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Politique étrangère (IFRI)

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La revue de référence sur les questions internationales
Updated: 1 month 3 days ago

GAFA : reprenons le pouvoir !

Fri, 21/05/2021 - 10:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Julien Nocetti propose une analyse de l’ouvrage de Joëlle Toledano, GAFA : reprenons le pouvoir ! (Odile Jacob, 2020, 192 pages).

L’essai de Joëlle Toledano questionne le rôle des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) dans la sphère politique et économique mondiale, et propose des pistes de réflexion pour se libérer de leur emprise sur nos économies. Voici vingt ans, Google et Amazon étaient des start-ups, Facebook n’existait pas et Apple entamait avec le retour de Steve Jobs sa deuxième vie. Deux décennies plus tard, les GAFA font partie des entreprises les plus puissantes du monde, et la crise du coronavirus les a encore renforcées. La pandémie a en effet constitué une incontestable aubaine pour les grandes plateformes numériques, au point qu’elles figurent désormais au cœur des rapports de puissance.

Contrairement aux autres plateformes numériques, chacun de ces « empires » a réussi à sa façon à étendre ses activités pour créer de puissants écosystèmes, devenus des places fortes. Les pratiques abusives de chacun des quatre GAFA sont largement connues et documentées, sans même parler de leur savoir-faire en matière d’optimisation fiscale, de l’impact d’Amazon sur le commerce traditionnel et les emplois, ou encore des défis démocratiques significatifs posés par les contenus haineux et les manipulations informationnelles que véhiculent les réseaux sociaux.

L’ouvrage dresse surtout un constat d’échec de la régulation, qui n’agit qu’a posteriori, une fois les dérives identifiées. L’auteur suggère très justement de s’attaquer à l’opacité – terme qui revient tout au long de l’ouvrage – du fonctionnement de ces acteurs, en déconstruisant la « boîte noire » des algorithmes, en inspectant la complexité des relations économiques à l’intérieur des écosystèmes, et en comprenant les mécanismes de création de valeur par la publicité (ciblée).

Que nous disent le modèle économique des GAFA et ses conséquences sur la régulation ? Pour l’auteur, ce modèle ne s’appuie que sur des rendements infiniment croissants. Passé le nombre de clients qui permet de rentabiliser l’investissement, tous les autres génèrent du profit pur, avec une croissance exponentielle due à l’effet de réseau. S’enclenche alors une mécanique qui voit son efficacité progresser avec le nombre de données recueillies par le moteur de recherche de Google, les discussions sur Facebook, les abonnements chez Amazon, ou le magasin d’applications d’Apple. Les concurrents sont évincés ou rachetés.

Joëlle Toledano propose in fine une régulation individuelle plutôt qu’un appel au démantèlement, comme le préconisait un récent rapport de la commission antitrust de la Chambre des représentants américaine. Prendre des mesures marché par marché constituerait ainsi la solution la plus réaliste à court et moyen termes. Dans ce tableau où l’économie est omniprésente, Joëlle Toledano n’occulte pas les implications de puissance. Si le Congrès – désormais à majorité démocrate – pourrait prendre des mesures afin d’encadrer les GAFA et mieux protéger les consommateurs, « pronostiquer un accord politique de plus grande ampleur paraît peu vraisemblable ». Référence indirecte est ici faite au contexte de compétition technologique entre États-Unis et Chine, et à la réticence des décideurs américains à entraver leurs entreprises qui investissent et innovent le plus. Vis-à-vis de l’Europe, cette approche se traduit par un soutien sans faille des autorités fédérales aux GAFA quand Bruxelles ou les capitales européennes entreprennent des actions de régulation.

Julien Nocetti

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[CITATION] Essequibo : une vieille plaie entre Venezuela et Guyana

Wed, 19/05/2021 - 10:00

Accédez à l’article de Alejandro Fleming ici.

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Les opérations extérieures de la France

Mon, 17/05/2021 - 10:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Julian Fernandez et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Les opérations extérieures de la France (CNRS Éditions, 2020, 344 pages).

Comblant progressivement un vide, les publications sur les opérations extérieures (OPEX) françaises se multiplient depuis quelques années. Ce sont souvent des témoignages, plus rarement des études. Ce volume sorti directement au format poche, dirigé par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et Julian Fernandez, professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas, apporte sa pierre à ce champ d’étude en construction, en se concentrant sur les OPEX les plus récentes.

Dans l’introduction, les auteurs reviennent sur le concept d’OPEX, tirant des leçons de la longue expérience française : « accepter de ne pas pouvoir peser partout pour pouvoir continuer à peser là où nos intérêts l’exigent » ; « éviter d’agir seul mais assumer pleinement le recours à la force » ; « donner du sens » ; favoriser le « travail de mémoire ». Ils posent également une question centrale : la France a-t‑elle les moyens de ses ambitions ?

Le livre est ensuite organisé en deux parties. La première – « le cadre d’intervention » – se consacre pour l’essentiel aux aspects juridiques. Trois contributions interrogent les liens entre les OPEX et le jus ad bellum, le jus in bello et le jus post bellum. Une quatrième, écrite par Nabil Hajjami, déconstruit la crainte de judiciarisation, arguant qu’« en l’état, le droit pénal et le droit militaire français neutralisent tout risque de judiciarisation entendue comme une instrumentalisation susceptible de sérieusement déstabiliser l’institution militaire ». Cette première partie comprend également une intéressante contribution d’Olivier Schmitt sur la culture stratégique française, qui « se caractérise au niveau politico-stratégique par une préférence pour l’emploi de la force et une facilité institutionnelle à le faire, au service d’une conception ambitieuse du rôle international du pays ». Bénédicte Chéron offre, quant à elle, une synthèse éclairante du traitement médiatique des OPEX, et montre bien le retour d’une « finalité combattante plus affirmée ».

La seconde partie de l’ouvrage est dédiée à des « retours d’expérience ». En sept textes, des militaires reviennent sur les opérations auxquelles ils ont participé. Jean Michelin évoque l’Afghanistan, en soulignant notamment le changement générationnel qu’a marqué cette OPEX et en évoquant les questions de mémoire. Hervé Pierre fait part de réflexions tactiques passionnantes sur l’emploi de la « contre-réaction » dans des contextes profondément différents, en Afghanistan et au Mali. Brice Erbland décrit l’emploi plein d’audace et de ruses des hélicoptères de l’armée de Terre en Libye en 2011. L’amiral Pierre Vandier expose l’engagement du porte-avions Charles de Gaulle lors de l’opération Arromanches en 2015, en soulignant la flexibilité tactique apportée par ce navire et l’outil politique qu’il représente. Le général Michel Delpit ouvre des perspectives passionnantes sur l’emploi des forces spéciales de l’Afghanistan au Mali, tout en soulignant que ces dernières sont sans doute arrivées au bout d’une étape et doivent se réinventer.

En conclusion de cet ouvrage, Michel Goya livre une analyse pertinente de l’importance que revêt le récit de ces OPEX, puisque « raconter est indispensable à l’évolution ». Au bilan, on ne peut que conseiller la lecture de cet ouvrage collectif extrêmement riche à tous ceux qui s’intéressent aux questions militaires et stratégiques.

Rémy Hémez

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No Conquest, no Defeat: Iran’s National Security Strategy

Fri, 14/05/2021 - 10:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Clément Therme propose une analyse de l’ouvrage d’Ariane M. Tabatai, No Conquest, no Defeat: Iran’s National Security Strategy (Hurst, 2020, 400 pages).

Le titre de l’ouvrage est tiré de l’expérience iranienne de la première guerre du Golfe (1980-1988) dont le bilan pourrait ainsi se résumer par « ni conquête, ni défaite ». Au-delà de l’attention particulière accordée à ce conflit, l’ouvrage a pour ambition de présenter une synthèse historique retraçant la problématique de la sécurité nationale de l’État iranien sur la longue durée. Cette approche privilégiant le temps long permet à l’auteur de ne pas se limiter à la dimension polémique de l’étude de la sécurité nationale iranienne à l’époque de la République islamique (depuis 1979).

Son argumentation sur la permanence des intérêts nationaux du pays avant et après la Révolution islamique de 1979 n’est néanmoins pas nouveau : Olivier Roy avait déjà évoqué ces éléments de continuité dans un article au titre évocateur « Sous le turban, la couronne : la politique extérieure » (publié dans Thermidor en Iran, 1993). Si l’argument n’est en soi pas nouveau, le principal mérite de cette recherche est d’offrir au grand public une vision nuancée de la construction de la notion de sécurité nationale en Iran de l’avènement de la dynastie Qadjar (1796) à nos jours.

La démonstration est convaincante quand il s’agit de montrer que la quête d’autosuffisance (khod kafai) transcende les changements dynastiques et/ou de régimes politiques. De même, l’auteur montre avec justesse la centralité de cette notion d’autosuffisance dans la construction d’une industrie de défense indépendante au lendemain de la première guerre du Golfe. Ariane Tabatabai souligne comment cette guerre a contribué à définir l’identité du régime et, dans le même temps, à montrer les contradictions entre les objectifs de la Révolution islamique et les intérêts nationaux du pays.

Le régime a aussi instrumentalisé cette guerre pour consolider son pouvoir sur la scène politique interne, en réussissant à rallier l’ensemble des Iraniens (des monarchistes aux islamistes à l’exception notable des moudjahidines du peuple) contre l’ennemi extérieur d’alors : l’Irak de Saddam Hussein. Cette guerre diffuse une image de l’Iran se résumant à un régime de mollahs irrationnels travaillant à la fin des temps. Elle renforce également la méfiance de la République islamique vis-à-vis du système international, mais aussi de puissances régionales comme l’Arabie Saoudite – qui soutient financièrement l’Irak. Enfin, force est de constater qu’existe alors une inadéquation des moyens militaires de l’Iran avec l’objectif politique affiché de la guerre jusqu’à la victoire.

Au lendemain de cette expérience historique fondatrice de la vision khomeiniste de la sécurité nationale se met en place un appareil de sécurité fragmenté, tant sur le plan institutionnel que factionnel. Le pragmatisme de la République islamique est donc très lié à cette expérience, qui montre que l’idéologie khomeiniste était certes suffisante pour gagner le combat révolutionnaire, mais ne l’était pas pour garantir la survie de l’État révolutionnaire. Si l’analyse des éléments de continuité est stimulante, on regrettera que l’importance de la dimension idéologique dans la définition de la sécurité nationale après 1979 soit sous-estimée.

Clément Therme

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[CITATION] Philanthropes sans frontières

Wed, 12/05/2021 - 10:00

Accédez à l’article de Charles Sellen ici.

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Les sentiers de la victoire

Mon, 10/05/2021 - 10:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Raphaël Briant, chercheur de l’armée de l’Air détaché au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Gaïdz Minassian, Les sentiers de la victoire. Peut-on encore gagner une guerre? (Passés composés, 2020, 712 pages).

Dans cet ouvrage très riche, l’auteur, journaliste et politologue, livre une réflexion salutaire au terme d’une analyse du concept de victoire dans les relations internationales. À rebours d’une littérature française qui se contente bien souvent de pointer du doigt les errements stratégico-politiques qui ont entraîné l’Occident dans des guerres sans fin desquelles il ne sait plus sortir vainqueur, Gaïdz Minassian propose une approche originale et subtile pour dépasser l’aporie apparente qui entoure aujourd’hui le concept de victoire dans la réflexion stratégique. En proposant une alternative à la dialectique de la force et de la ruse au travers de la parabole homérique de la rencontre entre Achille, Ulysse et Hector, il dresse les contours d’une troisième voie permettant de sortir de l’ornière : celle de l’humilité.

Le livre s’ouvre sur le dialogue entre les deux Achéens, auquel assiste, impassible, le héros de Troie. À partir de cet échange, qui sert de fil rouge à une réflexion en quatre parties, l’auteur retrace d’abord l’évolution du concept de victoire à travers les âges. De sa formation jusqu’à son éclatement au sortir de la Première Guerre mondiale, en passant par des phases successives de reconstruction, d’intégration et de fusion, l’auteur s’attache à montrer toute l’ambivalence que recouvre la notion de victoire, pour mieux mettre en lumière ses contradictions actuelles. Il montre ainsi à quel point le logiciel des États occidentaux, exorbitant de l’ordre westphalien et imprégné de l’illusion clausewitzienne de la victoire décisive, est en décalage avec la « bellicisation de l’espace mondial », un espace désormais théâtre de guerres sans fin et de conflits infra-étatiques.

Si « la victoire […] est devenue un corps étranger au XXIe siècle », est-il légitime de se demander si l’on peut encore gagner une guerre ? L’auteur nous apprend que c’est justement parce que la grammaire de la conflictualité a évolué qu’il est plus que jamais nécessaire de définir précisément la notion de victoire, afin de mieux s’en affranchir. La deuxième partie du livre échafaude donc un édifice théorique de la victoire. Appelant à une nouvelle sociologie de la victoire, l’auteur tâche de donner corps au concept, avec ce qu’il nomme la « pyramide de la victoire ». Pour lui, « tant que l’homme ne se libérera pas du magnétisme de la pyramide de la victoire, tant que son imaginaire restera aimanté par la sacralité de la victoire, il continuera d’empiler les désillusions et d’écrire aveuglément le script de ses victoires virtuelles, en décalage complet avec le monde ».

Distinguant quatre paradigmes de la victoire – gestion de crise de haute intensité, gestion de crise de basse intensité, guerre sans fin et sortie de crise – l’auteur s’interroge, à la lumière des conflits contemporains sur l’entêtement des chefs militaires et des dirigeants politiques à s’enferrer dans des théories de la victoire inefficaces. Pour Gaïdz Minassian, le but de toute grande stratégie devrait être avant tout de gagner la paix, qu’elle passe ou non par une victoire militaire. Une manière d’y parvenir, selon lui, est dès lors de penser une victoire comme une norme d’humilité, et une norme post-conflit. En définitive, la meilleure manière de s’orienter sur « les sentiers sinueux de la victoire » est encore, comme Hector, de faire appel à son humanité !

Raphaël Briant

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After the Korean War: An Intimate History

Fri, 07/05/2021 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Heonik Kwon, After the Korean War: An Intimate History (Cambridge University Press, 2020, 332 pages).

La guerre de Corée (1950-1953) fut avant tout une guerre civile. Depuis quelques années, la recherche a régulièrement mis en avant cet état de fait, mais cet essai nous en donne un nouvel éclairage. Heonik Kwon, professeur d’ethnographie au Trinity College de l’université de Cambridge et auteur de livres remarqués sur le conflit vietnamien et la guerre froide, propose en effet, à partir d’un travail historique et d’une « ethnographie intime », une réflexion sur la parenté comme terrain essentiel du politique. Ce que l’auteur décrit, c’est une forme de violence de masse à l’intersection de la sphère privée et de l’État.

Dans un premier temps, Heonik Kwon montre les conséquences de la guerre sur des Coréens n’ayant eu aucun rôle militaire pendant ces trois années de combats. En plus des massacres, beaucoup souffrirent de « blessures sociales » résultant de pratiques préventives ou punitives. L’auteur décrit par exemple le daesal, ou mort par substitution : si un « collaborateur » n’était pas « disponible » pour subir la condamnation, un membre de sa famille devait prendre sa place. Plus loin, l’auteur approfondit cette notion de « culpabilité par association », très présente en Corée du Sud jusque dans les années 1980. Les proches d’un supposé « gauchiste » pouvaient être surveillés et les familles ayant des ancêtres catégorisés sympathisants communistes – une « ligne de sang rouge » – étaient régulièrement victimes de restrictions de leurs droits civiques. Un facteur a contribué à renforcer cette « violence intime » : la nature extrêmement fluctuante du front, les victimes devenant les perpétrateurs, et inversement, au fil de son évolution géographique.

La question des familles séparées est également abordée, et l’auteur met en avant un point important : cette séparation ne résulte pas seulement de mouvements de réfugiés, mais aussi d’actions des deux belligérants pour mettre la population « à l’abri » de l’influence de l’adversaire. Une fois la séparation actée, ces familles se trouvaient dans une position précaire, celle d’un ennemi potentiel en raison de ses liens avec des habitants de l’État ennemi. Pendant des années, cette culpabilité collective a provoqué des crises morales dans de nombreuses familles écartelées entre le désir de se réunir et la crainte de se voir accusées.

Dans la dernière partie de son essai, l’auteur décrypte l’évolution des commémorations en Corée du Sud, ainsi que celle des représentations de la guerre dans les films et les romans, mettant en particulier l’accent sur les changements autour de la notion de fraternité Nord-Sud. Au final, Heonik Kwon offre une lecture indispensable à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire contemporaine de la péninsule coréenne. Son essai est, à ce jour, un des récits les plus humains sur l’héritage durable de la guerre de Corée. Avec des détails historiques captivants et des cadres conceptuels innovants, l’auteur nous ouvre de nouvelles perspectives sur la conflictualité, la réconciliation, l’histoire et la mémoire. Pour lui, ce n’est qu’en respectant « le droit des morts à se souvenir » que nous pourrons vraiment dépasser les séquelles de la guerre froide, et « établir les amitiés et les solidarités nécessaires aujourd’hui ».

Rémy Hémez

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[CITATION] Les États-Unis de Trump et la guerre du Haut-Karabagh

Wed, 05/05/2021 - 09:30

Accédez à l’article de Julien Zarifian ici.

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Muslim Faith-Based Organizations and Social Welfare in Africa

Mon, 03/05/2021 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Marc-Antoine Pérouse de Montclos propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Holger Weiss, Muslim Faith-Based Organizations and Social Welfare in Africa (Palgrave Macmillan, 2020, 312 pages).

Composé de dix chapitres illustrés par de nombreux cas d’études, ce livre collectif traite de l’institutionnalisation et de la modernisation de la charité islamique en Afrique subsaharienne, notamment sous la forme d’organisations non gouvernementales (ONG). Il se focalise en particulier sur la dîme (zakat) que les musulmans sont censés payer quand leurs revenus dépassent un certain niveau appelé nisab. A priori, les montants en jeu sont assez insignifiants : quelque 200 millions de dollars officiellement collectés chaque année au Soudan, moins de dix au Nigeria. Mais la perception et la redistribution de la dîme islamique révèlent de nombreux enjeux politiques à l’heure où des fondamentalistes appellent à une application plus stricte de la charia en Afrique subsaharienne.

À travers les débats sur l’usage de la zakat et du revenu des fondations pieuses (waqf) transparaissent, en effet, des projets de société beaucoup plus ambitieux. Traditionnellement, la dîme religieuse visait surtout à aider les indigents et les clercs islamiques. Mais certains veulent aujourd’hui lui assigner un rôle d’agence de développement et de sécurité sociale (maslaha) pour l’ensemble de la communauté des croyants (umma), et plus seulement pour les pauvres. La question de la zakat met par ailleurs en évidence la fragilité d’administrations africaines qui, en général, n’ont pas réussi à encadrer ni à centraliser la collecte de l’aumône des musulmans, à la différence par exemple de l’Iran, où les comités de secours (imdad) de l’ayatollah Khomeiny ont joui d’une sorte de monopole d’État en étant les seuls autorisés à installer des boîtes à donations dans les lieux publics à travers tout le pays.

Les gouvernements du Soudan depuis 1986, de Mauritanie depuis 1997, et de certains États du nord de la Fédération nigériane à partir de 2000, sont en l’occurrence les seuls à avoir essayé de prélever la zakat par eux-mêmes. Ailleurs en Afrique subsaharienne, la collecte et la redistribution de la dîme islamique ont été gérées par des ONG ou des fondations établies : en 1980 à Zanzibar et en 2013 dans le reste de la Tanzanie ; en 1981 au Mozambique ; en 1982 à Kano et en 2000 à Lagos au Nigeria ; en 1991 au Malawi ; en 1994 en Afrique du Sud ; en 2009 au Sénégal ; en 2010 en Côte d’Ivoire et au Ghana ; en 2017 au Zimbabwe.

Même dans les républiques islamiques de Mauritanie et du Soudan, l’État n’a en fait jamais réussi à exercer le moindre monopole sur la perception de la zakat, qui a continué à transiter par des réseaux informels au niveau du voisinage et des mosquées. Dans un pays comme le Nigeria, le plus peuplé d’Afrique, ont ainsi coexisté plusieurs systèmes de collecte en parallèle, les uns opérés par les pouvoirs publics, les autres par le secteur associatif, notamment les ONG des salafistes appelés Izala.

En pratique, les expériences d’institutionnalisation de la zakat en Afrique subsaharienne sont donc restées cantonnées à une échelle locale. En dépit des espoirs qu’elles suscitent parfois, elles ne semblent guère en mesure de concurrencer l’aide publique au développement, et de répondre aux besoins – immenses – des nécessiteux. L’ouvrage dirigé par Holger Weiss n’en a pas moins le mérite d’attirer l’attention sur des aspects trop souvent méconnus des enjeux politiques de l’islam.

Marc-Antoine Pérouse de Montclos

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Radicalization to Terrorism: What Everyone Needs to Know

Fri, 30/04/2021 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Nicolas Hénin propose une analyse de l’ouvrage de Sophia Moskalenko et Clark McCauley, Radicalization to Terrorism: What Everyone Needs to Know (Oxford University Press, 2020, 320 pages).

Experts en psychologie sociale de la radicalisation, Sophia Moskalenko et Clark McCauley, déjà auteurs en 2008 d’une modélisation de la radicalisation qui fait référence, signent là un ouvrage très didactique, organisé en parties abordant chacune une question spécifique : « qu’est-ce que la radicalisation ? », « qu’est-ce ce que le terrorisme et comment devient-on terroriste ? », « est-il possible de prévenir la radicalisation menant au terrorisme ? »…

La construction encyclopédique de l’ouvrage facilite une lecture non linéaire, permettant d’aller directement à une question d’intérêt. Elle en fait un vade-mecum très précieux pour des praticiens de première ligne et un large spectre de professionnels confrontés à des thématiques facilement polémiques. Pour autant, les auteurs assument un certain nombre de positions originales, et s’en justifient dans leurs deux premiers chapitres : « Qui sommes-nous pour parler de radicalisation et de terrorisme ? » et « Quelle sorte de biais apportons-nous dans ce livre ? ».

Leur définition de la radicalisation est « le processus selon lequel un individu ou un groupe accepte de façon croissante la violence au nom d’une cause ». Choix fort, là où nombre de définitions de la radicalisation incluent une référence à l’extrémisme, mais pas systématiquement à la violence[1]. Cette évacuation de l’idéologie permet de totalement dé-stigmatiser le terme de radicalisation, dont les auteurs considèrent qu’elle peut prendre des formes positives dès lors que le recours à la violence est justifié par la loi ou la morale. Rappelons qu’à ce jour, la doctrine française repose sur la seule définition de Farhad Khosrokhavar, qui inclut à la fois une référence à la violence et à l’extrémisme. Les auteurs replacent donc ici la radicalisation comme une polarisation, impliquant l’ensemble de la société dans ce que les auteurs désignent comme « politique ju-jitsu ».

Les auteurs reviennent aussi sur l’image, très disputée, du « tapis roulant » (conveyor belt) qui emporterait les personnes aux idées radicales vers des actions radicales (violentes). Ils soutiennent que cette image est fausse et contre-productive, et vont même jusqu’à défendre le rôle que peuvent jouer des organisations radicales pour contrer la radicalisation violente.

On relèvera toutefois quelques faiblesses, notamment sur le terrain des relations internationales. On regrettera ainsi de les voir établir une longue énumération d’interventions militaires occidentales dans des pays musulmans afin de discuter la thèse de leur relation au terrorisme djihadiste, sans prendre en compte les différences de nature, de contexte et de mandats entre ces interventions.

Les auteurs apportent toutefois des éclairages passionnants sur les différences entre radicalisation individuelle et radicalisation de groupe, et se penchent, concernant cette seconde forme, sur les « manipulations identitaires de masse », qui reposent principalement sur deux ressorts : la simplicité cognitive et le pouvoir émotionnel.

Enfin, alors que le livre est largement consacré au terrorisme, notamment djihadiste, il se termine sur des considérations beaucoup plus nationales et politiques. L’élection de Donald Trump est ainsi décrite comme le résultat d’une radicalisation de son électorat.

Nicolas Hénin

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[1]La Chine a officiellement fait savoir en décembre 2020 qu’elle avait éradiqué l’extrême pauvreté (à ce seuil de 1,90 dollar). Cette ambition avait été annoncée depuis des années, pour être atteinte à l’occasion du centième anniversaire du Parti communiste chinois (qui sera célébré en juillet 2021). Les chiffrages sur la pauvreté ont toujours une certaine dimension politique…« Poverty and Shared Prosperity: Taking on Inequality », Banque mondiale, 2016.A. Sen, L’Idée de justice, Paris, Flammarion, 2009.Selon la célèbre courbe de Kuznets (1955) en U inversé qui faisait alors consensus.F. Kiwan, « La société civile au Liban : un levier pour le changement ? », Les Cahiers de l’Orient, vol. 112, no 4, 2013, p. 49-60.Voir la distinction établie par Xavier Crettiez entre radicalisation cognitive et comportementale, la seconde désignant celle qui recourt à la violence.

[CITATION] Qu’attendre de l’ONU aujourd’hui ?

Wed, 28/04/2021 - 09:35

Accédez à l’article de Jean-Marie Guéhenno ici.

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Affaires privées

Mon, 26/04/2021 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Julien Nocetti propose une analyse de l’ouvrage de Christophe Masutti, Affaires privées. Aux sources du capitalisme de surveillance (C&F Éditions, 2020, 480 pages).

Christophe Masutti allie le regard de l’historien, l’expérience du praticien et la démarche militante dans cette somme sur la surveillance numérique et la vie privée en ligne : universitaire, hacktiviste et administrateur du réseau Framasoft dédié au logiciel libre, l’auteur s’approprie, autant qu’il déconstruit, le concept de « capitalisme de surveillance ».

Introduit par la Monthly Review en 2014 pour décrire les stratégies d’hégémonie américaine via le numérique et popularisé par Soshanna Zuboff dans The Age of Surveillance Capitalism (2019), il désigne à la fois un modèle d’économie numérique, un état de marchandisation invasive de l’espace en ligne, et une source de connaissances, de profit et de pouvoir convoitée. Pour Soshanna Zuboff, si le capitalisme du XXe siècle reposait sur la production de masse et la montée des revenus de la classe moyenne, le capitalisme du XXIe siècle reposerait sur la surveillance : l’extraction de données personnelles à l’insu des usagers.

Mais là où celle-ci voit un ensemble de pratiques coercitives à l’égard des individus, qui les contraint à vivre dans une économie immorale – avec l’idée toutefois qu’une réforme est possible –, Christophe Masutti envisage un prisme plus global. Ainsi, une « culture de la surveillance » – partagée par tous les acteurs du système international – structurerait nos sociétés et imposerait les technologies numériques comme moyens d’appréhender le monde. En d’autres termes, l’économie numérique s’appuierait essentiellement sur des processus culturels et des choix collectifs qui constituent non des contraintes, mais des propositions de vie. Dans sa dernière partie, l’auteur considère les modèles issus du logiciel libre et des services ouverts comme une résistance à ce capitalisme de surveillance, mais aussi comme une préfiguration de ce que pourrait être une économie de la contribution généralisée.

Pour Masutti, la surveillance est un enjeu organisationnel : les projets de contrôle à grande échelle des populations, exercés au moyen de traitements massifs et automatisés de l’information furent, à l’origine, conçus plus pour créer des schémas de gouvernance profitables que pour devenir des instruments de pouvoir. Les techniques d’acquisition et de gestion de l’information en masse servent, avant tout, à la rationalisation des procédures, à la gestion des services, et à construire des modèles spécifiques de relations, de travail, etc.

Mais la rationalisation a ouvert les portes d’une nouvelle forme de pouvoir, à la fois pour les géants du numérique qui savent exploiter les données, et pour les pouvoirs politiques. Il n’est pas anodin qu’un phénomène comme le nudge, à l’origine propre au marketing et destiné à provoquer une décision du consommateur, soit devenu un outil des campagnes électorales : les phénomènes de rationalisation internes aux entreprises se sont étendus aux institutions et aux processus politiques. Les récentes élections américaines en constituent une parfaite illustration.

Masutti n’élude pas la problématique du « solutionnisme technologique », revenue dans le débat depuis la crise du COVID-19 : le capitalisme de surveillance « transforme la politique lorsque les monopoles technologiques font assimiler aux États une doctrine qui stipule que chaque problème a une solution technique » (qu’ils sont à même de produire). Le succès apparent des « doctrines » montre bien, in fine, la sensibilité des interactions entre États et Big Tech.

Julien Nocetti

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Futures Past: Economic Forecasting in the 20th and 21st Century

Fri, 23/04/2021 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak proposent une analyse de l’ouvrage dirigé par Ulrich Fritsche, Roman Köster et Laetitia Lenel, Futures Past: Economic Forecasting in the 20th and 21st Century (Peter Lang, 2020, 224 pages).

L’ouvrage présente un historique et un état des lieux des prévisions économiques, domaine qui a connu beaucoup de désillusions, mais reste central dans la conduite des politiques économiques, les décisions des entreprises et l’évolution des marchés financiers. Il est issu d’une conférence tenue à Hambourg en octobre 2018, qui a réuni des économistes appliqués ou théoriciens, des spécialistes de l’histoire de la pensée économique et des sociologues.

L’introduction rappelle l’évolution des méthodes : la théorie des cycles économiques, la prolongation des tendances passées par des méthodes statistiques, les enquêtes auprès des entreprises et des ménages, les indicateurs précurseurs, le développement des modèles macroéconomiques structurels, puis la désillusion, le retour à l’analyse des données sans théorie, la vogue puis le déclin des anticipations rationnelles, les doutes après la crise financière de 2008, non anticipée par les prévisionnistes. Les prévisions s’inscrivent dans un contexte social. Les prévisionnistes travaillent dans des institutions spécifiques ; ils s’influencent mutuellement, tout particulièrement en Allemagne avec le « Diagnostic commun ». Les prévisions permettent aux agents de se coordonner sur un scénario commun. Elles peuvent être autoréalisatrices, ou auto-invalidantes.

Tara Sinclair montre que les prévisionnistes ont été incapables de prévoir les récessions. Celles-ci, issues de chocs exogènes et de non-linéarités, ne sont guère prévisibles. De plus, les prévisionnistes s’autocensurent, ne voulant pas risquer d’annoncer à tort une récession. Jan Logemann analyse l’histoire et l’usage des enquêtes sur la confiance des ménages. Marion Ronca, à partir de l’exemple suisse, montre que les projections à long terme des années 1960-1970 visaient à décrire et à instaurer une croissance stable, que la rupture de 1974 a décrédibilisée. Timo Walter analyse la pratique moderne des banques centrales, qui se fixent l’objectif de guider les anticipations d’inflation des marchés financiers supposés rationnels vers leur scénario de futur projeté. À la limite, celui-ci devient si crédible qu’il est indépendant de la politique menée, et donc sa réalisation devient problématique.

Werner Reichmann décrit la production des prévisions économiques ; celles-ci ne résultent pas seulement de méthodes formalisées, mais aussi de réflexions collectives, d’interactions sociales et démotions, soit la capacité de rationaliser les informations qualitatives. Olivier Pilmis analyse le processus d’ajustement des prévisions aux nouvelles informations ; les organisations internationales jouent un rôle moteur ; les prévisions de long terme sont plus stables ; le moyen terme repose sur un retour à un scénario d’équilibre. Jörg Döpke, Ulrich Fritsche et Gabi Waldhof montrent que la crise financière de 2008 et la grande récession ont peu changé les méthodes des prévisionnistes allemands. Ceux-ci se voient comme des ingénieurs ; ils sont coupés des milieux académiques dominés par des théories néoclassiques opposées aux politiques économiques actives.

Cet ouvrage devrait intéresser les prévisionnistes, les utilisateurs des prévisions, et tous ceux qui s’intéressent aux pratiques de l’économie appliquée. Une telle réflexion interdisciplinaire conduite en France serait bienvenue.

Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

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[CITATION] Que peuvent faire les Nations unies au XXIe siècle ?

Wed, 21/04/2021 - 09:30

Accédez à l’article de Sylvie Bermann ici.

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La guerre des récits

Mon, 19/04/2021 - 09:50

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Zéphyr Dessus propose une analyse de l’ouvrage de Christine Ockrent, La guerre des récits. Xi, Trump, Poutine : la pandémie et le choc des empires (Les éditions de l’Observatoire, 2020, 192 pages).

Alors que les tensions internationales s’aggravent avec une pandémie qui met la planète à genoux, Christine Ockrent analyse la guerre que mènent les grandes puissances pour promouvoir leur version des faits. L’auteur examine comment la Chine, les États-Unis, la Russie et l’Europe tentent d’inscrire la crise du COVID-19 dans leurs récits nationaux, avec pour objectif de convaincre les populations, et aussi peut-être les historiens, de la supériorité de leur modèle. La journaliste décompose bloc par bloc cette guerre de propagande qui constitue la toile de fond de la géopolitique à l’ère du coronavirus.

À travers son examen critique du récit promu par le Parti communiste chinois, on comprend mieux sa dangerosité pour l’imaginaire collectif d’une société devenue orwelienne. Censurant initialement toute parole, citoyenne ou scientifique, sur l’épidémie de COVID-19, le pouvoir chinois a progressivement transformé la situation en outil de propagande : livraison de masques à l’international, construction expéditive d’hôpitaux à Wuhan, apologie de l’action du président Xi. La « guerre du peuple » – selon la formule des autorités – doit démontrer la ténacité de l’Empire du Milieu.

Sur le front américain, le récit est monopolisé par un président en campagne qui cherche à défendre son bilan économique coûte que coûte. Obnubilé par sa propre image, Donald Trump dicte son récit et alterne entre l’absurde – affirmant qu’il connaît ces sujets mieux que quiconque – et le dangereux – en politisant le port du masque et en incitant éventuellement ses concitoyens à ingurgiter du détergent. La faiblesse du système social américain éclate alors au grand jour : 30 millions d’Américains sans assurance maladie, l’obésité courante, et la crise des opiacés constituent pour la première puissance mondiale une recette mortifère, à la fois pour ses citoyens et pour son image.

En Russie, Vladimir Poutine « a perdu le contrôle du récit ». Alors que la situation empire, que la population gronde, que des médecins se suicident et que l’État ment sur les chiffres de l’épidémie, le président russe s’isole et délègue la responsabilité des décisions impopulaires. Forcé de reporter la cérémonie du 75e anniversaire de la victoire de l’armée soviétique et la tenue du référendum constitutionnel, le Kremlin a une difficulté croissante à maîtriser sa communication.

Et l’Europe dans tout ça ? L’Union européenne, qui ne compte pas la santé au nombre de ses compétences, vacille, dépassée par la férocité des événements et le retour du chacun pour soi. Sa lenteur bureaucratique et la faiblesse de sa communication ne font que contribuer à un sentiment d’abandon. L’auteur relève cependant que les Européens ont su progressivement reprendre leur récit en main, confrontés à une crise existentielle. Accord de relance budgétaire, renforcement du contrôle des investissements étrangers, coordination pour la commande des vaccins… : les circonstances pourraient constituer une opportunité pour le continent.

En décrivant la guerre psychologique que se mènent les puissances, Christine Ockrent propose une grille de lecture inédite et pourtant essentielle pour mieux comprendre les rapports de force internationaux à l’ère de la pandémie.

Zéphyr Dessus

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Policy Responses to the Radical Right in France and Germany

Fri, 16/04/2021 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Nele Wissmann, chercheuse associée au Comité d’études des relations franco-allemandes de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Bénédicte Laumond, Policy Responses to the Radical Right in France and Germany: Public Actors, Policy Frames, and Decision-Making (Routledge, 2020, 256 pages).

Basé sur une thèse de 2017, cet ouvrage a encore gagné en actualité avec le meurtre de Walter Lübcke, président du district de Kassel le 15 juin 2019, l’attaque antisémite contre une synagogue à Halle le 9 octobre 2019, ainsi que l’assassinat de neuf personnes dans deux bars à chicha à Hanau le 20 février 2020. L’analyse de l’extrémisme et du terrorisme de droite sort d’une niche scientifique pour s’exposer aux projecteurs médiatique et politique.

L’observation et l’évaluation françaises de la lutte allemande contre les menaces d’extrême droite sont souvent limitées par l’ignorance des possibles champs d’action allemands en la matière, ainsi que par la méconnaissance de la vision démocratique propre à l’Allemagne. Ainsi, la présente publication a une valeur ajoutée scientifique incontestable. L’extrémisme de droite étant également une menace en France et dans d’autres démocraties européennes, cette publication doit aussi être vue comme un cadre de référence pour les meilleures pratiques dans la lutte contre l’extrême droite. Le texte évalue notamment la manière dont les deux démocraties, France et Allemagne, abordent le paradoxe de la tolérance : comment des démocraties libérales peuvent-elles restreindre les droits qu’elles défendent – comme la liberté d’expression – pour réprimer les forces intolérantes qui menacent la démocratie ?

Un résultat de la recherche se distingue particulièrement. En Allemagne, les principes hérités de la démocratie militante de Loewenstein ont été inscrits dans la Loi fondamentale et, à partir de ces fondements juridiques, les acteurs politiques et étatiques ont élaboré une doctrine d’État qui empêche l’ordre démocratique de subir les menaces politiques extrémistes. La démocratie militante (wehrhafte Demokratie) est par conséquent une caractéristique clé de la politique allemande, qui s’exprime à travers des institutions comme l’Office fédéral pour la protection de la Constitution, et une politique anti-extrémiste bien établie. La construction d’une politique de répression du radicalisme politique, avec une distinction claire séparant l’extrémisme du reste du spectre politique – le premier étant une menace pour l’ordre constitutionnel et donc considéré comme anticonstitutionnel – a permis à l’Allemagne de s’adapter au paradoxe de la tolérance.

En France, le raisonnement des décideurs politiques est que le radicalisme de droite ne doit pas être abordé en termes politiques, sauf si les groupes sont violents ou expriment des opinions racistes. Il est ainsi plus difficile d’identifier un cadre juridique complet permettant de combattre le radicalisme politique. Malgré tout, le cadre juridique français offre aujourd’hui un ensemble hétérogène de mesures axées sur la répression de la violence et du racisme qui, dans la pratique, contribuent à une répression efficace du radicalisme de droite.

Cet ouvrage doit être recommandé à tous ceux qui souhaitent examiner de près les réponses politiques apportées en Allemagne et en France à la montée de l’extrémisme de droite. Il est également une référence précieuse pour qui veut comparer les cultures politiques de l’Allemagne et de la France, qui ne sont pas toujours comprises dans leurs subtilités par les différents acteurs politiques et médiatiques.

Nele Wissmann

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[CITATION] États-Unis : la pauvreté au pays de la richesse

Wed, 14/04/2021 - 09:30

Accédez à l’article de Sophie Mitra ici.

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Pauvreté et crise du multilatéralisme, comment le COVID-19 aggrave les fractures mondiales

Tue, 13/04/2021 - 09:30

Le 9 avril dernier, Marc Semo a publié dans Le Monde un article consacré à la pauvreté dans le monde, conséquence du COVID-19, et à la crise du multilatéralisme. Il cite à cette occasion le dossier du numéro de printemps de Politique étrangère (n° 1/2021), « Pauvretés : le rebond » et son Contrechamps, « L’ONU, en quête de sens ».

La pandémie a balayé l’espoir de la communauté internationale d’éradiquer l’extrême pauvreté dans le monde à l’horizon 2030. « C’est le résultat le plus spectaculaire et de plus long terme de l’année Covid » relève la revue « Politique étrangère », publiée par l’Institut français des relations internationales (IFRI), qui consacre dans son numéro de printemps un riche dossier au « rebond des pauvretés ». « La pandémie et ses conséquences économiques douchent définitivement l’optimisme des deux décennies précédant la crise », relève dans son article d’introduction Julien Damon, enseignant à Sciences Po et à HEC, qui travaille sur le sujet depuis plusieurs années.

En 2020, la crise sanitaire a déjà causé une hausse du nombre de pauvres estimée de 100 millions de personnes, selon l’approche restreinte au seuil classique de la Banque mondiale – est pauvre qui gagne moins de 1,90 dollar par jour –, jusqu’à quelque 500 millions de personnes, d’après deux calculs élargis de la Banque mondiale et du PNUD se basant sur un seuil fixé à moins de 5,50 dollars par jour.

Dans ce même dossier, Georges Courade, directeur de recherche honoraire de l’Institut de recherche pour le développement, analyse le cas de l’Afrique avec ses résiliences. Sophie Mitra, professeure à l’université Fordham de New York, analyse la misère aux Etats-Unis et les espoirs que peuvent susciter les premières mesures de Joe Biden. Le directeur de l’Agence française pour le développement, Rémy Rioux, et Jean-David Naudet, chargé de recherche, rappellent quant à eux que les pays riches ont mobilisé 12 000 milliards de dollars pour faire face au Covid-19 chez eux. L’aide publique au développement ne représente quant à elle que 150 milliards par an.

Le rejet du multilatéralisme

Apparue dans toute son évidence avec la pandémie, la crise du multilatéralisme est le second grand sujet de ce numéro de printemps avec notamment une longue analyse sur ce que « l’on peut attendre de l’ONU aujourd’hui ». Ancien secrétaire général adjoint des Nations unies, chargé des opérations de maintien de la paix (2000-2008), Jean-Marie Guéhenno constate la crise existentielle de ce qui était au lendemain de la seconde guerre mondiale « une invention largement américaine » – s’inscrivant dans un universalisme nourri des Lumières – désormais rejeté ouvertement par la Chine. […]

Découvrez le sommaire du numéro 1/2021 de Politique étrangère ici.

Accédez à l’article du Monde ici.

La quête nucléaire de l’Iran

Mon, 12/04/2021 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Morgan Paglia propose une analyse de l’ouvrage de Marie-Hélène Labbé, La quête nucléaire de l’Iran (Sorbonne Université Presses, 2020, 160 pages).

Auteur d’une série de travaux sur la prolifération nucléaire, Marie-Hélène Labbé, visiting fellow à l’université de Durham au Royaume-Uni, signe ici un nouvel ouvrage consacré au programme nucléaire iranien.

Sa première partie évoque les origines de la quête nucléaire de Téhéran, notamment les ambitions du programme civil développé pendant l’ère du shah et le basculement sur un programme militaire après l’établissement de la République islamique. Arme de prestige et de sécurité, l’atome est l’outil qui répond le mieux au complexe d’encerclement iranien alimenté par les bouleversements géopolitiques de l’histoire récente du Moyen-Orient : la guerre Irak-Iran, les multiples interventions occidentales dans les pays limitrophes, et les rivalités avec les puissances du Moyen-Orient.

Les étapes de l’émergence du programme militaire n’ont pu être reconstituées qu’après 2002 – date de révélation de son existence par un groupe d’opposition iranien. Techniquement, c’est grâce à l’aide pakistanaise et au réseau d’Abdul Qader Khan, à pied d’œuvre à la fin des années 1980, que le pays lança les premières centrifugeuses nécessaires à l’enrichissement de l’uranium. Le soutien d’un autre pays allié, la Corée de Nord, partenaire indéfectible de Téhéran pendant le conflit contre l’Irak, permit dans les années 1990 de développer les premiers missiles balistiques, et notamment une version nationale des No Dong nord-coréens – rebaptisés Shahab – affichant une portée de 1 300 kilomètres. Les premières bases du programme étaient posées.

La seconde partie de l’ouvrage détaille le processus chaotique qui a opposé l’Iran à la communauté internationale, alternant phases d’imposition de sanctions et de reprise des négociations. Les espoirs ont culminé avec la signature de l’accord de Vienne le 14 juillet 2015, auquel l’auteur consacre de longs développements. Avant d’évoquer l’accord en lui-même, elle revient sur la négociation des points de blocage techniques abordés durant les 23 mois de tractation qui ont séparé la signature de l’accord préliminaire de Genève (24 novembre 2013) du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), concernant le rôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le régime de vérification de l’accord, ou encore l’agenda de levée des sanctions.

Le contexte entourant la dénonciation de cet accord en mai 2018 permet de comprendre les raisons des tensions qui ont accompagné la séquence politique récente : les différentes étapes de remise en place du programme nucléaire par Téhéran – des premières timides entailles dans l’accord de Vienne à la remise en route des centrifugeuses – jusqu’à la série de frictions irano-américaines observées début 2020 après l’élimination du général Soleimani. Au total, c’est bien la nature systémique du dossier nucléaire iranien et son entrelacement avec des sujets d’intérêts régionaux (rôle de l’Iran en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen) qu’éclaire Marie-Hélène Labbé.

L’intérêt principal de l’ouvrage est d’apporter une vision d’ensemble sur les différentes phases entre tensions et apaisement qui ont caractérisé les relations entre Téhéran et la communauté internationale. Il rappelle l’évolution des positions des différents acteurs impliqués dans les négociations avec Téhéran (Europe, États-Unis, Chine…), tout en apportant des analyses techniques utiles sur le fonctionnement de l’arme nucléaire.

Morgan Paglia

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The Caravan

Fri, 09/04/2021 - 09:47

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri et rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage de Thomas Hegghammer, The Caravan: Abdallah Azzam and the Rise of Global Jihad (Cambridge University Press, 2020, 696 pages).

Fruit d’années de recherches, The Caravan est un ouvrage imposant dans tous les sens du terme. Par son volume, d’une part, auquel s’ajoute, pour lecteurs insatiables, un site web (azzambook.net) permettant d’explorer de nombreux documents d’archives. Par son contenu, d’autre part : il constitue un apport important à l’historiographie du terrorisme contemporain, et sa lecture s’impose à tous ceux qui veulent comprendre finement les origines d’al-Qaïda. Il ne se contente pas de décrire la vie et l’œuvre d’un idéologue majeur du djihadisme transnational : il nous plonge dans l’atmosphère du Peshawar des années 1980, avec ses réfugiés, ses travailleurs humanitaires, ses espions et ses volontaires affluant du monde arabe pour soutenir les moudjahidines afghans contre l’envahisseur soviétique.

Abdallah Azzam (1941-1989) avait de multiples visages. Il se fait d’abord connaître comme intellectuel. Diplômé des universités d’Amman et Damas, il obtient en 1973 un doctorat en droit islamique de l’université Al-Azhar au Caire. Il démarre alors une carrière d’enseignant, qui le conduit notamment en Arabie Saoudite, et publie plusieurs ouvrages dont Le Cancer rouge en 1980. Parallèlement à sa carrière académique, il se fait remarquer pour son militantisme islamiste : dans les années 1970, il gravit les échelons des Frères musulmans, jusqu’à devenir un des principaux responsables de cette organisation en Jordanie. Ses critiques du régime lui valent d’être expulsé du royaume hachémite. Il est surtout connu enfin pour son engagement guerrier : originaire de Cisjordanie, il fait ses premières armes contre Israël à la fin des années 1960, mais c’est surtout sa contribution au djihad afghan qui le fera entrer dans la postérité.

En 1981, Azzam s’installe avec sa famille au Pakistan, dans le cadre d’un programme de coopération scientifique conduit par son université saoudienne. Son engagement en faveur des moudjahidines va alors croissant. Il parcourt le monde – y compris l’Amérique du Nord et l’Europe – pour sensibiliser à la cause afghane et organise des campagnes de levée de fonds. Il s’éloigne progressivement des Frères musulmans, qui acceptent de fournir une aide financière et logistique mais refusent de s’engager dans les combats.

En 1984, avec le soutien d’Oussama Ben Laden, il crée le Bureau des services, structure chargée d’acheminer des combattants arabes en Afghanistan. Il publie une fatwa affirmant que la participation au djihad afghan est une obligation individuelle pour tous les membres de l’oumma, argument développé dans un livre qui demeure une référence de la mouvance djihadiste : La Défense des territoires musulmans (1985). Son action entraîne une hausse spectaculaire du nombre de volontaires arabes, qui passent d’une centaine en 1984 à plusieurs milliers dans les années qui suivent.

En novembre 1989, alors que les moudjahidines afghans ont triomphé de l’Armée rouge, Abdallah Azzam est assassiné dans des circonstances troubles. L’auteur de The Caravan, le chercheur norvégien Thomas Hegghammer, se lance sur la trace des tueurs. Plusieurs pistes sont envisagées – règlement de comptes inter-djihadiste, assassinat par les services pakistanais (ISI), russes (KGB), américains (CIA), ou israéliens (le Mossad) –, mais le mystère persiste. Une chose est sûre : si l’« imam du djihad » a disparu voici plus de trente ans, ses œuvres lui survivent et son influence reste considérable.

Marc Hecker

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