/07/2018 - 12:16

Le 12 juillet serait-il une nouvelle date pour la fête nationale ? Car en réalité, a-t-on jamais autant célébré et illustré la fraternité et l’égalité en France que ce magnifique et bouleversant soir de 1998 ?

Un orgasme collectif pour près de 30 millions de personnes au coup de sifflet final. Des millions qui entonnent la Marseillaise à pleins poumons. Plus d’un million de personnes qui convergent ivres de joie sur les Champs Élysées, du jamais vu mis à part à la libération de Paris. On avait eu en mai 68 une foule en colère, et en janvier 2015 une foule recueillie dans la douleur et le drame. Mais cette fois-là, c’était une France qui était réunie, mélangée, bigarrée, joyeuse, sans esprit de revanche, sans drame à commémorer, sans aucun goût amer, avec juste l’envie d’être ensemble, de fraterniser avec tout un chacun, de devenir l’intime de celui qui était encore inconnu il sy a une minute. Tous unis et différents, il n’y a plus de chômeurs ou de tradeurs, plus de patrons ou d’ouvriers, plus de chrétiens, musulmans, juifs, francs-maçons ou athées. Tous croyaient en une France unie, mais diverse, une France triomphante, mais respectueuse des autres, une France forte, mais ouverte, une France d’un enthousiasme débordant, mais consciente de ce que ce moment unique représente.

Car le football c’est plus que du football. Rien d’autre n’aurait pu et n’a jamais pu susciter cette joie collective où tout est transcendé, magnifié, où l’instant devient éternité, où la vie est champagne, où on voudrait que tout s’arrête et tout recommence.

Mais si l’équipe de France de football a suscité un de ces très rares moments qui ont marqué l’histoire de notre pays, un de ces grands épisodes qui ont fait la France, où chacun se sent heureux et fier d’être français, tout en ayant un regard empathique pour le reste de la planète, ce n’est pas uniquement par ce qu’ils ont fait, à savoir gagner la coupe du monde, c’est aussi et surtout par ce qu’ils étaient, à savoir la France qu’on aime, la France qui rayonne autant dans l’Hexagone qu’à l’extérieur, au niveau global. Les 22 joueurs et leur entraîneur étaient singuliers et pluriels, solidaires et libres, de fortes personnalités individuelles se mêlant dans un collectif harmonieux. « Black-blanc-beur » était un raccourci heureux et approximatif, car il ne suffisait pas à décrire les multiples identités de ceux qui le mettaient en œuvre. C’est parce qu’ils étaient différents, d’une différence assumée et complémentaire, qu’ils s’assemblaient. C’est bien parce qu’on les acceptait tels qu’ils étaient qu’ils donnaient tout aux autres, parce qu’on ne leur demandait pas de compte qu’ils se livraient sans compter.

C’est parce qu’ils étaient cette façon si particulière d’être Français que tout le pays se rassemblait derrière eux et que le monde entier les admirait et les célébrait. Rarement la France n’a autant rayonné. Ils étaient sur le toit du monde, sans arrogance, donnant l’image d’une fraternité universelle, d’une France qui a gagné le mondial parce qu’elle est mondiale. 20 ans après ce moment magique est encore dans toutes les mémoires. Il ne faut pas lui demander plus que ce qu’il peut donner. Il était une arme pour aller plus loin, il n’était pas la baguette magique qui allait résoudre l’ensemble des problèmes du pays. Il demeure la boussole pour l’avenir, la recette d’un vouloir vivre-ensemble qu’on doit retrouver, d’une dignité collective, la victoire de 1998. C’est là la mondialisation heureuse, c’est la France et le monde qui se soutiennent mutuellement.

Déclaration commune de paix et d’amitié entre l’Ethiopie et l’Erythrée : quels enjeux pour la Corne de l’Afrique ?

Wed, 11/07/2018 - 11:56

Après plus de 20 ans de conflit, l’Éthiopie et l’Érythrée ont signé une déclaration commune, ce lundi 9 juillet, ouvrant « une nouvelle ère de paix et d’amitié ». Cet accord historique prévoit une reprise des relations bilatérales, une intensification du commerce et la mise en œuvre de l’accord d’Alger sur le respect des frontières entre ces deux États de la Corne de l’Afrique. Le point sur la situation avec Patrick Ferras, directeur de l’Observatoire de la Corne de l’Afrique, enseignant à IRIS Sup’.

Après plus de vingt ans de guerre, l’Éthiopie et l’Érythrée ont signé une « déclaration conjointe de paix et d’amitié ». Pourquoi ce rapprochement diplomatique s’effectue-t-il aujourd’hui ? Quels obstacles les pays vont-ils devoir surmonter ?

Le nouveau Premier ministre éthiopien[1] en poste depuis quatre mois, Abiy Ahmed, avait fait lors de son discours d’investiture une déclaration sur la situation de « ni paix, ni guerre » entre les deux États et s’était engagé à mettre fin définitivement au conflit de 1998-2000. La venue à Addis-Abeba d’une délégation érythréenne le 26 juin appelait une réciprocité qui avait été annoncée à l’issue des premières réunions. Le déplacement du Premier ministre éthiopien en Érythrée scelle donc la mise en place effective d’un processus de règlement de la situation avalisé par les deux États.

Les communications téléphoniques ont été rétablies, l’ouverture de liaisons aériennes entre Addis-Abeba, Asmara et Maqalé (capitale du Tegray, Région-État frontalière de l’Érythrée) se fera en août, des rencontres entre artistes éthiopiens et érythréens dans les deux capitales et d’autres villes éthiopiennes se dérouleront prochainement (avant le nouvel an éthiopien, le 11 septembre). Le port d’Assab sera rapidement ouvert pour l’Éthiopie, aucun visa ne sera nécessaire pour entrer en Érythrée pour les Éthiopiens, et l’Érythrée ouvrira son ambassade en Éthiopie en septembre. Les discussions sur l’application totale des Accords d’Alger (signés le 12 décembre 2000 concernant la délimitation de la frontière commune) vont avoir lieu.

Les relations diplomatiques s’ouvrent, les transports et les déplacements vont être possibles. Petit à petit, les obstacles que l’on croyait insurmontables, il y a six mois, sont franchis.

Les États-Unis, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont parrainé la déclaration de paix après avoir négocié cette possible réunification. Quelles sont les raisons de leur implication dans la région de la Corne de l’Afrique ? La réunification entamée entre ces deux frères ennemis va-t-elle pouvoir insuffler un esprit de paix au-delà de la Corne de l’Afrique, notamment entre l’Égypte et le Soudan ?

Ces trois États ont toujours eu des relations privilégiées avec la Corne de l’Afrique, pour des raisons géopolitiques, économiques et sécuritaires. Toutefois, il ne faut pas surestimer leur rôle dans cette déclaration commune de paix et d’amitié. L’Éthiopie et l’Érythrée sont des États souverains. Isaias Afwerki attendait un signe positif depuis longtemps. Abiy Ahmed l’a fait. Ce que les deux dirigeants ont montré en termes de relations internationales, c’est que les États restent maîtres de leur destinée et qu’il suffit parfois de bonne volonté pour que les situations trouvent une solution. C’est, à mon avis, le signal très positif qu’envoient l’Éthiopie et l’Érythrée à destination de l’ensemble de la Corne de l’Afrique et même vers l’ensemble du continent africain.

En revanche, on ne peut que constater l’inefficacité des organisations régionales ou continentales sur ce dossier comme d’autres (Soudan du Sud, République arabe sahraouie démocratique). L’acteur principal des relations internationales reste l’État.

L’Érythrée est aujourd’hui considérée comme un des pays les plus autoritaires et fermés. En quoi cet accord peut-il influer sur la situation du pays ?  

En signant une déclaration de paix et d’amitié – les deux mots sont forts -, les deux États vont donner une nouvelle impulsion à l’évolution de leur situation intérieure et économique. L’Éthiopie des prochaines années a besoin de l’Érythrée et c’est réciproque. Le couple Éthiopie-Érythrée devrait être un élément moteur de l’intégration économique dans la Corne de l’Afrique. L’arrêt des tensions à la frontière devrait amener des changements dans la posture sécuritaire des deux États et sûrement dans les prochaines années, un arrêt du service national en Érythrée.

Il reste maintenant aux Nations unies d’envoyer des signaux positifs à défaut d’avoir pu régler cette situation. Elle avait, en effet, mis fin à sa mission en Érythrée en 2008 et imposait un embargo depuis 2009 appuyé par des rapports du Groupe d’experts, peu crédibles ces dernières années. Sa levée en octobre-novembre 2018 semble incontournable si l’esprit de paix et d’amitié perdure.

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[1] Qui détient le pouvoir exécutif.

 

Les relations stratégiques franco-japonaises : une histoire déjà ancienne

Tue, 10/07/2018 - 18:33

A l’occasion du 160e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et le Japon en 2018, une série de manifestations culturelles sur le thème « Japonismes 2018 : les âmes en résonance » sont organisées entre juillet 2018 et février 2019. Mais si l’intérêt culturel pour le Japon remonte au XIXe siècle et perdure depuis, les relations entre la France et l’Archipel se sont développées dans tous les domaines, y compris militaire et stratégique dès cette époque.

Une coopération ancienne

La coopération militaire entre le Japon et la France remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle. Le Japon a demandé l’aide de la France dans la construction d’un arsenal à Yokosuka. En 1867, le capitaine Chanoine est envoyé à Yokohama pour créer une école militaire. Plus tard, au début du XXe siècle, elle forme les premiers pilotes japonais. En 1915, des officiers japonais sont même envoyés sur le front européen. Puis en1919, les forces japonaises participent au défilé de la victoire aux Champs-Élysées le 14 juillet 1919. Pendant l’entre-deux-guerres, les relations sont plus tendues, le Japon entreprenant la conquête de la Chine. Puis, la guerre éclate et le Japon prend possession des colonies françaises, notamment de l’Indochine dont il proclame l’indépendance à la fin du conflit. Le Japon est finalement défait.

La France signe le traité de paix avec le Japon de San Francisco en 1951 et devient ainsi un allié de ce pays. Depuis 1994, les deux pays tiennent des consultations annuelles pour échanger sur les questions de sécurité et de stratégie régionales.

En juin 2013, le président François Hollande est le premier président français à s’être rendu au Japon depuis 17 ans. Une déclaration commune est publiée couvrant différents domaines, dont l’économie et la sécurité, notamment sur l’approfondissement de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme et la piraterie, et dans le domaine des équipements de défense.

En janvier 2014, la première réunion « 2+2 » (ministres de la Dfense et des Afaires étrangères des deux pays) s’est tenue, l’occasion de reconnaître l’importance de la liberté de la mer et de vol aérien. Un accord a été établi pour établir un cadre pour deux dialogues concernant les mesures pour les contrôles des exportations d’armements et la coopération en matière d’équipement de défense. En mai 2014, le Premier ministre Shinzo Abe s’est rendu en France. Les deux chefs d’État se sont mis d’accord pour commencer les négociations sur un accord de défense et de coopération. Le dialogue politico-militaire au niveau des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, instauré en 2014, a tenu sa troisième session en janvier 2017. Un accord intergouvernemental relatif au transfert d’équipements et de technologies de défense signé à cette occasion est entré en vigueur le 2 décembre 2016.

Domaines de coopération

Sur le plan des équipements, le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, a déjà déclaré que la coopération militaire portera sur la robotique militaire, ainsi que les systèmes pilotés à distance comme les drones sous-marins. Sur le plan opérationnel, il est question d’une coopération accrue entre les forces françaises et japonaises basées à Djibouti, dans la Corne de l’Afrique, ainsi que la participation de Tokyo à des exercices d’aide humanitaire et l’échange d’informations. La France et le Japon ont adopté, en octobre 2015, un Plan franco-japonais pour le développement durable, la santé et la sécurité en Afrique. Le partenariat entre les deux pays n’a cessé de se renforcer ces dernières années dans le cadre de la feuille de route conjointe 2013-2018, notamment sous l’impulsion d’un sommet annuel entre les deux pays.

Un accord des deux pays oblige ces deux États à effectuer un contrôle strict sur les armes afin qu’elles ne soient pas transférées vers des pays impliqués dans des conflits, et que l’usage de technologies civiles ne soit pas détourné vers des usages militaires. Notons qu’il existe déjà une coopération industrielle militaire par exemple avec le groupe français Thales qui fournit des mortiers de 120 millimètres produits sous licence, mais aussi des radars pour les sous-marins japonais. Un contrat peut aussi être envisagé dans le domaine des hélicoptères : les self-defense forces japonaises songent à remplacer 150 hélicoptères et envisagent de coopérer avec Airbus Helicopters notamment.

Mais les deux pays peuvent être en concurrence par exemple en Australie. La Royal Australian Navy a souhaité remplacer ses 12 sous-marins de la classe Collins. Le Japon était intéressé par ce contrat avec ses sous-marins de la classe Soryu. Mais c’est la France qui a été choisie avec DCNS, devenue Naval Group, qui construit les sous-marins nucléaires Barracuda.

L’intérêt de la France pour la région

« La France est une puissance de l’océan Indien et du Pacifique », comme l’a dit le Livre blanc de la défense français de 2013. En effet, elle a 120 000 ressortissants qui travaillent dans les pays d’Asie-Pacifique. 500 000 Français habitent dans le Pacifique et plus de 1 million autour de l’océan Indien. Le Livre blanc insiste sur l’intérêt de la France pour cette région au poids économique croissant et aux enjeux sécuritaires importants. La France est présente militairement avec 2 500 militaires dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie…) et 18 attachés militaires. Elle participe à différents forums de sécurité comme Shangri-La ou l’Asia Regional Forum. Elle a des accords militaires avec de nombreux pays comme l’Inde, la Malaisie (pour laquelle elle construit la flotte sous-marine), ou encore Singapour. Elle a participé à différentes missions militaires en Afghanistan, dans le cadre de l’opération Atalante anti-piraterie, lors d’opérations humanitaires comme après le typhon Hainan …

Les budgets de la défense des deux pays sont proches de 50 milliards de dollars chacun. Sur le plan économique, les échanges bilatéraux entre la France et le Japon sont conséquents : les deux pays sont le 11e partenaire commercial et économique. Le Japon est le 2e partenaire commercial de la France en Asie et le 1er investisseur asiatique en France. Les échanges commerciaux bilatéraux s’élèvent à 15,6 Mds € en 2016 avec un déficit de 3,14 Mds € pour la France. La dernière session du Dialogue économique et financier au niveau du ministre de l’Économie et des Finances s’est tenue le 29 juillet 2016 à Paris. Enfin, entre l’Union européenne et le Japon, le commerce bilatéral correspond à environ 100 milliards d’euros.

Comme le souligne le ministère des Affaires étrangères français, le partenariat avec le Japon est un partenariat d’exception. Souhaitons qu’il perdure pendant les prochaines décennies où l’Asie deviendra le centre du monde, continent dans lequel l’Europe peut développer son modèle démocratique à condition de surmonter ses propres crises.

Theresa May poussée dans les cordes

Tue, 10/07/2018 - 17:20

L’option d’un Brexit « doux », prise vendredi par Theresa May, a provoqué la démission de deux de ses ministres. La première ministre du Royaume-Uni est-elle allée trop loin ?

Il ne s’agit pas tout à fait d’un Brexit « doux » mais d’une vision intermédiaire des choses. Par contre, la position de Theresa May est loin d’être celle prônée par les plus durs. En même temps, la première ministre a forcé ainsi les partisans d’un hard Brexit ou Brexit dur au sein du Parti conservateur à sortir du bois. Elle a joué en quelque sorte la carte du « qui m’aime me suive ». Il n’en reste pas moins que la défection de Boris Johnson est importante au sein de son gouvernement. Elle peut marquer le début d’une crise politique majeure au Royaume-Uni. Si elle s’installe, l’aile dure du Parti conservateur – parti dont est issue Theresa May – pourrait obtenir le départ de la première ministre. La solution du Brexit qu’elle défend est cependant la solution la plus raisonnable pour le Royaume-Uni.

Qu’entend-on par Brexit « doux » ?

Le Royaume-Uni garderait tous les avantages et les privilèges qu’il peut avoir en étant dans l’UE : libre-circulation des biens, éventuellement une union douanière. Mais dans le même temps, il y a deux éléments extrêmement inacceptables pour les durs du Parti conservateur : primo, que la libre-circulation des biens ne peut être découplée de la libre-circulation des personnes, et secundo, que le Royaume-Uni serait obligé d’appliquer les règles européennes sans avoir voix au chapitre. Ce serait une relation comme celle qu’a l’UE avec la Norvège ou la Suisse. Ne pas avoir un mot à dire est inacceptable pour un pays souverain comme le Royaume-Uni, qui a l’habitude de peser sur les décisions. Les conservateurs ne peuvent accepter de se retrouver dans une situation qu’ils ont critiquée durant des années. C’est politiquement inacceptable et pas seulement pour le Parti conservateur.

On est donc en plein scénario catastrophe. Dans la série « pour qui sonne le glas ? », que penser de Dominic Raab, l’eurosceptique qui a remplacé David Davis, ministre du Brexit démissionnaire ?

On sait que M. Raab est euro-sceptique, mais on ne connaît pas sa position sur le Brexit. En même temps, je ne vois pas comment un pro-remain (anti-Brexit, favorable au maintien du Royaume-Uni dans l’UE, ndlr) pourrait être le chef de ce ministère. Il faut attendre avant de dire si cette nomination court à l’échec. En l’état, on voit que Dominic Raab est jeune. Il est né en 1974. Il est plus libéral et favorable au libre-échange que conservateur. Son parcours de vie est intéressant : c’est un homme issu de l’immigration d’une famille de réfugiés originaire des pays de l’Est. En plus, il est marié à une Brésilienne. C’est vraiment quelqu’un qui fait partie d’une société très cosmopolite, tout le contraire de David Davis, qui est un pur Britannique.

Ce peut être important lorsque l’on sait que la pomme de discorde, qu’il s’agisse du Brexit « doux » ou « dur », est la libre-circulation des personnes. Choisir quelqu’un dont le père était un réfugié né en 1938 et arrivé en Grande-Bretagne dans les années 70, juste avant la naissance de Dominic Raab, est peut-être un signal qui est donné. On peut mal s’imaginer que le nouveau ministre du Brexit s’oppose comme cela frontalement à la libre-circulation et à sa cheffe. Peut-être que l’avenir prouvera le contraire. Il est vrai que celui qui pilote ce ministère, qui doit porter le processus de sortie de l’Union européenne, ne peut pas être un anti-Brexit affirmé.

David Davis l’avait exprimé après sa démission : il ne voulait pas travailler sous la contrainte. La démarche de Theresa May est-elle un peu suicidaire ou pourra-t-elle s’appuyer sur Dominic Raab ?

Non, elle n’est pas suicidaire, mais en même temps, elle sait qu’elle joue sa peau. Il y a un grand risque qu’elle se mette tout le monde à dos. Mais elle sait que le Royaume-Uni n’a plus que quelques semaines pour sortir une feuille de route pour le Brexit pour négocier avec les Européens, en particulier avec Michel Barnier, négociateur en chef de l’UE. Du reste, David Davis et M. Barnier se sont très peu rencontrés. Ils ne se sont vus que trois ou quatre heures. Pour Theresa May, cette feuille de route ne peut être que le Brexit « doux ». Il faudra encore lire le white paper qui est annoncé pour jeudi et qui décline le contenu exact de son point de vue. Elle avait clairement averti ses ministres que ses vues étaient à prendre ou à laisser et que ceux qui n’étaient pas d’accord n’avaient qu’à démissionner. Elle a été entendue.

Le Parti conservateur souffre d’un abysse qui sépare les camps qui sont pour et contre le Brexit…

Tout à fait. A l’instar de Boris Johnson, il y a aussi les membres du parti qui veulent prendre la place de Theresa May et exploiter à fond cette profonde dissension. Theresa May se trouve dans un véritable panier de crabes et on ose espérer qu’avec Dominic Raab, elle a choisi le moins mauvais de tous pour occuper le poste de ministre du Brexit.

L’incertitude provoquée par le Brexit pèse-t-elle déjà sur l’économie du Royaume-Uni ?

Oui, la première conséquence a été la chute de la livre Sterling qui s’est confirmée les mois suivants. C’est l’élément le plus massif. Ce qui est un problème en soi car le Brexit a un coût qu’il faudra régler dans cette devise. Les Anglais paient plus cher les marchandises importées. Une autre conséquence est une rupture de tendance dans l’arrivée de travailleurs étrangers. Ces derniers ont compris que le Brexit allait leur poser des problèmes. Il y a aussi un affaiblissement des investissements. Dans l’incertitude, les entreprises du Royaume-Uni attendent avant d’investir. Elles n’ont pas quitté le Royaume-Uni mais elles attendent un accord signé. Sans ce dernier, elles vont partir.

Propos recueillis par Pierre-André Sieber

Les métaux rares, facteur de guerre(s) ?

Fri, 06/07/2018 - 14:46

Guillaume Pitron est journaliste et réalisateur. Il répond à nos questions à propos de son ouvrage « La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique » (Les liens qui libèrent, 2018) :
– Dans quelle mesure l’émancipation progressive de la société mondiale des énergies fossiles va-t-elle créer une dépendance envers les métaux rares ?
– De quelle manière la ruée vers les métaux rares pourrait-elle modifier les équilibres économiques, géopolitiques et sécuritaires mondiaux ?
– La découverte de ces ressources peu connues pourrait-elle devenir un levier de développement pour les principaux pays fournisseurs, essentiellement des pays émergents ?

Responsabilités et entreprises : quel rôle pour le Medef et son nouveau président ?

Thu, 05/07/2018 - 17:28

Dans leur nouveau rapport « Égypte : une répression made in France », quatre ONG dénoncent l’implication d’entreprises françaises dans le mouvement de répression en Égypte. Cette affaire est l’illustration que les questions tant sociétales, environnementales que politiques concernent et menacent de plus en plus les entreprises. Alors que le Medef vient d’élire son nouveau président, de quelle manière les entreprises françaises ont-elles intégré ces problématiques ? Et comment l’État français légifère-t-il sur ces points ? Le point de vue de Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS.

Geoffroy Roux de Bézieux vient d’être élu à la tête du Medef.  Comment cette organisation, porte-parole du patronat, s’est-elle jusqu’alors positionnée sur la responsabilité sociale des entreprises dans le débat public et notamment celles œuvrant à l’international et parfois dans des zones difficiles ? Le débat est-il en train de bouger sur ces thèmes ?

Le Medef s’est pour l’instant essentiellement positionné sur les questions de RSE (responsabilité sociale des entreprises) de manière assez classique : réflexion et débats, conseils aux entreprises, questions sociales directement liées à l’activité des entreprises (conditions de travail par exemple), etc. Il est dans son rôle puisque le Medef est censé être l’organisme représentant les patrons dans les négociations sociales comme les syndicats (CFDT, CGT, etc.) représentent les salariés dans ces mêmes négociations. Et force est de constater que le Medef ne représente qu’une partie de ces « patrons » : sur les 600 000 entreprises présentes en France, seules 120 000 entreprises sont adhérentes au Medef.

Pour revenir à la notion de responsabilité des entreprises, ce concept s’est très fortement élargi ces dernières années et il dépasse la seule sphère sociale interne à l’entreprise. Cette notion de responsabilité prend de plus en plus d’importance partout dans le monde à destination des entreprises. Les entreprises françaises, sauf à avoir été sous le feu des projecteurs ou poursuivies, restent assez peu conscientes de l’ampleur de ces évolutions et des risques qu’elles font peser sur leurs activités, mais aussi leur intégrité. Le Medef aurait un rôle évident à jouer pour faire avancer la prise de conscience, mais il demeure aujourd’hui assez peu présent sur ces sujets. Il est probablement difficile de mobiliser des dirigeants d’entreprises peu au fait de ces sujets, et de trouver une position commune là où certains patrons considèrent que la finalité d’une entreprise, c’est d’abord le profit et la rentabilité alors que d’autres sont déjà très engagés dans la réflexion sur les enjeux de la responsabilité… C’est le cas pour ne citer qu’eux de Jean-Dominique Senard (Michelin), co-auteur avec Nicole Notat du rapport « Entreprise et intérêt général » remis au gouvernement en mars dernier, Franck Riboud, PDG de Danone ou encore Isabelle Kocher chez Engie.

Ces dirigeants considèrent que la question de responsabilisation de l’entreprise est une question de survie aujourd’hui, et peut même être un atout : une entreprise responsable est une entreprise respectée par ses parties prenantes, probablement moins vulnérable et plus à même d’affronter les défis complexes et multidimensionnels qui se posent aux entreprises globales (environnement, géopolitique, social et sociétal, etc.).

Le nouveau patron du Medef pourrait exploiter ces thématiques pour récréer une nouvelle dynamique au sein du MEDEF. Au vu des différentes affaires ou polémiques qui fragilisent les entreprises ces temps-ci (affaire syrienne pour Lafarge, ventes d’armes aux Saoudiens, crise humanitaire au Yémen, retrait américain du JCPOA et conséquences pour les entreprises, questions des droits de l’homme…)

Le projet de la loi “Pacte” a été présenté en Conseil des ministres le 18 juin dernier. Par cette loi, une nouvelle inflexion serait donnée à l’économie, avec une prise en compte de l’objet social et environnemental qui incombe aux entreprises. Quelle est votre analyse de cette nouvelle loi ? A-t-elle le potentiel pour responsabiliser durablement l’entreprise ? 

Ce projet introduit, entre autres mesures, la question de l’objet social de l’entreprise. On est encore loin de la notion de responsabilité et rien ne dit que cette notion ne soit pas aussi un alibi à tout le reste… On peut aussi si l’on veut être optimiste se dire que c’est un début qui traduit une évolution dans la vision de ce qu’est l’entreprise, ou dans ce que l’on voudrait qu’elle soit. C’est en effet une reconnaissance à demi-mot du lien entre les dimensions économiques et sociales. La notion de « responsabilité » va toutefois bien au-delà. Aujourd’hui, les entreprises sont critiquées, voire attaquées sur des sujets beaucoup plus graves par les ONG ou la société civile. Or, elles ne semblent pas comprendre les implications de cela. La question de la lutte contre la corruption est de ce point de vue un cas d’école. La lutte contre la corruption a démarré aux États-Unis dans les années 1970, avec une loi extrêmement sévère et il a fallu que plusieurs entreprises françaises soient condamnées aux États-Unis pour qu’une loi comparable à celle de ce pays soit votée. C’est la loi Sapin 2 (relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) adoptée en décembre 2016, soit 40 ans après le FCPA américain. Au-delà des dates, ce qui est important à noter, c’est le retard pris tant par les autorités judiciaires que par les entreprises françaises, retard qui constitue un véritable handicap à tous les niveaux !

De plus, il y a un enjeu encore plus fort en France que dans d’autres pays lié aux spécificités françaises des entreprises : d’abord la perception plutôt négative que ces dernières ont auprès de l’opinion publique ; ensuite, l’existence de nombreux « champions nationaux » présents partout sur la planète donc très exposés.

Encore une fois, le Medef pourrait apporter des réponses afin d’aider les entreprises face à ces questions politiques et d’évolutions sociétales.

Quatre ONG viennent de publier un rapport accusant plusieurs entreprises françaises de participer à l’écrasement du peuple égyptien ces cinq dernières années, en fournissant au régime d’Al-Sissi du matériel militaire et de surveillance, et demandent une enquête parlementaire. Est-il possible de responsabiliser politiquement et moralement l’entreprise et ses choix, et est-ce leur rôle ? L’entreprise doit-elle être un vecteur de promotion des libertés et droits fondamentaux ?

L’avenir nous le dira, mais nul doute que la pression sur les entreprises est encore en train de s’amplifier ! La semaine dernière, c’était l’entreprise Lafarge accusée de « crime contre l’humanité », cette semaine ce sont les entreprises de défense… Dans l’absolu, il est évident que tout acteur doit devenir à terme un vecteur de promotion de libertés et droits fondamentaux et que cela relève de la responsabilité de chacun, cela ne fait aucun doute.

Pour autant, le fait de mettre les entreprises en première ligne sur tous ces sujets est probablement excessif et c’est ce que pensent la plupart des dirigeants de ces entreprises. C’est ce qui est en train de se passer et le balayer d’un revers de main risque d’amplifier encore le périmètre et les exigences posées aux entreprises. Il est indispensable d’y réfléchir et pour les entreprises, de démontrer qu’elles ne snobent pas le sujet. Sinon, elles seront toujours les accusées sans qu’elles soient préparées à ces difficultés et alors qu’elles n’ont pas toujours les moyens et les informations pour prévenir ces faits.

Pour illustrer ce propos, prenons le cas d’une entreprise qui exporterait des voitures à l’étranger. A priori, elle n’est pas exposée par ses activités à des violations de droits de l’homme et pourtant, rien ne lui garantit qu’à un moment donné, ce ne sera pas le cas. Elle doit donc prendre en compte ce risque, travailler avec les pouvoirs publics et les ONG pour l’identifier et le prévenir. Aujourd’hui, à la moindre alerte, une loi contraignante est mise en place qui pénalise souvent les entreprises par rapport à leurs concurrents étrangers. Il serait peut-être plus utile qu’une réflexion commune soit engagée permettant un autre dialogue social et sociétal. C’est un défi évident et essentiel pour le nouveau président du Medef !

Trump : un allié qui menace notre souveraineté

Thu, 05/07/2018 - 17:18

Plus que l’avenir du régime iranien la décision de Donald Trump de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien est un défi majeur posé à la souveraineté de la France comme à celle des autres États.

La décision de Donald Trump de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien a de multiples causes : volonté de défaire ce qu’a réalisé Barack Obama ; détestation de l’Iran au sein de son électorat ; volonté de satisfaire Tel-Aviv et Riyad. L’importance de cette décision unilatérale est moindre par rapport à une autre qui lui est liée : sanctionner toute entreprise, quelle que soit sa nationalité, qui continuerait de commercer avec Téhéran.

En dénonçant l’accord de Vienne, les États-Unis exercent un droit souverain. Un executive order d’un président peut en annuler un autre. Les électeurs américains se sont exprimés et, sur ce point comme sur d’autres, Donald Trump avait annoncé la couleur lors de sa campagne. Cependant, s’il est dans leur droit de couper toute relation commerciale avec l’Iran, imposer, sous peine de lourdes sanctions, aux compagnies étrangères d’en faire de même est proprement hallucinant.

Ce qui est en cause est le caractère extraterritorial de la législation américaine et le rôle du dollar comme monnaie internationale. Pour des raisons liées à la géopolitique régionale, tous les signataires de l’accord ont protesté, mais la mise en cause de leur souveraineté par la menace de sanctions est bien plus grave et a une portée mondiale. C’est bien la liberté de décision des autres pays qui est ici en jeu. Après avoir indiqué qu’il trouverait les moyens de se protéger contre d’éventuelles sanctions, les Européens semblent dresser le constat amer d’un manque de moyens immédiats, pour protéger leurs entreprises. Ce ne sont pas uniquement les grands groupes qui ont des activités aux États-Unis qui se sont retirés du marché iranien, mais également des petites et moyennes entreprises.

Donald Trump pourra triompher en montrant à ses électeurs qu’il a su imposer une décision unilatérale à une grande partie de la planète qui pourtant en contestait le bien-fondé.

En France, chacun garde en mémoire l’exemple de BNP Paribas, qui, en 2015, dut payer une amende de 9 milliards de $ pour avoir contrevenu aux réglementations américaines de l’époque sur l’Iran. L’exécutif d’alors n’avait pas réagi et n’avait pas pris la mesure de cet épisode, qui ne concernait pas seulement une seule entreprise française, mais portait atteinte à la souveraineté du pays dans son ensemble.

Ce blocus imposé à l’Iran permettra-t-il de faire tomber le régime, comme le souhaite Donald Trump ? Ce n’est pas certain et la théorie du « chaos constructif » a déjà montré ses limites. Le problème majeur ne concerne pas le régime iranien, mais l’avenir de la souveraineté de nos nations. Il faut faire en sorte qu’une telle menace ne puisse plus jamais être opposée à nos pays et réfléchir en ce sens aux dispositions à prendre. Lorsque l’euro a été adopté, il fut présenté comme une alternative au dollar en tant que monnaie internationale et était le symbole d’une Europe devenant un acteur global. Il est plus que temps de faire preuve de volontarisme en ce domaine.

Ne nous payons pas de mots, la décision de D. Trump remet fondamentalement en cause notre souveraineté.

Notre incapacité à résister aux décisions aux conséquences extraterritoriales de Donald Trump constitue l’un des plus graves défis stratégiques que la France a à relever. Mais c’est peut-être dans ce genre de circonstances que nous devons réagir.

En 1956, après la désastreuse expédition de Suez, la France a été profondément humiliée. Mais elle en avait tiré une leçon : ne plus jamais dépendre des États-Unis pour sa protection. Cette dernière avait pérennisé la décision de doter le pays de l’arme nucléaire et d’une autonomie stratégique. La situation est aussi grave aujourd’hui ; il faut, face au diktat actuellement en œuvre, se doter des moyens d’assurer notre souveraineté de demain.

Face à un défi d’une telle ampleur, nous n’avons pas le droit de rester sans aucune réaction.

Il faut sortir des schémas traditionnels et du prêt-à-penser atlantiste. Certes, les États-Unis sont nos alliés, mais ils mettent en cause notre indépendance comme aucun autre État ne le fait aujourd’hui. Que signifie dès lors la notion d’alliance ? Ne faut-il pas, au contraire, avec les Européens, les émergents, le Mexique, le Canada, mais aussi la Russie et la Chine, voir comment faire pour que ceci ne se reproduise plus ? Pendant la guerre froide, les États-Unis ont protégé notre liberté. Aujourd’hui, il la menace. Il ne sert à rien, et il est même dangereux, de continuer à psalmodier de façon léthargique la litanie et la liturgie de l’alliance et des valeurs communes.

Football, éducation et jeunesse : une équation gagnante

Thu, 05/07/2018 - 16:38

La Coupe du monde masculine de football 2018 est l’occasion de lever certains préjugés sur le plus universel des sports, adulé par beaucoup et critiqué par d’autres sans nuance. Règne de l’argent, de la corruption, symbole du sport-business et de ses dérives…

S’il n’est pas en soi vertueux, s’il n’est pas non plus censé échapper au droit commun, le football est aussi un vivier de savoir-faire, de compétences et d’expériences innovantes au service, notamment, de l’éducation et des solidarités. Or, ce vivier demeure sous-exploité par le politique et les institutions de manière plus globale.

Le football ne doit pas se limiter pas à la compétition (masculine) et à l’obsession de fabriquer des champions. Il ne doit pas non plus incarner le projet de canaliser la violence ou l’énergie, par « essence » débordante selon certaines représentations, des gamins de banlieue. Ces schémas-là ont vécu et rares sont ceux qui en ont la nostalgie.

Une génération plus sédentaire

La jeunesse d’aujourd’hui pâtit des effets d’une diminution de son activité physique au quotidien et du manque de reconnaissance, de la part de ses aînés, de sa volonté de s’impliquer dans la société. Ainsi, en Europe, la génération actuelle des enfants, filles et garçons, est plus sédentaire que ne l’était au même âge celle qui la précède. Ce constat, pour le moins contre-intuitif, est le résultat de plusieurs enquêtes récentes et convergentes, dont Physical Activity Serving Society (PASS), menée dans le cadre d’Erasmus plus.

Par ailleurs, et contrairement là encore à une idée reçue, les adolescents et jeunes adultes – quel que soit leur milieu social, leur sexe ou leur territoire de vie – s’engagent dans la vie de la cité ou sont tentés de le faire mais ne trouvent pas toujours la structure ou l’offre adaptée à leurs envies.

Dans les deux cas, le sport, et particulier le football, peuvent être un levier facilitateur. Aucun remède miracle n’existe ; dès lors, aucun angélisme ne doit être de mise. En d’autres termes, les valeurs du sport ne se décrètent pas. Il n’y a pas de formule magique pour que football rime avec intégration ou avec cohésion sociale. Ce qui compte, ce sont les innombrables dispositifs qui méritent d’être évalués et mis en valeur, qu’ils viennent du sommet ou du terrain, parce qu’ils œuvrent à faire de la pratique et de la culture du football des outils innovants d’apprentissage et de respect de soi et des autres.

Un foisonnement d’initiatives inspirantes

Il faut tout d’abord souligner le volontarisme de l’État et de la Fédération française de football (FFF) depuis plusieurs années. Le renouvellement, en mai 2018, de la convention entre la FFF, le ministère des Sports, le ministère de l’Éducation nationale et les fédérations sportives scolaires a permis de poursuivre le travail engagé depuis 2015 pour sensibiliser et former les enseignants aux apports pédagogiques de ce sport, en interdisciplinarité avec les mathématiques, l’histoire-géographie, l’enseignement moral et civique, l’éducation aux médias et à l’information ou encore les sciences de la vie et de la terre.

En outre, la Fédération a fait du développement de la pratique féminine, dès le plus jeune âge, une priorité qui porte ses fruits et diffuse le message, auprès des jeunes et de leurs familles, que la mixité et l’égalité filles-garçons dans le sport sont un vecteur indispensable de progrès social.

Au niveau local, et parfois micro-local, c’est un foisonnement d’initiatives pour promouvoir de manière indissociable, grâce au football, le partage, le plaisir du jeu, la citoyenneté, la pédagogie et la confiance en soi. L’association Tatane, par exemple, publie des ouvrages illustrés, organise des événements qui valorisent la pratique ludique et « dé-codifiée » du football chez les enfants et adolescents ou encore met en place des tournois de baby-foot dans les maisons de retraite. Parce qu’elle se veut un laboratoire de rencontre et de création artistique, sportive et universitaire, elle décloisonne les genres, comme l’illustrent les « battles » d’orchestres d’enfants, à la Philharmonie, pendant l’Euro masculin de 2016.

Dans les quartiers populaires, urbains, périurbains et ruraux, un grand nombre d’associations, de taille souvent modeste, sont parties des besoins et des nouveaux modes de vie des populations pour redonner aux jeunes le goût de l’apprentissage et de la transmission, grâce au football. Leurs actions sont aussi des leviers pour remettre en mouvement, par le plaisir du jeu, sans les contraintes des horaires et des règles des clubs et de la compétition, des enfants devenus sédentaires.

Accompagner une forme renouvelée d’éducation populaire

Il serait utile de pouvoir documenter, par la recherche et notamment la recherche participative, et évaluer ces expériences et leurs retombées afin de les valoriser et de les diffuser. Les pouvoirs publics n’ont pas nécessairement vocation à s’en emparer car le risque est grand de les dénaturer, mais plutôt à encourager et accompagner, par des moyens humains et financiers, cette forme renouvelée d’éducation populaire.

Dans le cadre des réformes législatives actuellement en débat au Parlement, une plus grande reconnaissance de l’engagement associatif, du bénévolat et des compétences qu’ils permettent d’acquérir mais pas encore de transférer dans les secteurs de la formation et de l’emploi, est une piste évidente.

Et parce que les véritables innovations ont un impact au-delà de leur sphère d’influence initiale, partager, comme des biens communs, la connaissance et l’expertise permises par ces initiatives est essentiel en démocratie. Le football, sport universel, est une ressource dont les décideurs auraient tort de se priver.

Maroc : la condamnation des militants du mouvement « Hirak », symbole d’un gouvernement à la peine ?

Thu, 05/07/2018 - 12:34

L’indignation augmente au Maroc après la condamnation des leaders du mouvement contestataire «Hirak» qui agita la région du Rif de 2016 à 2017. Ces revendications populaires pointaient du doigt les carences de l’État dans la gestion politique, sociale et économique de la région, et plus largement du Maroc. Le gouvernement semble avoir du mal à trouver des solutions durables pour redresser la situation du Royaume, mission rendue encore plus complexe dans un contexte diplomatique marqué par la tension avec l’Algérie. Le point de vue de Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS.

Les meneurs du mouvement « Hirak » viennent d’être condamnés à de lourdes peines de prison pour « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État ». De nombreuses associations de défense des droits de l’Homme ont dénoncé la répression du mouvement. Ces condamnations ne risquent-elles pas d’aggraver les tensions ? Que disent-elles des libertés individuelles et des droits de l’homme au Maroc ?

Depuis le début du mouvement Hirak Errif (mouvement du Rif), environ 400 personnes auraient été arrêtées. Les meneurs de ce mouvement de protestations, comme Nasser Zefzafi, écopent jusqu’à 20 ans de prison. Ces lourdes peines sont destinées bien sûr à briser le mouvement en le privant de ses leaders, et à servir d’exemple pour faire taire les autres militants. Les chefs d’accusation résultent d’une approche purement sécuritaire qui voilent les problèmes sociaux, économiques et politiques qui sont à l’origine de la gronde sociale. Rappelons que ce mouvement est né des manifestations déclenchées suite à la mort d’un vendeur de poissons, broyé dans une benne à ordure en octobre 2016, à Al-Hoceima (ville du Rif). Mais au-delà de cette tragédie, ce mouvement traduit un malaise social et un sentiment d’injustice très profonds. Plusieurs associations locales et internationales comme Human Rights Watch et Amnesty International condamnent ce verdict et dénoncent les arrestations abusives, et globalement la politique répressive des autorités marocaines contre le mouvement Hirak et d’autres mouvements. La répression n’exclut pas des journalistes comme Hamid Mahdaoui qui – pour avoir couvert les événements – est condamné à trois ans de prison ferme pour « non-dénonciation d’une tentative de nuire à la sécurité de l’État ».

Cet épisode souligne un net recul des droits de l’homme et des libertés au Maroc et risque de ternir l’image du pays aux yeux des instances internationales et particulièrement des partenaires européens sensibles à ces questions. De plus, contrairement aux attentes des autorités, ces condamnations disproportionnées risquent d’attiser les tensions et de susciter plus de solidarité en déplaçant la mobilisation vers d’autres villes et d’autres régions. Il faut ajouter que la mobilisation prend une forme horizontale qui la rend difficilement contrôlable par l’État.

La politique répressive du Makhzen traduit l’inquiétude des autorités face à ce genre de mouvement qui fait preuve de maturité politique et recourt à de nouvelles formes de mobilisations, facilitées par les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, très efficaces. On peut donner pour exemple la campagne de boycott de produits de grandes marques appartenant à des dirigeants ou à leur entourage. Elle résulte aussi du spectre de la révolte de 2011, dite « Printemps arabe », qui hante encore les dirigeants marocains, comme ceux de tous les pays de la région (Maghreb et Proche-Orient).

Quelle est la situation politique et sociale du Maroc ?

Le Maroc vit une situation politique et sociale des plus instables. Malgré les réformes structurelles, politiques et économiques, visant à moderniser le pays et à booster la croissance économique, le Maroc peine à atteindre un niveau de développement capable d’améliorer les conditions socio-économiques des Marocains et d’absorber le nombre croissant de candidats sur le marché du travail. La croissance économique est à 4,1% basée sur la production agricole, caractérisée par un faible potentiel de création d’emploi. Par conséquent, le taux de chômage atteint les 10% et il est surtout très élevé chez les jeunes et les femmes – un chômage qui affecte même les tranches ayant des diplômes universitaires. La redistribution clientéliste des richesses et des marchés accentue les inégalités sociales et encourage des disparités régionales en termes de développement et de services publics – acheminement en eau, éducation, transports, hôpitaux, etc. – ce qui renforce le sentiment d’injustice qui caractérise les mobilisations sociales actuelles.

Outre le malaise social et économique, une proportion importante de jeunes issus de classes moyennes se sent écartée des décisions politiques par des partis et des dirigeants qui ne répondent pas souvent à leurs aspirations, et ce malgré la libéralisation politique entreprise par le Roi Mohamed VI, confirmée par la nouvelle Constitution adoptée en 2011 suite aux mouvements de protestations. Ces derniers déstabilisent tant l’État que les partis politiques, et accentuent les clivages internes sur le soutien de la mobilisation citoyenne ou la politique répressive des autorités. Le Roi a limogé trois ministres au mois d’octobre dernier pour apaiser les tensions, mais la pérennité de la gronde sociale risque de fragiliser le Royaume et son gouvernement.

Arrêt de ses relations diplomatiques avec l’Iran, tensions persistantes avec l’Algérie, alliance économique avec le Nigeria… Qu’est-ce qui guide la diplomatie menée ces derniers mois par le Maroc et avec quels résultats ?

Le pays évolue dans un environnement régional très instable – guerre civile en Libye, montée de la menace terroriste au Sahel, etc. – qui représente un défi sécuritaire majeur. Cela s’ajoute au conflit sur le Sahara occidental qui l’oppose au mouvement indépendantiste du Front Polisario, et ses soutiens régionaux, notamment l’Algérie et le Nigeria, ainsi qu’aux tensions régionales qui opposent l’Arabie Saoudite et l’Iran.

C’est dans ce contexte que Rabat rompt ses relations diplomatiques avec Téhéran, l’accusant d’avoir facilité la livraison d’armes au Front Polisario par le Hezbollah via son ambassade à Alger. La décision de Rabat peut s’expliquer par deux raisons : d’une part, par la pression saoudienne qui vise à isoler Téhéran par sa logique de bouclier sunnite contre le régime iranien, et gagner, en contrepartie, le soutien de Riyad et ses alliés dans sa lutte diplomatique dans le dossier du Sahara occidental. D’autre part, elle peut aussi résulter de la volonté de Rabat de discréditer le Front Polisario en affirmant la connivence de ce dernier avec le Hezbollah, parti classé comme organisation terroriste par les États-Unis et certains États européens et arabes. De telles accusations visent à affaiblir diplomatiquement les rebelles sahraouis et leurs soutiens, au moment où l’ONU presse les deux parties à revenir sur la table des négociations.

Comme le projet de l’Union du Maghreb arabe (UMA) n’offre aucune perspective de coopération, le Maroc et l’Algérie se lancent dans des partenariats bilatéraux avec les pays de l’Afrique subsaharienne et de l’Ouest. Le développement de la coopération économique avec l’Afrique de l’Ouest est donc une façon pour Rabat de compenser le faible échange commercial entre les pays de l’UMA. Cela s’inscrit dans la diplomatie économique offensive que mène Rabat depuis quelques années, facilitée aujourd’hui par sa réintégration à l’Union africaine (UA) en 2017. L’exportation du Maroc vers ces pays est en augmentation depuis 2008. Renforcer la coopération avec un pays comme le Nigeria est un enjeu de taille – pays le plus peuplé de la région, disposant de ressources naturelles et minières importantes et jouant un rôle important au sein de l’UA. Rabat renforce ainsi sa coopération économique avec le Nigeria qui se traduit notamment par un projet colossal qui consiste en l’extension du gazoduc ouest-africain (GAO) vers le Maroc, visant à assurer l’électrification et le développement économique de plusieurs pays de la région. Rabat vise ainsi à renforcer sa place sur le plan géostratégique et au sein de l’UA, et également ramener  le Nigeria – soutien important au Front Polisario – vers son camp sur la question du Sahara occidental.

Mais les ambitions marocaines risquent d’être déçues : la réalisation d’un tel projet, estimé à 20 milliards de dollars semble très compliqué pour le moment, conjuguant le problème financier à l’instabilité sécuritaire de la région. De plus, Rabat n’a aucune garantie de convaincre Abuja de renoncer au soutien de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), à moins que le Roi ne décide lui-même de faire des concessions sur ce dossier devenu un handicap majeur pour son ambition géostratégique et son intégration effective au sein de l’UA.

Enfin, les relations entre l’Algérie et le Maroc sont pour le moment au point mort, empoisonnées par le différend sur le Sahara occidental. Les frontières entre les deux pays sont fermées depuis 1994 et le projet de l’UMA reste inopérant principalement à cause de cette relation conflictuelle entre Rabat et Alger. La rivalité entre les deux États ne se limite pas au conflit sur le Sahara occidental, l’ambition de leadership régional imprégnant tout projet de partenariat par une logique concurrentielle. Ainsi les deux pays ont, depuis leur indépendance respective, pris des orientations économiques, idéologiques et géostratégiques opposées issues de la guerre froide. Reste à savoir si dans les prochaines années, les deux États feront preuve de plus de pragmatisme dans leur relation. Ces deux pays partagent plusieurs problèmes – crise migratoire, le terrorisme et l’instabilité sécuritaire qui menacent les frontières, crise économique, etc. – qui nécessiteraient une coopération étroite.

G5 Sahel : quel état des lieux ?

Wed, 04/07/2018 - 10:27

Dans le cadre de sa tournée africaine, le chef de l’État français s’est rendu en Mauritanie afin de rencontrer ses homologues du G5 Sahel. Le financement des opérations de la force du G5 a été l’enjeu principal des discussions, afin d’apporter une réponse sécuritaire unifiée face à la menace terroriste présente dans la région. Au lendemain d’une nouvelle attaque contre la force du G5 au Mali, la relance de cette force panafricaine par le président français est-elle suffisante face à la présence terroriste ? Le point de vue de Serge Michailof, chercheur associé à l’IRIS, ancien directeur des opérations de l’Agence française de développement.

Quels étaient les enjeux du sommet réunissant les chefs d’État du G5 Sahel ? La présence d’Emmanuel Macron était-elle importante ? Quel est le rôle de la France dans la région ?

Le G5 Sahel est une initiative de cinq pays africains, la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad. La présence du président français était importante pour aider à aplanir quelques divergences entre les cinq chefs d’État.

Le premier enjeu est le financement de la force G5. Le coût de cette force est estimé à environ 350 millions d’euros par an. Celui-ci a été au niveau des promesses, plus que rempli, puisqu’il y a eu plus de 400 millions d’euros de financements promis, dont 100 millions de la part de l’Union européenne (UE), le solde étant apporté par les États-Unis, l’Arabie saoudite et quelques pays du Golfe. La France ne peut envisager de contribuer à ce financement étant déjà présente matériellement et financièrement par l’opération Barkhane dont le coût est de l’ordre de 700 millions d’euros par an, ceci sans compter sa contribution financière à la force de maintien de la paix des Nations unies au Mali, la MINUSMA. Mais malgré les promesses, le fonds fiduciaire constitué pour recevoir les financements promis n’est pratiquement pas alimenté et le manque de ressources est devenu un élément majeur de préoccupation.

La constitution de cette force G5 représente le second défi. En effet, tous les militaires des pays concernés formés et entraînés sont déjà affectés soit à diverses forces de maintien de la paix des Nations unies comme la Minusma, soit sont au service des forces armées des cinq nations qui sont déjà engagées contre les groupes djihadistes. La constitution de la force du G5 suppose par conséquent des substitutions au niveau des troupes, posant des problèmes d’effectif, de recrutement et de formation pour certains pays.

Enfin, le dernier enjeu est lié à la réticence de l’Union européenne à soutenir cette initiative. L’UE avait commencé par proposer 50 millions ce qui était franchement ridicule et n’a accepté de porter sa contribution à 100 millions que sous la forte pression de la France. Or, le Sahel concerné par les risques d’insécurité couvre une superficie équivalente à celle de l’Europe occidentale. La sécurité dans cette région constitue un bien public régional et le coût de la restauration de la sécurité devrait donc être mutualisé et supporté non seulement par les pays du G5 dont les ressources sont très limitées, mais aussi par les pays de la région en particulier l’Algérie et les pays européens. L’Algérie est très réticente, car elle considère inacceptable la présence militaire française à ses frontières. Mais l’Union européenne devrait en toute logique couvrir l’essentiel du coût de cette force africaine multinationale contribuant à sécuriser une région qui est au cœur de la problématique du terrorisme et de la crise migratoire. L’insuffisante prise de conscience de nombreux pays européens qui considèrent la sécurité au Sahel comme un problème qui ne concerne que la France est préoccupante.

De multiples financements avaient été annoncés par l’Union européenne, les États-Unis et les 5 pays du G5 Sahel en ce début d’année afin de renforcer la force armée africaine au Sahel et d’intensifier la lutte contre le terrorisme dans la région. Quel est l’état actuel de cette force militaire ?

Au niveau de la force militaire, dans la mesure où l’essentiel des financements n’a pas encore été versé et que la mobilisation des troupes est encore en cours, la force du G5 Sahel n’est pas encore réellement opérationnelle. Les premiers éléments ont participé à quelques opérations avec Barkane, mais leur présence n’est pas encore significative. En effet, les 5 000 hommes prévus dans cette force peuvent certes soulager un peu Barkhane, mais on ne peut leur demander de sécuriser une zone de 4 à 5 millions de km2 comptant actuellement près de 100 millions d’habitants. Rappelons aussi le récent attentat terroriste qui a frappé leur quartier général de Sévaré au Mali.

Au-delà des problématiques sécuritaires, vous insistez régulièrement sur le fait que le problème du Sahel est aussi politique. Quelles sont les priorités ?

Le maillon faible de la chaîne des pays sahéliens est aujourd’hui le Mali, zone où l’insécurité est désormais généralisée et particulièrement préoccupante, non seulement au nord désertique, mais aussi au centre et au sud du pays dans des zones très peuplées. La principale raison est la faiblesse de l’appareil d’État malien qui est incapable d’apporter aux populations de ces régions le minimum de sécurité, de justice et d’administration que tout citoyen attend d’un État. Les écoles publiques sont en train de fermer, les dispensaires aussi ; des milices se constituent et parfois s’affrontent. Les tensions anciennes entre éleveurs peuhls et agriculteurs bambaras ou Dogons dégénèrent en règlements de comptes. L’armée malienne, indisciplinée, a récemment procédé à des exécutions sommaires de civils. Ce qui est clair, c’est que cinq ans de présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta n’ont pas permis la construction d’une armée professionnelle efficace et respectueuse des droits de l’homme, que celle-ci se comporte aussi mal avec les populations que les groupes djihadistes, que la gendarmerie n’est pas non plus une force sur laquelle le pays peut compter. Au total, ce régime s’est révélé incapable de construire un appareil d’État et de surmonter le clientélisme qui ronge les institutions et les condamne à l’inefficacité.

Il faut espérer que sortira des urnes fin juillet un gouvernement capable de construire une armée compétente et disciplinée et en fait de reconstruire tout l’appareil d’État de ce pays, c’est-à-dire des écoles capables d’apprendre à lire, écrire et compter aux enfants, des dispensaires où les infirmiers sont présents et les médicaments n’ont pas été vendus frauduleusement, et surtout une justice présente sur tout le territoire et non corrompue. Or, le chaos qui se développe au Mali déborde désormais sur ses voisins, en particulier le Niger et le Burkina Faso.

Le football en Russie : entre passion et enjeu politique

Tue, 03/07/2018 - 17:32

« Le football reste au service du pouvoir, instrument de propagande, hier soviétique, aujourd’hui russe ». En Russie, le football est un sport populaire, mais avant tout une arme politique, de l’époque soviétique à aujourd’hui. L’actuelle Coupe du monde en est la parfaite illustration de la diplomatie du sport entamée par Vladimir Poutine depuis 2002, politique au service de son pouvoir. Le point de vue de Régis Genté, co-auteur du livre « Futbol : le ballon rond, de Staline à Poutine, une arme politique » (Allary Éditions, 2018) avec Nicolas Jallot.

Votre ouvrage “Futbol – le ballon rond de Staline à Poutine” décrit l’importance prise par le football au cours du XXe siècle, en rappelant que “le lien entre football et politique a survécu à la disparition de l’URSS, tout en ayant muté”. Pouvez-vous revenir sur ces changements ?

J’ai le sentiment que ces changements sont plutôt à regarder pour l’usage en politique intérieure qu’en politique extérieure. Le régime soviétique était totalitaire, ce qui n’est pas le cas de celui de M. Poutine. Or, un régime totalitaire va chercher chacun dans sa sphère privée, pour lui dire que penser, qui soutenir, etc. Ce régime a donc aussi tenté de contrôler chaque recoin du football, tâchant d’ériger par exemple les joueurs en modèle de citoyens soviétiques, comme l’URSS d’après-guerre l’a fait avec Lev Yachine, le légendaire gardien du Dynamo de Moscou et de la Sbornaïa (sélection nationale). Il y avait aussi, pour prendre un autre exemple, une grande attention portée à qui remporte le championnat. Ce dernier a échu pour ses vingt-deux premières éditions à des clubs de Moscou (Dynamo, Spartak, Torpedo, CSKA…) parce que le Kremlin ne voulait pas que les républiques de l’Union tirent une trop grande fierté des victoires de l’équipe porte-drapeau de leur nation, notamment l’Ukraine et la Géorgie avec les Dynamo de Kiev et de Tbilissi. Et quand ces derniers vont remporter leur premier titre, respectivement en 1961 et 1964, ce qui était le signe de changements d’équilibre au sein de l’URSS, le pouvoir va utiliser cette nouvelle donne pour se montrer dans le cadre de la guerre froide comme le parangon de l’ « amitié entre les peuples », alignant une Sbornaïa composée de nombreux non-Russes. La Russie de Vladimir Poutine laisse quant à elle aller les choses à bien des égards, même si le sport fait l’objet d’une grande attention et qu’il est un des outils utilisés par le Kremlin pour satisfaire sa grande ambition qui est de replacer le pays sur le devant de la scène diplomatique et géopolitique mondiale. Le pouvoir se contente surtout en politique intérieure de se concentrer à des fragments de la société au moyen du football, comme les franges très nationalistes que l’on retrouve dans les « virages » (tribunes d’ultras) des clubs russes ou comme la jeunesse des républiques musulmanes du Caucase du Nord, tentée par l’islamisme du fait de la profonde dépression socio-économique qui frappe des républiques comme la Tchétchénie ou le Daghestan.

Vous revenez longuement dans votre ouvrage ainsi que dans le documentaire “KGB, arme du football”, sur l’histoire de Nikolaï Starostin et notamment sa relation avec Béria, mais également avec le pouvoir russe. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

D’abord parce que les quatre frères Starostine font figure de pères du football russe et que leur histoire alternant le rocambolesque et le tragique est entrée dans la légende. En quelques mots, disons que Lavrenti Beria, qui à partir de 1938 devient le patron de tout l’appareil sécuritaire de l’URSS de Staline, va les expédier au goulag en 1942 parce qu’avec le Spartak de Moscou, qu’ils ont fondé avec comme « sponsors » les coopératives alimentaires et les Komsomols (jeunesses communistes) alors dirigés par le rival politique de Beria qu’était Alexandre Kossarev, ils étaient devenus très populaires et que leur équipe avait damé le pion au Dynamo de Moscou. Et au fond, pour Nicolas Jallot et moi-même, cette histoire est apparue comme celle du match entre le peuple et le pouvoir soviétique. Ce n’est pas que le Spartak était réellement « l’équipe du peuple », ainsi que ses dirigeants ont eu le génie de le faire « baptiser », car c’était aussi une équipe du pouvoir. Mais sans doute que les aspirations du peuple, animé par sa passion simple pour le jeu, ont été mieux écoutées, mises en application sur le terrain, par le Spartak, dont le jeu était plus spontané, plus libre, que celui de l’équipe des « flics », de son grand rival le Dynamo de Moscou. Pour moi, en tant que journaliste qui s’est spécialisé depuis seize ans sur l’ancien espace soviétique, s’intéresser à cette relation Beria – Starostine a aussi été une occasion de regarder dans ce qui fonde les tensions au sein d’un régime dictatorial, comment deux tenants du pouvoir, deux visions d’un même pouvoir, Kossarev et Beria, peuvent s’opposer et chercher à obtenir le soutien du peuple, le « stade » en l’occurrence, pour défendre leur position dans les couloirs du Kremlin. Même dans un régime aussi dictatorial et totalitaire, il faut avoir si possible le stade derrière soi.

Pouvez-vous revenir sur la phase de candidature et la volonté pour Vladimir Poutine d’organiser un tel évènement ?

Pour ce qui est de l’arrière-fond d’abord, je voudrais rappeler que la Russie d’aujourd’hui a sur ce point un vrai point commun avec l’URSS de Staline ou de la période de la guerre froide. Bref, l’on a à faire aux fondamentaux de la Russie, que je déclinerai en trois points : 1°) Un pays qui depuis deux siècles se définit de façon obsessionnelle par rapport à l’Occident et qui va notamment sur le terrain du sport pour prouver la supériorité ou la légitimité de ses projets politiques, qu’ils soient bolchéviques ou autoritaro-conservateurs comme aujourd’hui. D’où l’affaire du dopage d’État révélé quelques mois après les Jeux olympiques d’hiver de Sotchi. 2°) Un pays qui rêve de puissance, mais sait très bien qu’il est une « puissance pauvre », c’est-à-dire dont les ambitions politiques sont bien au-dessus de la réalité de la puissance, économique notamment, et qui pour combler ce déficit doit bluffer en jouant de la puissance symbolique qu’offre le sport. 3°) Un pays qui se sert du sport pour faire admettre dans l’opinion publique, rendre acceptable, la nature de son régime et ce qui va avec, une économie bridée par le manque de liberté et la corruption. Je crois que sur la base de ces trois points, outre les enjeux en termes d’image que l’on offre au monde et qui sont eux commun avec tous les autres États candidats à l’organisation d’évènements sportifs planétaires, on peut comprendre pourquoi il était si important pour M. Poutine d’accueillir ce mondial. C’est une politique très réfléchie, avec notamment le géant gazier russe Gazprom qui est sponsor de la FIFA, ou encore la profonde réforme du sport lancée par M. Poutine dès 2002 et qui sera plus tard baptisée « Russie, puissance sportive ». On voit avec ce « slogan » combien la question de la « puissance » est au cœur des préoccupations du président russe lorsqu’il se tourne vers le sport, d’autant que le mot russe choisi en l’occurrence, « dierjava », est celui qui servait au XIXe siècle pour désigner la puissance de l’empire du Tsar.

Votre ouvrage s’achève avec la Coupe du monde en Russie de 2018. Si vous revenez sur les différents enjeux pour Vladimir Poutine au moment de la compétition, quelles seront les conséquences pour la Russie de cette Coupe du monde une fois achevée, sur sa diplomatie en termes de football ?

Difficile à dire pour le moment. Il ne faut pas exagérer la puissance du sport. Il est un miroir de la politique et de la société, mais pas ce qui les fait changer, me semble-t-il. C’est la diplomatie qui utilise le sport, pas le contraire. J’ai le sentiment que M. Poutine est en passe de faire admettre dans les opinions publiques que la Russie a organisé un bon mondial et qu’il a offert une image acceptable de lui, même si celle-ci aura été extrêmement superficielle et standardisée. Hormis les observateurs attentifs ou avertis, peu se diront que ce pays qui prétend affirmer sa souveraineté à tous les niveaux ne fait en réalité que « singer », mot très important dans la langue « politique » russe, l’Occident et le monde globalisé. Il suffit de regarder l’esthétique des stades de ce mondial pour s’en convaincre, ou se repasser les cérémonies d’ouverture et de clôture des JO d’hiver de Sotchi de 2014. Mais M. Poutine mise sur le rouleau compresseur du façonnage grossier des opinions publiques et se dit que les voix critiques ne seront pas audibles, d’où sa fermeté à ne pas relâcher les prisonniers politiques que son régime détient, du cinéaste de Crimée Oleg Sentsov au directeur de la branche de Tchétchénie de l’ONG Memorial Oyoub Titiev. Pour lui, la conséquence espérée est que son régime deviendra la norme, à une époque où les démocratures et régimes résolument autoritaires ont le vent en poupe.

Élections fédérales mexicaines : la victoire de Lopez Obrador, un tournant pour le pays ?

Tue, 03/07/2018 - 14:26

Andrés Manuel Lopez Obrador a été élu à la présidence du Mexique avec plus de 53% des voix. Cette victoire historique de son parti Morena (Mouvement de régénération nationale) – premier parti de gauche mexicain au pouvoir – permet d’assurer la majorité au Parlement, de remporter la mairie de Mexico, ainsi que la présidence de quatre États. Au terme d’une campagne d’une rare violence, et dans un contexte de tensions avec son voisin nord-américain, les défis sont multiples pour le nouveau chef d’État mexicain. Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

L’élection de Lopez Obrador et de son parti Morena est-elle un signe d’espoir pour le pays ? Comment cette élection a-t-elle été perçue par la communauté internationale ?

Espoir est le mot clef. La population est fatiguée par la montée en puissance du crime et des enlèvements. Fatiguée également par un quotidien difficile pour les plus modestes, alors que la corruption n’a jamais atteint des seuils aussi élevés. Fatiguée aussi par la violence verbale du président des États-Unis et les mesures répressives prises à l’encontre des migrants et des résidents mexicains. Enfin, fatiguée de vivre dans la peur du lendemain, la peur de la police et des autorités, en particulier dans certains États de la Fédération, comme Puebla et Veracruz.
Le vote émis est celui d’une revendication démocratique, d’une nouvelle et plus authentique transition que celle effectuée sous la tutelle du Parti action nationale (PAN, droite) en 2000.

Le vainqueur de la présidentielle a promis « des changements profonds » et « sans dictature ». Quelles vont être les priorités du nouveau chef d’État mexicain ? Quelle posture faut-il attendre du Mexique sur la scène internationale, notamment dans sa relation avec les États-Unis ?

Andres Manuel Lopez Obrador, autrement appelé AMLO, a promis une quatrième rupture démocratique aux Mexicains. Une transition qui prétend refonder le pays pour le bien de tous, les entrepreneurs comme les pauvres, les laïques comme les croyants. Il a tendu la main au président actuel, Enrique Pena Nieto (Parti révolutionnaire institutionnel, PRI), dont il a salué la bonne attitude démocratique, contrairement à celle de son prédécesseur, Felipe Calderon (PAN). Il a également tendu la main à ses adversaires vaincus. Durant sa campagne et dans la déclaration faite au soir de sa victoire dimanche dernier, il a davantage annoncé des orientations que des mesures et réformes précises. La première est celle de construire la patrie de tous, riches comme pauvres. Les entrepreneurs a-t-il dit y auront une place garantie dans l’économie mexicaine, et les plus modestes seront sa priorité.

De plus, AMLO souhaite mettre la lutte contre la corruption au cœur de son projet. Cette dimension a un caractère fondamental d’éthique politique. Lutter contre la corruption permettra de dégager des moyens financiers afin d’engager un programme de valorisation de la structure productive et de lutte contre la pauvreté. Il n’y aura donc pas, a-t-il ajouté, de nécessité d’augmenter les impôts ou de nationaliser des biens privés. Seule exception, qui renvoie aux valeurs du souverainisme défendu par le PRI des origines, la reconquête de la souveraineté pétrolière, remise en question par le PRI, le PAN et le PRD (Parti de la révolution démocratique).

En matière de politique étrangère, peu de mesures ont été annoncées. Ici encore reprenant le corpus du PRI historique, AMLO a signalé que la politique extérieure du Mexique serait axée sur la défense de la souveraineté, la non-ingérence, et des relations de coopération sur la base du respect mutuel avec l’ensemble des États du monde. Il a remercié, sans citer les chefs d’État lui ayant adressé leurs félicitations dimanche soir. Une seule petite phrase a fait référence aux États=Unis, avec lesquels il souhaite avoir de bonnes relations de coopération sur la base d’un respect mutuel. On notera que pendant sa campagne, Lopez Obrador n’a effectué que peu de déplacements en dehors du Mexique : il a rencontré le président équatorien, Lenin Moreno, et l’ancienne présidente chilienne, Michelle Bachelet, ainsi que le chef du Parti travailliste britannique, Jeremy Corbyn, marié à une Mexicaine.

Ces élections ont été marquées par de nombreuses violences, dont l’assassinat de 145 hommes politiques, campagne considérée comme « la plus sanglante » de l’histoire mexicaine. Comment analysez-vous cette situation ? Quelles sont les mesures souhaitées par Lopez Obrador pour lutter contre l’impunité de la violence ?

La violence a franchi un seuil inquiétant à partir de 2006. Cette année-là, le président Felipe Calderon (PAN) avait décidé de mobiliser les forces armées contre le crime organisé. Les grands réseaux ont été fragmentés en petits groupes antagonistes de plus en plus incontrôlables. Une guerre territoriale a ensanglanté le Mexique (200 000 morts depuis 2006). La décision prétendait contourner l’inefficacité des polices gangrénées par la corruption et le différentiel en armements, les délinquants achetant à la frontière avec les États-Unis des armes de plus en plus performantes.

Le contexte électoral a exacerbé ces rivalités entre bandes locales. Pour assurer leur mainmise territoriale, elles ont cherché à éliminer physiquement les candidats prétendant rompre avec ce mode de fonctionnement, ou souhaitant introduire d’autres bandes dans un territoire considéré comme le leur. Des milliers de bulletins ont été par ailleurs volés afin d’empêcher l’élection. Ce climat a pu être utilisé par les adversaires d’AMLO pour dissuader les électeurs d’aller voter. La participation a eu ainsi une valeur démocratique de vote contre la peur. Le parti Morena avait contesté en décembre passé la loi de sécurité nationale couvrant l’action des forces armées, considérant que ces dernières étaient ainsi libres de mener des actions contraires aux droits de l’homme, alors qu’elles sont elles aussi atteintes par la pénétration de la corruption.

Sur la question préoccupante qu’est la violence intérieure, AMLO a annoncé la constitution d’un commandement unifié en matière de sécurité. Il a également signalé qu’il allait consulter les ONG de défense des droits de l’homme ainsi que le Conseil des droits de l’homme des Nations unies qui a lancé un message d’alerte sur le Mexique il y a quelques jours.

L’Europe et la « crise migratoire », une question de valeurs

Fri, 29/06/2018 - 10:38

Le mini-sommet européen du 24 juin à Bruxelles organisé pour adresser la « crise migratoire » n’a pas permis de déboucher sur une solution à 28. En s’éloignant des valeurs que sont le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance et la solidarité – énoncées dans l’article 2 du traité de l’Union Européenne –, c’est tout le sens du projet européen qui risque de se perdre.

L’absence de conclusions communes au terme du mini-sommet européen qui s’est tenu ce dimanche à Bruxelles consacre un peu plus les divergences et tensions qui opposent les Etats et les institutions de l’Union sur le dossier migratoire. Les pays du groupe de « Visegrad » (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) sont allés jusqu’à « boycotter » l’évènement, adoptant ainsi une stratégie de la chaise vide qui symbolise à la fois leur défiance à l’égard de la chose européenne et leur refus de toute logique de solidarité sur ce dossier migratoire.

Un sens de l’irresponsabilité qui ne leur est pas propre, comme l’atteste l’épisode de l’Aquarius. Au-delà de la condamnation politique et morale de l’Italie et de Malte qui ont réfusé l’accès à leurs ports, le jeu des hypocrisies a prévalu sur les obligations juridiques à l’égard de l’Aquarius : le devoir des Etats européens de porter assistance aux personnes en détresse en mer – en leur offrant un lieu sûr dans des délais raisonnables – découle directement du droit international de la mer [1]. La France n’est pas en position de donner une quelconque leçon de morale européenne à l’Italie. Pour justifier son silence assourdissant, malgré la proximité de ses côtes et de ses ports, la France s’est engluée dans une série d’arguties juridiques qui contribuaient in fine à légitimer le discours anxiogène sur l’accueil des réfugiés, réduits à une menace sécuritaire et identitaire. Une décision élyséenne ni à la hauteur des valeurs républicaines et européennes, ni en harmonie avec le discours qu’avait Emmanuel Macron en tant que candidat à l’Elysée. Le geste humanitaire du gouvernement espagnol à peine formé par la gauche sauva l’honneur de l’Europe, sans pouvoir apporter de solution pérenne à une crise migratoire qui nourrit la crise existentielle dans laquelle s’enfonce chaque jour un peu plus l’Europe depuis le débat sur le traité de Maastricht au début des années 1990, puis sur la Constitution européenne une dizaine d’années plus tard.

L’onde de choc populiste ou national-identitaire qui a amené Donald Trump à la Maison Blanche traverse également le Vieux continent d’Est en Ouest et du Nord au Sud. Si cette défaillance collective nourrit les replis et les populismes nationaux, les réponses de nature essentiellement technocratiques – il n’existe pas de « boite à outils » magique pourrait-on rétorquer – ne sont pas à la hauteur des enjeux foncièrement politiques et axiologiques. Car dans cette « crise migratoire » cristallisée autour du bassin méditerranéen, c’est aussi le sens du projet européen qui se perd, c’est le doute d’un destin commun qui s’instille plus que jamais. Quelle Europe voulons-nous ? Une forteresse repliée sur elle-même tel un village fictif dans un monde globalisé ou une Europe réaliste (car oui, les flux de migrants et de réfugiés peuvent représenter une chance pour le Vieux continent) et solidaire, digne de ses valeurs fondatrices, celles-là même qui lui ont permis de recevoir le prix Nobel de la paix (en 2012) ?

Derrière ce questionnement, c’est la question de l’identité européenne qui se pose avec force. Celle-ci doit se libérer des passions tristes renouant avec le mythe de la pureté des origines – civilisationnelles, ethniques, religieuses, etc. – pour mieux renouer avec son essence humaniste et cosmopolite, conforme aux fondements axiologiques de la construction européenne rappelés en ces termes par l’article 2 du traité UE : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. ». Partant, tout accord ou dispositif européen tendant à repenser le règlement de Dublin, ou à instituer un droit d’asile européen, devra porter la marque de ce socle de valeurs. Dans le cas contraire, c’est l’idéal européen qui s’en trouvera dénaturé.

En attendant, l’incapacité des Etats européens à apporter une réponse commune à la hauteur des valeurs censées incarner leur projet politique trahit leur inconsistance. Celle-ci se traduit par la prévalence de choix guidés par des considérations égoïstes et courtermistes qui s’avèrent contre-productives et relativement inefficaces. Ainsi, et suivant un schéma qui risque de se répéter, une semaine à peine après l’arrivée en Espagne des 630 migrants à bord de l’Aquarius, un nouveau bateau – le Lifeline – transportant près de 200 migrants cherche un port européen où accoster…

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[1] Voir les amendements à la convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes de 1979, dite convention «SAR», adoptés par l’Organisation maritime internationale (OMI).

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