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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Intelligence artificielle : quel risque terroriste ?

Tue, 29/05/2018 - 16:28

L’intelligence artificielle (IA) dessine un nouvel horizon d’attente pour les sociétés contemporaines. Mais la crainte de voir les technologies de l’IA se substituer aux humains sur le champ de bataille, physique, et cyber, s’est elle aussi considérablement diffusée. Les armées à travers le monde y prêtent particulièrement attention, et elles ne sont pas les seules : les groupes terroristes eux aussi cherchent désormais à s’emparer de l’IA pour accroître leurs capacités d’action.

Les services de contre-terrorisme ont pour habitude de sous-estimer la capacité des groupes terroristes à s’emparer des technologies émergentes, à en maîtriser l’utilisation et à les mettre au service de leur lutte. Or, l’essor de Daech nous l’a suffisamment prouvé, les terroristes se sont avérés particulièrement habiles dans le maniement de ces technologies, en particulier celles de l’information et de la communication (TIC). En témoignent leur intense activité sur les réseaux sociaux au cœur de la conflagration syrienne et leur aptitude à attirer nombre de combattants étrangers sur les champs de Bellone.

La capacité d’adaptation des terroristes face aux progrès technologiques

Grâce aux nouvelles avancées dans le domaine du cryptage, les réseaux sociaux sont devenus de véritables plateformes opérationnelles, des instruments de planification virtuelle pour une multitude de tâches, allant du recrutement à la définition de cibles, en passant par la coordination des attaques. Ce sont des réseaux comme Telegram qui permettent aux différentes cellules terroristes de communiquer entre elles, quelle que soit leur localisation, et ce pour des motifs très variés, depuis la logistique jusqu’à l’assistance technique, pour la fabrication de bombes par exemple.

Leur maîtrise des nouvelles technologies ne se limite pas au cyber. En 2017, des journalistes du New York Times ont filmé une attaque de drones de Daech, durant la bataille de Mossoul : contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, les terroristes ont su adapter le maniement des drones à leurs capacités stratégiques, sans reproduire l’utilisation qui en est faite par les Occidentaux. Les drones déployés par les terroristes durant cette bataille étaient de simples drones commerciaux, de faible taille, donc difficilement détectables, que l’on avait équipés de grenades pour attaquer les forces irakiennes cherchant à reprendre la ville.

Ironie de l’histoire, les terroristes ont su tirer profit de l’extension de la société de consommation à l’échelle planétaire, en dépit des valeurs libérales qui lui sont attachées. Les réseaux sociaux, les logiciels de chiffrage et les drones sont autant d’instruments que les terroristes sont parvenus à adapter en fonction de leurs propres intérêts et objectifs.

L’IA, une technologie parmi d’autres pour les terroristes ?

Sans aucun doute, l’IA sera elle aussi utilisée à des fins terroristes. À mesure que les technologies qui lui sont associées seront moins coûteuses et plus accessibles, certains n’hésiteront pas à les détourner de leurs fins premières.

Certes, pour lors, l’intelligence artificielle n’a pas atteint un niveau de complexité tel que son utilisation pourrait se généraliser à court terme sur le champ de bataille, à travers l’utilisation de systèmes d’armes létales autonomes (SALA) par exemple. De plus, les technologies d’IA sont pour le moment réservées aux entreprises occidentales, en particulier les géants technologiques, et aux États. Néanmoins, il est à prévoir que certaines applications pourraient être rapidement utilisées par des groupes terroristes.

D’abord, on peut imaginer que ces groupes sauront utiliser l’IA pour améliorer leurs capacités de renseignement, notamment grâce à des outils d’analyse des réseaux sociaux. Les premières victoires obtenues par Daech sur le champ de bataille se sont pour partie fondées sur la capacité d’anciens membres des services de renseignement baasistes d’établir une cartographie rigoureuse des acteurs-clés des villes qu’ils souhaitaient conquérir, afin d’aider le groupe terroriste ensuite à les arrêter ou à les éliminer. Associer l’IA à ces opérations aura sans doute l’avantage de les rendre moins pénibles et de réduire les risques d’être découvert ; elles permettront également d’accélérer le traitement des données de renseignement et de prendre de meilleures décisions pour accroître les chances du groupe de s’emparer de lieux stratégiques.

L’utilisation de drones autonomes est une piste qui doit être également explorée. L’armée américaine comme l’armée chinoise investissent des moyens financiers substantiels dans des programmes de développement de drones de petite taille, de faible coût (environ 200 dollars l’unité), capables de se déplacer en « essaim » (technique du swarm), de manière autonome, et de saturer le système de défense des porte-avions ou des avions de chasse. Face à un essaim de drones, les moyens de riposte actuels sont largement inefficaces. On imagine aisément l’utilisation que pourraient en faire des groupes terroristes, à mesure que ce type de technologies deviendra plus accessible, en particulier à travers les filières clandestines.

Avec la généralisation de l’accès à l’intelligence artificielle, ce sont également l’impact et la précision des cyberattaques qui risqueront de s’accroître à l’avenir : les infrastructures vitales (centrales nucléaires, systèmes électroniques hospitaliers, usines pétrochimiques…) seront confrontées à de nouvelles menaces (pannes de courant, déni de service…) ; l’information et l’opinion publique seront plus aisément manipulables grâce à la propagande ciblée (utilisation de chatbots haineux, filtrage de l’information…). Tout cela nous amène à bien réfléchir à la manière dont nous concevons ces technologies, selon quelles fins et au sein de quel cadre de régulation. Pour le moment, les rivalités entre États empêchent tout dialogue serein et constructif. Mais gageons que, confronté à une menace globale à laquelle personne ne peut raisonnablement prétendre échapper, le système international saura dépasser provisoirement ses contradictions pour instaurer des règles qui satisfassent le plus grand nombre et encadrent de façon appropriée le développement de ces technologies.

EuropaCity : le projet du Triangle de Gonesse où certains voudraient créer une nouvelle ZAD

Tue, 29/05/2018 - 14:54

Quelles sont les raisons qui suscitent l’opposition à ce projet ?

Eddy Fougier : Principalement l’artificialisation des 80 hectares de terres agricoles très fertiles , qui a déclenché une mobilisation réunissant José Bové, la FNSEA et Pierre Rabhi, ce qui assez exceptionnel, mais au-delà, la contestation est surtout le fait des fédérations de commerçants qui craignent la désaffection du centre-ville au profit des commerces implantés sur le site Europcity. Les riverains n’y sont pas opposés, ils manifestent plutôt un certain intérêt pour cet investissement potentiellement créateurs d’activités et d’emplois.
A l’heure actuelle, ce site est une zone en friche, et la commune pourrait logiquement bénéficier d’importantes retombées économiques.

Europacity s’inscrit-il dans les « projets inutiles et controversés » de type Notre Dame des Landes ou encore le site de Bure qui prévoit l’enfouissement des déchets nucléaires ?

Contrairement à ce que laissent entendre certains opposants, ce projet ne réunit pas les caractéristiques ni les conditions pour susciter une mobilisation d’ampleur. En dehors de l’opposition des agriculteurs soutenus par des écologistes “venus de Paris” et des commerçants qui s’inquiètent pour des raisons économiques justifiant éventuellement une compensation, ce complexe ne représente pas d’enjeux politiques et sociétaux concrets. Au contraire, ce projet représente peu d’inconvénients au regard des bénéfices qu’il peut apporter. Par ailleurs, pour qu’une mobilisation prenne forme, il faut qu’elle se manifeste sur des lieux que les opposants vont pouvoir occuper sur le long terme. Non seulement la géographie du site ne le permet pas, mais de plus, ces terres sont actuellement exploitées par des agriculteurs. On voit mal comment une « ZAD » pourrait prendre forme…

Le site a donc toutes les chances de voir le jour, même si une bataille juridique a été lancée ?

Cette bataille est un procédé classique de ralentissement des projets contestés. Mais il est peu probable qu’un tel investissement – c’est le plus gros investissement privé en France depuis Disneyland- échoue. Au contraire, c’est un projet « post-Notre-Dame-des-Landes », dans la mesure où le groupe Auchan et l’investisseur Wenda ont parfaitement pris en compte les impératifs locaux d’acceptabilité sociale de leur projet. Ils ont « coché toutes les cases » en organisant des présentations et des consultations auprès des différentes parties prenantes. Même si des éléments imprévisibles peuvent toujours se produire, le projet en lui-même n’est pas foncièrement clivant. C’est plutôt un projet « tiède » qui n’offre pas d’effet de levier pour une réelle contestation.

« Le foot va-t-il exploser ? » – 3 questions à Richard Bouigue et Pierre Rondeau

Tue, 29/05/2018 - 14:53

Richard Bouigue est Premier adjoint à la mairie de Paris 12e et responsable du pôle Sport à la fondation Jean-Jaurès. Pierre Rondeau est économiste du sport et professeur à la Sports Management School. Ils répondent à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage, « Le foot va-t-il exploser ?  Pour une régulation du système économique du football », aux éditions de l’aube.

Y a-t-il trop d’argent dans le football ?

Le marché du football est un secteur en pleine croissance, qui draine beaucoup d’argent. C’est indéniable. Depuis le début des années 2000, la croissance annuelle moyenne du budget des 98 clubs du big-five (Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne, France) est de 9%. La masse salariale a quant à elle augmenté de 450% entre 1996 et 2016. Les dépenses en matière de transfert ont également considérablement crû, passant de 1 million d’euros, dans les années 1970, pour la superstar Johan Cruyff, de l’Ajax d’Amsterdam au FC Barcelone, à 222 millions d’euros cet été pour Neymar, du Barca au Paris Saint-Germain.

La première question qui se pose est de savoir si cette évolution exponentielle est saine et durable, ou si elle traduit un grossissement incontrôlable d’une bulle jusqu’à son éclatement. La plupart des spécialistes et des observateurs, satisfaits de la toute-puissance du football, rappellent que son économie est pérenne, que ce sport attire de plus en plus de monde et que les diffuseurs paient de plus en plus cher les droits télévisuels à destination des clubs. Pour la ligue 1 française, les droits sont ainsi passés de 800 000 € par an dans les années 1980, à 748 millions d’€ aujourd’hui (et on annonce le milliard dès 2021). Ne craignez donc rien, tout va très bien dans le meilleur des mondes. Sauf que, et c’est l’objet de notre livre, quand bien même l’argent afflue dans le foot, quand bien même les clubs bénéficient d’une économie florissante et d’un assainissement des comptes certain, nous nous inquiétons des conséquences externes, des défaillances et des inégalités créées par ce système et des risques systémiques. En effet, l’argent est finalement accaparé par une petite caste particulière de joueurs et de clubs. À titre d’exemple, en France, les 10% des joueurs les plus riches touchent 48% de l’ensemble des salaires versés. L’intensité compétitive et l’équité sportive ont disparu, le suspense a été annihilé, qu’il s’agisse des compétitions européennes ou des compétitions nationales, le classement est quasiment déjà couru d’avance. Il y a en somme moins d’intérêt à regarder le football tant la glorieuse incertitude du sport tend à disparaître.

La deuxième question qui se pose est celle de la télédépendance du football. Or, si l’argent est grandement dépendant des droits de diffusion payés par les chaînes de télévision, que se passera-t-il si ces dernières ne font plus l’audience escomptée et qu’elles n’ont plus intérêt à payer autant pour du foot ? Le risque est grand, d’autant plus que certains clubs sont dépendants à 60% de ces droits télévisuels.

La troisième question qui se pose est celle de la pérennité d’un système qui génère beaucoup d’argent, mais aussi de fortes inégalités salariales ainsi qu’une incroyable précarité, souvent peu évoquée. D’après l’UNFP, le principal syndicat des joueurs dans l’hexagone, le taux de chômage moyen dans le football français est de 15% depuis quatre ans, alors qu’il est passé sous la barre des 10% en France en 2017. Le syndicat estime en outre que 25% des joueurs commencent la saison, chaque année, sans avoir signé le moindre contrat professionnel. En France, où la situation est en comparaison moins difficile, on estime qu’un aspirant footballeur sur six deviendra professionnel, ce qui en laisse cinq sur le bas-côté, sans aucune formation qualifiante ni diplômante et avec le goût amer d’avoir échoué à réaliser leur rêve. La situation des entraîneurs n’est pas plus enviable. Si quelques-uns, très connus, sont bien payés, la plupart ne le sont pas et la durée de vie moyenne d’un entraîneur à la tête d’une équipe professionnelle, en Europe, n’est que de dix-sept mois…

C’est pourquoi nous voulons tout mettre en œuvre pour réguler le football, renforcer la protection des joueurs, entraîneurs et formateurs. L’argent n’a pas à être diabolisé, le marché n’a pas à être contraint. Au contraire il faut, en bonne intelligence, profiter de l’hypercroissance du football et assurer sa pérennité.

Pourquoi le football est-il davantage critiqué que d’autres sports (Formule 1, golf, etc.) ou milieux culturels (cinéma, etc.), qui attirent pourtant également énormément d’argent ?

Le football continuera à être méprisé et jugé par les classes dominantes, par les classes d’influence. Du fait de son origine populaire et sa population, les clichés et les stéréotypes sociaux ne s’arrêteront pas de véhiculer. Pratiqué et célébré par les classes précaires, les classes pauvres, les classes laborieuses, suivi par des millions de fans et de supporters, il serait victime d’une forme de racisme social.

L’élite verra toujours d’un mauvais œil cette pratique sportive et jugera incompréhensible l’intérêt accordé au sport numéro 1 sur Terre. Le sociologue Stéphane Beaud, dans son livre Traitres à la Nation ! présente très bien ce phénomène. Lors d’un séminaire à l’École normale supérieure, il a subi les foudres de certains de ses collègues, qui s’étonnaient qu’un « intellectuel tel que lui » s’intéresse à un sport aussi méprisable et vil, pratiqué par des « abrutis milliardaires ».

L’un des auteurs du livre Le foot va-t-il exploser ?, Pierre Rondeau, a lui-même été victime des moqueries de ses pairs, à l’université, qui s’étonnaient de son intérêt porté aux phénomènes entourant le ballon rond. « Le football n’est pas un objet académiquement acceptable » lui a-t-on répété. Pourtant, le football est un sport, un business, une religion, un métafait social planétaire auquel il est impossible de ne pas s’intéresser.

Ces éléments expliquent en partie les critiques adressées à ce sport, alors même que d’autres, comme la Formule 1 ou le golf, drainent autant de richesses. Le football, et les footballeurs, parce que sport numéro 1, sera toujours victime de moqueries et d’un mépris de classe.

Cela est surement dû à son caractère profondément désuet. C’est un sport facile à pratiquer, facile à comprendre : n’importe qui, avec un ballon, peut jouer au foot ; n’importe qui, devant sa télévision, peut comprendre les règles. À l’inverse, piloter une voiture de formule 1, pratiquer le golf ou jouer dans un blockbuster hollywoodien, demanderait peut-être un peu plus de travail et la rémunération des agents s’en trouverait ainsi légitimée pour l’opinion publique. Ce n’est pas donné à tout le monde, alors que le football, finalement, c’est facile.

Qu’est-ce que la taxe coubertobin ?

Nous proposons la mise en place, à échelle internationale, de la contribution Coubertobin, en référence au baron Pierre de Coubertin, militant de l’équité sportive internationale, et de l’économiste James Tobin, fondateur d’un impôt sur les opérations de change internationales. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une taxe, mais plutôt d’une contribution qui consisterait en une part de 1% sur toutes les indemnités de transferts. Cela permettrait d’abonder un fonds de développement qui financera la mise en œuvre effective de programmes scolaires et de formations professionnelles ainsi que d’un fonds dédié à la reconversion des sportifs.

L’idée d’un tel prélèvement est gagnante-gagnante. Il agirait comme un outil désincitatif pour les clubs acheteurs refusant de payer une somme supplémentaire sur les joueurs, et comme un outil de financement pour la protection sociale des sportifs, en cas de paiement.

Nous préconisons de rendre la contribution dégressive en fonction de l’âge des footballeurs. Plus ils sont achetés jeunes, plus le taux augmenterait jusqu’à atteindre un montant confiscatoire dans le seul but de limiter « la fuite des muscles » et de veiller à la formation et au développement des jeunes joueurs.

Nous voulons imposer un grand débat national et international. Le football, sport le plus populaire du monde, ne peut pas se laisser prendre par l’idéologie mortifère de l’égoïsme libéral. En imposant une telle contribution, nous allons plus loin que la simple volonté de contrôler juridiquement le marché, en internalisant toutes les externalités négatives.

 

La Palestine est-elle une cause perdue ?

Tue, 29/05/2018 - 11:07

Gaza subit un blocus depuis plus de dix ans. Enclavée entre l’État d’Israël, la mer Méditerranée et l’Égypte, cette bande du territoire palestinien concentre une densité de population parmi les plus élevées au monde, avec 1,5 million d’habitants sur 45 kilomètres de long et 5 à 12 km de large, soit une superficie totale de 365 kilomètres carrés. Aux prises avec une situation humanitaire dramatique, sa population se mobilise depuis le 30 mars. Dans l’indifférence générale de la communauté internationale des États. À moins que la Cour pénale internationale ne soit à l’origine d’un sursaut d’un semblant de conscience mondiale.

Destinée à commémorer la « Nakba » (« grande catastrophe » de l’exode des réfugiés palestiniens en 1948), des dizaines de milliers de Palestiniens se sont mobilisés le long de la bande de Gaza. Leur manifestation fondamentalement pacifique a été réprimée dans le sang par l’armée israélienne qui continue à revendiquer une éthique d’exception…

UN NOUVEAU MASSACRE DE PALESTINIENS

C’est dans ce conteste que le 14 mai dernier, jour de l’implantation illégale de l’ambassade américaine à Jérusalem et veille de la triste commémoration de la Nakba, les soldats israéliens ont tiré à balles réelles sur des manifestants à Gaza, faisant des dizaines de morts (62 officiellement) et plus de 1 300 blessés (destinés à devenir des handicapés à vie). Des Palestiniens qui manifestaient pour leurs droits et leur liberté, le long de la bande de Gaza, seuls face au recours à la violence disproportionnée des snipers de l’armée israélienne.

Il revenait à l’ONU de pouvoir mener une enquête indépendante sur ces faits. Ce à quoi le gouvernement de droite et d’extrême droite dirigé par Benjamin Netanyahou, via le soutien de l’administration Trump, a pu à nouveau s’opposer. Une position de force renforcée par l’absence de « solidarité arabe ». Le sentiment palestinien est exprimé par cette interpellation populaire : « Wen Al-‘Arab ? » (« où sont les Arabes ? »)…

LE SENTIMENT D’IMPUNITÉ D’ISRAËL

Le massacre est intervenu dans un contexte où le gouvernement de droite et d’extrême droite israélien jouit d’un sentiment d’impunité et de toute puissance, fort de l’appui inconditionnel des États-Unis et de la passivité de la communauté internationale (y compris des pays arabes en général, et de l’Arabie saoudite en particulier, devenue l’alliée objective d’Israël dans la région). Le gouvernement nationaliste dirigé par Benjamin Néthanyaou a rejeté les appels internationaux à une enquête indépendante sur ces faits et le recours à la violence armée contre des manifestants pacifiques. Le cynisme du Premier ministre israélien l’a conduit à féliciter son armée. Un cynisme indigne d’un responsable d’un État de droit démocratique digne de ce nom.

Les Palestiniens sont-ils condamnés à l’injustice ? Le 22 mai dernier, le ministre palestinien des affaires étrangères, Riyad Al-Maliki, a officiellement référé à la Cour Pénale Internationale (CPI) les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, dont l’apartheid, commis par « le gouvernement d’Israël ou ses agents. » Il a ainsi appelé la procureure de la CPI, la Gambienne Fatou Bensouda, d’ouvrir une enquête de manière « immédiate ». S’adressant à des journalistes à La Haye, Riyad Al-Maliki a expliqué avoir « pris cette mesure en raison de l’intensification de la fréquence et de la gravité des crimes commis contre notre peuple, y compris l’expansion des colonies, l’accaparement des terres et l’exploitation illégale de nos ressources nationales, ainsi que le ciblage brutal et calculé de manifestants non armés, en particulier dans la bande de Gaza. »

LE RECOURS À LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

Cette saisine de la CPI est intervenue quelques jours après celle de l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF), qui vise « la perpétration de crimes de guerre commis par l’armée israélienne contre des journalistes palestiniens. » L’organisation explique avoir saisi la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, sur le fondement de l’article 15 du statut de Rome, qui stipule que la procureure peut ouvrir une enquête si des faits qui lui sont transmis relèvent de la compétence de la cour. Dans la requête transmise à Madame Bensouda, Reporters Sans Frontières mentionne des tirs directs de snipers israéliens sur des journalistes palestiniens.

Pour Christophe Deloire, secrétaire général de RSF : « Les autorités israéliennes ne pouvaient ignorer la présence, parmi les civils manifestant, de journalistes. Elles ont manqué à leur élémentaire devoir de précaution et de distinction en visant à balles réelles ces personnes protégées. Ces violations délibérées et répétées du droit humanitaire international sont constitutives de crimes de guerre. En saisissant la Cour Pénale Internationale, RSF appelle les autorités israéliennes au strict respect du droit international. »

Certes, l’État israélien n’est pas membre de la Cour. En conséquence, pour que ses actes criminels puissent être portés devant la CPI, l’adoption d’une Résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies est théoriquement nécessaire. Il s’agit en effet du seul organe habilité à rendre le statut de la CPI applicable à un État non-partie, comme ce fut le cas pour le Soudan et la Libye. Or, il est évident que le véto américain écarte d’emblée une telle hypothèse.

Afin de contourner cet obstacle, l’Autorité palestinienne avait déjà déposé une requête en son nom propre pour qu’une enquête soit ouverte à propos des « événements » de 2009 à Gaza, requête rejetée à l’époque par le procureur de la CPI, au motif que la Palestine ne serait pas un « État » capable de faire une telle demande auprès de la Cour. Toutefois, La CPI est compétente depuis que l’Autorité palestinienne y a adhéré fin 2014, à la suite de l’échec d’une négociation pour obtenir des Nations unies un calendrier du retrait israélien des territoires occupés de Cisjordanie. Quelques jours après, et à la demande de Ramallah, la procureure avait ouvert un « examen préliminaire ». Mais cette première étape n’a jamais abouti. Jusqu’ici, Fatou Bensouda n’a pas osé ouvrir une quelconque enquête.

Pourtant, lors de la récente tragédie, la procureure de la CPI a appelé à mettre fin à l’escalade de la violence à la frontière de Gaza, et affirmé que l’utilisation de tirs réels par Israël afin de disperser les protestations et l’utilisation de civils par le groupe terroriste palestinien du Hamas dans les affrontements avec les soldats israéliens pourraient être constitutives de crimes violant le droit international.

Une analyse que partage Francis Perrin, vice-président d’Amnesty International France : « Très clairement, il y a eu une nouvelle fois un usage excessif de la force de la part de l’armée israélienne à qui l’on donne des ordres illégaux consistant à tirer sur des manifestants qui sont non-armés (…).

Cette assimilation [de Benyamin Netanyahou qui assimile chaque manifestant à un représentant du Hamas, considéré comme une organisation terroriste par Israël] permet aux autorités israéliennes de se dédouaner complètement de toutes les graves violations des droits humains commises ce lundi et depuis des semaines », s’est-il insurgé, en insistant sur le fait que « plusieurs de ces violations peuvent probablement s’apparenter à des crimes de guerre au regard des conventions de Genève. »

En attendant une hypothétique issue judiciaire à ce dernier épisode du conflit israélo-palestinien, la résolution de celui-ci suppose un accord politique global. Si l’assertion relève de l’utopie aujourd’hui, une chose est sûre : le statu quo est moralement et politiquement intenable.

Colombie : paradoxes de la paix et élection présidentielle

Mon, 28/05/2018 - 18:50

La paix, si l’on en croit la présentation médiatique internationale, aurait été au cœur de la campagne présidentielle colombienne, dimanche 27 mai. La paix, c’est-à-dire l’accord signé le 26 septembre 2016 entre le président sortant, Juan Manuel Santos, et la guérilla des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Il convient de mettre quelques bémols à cette approche.

La paix avec les FARC n’a pas été l’enjeu principal de l’élection. Les candidats ont parlé de beaucoup de choses, de fiscalité, d’éducation, de services de santé, de soutien aux agriculteurs …, et du Venezuela. Mais assez peu des accords de paix. Quant aux FARC, elles avaient dans un premier temps envisagé de participer aux présidentielles. Avant de renoncer. Rodrigo Londono, « Timochenko », secrétaire général du part héritier de la guérilla, la Force alternative révolutionnaire du commun, contesté, parfois violemment, tout au long de la campagne des parlementaires du 11 mars dernier, a fait un accident cardiaque. Il s’est retiré pour raisons de santé. Et n’a pas été remplacé. Les FARC ont obtenu un peu moins de 0,5% des suffrages exprimés aux législatives.

Le regard sur les FARC et les accords de paix, il est vrai, n’est pas le même à Bogota et à Genève. La « communauté internationale », les grands de ce monde, en mal de processus de paix abouti, d’Afghanistan au Sahel, ont applaudi à tout rompre au lendemain de la signature des accords signés par les FARC avec les autorités colombiennes. L’accord, on le sait, a été soit boudé, soit rejeté par une majorité des électeurs colombiens le 2 octobre 2016. 50,5% de non, et plus de 62% d’abstentionnistes. Il a fallu comme pour le Traité européen une session de rattrapage parlementaire pour remettre sur rail un compromis rejeté par le suffrage direct.

Pour les Colombiens des villes, pour les Colombiens les plus aisés, les FARC sont un groupe terroriste délinquant qui devait être traité comme tel. Ils rejettent le principe même des accords et toute augmentation des impôts visant à construire une vraie paix consensuelle. Les Colombiens de la gauche parlementaire considèrent que leurs échecs électoraux successifs doivent beaucoup à la perpétuation des FARC et du conflit intérieur. Les uns et les autres savent aussi que les facteurs de violence en Colombie vont bien au-delà des FARC. Toutes sortes de groupes armés restent sur le pied de guerre dans les périphéries du pays. Politisés comme l’ELN ou l’EPL, ou groupes d’intérêts délinquants, qualifiés pour faire simple de bandes criminelles (Bacrims).

Le sujet, donc, d’un point de vue colombien, celui des acteurs politiques en présence, a été au mieux contourné pendant la campagne.  Le candidat de droite, Ivan Duque, n’avait pas à traiter un sujet qui de son point de vue relève de la justice ordinaire et de la police. Le candidat de gauche a préféré centrer sa campagne sur l’égalité et la solidarité, garants selon lui de paix sociale. Implicitement l’un, Ivan Duque, de fait remet en question la philosophie des accords de paix. Alors que l’autre, soucieux de paix sociale ne les remet pas en cause.

Ivan Duque est arrivé en tête avec une avance confortable, mais insuffisante, 39% des suffrages exprimés. Gustavo Petro, 25% des suffrages exprimés s’est difficilement qualifié pour le deuxième tour. La victoire de l’un ou de l’autre aura nécessairement un effet destructeur ou consolidateur de paix intérieure. Alors que les accords sont déjà appliqués de façon aléatoire. Prix Nobel de la paix, le président Santos a laissé filer l’application des accords au fil des résistances de sa base sociale et de la conjoncture électorale. L’un des signataires des accords, au nom des FARC, Jesus Santrich, a été emprisonné en attente d’extradition pour trafic de stupéfiants à la demande des États-Unis. Relâché après une grève de la faim, sa situation judiciaire reste précaire. Les combattants des FARC, démobilisés et identifiés, survivent dans des camps sans perspectives claires de reconversion et d’intégration. Certains d’entre eux ont été assassinés. Tout comme des dizaines de syndicalistes et responsables de la société civile, mobilisés par l’application effective des accords de paix.

La victoire possible du candidat de droite pourrait accentuer ces évolutions. Protégé de l’ex-président Uribe, partisan du tout répressif, Ivan Duque, en remettant en cause l’esprit des Accords de paix, comme il l’a indiqué, signerait la reprise d’un cycle de violences. Déjà, environ 20% des anciens combattants des FARC ont repris du service, selon une logique que l’on avait constatée en Amérique centrale à la fin des conflits intérieurs, dans des groupes délinquants. Certains d’entre eux ont beaucoup fait parler d’eux sur les confins frontaliers de la Colombie et de l’Équateur. Les militaires de carrière participent par centaines à la guerre civile du Yémen, dans le camp des Émirats arabes unis, recrutés par l’intermédiaire de sociétés privées de sécurité nord-américaines.

Les 30 et 31 mai prochains, le président Santos sera à Paris et à Bruxelles. Pour acter le point de départ d’une étape nouvelle pour la Colombie, loin des Accords de paix. Le 30 mai, il signera l’acte d’adhésion de son pays à l’OCDE. Et le 31, celui de l’accession de la Colombie au statut de partenaire global de l’OTAN.

 

« Il n’y a pas un, mais des mondes arabes »

Mon, 28/05/2018 - 18:42

Les Etats-Unis ont ouvert, le 14 mai, leur ambassade à Jérusalem. Quel signal cette décision américaine envoie-t-elle à la région?

Nous savons que le statut de Jérusalem est extrêmement délicat pour les trois grandes religions monothéistes. En prenant cette décision unilatérale, le président des Etats-Unis Donald Trump foule totalement au pied le droit international et toute idée de multilatéralisme. Cette décision exprime la volonté du plus fort, au mépris des Palestiniens, ceux-ci étant par ailleurs incapables de s’entendre au vu de la désunion qui existe entre l’autorité palestinienne et le Hamas. Cette décision de choisir Jérusalem comme capitale d’Israël par les Etats-Unis est à mettre en corrélation avec l’avancée irrépressible du mouvement de colonisation des Israéliens sur des terres palestiniennes, mouvement qui rend de plus en plus difficile les perspectives de la création d’un État palestinien souverain et viable.

Autre dossier d’actualité, celui du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien. Quelles peuvent en être les répercussions?

M. Trump suit une logique similaire: il se contrefout du droit international, de ce qui régit difficilement les accords entre les différents états constituant l’échiquier international. La seule chose que je puisse souhaiter, c’est que les autres États qui avaient signé l’accord avec les Iraniens trouvent, dans les meilleurs délais, des solutions de contre-feu par rapport à la décision de M. Trump. Il n’y a aucune raison à ce que nous acceptions les décisions unilatérales de M. Trump. Si nous n’y parvenons pas, nous, les Européens, avec les Chinois, avec les Russes, et avec bien d’autres, alors les règles du droit international se dissoudront pour quelque temps et seul comptera la loi du plus fort.

Y a-t-il, suite à ces deux décisions, des risques d’embrasement dans la région?

Nous avons vu, il y a quelques semaines, des bombardements iraniens sur des positions israéliennes, mais surtout des bombardements israéliens sur des positions iraniennes en Syrie. Je ne crois pas que cela va se généraliser, car Israéliens et Iraniens et leurs alliés savent jusqu’où ne pas aller. Je n’ai pas de certitude absolue, car la situation est tellement délétère et volatile que tout peut déraper très rapidement. Malheureusement, il y a quelques pousses au crime, Donald Trump étant le premier d’entre eux. À moins que ce ne soit Benjamin Netanyahu. Pour le coup, Netanyahu et Trump sont strictement sur la même longueur d’ondes sur les deux dossiers que l’on vient d’évoquer. Je ne sais pas quel est celui qui conseille l’autre.

Quel est le rôle de l’Iran aujourd’hui?

L’Iran est et restera incontournable, car c’est un grand pays de plus de 80 millions d’habitants, qui a une longue histoire, qui a une place géostratégique d’une importance considérable, et qui a parfaitement conscience de son rôle et de sa puissance potentielle. Pour autant, est-ce une menace? De mon point de vue, non. C’est un pays qui veut étendre son influence, mais ce n’est pas un pays qui veut exporter son régime. Beaucoup d’analystes sont encore à raisonner sur l’Iran comme ils auraient pu le faire au début de la révolution iranienne. Il est vrai que Khomeini, en son temps, avait eu des discours enflammés en disant qu’il voulait exporter la révolution islamique dans toute la région. Mais il est mort depuis longtemps. En réalité, il n’y a plus de volonté d’exportation de la révolution islamique depuis 1980, très précisément depuis la tentative d’invasion de l’Iran par l’Irak.

Le 12 mai, les élections législatives en Irak ont sanctionné le parti du Premier ministre sortant Haider al-Abadi, donnant la victoire à deux nouvelles alliances. Qu’en déduisez-vous?

L’Irak est une société très décomposée, atomisée et, malheureusement, les citoyens n’ont plus guère confiance en une bonne partie des dirigeants. Ceux qui ont voté ont visiblement reporté leur vote vers des partis qui n’ont pas eu de responsabilité gouvernementale directe au cours des dernières années. Ce qui est très intéressant, c’est l’alliance entre le vainqueur Moqtada Al-Sadr et le parti communiste irakien, qui indique la volonté non seulement de favoriser les plus pauvres, mais aussi de transcender les divisions communautaires et religieuses qui existent en Irak. S’ils parviennent à cela, ce sera une bonne nouvelle.

Qui est Moqtada Al-Sadr, qui sort victorieux du scrutin?

Moktada Al-Sadr est un chiite assumé, à la fois très proche de l’Iran pour des raisons théologiques, mais qui incarne aussi le nationalisme irakien. Ce n’est pas quelqu’un qui fera allégeance à l’Iran. C’est l’homme de 44 ans qui a toujours lutté contre l’occupation des Etats-Unis et qui se pare d’une sagesse théologique, ce qui compte beaucoup dans la perception des citoyens irakiens. C’est aussi un homme qui est issu d’une très grande famille. Son père était un opposant qui avait été assassiné par Saddam Hussein.

Le titre de votre livre fait référence aux « mondes arabes », au pluriel. Pourquoi?

Par commodité de langage, les uns et les autres parlent encore du monde arabe, mais c’est un mythe. Le monde arabe n’existe plus. Je reconnais qu’il y a un sentiment d’arabité qui traverse les 21 pays de la Ligue des États arabes. Mais ce sentiment d’arabité est très subjectif et difficile à définir scientifiquement. D’un point de vue géopolitique, il n’y a pas de monde arabe au singulier, il y a des mondes arabes. Entre le pays le plus riche de la Ligue arabe, le Qatar, et le plus pauvre, le Yémen, l’hétérogénéité de développement est abyssale. Deuxième chose, il n’y a pas de logique de solidarité entre ces pays. C’est la règle du chacun pour soi. En réalité, chaque état constituant les mondes arabes défend ses propres intérêts nationaux. On voit bien que la Ligue des États arabes, qui a été constituée en 1945, n’est pas un organisme susceptible de défendre les intérêts des États arabes. On le voit dans les jeux d’alliances et de contre-alliances. Par exemple, l’Arabie saoudite impose un blocus au Qatar, et pourtant ce sont deux états voisins où la religion majoritaire est identique. Je pourrais évoquer la guerre de l’Arabie saoudite contre le Yémen, les rivalités vives entre le Maroc et l’Algérie. Nous avons encore en tête de vieux schémas qui datent de la période qui suit les indépendances arabes, dans les années 50 et 60. À ce moment-là de l’histoire, il y avait, en effet, une profonde aspiration à l’unité du monde arabe, portée par le parti Baas et par le chef d’état égyptien Gamal Abdel Nasser, qui incarnait cette unité. Mais Nasser est mort en 1970. Ceux qui continuent à parler de monde arabe au singulier le font par habitude ou par incompétence.

Vous dites aussi que l’opposition systématique entre Sunnites et Chiites est obsolète?

Le facteur religieux n’est pas le facteur explicatif de tous les maux de la région, même s’il ne faut pas le négliger. L’opposition entre l’Arabie saoudite et l’Iran est présentée comme l’opposition irréductible entre Sunnisme et Chiisme. Je n’y crois pas une seconde. Je pense qu’il y a des oppositions fortes car l’Iran veut s’affirmer comme une puissance régionale influente et les Saoudiens veulent faire la même chose. L’opposition sunnisme contre chiisme est instrumentalisée au service d’intérêts géopolitiques. C’est un vernis que l’on met sur des questions politiques classiques. Regardez, il y a une crise aiguë entre l’Arabie saoudite et le Qatar. Pourtant, ce sont deux pays sunnites et wahhabites. Par contre, entre le Hezbollah libanais chiite et le Hamas palestinien sunnite les relations sont très bonnes. On pourrait multiplier les exemples.

Quel est le rôle de l’Occident dans les équilibres de la région?

Il faut prendre en compte la totalité des facteurs: religieux, économiques, politiques et extérieurs. La Syrie est un exemple absolument tragique de l’influence néfaste des puissances extérieures, notamment occidentales. La politique des Occidentaux a concouru à aggraver la crise syrienne. Les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne se sont mis, dans un premier temps, du côté de ce que l’on a appelé les rebelles pour virer Bachar el-Assad. Nous n’avions pas, nous, Occidentaux, me semble-t-il, à prendre parti pour l’un ou l’autre. Notre propos aurait dû se tenir à essayer de parvenir à une solution politique. Je vais plus loin. Je pense que la première puissance internationale, les Etats-Unis, a largement concouru à accroître le désordre dans la région. La guerre unilatérale de George Bush contre l’Irak à partir de 2003 a mis non seulement l’Irak, mais aussi une partie des États de la région à feu et à sang. Les décisions de Donald Trump sur Jérusalem et sur l’Iran risquent d’envenimer les tensions. J’espère que les États arabes parviendront, dans les meilleurs délais, à défendre leurs propres intérêts en fonction de leurs intérêts nationaux et non pas seulement en fonction de ceux des états occidentaux.

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Didier Billion vient de publier « Géopolitique des mondes arabes » aux éditions Eyrolles.

« 1968 : Quand l’Amérique gronde » – 3 questions à Jean-Éric Branaa

Mon, 28/05/2018 - 16:41

Jean-Éric Branaa (https://www.branaa.fr/) est chercheur associé à l’IRIS, spécialiste des États-Unis. Maître de conférences à l’université Paris II Panthéon-Assas, il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « 1968, quand l’Amérique gronde », aux éditions Privat.

Pourquoi soutenez-vous le fait que Donald Trump souhaite revenir aux États Unis d’avant 1968 ?

Il nous faut nous rappeler de ce qu’ont été les États-Unis durant les années soixante : le pays n’avait pas encore atteint 200 millions d’habitants, mais 70 millions d’entre eux étaient encore quasiment des adolescents. C’est ce que l’on a appelé la génération du baby-boom, une conséquence du retour des soldats de la guerre, après une très longue absence. Les États-Unis pensaient alors s’appuyer sur cette jeunesse pour doper leur extraordinaire réussite de l’après-guerre.

Car c’était alors un pays non seulement très riche, mais qui connaissait aussi une croissance incroyable. Le pays produisait de plus en plus et s’était lancé à corps perdu dans la société de consommation de masse. On a vu de profonds changements dans la façon de vendre ou d’acheter et certains produits ont porté une symbolique forte. Ainsi, l’automobile, qui a tenu une place très particulière dans cette société. Elle est devenue un objet social, reflet de cette époque : les Américains la voulaient belle pour épater leurs amis et leurs voisins.

Cette décennie a souvent été décrite comme une société dirigée par l’acte de consommer. Les grandes surfaces se sont développées et multipliées partout, à la sortie des villes, qu’elles soient grandes ou petites, et en particulier le long des highways, ces routes qui traversent tous les États. La télévision a pris une place prépondérante dans la vie de chaque Américain : en 1968, il y avait déjà 56 millions de postes de télévision dans les foyers américains, qui étaient donc équipés à 95%. La télévision a véhiculé une vision très conservatrice de la société. Jusqu’aux années 1970, c’était un privilège d’apparaître à la télévision, plutôt réservé aux Américains caucasiens. Être blanc représentait une normalité qui n’était pas remise en question, quel que soit le type de programme (divertissement, sport, informations ou publicités).

Dans le poste, comme dans la société, il y avait un manque flagrant de diversité raciale ou de genre, absence que l’on retrouve avec la même vigueur au sein des classes sociales. La télévision s’adressait avant tout à ceux qui pouvaient s’offrir à la fois le poste et les produits qui étaient promotionnés par la publicité. Les classes sociales les plus modestes et le monde paysan ont en conséquence été délaissés et peu représentés. Les héros mis en avant étaient tous des médecins, des avocats, des journalistes et des chefs d’entreprise. Les autres professions, en particulier les métiers manuels, étaient dépeintes de manière négative ou peu reluisante, comme c’était déjà le cas avec les minorités raciales.

C’est dans ce monde qu’a grandi Donald Trump, lui qui était âgé de 22 ans en 1968. Il était donc un jeune adulte, tout comme la plupart de celles et ceux qui dirigent l’Amérique d’aujourd’hui. Leur imaginaire s’est formé autour de cette image très masculine – voire machiste – qui était projetée, avec une place très réduite pour les femmes, les minorités et les classes sociales les plus basses. C’est là qu’ils ont tous puisé leurs repères et leur construction d’adulte. Et c’est dans ce monde-là que le président américain veut effectivement revenir et ramener son pays. C’est le message subliminal, mais pourtant fort, de son slogan : « rendre à l’Amérique sa grandeur ».

Pourquoi percevez-vous la période 68-71 comme un bloc marquant la fin du siècle américain ?

Quand on évoque le siècle américain, on pense bien évidemment à Olivier Zunz et son ouvrage éponyme, au sein duquel il décrit l’attitude de ce pays qui réécrit sa propre histoire et en gomme les défauts. Depuis la fin du XIXe siècle, les élites libérales américaines ont tenté de construire une société parfaite, basée sur le capitalisme, qu’elles ont alors proposée aux autres peuples. Les Américains avaient la certitude que la classe ouvrière pouvait être détournée de la lutte des classes grâce à des salaires revus à la hausse. La société serait donc plus juste et plus prospère et cette classe ouvrière n’aspirerait qu’à un seul but, celui de devenir une classe moyenne.

La fin du XIXe siècle est un moment charnière dans l’histoire des États-Unis qui, avec la fin de la guerre hispano-américaine, jouent un plus grand rôle sur la scène internationale. Ils adoptent alors le protectionnisme pour protéger leur industrie et McKinley s’engage sur la voie de l’isolationnisme et de l’interventionnisme choisi, qui sera plus flagrant encore avec Theodore Roosevelt et son Corollaire à la doctrine de Monroe de 1904, proclamant le droit pour les États-Unis d’intervenir n’importe où en Amérique du Sud.

Le vrai tournant est bien entendu l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui devient la norme commune pour tous les États membres de la nouvelle institution créée trois ans plus tôt, l’Organisation des Nations unies (ONU). Mais on en est encore à un niveau politique et institutionnel, sans que les peuples ne se soient véritablement associés au processus. C’est pourtant ce qui arrive bien vite, lorsque les Américains réalisent que leur démocratie, ainsi basée sur le capitalisme, n’a pas gommé les plus criantes inégalités. Les Noirs en ont été exclus, mais aussi, les femmes, et toutes les minorités. Pire, nous dit Harrington, les Blancs eux-mêmes ont créé un sous-ensemble qu’ils ont refusé d’assumer : celui des pauvres.

Les années soixante deviennent alors un long combat de tous ces exclus pour la reconnaissance de leur situation et la fin des sixties marque la fin de ce siècle américain qui a montré ses limites et n’est plus supportable pour une grande partie de ce peuple.

La révolte étudiante est-elle aussi aux États-Unis l’image la plus marquante de l’année 68 ?

La révolte américaine est plus globale et plus profonde que les mouvements qui éclatent un peu partout dans le monde. La comparaison avec un autre pays trouve donc rapidement ses limites. Ainsi, en France, le mouvement étudiant devient l’élément central de la contestation : il est voyant, bruyant, mais également bref, principalement centré sur le mois de mai. Le mouvement étudiant américain n’est qu’une composante d’une révolution plus complexe : sur le socle d’une contestation à la guerre du Vietnam, la contestation est plus longue, mais aussi multiple, et ne cesse de se réinventer. On peut considérer que l’étincelle allumée par Samuel Harrington, qui déclenche la guerre à la pauvreté, est un élément moteur bien plus structurant. En réalité, il s’agit à chaque fois d’un même mouvement, commun à tout ce qui va survenir ensuite : le mouvement étudiant, les grèves ouvrières, la lutte pour les droits civiques, la seconde vague du féminisme, l’émergence d’un mouvement gay ou d’une conscience écologiste, la contre-culture, qui envahit tous les espaces et voit de l’art et de la vie partout et en tout.

Pour autant, le mouvement étudiant américain est fondamental, car il pose les bases politiques de tous ces bouleversements : il introduit et adapte le socialisme, ce qui semblait impossible dans un contexte de guerre froide intense. Par cela, il intensifie encore le choc de l’affrontement entre deux sociétés, qui se retrouvent dès lors dans un autre choc, celui des générations. La société « d’avant » ne comprend pas sa jeunesse ou – dit autrement – les parents ne semblent plus capables de comprendre leurs enfants. Tout va trop vite et trop loin aux yeux des plus anciens et des plus conformistes. Tout doit être réinventé aux yeux des plus jeunes : ceux-là introduisent donc le progressisme et, en donnant le pouvoir aux fleurs et à l’amour, entendent contester tous les modèles pour faire leurs propres expériences de la vie. En 1994, Bill Clinton déclarait : « si vous regardez derrière vous, vers les années 1960, et pensez qu’il y a plus de bon que de mauvais, vous êtes sans doute un démocrate. »

Les femmes ont brulé les soutiens-gorges, les gays ont gagné leurs quartiers à New York, les artistes ont libéré leur imagination, les noirs ont regagné leurs droits civiques, il y a tant à décrire dans cette Amérique en ébullition ! L’image qui est à retenir n’est pas tant celle de la révolte étudiante, de ses luttes pour l’inclusion, la liberté d’expression, ou pour réinventer la société : l’image forte est bien celle de la révolte de TOUTE sa jeunesse et de la cassure entre deux mondes, celui d’avant et celui d’après, que l’on retrouve dans toutes les strates de la société, jusqu’à la mode, le sport, la musique ou les objets du quotidien. C’était toute la jeunesse de l’Amérique qui grondait alors.

 

Diplomatie française : « Quand on parle à tout le monde, le pire est de ne rien oser dire »

Sun, 27/05/2018 - 18:37

 » Emmanuel Macron se différencie de ses prédécesseurs avec une ligne néoréaliste qui consiste à ne pas ignorer les personnages qui comptent. Nicolas Sarkozy, et dans une moindre mesure François Hollande – plus pragmatique mais plus sensible à la pression populaire – pouvaient pratiquer une forme de sélection dans leurs relations. Il y avait chez eux une nostalgie de la puissance et l’illusion de pouvoir être l’arbitre des élégances entre les États pour dire lequel est dans le vrai selon les valeurs occidentales.

Le père spirituel de l’Ostpolitik, Egon Bahr, proche de Willy Brandt, disait à juste raison : « Pour modifier le statu quo, il faut d’abord le reconnaître ». Cela demande de dépasser les positions de principe trop rigides. La rupture diplomatique ne change rien aux situations concrètes. L’important n’est pas de parler ou de ne pas parler avec tout le monde, mais de savoir quoi dire et de s’y tenir. Face à Donald Trump, sur le climat ou l’accord nucléaire iranien, on ne peut pas dire qu’Emmanuel Macron a rallié le point de vue américain. On ne peut pas dire non plus qu’il reste le muet du sérail face à Poutine.

En revanche, la France pourrait être plus « vocale » sur certains sujets comme la situation des droits de l’homme en Égypte. Même chose pour le président rwandais Paul Kagame reçu il y a peu à l’Élysée, et dont la ministre des affaires étrangères est pressentie pour prendre la tête de la francophonie malgré les atteintes aux droits fondamentaux. Quand on parle à tout le monde, le pire est de ne rien oser dire. Il y a sans doute une autre limite : l’excès de confiance, ou plutôt l’excès de communication. Emmanuel Macron est comme nombre d’autres chefs d’État conscient de son charme, assez sûr de son équation personnelle pour avoir le sentiment de convaincre ses interlocuteurs. Mais on a bien vu que la « calino-thérapie » avec Trump était loin de suffire. Après avoir dit « je suis assez certain que mon ami Trump va changer d’avis » sur le climat, le président américain a finalement confirmé le retrait de l’accord de Paris. Cette posture est en même temps habile : il s’agit aussi de ne pas attaquer le premier pour ne pas se mettre à dos l’opinion américaine, et renforcer les soutiens à Donald Trump. S’il y a une rupture entre la France et les États-Unis, on pourra dire que Paris aura tout fait pour l’éviter.

La France a une stature et une indépendance suffisante pour assumer un refus net, ou ne pas céder à la pression, même si ce genre de coup d’éclat est une arme à user avec parcimonie. C’est ce que Jacques Chirac avait pu faire en 2003 en rejetant l’intervention en Irak, ou le non-alignement de Mitterrand avant lui, face au projet de défense américain « guerre des étoiles ». À mon sens il y a un grand geste gaullo-mittérandien à faire si les sanctions américaines sur les entreprises européennes en Iran ne sont pas levées. Il s’agit d’une attaque frontale contre notre souveraineté. Ce serait une catastrophe si les Européens cédaient à ce diktat.  »

Propos recueillis par Jean-Baptiste François pour La Croix.

Coalition populiste en Italie : vers un fragile statu quo européen

Fri, 25/05/2018 - 15:44

Un nouveau gouvernement vient de se constituer en Italie, issu de la coalition entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles (M5S), arrivés en tête lors des dernières élections. Le programme économique promis par cette nouvelle coalition inquiète l’Union européenne. La stabilité économique de l’Union européenne peut-elle en être menacée ? Dans un contexte où le populisme semble progressivement devenir une alternative au projet européen, l’Europe possède-t-elle les outils institutionnels et politiques nécessaires pour y faire face ? Le point de vue de Rémi Bourgeot, économiste et chercheur associé à l’IRIS.

Troisième économie de la zone euro, mais deuxième pays le plus endetté, les principales mesures prônées par la coalition italienne pourraient coûter 125 milliards d’euros sur quatre ans. La nouvelle coalition à la tête de l’Italie est-elle concrètement en mesure d’appliquer son programme ?

Le programme présenté par la coalition populiste italienne résulte à la fois de l’objectif de la Ligue et du M5S de trouver un terrain d’entente idéologique et de passer le cap de la confirmation par le président de la République Sergio Mattarella. Après avoir atteint ces objectifs de court terme, la coalition n’est pas véritablement tenue par ces propositions qui relèvent plutôt d’orientations générales. Il en ressort plus généralement la volonté d’envoyer aux électeurs populaires le signal d’une inversion de la logique budgétaire européenne. Sur la question de la sortie de l’euro qui avait été évoquée, la coalition populiste s’est faite extrêmement discrète, à la fois pour ne pas effrayer une partie de son électorat, pour passer l’étape de l’accord présidentiel, et pouvoir prendre le pouvoir sans avoir à faire face à une crise financière. Les taux d’intérêt sur la dette italienne ont crû de façon significative ces derniers temps, mais restent très en-deçà des niveaux typiquement liés à une quelconque panique et sont vus, par certains, comme une opportunité d’investissement dans le contexte des taux très bas en Europe.

La situation de l’économie italienne reste mauvaise. Le PIB par habitant du pays n’est pas plus élevé qu’à la création de l’euro en 1999, et la reprise européenne des dernières années montre déjà des signes d’essoufflement importants. L’économie italienne a, de plus, été très fragilisée par la crise de l’euro, notamment en ce qui concerne la santé du secteur bancaire. La coalition populiste ne rebat pas véritablement les cartes économiques, mais évoque plutôt une forme de relance par la dépense publique et des baisses d’impôts qui restent plutôt conventionnelles. Ce programme entre en conflit avec les règles budgétaires européennes, mais on est loin d’une remise en cause fondamentale du statu quo. De nombreux commentateurs de marché ont même accueilli l’idée d’une relance de ce type avec un relatif enthousiasme, au moment où la reprise économique faiblit et où le support de la Banque centrale européenne sous la forme d’achat de titres de dette est en voie de suppression progressive. La dette italienne est très élevée, à environ 130% du PIB. Cette dette reste cependant à ce jour très liquide et bien notée par les agences, et n’est en rien comparable à la dette grecque et aux différentes étapes de la crise multiple qu’a connue le pays. Surtout, le poids politique de l’Italie en Europe, quelle que soit la crédibilité du gouvernement en place, est bien plus important.

La principale menace sur la stabilité financière italienne proviendrait aujourd’hui d’une récession qui accroîtrait bien plus le poids de la dette qu’un plan de relance même mal conçu. La coalition populiste est loin de proposer quoi que ce soit à même de relancer l’économie italienne sur le long terme, mais les indications préliminaires quant à la politique qu’elle va mener ne sont pas, pour l’heure, de nature à entraîner une déflagration en tant que telle. Reste à voir ce qui va véritablement être fait et la réaction aussi bien des marchés sur le plus long terme que des partenaires européens.

Le programme promis par la nouvelle coalition en Italie semble incompatible avec les règles du pacte européen de stabilité et de croissance, Pierre Moscovici ayant appelé à une “réponse crédible” sur la dette publique. La stabilité économique de l’Union européenne peut-elle être menacée ? Faut-il redouter des conséquences sur la zone euro ?

Les mises en garde vont de soi. Il convient cependant de noter l’évolution du climat intellectuel en Europe depuis le point bas de la crise de l’euro, lorsque la focalisation sur des programmes d’austérité procycliques sidérait les observateurs mondiaux. Les réactions en Allemagne en particulier indiquent une prudence dans le traitement des développements politiques italiens. Le gouvernement allemand s’est fait discret sur le sujet, et la plupart des commentateurs précisaient que le cas italien ne pouvait en rien être traité de la même façon que le cas grec, en raison de la taille de l’Italie. Par ailleurs, la crise politique européenne est un phénomène généralisé, qui touche notamment Berlin très directement. Il n’existe pas à ce jour de voix forte en Europe pour défendre un projet européen qui reposerait sur le respect fort des contraintes budgétaires.

Bien que le gouvernement allemand prolonge la doctrine de Wolfgang Schäuble sur les sujets financiers européens, son successeur social-démocrate au ministère des Finances ne dispose pas du même poids politique ni d’une vision personnelle méticuleuse du fonctionnement de l’Europe en termes de suivi budgétaire. Le fond de l’approche allemande, renforcée par l’envolée de l’extrême droite dans le pays, consiste aujourd’hui surtout à refuser tout bond en avant en termes de construction fédérale et de solidarité financière vis-à-vis du sud de la zone euro. En ce sens, l’arrivée au pouvoir de la coalition populiste à Rome offre un prétexte supplémentaire à Angela Merkel pour enterrer l’idée d’une réforme conséquente de la zone euro. Avant même ce développement en Italie, les autorités allemandes précisaient que toute avancée sur le plan de l’union bancaire devrait attendre une lointaine normalisation du secteur bancaire italien, fragilisé par une montagne de dettes douteuses.

Les partenaires européens de l’Italie n’ont pas véritablement d’autre choix que d’accepter une forme de statu quo avec la coalition romaine. Le déclenchement d’une panique de marché serait dévastateur et remettrait en cause l’existence de la zone euro. On devrait a priori rester loin du jeu qui avait eu lieu sur la crise grecque. En 2015, le gouvernement allemand était prêt à expulser la Grèce de la zone euro. Ce à quoi les autorités françaises avaient opposé leur veto informel. L’idée d’une sortie de l’Italie de la zone euro remettrait directement en cause la fragile stabilité financière de toute l’union monétaire. Derrière les mises en garde parfois frontales, l’heure est plutôt à la prudence et à la recherche d’un statu quo pour quelques années. Les choses deviendraient néanmoins bien plus compliquées en cas de nouvelle crise économique et financière. Les tabous sur la solidarité entre pays européens seraient cette fois quasi-indépassables du fait de l’évolution populiste croisée en Italie et en Allemagne.

Avec l’émergence de mouvements eurosceptiques, que ce soit en Hongrie, en Pologne ou en Italie, l’UE est-elle en capacité de faire face au délitement de son projet ? Possède-t-elle les outils institutionnels et politiques nécessaires pour y faire face ?

La montée de l’euroscepticisme est un mouvement généralisé, notamment au cœur du système en Allemagne. Il y a encore quelques mois, l’hypothèse d’un bond en avant en Europe sous l’impulsion du président Macron était privilégiée par de nombreux observateurs. La désillusion est sévère aujourd’hui et il faut certainement un certain temps pour qu’une nouvelle synthèse n’émerge. Emmanuel Macron a, à diverses occasions, donné quelques indications quant à un changement d’approche.

Plus généralement, la prise de conscience de ces développements est encore relativement récente, et l’heure ne semble pas encore être au développement d’un nouveau mode de coopération qui permette une stabilisation européenne. Cette dernière nécessite un travail ambitieux consistant à mettre en avant un nouveau modèle de développement économique et social en Europe. La réponse à la crise, sous la forme d’une compression tous azimuts façon « low cost » a, à la fois, nourri la montée généralisée du populisme et mis en danger la modernisation de l’économie européenne, dans un contexte de révolution industrielle et technologique dans le monde.

Gouvernement italien, que doit-on attendre du duo des extrêmes ?

Fri, 25/05/2018 - 12:18

Après plus de deux mois de discussion et une pression accentuée de la part du président de la République, Sergio Mattarella, le Mouvement 5 étoiles et la Lega ont trouvé un accord pour un projet commun, malgré des divergences évidentes. Une personne neutre devient président du Conseil : Giuseppe Conte.

Pourquoi la naissance de ce gouvernement a-t-elle pris autant de temps ?

Une coalition entre les deux hommes semblait tout simplement impossible il y a encore quelques semaines lorsque les deux vainqueurs (la Lega et le Mouvement 5 étoiles) déclaraient ouvertement leur incompatibilité. Beppe Grillo, mentor du Movimento 5 Stelle, tweetait qu’un accord avec ceux qui “ont détruit le pays pendant 20 ans” était impossible, alors que Matteo Salvini, secrétaire fédéral de la Lega, répétait un “non” catégorique à toute alliance avec le parti de Luigi di Maio. Dans ce contexte, une alliance entre ces deux partis semblait donc exclue, elle n’était d’ailleurs pas le premier choix ni de l’un ni de l’autre. En effet le Mouvement 5 étoiles s’était adressé au Parti démocrate dans l’espoir de trouver une solution, mais les tractations se sont arrêtées à cause d’un désaccord sur le nom de Maria Elena Boschi, ex-ministre et proche de Matteo Renzi, considérée comme infréquentable par les 5 Stelle.

Ce premier projet de gouvernement mort dans l’œuf, un rapprochement entre les deux extrêmes semblait inéluctable pour satisfaire les Italiens, bien que fortement complexe. Là aussi une personnalité bloquait toute négociation aux premiers abords : Silvio Berlusconi, allié de la Lega et “mal absolu” selon Alessandro di Battista (le numéro 2 non officiel du Mouvement 5 étoiles). Les négociations étaient donc au point mort, jusqu’à ce que Monsieur Berlusconi décide de faire un pas en arrière pour laisser place aux deux jeunes leaders.

Pas de programme commun ni de coalition, mais un contrat

La solution trouvée pour la formation d’un gouvernement est inédite pour l’Italie, il s’agit d’un contrat entre les deux partis. Les politiques engagées devraient être orientées sur deux axes principaux : la réforme des retraites et l’Europe.

En ce qui concerne le système des prestations sociales, le Mouvement 5 étoiles souhaiterait une modification ou une réorientation de la loi sur les retraites actuelles (la legge Fornero) alors que la Lega voudrait sa suppression immédiate et unilatérale. Mais l’abolition de cette réforme a un coût : 80 milliards d’euros selon les économistes, beaucoup moins (15 ou 20 milliards) selon les deux partis au gouvernement. Dans tous les cas, on imagine difficilement une élimination pure et simple de cette loi, surtout pour un pays endetté comme l’Italie.

Pour les deux extrêmes, l’Europe n’a rien apporté de positif à l’État italien, qui doit récupérer sa souveraineté monétaire et budgétaire, au risque d’un conflit avec Bruxelles. Jusqu’à présent, les mots ont été très virulents envers l’Europe, surtout de la part de Matteo Salvini. Pour le leader de la Ligue, l’Europe est la responsable de tous les maux italiens et de toutes les difficultés que le pays rencontre. Les prochains mois nous diront si ce nouveau gouvernement passe de la parole aux actes.

Les deux partis doivent également appliquer deux promesses électorales qui semblent, dans les conditions économiques actuelles, relever de l’utopie. Le Mouvement 5 étoiles avait comme point fort de son programme le “revenu de citoyenneté” (une sorte de RSA élargi) et une grande réforme pour l’emploi, un investissement considérable. La Lega basait son programme sur une « flat tax » progressive de 15% à 25%, soit une baisse des entrées notable pour l’État. Deux projets aussi incompatibles qu’irréalisables financièrement, mais sur lesquels les électeurs comptent beaucoup. Ce mariage de raison entre les deux partis est perçu par les deux électorats comme une trahison de leur ligne directrice, à savoir “pas d’alliance” pour le Mouvement 5 étoiles et “coalition de droite” pour la Lega. Si le prix à payer est de travailler avec l’ennemi, il doit permettre d’appliquer les réformes les plus importantes. Les électorats contestataires qui ont voté pour les extrêmes seront intransigeants sur ce point.

Une nouvelle philosophie internationale

Le gouvernement précédent avait changé un peu la donne avec une politique internationale moins centrée sur l’Italie et plus orientée vers l’étranger. L’ancien président du Conseil, Paolo Gentiloni, était également l’ex-ministre des Affaires étrangères (2014-2016) où il avait œuvré pour faire participer l’Italie aux affaires internationales, comme à Cuba ou en Iran[1]. À l’inverse, le nouveau gouvernement s’est clairement recentré sur une politique défensive anti-immigration et protectionniste. Matteo Salvini prône une politique d’expulsion des migrants et une protection des frontières. Il faudra donc s’attendre à une fermeture (voire un hermétisme) diplomatique plutôt qu’à une collaboration avec l’Europe et les pays du Sud.

Le Mouvement 5 étoiles et la Ligue ont un point commun : un intérêt et une sympathie pour la Russie de Vladimir Poutine. Matteo Salvini admire le président russe et cite Moscou comme ville de référence : “une ville propre sans SDF ni migrants et où les femmes peuvent rentrer le soir sans risquer leur vie”. Le Mouvement 5 étoiles quant à lui a changé son programme il y a quelques semaines afin de modérer ses positions sur le conflit syrien et militer pour une levée des sanctions contre la Russie. Un potentiel rapprochement des deux pays est envisageable. L’Italie pourrait donc regarder à l’Est, ce qui serait une nouveauté de taille et un désaveu des États-Unis, pays avec lequel la population italienne noue des liens forts depuis plus d’un siècle (vagues d’immigrations de la péninsule vers l’Amérique et la Seconde Guerre mondiale).

Une sortie de l’Europe improbable

Emmanuel Macron a rapproché ouvertement ce gouvernement au Brexit. Cette corrélation est assez logique au vu des programmes et des tons utilisés par les deux partis au pouvoir. Mais il n’y a peut-être pas de quoi être aussi alarmiste. N’oublions pas que la Lega est née comme “Lega Nord”, partisan d’une scission de l’Italie qu’elle n’a jamais fait, même lorsqu’elle était au gouvernement avec Silvio Berlusconi. Il en sera de même avec l’Europe. Situation identique pour le mouvement 5 étoiles : son fondateur, Beppe Grillo, parlait il y a 10 ans d’une sortie de l’Union européenne. Aujourd’hui, cette option n’est plus d’actualité.

La réelle véhémence de ce nouveau gouvernement contre l’Europe est basée sur la monnaie unique et les restrictions financières. L’Italie est un pays qui avait pour habitude de déprécier la lire pour pouvoir rester compétitive et l’euro a stoppé net cette possibilité. La souveraineté monétaire nationale est donc un argument central dans les discours populistes italiens, qui promettent une amélioration immédiate une fois libérée du diktat de Bruxelles. Là aussi, dans les discours de Matteo Salvini et de Luigi di Maio, les mots sont forts, mais dans les actes il n’est pas certain que l’Italie ait les armes pour imposer ses revendications.

Giuseppe Conte, Président du Conseil ou simple pantin ?

Deux partis pour un seul poste de président du Conseil. Le choix s’est donc porté sur une personne neutre satisfaisant les deux camps.

Giuseppe Conte apparenté au Mouvement 5 étoiles même s’il n’est pas une figure active et présente médiatiquement. Professeur de Droit (symbole de l’impartialité) à Florence et originaire du sud, il représente idéalement le territoire italien, sauf le nord, chasse gardée de Matteo Salvini.

Giuseppe Conte est peu connu du grand public et n’a jamais été présent sur la scène politique avant sa nomination. Il est donc difficile d’anticiper ses réactions et les traits de caractère qui pourraient définir son style. L’unique certitude est qu’il est moins expérimenté que les deux artisans du gouvernement. On pourrait donc s’attendre à ce qu’il applique sagement les ordres qui lui sont donnés.

Nouveauté de ce président du Conseil : Monsieur Conte a un curriculum vitae plus international que la grande majorité de ses prédécesseurs. Le nouveau président du Conseil pourrait donc être le parfait médiateur entre l’Europe et les politiques proclamées à Rome, évitant ainsi des incidents diplomatiques qui mettrait l’Italie dans une position difficile. Il a d’ailleurs déjà déclaré être favorable à une Italie toujours présente au sein de l’Union européenne.

L’opposition attend le faux pas

Paradoxalement, Silvio Berlusconi peut être satisfait de cet accord. Les sondages sont formels, en cas de nouveau vote le parti de Monsieur Berlusconi, Forza Italia, serait sérieusement en difficulté. Il a donc tout intérêt à conserver les sièges qu’il a actuellement et éviter une crise politique anticipant de nouvelles élections. De plus, Silvio Berlusconi n’est plus inéligible depuis le 12 mai, ce qui pourrait lui permettre de revenir au centre de la scène politique. Il faut donc s’attendre à une action ou manœuvre de sa part, car, même âgé de 81 ans, Monsieur Berlusconi peut et veut encore compter. Comme disait son médecin personnel (Umberto Scapagnini, décédé en 2013) : “Silvio Berlusconi est techniquement immortel”.

Matteo Renzi est peu optimiste quant à la réussite de cette alliance M5S-Lega, un “Frankenstein politique” comme l’a défini le journaliste Massimo Giannini. L’ex-secrétaire du Parti démocrate rêve donc d’une crise politique qui pourrait ouvrir une brèche à une centralisation et unification des partis modérés. Il regarde donc ce spectacle, espérant une fin tragique qui pourrait légitimer son retour comme homme providentiel. Reste à savoir si le Parti démocrate l’accepterait de nouveau comme leader, ce qui n’est pas dit. Malgré des efforts pour rassembler la gauche, une guerre interne fait rage. Lors de ces derniers jours, la convention du Parti démocrate s’est déroulée dans une ambiance électrique, ce qui ne présage rien de bon.

Un gouvernement, mais pour combien de temps ?

Le président du Conseil trouvé, il lui faut encore former son équipe de ministres et établir le format qu’aura ce gouvernement. Le rôle de Luigi di Maio et de Matteo Salvini est encore à définir et le poste de ministre de l’Économie semble être la convoitise principale. Il faudra ensuite que le gouvernement change la loi électorale, car le système proportionnel ne fonctionne pas. De nombreux grands chantiers sont à réaliser, avec une majorité de seulement quelques sièges à l’assemblée. Pour de nombreux spécialistes, voir ce gouvernement se maintenir au pouvoir jusqu’en mars prochain serait déjà une prouesse. Un retour aux urnes avant la fin de la législature n’est donc pas exclu.

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[1] Paolo Gentiloni est le premier président à aller à Cuba après l’accord avec les États-Unis. Il était également allé en Iran juste avant l’accord sur le nucléaire.

Corée du Nord : 2 doses de malentendus réciproques, 1 dose d’habileté made in Trump

Fri, 25/05/2018 - 10:33

Au travers d’une lettre adressée à Kim Jong-un ce 24 mai, Donald Trump a annulé la rencontre prévue avec le dirigeant nord-coréen initialement prévue pour le 12 juin prochain. Comment comprendre cette décision ? Les arguments développés par Donald Trump sont-ils suffisants pour expliquer une telle décision ?

Cette annonce n’est, malheureusement, pas une grande surprise, tant les développements de ces derniers jours, les nouveaux exercices militaires entre Américains et Sud-coréens et les déclarations à Washington comme à Pyongyang laissaient présager un report, voire une annulation de cette rencontre. En claire, les deux parties ne se faisaient pas confiance. Dans sa lettre, Donald Trump se montre ambigu, souhaitant sans doute associer la carotte et le bâton, mais il est au final assez peu convaincant.

Ainsi, comment dans le même document menacer la Corée du Nord de frappes nucléaires et regretter que cette rencontre ne puisse avoir lieu? Certains estimeront que le changement de ton est consécutif à la seconde visite de Kim Jong-un à Pékin, mais force est de reconnaître que ce n’est pas Pyongyang qui a pris la décision d’annuler cette rencontre, mais bien Washington. C’est ce que l’histoire retiendra.

Quelles sont les différences stratégiques entre les objectifs des deux parties ? Ces différences peuvent-elles être réconciliées ? Le ton du rapport de force, qui traverse la lettre, est-il approprié en ce sens ?

Dès l’annonce faite par Trump, sous forme de tweet, de sa volonté de rencontrer Kim Jong-un, les deux parties n’étaient pas sur la même ligne. Côté nord-coréen, cette rencontre, souhaitée depuis des années, avait – et a toujours – pour but de marchander la menace nucléaire en obtenant des garanties sécuritaires, une levée des sanctions, et une forme de normalisation de la relation avec les Etats-Unis. L’arme nucléaire est perçue à Pyongyang comme la meilleure garantie permettant d’atteindre ces objectifs.

Certains qualifient cette stratégie de fil du rasoir, d’autres de stratégie du pire, mais le résultat été le même. Côté américain, cette rencontre devait sceller la dénucléarisation de la péninsule, et dans un second temps ouvrir une nouvelle ère dans la relation entre les deux pays. En rehaussant le ton de la menace, Donald Trump perd le crédit qu’il avait emmagasiné en se montrant ouvert au dialogue, il perd surtout une occasion de replacer son pays au centre du dialogue sur l’avenir de la péninsule coréenne. Ce ton n’est donc pas approprié et ne fait qu’une victime: la diplomatie américaine. De son côté, la Corée du Nord n’a rien à perdre, n’oublions jamais cette règle élémentaire de toute stratégie de négociation.

Comment peut-on anticiper la réaction nord-coréenne et la suite des relations entre les deux pays ? Une prochaine réunion, sur les termes définis par Donald Trump, est-elle envisageable ?

Cette annulation est d’abord un échec pour la diplomatie américaine et pour le locataire de la Maison-Blanche, qui s’enorgueillit depuis des semaines être à l’origine du dénouement d’une crise qui dure depuis sept décennies. L’administration Trump a fait preuve d’une naïveté désarmante, et la politique étrangère américaine est dans la tourmente. À moins que certains dans l’entourage du président américain n’aient souhaité saboter cette rencontre. Cette possibilité ne doit pas être exclue. On pense à John Bolton, dont il est difficile de penser que son évocation du modèle libyen était une gaffe, mais aussi à Mike Pence, qui ne partageait visiblement pas l’enthousiasme de Trump.

Côté nord-coréen, les derniers jours ont fourni un avant-goût de la réaction, et le faut que l’annulation survienne le jour même du démantèlement du site d’essais nucléaires de Punggye-ri, gage de la bonne volonté du régime (en plus de la libération des trois otages américains) ne va pas aider à recréer les conditions d’un dialogue serein. Les deux pays sont parvenus à créer un point de contact, c’est bien, il va falloir maintenant laisser passer l’orage et repartir sur des bases solides, sans précipitation. En attendant, il faut souhaiter que ce nouveau développement n’ait pas un impact négatif sur la relation Seoul-Pyongyang, qui reste l’élément essentiel de toute pacification de la péninsule, avec ou sans le bon vouloir de Washington.

Annulation du sommet entre Donald Trump et Kim Jong-un : « Une opération de communication de part et d’autre »

Thu, 24/05/2018 - 20:35

Doit-on parler de coup de théâtre ou d’un scénario prévisible ?

 On commençait à s’en douter ces derniers jours, ça sentait le roussi, en particulier parce que le ton était monté entre certains responsables nord-coréens et la Maison Blanche, notamment après que le vice-président américain Mike Pence avait prédit un destin « à la Kadhafi »pour le dirigeant nord-coréen. En retour, Mike Pence a été qualifié d’« ignorant » et de « stupide » par la diplomatie nord-coréenne.

Comment est-on passé, en quelques semaines, d’une quasi-réconciliation, de la promesse d’une rencontre, à cette rhétorique beaucoup plus belliqueuse ?

C’est une opération de communication de part et d’autre. Du côté nord-coréen, il y a le désir d’être enfin reconnu sur la scène internationale. Et du côté de Donald Trump, on est beaucoup dans une communication incantatoire, vouloir montrer que l’on peut dominer les dictateurs, imposer sa vision unilatérale au monde. Peut-être que Donald Trump a fait une erreur au départ en acceptant ce sommet sans négocier un minimum au début. Il pensait qu’il pouvait appliquer sa stratégie de l’art du « deal » à la diplomatie. Ça a marché pour l’Iran, il est un peu galvanisé par la situation au Moyen-Orient, il s’est aussi un peu laissé emporter par le président sud-coréen Moon qui lui avait parlé de prix Nobel. C’est aussi l’échec du président Moon ce soir.

Donald Trump manie quand même encore l’incertitude… Dans son courrier au leader nord-coréen, il laisse une porte ouverte à une éventuelle rencontre plus tard tout en disant : « Attention, notre puissance nucléaire est plus forte ». C’est à la fois l’invitation et la menace ?

Oui, il souffle le chaud et le froid. Il parle de l’hostilité, de la confiance rompue, on revient à des termes que l’on avait connus avant la décision de tenir ce sommet. Ce qu’il se passe aussi dans l’entourage de Trump, c’est la nomination d’un nouveau secrétaire d’État, Mike Pompeo, qui est beaucoup plus dur que le précédent. Rex Tillerson [l’ex secrétaire d’État américain] avait beaucoup œuvré au rapprochement avec la Corée du Nord. Et puis surtout, il y a le conseiller à la sécurité intérieure, John Bolton, qui est un idéologue jusqu’au-boutiste sur la question des relations internationales. On a l’impression d’avoir vraiment perdu plusieurs mois.

« Vu de Russie, les succès de politique étrangère de Macron sont très modestes »

Thu, 24/05/2018 - 16:32

Que vient faire Macron en Russie ?

Cette visite est la réponse de Vladimir Poutine à sa venue à Versailles, il y a un an. Emmanuel Macron vient discuter des grands problèmes de politique mondiale : l’Iran, la Syrie, l’Ukraine, le terrorisme… Il vient aussi essayer d’améliorer la relation bilatérale sur le plan politique, mais également économique.

Il y a un an, le président français avait évoqué les sujets qui fâchent sans détour. Peut-il encore se permettre un tel ton ?

Il ne reçoit pas, il est reçu : nuance essentielle en diplomatie. On ne se permet pas les mêmes choses. Emmanuel Macron dira ce qu’il a à dire à Vladimir Poutine, mais d’une façon sans doute moins abrupte qu’à Versailles. Dans ce genre de rencontre, l’essentiel se dit en coulisses, loin des micros. Les Russes y tiennent particulièrement.

Quelles relations entretiennent les deux dirigeants ?

On personnalise à l’excès la diplomatie. Les hommes comptent ; leur sensibilité et leurs tropismes pèsent. Mais à travers Emmanuel Macron, c’est avant tout la France que voit Vladimir Poutine. Une grande puissance mondiale, nucléaire, qui a su développer une politique étrangère indépendante, y compris pendant et après la Guerre froide.

Comment les Russes perçoivent-ils le président français ?

Comme un jeune leader ambitieux, qui essaie de reprendre le leadership du monde occidental, en tout cas de l’Europe. Mais Moscou ne cache pas ses doutes sur sa capacité à le faire, même dans un contexte d’affaiblissement relatif de la chancelière Angela Merkel.

Avec les États-Unis et même avec l’Allemagne, les succès de politique étrangère de Macron sont pour l’instant très modestes. Pour ne pas dire inexistants, vu de Russie.

La France ne brille-t-elle plus à Moscou ?

Les Russes la considèrent comme une puissance déclinante, qui joue un peu au-dessus de sa catégorie. Historiquement, la France était considérée comme la puissance politique dominante en Europe ; l’Allemagne étant l’interlocuteur économique privilégié. On voit un glissement majeur ces dernières années : pour Moscou, mais pas seulement, le leader européen, politique et économique, c’est l’Allemagne.

Les excès de Trump profitent-ils à Poutine ?

Sur l’Iran, Israël, le climat… Censé être l’allié principal des Européens, Trump est perçu comme allant trop loin. Paradoxalement, Poutine apparaît comme un dirigeant plus prévisible et raisonnable que le dirigeant américain. Il sait qu’il a une carte à jouer. Cela ne veut pas dire qu’il faille s’attendre à un grand chamboulement des relations internationales… Il reste beaucoup de contentieux à régler.

Sur l’Iran, Moscou et Paris sont d’accord. Ou presque ?

Les deux pays souhaitent que l’Iran reste une puissance non nucléaire. Mais la France estime que la meilleure chance de sauver l’accord, c’est de l’élargir, alors que les Russes ont une vision plus conservatrice. La France est d’ailleurs la seule à penser à un tel scénario…

Le désaccord est plus profond sur la Syrie…

C’est le dossier qui a le plus empoisonné les relations bilatérales franco-russes sous la présidence Hollande. Plus encore que l’Ukraine. Depuis le début du conflit, les positions de Paris et de Moscou sont à l’opposé. Mais la France a mis de l’eau dans son vin ces derniers mois. Elle prend acte du fait qu’elle n’a plus beaucoup de leviers sur le terrain… au-delà de quelques frappes, qui ont d’ailleurs été négociées avec les Russes, début avril.

Les Russes ont donc la main ?

Ils essaient des choses. Depuis la visite de l’Israélien Benjamin Netanyahu, le 9 mai, ils tentent de convaincre les Iraniens et le Hezbollah de quitter les zones frontalières d’Israël. Une autre visite, ou plutôt une convocation, a aussi pesé : celle de Bachar al-Assad à Sotchi, la semaine dernière, pour lui dire de commencer à penser très sérieusement à l’amorce d’un processus politique.

Poutine a su rendre la Russie incontournable…

Oui. Maintenant, son défi, c’est de montrer que la Russie peut également être utile au règlement des grandes crises et pas seulement être incontournable, avec un pouvoir de nuisance.

Mais rien n’est réglé en Ukraine !

Ce dossier ne bougera pas dans les dix-huit mois qui viennent, du fait des élections présidentielle et législatives de l’an prochain. De toute façon, personne ne croit, dans les chancelleries occidentales, que la Crimée puisse un jour revenir à l’Ukraine. Évidemment, ce ne sera jamais admis et l’annexion ne sera jamais reconnue légalement…

Quid des soupçons d’ingérences russes ?

Parmi les contentieux russo-occidentaux, il y a l’ingérence présumée dans les élections américaines ; il y a aussi les activités russes, au sens large, dans le cyberespace. Sans parler de l’affaire de l’ex-espion russe Sergeï Skripal (empoisonné début mars au Royaume-Uni). Les Russes ont été étonnés de voir la France valider les accusations britanniques de façon très ferme… Mais avant même cette affaire, des expulsions croisées d’agents de renseignement avaient déjà eu lieu, sans faire de bruit.

Pas de quoi empêcher de faire des affaires ?

Les intérêts français en Russie sont beaucoup importants que les intérêts français en Iran ! Mais les entreprises préfèrent rester discrètes car la Russie n’a pas très bonne presse…

 La France est le premier pays en termes d’investissements directs en Russie. Et reste le premier employeur étranger, avec près de 180 000 employés. Trente-cinq entreprises du Cac 40 sont implantées dans le pays. Mais toutes souffrent des sanctions et ont le sentiment de ne pas être soutenues par leur gouvernement.

Ce qu’il faut attendre de la visite de Macron en Russie au moment où les relations sont glaciales

Thu, 24/05/2018 - 12:45

Alors que le Président français Emmanuel Macron effectue sa première visite en Russie en tant que chef de l’Etat, un constat s’impose: un an après sa rencontre avec Vladimir Poutine à Versailles, la relation bilatérale est très dégradée. Nos deux pays n’ont pas réussi à surmonter la défiance mutuelle et « l’esprit de Trianon » ne tient qu’à un fil, celui des entretiens qu’auront les dirigeants français et russe à Moscou et à Saint-Pétersbourg en marge du Forum économique.

Certes, le dialogue entre Paris et Moscou n’est pas interrompu. De nombreuses réunions ont eu lieu tout au long de l’année 2017 et jusqu’à aujourd’hui. De son côté, le Dialogue de Trianon – plateforme ayant pour mission de favoriser les échanges entre les sociétés civiles de France et de Russie – devrait monter en puissance après son lancement officiel par les présidents Macron et Poutine le 25 mai à Saint-Pétersbourg.

Plusieurs dossiers ont cependant affecté négativement les relations bilatérales ces derniers mois. L’Ukraine tout d’abord: aucun progrès significatif n’a été enregistré dans le Donbass, le processus de Minsk est au point mort, tandis que le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian qualifiait la Russie « d’Etat agresseur » lors d’une visite à Kiev en mars dernier. L’affaire Skripal et ses suites (boycott par le président Macron du stand russe au Salon du Livre et expulsions croisées de diplomates), la Syrie (absence de progrès sur le volet politique, attaque chimique présumée dans la Ghouta et frappes militaires occidentales) ainsi que d’autres contentieux strictement bilatéraux (affaires Barbereau et Kerimov, interpellation d’un agent des services secrets russes à Paris et renvoi de personnel de la DGSE en poste à Moscou) ont fait rechuter les liens entre nos deux pays à un état proche de celui de l’automne 2016, lorsqu’en pleine bataille d’Alep, Vladimir Poutine avait dû reporter sa visite à Paris. Aujourd’hui, les perceptions mutuelles sont très négatives, au niveau des élites et dans les médias tout au moins. En France, la Russie est largement vue comme une puissance révisionniste, qui joue sur les divisions intra-européennes et dont les ambitions sont déstabilisantes pour le continent. En Russie, la France est désormais perçue comme un pays ayant abdiqué sa souveraineté au nom d’une Europe sous tutelle stratégique américaine, en pointe d’un occidentalisme belliqueux et jouant au-dessus de sa catégorie.

La France et la Russie ne voient pas le monde de la même façon et ont des narratifs de plus en plus divergents. Les mêmes mots – souveraineté, terroristes, valeurs – y sont compris de façon différente. Ce décalage se nourrit d’une méconnaissance mutuelle croissante, paradoxalement plus importante aujourd’hui qu’à la fin de l’époque soviétique, et d’une couverture médiatique croisée où le devoir d’informer le cède souvent au souci de flétrir. Côté russe, la « révolution conservatrice » à l’œuvre depuis 2012 et la vague nationaliste consécutive à l’annexion de la Crimée éloignent durablement l’idée d’une convergence avec l’Europe, qui a sous-tendu la diplomatie russe pendant une quinzaine d’années, depuis la Perestroïka jusqu’à la fin du premier mandat de Vladimir Poutine au moins. L’européisation de la diplomatie française, particulièrement visible sur le dossier russe depuis le mandat de François Hollande, et l’horizon mental souvent limité au monde occidental des cercles de pouvoir parisiens, rétrécissent les marges de manœuvre de la France.

Nos deux pays disposent pourtant de nombreux atouts pour développer leur partenariat au XXIème siècle. Leurs coopérations universitaires, culturelles et scientifiques présentent une richesse et une diversité remarquables, héritage d’une longue tradition intellectuelle et de la visite du général de Gaulle en URSS à l’été 1966. Paris et Moscou peuvent en outre s’appuyer sur une relation économique qui a bien résisté aux multiples chocs de ces dernières années: combien de Français savent que leur pays occupait, en 2014, 2015 et 2016, la première place en Russie en termes d’investissements directs et qu’il y est toujours le principal employeur étranger? Les multiples projets soumis au Dialogue de Trianon témoignent par ailleurs d’une curiosité et d’une attraction mutuelle qui ne se démentent pas.

Dans ce contexte, qu’attendre des entretiens entre les Présidents Macron et Poutine? A minima, qu’ils mettent un terme à la spirale négative, à laquelle ni la France ni la Russie n’ont rien à gagner. Restaurer un peu de confiance exigera de la retenue – dans les déclarations, dans la sphère informationnelle, mais aussi dans des domaines sensibles comme le renseignement et le cyberespace. Peut-être le dossier iranien, sur lequel les positions de la France semblent plus proches de celles de la Russie que des Etats-Unis, permettra-t-il d’impulser une dynamique plus positive que ces derniers mois. À plus long terme, cependant, une amélioration sensible des relations franco-russes passe par une discussion au niveau européen sur l’architecture du continent, c’est-à-dire sur un modus vivendi dans notre « voisinage partagé », sur la politique d’élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN, ainsi que sur la politique russe dans l’espace postsoviétique. Seul un aggiornamento stratégique de part et d’autre est de nature à briser le cercle vicieux dans lequel Russes et Occidentaux se trouvent depuis une décennie. La vérité oblige à dire qu’il paraît – hélas ! – aujourd’hui bien improbable. Il est de toute façon inenvisageable sans avancées tangibles en Ukraine.

L’histoire des relations russo-occidentales est, après les retrouvailles de la fin des années 1980, avant tout celle de rendez-vous manqués avec l’Histoire. En 1992 après l’effondrement de l’URSS, en 2001 après les attentats du 11 septembre ou en 2009 avec le reset d’Obama et les propositions de Medvedev sur une nouvelle sécurité européenne, l’inertie a pris le pas sur l’audace et les visions à long terme. Puisse la France jouer un rôle à la hauteur de sa relation historique avec la Russie pour contribuer à la nécessaire réunification de l’Europe.

Article co-écrit avec Pascal Lorot, Président de l’Institut Choiseul et directeur de la rédaction de la revue Géoéconomie.

Russie : visite symbolique du président Macron ?

Thu, 24/05/2018 - 12:06

Emmanuel Macron effectue un déplacement en Russie ces 24 et 25 mai afin de rencontrer son homologue Vladimir Poutine. Au programme de cette rencontre, les dossiers syrien, ukrainien et l’accord nucléaire iranien, avant de se rendre au Forum économique de Saint-Pétersbourg. Malgré les divergences sur plusieurs sujets qui opposent ces deux nations, elles semblent faire face à une coopération inévitable, tant sur le domaine économique que géopolitique. Le point de vue de Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS et ancien ambassadeur de France en Russie.

Dans quel contexte géopolitique et stratégique cette visite se tient-elle ?

La visite d’Emmanuel Macron s’effectue dans un contexte international particulièrement agité, qui est en phase de recomposition. De nombreux événements permettent d’illustrer cette phase inédite au sein de la géopolitique mondiale : l’accord signé entre la Chine et les États-Unis qui prélude à un début de règlement de leur « guerre économique », les sanctions américaines contre les entreprises européennes qui continueraient de commercer avec l’Iran, sanctions contre lesquelles le Conseil européen, en fin de semaine dernière à Sofia, n’a pas pu trouver une solution viable. Dans le même temps, la situation en Syrie est toujours dans l’impasse sur le plan diplomatique, pendant que Bachar al-Assad s’impose progressivement face à l’opposition. Tandis qu’en Ukraine, le climat se tend de nouveau dans la région de la Crimée.

Ces différents éléments illustrent un cadre diplomatique incertain, marqué par une remise en cause de tous les acquis multinationaux et multilatéraux construits depuis 1945. Une redistribution des cartes s’opère dès lors à l’initiative des États-Unis, marquée par une réduction du système multilatéral, phénomène appuyé à la lecture de ces prémisses. Cette période trouble est propice à des initiatives diplomatiques, notamment de la part de la France, seule note positive de ce contexte particulier. C’est dans cette période que le président Macron a décidé de maintenir sa visite au Forum économique de Saint-Pétersbourg malgré les tensions issues de l’affaire Skripal (ancien espion russe empoisonné au Royaume-Uni) et du conflit syrien, afin d’entretenir le dialogue avec Moscou.

Alors que l’Élysée assure que le dialogue avec la Russie « a été maintenu », que doit-on attendre de cette rencontre ?

Le contexte évoqué précédemment n’a pas encore donné lieu à des changements majeurs, malgré la résurgence des initiatives bilatérales, spécialement de la part des États-Unis. Du côté des Européens, le Conseil européen de Sofia n’a pas clairement déterminé le positionnement de l’Union européenne face aux initiatives américaines et russes, hormis la réactivation du processus d’une « loi de blocage » datant de 1996, qui vise à neutraliser les effets extraterritoriaux des sanctions américaines pour les entreprises européennes.

Du côté russe, 80% des membres présents dans l’ancien gouvernement ont été renouvelés après la réélection de Vladimir Poutine ; Dmitri Medvedev a été à nouveau nommé au poste de directeur de « Russie unie ». Ainsi, le président russe semble garder toutes les cartes en main pour son 4e mandat, même s’il se peut que des changements au sein du gouvernement s’opèrent si la situation internationale ou intérieure tendait à se modifier.

Compte tenu des relations entre Paris et Moscou, les deux parties semblent être dans une période d’attente, entre tensions et volonté de dialogue, illustrée par un manque de positionnement affiché pour chacun d’entre eux. Ainsi, la visite d’Emmanuel Macron s’inscrit dans un contexte particulier, qui ne semble pas être propice à des décisions et percées majeures sur le plan diplomatique.

La visite d’Emmanuel Macron s’inscrit dans le cadre du Forum économique de Saint-Pétersbourg. Comment se porte l’économie russe, avec quelles perspectives ? 

La récente remontée du baril du pétrole au seuil de 80 dollars est une aubaine pour la Russie. En effet, le budget russe triennal a été calculé sur un baril à 40 dollars. Ce nouveau prix donne dès lors une marge de manœuvre considérable au pouvoir économique russe.

D’un point de vue intérieur, sur instruction du président, les disponibilités budgétaires et les nouvelles mesures concerneront davantage le domaine social – santé et éducation – que le domaine militaire. Le budget de la Défense de 2017, représentant 5% du PIB russe, a connu une diminution par rapport à 2016 et cet affaiblissement semble devoir durer ces prochaines années. Les disponibilités financières supplémentaires seront donc affectées pour l’essentiel aux affaires sociales et à la modernisation de l’appareil économique de la Russie. Ces objectifs de mandat permettront, dans une certaine mesure, de consolider le pouvoir de Poutine, dont les récents sondages de popularité lui donnent 80% en sa faveur. Cela étant, si les perspectives de croissance se situent ainsi autour de 1,5 – 2% par an, la question de la distribution de la croissance est problématique, le pouvoir d’achat ayant diminué de près de 9% depuis 3-4 ans. L’amélioration de la situation économique est dès lors le défi de Moscou pour ces prochaines années.

Par ailleurs, une priorité a été mise sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Leur développement, ainsi que celui de l’intelligence artificielle, nécessitent un climat de liberté entrepreneuriale qui semble se dégrader en Russie. Or, les mesures qui ont été prises notamment contre le réseau social Telegram, accusé d’encourager le terrorisme et la surveillance des réseaux, semblent s’insérer dans une volonté de contrôle de l’internet russe.

Enfin, les dernières décisions américaines concernant la Russie posent un dilemme important à Moscou : elles donnent en effet au département d’État américain la possibilité de juger si n’importe quelle transaction peut porter préjudice aux États-Unis, quel que soit l’auteur ou la firme concernée par celle-ci. Ainsi, pour la première fois, les sanctions américaines risquent de porter un coup dur à l’économie russe. Moscou va devoir traiter cette question rapidement, car des conséquences se profilent dès maintenant : Oleg Deripaska, le président de la société Rusal, premier producteur d’aluminium au monde, semble se mettre en retrait de son entreprise depuis l’annonce de ces sanctions …

Élections au Venezuela : entre pénurie démocratique et ingérences étrangères

Thu, 24/05/2018 - 10:53

Nicolas Maduro a été réélu président du Venezuela avec près de 67,7 % des voix, élection sujette à de nombreuses contestations au sein du pays comme à l’international. La crise politique et économique se perpétue au Venezuela dans un contexte géopolitique défavorable à Caracas. Face à une abstention record, une non-reconnaissance de l’issue du scrutin par l’opposition, et la menace de sanctions de la part des États-Unis, le Venezuela s’enlise-t-il dans une crise encore plus profonde ? Pour analyser la situation, le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS, qui revient d’une mission d’observation des élections au Venezuela.

Nicolas Maduro a été réélu à la tête du Venezuela avec près de 67,7 % des voix. Malgré une forte abstention et une dénonciation d’irrégularités de la part de l’opposition, quelles leçons peut-on tirer de ce scrutin présidentiel ?

La société vénézuélienne est fatiguée politiquement parlant. Ce sentiment s’est ressenti à travers une abstention record atteignant les 54% de non-participation. Cette abstention n’est pas uniquement due à l’appel lancé par un certain nombre de partis d’opposition. De nombreux électeurs, qui en 2013 avaient voté pour le président Maduro, ne l’ont pas fait cette fois-ci, non pas par opposition, mais parce qu’ils sont pris dans les difficultés de la vie quotidienne : il n’y a presque plus d’argent liquide en circulation, conséquence de l’hyperinflation. Une partie des Vénézuéliens est donc dans l’obligation de se livrer à plusieurs activités afin de pouvoir vivre. Cette vie quotidienne empreinte de difficultés repousse les questions politiques au second plan. Elle permet de comprendre l’accroissement de l’abstention dans les quartiers populaires. Pour une autre partie de la société vénézuélienne, représentative des classes aisées et moyennes, favorables aux partis d’opposition, plusieurs centaines de milliers de personnes ayant quitté le Venezuela et ses difficultés figurent dès lors comme abstentionnistes sur les listes électorales.

C’est effectivement une victoire pour Nicolas Maduro, mais une victoire à la Pyrrhus. Pour autant, ce n’est pas une victoire pour l’opposition, qui est largement divisée. Le véritable vainqueur des élections est le parti des abstentionnistes. Ce qui fragilise tout à la fois l’assise de Maduro, mais également l’opposition qui apparaît incapable d’offrir une réelle alternative au pays.

Depuis 2014, le Venezuela connaît une crise politique et économique, marquée par une inflation des prix et une forte violence. Quels sont les défis qui attendent Nicolas Maduro ?

Le défi immédiat est la réaction des pays voisins, des États-Unis et de l’Union européenne. Un certain nombre de pays d’Amérique latine ont décidé de durcir leur position à l’égard du Venezuela. Ils ont rappelé leurs ambassadeurs. Dans leur majorité, ce sont des pays à orientations conservatrices, dirigés par des partis ou mouvements de droite. Le gouvernement nord-américain, dans la foulée des sanctions contre l’Iran, pourrait également annoncer une série de mesures visant à isoler économiquement et financièrement le Venezuela. Ce défi pourrait ajouter des difficultés à un pays qui fait face à une carence de liquidités sur son territoire, génératrice de désordres économiques et d’un mal vivre croissant. La ville de Caracas est quasiment dans le « black-out » faute d’énergie. Ce qui a perturbé la campagne électorale : à partir de 18h, la vie sociale et politique est suspendue faute d’éclairage public suffisant. Dès lors, un contexte d’insécurité domine dans la capitale, considérée déjà comme une des villes les plus dangereuses du continent.

Les défis du président Maduro concernent ainsi l’économie et la sécurité. L’inquiétude des autorités est de savoir si les États-Unis, vont aggraver la situation économique et politique du pays, en prenant de nouvelles sanctions, au risque de créer une situation de chaos. Mais cela n’est-il pas leur objectif inavoué ? Cela ne prépare-t-il pas une éventuelle opération de déstabilisation extérieure, visant à rétablir l’ordre des affaires et celui de la démocratie ? Ces menaces vont probablement amener le gouvernement de Maduro à renforcer ses relations avec la Chine, déjà fortement présente économiquement et diplomatiquement.

Ces élections se sont déroulées en pleine crise politique. Les 14 pays du Groupe de Lima ont annoncé le rappel de leurs ambassadeurs et les États-Unis ont déclaré qu’ils ne reconnaitront pas le résultat de la présidentielle. Comment analysez-vous cette situation ? Quelle posture faut-il attendre du Venezuela sur la scène régionale ?

C’est une situation assez paradoxale. La démocratie au Venezuela ne répond pas aux critères auxquels les Occidentaux sont habitués ; le vote est respecté. Mais l’appareil d’État favorise le candidat officiel. La critique est donc justifiée. Mais pourquoi cibler le seul Venezuela ? Certaines situations, en Amérique latine, en Asie, en Europe, sont tout aussi critiquables : le pluripartisme est interdit en Chine et à Cuba, le gouvernement hongrois n’est pas démocratiquement exemplaire, et la Turquie, encore moins. En Amérique latine, le président brésilien, est issu d’un coup d’État parlementaire, les élections au Honduras ont été inconstitutionnelles, le Pérou a un président qui s’est fait remercier pour corruption, etc. Dans ce panorama de la crise de la démocratie, le Venezuela fait figure de bouc-émissaire collectif et exclusif.

Cette situation répond davantage à des critères liés à la géopolitique, à des logiques diplomatiques que réellement éthiques. Le Venezuela est dans une situation diplomatique de plus en plus complexe, dans la mesure où la plupart de ses voisins, le Brésil, la Colombie, le Pérou, le Chili ou l’Argentine affichent une attitude agressive, calée sur la position des États-Unis.

Ce contexte amène Caracas à s’appuyer davantage sur ses alliés actuels qui vont renforcer leur capacité d’influence, soit la Russie, et plus fortement la Chine. Pékin a récemment signalé dans un communiqué qu’elle attachait la plus grande importance à ce que le résultat des élections au Venezuela soit reconnu au niveau international, preuve de sa forte relation avec Caracas, mais aussi de l’élargissement de sa sphère d’intérêts.

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