(B2) C'est une véritable attaque en règle à laquelle ont du faire face samedi (9 mars) les navires des deux coalitions, américaine et européenne, présents en mer Rouge et Golfe d'Aden
En l'espace de quelques heures, entre 4h et 8h30 (local), les navires de guerre et des avions américains et britanniques ont intercepté et abattu 28 drones kamikazes lancés depuis les zones contrôlées par les Houthis du Yémen vers la mer Rouge et le golfe d'Aden, selon une source militaire. Le navire britannique HMS Richmond a ainsi abattu deux drones à l'aide de missiles Sea Ceptor. « La première fois que ce type d'armes est utilisé par un navire britannique au combat » signale le ministère britannique de la Défense.
Quatre drones abattus par une frégate française
Action identique de la frégate française FS Alsace, qui participe à l'opération européenne ASPIDES qui a abattu dans le même temps quatre drones kamikazes. La frégate « qui patrouillait dans le golfe d’Aden a détecté quatre drones de combat progressant vers elle en vol tactique » indique un communiqué du ministère français des Armées. « Ces drones ont été détruits en légitime défense par la frégate et des chasseurs français. » Jeudi (7 mars), déjà un destroyer américain avait abattu trois drones dans le Golfe d'Aden.
Deux autres attaques échouent
Les navires marchands continuent d'être visés. Deux missiles anti-navire ont visé vendredi (8 mars), en milieu d'après-midi (16h14 locales) un navire marchand alors qu'il se trouvait à 50 nautiques au sud-sud-est d'Aden (12°04 Nord et 045°23 Est). Le navire a signalé deux explosions à 200 mètres du tribord du navire. Sans faire de dégâts apparemment. L'équipage est sain et sauf.
Lundi (11 mars), entre 8h50 et 12h50, c'est un navire marchand singapourien, le MV Pinocchio, battant pavillon libérien, qui a été visé. Toujours avec la même technique. Les deux missiles balistiques antinavires tirés par les Houthis « n’ont pas touché le navire et aucun blessé ni dommage n’a été signalé » indique le commandement US CentCom.
Commentaire : des Houthis toujours déterminés et menaçants
La présence militaire comme les frappes menées essentiellement par les Américains sur le sol du Yémen ne semblent en rien avoir ralenti le rythme d'action des rebelles yéménites. Sans doute réapprovisionnés en missiles anti-navires, les attaques des Houthis ne cessent guère. Ce malgré la présence des navires de guerre, des coalitions américano-britannique et européenne. Au contraire. On pourrait même dire qu'un palier, dans l'escalade a été franchi, avec les premiers morts faits parmi un équipage de la marine marchande, la semaine dernière. Lire : [Actualité] Premier tir mortel des Houthis dans le golfe d'Aden. Un navire gravement atteint (v2). Il va sans doute falloir changer de tactique, au moins au plan politique, et négocier...
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) L'idée d'avoir un commissaire européen dans le prochain collège spécifiquement en charge de la Défense a refait surface. Critiquée immédiatement. À tort...
Un débat ouvert
L'idée d'un commissaire défense est défendue ardemment par Ursula von der Leyen, l'actuelle présidente de la Commission européenne, les chrétiens-démocrates du PPE (le parti populaire européen) mais aussi plusieurs autres responsables européens d'autres tendances (telle la ministre néerlandaise de la défense, libérale de gauche, Kajsa Ollongren). Elle est combattue par certains autres. A l'image du commissaire Thierry Breton qui a cette compétence, parmi d'autres, au sein de la Commission européenne, voire par Josep Borrell, le Haut représentant de l'UE chargé (aussi) de la politique de défense et de sécurité.
Une certaine logique
Premièrement, la défense européenne est devenue une priorité, une évidence, même pour ceux qui ne le croyaient pas jusqu'ici... Certes des nuances s'expriment. Mais on est plutôt dans un débat classique sur la répartition de compétences. Est-ce au niveau communautaire ou au niveau national ? Qu'est-ce qui doit être fait au niveau communautaire ? La compétence communautaire est-elle juste une instance de débat, ou d'encouragement, de soutien, ou davantage ? Deuxièmement, il y aujourd'hui une série d'instruments à gérer (fonds européen de défense pour la recherche, programme d'investissement pour les acquisitions, etc.) et une direction générale chargée de les gérer (la DG DEFI). Troisièmement, il y a nécessité pour les Européens d'affirmer haut et fort que leur défense leur appartient. Une nécessité vis-à-vis d'alliés prompts à les critiquer (cf. Trump) comme d'adversaires (Russie, Chine) qui n'ont qu'idée : réduire le poids des Européens dans le monde.
Une terminologie assez claire
Le terme de "commissaire défense" est un raccourci. Tous ceux qui l'utilisent — que ce soit pour le souhaiter ou le critiquer —, le savent. Par ce terme, on entend surtout la politique industrielle de défense, le soutien au monde de la défense par tout ce qui de près ou de loin touche aux compétences communautaires (TVA, recherche, mobilité et transport, politique maritime, etc.). Il ne s'agit en aucune façon de toucher aux prérogatives des États membres : alliances internationales (OTAN) ou neutralité, taille et format de l'armée, conscription, puissance nucléaire ou classique, volonté expéditionnaire ou intégration dans une structure internationale (ONU, OTAN, UE). Il ne s'agit pas non plus de toucher à la compétence dévolue (de par le traité) au Haut représentant de l'UE. Celui-ci ayant surtout la compétence "défense", de par le traité, dans son volet externe (PESC).
Un partage des tâches
Le partage des tâches entre un éventuel commissaire et le Haut représentant est en effet assez clairement fixé : à l'un la partie extérieure de la défense (notamment les opérations, mais aussi les contacts avec les pays tiers), à l'autre la partie intérieure de la défense. On pourrait bien évidemment imaginer que le Haut représentant, par ailleurs vice-président de la Commission européenne puisse aussi s'occuper des questions intérieures et industrielles de la défense. Mais ce serait lui confier un portfolio au-delà de ce qui a été conçu dans les traités. Et surtout le Haut représentant a déjà une mégacompétence, assurant toute la représentation extérieure et la diplomatie européenne, présidant les conseils des ministres, etc. Une tâche qui, à elle seule, mobilise une attention à 100% (lire : Les pouvoirs du Haut représentant, d’après le Traité de Lisbonne ?).
Une réforme du traité ?
C'est l'argument défendu par l'équipe du commissaire Thierry Breton. Il n'est pas exact. En aucune façon, le traité prévoit une quelconque répartition des portefeuilles au sein de la Commission européenne ou même des interdictions. En aucune façon le traité — contrairement à certaines croyances — n'interdit d'ailleurs à l'Union européenne de s'occuper de défense. Au contraire... Il l'encadre, définit certaines limites, notamment la préservation de l'autonomie de chaque État de définir sa politique de défense, mais rien de plus (lire : Principales dispositions du Traité de Lisbonne sur la PSDC, la PESC, la Défense et le Haut représentant ? - extraits). Il n'interdit même pas d'utiliser le budget communautaire pour certains aspects de la défense, notamment l'aspect industriel. Seul est interdit le financement sur le budget des opérations militaires (lire : Comment financer en commun l’achat d’armements ? Ce que dit le Traité).
Un portfolio pérenne ... ou non
La répartition des portefeuilles au sein de la Commission européenne fluctue au cours des législatures. Elle dépend en bonne partie de la volonté de la présidence de la Commission mais aussi de celles de chaque État membre qui indique, lors de la constitution du collègue des commissaires, leur préférence pour tel ou tel portefeuille. Libre ensuite à la présidence de la Commission d'inviter une répartition, voire de scissionner des portfolios ou d'en inventer, à l'image de ce commissaire au multilinguisme, constitué de toutes sortes.
Des intitulés très variables
Certains portefolios sont directement issus des compétences historiques pleines et entières (agriculture, pêche, budget, concurrence, économie, marché intérieur, transport, commerce extérieur etc.) ; d'autres viennent de compétences plus récentes davantage d'appui (éducation, santé, environnement, justice et affaires intérieures...). Enfin d'autres viennent de nouvelles terminologies. Souvent les intitulés varient. On a ainsi aujourd'hui un vice-président chargé du Mode de vie, un autre chargé du Pacte vert pour l’Europe, un troisième des Valeurs et transparence. Autant de termes qui ne recouvrent pas systématiquement une compétence communautaire ou sont mêmes par le traité.
Une obligation de coopération
Alors pourquoi pas un commissaire défense. Tout aussi nécessaire. Ce découpage oblige cependant à une bonne coopération entre le Haut représentant et le commissaire Défense. Mais c'est déjà une nécessité aujourd'hui entre un haut représentant et un commissaire chargé du marché intérieur. Ceux qui ont de la mémoire se souviennent du débat "défense" au sein de cette Commission, long et difficile (lire : La cohérence, à la Commission et ailleurs, c’est moi ! Josep Borrell)
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) Le MV True Confidence, un vraquier libérien battant pavillon de la Barbade, a été touché mercredi (6 mars), vers 11 h 40 (locales), par un missile balistique antinavire (ASBM) alors qu'il transitait par le golfe d'Aden à environ 54 nautiques au sud-ouest d'Aden.
Trois morts, trois blessés graves
Les dégâts sont importants en termes humains : « trois morts, au moins quatre blessés, dont trois dans un état critique » selon le CentComUS. L'équipage a dû abandonner le navire via des canots de sauvetage. Ils ont été recueillis à bord du navire de guerre indien Kolkata. Plusieurs navires de guerre de la coalition s'étant portés au secours du navire, notamment pour aider l'équipage. NB : Peu de temps auparavant, vers 3h locales, le navire avait reçu un appel radio par VHF venant d'une entité se prétendant de la marine yéménite, selon le centre britannique de surveillance maritime (UKMTO).
Dégâts importants, incendie à bord
Les dégâts sont aussi « importants » pour le navire. En soirée du même jour (6 mars), le vraquier a été « signalé à la dérive avec un incendie persistant à bord » signale une source militaire. L'objectif est de le remorquer. Si les informations se confirment, ce serait le deuxième navire détruit ou mis hors d'usage par les Houthis. Ce qui démontre une certaine escalade dans la tension entre Houthis et forces de guerre sur place.
Le 100e incident
C'est le 100e incident de ce type recensé par les forces internationales depuis le début des attaques des Houthis, notamment la spectaculaire prise d'un navire marchand en mer Rouge en novembre (lire : [Actualité] Les Houthis détournent en mer Rouge un navire « israélien ». Plusieurs marins européens capturés).
Une autre attaque dans le golfe d'Aden
C'est le cinquième tir de missile balistique anti-navire tiré par les Houthis dans les deux derniers jours selon le CentCom. Un autre navire marchand, le MSC Sky II, un porte-conteneurs appartenant à la compagnie italo-suisse MSC et battant pavillon libérien, a été atteint lundi (4 mars) par un missile à 85 nautiques au Sud-Est d'Aden, qui a provoqué un incendie (vite maitrisé). Attaque revendiquée par les Houthis. Un dernier missile a été abattu par le navire américain USS Carney (DDG 64).
Une course-poursuite dans le golfe d'Oman
Plus à l'Est, à 21°02 Nord et 061°54 Est, mardi (5 mars), un navire marchand a signalé avoir été approché « de manière suspecte » par une embarcation rapide. Malgré le fait d'avoir augmenté sa vitesse, la poursuite a continué, « durant près d'une heure » selon des sources maritimes. Poursuite qui « n'a cessé qu'à la tombée de la nuit ».
(Nicolas Gros-Verheyde)
Mis à jour sur les dégâts au navire True Providence et l'attaque dans le golfe d'Oman
(B2) Les navires français, italien et allemand présents en mer Rouge et dans le Golfe d'Aden se sont mis en position pour atténuer les attaques sur les navires marchands. Mais la menace reste bien présente. Plus présente que jamais. Les frappes US sur le territoire yéménite ne semblent pas l'amoindrir. Au contraire.
Un drone abattu par un navire italien
Le navire de la marine italienne Caio Duilio (D-554) a abattu un drone en mer Rouge samedi (2 mars) dans l'après midi). Le drone, aux caractéristiques similaires à ceux déjà utilisés lors des attaques précédentes, « se trouvait à environ 6 kilomètres du navire italien et volait dans sa direction » indique le ministère italien de la Défense dans un communiqué. C'est la troisième action de ce type dans un cadre européen (1).
Deux drones détruits par la frégate allemande
La frégate allemande Hessen (F-221), engagée dans le cadre de l'opération de EUNAVFOR Aspides a détruit, mardi soir (27 février), deux drones Houthis qui se dirigeaient sur elle, indique la Bundeswehr. Un tir réussi contrairement au précédent, heureusement raté, les marins allemands ayant failli viser un drone américain (lire : [Actualité] Boulette allemande en mer Rouge. Un drone américain pris pour cible).
Deux autres par la frégate française
Une semaine auparavant, mardi 20 février, les frégates multi-missions françaises (FREMM) avaient détecté « des attaques multiples de drones » en provenance du Yémen « dans leurs zones de patrouille respectives dans le golfe d’Aden et dans le sud de la mer Rouge », indiquait un communiqué de la Défense française. La frégate française FS Alsace (D-656) détruisant deux drones, tandis que le destroyer américain USS Mason (DDG-87) a détruit, le même jour, un missile balistique anti-navire.
Les attaques continuent, parfois mieux ajustées
Jeudi 22 février, le MV Islander, un cargo britannique battant pavillon de Palau, parti de Singapour, est atteint par deux missiles anti-navires (ASBM) qui provoquent un feu à bord et blesse légèrement un des membres d'équipage, selon les autorités maritimes. Il est obligé de faire escale à Djibouti. Samedi 24 février, le MV Torm Thor, un pétrolier propriété américaine et battant pavillon américain, est visé par un missile balistique anti-navire (ABM), dans le Golfe d'Aden, à 70 nautiques de Djibouti, sans dégât ni blessés. Dimanche (25 février), trois drones sont détectés dans le détroit de Bab-el-Mandeb, ciblant un vraquier battant pavillon des Barbades, le MV True Harmony. Deux d'entre eux sont détruits par un avion américain, le troisième tombe suite à une panne technique. Mardi (27 février), un autre tanker, le MV Lady Youmna, battant pavillon du Panama, est visé par un missile anti-navire qui explose dans l'eau à 60 nautiques en mer Rouge, à l'Ouest de Hodeidah. Le même jour, c'est un roulier porte-conteneurs battant pavillon de Madère (Portugal), MV Jolly Vanadio, de la compagnie italienne Linea Messina, qui est visé par des drones, abattus par un navire de guerre.
Le naufrage définitif du Rubymar
Samedi (2 mars), est venue la confirmation du CentCom, le commandement militaire US pour la région, que le Rubymar, a finalement coulé, en mer Rouge vers 2h15 du matin (heure locale). Touché de façon grave le 18 février dernier par un missile anti-navires (lire : [Actualité] Un navire marchand atteint par un missile dans le détroit de Bab-el-Mandeb), ce vraquier britannique, battant pavillon du Belize, n'a pas pu être remorqué vers un port. Il prenait l'eau régulièrement et a sombré à 13°21 Nord et 042°57 Est précise le centre britannique UkMto. Au large du port yéménite de Mokha.
Le naufrage du vraquier britannique (photo : CentComUS)C'est le premier navire marchand atteint de manière définitive. « Les quelque 21.000 tonnes d’engrais au sulfate de phosphate d’ammonium » que transportait le navire présentent un « risque environnemental » en mer Rouge, dénonce le CentCom. Il estime aussi que cela peut représenter un obstacle « souterrain » pouvant menacer « les autres navires transitant par les voies de navigation très fréquentées de la voie navigable ».
Commentaire : un semi-échec de la tactique offensive US
Ce naufrage, comme les attaques récentes, est une escalade claire. C'est le premier navire marchand atteint de plein fouet dans la zone depuis le début des attaques houthis en octobre. La tactique offensive des Américano-britanniques, à l'aide de frappes préventives sur le territoire yéménite, ne semble donc pas vraiment avoir l'effet escompté. Au contraire. La stratégie purement défensive des Européens — moins tape-à-l'oeil — est finalement tout aussi efficace, voire plus.
Certes les frappes américaines (et britanniques) ont dégradé quelque peu la capacité des Houthis. Mais elles n'entament en rien la détermination des rebelles yéménites. Tirant régulièrement, ils menacent navires marchands comme militaires. Les drones et missiles qui passent au travers des filets de défense européen et américano-britannique paraissent mieux ciblés. Faisant mouche à plusieurs reprises.
Les cibles semblent aussi mieux choisies. Au lieu d'un tir tous azimut des débuts, on peut remarquer que les navires atteints sont généralement propriété britannique ou américaine. Ce qui n'est pas tout fait un hasard. Les Houthis semblent bien conseillés et bien aidés par leurs alliés iraniens (ou d'autres).
Notons que trois des navires visés récemment — le Rubymar, le Lady Youmna, et le MV True Harmony — ont participé aux exportations ukrainiennes en décembre 2022 (cf. Interfax) et en janvier 2023, dans le cadre de la Black Sea Grain Initiative menée sous égide de l'ONU et gérée depuis Istanbul par un centre coordination conjointe cogéré par la Turquie, la Russie et l'Ukraine. Il est trop tôt pour en tirer des conséquences, le transport de marchandises maritime étant largement mondialisé. Mais gardons un oeil...
(Nicolas Gros-Verheyde)
Mis à jour sur la nature des missiles et le statut du navire italien
(B2) L'opération Aspides commence bien pour les Allemands. La frégate Hessen qui vient tout juste d'arriver dans la zone d'opération a failli abattre un drone américain de type Reaper lundi (26 février). Heureusement elle a raté le tir...
C'était lundi (26 février), quelques jours à peine après que le Bundestag ait approuvé (le vendredi précédent) son engagement en mer Rouge et dans le golfe d'Aden pour défendre les navires de la marine marchande contre les attaques houthis dans le cadre de l'opération européenne EUNAVFOR Aspides.
Un drone inconnu s'approche de la frégate Hessen
« Un drone a été aperçu, mais il n’était pas clair s’il pouvait être dangereux » rapporte Michael Stempfle, le porte-parole du ministère de la Défense, lors du point de presse gouvernemental mercredi (28 février). « Une interrogation a été faite auprès des partenaires ou alliés déployés ». Sans réponse apparemment.
Un tir sans succès
La frégate a alors « tenté d'abattre le drone ». Sans succès... « Les deux missiles intercepteurs à longue portée Standard Missile 2 (SM2) ont raté leur cible pour des raisons techniques », selon notre confrère Thomas Wiegold de Augengeradeaus, Un heureux hasard ! Car le fameux drone inconnu était en fait un drone de surveillance de type MQ-9 Reaper américain. Le fait « que le drone n'était pas hostile n'est devenu clair que plus tard » reconnait le porte-parole du ministère.
Explication : une faute américaine ?
L'explication est technique. Le drone américain se déplaçait « à grande vitesse dans la zone opérationnelle (...) sans que le transpondeur pour l'identification ami-ennemi (IFF, Identification Friend-Foe) soit allumé et sans information des centres d'opérations alliés » explique notre confrère citant un officiel allemand. Dans une zone dans laquelle se trouvaient 15 navires marchands, donc un potentiel risque pour ceux-ci, le commandant du Hessen, a donc ordonné le tir. Si on écoute les Allemands, ce serait en quelque sorte la faute des Américains.
Comme dans le manuel
Pour le chef d'état major de la marine allemande, l'inspecteur général Jan Christian Kaack, en effet, il n'y a pas eu d'erreur. Les marins ont bien réagi, « en appliquant la procédure comme dans le manuel ». Le drone était clairement classé comme hostile. « La décision de tirer a été prise conformément aux règles convenues et après consultation du commandement », a-t-il précisé. « J'aurais agi exactement de la même manière en tant que commandant », a déclaré Kaack à l'agence de presse DPA, selon l'hebdomadaire Spiegel. Depuis « l'incident a été analysé et la faiblesse a été corrigée » précise le porte-parole du ministère.
Commentaire : une coordination à revoir
Cet incident recouvre en fait deux erreurs. La première est l'erreur d'identification du drone Reaper. D'une valeur d'environ 15 millions $, ce serait dommage s'il s'abime en mer sur une incompréhension mutuelle. L'autre, moins relevée, est l'erreur de tir. Si le drone avait été réellement hostile, ce pouvait être soit pour la frégate Hessen, soit pour les navires marchands à côté, une erreur tragique. En gros, le destin politique du ministre Boris Pistorius a tenu à un cheveu. Cette double erreur montre en tout cas que la coordination entre Alliés de l'OTAN n'est pas vraiment au top, alors que les navires s'entrainent régulièrement ensemble. Cela démontre aussi un certain amateurisme des Allemands qui découvrent le combat en mer.
Bref, tout cela n'est pas très sérieux... et va sûrement mériter, derrière les portes closes, de sérieuses explications : au sein de la marine allemande et entre alliés.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Pour soulager ses NH-90 « Caïman » et remplacer ses Alouette III ainsi que ses Lynx retirés du service en 2020, la Marine nationale décida de louer un flotte « intérimaire » d’hélicoptères auprès de prestataires privés. Un contrat fut ainsi notifié au tadem formé par DCI et Heli-Union afin de mettre en oeuvre dix Dauphin N3. Puis, un...
Cet article Le sixième et dernier hélicoptère H160FI a été livré à la Marine nationale est apparu en premier sur Zone Militaire.
En 2021, Nexter [filiale de KNDS] avait annoncé le développement du SHARD [SHardenered ARmour Defeat], une munition de nouvelle génération à « hautes performances » susceptibles d’être utilisée par le char Leclerc. Plus précisément, il s’agissait de mettre au point, dans un délai relativement court, un obus de type APFSDS [Armor-Piercing Fin Stabilized Discarding Sabot] censé établir...
Cet article Nexter a qualifié le SHARD, son nouvel obus-flèche à hautes performances destiné aux chars de combat est apparu en premier sur Zone Militaire.
En décembre 2017, à l’occasion d’une visite officielle du président Macron à Doha, le ministère qatarien de la Défense commanda douze chasseurs-bombardiers Rafale de plus pour 1,1 milliard d’euros. Mais ce contrat éclipsa la lettre d’intention qu’il avait signée en vue de se procurer 490 Véhicules blindés de combat d’infanterie [VBCI] auprès de Nexter [filiale...
Cet article La France et le Qatar vont renforcer leur coopération dans le domaine du « combat d’infanterie » est apparu en premier sur Zone Militaire.
Ce sera « l’engagement le plus sérieux d’une unité de la marine allemande depuis de nombreuses décennies », avait commenté l’amiral Jan Christian Kaack, le chef de la Deutsche Marine, au moment de l’appareillage de la frégate Hessen [classe Sachsen] du port de Wilhelmshaven, le 8 février. En effet, ce navire devait alors être engagé dans l’EUNAVFOR...
Cet article Mer Rouge : La frégate allemande Hessen a failli abattre un drone américain est apparu en premier sur Zone Militaire.
En 1991, à peine indépendante, la Moldavie fut plongée dans un conflit territorial provoqué par la sécession de la Transnistrie, l’une de ses régions majoritairement russophone et frontalière avec l’Ukraine. Les combats prirent fin un an plus tard, grâce à une médiation de la Russie. Mais en échange de la « neutralité » de cette dernière dans...
Cet article Moldavie : Les séparatistes de Transnistrie demandent la « protection » de la Russie est apparu en premier sur Zone Militaire.
Encore récemment, le ministère allemand de la Défense prévoyait de retirer ses derniers hélicoptères d’attaque et de reconnaissance Tigre en 2038. Finalement, dans un rapport publié en janvier, il a indiqué que ce retrait serait effectif en 2032. Les missions de ces appareils devraient être temporairement assurées par des H145M. En décembre, Berlin a en...
Cet article Thales va livrer 8 simulateurs de vol dans le cadre de l’achat d’hélicoptères H145M par la Bundeswehr est apparu en premier sur Zone Militaire.
Au fil du temps, les bilans annuels du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes [CDAOA] se réduisent comme peau de chagrin. Cela ne veut pas dire que l’activité opérationnelle de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] est moindre, bien au contraire… Mais que ce type de document livre désormais beaucoup moins...
Cet article Police du ciel : Les interventions de l’armée de l’Air et de l’Espace ont augmenté de plus de 170% en 2023 est apparu en premier sur Zone Militaire.
En janvier 2022, alors que les mouvements de troupes russes s’accentuaient aux abords de l’Ukraine, l’Estonie demanda à l’Allemagne d’autoriser l’envoi à Kiev de 42 obusiers D30 d’origine soviétique. Ces pièces d’artillerie avaient été récupérées par la Bundeswehr après la réunification avec la République démocratique allemande [RDA], avant d’être revendues par la suite. Seulement, Berlin...
Cet article Pour M. Lecornu, les armements air-sol modulaires seront plus utiles à Kiev que les Mirage 2000D est apparu en premier sur Zone Militaire.
(B2) Une petite phrase à l'issue d'un sommet spécial sur l'Ukraine au sortir de l'Élysée. Et l'Europe s'enflamme. Aussitôt s'enclenche une machine bien rodée, consistant à réinterpréter la parole présidentielle, à l'amoindrir. Revenons aux sources exactes. Avant de les interpréter et les expliquer.
Quel propos ? Comment les interpréter ?
Qu'a dit exactement Emmanuel Macron, dans quel contexte ?
C'était au sortir de la réunion au sommet qu'il a convoquée à l'Élysée afin de franchir un cran dans le soutien à l'Ukraine (lire : [Verbatim] Face au durcissement russe, les Européens disposés à accélérer le mouvement).
Répondant à une question d'une journaliste (de l'agence Bloomberg) qui l'interroge sur la phrase du Slovaque Robert Fico parlant de son refus d'accepter l'envoi de troupes au sol, le président français répond illico, sans hésiter : « Tout a été évoqué ce soir de manière très libre et directe. Il n'y a pas de consensus aujourd'hui pour envoyer de manière officielle, assumer et endosser des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. » Et d'ajouter : « Nous ferons tout ce qu'il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre. »
Et il justifie ensuite cette locution : « Beaucoup de gens qui disent : « jamais, jamais » aujourd'hui, étaient les mêmes qui disaient : « jamais, jamais des tanks, jamais, jamais des avions, jamais, jamais des missiles de longue portée, jamais, jamais ceci ... » il y a deux ans ». Avant de conclure : « Tout est possible si c'est utile pour atteindre notre objectif. »
Des forces au sol ?
Premièrement, chaque mot indiqué est pesé. Il ne s'agit pas d'un dérapage. Mais d'une explication claire, longue (plusieurs phrases), argumentée (but, moyens, justification). Emmanuel Macron parle bien ainsi de « troupes », « au sol », avec un objectif fixé : « que la Russie ne gagne pas la guerre ». Il n'est pas question d'envoyer quelques formateurs à l'arrière, des spécialistes de l'appui cyber, dans un coin de Kiev ou d'ailleurs (1), voire des personnels chargés de la maintenance des équipements militaires fournis aux Ukrainiens (Caesar, SAMP/T, Amx, etc.) ou de quelques officiers d'état-major ou d'agents de renseignement (2). Il n'y a pas de doute possible. Il s'agit, a priori, de forces de combat. Il le répète d'ailleurs clairement ensuite, l'objectif est bien de franchir une étape conséquente : « tout est possible si c'est utile pour atteindre notre objectif ».
Une option plus qu'un projet
Deuxièmement, on parle d'éventualité, « d'option ». Dans l'esprit d'Emmanuel Macron, c'est une idée à travailler, issue d'un brain storming : « tout a été évoqué ce soir de manière très libre et directe ». Il le précise d'ailleurs : « il n'y a pas de consensus » sur la question. On pourrait même dire : il n'y a aucun consensus. Mais a priori, pour la France, c'est une possibilité sérieuse. A la question négative, de savoir « pourquoi la France n'y est pas favorable à ce stade » il répond immédiatement par une double négation (qui est positive) : « alors je n'ai absolument pas dit que la France n'y était pas favorable ». Mais il se refuse au nom de « l'ambiguïté des débats » de dire qui est pour. « Je dis que cela a été évoqué parmi les options. » En clair, on est dans une option à travailler (en fait déjà travaillée).
Des forces d'accompagnement
Bien sûr, on peut réinterpréter les propos, comme l'a fait le ministre des Armées. Sébastien Lecornu, devant la commission Défense de l'assemblée nationale mardi (27 février), évoque ainsi plutôt une « réflexion » engagée pour « faire différemment des choses dans notre accompagnement et notre aide à l'Ukraine », avec « quelques idées autour du déminage et autour de la formation ». C'est exact. Il y a bien plusieurs réflexions engagées, notamment dans le cadre de la mission de formation de l'UE (EUMAM Ukraine) pour tenir certaines formations sur place. Elle n'est pas encore aboutie. De même, une coalition « déminage » a été constituée entre vingt Alliés (dont la France), conduite par la Lituanie et l'Islande. Et une action est déjà démarrée en trio par les Roumains, Bulgares et Turcs pour le déminage maritime (mer Noire). Mais ce n'est pas de cela auquel fait référence le président de la République.
Pourquoi un tel propos ?
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce qui n'est pas juste un « bon mot ». J'en vois six qui peuvent s'additionner.
1° Un signal stratégique plutôt qu'un coup de fusil ?
Il y a tout d'abord une volonté de répondre aux rodomontades de menace de la Russie. Le principe est de dire : nous sommes capables d'aller plus loin dans notre coopération. De la même manière que la France (et les alliés) ont déjà envoyé plusieurs signaux stratégiques à la Russie depuis le début de l'intervention militaire de 2022 : une sortie pas trop discrète de sous-marins nucléaires de l'Ile Longue, des vols d'avions de chasse bien conditionnés, des manœuvres militaires, etc. Une sorte de dissuasion morale. La terminologie « « tout est possible si c'est utile » remplit cet objectif. Ce signal politique est intéressant à condition qu'il soit pris au sérieux.
2° Une préparation de l'opinion publique ?
Pour être dissuasif, ce message doit être crédible. Pour faire la différence et peser sur le terrain, il faudrait que la France et les Européens envoient plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers d'hommes. Il faudrait aussi accepter un taux de perte notable, largement supérieur aux autres opérations extérieures (Balkans, Afghanistan, Sahel), de l'ordre de 10% à 20% des personnels envoyés. Les Français, Britanniques et Canadiens sont-ils prêts à assumer dans leurs rangs des centaines de morts et milliers de blessés ? Pas sûr. Du moins en l'état des opinions aujourd'hui.
3° Des options à travailler ?
L'envoi de troupes en nombre limité, par exemple de moniteurs (mentoring) qui accompagnent les troupes « de manière officielle » sur le terrain pourrait être possible, à terme. Idem dans le domaine maritime : il n'est pas interdit de penser à une aide de commandos marines à leurs homologues ukrainiens pour cibler la flotte russe et reconquérir la Crimée. Etc. Le point fondamental du raisonnement d'Emmanuel Macron, il ne faut pas dire « jamais, jamais ». Enfin, il pourrait être possible de déployer des forces en nombre en Moldavie, à titre bilatéral (le pays n'est pas membre de l'OTAN) afin de protéger ce territoire où les Russes ont créé une enclave militaire (la Transnistrie). Cette option fait d'ailleurs partie des « points de consensus » de la réunion. On passerait ainsi de la « planification froide » (comme diraient les militaires), c'est-à-dire toutes les idées possibles même les plus inimaginables, à de la planification chaude — des options réalistes.
4° Replacer la France dans la tête du peloton ?
Cette annonce permet concrètement à Emmanuel Macron de redorer un peu le blason terni par quelques déclarations précédentes dénonçant une OTAN en mort cérébrale en 2019 et surtout sa sortie sur la nécessité de « ne pas humilier la Russie » en juin 2022, en pleine présidence française de l'UE (lire : [Analyse] Un bon mot incompris qui laissera des traces). Ce qu'on appelle un « leurre » en termes militaires. Emmanuel Macron peut ainsi s'enorgueillir d'avoir été le premier à en parler et d'apparaitre aujourd'hui comme « un faucon ». Tous les autres pays sont obligés de dire : Non. La France apparait "premier de la classe" à moindre frais. On en oublierait presque que la France se classe aujourd'hui parmi les mauvais élèves en matière de soutien militaire à l'Ukraine (2), surclassée par le Royaume-Uni, l'Allemagne, la Pologne en chiffres nets, et plusieurs autres pays (Danemark, Pays-Bas, Suède...) en chiffres relatifs (ratio PIB ou rang militaire). Objectif réussi ! Chacun ne parle plus que de l'envoi de troupes. Opération de com' réussie. Chapeau bas l'artiste.
5° Apprendre à penser en Européens, sans l'OTAN ?
L'Alliance atlantique est la grande oubliée. Pas un seul mot d'Emmanuel Macron sur le sujet. Le président français parle d'Européens ou d'Alliés. Mais de l'organisation en tant que telle, rien, zéro, nada. Il le reconnait lui-même : « le but de la réunion » c'était de « décider en Européens ». Interrogé sur l'OTAN, le président français répond Europe. « L'Union européenne, c'est 30 % aujourd'hui de l'effort et de l'investissement militaire. » Cette guerre « est une guerre européenne ». C'est « aux Européens » de s'organiser (NB : Britanniques compris). Cela « fait partie de ce sursaut stratégique que j'évoque depuis sept ans ». Il ne faut pas « déléguer notre avenir à l'électeur américain » (une référence à une possible élection de Trump). Et d'ajouter : « Je crois dans une Europe de la défense. Je pense que c'est notre sol et notre continent. » NB : Une constante chez Emmanuel Macron qui retrouve un certain vibrato laissé de côté ces derniers temps.
6° La politique
Enfin, il ne faut pas oublier la donne électorale actuelle. La politique interne étant rarement absente dans les prises de position qu'Emmanuel Macron se plait à rendre parfois iconoclastes. En se mettant en position de chef des armées, comme l'ardent soutien de l'Ukraine, le président français point chez ses adversaires notamment le rassemblement national, mais aussi les Républicains (dans une certaine mesure) ou la France insoumise, leur « timidité » à soutenir l'Ukraine, voire une tendance russophile, faisant oublier ainsi sa propre timidité en faveur de l'Ukraine au début de l'intervention de 2022.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Des troupes non officielles bien présentes ?
Point à ne pas oublier, au passage, le président de la République confirme de manière explicite que de « manière non officielle », des troupes de plusieurs pays européens sont déjà au sol. Ce qui n'était pas tout à fait assumé depuis le début de la guerre. Par ce geste, Emmanuel Macron a ainsi franchi un pas. D'où la vigueur des dénégations dans plusieurs pays — des USA à la Suède en passant par le Royaume-Uni ou l'Allemagne. On sait aussi que la Pologne a envoyé des équipes de déminage de policiers, certes civils mais plutôt "costauds", en Ukraine en 2023.
Mis à jour avec la partie politique intérieure
Ces derniers jours, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a insisté sur le comportement « agressif » des Russes à l’égard des forces françaises, évoquant une centaine d’incidents ayant eu lieu en 2023. Incidents allant « de simples communications menaçantes à des tentatives de contrôle sur des patrouilles dans les espaces aériens et maritimes internationaux libres d’accès ». Sur...
Cet article M. Lecornu évoque des « tentatives d’aveuglement de pilotes d’hélicoptère de nos frégates » par les forces russes est apparu en premier sur Zone Militaire.
En 2019, la Direction générale de l’armement [DGA] diffusa un avis de marché en vue de se procurer entre 1500 et 6000 filets-écrans multispectraux [FEM], avec des « performances dans le domaine visible, proche infrarouge, infrarouge thermique et radar », pour le compte de l’armée de Terre. « Face aux capteurs de plus en plus performants sur le...
Cet article Le ministère des Armées commande 3000 filets de camouflage multispectral à Saab pour 20 millions d’euros est apparu en premier sur Zone Militaire.
(B2) Au début de la troisième année de l'intervention massive russe en Ukraine, quelle leçon retenir ? Quelle menace prendre en compte ? Que faire ? Quelques pistes
Première piste : garder la tête, nommer les faits
Halte au pessimisme ambiant
Il faut tout d'abord se méfier des vagues successives qui sortent autant du ressenti que de la réalité. On est passé ainsi du pessimisme total à la mi-février 2022 ("les Ukrainiens sont foutus") à un optimise béat lors de la première phase de reconquête des Ukrainiens ("quelle résilience ces Ukrainiens") à l'automne 2022, voire à l'optimisme total au lendemain de la montée sur Moscou des troupes de Wagner, devenues rebelles, en juin 2023 ("Poutine va tomber"). Puis au spleen de l'automne 2023 après l'échec de la contre-offensive ukrainienne et même à un certain défaitisme aujourd'hui avec le retrait d' Avdiivka. En partie alimenté à la fois par Kiev (pour augmenter les soutiens européens et américain) et par Moscou (bien content d'avoir une victoire à se mettre sous la dent).
Nommer la réalité : une tentative continue d'asservissement de l'Ukraine depuis 10 ans
Voir ce conflit à travers la dernière année est une erreur. La guerre en Ukraine n'a pas commencé en février 2022. Elle a débuté entre la fin février 2014, avec l'annexion de la Crimée (lire : Les troupes russes peuvent intervenir (officiellement) en Crimée) et le printemps 2014, avec la déstabilisation du Donbass puis son annexion de fait. Soit depuis dix ans ! Ne suscitant finalement qu'une très faible réaction occidentale (lire : Crimée, Ukraine. L’OTAN “extrêmement préoccupée”. Mais c’est tout).
L'intervention militaire de 2022 a le même objectif que la première : déstabiliser le gouvernement de Kiev pour le rendre dépendant de Moscou. Elle est plus massive, plus radicale, plus intensive, visant non pas seulement à déstabiliser mais éradiquer l'indépendance ukrainienne, annexer l'ensemble des territoires. La première intervention n'ayant pas eu l'effet escompté et que le Kremlin a, entre-temps, durci sa position.
Une pression militaire russe constante depuis 2008
L'attitude russe agressive récente, elle, a démarré beaucoup plus tôt, visant à repousser l'influence européenne et occidentale. Elle se manifeste dès 2008 par l'intervention militaire en Géorgie, très vite interrompue par la sécurisation des deux « républiques » séparatistes de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Sans vraiment inquiéter en Europe. Elle se poursuit en 2015 par l'intervention militaire en Syrie, réussie, aboutissant à éliminer toute influence américaine, française et britannique sur le conflit.
En 2016, les forces russes en Libye s'impliquent de façon plus active en soutien du général Haftar avec un succès plus mitigé face aux Turcs soutenant Tripoli. Mais l'objectif stratégique est atteint, les deux opposants réussissent à évincer l'influence européenne ; l'intervention de l'OTAN en 2011 a finalement servi la Russie (une sacrée revanche. L'avancée russe continue en Afrique, sous couvert des groupes privés de type Wagner tout d'abord en 2017-2018 en Centrafrique ; en 2022 au Mali, selon le même modus operandi doublé d'une coopération militaire russe officielle. Avec un échec patenté au Mozambique en 2019 (lire : Des militaires russes bientôt au Mozambique ? Les Wagner russes en embuscade). Autant de signes avant-coureurs souvent négligés.
Une Russie affaiblie ?
La trouée humaine est catastrophique : entre 200.000 Ukrainiens et plus de 300.000 Russes morts ou hors de combat, blessés compris. Elle pèse davantage sur les Ukrainiens aujourd'hui qui peinent à recompléter et renouveler leurs troupes — plus compliqué à faire dans une démocratie que dans un régime autoritaire — et à obtenir un soutien plus net des Alliés. La balle est dans le camp des Européens en effet. Mais il ne faut pas non trop surestimer la solidité du pouvoir de Poutine. Il pourrait aussi, un moment, être remis en question... Il ne faut donc pas céder à ses chantages et coup de menton.
Deuxième piste : réagir et changer le mode de réflexion
Avant tout, il faut changer la façon de penser, mais aussi d'agir et de parler. Européens et Américains n'ont pas anticipé la dureté de l'offensive russe et ont souvent eu du mal à enclencher la réaction adéquate.
Prêter attention à la gestuelle politique
Il faut se rappeler le premier geste des États-Unis. Pourtant bien informés et ayant analysé l'offensive potentielle, la première décision de Washington est début 2022 de rapatrier tous leurs diplomates, pour éviter toute prise à partie possible (prisonniers, décès, blessés) et donc toute confrontation politique. Un aveu crucial en temps de guerre qui équivaut à une marque de faiblesse, un feu vert tacite aux Russes d'y aller... Un geste en totale contradiction avec la parole publique.
Anticiper davantage
À quelques exceptions près (Britanniques, Polonais, Baltes), les Européens ont souvent eu un temps de retard sur la guerre. Rechignant à offrir la panoplie complète d'une armée en bataille (terre, air, mer), soit pour des raisons pratiques car ils n'ont pas assez de moyens disponibles (drones, munitions, défense anti-aérienne), soit pour des raisons politiques (avions, missiles moyenne-longue portée). Il s'agissait de tester la réaction russe comme de convaincre les opinons nationales. Il y a eu très peu d'anticipation de la zone de bataille suivante. Ou s'il y a eu anticipation (en termes militaires), cela n'a pas été toujours suivi d'effet.
Tenir ses engagements, être réalistes sur ses promesses
En temps de guerre, il n'est pas question de faire des promesses en l'air. Cela sera perçu par l'adversaire comme une faiblesse à utiliser. Ainsi quand on promet noir sur blanc un million de munitions en plus de ce qui est déjà livré, il faut tout faire en termes techniques et pratiques pour tenir cet engagement... ou alors ne pas promettre. Le plan munitions de l'UE conçu en 2023 était enserré dans des délais impossibles à tenir. Des diplomates et militaires européens l'avaient confié à B2 à l'époque. L'objectif était « d'abord politique », pour inciter les États à en faire plus. Mais si on arrivait à la moitié de l'objectif réel, ce serait déjà bien... Ce qui s'est passé. La preuve : les deux milliards d'euros mis sur la table pour rembourser les États n'ont été dépensés qu'à moitié (lire : [Analyse] Le semi-échec du plan européen de livraison de munitions lourdes à l’Ukraine).
Être plus réactif et imaginatif
La réactivité prime en temps de guerre. Même si le soutien militaire à Kiev est réel en nombre, en matériels, en financement, la montée en puissance reste lente : les objectifs fixés se réalisent avec un tempo d'une année de retard (lire : [Verbatim] deux millions d’obus produits... d’ici 2025 (Thierry Breton)).
L'économie de guerre marche à cloche-pied. Les Européens rechignent ainsi à donner l'ordre à leur industrie de prioriser les livraisons à l'Ukraine sur les autres exportations. La Commission européenne l'avait proposé en 2023 ; les États membres ont soigneusement biffé toutes les lignes du projet de règlement (lire : [Analyse] ASAP, plan munitions. La schizophrénie poussée à son paroxysme).
Les gouvernements hésitent à passer des commandes sur le moyen terme. Ce qui fait hésiter l'industrie à lancer de nouvelles lignes de production. Enfin, malgré leurs dires, ils se méfient toujours du cadre européen. Seuls sept États membres ont ainsi utilisé les 60 contrats-cadres négociés par l'agence européenne de défense. Or, des marges existent au niveau financier, notamment avec les revenus des avoirs russes gelés (lire : [Exclusif] Créer un fonds spécial dédié à la défense européenne ? Une idée à creuser). Pour cela, il ne faut pas hésiter à innover en termes juridiques, politiques et financiers. Et, surtout, le faire vite et agir en Européens.
Cesser une compétition interne
Enfin, le petit jeu du blame and shame : moi je donne davantage que toi doit cesser. L'effort important des Baltes et Polonais est réel. Il devrait servir d'exemple. Mais d'une part il y a une logique géopolitique et militaire au plan technique. Les stocks étaient plus nombreux et immédiatement utilisables car correspondant aux standards de matériels soviétiques en nombre dans l'armée ukrainienne. D'autre part, ce qu'oublient généralement de dire Tallinn comme Vilnius, ils ont été largement financés par les contributions des autres pays (Allemagne et France...). C'était d'ailleurs le deal de départ : vous donnez, nous finançons. La donne a changé quand ce sont des matériels occidentaux qui ont commencé à être donnés, notamment les Leopard allemands. Berlin pointant alors du doigt Paris, Madrid et Rome pour leur faible contribution. Un jeu assez stupide et néfaste.
Troisième piste : analyser clairement la menace, les menaces russes
Une menace sur le territoire de l'OTAN ?
Aujourd'hui, il n'est pas un jour sans qu'un politique ne relate une petite phrase sur la menace d'une guerre totale de la Russie. C'est sans doute nécessaire dans l'esprit de la préparation de la population. Mais il faut se méfier : cela peut aussi avoir un effet contraire, de tétaniser, de faire peur. C'est d'ailleurs la volonté des Russes et de Poutine qui ont d'abord agité la menace nucléaire (un message assez classique dans la dissuasion), puis d'un dérapage du conflit. La pression russe est régulière sur l'OTAN, via les avions, les sous-marins, les missiles, qui frôlent la frontière, jouent à cache-cache, parfois tirent en direction. Mais ce sont des avertissements qu'il faut prendre comme tel.
Quelles menaces ?
La menace russe immédiate est d'abord hybride. Il faut en avoir conscience. Cela passe par la pression via les immigrés sur la frontière finlandaise ou polonaise. C'est l'espionnage tout azimut, l'infiltration des forces politiques ou manifestations "pacifiques" ou de mécontentement. C'est la désinformation. C'est aussi cette peur insidieuse laissée par une menace russe militaire agitée régulièrement. Il faut garder son sang froid : réagir sur les menaces existantes (hybrides), soutenir à fond l'Ukraine, anticiper au maximum, mais aussi ne pas sur-réagir. Avec un risque : l'épuisement. La stratégie russe vis-à-vis des Alliés semble être la même en effet que la stratégie américaine des années 1980 sur le bouclier anti-missiles : arriver à la victoire sans combattre par épuisement de l'adversaire.
Une action russe sur les Baltes ?
Sur les pays baltes, la nature de la menace est différente. Il ne faut pas se voiler la face (1). Bribes de l'URSS qui ont (ré)arraché leur indépendance en 1991 les trois pays baltes sont menacés au premier chef par la volonté du Kremlin de retrouver la grandeur perdue. La forte minorité russe dans certains pays (Lettonie surtout), la faible profondeur territoriale, l'enclave de Kaliningrad, la proximité de St-Petersbourg... sont autant de moyens russes de pression, pour une pénétration hybride d'abord, voire plus franche en cas d'absence de réaction. Les préventions de l'après 1989 n'ont plus lieu d'être aujourd'hui. On peut donc penser bases militaires permanentes OTAN (elles sont déjà là), voire présence nucléaire à titre dissuasif. Il faut changer de braquet.
(Nicolas Gros-Verheyde)
L'intervention terrestre ?
L'option terrestre est aujourd'hui exclue pour les Européens. En revanche, il n'est pas interdit de réfléchir à des interventions localisées. L'enclave russe de Transnistrie en Moldavie est un point clé pour cette réflexion. Constituée de forces russes, pas automatiquement les plus performantes, elle peut être une menace de prise en tenailles si la Russie s'aventurait vers Odessa. Une opération moldavo-ukrainienne soutenue par les Américains et Européens n'est pas à exclure totalement. Le risque est notable. Mais il est mesurable. Et le message passé aux Russes serait clair : dent pour dent. Histoire de renverser l'équilibre de la force.
Mis à jour avec changement de la photo