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Politique étrangère (IFRI)

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La revue de référence sur les questions internationales
Updated: 1 month 4 days ago

Philanthropes sans frontières : 3 questions à Charles Sellen

Thu, 08/04/2021 - 10:00

Auteur de l’article « Philanthropes sans frontières : la générosité privée au secours du monde ? » paru dans le numéro de printemps de Politique étrangère  (n°1/2021)Charles Sellen, docteur en économie internationale (Sciences Po) et Inaugural Global Philanthropy Fellow à la Indiana University Lilly Family School of Philanthropy, répond à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.

1) Quelle place la philanthropie occupe-t-elle sur la scène internationale ?

La philanthropie privée occupait traditionnellement une place discrète, à l’arrière-plan. Aujourd’hui son influence est croissante, intervenant désormais en pleine lumière sur le devant de la scène internationale.

Ce n’est pourtant pas un phénomène nouveau : l’Ordre de Malte s’inscrit dans ce registre depuis l’époque médiévale. Henry Dunant, fondateur du Comité international de la Croix-Rouge au XIXe siècle, peut être considéré comme l’un des premiers philanthropes internationaux des temps modernes. Les fondations Carnegie et Rockefeller sont actives hors des États-Unis depuis plus d’un siècle, et ont pratiqué ce qui s’apparente à de « l’aide au développement » longtemps avant la création des institutions de Bretton Woods.

Depuis les années 2000, on assiste à une résurgence de cette « action privée au service de l’intérêt général » via la création de nouvelles fondations, souvent corollaires des fortunes bâties dans la finance ou les nouvelles technologies. Les nouveaux fondateurs, généralement habitués à déployer leurs activités entrepreneuriales à l’échelle planétaire, adoptent logiquement la même extension géographique pour leurs activités de mécénat, par-delà les frontières nationales.

Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, le phénomène de philanthropie internationale est mécaniquement voué à prospérer. En l’absence d’une fiscalité fortement progressive, il sera le produit combiné d’une création et d’une captation massive de richesses d’une part, et d’une explosion des inégalités et des besoins sociaux d’autre part. Les États doivent désormais s’accommoder de l’irruption de ces acteurs non étatiques dans le jeu diplomatique. Ils peuvent aussi, habilement, mobiliser ces vecteurs d’influence (soft power) et ces canaux de diplomatie parallèle (track two diplomacy) pour conduire des négociations informelles ou établir des contacts non officiels.

Il est évident que la philanthropie ne peut pas et ne doit pas se substituer à l’action étatique ou intergouvernementale, quand bien même certains philanthropes prétendent la suppléer. Mais c’est un complément utile. Elle offre une liberté d’initiative, une marge de manœuvre, qu’on aurait tort de sous-estimer et dont il serait dommage de se priver.

2) Comment le cercle des grands philanthropes internationaux a-t-il évolué au cours des dernières années ?

L’aréopage de grands mécènes actifs à l’international s’agrandit et se diversifie rapidement. C’est la double résultante de la globalisation des fortunes, qui se forment désormais en tout point du globe, et de l’internationalisation des causes (environnement, climat, santé, migrations, etc.) qu’on ne peut pas espérer résoudre avec des solutions exclusivement locales. Mais qu’y a-t-il en commun entre une vieille famille européenne perpétuant ses valeurs intergénérationnelles dans la discrétion (voire l’anonymat), un self-made businessman de la Silicon Valley persuadé que la technologie est une panacée pour guérir tous les maux de la planète, et une fondation d’entreprise issue des pays émergents comme le Brésil, la Chine ou l’Inde, focalisée prioritairement sur des enjeux régionaux ?

Il n’y a pas une mais des philanthropies. Leurs actions se situent à des échelles géographiques et temporelles disjointes. Elles coexistent, se juxtaposent, mais se croisent rarement. Les philanthropes internationaux ne constituent donc pas « un cercle », au sens d’un cénacle dont ils seraient membres et où ils se concerteraient. Au-delà de quelques initiatives menées en commun, leurs actions manquent cruellement de coordination — d’une part entre eux-mêmes et d’autre part avec les autres acteurs du champ qu’ils investissent.

Les très grands donateurs poursuivent leur propre agenda en autonomie, voire en autarcie, affichant dans certains cas des objectifs qui confinent à l’hubris. S’ils doivent composer en général avec l’écosystème associatif préexistant au niveau national, ils jouissent d’une quasi totale liberté d’action sur la scène internationale. Certains privilégient des voies solitaires et monothématiques, tandis que d’autres poursuivent des stratégies « tous azimuts » en recherchant activement à nouer des partenariats avec des diplomates, des banques publiques de développement, des agences onusiennes, ce qui leur permet d’acquérir une légitimité et d’influencer l’action publique vers leurs priorités de prédilection. En ce sens, ils contribuent à une forme de privatisation des politiques internationales dans certains secteurs où leurs capitaux sont parfois plus importants que ceux des acteurs publics (c’est d’ailleurs un paradoxe, puisque ces ressources financières sont partiellement défiscalisées).

3) Quel impact la crise du coronavirus peut-elle avoir sur la philanthropie ?

Cette crise a simultanément fragilisé le tissu associatif et mis en exergue l’influence politique et médiatique considérable des très grands donateurs. Ce double effet entraînera des bouleversements à long terme sur le récit, la perception et la critique de la philanthropie.

De prime abord, les fondations ont été relativement épargnées, car leurs dotations sont souvent constituées d’actifs immobiliers ou financiers, dont la valeur ne s’est pas amoindrie (les cours boursiers ont retrouvé leurs niveaux d’avant-crise). En revanche, les associations qui mettent en œuvre des projets financés par les dons, traversent une passe très difficile. Les dons qu’elles reçoivent annuellement se sont stabilisés dans le meilleur des cas, ou fortement amoindris dans de nombreux cas.

Environ 20 milliards de dollars de dons ont été recensés dans le monde depuis le début de la crise. Cette somme semble importante, mais demeure une goutte d’eau par rapport aux milliers de milliards d’euros et de dollars débloqués en urgence par les gouvernements pour tenter de juguler le désastre économique. De plus, ce chiffre doit être pris avec précaution : d’abord car il additionne des promesses de dons futurs et des versements immédiats, ensuite parce que parmi les causes (recherche médicale, prise en charge de patients, soutien à l’activité économique…) on ne distingue pas précisément celles qui reçoivent l’essentiel des dons de celles qui sont laissées-pour-compte. Cette imprécision statistique ne permet pas d’y voir clair pour le moment.

Une belle lueur d’espérance toutefois : partout dans le monde, des citoyens ont spontanément manifesté de la générosité et de l’entraide, en rivalisant d’ingéniosité. Cette crise a révélé la diversité des formes que peuvent revêtir ces témoignages de philanthropie, au sens grec originel d’« amour de l’humanité ».

Accédez à l’article de Charles Sellen ici.

Retrouvez le sommaire du numéro 1/2021 de Politique étrangère ici.

[CITATION] L’Afrique des pauvretés à l’heure du COVID-19

Wed, 07/04/2021 - 10:00

Accédez à l’article de Georges Courade ici.

Retrouvez le sommaire du numéro 1/2021 de Politique étrangère ici.

Political Violence in Kenya

Tue, 06/04/2021 - 10:37

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Sina Schlimmer, chercheuse au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Kathleen Klaus, Political Violence in Kenya: Land, Elections, and Claim-Making (Cambridge University Press, 2020, 374 pages).

Kathleen Klaus propose un ouvrage empiriquement riche, croisant l’analyse des relations foncières, de la compétition électorale, de la sociologie des mobilisations et des régimes politiques au Kenya.

Les élections générales de 2007 constituent le point de départ de l’ouvrage : Raila Odinga, le candidat du parti d’opposition Orange Democratic Movement, conteste la réélection du président sortant, Mwai Kibaki (Party of National Union). Odinga appelle alors l’opposition à se mobiliser en masse, ce qui se traduit par des violences dans les zones rurales, et urbaines provoquant la mort de 1 500 personnes et le déplacement de 600 000 autres.

Si l’auteur articule deux objets de recherche complexes, les violences électorales et la politisation des régimes fonciers, elle formule une question simple à laquelle répondent les huit chapitres : pourquoi des mobilisations violentes avant, pendant et après les élections s’observent-elles dans certaines localités et non pas dans d’autres ? Elle argumente que la violence électorale est une production conjointe entre les objectifs politiques des élites et les préoccupations de citoyens dits ordinaires.

L’ouvrage met la focale sur les dynamiques locales, se distinguant ainsi des travaux qui décrivent les violences électorales comme un phénomène national. Il compare le déroulement des événements post-électoraux dans différentes circonscriptions dans la région de la Vallée de Rift (Nakuru et Uasin Gishu) – où se sont concentrées les violences autour des élections en 2007-2008 – et dans la région de la Côte (Kwale et Kilifi) où la situation a été plutôt calme.

D’où la conclusion : la violence électorale est susceptible d’éclater d’abord lorsque deux communautés ethniques avoisinantes disposent de différents degrés de sécurité et de droits financiers. Sur cette inégalité, les communautés construisent, deuxièmement, des « discours fonciers contentieux » désignant l’autre groupe ethnique comme étant à l’origine de l’insécurité foncière. Ces rivalités ethniques exacerbées par la crainte de perdre l’accès aux terres sont exploitées par les candidats lors des campagnes électorales dans une logique de patronage.

En combinant un regard historique et une analyse fine des relations contemporaines entre gouvernants et gouvernés, cette recherche présente à juste titre les rapports au foncier comme l’épine dorsale de la (trans)formation de l’État et de la vie politique au Kenya.

Le travail de Klaus ne se limite pourtant pas à l’analyse des politiques foncières. Son ouvrage cherche à alimenter plusieurs corpus, y compris sur les mobilisations électorales, sur les dynamiques ethniques et, plus généralement, sur la trajectoire historique du régime politique kenyan. Si cette approche lui permet d’écrire un livre pouvant intéresser un large public, elle en rend la lecture parfois fastidieuse, notamment lorsque la richesse des matériaux empiriques paraît se perdre dans l’argumentation théorique.

Si l’ouvrage offre une lecture complète de l’histoire des relations entre la lutte pour les votes et la politisation du foncier au Kenya, il reste à savoir si la décentralisation des fonctions publiques vers les comtés, en cours depuis l’adoption de la Constitution de 2010, corrobore ces résultats, ou invite plutôt à les repenser.

Sina Schlimmer

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The Armed Forces of North Korea

Fri, 02/04/2021 - 10:00

Découvrez l’analyse par Rémy Hémez de l’ouvrage de Stijn Mitzer et Joost Oliemans, The Armed Forces of North Korea: On the Path of the Songun (Helion Company, 2020, 240 pages).

Stijn Mitzer et Joost Oliemans, analystes indépendants néerlandais, ont fondé le blog Oryx, spécialisé dans le renseignement de sources ouvertes. C’est grâce à ce type de recueil et d’analyse de l’information qu’ils peuvent présenter, de façon détaillée, les forces armées de la République populaire démocratique de Corée (RPDC).

Cet ouvrage de grand format richement illustré est organisé en cinq grandes parties, chacune dédiée à une composante des forces armées. Les auteurs débutent avec la force terrestre. Elle aligne beaucoup d’antiquités mais développe tout de même ses propres technologies, comme pour les missiles antichars. Sa stratégie des moyens est guidée par les conditions du combat dans la péninsule. Par exemple, l’absence de supériorité aérienne la pousse à disposer de pléthore de systèmes portatifs de défense aérienne (MANPADS).

Viennent ensuite les forces spéciales (FS). Sur les 200 000 hommes affichés par Pyongyang, 60 000 relèveraient de véritables FS, les autres se rapprochant plutôt de l’infanterie légère. Ces hommes bénéficient des meilleurs équipements individuels. Une mission particulière leur est dévolue : des assassinats ciblés sur les arrières, chaque compagnie de FS aurait à sa charge une ville importante au Sud.

La Force aérienne et anti-aérienne a une flotte âgée de 50 ans en moyenne. Elle dispose encore de nombreux chasseurs MiG-15, certes modernisés. Ses MiG-29, dont seulement 13 seraient opérationnels, sont les seuls à pouvoir prétendre contrer les chasseurs américains et sud-coréens. L’industrie de défense de la RPDC n’est pas parvenue à concevoir localement des aéronefs, mais elle très performante pour leur maintien en condition. Par ailleurs, la RPDC a l’un des systèmes de défense aérienne les plus développés du monde. En retard technologiquement, il fait l’objet de tentatives de modernisation, comme avec l’arrivée des missiles Pongae-5.

La Marine n’opère pas que sur des navires obsolètes. À partir des années 2010, le programme de corvettes de la classe Tuman/Ammok, qui présente des éléments de furtivité, a vu le jour. Pour autant, la doctrine navale de la RPDC repose avant tout sur l’utilisation massive de bateaux d’attaque rapides. Surtout, le pays entretient la troisième flotte de sous-marins au monde. Certes, la plupart sont anciens mais, ici également, des projets ambitieux existent. C’est le cas pour la classe Sinpo/Gorae, qui serait capable, à terme, de lancer des missiles sol-mer balistiques stratégiques.

En ce qui concerne la force des missiles stratégiques, la série des Hwasong, dont est issu le premier missile balistique intercontinental nord-coréen transportable, le Hwasong14, est notamment présentée avec le plus de précision possible. Les auteurs ne s’arrêtent pas aux missiles et des informations fouillées sont aussi fournies sur leurs tracteurs-érecteurs-lanceurs, comme les WS 51200 achetés en Chine et modifiés par Pyongyang.

Tout en donnant systématiquement de la profondeur historique à leurs analyses, les auteurs insistent sur les efforts constants de modernisation et le dynamisme de la défense de la RPDC, et ce en dépit de l’isolement et des sanctions. Le lecteur aura peut-être un seul regret : l’absence de tableaux récapitulant les organisations et les équipements ; mais nous sommes bien là en présence d’un ouvrage de référence, utile à tous ceux qui s’intéressent aux affaires militaires de l’Asie de l’Est.

Rémy Hémez

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A Military History of the Cold War

Wed, 31/03/2021 - 10:30

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Jonathan M. House, A Military History of the Cold War (University of Oklahoma Press, 2020, 472 pages).

Jonathan M. House, colonel en retraite, professeur émérite d’histoire militaire au Command and General Staff College de l’US Army, a notamment co-écrit avec David Glantz plusieurs ouvrages remarqués sur l’Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale. Avec ce deuxième tome de son histoire militaire de la guerre froide (le premier a été publié en 2012), il couvre la période 1962-1991, dominée par les insurrections, la guérilla, mais aussi la montée du terrorisme. Le livre n’oublie bien entendu pas le fait nucléaire et les quelques conflits conventionnels du Moyen-Orient, tout comme les deux guerres où les superpuissances ont été engagées : Vietnam et Afghanistan.

Dans le premier chapitre, l’auteur évalue l’équilibre des forces, conventionnelles ou non, entre l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et le Pacte de Varsovie à la « mi-temps » de la guerre froide. Vient ensuite une partie dédiée aux conflits, essentiellement post-coloniaux, en Afrique (Biafra, Congo, Rhodésie, etc.), en Amérique latine (Bolivie, Nicaragua, Salvador, etc.) et en Asie du Sud (Indonésie, Bornéo, Inde et Pakistan, etc.). L’auteur y met notamment en évidence les principaux acteurs de ces turbulentes années 1960, comme les Cubains par exemple. Deux épais chapitres sont consacrés à la guerre du Vietnam, du début de l’insurrection vietnamienne jusqu’à l’entrée au Sud de l’armée nord-vietnamienne en 1975, en passant par les batailles menant à l’offensive du Têt de 1968. L’intervention soviétique en Afghanistan fait également l’objet d’un développement consistant. Les mauvaises décisions stratégiques et opérationnelles du politburo et de l’Armée rouge y sont exposées clairement.

En revanche, les guerres israélo-arabes de 1967 et 1973 sont analysées de façon sans doute trop synthétique : l’auteur ne leur consacre que 20 pages. Toujours est-il que, dans un autre chapitre, Jonathan M. House détaille de façon très intéressante l’influence de la guerre du Kippour sur les évolutions doctrinales et capacitaires américaines après le Vietnam. Quelques pages sont ensuite dédiées à la défense civile, aux États-Unis, en Union soviétique et au Royaume-Uni, ainsi qu’aux mouvements de protestation internes aux deux blocs.

La décennie 1980 est initialement abordée via le désastre d’Eagle Claw, l’opération destinée à libérer les 53 otages détenus dans l’ambassade américaine de Téhéran. Puis l’auteur s’attache à décrire le « renouveau » militaire américain, avec l’arrivée à maturité de certaines technologies comme les munitions de précision guidées, ou le développement de la doctrine de la bataille aéroterrestre (AirLand Battle). Ces années 1980 sont ensuite analysées au prisme des conflits des Malouines, de la Grenade, du Liban, de la Libye ou encore de la guerre Iran-Irak. Les tensions dans le golfe Persique ne sont pas oubliées. Le livre se termine sur la tentative ratée de Mikhaïl Gorbatchev d’enrayer le déclin économique et militaire de l’Union soviétique et sur la dissolution du Pacte de Varsovie.

Jonathan M. House offre ici une synthèse admirable des principaux conflits et tendances militaires de cette guerre froide conclue voici trente ans, mais dont l’influence perdure jusqu’à aujourd’hui. Ce livre constitue une excellente introduction au spectre extrêmement large des confrontations militaires qui se sont produites de 1962 à 1991.

Rémy Hémez

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[CITATION] Pauvreté et développement humain dans les pays émergents

Tue, 30/03/2021 - 11:00

Accédez à l’article de Jean-Claude Vérez ici.

Retrouvez le sommaire du numéro 1/2021 de Politique étrangère ici.

Rouge Carbone

Mon, 29/03/2021 - 10:40

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Carole Mathieu, chercheuse au Centre Énergie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Laurent Fabius, Rouge Carbone (Éditions de l’Observatoire, 2020, 256 pages).

2020 devait être une année charnière pour les négociations climatiques internationales. Cinq ans après son adoption, l’accord de Paris entrait en application, et l’ensemble des États étaient invités à présenter de nouveaux engagements à l’occasion de la COP26, prévue à Glasgow en novembre. Dans la perspective de ce « moment de vérité », Laurent Fabius entendait dresser un bilan des progrès accomplis depuis la COP21, la grande conférence sur le climat qu’il avait préparée et présidée en sa qualité de ministre des Affaires étrangères.

La crise du COVID-19 a toutefois conduit au report de la prochaine COP à 2021, et la publication de Rouge Carbone intervient finalement en décalage de l’agenda diplomatique. Mais l’analyse conserve sa pertinence : elle est utilement complétée par un parallèle entre crises sanitaire et climatique, et contribue à la réflexion au long cours sur les ressorts de la coopération internationale autour des enjeux environnementaux.

Sans surprise, Laurent Fabius souligne la nécessité et l’urgence du combat climatique en s’appuyant sur les derniers travaux des climatologues, des institutions internationales et des organisations non gouvernementales. Il relève l’insuffisance des efforts déployés pour maîtriser l’évolution des émissions mondiales, précise les difficultés à entretenir la dynamique alors que les conséquences du réchauffement climatique sont perçues de manière diffuse et collective, et pointe la nécessité d’une conception élargie des enjeux environnementaux associant climat, biodiversité et lutte contre la pollution. Se référant à l’état actuel des connaissances, Laurent Fabius tente également de définir des attentes raisonnables concernant les différents leviers d’action, comme le déploiement des technologies bas-carbone ou le verdissement de la finance.

Son propos gagne en originalité lorsqu’il évoque la position des grands pays émetteurs dans les négociations climatiques, à commencer par celle des États-Unis de Donald Trump. Là où d’autres minimisent la portée de l’élection présidentielle de 2016, Laurent Fabius voit une calamiteuse régression, qui a conduit à un tel relâchement de la pression internationale que les autres parties refusent aujourd’hui les avancées nécessaires. Le président de la COP21 reconnaît alors que l’accord de Paris est appliqué de manière déficiente, mais il tempère aussi les arguments de ceux qui dénoncent l’inefficacité de la négociation interétatique au sein des Nations unies. Il rappelle utilement que les COP sont la seule occasion de confronter les États à leurs responsabilités sous le regard de l’opinion mondiale. Toutes les initiatives sont bienvenues, mais aucune ne peut remplacer les engagements formels des États et le suivi de leur application.

S’il défend la complémentarité entre grandes décisions et petits gestes, Laurent Fabius soutient aussi que les négociations climatiques gagneraient en efficacité si un temps plus long était consacré à l’examen comparé des résultats nationaux, ou encore si les gouvernements étaient appelés à formuler des plans de transition juste, incluant des mesures d’accompagnement des secteurs intenses en carbone. Comme la crise du COVID-19 invite aux remises à plat et qu’il n’est plus nécessaire de préparer la COP26 dans la précipitation, il faut espérer que certaines de ces pistes seront explorées sérieusement.

Carole Mathieu

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Diplomatie chinoise : 3 questions à Marc Julienne

Thu, 25/03/2021 - 14:47

Co-auteur de l’article « Diplomatie chinoise : de l' »esprit combattant » au « loup guerrier » » paru dans le numéro de printemps de Politique étrangère  (n°1/2021)Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l’Ifri, répond à trois questions en exclusivité pour politique-etrangere.com.

À quoi renvoient les concepts chinois de l’« esprit combattant » et du « loup guerrier » ?

« L’esprit combattant » est une formule promue par Xi Jinping lui-même. Dans un discours de 2019 devant l’École centrale du Parti, il avait exhorté les cadres du Parti à développer leur « esprit combattant » pour défendre l’image et les intérêts de la Chine partout dans le monde. La formule s’applique particulièrement aux diplomates qui sont considérés comme les soldats de la « guerre diplomatique » que livre la Chine à l’Occident. Considérant que la meilleure défense est l’attaque, les diplomates sont encouragés à « oser combattre » sur tous les fronts : dans la diplomatie, dans les médias, sur les réseaux sociaux.

Le « loup guerrier » est finalement la manifestation de cet esprit combattant chez de nombreux diplomates chinois. L’expression trouve racine dans le blockbuster chinois, Wolf Warrior 2, sorti en 2017, dans lequel un ancien militaire chinois porte secours à des compatriotes en Afrique menacés par des mercenaires occidentaux. L’expression est donc rapidement devenue très populaire dans les premiers mois de la crise du COVID-19, pour désigner les diplomates extrêmement virulents et agressifs contre toute mise en cause de la responsabilité de la Chine dans la pandémie. C’est pourquoi l’expression « loups guerriers » a connu une large médiatisation à travers le monde. Certains observateurs chinois ont cherché à discréditer l’appellation vue comme péjorative, d’autres l’ont revendiquée avec une certaine fierté. Ce qu’il est important de comprendre, au-delà de la formule, c’est que l’attitude nouvelle des diplomates chinois – assez anti-diplomatique finalement – résulte de directives politiques émanant du plus haut niveau du Parti communiste chinois. Cette stratégie qui découle de la « pensée diplomatique de Xi Jinping » semble toutefois être plus coûteuse que bénéfique eu égard à la dégradation substantielle de l’image de la Chine dans le monde ces derniers mois. Mais l’objectif essentiel semble être de montrer une Chine puissante et sûre d’elle.

En quoi la stratégie de communication sous Xi Jinping rompt-elle avec celle de ses prédécesseurs ?

Depuis la fin des années 1970 et l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, la diplomatie chinoise a été dominée par l’approche du « profil bas » et la maxime « cacher ses talents en attendant son heure ». Au fur et à mesure de sa montée en puissance, la Chine a cherché à affirmer sa place sur la scène internationale. Dans les années 2000, le slogan consacré était « l’émergence pacifique ». Peu à peu Pékin a mis de côté le « profil bas » et a exhibé les nouveaux atours de sa puissance, par le biais des Jeux olympiques de 2008, par exemple, ou de l’Exposition universelle de Shanghai en 2010, et, dans le domaine sécuritaire, de la participation à la lutte contre la piraterie dans l’océan Indien.

Xi Jinping a nettement accéléré cette tendance. Dès son arrivée au pouvoir, il a exigé une innovation dans les méthodes de propagande extérieures, afin de reconquérir le « droit de parole international » de la Chine, considéré comme perdu ou interdit par l’Occident. Il a ainsi renforcé le contrôle du Parti sur les médias et encouragé leur développement à l’international. On pense en particulier à la chaîne de télévision CGTN et à l’agence de presse Xinhua, deux des principaux médias d’État. Dans le discours extérieur promu par Xi Jinping aujourd’hui, il y a aussi la volonté de présenter la Chine comme une grande puissance, sur un pied d’égalité avec les États-Unis. Elle entend ainsi peser de tout son poids dans la gouvernance internationale et œuvre en faveur d’un système davantage à son image, quitte à réformer certains principes acquis comme la définition des droits de l’Homme (entérinée dans la déclaration universelle de 1948). Cette approche correspond en tout point à une vision réaliste des relations internationales, dans laquelle la puissance permet d’imposer sa volonté aux autres. On pourrait même trouver certaines similarités avec la politique internationale des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale, à la différence capitale des valeurs promues… L’approche chinoise du droit de la mer en est l’une des plus évidentes démonstrations quand Pékin entend s’octroyer des « droits historiques » sur des espaces maritimes réglementés par la Convention de Montego Bay.

Pourquoi peut-on dire que la nouvelle diplomatie chinoise est-elle « décomplexée » ?

La diplomatie chinoise semble en effet suffisamment décomplexée pour ne plus accorder autant d’importance que par le passé à son image et sa réputation. Alors que Pékin s’efforçait résolument à bâtir son soft power depuis le début des années 2000, il apparaît désormais que la séduction et l’attraction ne sont plus à l’ordre du jour. Il s’agit maintenant d’exhiber une posture de grande puissance qui exonérerait la Chine d’une certaine bienséance diplomatique, à en croire les nouvelles pratiques et attitudes de nombreux diplomates, ceux-là même qualifiés de « loups guerriers ».

Désormais, lorsque Pékin fait face à des critiques ou à un désaccord, c’est le rapport de force et l’intimidation qui priment immédiatement. On dispose de nombreux exemples de menaces proférées par des ambassadeurs et diplomates à l’encontre de gouvernements et d’entreprises, si les intérêts de la République populaire de Chine (RPC) ne sont pas respectés. Nous citons dans l’article les exemples de la Suède, de l’Allemagne, de la République tchèque et de la France, d’autres encore, tels que la Corée du Sud, l’Australie, le Canada sont tout aussi illustratifs.

La diplomatie chinoise est également décomplexée quant aux vecteurs de communication qu’elle utilise. Auparavant très discrets et surtout cantonnés aux canaux diplomatiques officiels, les diplomates chinois s’expriment désormais volontiers dans les médias du pays hôte, ainsi que sur les réseaux sociaux, y compris et surtout ceux qui sont censurés en Chine. Cette pratique n’est en rien exceptionnelle tant les réseaux sont devenus une arène à part entière de la politique internationale, depuis qu’un président américain a fait de Twitter son outil de communication privilégié, prévalant même sur la diplomatie officielle. Toutefois, les médias traditionnels et les réseaux sociaux sont utilisés par un nombre croissant de diplomates chinois comme des vecteurs d’influence, de critiques agressives, voire de désinformation. Les exemples sont nombreux concernant l’origine et la gestion du COVID-19, le Xinjiang, Hong Kong ou encore Taïwan. Que les autorités de Pékin aient des critiques à formuler quant aux positionnements de certains gouvernements, parlementaires, chercheurs ou médias occidentaux est légitime en soi. Cependant, le discours agressif de nombreux diplomates a pour conséquence de court-circuiter les pratiques diplomatiques conventionnelles et impose aux gouvernements de répondre tout autant de fermeté. Ainsi, on peut craindre que cette nouvelle diplomatie chinoise décomplexée n’alimente un engrenage de tensions politiques, aux antipodes de la mission première et essentielle de la diplomatie : le dialogue et la négociation.

Accédez à l’article de Marc Julienne et Sophie Hanck ici.

Retrouvez le sommaire du numéro 1/2021 de Politique étrangère ici.

Il faut taxer la spéculation financière

Wed, 24/03/2021 - 09:46

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Norbert Gaillard, économiste, propose une analyse de l’ouvrage de Ivar Ekeland et Jean-Charles Rochet, Il faut taxer la spéculation financière (Odile Jacob, 2020, 240 pages).

Ivar Ekeland, ancien président de l’université Paris-Dauphine, et Jean-Charles Rochet, professeur d’économie à l’université de Genève, analysent les effets néfastes de la spéculation, listant les diverses mesures destinées à lutter contre ce qui est devenu l’un des principaux fléaux de notre capitalisme financier.

La première partie du livre étudie l’emprise croissante de la spéculation sur nos sociétés et montre comment les grands épisodes de spéculation de ces derniers siècles ont contribué à créer et détourner des techniques financières de leur utilité économique fondamentale. La « tulipomanie » des années 1630 permet de développer les contrats à terme. 80 ans plus tard, John Law popularise la monnaie fiduciaire et le titre au porteur. Dans les décennies 1990 et 2000, c’est la titrisation qui alimente les excès d’endettement des entreprises et ménages américains. Les ingrédients de la spéculation sont souvent les mêmes : dérégulation financière, innovation technologique et politique monétaire expansionniste. On comprend mieux que ces vingt dernières années aient été marquées par un essor sans précédent de la spéculation, comme en attestent l’automatisation des échanges, le boom des marchés dérivés et des transactions à haute fréquence (THF), la prolifération des cryptomonnaies, et la financiarisation des matières premières et de la nature.

La deuxième partie expose les avantages et inconvénients de la spéculation. Celle-ci facilite la découverte des prix, répartit plus efficacement les risques, finance les innovations et coordonne les anticipations. Les arguments contre la spéculation sont qu’elle déstabilise les marchés, accroît le « court-termisme », et surtout amplifie les comportements moutonniers, ce qui finit par empêcher de révéler le juste prix des actifs. Ekeland et Rochet en concluent que la spéculation nuit de plus en plus au bien-être social. C’est donc assez logiquement qu’ils avancent leurs propositions pour la réduire.

Après avoir rappelé que les mesures fiscales pesant spécifiquement sur l’activité financière – comme la taxe Tobin et la taxe sur les transactions financières (TTF) – sont difficiles à mettre en œuvre, ou susceptibles d’engendrer des distorsions, les auteurs mettent en avant deux propositions. Ils envisagent de supprimer les exemptions à la TTF et d’étendre son application à tous les marchés dérivés et de devises. Néanmoins, les banques trouveront sans doute le moyen de contourner cette taxe. Par conséquent, la préférence des auteurs va à l’instauration d’une microtaxe sur toutes les transactions électroniques, présentant de nombreux attraits : son assiette serait très large, son taux très faible (moins de 0,5 %), sa transparence la rendrait socialement acceptable, et elle ponctionnerait plus les classes aisées que les classes populaires. Autre point crucial, elle diminuerait le nombre d’opérations purement spéculatives tels les achats/ventes multiples intra-journaliers et les THF.

L’ouvrage, particulièrement clair et convaincant, ne manque ni d’esprit ni d’humour. Les cinéphiles apprécieront les références au très bon film Le Sucre (1978) de Jacques Rouffio, qui illustre à merveille les engrenages spéculatifs.

Norbert Gaillard

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[CITATION] Pauvreté globale : le choc du COVID-19

Tue, 23/03/2021 - 09:40

Accédez à l’article de Julien Damon ici.

Retrouvez le sommaire du numéro 1/2021 de Politique étrangère ici.

Demain, la guerre ?

Mon, 22/03/2021 - 09:40

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Michel Pesqueur, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Adrien Schu, Demain, la guerre ? Étude sur le risque de guerre entre les États-Unis, la Chine et la Russie (Le Bord de l’eau, 2020, 192 pages).

Rédigé par un chercheur, Adrien Schu, qui lui apporte sa rigueur scientifique – en témoignent ses très nombreuses références –, sous la direction d’un observateur des facteurs d’insécurité internationale, le général Jean-Marc Laurent, cet ouvrage a pour objectif de s’interroger sur les risques de guerre entre les trois grandes puissances nucléaires (États-Unis, Russie et Chine) alors que la période de stabilité post-Seconde Guerre mondiale semble s’achever.

La première partie décrit le contexte géopolitique actuel en partant du constat que la compétition entre les grandes puissances est de retour. Indiscutable depuis la fin de la guerre froide, l’hégémonie américaine est aujourd’hui contestée par la Russie et la Chine. Ces deux États, qualifiés de révisionnistes par l’auteur en ce sens qu’ils cherchent à modifier l’ordre international établi depuis trente ans, considèrent que l’hégémonie américaine est une menace pour leur sécurité et la survie de leur régime, tant sur le plan militaire (élargissement de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, OTAN) que normatif : les valeurs véhiculées par les États-Unis (démocratie, droits de l’homme) sont sources de déstabilisation pour ces régimes autoritaires. De plus, alors qu’ils cherchent à reconquérir la place qu’ils estiment leur être due sur le plan international et régional, ces deux États voient les États-Unis comme un obstacle à leurs ambitions.

Pour les auteurs, si elle est contestée, l’hégémonie américaine demeure, tant son avance technologique et son arsenal militaire sont grands. Cependant, si cette suprématie militaire reste incontestable au niveau global, elle l’est moins au niveau régional. Si les États-Unis devaient intervenir localement, leurs forces seraient diluées, et la Russie et la Chine ont les moyens de contester la puissance américaine dans le haut du spectre au niveau régional dans leur sphère d’influence.

La deuxième partie de l’ouvrage analyse la stabilité de l’équilibre nucléaire entre les trois puissances. Les innovations technologiques en matière de précision et de détection pourraient remettre en cause leurs capacités de frappe en second (pilier de la dissuasion). De même, les initiatives américaines dans le domaine des frappes conventionnelles rapides, ou de la défense anti-missile, inquiètent la Russie et la Chine qui répondent en modernisant et développant leur arsenal, la Chine menant en parallèle une réflexion doctrinale. Malgré tout, les auteurs prévoient le maintien de l’équilibre actuel à l’horizon 2030.

La troisième partie est consacrée au risque de guerre régionale limitée. En écartant les concepts de guerre hybride et de zone grise, l’ouvrage s’appuie sur la théorie de la stratégie indirecte du général Beaufre pour expliquer les raisons et les modalités d’action de la Chine et de la Russie. Elles agissent d’une part en utilisant leur faible marge de manœuvre pour avancer leurs revendications révisionnistes sans susciter de réaction de Washington. D’autre part elles pourraient tenter de dissuader une intervention américaine par l’emploi coercitif d’armes nucléaires ou en développant leurs capacités de déni d’accès.

Dans leur conclusion, les auteurs évoquent le débat américain sur la stratégie à adopter face aux agissements de la Russie et de la Chine : défensive ou offensive ? Au bilan, un livre qui apporte une vision claire, quoique quelque peu optimiste, sur la supériorité américaine, et les enjeux stratégiques pour les dix prochaines années.

Michel Pesqueur

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Les sortants

Thu, 18/03/2021 - 09:30

Découvrez l’analyse par Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri et rédacteur en chef de Politique étrangère, de l’ouvrage de Véronique Brocard, Les Sortants (Les Arènes, 2020, 336 pages).

En matière de terrorisme, les menaces sont multiples. En 2016, David Thomson a analysé celle des Revenants, dans un ouvrage qui lui a valu le prix Albert Londres[1]. La plupart de ces individus qui rentrent de zone syro-irakienne sont incarcérés. Ils ne représentent toutefois qu’une minorité des 520 détenus pour des faits de terrorisme en lien avec la mouvance djihadiste. 57 d’entre eux devraient sortir de prison en 2021, et 45 en 2022. Ils deviendront alors des Sortants, titre du nouvel ouvrage de Véronique Brocard.

Cette journaliste judiciaire, qui a notamment travaillé pour Libération et Télérama, a obtenu une autorisation exceptionnelle de la direction de l’Administration pénitentiaire pour mener une longue enquête sur la gestion de la radicalisation en milieu carcéral. Elle a multiplié les entretiens avec des agents pénitentiaires occupant des fonctions variées (surveillants, conseillers de probation, psychologues, éducateurs, membres de la direction, etc.), a consulté les dossiers de 65 détenus, et a pu assister à plusieurs commissions pluridisciplinaires uniques, où les professionnels échangent sur l’évolution des détenus radicalisés.

Le phénomène de la radicalisation en prison n’est pas nouveau. Le sociologue Farhad Khosrokhavar lui a déjà consacré un ouvrage il y a quinze ans[2]. L’afflux de centaines de détenus TIS (« terroristes islamistes ») à partir de 2014 a toutefois changé la donne, et déstabilisé l’Administration pénitentiaire. Dans un livre à succès paru en 2020, Hugo Micheron qualifiait la prison d’« ENA du djihad[3] », et dénonçait la mauvaise évaluation de la menace par des agents insuffisamment formés.

Véronique Brocard montre comment, une fois la phase de déstabilisation passée, cette administration a su s’adapter. Une doctrine a été conçue autour du triptyque évaluation, orientation, prise en charge. Les détenus radicalisés passent ainsi quatre mois dans les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), où ils sont soumis à l’expertise de spécialistes de différentes disciplines. À l’issue de cette période, ils sont orientés, en fonction de leur imprégnation idéologique et de leur rapport à la violence, vers l’isolement, la détention classique ou, pour les cas intermédiaires, les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR).

Ce dispositif a déjà été présenté dans les médias. La nouveauté et la richesse du travail de Véronique Brocard résident dans les nombreux témoignages et exemples recueillis, qui permettent de mieux appréhender la difficulté du traitement de la radicalisation. Le lecteur est mis en capacité de mesurer la diversité des profils concernés par l’incrimination d’association de malfaiteurs terroriste, et la nécessité d’une prise en charge, si ce n’est individualisée au moins différenciée. Les professionnels interviewés font part de certaines réussites, mais ne cachent pas leurs doutes et, parfois, leurs frustrations. En somme, Les Sortants offre un propos nuancé sur un sujet qui suscite bien des passions. Sa lecture est utile, à défaut d’être rassurante.

Marc Hecker
Rédacteur en chef de Politique étrangère

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[1]. D. Thomson, Les Revenants, Paris, Seuil/Les Jours, 2016. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le n° 1/2017 de Politique étrangère.

[2]. F. Khosrokhavar, Quand Al-Qaïda parle. Témoignages derrière les barreaux, Paris, Grasset, 2006.

[3]. H. Micheron, Le Jihadisme français. Quartiers, Syrie, Prisons, Paris, Gallimard, 2020. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le n° 1/2020 de Politique étrangère.

The Uncounted

Wed, 17/03/2021 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Palmyre De Jaegere propose une analyse de l’ouvrage de Sara L. M. Davis, The Uncounted: Politics of Data in Global Health (Cambridge University Press, 2020, 224 pages).

Si la pandémie actuelle montre quotidiennement l’ampleur des enjeux liés aux données quantitatives et aux indicateurs en matière de santé publique, le COVID-19 n’est pas la première maladie à propulser ces questions sur le devant de la scène : Sara L. M. Davis nous le rappelle.

S’inscrivant dans une littérature critique de la place des indicateurs dans les décisions de gouvernance mondiale, cet ouvrage souligne le poids majeur de données de santé pourtant imparfaites dans la réponse à l’épidémie de sida. L’auteur s’appuie sur son expérience de consultante et de chercheuse pour mettre en évidence les nombreuses populations et réalités que les indicateurs ne parviennent pas à prendre en compte, et que les financements délaissent.

La récente affirmation d’un impératif de transparence et de responsabilité pour les bailleurs de fonds, couplée à l’expansion d’outils d’évaluation d’impact du secteur privé, a abouti à une demande croissante de données pour guider la prise de décision des organismes internationaux de lutte contre le sida. Ces dernières années, l’opposition entre des objectifs mondiaux ambitieux et des ressources financières déclinantes n’a fait qu’accroître cette dynamique de quantification, en même temps que le poids des indicateurs dans la fixation de priorités pour l’allocation des fonds.

Pourtant, ces outils sont en réalité des abstractions construites pour réduire la complexité des phénomènes étudiés ; aussi sont-ils par nature biaisés. Modèles et méthodologies employés évoluent en permanence, souvent loin de la réalité qu’ils prétendent décrire. Ceci est d’autant plus vrai que l’exhaustivité des données sur lesquelles ils reposent pâtit parfois des choix des États qui les récoltent. L’auteur pointe du doigt le fort contraste existant dès lors entre l’argumentaire prétendument objectif dictant l’allocation des financements, et les données fluides et partielles sur lesquelles il se fonde.

Cette accumulation de biais dans la récolte des données de santé mène à l’invisibilisation de populations dont le ciblage est pourtant essentiel pour maîtriser l’épidémie. Certains groupes stigmatisés ou criminalisés peuvent ainsi être laissés de côté, comme les travailleurs du sexe. En l’absence d’informations sur les besoins de ces derniers, les financements ne leur sont que pas ou trop peu adressés, et leur marginalisation n’en est que renforcée. Comment pallier ces effets d’éviction et intégrer une approche basée sur les droits de l’homme à la définition des priorités d’un système international de santé aux ressources limitées ? L’auteur valorise notamment le rôle joué par la société civile et les représentants communautaires, et explique comment habiliter les populations à récolter leurs propres données peut permettre d’éviter les dynamiques précédemment décrites.

Cet ouvrage permet de mieux comprendre l’impact des outils quantitatifs dans la lutte contre l’épidémie de sida, ainsi que les forces politiques et économiques qui les façonnent. S’appuyant sur de nombreux témoignages, il établit un précieux lien entre les recherches universitaires et les intérêts pragmatiques des acteurs de la santé publique mondiale. Il permet également une nécessaire et pertinente prise de recul sur les arbitrages effectués dans la gestion de la pandémie actuelle, ainsi que dans l’anticipation des épidémies à venir.

Palmyre De Jaegere

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[CITATION] Diplomatie chinoise : de l’« esprit combattant » au « loup guerrier »

Tue, 16/03/2021 - 09:30

Accédez à l’article de Marc Julienne et Sophie Hanck ici.

Retrouvez le sommaire du numéro 1/2021 de Politique étrangère ici.

Routledge Handbook of Migration and Development

Mon, 15/03/2021 - 11:18

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Christophe Bertossi, directeur du Centre des Migrations et Citoyennetés à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Tanja Bastia et Ronald Skeldon, Routledge Handbook of Migration and Development (Routledge, 2020, 600 pages).

Pour qui pensait que la relation entre migration et développement pouvait se résumer à une équation simple – plus de développement est égale à moins de migrations dans le monde – l’ouvrage dirigé par Tanja Bastia et Ronald Skeldon constituera une lecture des plus utiles. En quelque 600 pages, ce nouvel opus de la collection des Routledge Handbooks offre à voir toute l’ampleur et la complexité du lien entre deux termes qui nourrissent depuis quarante ans le débat public et politique sur les relations entre le Nord et le Sud. En évitant tout jargon, les 55 chapitres organisés en 7 parties rendent compte de l’état des savoirs sur ce thème, en alternant les niveaux « micro », « méso » et « macro » de l’analyse. C’est à ce jour la somme la plus complète disponible sur le sujet.

Un enjeu international majeur à reconsidérer

Le thème migration/développement informe depuis longtemps la réflexion et le débat sur l’efficacité des politiques migratoires des pays développés Il s’agit d’un sujet majeur. Certes, la population mondiale vivant dans un autre pays que celui de naissance est relativement stable à 3 %, ce qui est un niveau plus faible qu’au cours d’autres périodes historiques. Mais la population mondiale concernée par les migrations internationales est bien plus importante si l’on ajoute les membres des familles des migrants, leurs communautés et les sociétés entières que les migrants internationaux contribuent à transformer. Si l’on ajoute à cela les migrations internes (plus de 740 millions de personnes en 2010), la population mondiale concernée par le phénomène de mobilité dépasse le milliard d’individus. Il est dès lors difficile d’imaginer que la mobilité humaine n’ait pas un impact durable sur les sociétés et le système international.

Or les transferts d’argent envoyés par les migrants internationaux ont dépassé depuis la fin des années 1990 l’Aide publique au développement et sont aujourd’hui en passe d’atteindre le niveau des investissements directs à l’étranger dans les pays à revenu faible et modéré. C’est d’ailleurs par le biais des questions de développement que la question migratoire a été mise à l’agenda des Nations unies et qu’elle est devenue un enjeu de gouvernance globale.

Pourtant, une tension – bloquant traditionnellement le débat – existe entre les termes « migration » et « développement ». D’une part, un consensus assez large a émergé au niveau global pour souligner que les obstacles à la mobilité internationale des personnes constituent un frein au développement. D’autre part, le développement est envisagé comme un vecteur susceptible de réduire la « pression migratoire » aux frontières des pays du Nord, en permettant aux populations du Sud de trouver chez elles une alternative à l’émigration, à commencer par des opportunités économiques et un marché du travail capable de les intégrer localement.

La contradiction se dissipe en revanche si l’on saisit la complexité structurelle du lien entre « migration » et « développement ». C’est là la première réussite importante de l’ouvrage. Celui-ci parvient à clarifier cette contradiction apparente avec une force probatoire particulièrement convaincante car il articule, dans un bel équilibre, les aspects les plus empiriques des réalités décrites par le détail aux théories qui organisent aujourd’hui les études sur les migrations internationales, en variant les échelles et les angles d’analyse.

Transition migratoire, pauvreté et inégalités

Le résultat peut se lire comme une déconstruction minutieuse des principales idées reçues sur le sujet. Il est impossible de restituer ici la richesse des analyses proposées par les différents chapitres mais le lecteur retiendra quelques leçons importantes. En premier lieu, le cadre de la discussion traditionnel (le développement œuvrerait à la diminution du volume de la mobilité humaine internationale) est erroné car il méconnaît ce que le développement fait aux migrations et les facteurs véritables qui produisent le départ des personnes de leur pays de naissance. Empiriquement, ce ne sont pas les plus pauvres qui émigrent. Les pays à revenu moyen tendent à être parmi les premiers pays de départ, à l’instar du Mexique, du Maroc et des Philippines. En Afrique, les flux internationaux proviennent du nord et du sud du continent, pas des pays subsahariens plus pauvres, car un capital économique mais aussi social et humain est nécessaire pour émigrer. De sorte qu’il faut retenir l’hypothèse centrale de la théorie dite de « la transition migratoire », selon laquelle plus de développement entraîne plus de migrations internes (exode rural) et plus de migrations internationales. Hein De Haas en conclut que « les migrations sont une part intrinsèque de processus de développement plus larges » et la relation entre migration et développement cesse d’être un jeu à somme nulle.

Un second enseignement que l’on peut tirer de cet ouvrage concerne la difficulté de trancher a priori le débat concernant le coût de la migration pour le développement des pays de départ (brain drain) ou, à l’inverse, son potentiel de développement (brain gain). Tout dépend du niveau auquel on situe l’analyse. D’un point de vue macro, les transferts d’argent des migrants ne créent ni brain drain ni brain gain : ces montants échouent en général à être transformés en développement durable dans des contextes marqués par des obstacles structurels au développement (corruption, népotisme, carence institutionnelle…). De ce point de vue, la migration n’apparaît pas non plus comme une panacée. Ingrid Palmary rappelle que les résultats de la recherche sur l’impact des migrations sur le niveau de pauvreté des pays de départ sont contradictoires. Des effets différenciés ont été identifiés dans certains cas où les transferts des migrants peuvent contribuer à augmenter le prix du foncier et placer les populations non migrantes dans une situation d’inégalité accrue par rapport aux familles et communautés qui comptent des émigrés parmi leurs membres. Dans d’autres cas, les transferts internes contribuent à diminuer les inégalités de revenu tandis que ceux des migrants internationaux contribuent à l’inverse à les accroître, comme c’est le cas au Mexique. Cela souligne l’importance des facteurs liés au contexte et leur impact sur les migrations, ainsi que le nécessaire examen de la structure des inégalités économiques autant que sociales liées au genre, au racisme ou à l’ethnicité. Ce qui pourrait apparaître comme des contradictions entre les chapitres quant aux leçons à tirer sur ces aspects relève en fait de différences de niveau d’analyse.  D’un point de vue « macro », le modèle théorique prédit que seuls ceux qui ont un capital humain important pourront accéder à des destinations lointaines tandis que les autres seront contraints à une « immobilité involontaire » – ou, dans le meilleur des cas, à une migration interne. Cela explique pourquoi les migrants subsahariens aux États-Unis sont parmi les plus diplômés (chapitre 1).

D’un point de vue plus proche des logiques des migrants eux-mêmes, le modèle peut prédire un autre résultat : les plus diplômés peuvent échapper à une migration internationale qui les conduirait à s’insérer dans un marché du travail moins qualifié et privilégient une migration interne vers les grandes villes où ils pourront occuper des emplois qualifiés dans les services. C’est le cas des Albanais les moins qualifiés qui émigrent vers la Grèce tandis que les mieux lotis travaillent dans la capitale dans le secteur bancaire, médical ou éducatif (chapitre 4). Cela peut soit réduire les inégalités de genre (la migration interne en Albanie donne aux femmes un accès à une meilleure formation) soit les accroître (comme l’illustre la situation des femmes dans les usines d’habillement des grandes villes asiatiques comme Dacca ou Pnom Penh).

Un enjeu de gouvernance

L’ouvrage offre enfin des éléments de réflexion pertinents concernant les politiques publiques tant de migrations que de développement et, plus généralement, la gouvernance mondiale sur des sujets très sensibles pour les opinions publiques nationales, particulièrement dans les pays développés mais pas uniquement. Si les gouvernements nationaux peuvent influencer dans une certaine mesure les niveaux et les formes des migrations, ils n’ont pas le pouvoir d’en modifier les tendances structurelles. Or des politiques des frontières inadaptées sont un obstacle aux possibles effets positifs des migrations sur le développement. L’ouvrage le documente dans le détail.

Par ailleurs, Mathias Czaika met en lumière le lien entre niveau de développement, solde migratoire et type de politique migratoire. En vertu de la théorie de la transition migratoire, les pays à revenu moyen ont un solde migratoire négatif et orientent leurs politiques vers la gestion de leur diaspora tandis que les pays développés ont un solde migratoire positif et orientent leurs politiques vers le contrôle et la sélection des immigrés. Il est alors possible de modéliser une transition des politiques migratoires sous les effets du développement. Cela explique comment des pays comme le Brésil, la Chine, la Malaisie ou la Turquie ont progressivement mis en place des politiques d’immigration qui empruntent de nombreux aspects aux pays développés (chapitre 27).

Enfin, l’ouvrage souligne un dernier élément : aucune politique de migration et de développement ne peut réussir sans prendre en considération la rationalité des migrants eux-mêmes, acteurs à part entière des relations internationales entre États et marchés. Or, l’analyse qui peut être faite des politiques mises en place dans différentes régions du monde souligne le décalage entre la rationalité de ces politiques et les pratiques des migrants et de leurs familles.

Christophe Bertossi
Directeur du Centre Migrations et Citoyennetés de l’Ifri

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The Geopolitics of the Amazon

Fri, 12/03/2021 - 09:30

This article is the English version of : Ombelyne Dagicour, « Géopolitique de l’Amazonie », published in Politique étrangère, Vol. 85, Issue 1, 2020.

The fires that ripped through the Amazon’s forests in 2019 brought new prominence to the challenge of balancing environmental and economic needs in this contested landscape. Often described as the “lungs of the planet,” the Amazon rainforest covers an area of over 7.5 million square kilometers and is a reservoir for biodiversity unmatched by anywhere else on Earth. The world’s largest hydrological system, the Amazon basin holds 20 percent of the world’s freshwater. With climate change picking up pace, there is a risk that the Amazon rainforest’s vast stores of carbon could be released as deforestation advances. Around ninety thousand forest fires were recorded in 2019, the highest figure for over a decade. The sight of the rainforest ablaze was met with international horror, prompting criticisms of the Brazilian government in general and President Jair Bolsonaro in particular. Already, the forest has shrunk by 20 percent in the space of just fifty years, according to figures from the World Wildlife Fund (WWF). Deforestation in the Brazilian Amazon has almost doubled since 2018, with industrial monoculture and mineral extraction making ever-greater inroads into the tropical belt. 

These recent events warn us that the Amazon is now everybody’s concern. Historically brushed aside, this region has taken on a pressing strategic significance. Rich mineral resources and swathes of land coveted for agro-industrial development have propelled the Amazon to the top of the list as far as Brazil’s national priorities are concerned. Around 60 percent of the entire Amazon basin lies inside its borders. In 1953, Brazil introduced a political, administrative, and geographical framework for what it called Amazônia Legal, also known as Brazil’s Legal Amazon or BLA, which was to become a key focus for infrastructure and settlement programs.

The word “territory” typically evokes a space claimed and demarcated by an authority, on which a political jurisdiction is founded. In the face of the global ecological and climate crisis, a tension has emerged between the sovereignty of Amazon states and the argument that, in this special case, a set of international rules should apply. Some go so far as to advocate bringing the region under international control. Against this backdrop, what challenges and threats hang over the Amazon today, placing its ecosystems and populations at risk?

To fully understand what is at stake, we need to turn briefly to the historical dynamics that have played out in the Amazon basin over time. This background knowledge is vital for getting to grips with the region’s very particular social and ecological issues and their origins in the antagonism between developmentalist and environmentalist logics. It also allows us to comprehend how the Brazilian government’s recent geopolitical positioning has cast a veil of uncertainty over the conservation of the Amazon rainforest, potentially negating recent progress in multilateral governance on climate change.

The Brazilian Amazon: Nation Building and the Pioneer Mindset

The Amazon’s remoteness means that it has always been a terra incognita in the eyes of state power, first imperial and then republican. Nevertheless, it has proved a fertile ground for myth-making from the colonial period onward: the notion of El Dorado, a homogeneous, verdant oasis overflowing with inexhaustible natural resources, was especially persistent. Throughout human history, its occupation and economic development have occurred in cycles, linked to the extraction of forest resources (timber, ore, medicinal plants, and so on). The rubber boom, fueled by the burgeoning automotive sector, upended the status and economy of these old peripheral colonies, propelling them into the compass of the international capitalist system.

The government of Getúlio Vargas, Brazil’s populist authoritarian leader from 1930 to 1945 and again from 1951 to 1954, marked a watershed in the construction of a Brazilian national identity and the drive to bring the Amazon fringe into the national fold. Vargas launched the first Amazon Development Plan, part of an ongoing project to bring about the Estado Novo, or New Brazilian State. The close relationship between nationalism and developmentalism that we see today has its origins in theories put forward by the founders of Brazilian social science. During the Cold War—which had a special resonance in Latin America in light of the fallout from the 1959 Cuban Revolution—Brazil’s nationalist leaders gambled on their geopolitical control of the region, pursuing a strategy of import substitution industrialization.

In this context, the Amazon became a key piece on the board, both for its potential role in economic development and its importance to national security. Juscelino Kubitschek’s regime (1956–1961) has become emblematic of the developmentalist ideology. In 1960, it unveiled a new capital, Brasilia: a modernist ideal brought to life by state power and a determination to assert its absolute territorial sovereignty. The first arterial road to cut through the Amazon, linking Brasilia to Belém, testifies to the energy poured into opening up the region and transforming Brazil into a modern, industrial, and urban nation, right down to its remotest reaches. […]

Read the rest of the article here.

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[CITATION] Développement et lutte contre la pauvreté

Thu, 11/03/2021 - 09:30

Accédez à l’article de Rémy Rioux et Jean-David Naudet ici.

Retrouvez le sommaire du numéro 1/2021 de Politique étrangère ici.

Développement et lutte contre la pauvreté

Tue, 09/03/2021 - 09:30

La rédaction a le plaisir de vous offrir à lire ce second article de Rémy Rioux et Jean-David Naudet, « Développement et lutte contre la pauvreté : de la réconciliation au changement d’échelle », publié dans le nouveau numéro de Politique étrangère (n° 1/2021), disponible depuis le 8 mars.

La construction des politiques publiques de lutte contre la pauvreté dans les pays en développement a près de 60 ans. Elle s’est souvent faite à travers des oppositions entre différentes conceptions, et des allers-retours historiques. Deux débats structurants ont particulièrement dominé la scène du développement.

Le premier porte sur les politiques nationales et locales : le développement doit-il se faire par le haut ou par le bas, par une croissance économique qui tire la société ou par une élévation des niveaux sociaux qui pousse l’économie, par les élites ou par le peuple, par les grands projets ou par la multiplication des actions locales de plus petite dimension ? Le second débat concerne les politiques internationales : la lutte contre la pauvreté mondiale peut-elle être menée en totalité et de façon indépendante aux échelons nationaux (et locaux) respectifs, ou induit-elle des interdépendances qui appellent à des changements globaux ?

Se replonger dans ces oppositions permet de mesurer combien l’adoption par la communauté internationale des Objectifs du développement durable (ODD) en septembre 2015 constitue, à l’issue d’un long chemin, une forme de réconciliation de ces approches longtemps alternatives.

Pourtant, à l’heure de cette réconciliation et du constat des progrès significatifs réalisés ces dernières décennies en matière de lutte contre l’extrême pauvreté, la crise du COVID-19 et, de manière plus profonde encore, le dérèglement climatique mondial, conduisent à un retournement durable. Pour faire face à ces nouveaux défis, il faudra construire sur les leçons du passé, mais en changeant d’échelle en matière d’action à tous les niveaux : international, national comme local.

Développement par le haut ou par le bas ?

Le développement a d’abord été vu, dans les années 1950 et 1960, comme un processus progressif de modernisation, et tout particulièrement d’industrialisation. Les pionniers de l’économie du développement s’intéressent en tout premier lieu aux politiques et projets d’investissements et de transferts de technologies qui président à la construction d’un secteur moderne. La vocation de ce dernier est de s’étendre, et de tirer progressivement l’ensemble de la société, selon des phases historiques successives, pendant lesquelles les inégalités sont temporairement appelées à s’accroître.

C’est dans le contexte politique et culturel fécond de la fin des années 1960 que la problématique de la pauvreté fait son apparition dans les débats sur le développement. L’émergente médiatisation de masse diffuse aux yeux du monde les premières images de l’extrême pauvreté au Biafra à partir de 1967, puis au Sahel en 1973, et suscite la naissance du mouvement humanitaire international. La malnutrition devient un problème central du développement et de la communauté internationale, entraînant notamment l’affirmation d’un courant de pensée néomalthusien. C’est aussi le temps des premières déceptions sur les stratégies de modernisation, et plus encore le « ruissellement » qui en était mécaniquement attendu. Les sociétés en développement apparaissent profondément et durablement duales, donnant d’ailleurs naissance au concept de secteur informel.

En 1970, après un cri d’alarme sur le risque de famine en Asie4, le futur prix Nobel d’économie Gunnar Myrdal publie The Challenge of World Poverty: A World Anti-Poverty Program in Outline5. Dans cet ouvrage, il prône « un mouvement vers le haut de tout le corps social en matière de besoins fondamentaux », plutôt qu’une traction par une modernisation ruisselant vers le bas. Ce débat opposant les approches par le haut ou par le bas se retrouve notamment dans les politiques de réforme agraire, mais aussi dans d’autres secteurs : promotion de l’agriculture familiale vs. nouvelles plantations industrielles, sécurisation foncière et amélioration de l’habitat spontané vs. construction de nouveaux programmes immobiliers, etc.

Dans la seconde moitié des années 1970, les organisations internationales mettent la question de la pauvreté et celle de la redistribution en tête de leurs priorités : la Banque mondiale avec le concept de « Redistribution with Growth », le Bureau international du travail (BIT) avec l’approche par les Biens essentiels lancée en 1976, etc. Mais sous de multiples influences – contre-révolution libérale, crise de la dette des pays en développement, exemples de réussite par la croissance des nouveaux pays indépendants –, la lutte contre la pauvreté a ensuite été mise entre parenthèses pendant une décennie. Durant cette période, les stratégies de développement, à nouveau vues « par le haut », ont été entièrement centrées sur les politiques économiques et les réformes structurelles, et indirectement sur le rôle des élites.

Au vu des résultats mitigés et de la faible appropriation des politiques d’ajustement structurel, la décennie 1980 est parfois appelée « la décennie perdue du développement », à l’exception notable de l’Asie. Dès la fin de la décennie, notamment au travers du concept de développement durable, les questions sociales s’affirment dans le discours, en même temps qu’émerge la préoccupation environnementale.

L’année 1990 marque un tournant. La Banque mondiale adopte le « rêve » d’un monde sans pauvreté, et consacre son Rapport annuel sur le développement au thème de la pauvreté. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) lance le concept de développement humain, et son indicateur associé, inspiré par Amartya Sen, qui contribue par ailleurs à mettre en lumière la dimension multiple de la pauvreté. Les Nations unies lancent l’objectif de l’éducation pour tous. Les engagements internationaux se succèdent jusqu’en 2000 où les Objectifs de développement du millénaire, centrés sur la lutte contre la pauvreté, sont adoptés par l’ensemble de la communauté internationale.

Lisez l’article dans son intégralité ici.

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PE n° 1/2021 en librairie !

Mon, 08/03/2021 - 11:29

Le nouveau numéro de Politique étrangère (n° 1/2021) vient de paraître ! Il consacre un dossier spécial à la pauvreté et à son retour suite au choc du COVID-19, et un Contrechamps à l’ONU.  Et comme à chaque nouveau numéro, de nombreux autres articles viennent éclairer l’actualité : la diplomatie chinoise, les États-Unis et la guerre du Haut-Karabagh, la gouvernance mondiale, le Liban, l’armée nigériane et Boko Haram…

Effet majeur de la pandémie de COVID-19 : la pauvreté va violemment progresser dans le monde, alors qu’elle était censée disparaître sous sa forme la plus radicale en 2030. Dans les pays les plus pauvres, parmi les « émergents », jusque dans les pays les plus riches, la pauvreté et les inégalités s’aggravent. Sans qu’une reprise de la croissance, ou les aides internationales, puissent, seules, y parer. Les stratégies doivent ici être à la fois économiques et politiques : rebond économique, aides, politiques de redistribution, renforcement des États, seuls susceptibles de prendre en main le destin de leurs populations.

Dans un monde violemment secoué par les défis de santé, et la compétition de puissance qui s’y exprime, quel rôle peut jouer l’Organisation des Nations unies (ONU), 75 ans après sa création dans un monde radicalement différent ? Au-delà d’une réforme qui apparaît pour l’heure inatteignable, l’organisation mondiale incarne toujours une universalité qui ne peut être évitée face aux problèmes de l’heure : mutations climatiques, nouveaux problèmes de santé… Elle demeure le seul lieu d’affirmation de valeurs de référence – même si ces valeurs ne sont guère respectées. Et elle s’affronte, à travers ses organisations spécialisées (le « système » de l’ONU) à des problèmes très concrets : développement, alimentation, réglementations internationales…

Affirmation et contestation du droit ; difficultés du maintien de la paix ; proclamation de droits de l’homme trop souvent violés ; actions multiples de sauvegarde : l’ONU est le miroir du monde, de ses faiblesses et de ses espoirs.

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Diplomatie chinoise : de l’«esprit combattant» au «loup guerrier»

Fri, 05/03/2021 - 11:22

Suite au sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir en avant-première l’article du numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021) – disponible dès lundi 8 mars – que vous avez choisi d'(é)lire : « Diplomatie chinoise : de l’ « esprit combattant » au « loup guerrier » », écrit par Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l’Ifri, et Sophie Hanck, assistante de recherche au Centre Asie de l’Ifri.

Le développement de l’épidémie du COVID-19 début 2020 a placé la Chine sous les projecteurs : à la crise sanitaire interne s’est ajoutée celle de son image extérieure. Les nombreux doutes quant au nombre d’infections et de décès quotidiens, l’absence de transparence de l’enquête sur l’origine du virus, le retard volontaire pris entre le 14 et le 20 janvier pour déclarer la transmission interhumaine du virus, puis la pression exercée sur l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour retarder la déclaration de l’Urgence de santé publique de portée internationale au 30 janvier, ont suscité critiques et suspicions. Dans ce contexte, nombre de diplomates chinois, à Pékin et dans le monde, sont sortis de leur réserve habituelle pour défendre haut et fort le discours officiel.

Alors que la Chine déplore les « préjugés hostiles », le paradoxe est celui d’une diplomatie qui, dans sa croisade contre ce qu’elle estime être une campagne de désinformation visant à lui nuire, contribue à aggraver la défiance générale. Cette nouvelle pratique diplomatique est-elle le fruit d’initiatives personnelles de diplomates zélés, ou d’une stratégie du gouvernement central ? Et quelles sont ses conséquences pour les relations internationales et l’image de la Chine dans le monde ?

«  Loups guerriers  » et diplomatie du tweet

Face à la vague de critiques internationales, de nombreux diplomates chinois se sont démarqués par une attitude agressive, dénonçant sur les médias et les réseaux sociaux occidentaux les politiciens et « médias occidentaux antichinois ». Cette contre-offensive visait à discréditer les critiques à l’encontre de la Chine, et à les retourner contre les puissances étrangères. À partir d’avril 2020 cette communication agressive a été surnommée dans les médias la « diplomatie du loup guerrier », en référence au film Wolf Warrior 2, le plus grand succès du box-office chinois, sorti en 2017.

La figure de proue des « loups guerriers » est sans nul doute le directeur-adjoint et porte-parole du Bureau de l’information du ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian : il s’est notamment illustré en remettant en cause à de multiples reprises l’origine du virus, suggérant qu’il aurait été élaboré dans un laboratoire de l’armée américaine puis introduit en Chine. Une rumeur relayée par le réseau diplomatique chinois à travers le monde.

À l’étranger, nombre d’ambassades et chefs de mission ont déployé une campagne de communication inédite, publiant des tribunes sur leur site internet et s’exprimant abondamment dans les médias du pays hôte, en Suède, en Allemagne, en Pologne, au Canada ; mais la France est sans doute le pays où l’attitude de la mission diplomatique a été la plus véhémente. Au printemps 2020, l’ambassade de Chine en France a publié cinq tribunes s’en prenant aux médias, experts et politiciens occidentaux, censés chercher à « calomnier » et « stigmatiser » la Chine. Parmi les propos les plus polémiques, l’ambassade affirmait que « les autorités taiwanaises, soutenues par plus de 80 parlementaires français dans une déclaration co-signée, ont même utilisé le mot “nègre” pour s’en prendre au Directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus », ou encore que « les personnels soignants des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ont abandonné leurs postes du jour au lendemain, ont déserté collectivement, laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie ». Cette tribune du 12 avril (retirée depuis du site de l’ambassade) a valu à l’ambassadeur chinois convocation par le ministre français des Affaires étrangères.

Les diplomates en poste à l’étranger ont massivement relayé le discours officiel de Pékin sur le succès de la réponse chinoise à l’épidémie, et sur l’aide sanitaire offerte par la Chine au reste du monde (n’hésitant pas à confondre dons et ventes d’équipement médical) : la fameuse « diplomatie du masque ».

Outre la communication institutionnelle et le recours aux médias traditionnels, le phénomène nouveau a été l’utilisation par les diplomates des réseaux sociaux Twitter et Facebook (par ailleurs interdits en Chine), ces derniers permettant de répondre, de manière plus directe et moins feutrée, aux critiques, et de diffuser le récit officiel chinois sur la pandémie. L’un des sujets les plus épidermiques sur les réseaux étant bien entendu la question de l’origine du virus. Les comptes diplomatiques chinois sur les réseaux ont inlassablement cherché à contrer, souvent de manière agressive, le discours sur le « virus chinois » promu au premier chef par Donald Trump. Après que le fils du président Bolsonaro a qualifié sur Twitter le coronavirus de « virus chinois », l’ambassade de Chine au Brésil a répondu : « À votre retour de Miami, vous avez malheureusement contracté un virus mental, qui infecte les amitiés entre nos peuples. » À des officiels vénézuéliens qui mentionnaient aussi le « virus chinois », l’ambassade de Chine au Venezuela a répondu : « Dépêchez-vous de chercher un traitement approprié. La première étape pourrait être de mettre un masque et de vous taire. » Si l’activité des comptes diplomatiques a été décuplée durant la crise du COVID-19, une analyse plus fine de ces comptes sur Twitter permet de mettre en avant deux aspects : le premier est que cette stratégie de communication a été adoptée dès 2019, soit avant le début de la pandémie ; le second, que le nombre de comptes de missions diplomatiques ou consulaires reste supérieur à celui des comptes personnels de diplomates. […]

Au vu de la très forte inflation des comptes diplomatiques chinois sur Twitter à partir du deuxième semestre 2019, l’utilisation du réseau social par les diplomates paraît plus refléter une politique du ministère des Affaires étrangères que des initiatives personnelles et décentralisées : il s’agirait donc là d’une véritable stratégie de communication. Le facteur individuel n’est toutefois pas à exclure, particulièrement à l’égard des comptes personnels. En Europe par exemple, l’ambassadeur au Royaume-Uni et son ministre-conseiller ont leur propre compte, tout comme les ambassadeurs en Belgique, aux Pays-Bas, en Bulgarie, en Autriche, en Pologne, ou encore les consuls généraux à Hambourg, Zurich ou Belfast. A contrario, les ambassadeurs de Chine en France, en Allemagne, en Suède, en Norvège, au Danemark, en Italie et en Espagne ne possèdent pas de compte personnel. Ils n’en sont pas moins actifs dans les médias traditionnels, et leurs ambassades disposent toutes d’un compte très actif.

Zhao Lijian semble avoir joué un rôle de pionnier dans l’usage de Twitter comme vecteur offensif et défensif. Son compte datant de mai 2010, il est, de très loin, le premier diplomate chinois de notre échantillon à s’être inscrit sur Twitter. En outre, l’ambassade de Chine au Pakistan, où il a été ministre conseiller entre l’été 2015 et l’été 2019, a ouvert un compte Twitter dès septembre 2015. Parmi les représentations diplomatiques de notre échantillon, c’est elle qui possède aujourd’hui le plus grand nombre d’abonnés (117 500), loin devant les ambassades au Brésil et aux États-Unis (76 300 et 73 700). Zhao Lijian possède lui-même le record du nombre d’abonnés de notre échantillon : 876 300 followers, contre 105 600 pour l’ambassadeur de Chine à Washington et 103 800 pour son collègue de Londres. Le fait que Zhao Lijian soit un pionnier de l’utilisation des réseaux sociaux dans la diplomatie chinoise, ainsi que le premier diplomate chinois sur Twitter, et qu’il ait été promu directeur-adjoint du Département de l’information du ministère des Affaires étrangères à l’été 2019, sont autant d’éléments indiquant que sa pratique des réseaux sociaux américains est approuvée, et encouragée, par les autorités centrales.

Si la présence des diplomates chinois sur Twitter ne date pas de 2020, l’attitude plus proactive et offensive de ces derniers dans les médias traditionnels étrangers peut également être observée dès 2019 et s’est accentuée depuis lors. Elle se manifeste souvent de manière menaçante : l’ambassadeur de Chine en Suède, Gui Congyou, n’hésite pas à recourir à l’intimidation contre le gouvernement et les médias dont les positions contrarieraient les intérêts de la Chine. En novembre 2019, alors que l’écrivain Gui Minhai, naturalisé Suédois et détenu en Chine, se voyait décerner un prix par l’association de défense de la liberté d’expression PEN Suède, l’ambassadeur déclarait sur une radio publique : « Certaines personnes en Suède ne devraient pas s’attendre à se sentir à l’aise après avoir blessé les sentiments du peuple chinois et les intérêts de la Chine. » En janvier 2020, à propos du traitement de la Chine par les journalistes suédois, il commentait sur un autre média : « Les fréquentes attaques vicieuses contre le PCC et le gouvernement chinois par certains médias et journalistes suédois m’ont rappelé un scénario où un boxeur de 48 kg ne cesse de défier au combat un boxeur de 86 kg. Le boxeur de 86 kg, voulant par bonté protéger le boxeur léger, lui conseille de partir et de s’occuper de ses affaires, mais ce dernier refuse d’écouter, et fait même irruption dans la maison du boxeur poids lourd. Quel choix croyez-vous qu’il reste au boxeur lourd ? »

En janvier 2019, en amont de la visite du président du Sénat de la République tchèque à Taïwan, l’ambassade de Chine faisait parvenir un courrier au ton menaçant à la présidence de la République : « Les entreprises tchèques qui ont des intérêts économiques en Chine devront payer pour la visite à Taïwan du président Kubera. » La visite n’a finalement pas eu lieu du fait du décès de ce dernier, mais son successeur s’est rendu à Taïwan en août 2020. Le ministre chinois des Affaires étrangère, Wang Yi, en visite en Europe, déclarait alors qu’il « paierait un lourd tribut pour son action à courte vue et sa manipulation politique ».

Les fondements d’une doctrine d’affirmation de puissance

La présidence de Xi Jinping a rompu avec celles de ses prédécesseurs sur le plan de l’affirmation du discours officiel sur la scène internationale. S’éloignant du « profil bas » prôné par Deng Xiaoping dans les années 1980, et du modèle de l’émergence pacifique des années 2000, la Chine se montre aujourd’hui de plus en plus encline à s’affirmer face aux discours critiques pour défendre ses « intérêts fondamentaux » (核心利益, héxīn lìyì).

La politique étrangère chinoise avait déjà pris quelque assurance sous Hu Jintao, en particulier à partir de 2008, quand la Chine a commencé à aligner les coups d’éclat : Jeux olympiques de 2008 ou Exposition universelle de 2010. Xi Jinping a systématisé l’affirmation de Pékin sur la scène internationale, annonçant au 19e Congrès du Parti communiste chinois (PCC) en 2017 que la Chine était en train de « se rapprocher du centre de la scène mondiale ». Ce mouvement d’affirmation s’accompagne d’une refonte des stratégies de communication.

Pour Pékin, affirmer la voix de la Chine au-delà des frontières est prioritaire pour répondre à un rapport de force déséquilibré favorisant les États-Unis et l’Occident. Le discours officiel théorise ce déséquilibre en affirmant que la Chine souffre d’un déficit de « droit de parole international ». Ce concept apparaît vers 2008, et est repris et amplifié sous Xi Jinping. Le Bureau de l’Information du Conseil d’État soulignait, dans un article publié sur son site internet en 2017, la « nécessité de renforcer le droit de parole international de la Chine, et de rompre avec le schéma de base d’un discours international où “l’Occident est fort et nous sommes faibles” ».

Selon Sun Jisheng, actuelle vice-présidente de l’École des Affaires étrangères, ce déséquilibre dérive du fait que « les médias étrangers calomnient et déforment souvent l’image de la Chine. La théorie de la ligne dure et celle de la menace chinoise, ou encore la démocratie et les droits de l’homme sont devenus des sujets récurrents dans les médias occidentaux ». Présenté comme le résultat d’un effort délibéré des pays occidentaux visant à endiguer la montée en puissance de la Chine, le défaut de « droit de parole international » est devenu un motif obsessionnel du discours officiel. La nécessité de « bien raconter l’histoire de la Chine (讲好中国故事, jiǎng hǎo zhōngguó gùshì) » découle directement de cette représentation. Cette expression apparaît en 2013, à la Conférence nationale de travail sur la propagande et l’idéologie : elle constitue désormais l’un des concepts directeurs de la propagande chinoise, recouvrant sous une formulation vague un ensemble de stratégies devant permettre à Pékin de se placer sur un pied d’égalité avec la puissance discursive occidentale. Prônant la diffusion du discours officiel chinois à l’étranger, Xi Jinping en appelle dès 2013 à « l’innovation des méthodes de propagande extérieure ».

Les médias chinois d’État jouent un rôle central dans la promotion extérieure du discours officiel. La Chine se ménage une place au sein des écosystèmes médiatiques étrangers en créant de nouveaux médias d’État multilingues, comme CGTN (China Global Television Network), chaîne de télévision fondée en 2016 prenant le relais de CCTV International, diffusée en six langues. Des médias officiels établissent aussi des partenariats avec de grands quotidiens internationaux. En France, Le Figaro publie mensuellement depuis 2015 le supplément China Watch, en partenariat avec le quotidien d’État China Daily. Au message rassurant de ces médias s’ajoute une dimension plus offensive : « bien raconter l’histoire de la Chine » implique de disqualifier plus activement le modèle occidental et ses valeurs. Le Quotidien du Peuple a ainsi publié en 2017 un article en ligne appelant à « résister à la tentation du discours politique occidental et éviter de tomber dans ce piège », soulignant que « la démocratie à l’occidentale ne convient pas aux pays non-occidentaux ». La multiplication des comptes officiels sur les réseaux sociaux participe de cette tentative de construire une véritable caisse de résonance pour le discours officiel chinois.

Au-delà de ces efforts de diffusion, médias et cadres du Parti doivent faire preuve d’une conformité absolue avec la ligne officielle. L’harmonisation du discours s’appuie sur l’intégration par tous de la « pensée de Xi Jinping ». En février 2016, lors d’une visite au siège du Quotidien du Peuple, Xi Jinping affirmait que les médias officiels « ont le Parti pour nom de famille », et doivent « refléter la volonté et les idées du Parti, sauvegarder l’autorité du Comité central du Parti, maintenir l’unité du Parti, aimer le Parti, protéger le Parti et servir le Parti ». La centralisation et le contrôle de la communication extérieure doit permettre aux cadres du Parti de faire face aux critiques visant Pékin en bâtissant un discours international unifié, conforme à la « ligne correcte ». C’est dans cet esprit que Xi Jinping a exhorté les cadres du Parti à renforcer leur « esprit combattant (斗争精神, dòuzhēng jīngshén) », dans un discours à l’École centrale du Parti en septembre 2019. S’adressant aux futurs cadres, il y affirmait qu’il faut « combattre les forces du mal » et ne pas

hésiter « à attaquer pour mieux vaincre ». Un appel aux cadres à devenir des « guerriers osant combattre et étant doués pour le combat ». Dans un autre discours d’octobre 2020 au Musée militaire de la Révolution populaire à l’occasion des 70 ans de la guerre de Corée, Xi Jinping laissait transparaître une même rhétorique martiale : « Nous devons garder à l’esprit la pénible victoire de la guerre de Corée, oser et savoir combattre, persévérer malgré les difficultés, afin de faire avancer la grande cause du socialisme aux caractéristiques chinoises dans la nouvelle ère. »

Dans un discours nationaliste, l’« esprit combattant » incarne l’élan nécessaire pour lutter contre les vents contraires cherchant à freiner la Chine dans sa montée en puissance, une approche qui fait écho à l’attitude volontiers belliqueuse des diplomates chinois dans la crise sanitaire de 2020. Le discours de Xi Jinping à l’École centrale du Parti fait d’ailleurs du « travail diplomatique » l’un des fronts où les cadres du Parti doivent « consolider leur esprit combattant ». La diplomatie se dessine ainsi dans la doctrine officielle comme un des aspects primordiaux d’une stratégie de communication chinoise plus affirmée. La doctrine officielle s’appuie aujourd’hui sur la « pensée diplomatique de Xi Jinping » (习近平外交思想, xíjìnpíng wàijiāo sīxiǎng), érigée en « position directrice » à la Conférence centrale sur les Affaires étrangères de juin 2018. Celle-ci est censée constituer, selon le chef du Bureau de la Commission centrale des Affaires étrangères Yang Jiechi, un « système idéologique scientifique, systématique et complet », et incarner « la richesse spirituelle la plus précieuse de la diplomatie chinoise dans la nouvelle ère ». La pensée diplomatique de Xi Jinping serait non seulement un progrès immense pour la politique étrangère chinoise, mais elle permettrait, selon le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, de « transcender les théories occidentales traditionnelles des relations internationales de ces 300 dernières années ».

Depuis juillet 2020, existe à Pékin un Centre un recherche sur la pensée diplomatique de Xi Jinping, destiné à l’exégèse et à l’approfondissement des théories diplomatiques de ce dernier. Le cœur de cette pensée est la « diplomatie des grands pays aux caractéristiques chinoises » (中国特色大国外交, zhōngguó tèsè dàguó wàijiāo), notion introduite en 2013 pour la première fois par Wang Yi au World Peace Forum. La « diplomatie des grands pays » repose sur des principes peu explicites, dont on peine à percevoir la mise en œuvre concrète : communauté de destin partagé pour l’humanité, coopération gagnant-gagnant, développement, partenariat, compréhension correcte de la justice et des intérêts, démocratisation des relations internationales.

Sous un affichage coopératif, elle a une dimension plus belliqueuse. En août 2020, le Comité du Parti du ministère des Affaires étrangères publie dans le Quotidien du Peuple un « Guide scientifique pour faire progresser la diplomatie aux caractéristiques chinoises pour la nouvelle ère ». Cet article inscrit l’« esprit combattant » prôné par Xi Jinping dans la doctrine diplomatique, plus explicitement qu’auparavant. Le texte engage les diplomates à « renforcer leur esprit combattant, leur habileté au combat et à valoriser l’art de la lutte ». La connotation guerrière de certains termes appliqués au travail des missions diplomatiques – tels « front diplomatique », ou « grande lutte » –, traduit une conception plus offensive de la diplomatie. Le discours se fait plus agressif encore quand il souligne que la Chine mène une « guerre diplomatique, juridique et d’opinion publique pour contrer les actes hégémoniques des États-Unis dans les domaines de l’économie, du commerce, de la science et de la technologie ».

Les conséquences de la nouvelle diplomatie chinoise

En Chine, la position des diplomates, universitaires ou médias sur l’appellation de « loup guerrier » est ambiguë. Si cette dernière est utilisée par les médias occidentaux pour dénoncer l’attitude agressive de la Chine, elle souligne aussi la démarche héroïque de diplomates défendant la patrie contre les forces étrangères hostiles, à la manière du héros de Wolf Warrior 2, qui contribue ainsi à galvaniser le nationalisme de la population. La « diplomatie du loup guerrier » est tantôt vue comme une nouvelle manière pour les États-Unis de mettre la Chine en accusation, tantôt assumée comme une réponse légitime aux accusations infondées de Washington. Pour le vice-ministre des Affaires étrangères Le Yucheng, le « label “diplomatie du loup guerrier” est en réalité une autre version de la théorie de la “menace chinoise” et un autre “piège du discours”, dont l’objectif est d’empêcher la Chine de contre-attaquer et de la pousser à abandonner le combat ». Il en conclut que « la Chine n’a pas d’autre choix que de s’élever pour la défense de ses intérêts nationaux et de sa dignité ». Pour le chercheur Zhao Minghao de l’université Renmin de Pékin : « La prétendue diplomatie du loup guerrier de la Chine est une réponse à la diplomatie démuselée de l’administration de Donald Trump. » Shen Yi, de l’université Fudan de Shanghai, confie au quotidien Global Times : « Si l’antonyme de “loup guerrier” est “lèche-bottes”, alors il n’y a rien de mal à être un “loup guerrier” dans la lutte contre l’injustice et l’intimidation de l’Occident. » Le producteur de Wolf Warrior 2 Lu Jianmin, s’est lui aussi prononcé dans les médias sur cette question. Pour lui – et dans un registre très inspiré de la sémantique du Parti –, en dépit des humiliations subies à travers son histoire, la Chine « garde toujours une attitude modeste et tolérante envers les autres [puissances étrangères]. Cependant, se montrer humble est parfois perçu comme une faiblesse. Nous devons donc être durs et contre-attaquer les voix réactionnaires dans le monde. »

C’est ainsi que la « diplomatie du loup guerrier » est tout autant dénoncée qu’elle est justifiée en Chine. Le propre de la diplomatie étant de représenter un pays auprès d’un autre et de promouvoir les relations bilatérales, on peut s’interroger sur l’impact de cette approche sur l’image de la Chine à l’étranger. Le manque de transparence du pays durant la pandémie de COVID-19, l’imposition de la loi sur la Sécurité nationale et la répression des mouvements démocrates à Hong Kong, les nouvelles révélations sur le contrôle des naissances et le travail forcé au Xinjiang concourent, tout au long de 2020, à détériorer l’image de la Chine dans le monde. Un sondage publié fin décembre par le Global Times affirmait pourtant que 78 % des personnes interrogées estimaient que l’image internationale de la Chine s’était améliorée ces dernières années – ce sondage a toutefois été conduit sur Internet par le quotidien d’État, à partir d’un échantillon de 1 945 ressortissants chinois en Chine… Trois autres études ont été menées en 2020, dont les résultats sont tout autres. La première, menée par le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) et publiée en juin, a révélé que dans neuf États européens étudiés, 48 % des sondés déclaraient que leur perception de la Chine s’était dégradée durant la pandémie (62 % en France et au Danemark), seulement 12 % déclarant qu’elle s’était améliorée. La perception de la Chine s’était dégradée dans huit des neuf pays couverts par l’étude. La deuxième étude, du Pew Research Center des États-Unis, révélait en octobre 2020 que la perception négative de la Chine avait atteint des records dans la plupart des « économies avancées ». Cette perception est défavorable

dans l’ensemble des 14 pays étudiés à travers le monde, avec une moyenne de 73 % d’opinions défavorables. L’étude montre en outre une augmentation significative des opinions défavorables en 2020. La troisième étude, dirigée par l’université Palacky d’Olomouc de République tchèque – en partenariat avec un consortium de chercheurs européens dont l’Ifri –, publiée en novembre 2020 et couvrant 13 pays européens (dont 10 membres de l’UE), montre que les opinions publiques à l’égard de la Chine sont significativement négatives dans 10 des 13 pays étudiés. Les pays présentant une opinion majoritairement favorable sont la Russie, la Serbie et la Lettonie. […]

L’image de la Chine dans la plupart des économies développées s’est significativement dégradée en 2020, parallèlement à une politique intérieure plus répressive et au développement d’une diplomatie agressive et décomplexée. En dépit du sondage produit par le Global Times, on peut raisonnablement penser que Pékin est conscient de la dégradation de son

image. D’après Reuters, l’Institut chinois des Relations internationales contemporaines (CICIR), think tank pékinois de premier plan placé sous la tutelle du ministère de la Sécurité d’État, aurait produit un rapport interne, en avril 2020, estimant que « le sentiment antichinois dans le monde est à son plus haut niveau depuis la répression de la place Tian’an men en 1989 ».

Le nouveau visage de la diplomatie chinoise en 2020 trouve ses fondements dans la stratégie diplomatique développée par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir. Celle-ci se départit résolument du principe de « profil bas » que l’on connaissait depuis Deng Xiaoping, ainsi que des tentatives de construction d’un soft power dans les années 2000. À l’analyse des corpus doctrinaux et des initiatives récentes de promotion de la « pensée diplomatique de Xi Jinping », on peut s’attendre à ce que cette posture reste la nouvelle norme de la diplomatie chinoise, et qu’elle continue de s’affirmer dans ce sens. Cette posture pourrait toutefois poser à Pékin plus de questions qu’elle n’en résout : si elle est efficace pour exalter le nationalisme en interne, ses résultats sur le plan international apparaissent globalement contre-productifs.

Retrouvez le sommaire du numéro de printemps 2021 ici.

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