(B2) Berlin insiste régulièrement sur un point souvent oublié dans la rhétorique sur l’armée européenne : la mise en place d’un « Conseil de sécurité de l’UE ». Un point qui mérite un peu d’attention
(crédit : MOD portugais)
Avec mes amis de ‘La faute à l’Europe‘ (J. Quatremer, Y. A. Noguès, K. Landaburu, H. Beaudoin), qui reçoivent ce week-end Michèle Alliot Marie, alias MAM, l’ancienne ministre de la Défense (sous Jacques Chirac) et ministre des Affaires étrangères (sous Nicolas Sarkozy), nous parlons ‘défense’, ‘Europe puissance’ et notamment de ce Conseil de sécurité européen (video).
@bruxelles2 pèse le pour et le contre d’un Conseil de sécurité européen à l’image de @ONU_fr pic.twitter.com/JfbkGh4Kot
— la faute à l’Europe? (@lafautealeurope) 16 février 2019
Une proposition franco-allemande
Cette proposition ne nait pas de nulle part. Elle figurait en dernier lieu dans la déclaration de Meseberg adoptée par les deux dirigeants Emmanuel Macron et Angela Merkel en juin 2018. L’objectif est d’avoir un « débat européen dans de nouveaux formats » et « d’accroitre la rapidité et l’efficacité de la prise de décision de l’Union européenne [en matière] de politique étrangère » (lire : Défense, Sécurité, Migrations, Développement, l’accord franco-allemand de Meseberg).
Une explication merkelienne
Au Parlement européen, en novembre 2018, la chancelière Angela Merkel souligne l’importance d’« une enceinte au sein de laquelle des décisions importantes pourront êtres prises », avec une « présidence tournante » (lire : « Une armée (européenne) montrerait au monde qu’entre (nous) il n’y aurait plus de guerre » (Angela Merkel). Le format serait limité précise-t-on du côté allemand : « un petit cercle d’États se relayant et représentant l’ensemble de l’UE [pour] travailler plus promptement et intensément au règlement des crises en cours. » (1)
Une certaine réserve française
Du côté français, on ne peut pas dire que le projet suscite une grande mobilisation. A l’Élysée, la prudence est de règle : « C’est une idée [de] la Chancelière. Ce pourrait être une proposition commune, mais cela mérite encore [d’être travaillée] » lâche en ‘off’ un Élyséen, à quelques journalistes (dont B2) en novembre 2018. Et d’ajouter : « Nous n’avons pas de détails proposés par le gouvernement allemand : est-ce un forum pour discuter ou pour décider des questions de politiques étrangère ? Ce n’est pas encore une position qui est mûrie. » (3)
Une idée mal perçue dans les milieux européens
Dans les couloirs européens, cette idée est à peine commentée. « Je suis un peu sceptique sur la création d’une nouvelle structure. Est-elle vraiment nécessaire. N’a-t-on pas déjà pas assez de structures » s’interroge un bon connaisseur des questions sécuritaires interrogé par B2, résumant assez bien le sentiment à Bruxelles, perplexe et qui a, à peine, réfléchi sur l’idée.
Un vide béant de réflexion stratégique
Cette proposition répond pourtant à un réel besoin. L’Union européenne souffre aujourd’hui d’un vide béant d’absence de direction politique au plus haut niveau, d’anticipation stratégique et de réactivité en cas de crise majeure. Parler d’autonomie stratégique ou de réflexion sans avoir une instance capable de décider est un leurre.
Des leaders européens absents collectivement
Certes, en théorie, le Conseil européen doit se pencher une fois par an au minimum sur les grandes questions de sécurité. Mais cette disposition du Traité de Lisbonne est restée plutôt lettre morte. Force est de constater que ces dernières années, sur toutes les crises majeures — Libye, Syrie, Irak, Ukraine, crise migratoire, coup d’état en Turquie, etc. — les Chefs d’État et de gouvernement européens, collectivement, ont été ‘à la ramasse’.
Un manque d’anticipation certain
Pour en attester, il suffit de reprendre la liste des crises récentes. Les 28 ont-ils à la veille de signer l’accord d’association avec l’Ukraine clairement évaluer les conséquences de cet acte sur les relations avec la Russie, donner leur accord en bonne et due forme ? Ont-ils planifié un dispositif de gestion de crise soit diplomatique, soit militaire en cas d’intervention russe (largement prévisible) ? Lors de la déroute du printemps arabe en Syrie, ont-ils anticipé la crise des réfugiés et des migrants à venir ? Après l’intervention franco-britannique en Libye, qui laisse un pays déchiré et un État failli, ont-ils envisagé et débattu de la solution à apporter à la crise, en commençant par résoudre leurs différents ? Lors du coup d’état en Turquie, y-t-a-il une réunion de crise par rapport à un pays le plus proche ? Non, non !
Des questions posées trop vite abordées
Au mieux, les ‘Leaders’ ont discuté une ou deux heures pour s’accorder sur les traitements collatéraux de la crise (rupture des liens diplomatiques, aide humanitaire, sanctions…). La plus longue discussion dans ces dernières années a été consacrée à définir l’intensité des sanctions mises en place sur la Russie. Mais rarement pour tenter de résoudre leurs différends, trouver des solutions ou bâtir des feuilles de route. Au pire, ils ont préféré ne pas trop se pencher sur la question.
Une réforme facile à mettre en place
Si l’on met de côté certains aspects proposés par A. Merkel, avoir un conseil de sécurité de l’Union européenne est possible dans le cadre existant.
Pas de modification de traité
Ce projet ne nécessite pas de modification des traités constitutifs. Il suffit juste de changer les usages. On peut décider (par exemple) de consacrer une demi-journée lors de chaque Conseil européen aux grandes questions internationales ou (autre exemple) dédier une de ses quatre réunions annuelles aux questions internationales. Il serait même possible de tenir une ou deux fois par an un Conseil européen informel dans un pays tournant (permettant à un chef de gouvernement de coprésider la réunion).
Juste changer les usages
Rien n’empêche d’ailleurs quelques pays plus proches en matière d’approche sécuritaire — France, Allemagne, Belgique, Espagne, Italie — de tenir régulièrement des conciliabules préparatoires à l’image des réunions G6 des ministres de l’Intérieur (un petit cercle conjoint). Rien n’empêche aussi de joindre à ces réunions des Chefs, une réunion parallèle des ministres de la Défense ou des Affaires étrangères, voire des ambassadeurs, pour mettre en musique immédiatement les mesures décidées par les Chefs. Toutes ces dispositions, tout à fait possibles dans les traités existants, permettraient de se rapprocher du modèle prôné par A. Merkel.
Un dispositif diplomatique et technique prêt à répondre
Au-dessous du niveau politique, le dispositif européen en cas de crise est plutôt complet et prêt à travailler. On a ainsi des ambassadeurs des 28 (le Comité politique et de sécurité), qui siègent en permanence à Bruxelles, avec au minimum deux réunions par semaine (sans compter les petits déjeuners, gouters et autres diners informels) permettant d’échanger et affiner des positions communes. En cas d’urgence, une réunion du COPS peut être improvisée. Ces diplomates, discrets mais parfaits connaisseurs de leurs sujets, sont tenus d’être là, 24h/24 sur le pont. J’en ai été témoin à plusieurs reprises. Des réunions ont eu lieu le dimanche, au mois d’août, à 6 heures du matin ou à 22 heures le soir.
Un dispositif de veille et d’analyse
On a aussi un dispositif de veille du renseignement (l’IntCen) (dirigé aujourd’hui par un Allemand ancien des services de renseignement) qui produit régulièrement des notes d’analyses. Ces notes — environ 1400 par an — sont plutôt bien appréciées de leurs destinataires, selon mes informations. On peut ajouter à cela des dispositifs de réaction de crise — cellule de protection civile à la Commission européenne, état-major militaire de l’UE (EUMS), commandement des missions civiles (CPCC) etc. — qui existent et ne demandent qu’à produire des résultats. Tous ces dispositifs peuvent au besoin être renforcés et rendus plus performants.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) Les deux ministres des Affaires étrangères, allemand Heiko Maas et français Jean-Yves Le Drian viennent de signer conjointement une tribune publiée originalement dans le Süddeutsche Zeitung à l’occasion de la conférence de Munich sur la sécurité
Heiko Maas et Jean-Yves Le Drian, à Paris le 16 octobre 2018 (crédit : MAE France)
Une des crises les plus graves depuis 1945
Le système multilatéral tel qu’il a été conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale traverse ce qui est sans doute l’une des crises les plus graves de son existence. L’idée qu’un système international fondé sur des règles est le meilleur garant de notre sécurité et de notre prospérité n’est plus évidente pour tous. La confiance dans la coopération internationale, la recherche de solutions communes, des institutions solides et efficaces, tout cela s’érode aujourd’hui et menace de nous ramener à un « monde d’hier ». Cette année encore, lors de la 55ème Conférence de Munich sur la sécurité, la situation critique dans laquelle se trouve le multilatéralisme dominera les discussions.
Des pressions massives en cours
L’ordre international est soumis à des pressions massives. Certains acteurs misent de manière accrue sur la politique de puissance, minent l’idée d’un ordre fondé sur des règles pour pouvoir faire jouer la loi du plus fort à leur profit. Dans le même temps, dans de nombreuses sociétés, y compris du monde occidental, des critiques se font jour quant à l’apparente inefficacité de la coopération internationale. De plus en plus de voix s’élèvent selon lesquelles il conviendrait de rejeter la coopération multilatérale au motif qu’elle serait trop coûteuse et de faire comme si les problèmes mondiaux tels que le changement climatique, les migrations et la cybersécurité pouvaient être traités à l’intérieur des frontières nationales. La concurrence entre grandes puissances et la montée des nationalismes entraînent un éclatement accru de l’ordre mondial sur les plans politique, économique et sociétal.
Allemagne et France pionnières
Afin de contrer cette tendance, les États partageant les mêmes vues doivent entreprendre des actions communes et renforcer leur engagement en faveur du multilatéralisme. La France et l’Allemagne entendent être pionnières en la matière. De concert avec nos partenaires européens, nous misons sur la coopération multilatérale et sur un ordre mondial fondé sur des règles. Nous sommes convaincus qu’un engagement renouvelé en faveur du multilatéralisme, une alliance pour le multilatéralisme, est plus que jamais nécessaire pour stabiliser l’ordre mondial fondé sur des règles, en préserver les principes et l’adapter à de nouveaux défis si nécessaire. C’est pourquoi nous voulons, avec des partenaires du monde entier, constituer un réseau d’acteurs partageant les mêmes vues et guidés par le même souci de concilier leurs intérêts nationaux et la défense des biens communs de l’humanité.
Protéger les normes jusqu’aux accords de contrôle de armements
Nous devons protéger les normes, accords et institutions internationaux lorsqu’ils sont soumis à des pressions, que leur existence ou leur financement est menacé. Sont notamment concernés le droit international, ainsi que les droits de l’Homme et le droit humanitaire international, qui subissent chaque jour des violations dans le monde entier, exacerbant les conflits à l’intérieur des États et entre États. Cela implique que nous nous engagions en faveur d’un commerce libre et équitable et que nous mettions tout en œuvre pour préserver les avancées diplomatiques significatives telles que l’accord sur le nucléaire iranien, les accords sur la lutte contre le changement climatique ou les régimes de contrôle des armements.
Une réponse multilatérale aux cyberattaques
Nous devons également faire preuve d’un engagement et d’une détermination accrus là où une régulation politique est nécessaire et où les défis nouveaux exigent une réponse commune. Cela vaut en particulier pour les crises régionales et les nouveaux mécanismes de coopération en matière de sécurité. À l’ère du numérique, nous nous engageons pour une régulation appropriée qui concilie respect de la vie privée, préoccupations liées à la sécurité et défense des libertés individuelles. Et nous entendons formuler des réponses multilatérales efficaces aux cyberattaques et aux manipulations malveillantes de l’information.
Un multilatéralisme plus représentatif et plus efficace
Sans aucun doute, le système multilatéral actuel n’est pas parfait. Il n’est pas toujours en mesure de trouver les réponses adaptées aux innombrables défis à relever. Ceux qui, comme nous, défendent le multilatéralisme doivent également veiller à ce que celui-ci soit plus efficace, plus représentatif et plus réactif. L’ordre politique et économique mondial doit devenir plus inclusif et plus efficace afin d’apporter aux citoyennes et citoyens du monde entier des résultats plus tangibles.
Constituer un réseau d’États engagés
Les défis sont gigantesques. Il n’y a pas une solution unique. Au contraire, il importe de constituer des réseaux flexibles d’États engagés qui, grâce à une géométrie variable et à la diversité des participants, produiront le maximum d’effets. Des coalitions d’États partageant les mêmes vues devraient se former en fonction des thématiques afin d’obtenir des résultats politiques concrets. La participation à ce réseau pour le multilatéralisme n’est pas exclusive mais elle vise à contribuer de façon engagée et durable aux objectifs de l’Alliance pour le multilatéralisme.
Le rôle pivot du franco-allemand
La France et l’Allemagne sont prêtes, de concert avec d’autres partenaires partageant leurs vues, à jouer le rôle de moteur et de pivot pour ce réseau. Au cours des deux prochaines années, Paris et Berlin utiliseront la présence de l’Allemagne au Conseil de sécurité comme membre élu en 2019 et 2020 comme une occasion de travailler ensemble au renforcement du multilatéralisme, en particulier à l’occasion de nos présidences successives du Conseil de sécurité des Nations Unies à New York en mars et avril prochains.
L’ADN de l’Union européenne
À cet égard, nos partenaires européens et les institutions européennes jouent un rôle clé. L’Union européenne est une pièce maîtresse du système multilatéral. Le compromis et la recherche du juste équilibre entre positions diverses sont inscrits au plus profond de son ADN. Nous, Européens, sommes donc un partenaire fiable pour ceux qui entendent préserver un ordre fondé sur des règles et qui sont disposés pour cela à endosser davantage de responsabilité. Nous constatons partout dans le monde une forte volonté d’œuvrer en ce sens. Il est grand temps de resserrer nos liens et de bâtir un réseau solide et engagé permettant de préserver la diplomatie multilatérale des fausses promesses d’une action purement nationale, ainsi que d’une politique de puissance débridée.
Qui le fera, sinon nous ? Et quand, si ce n’est maintenant ?
* * *
traduction officielle – intertitres de la rédaction
(B2 à Strasbourg) À quelques semaines des élections européennes, certains eurodéputés ont commencé leurs adieux. C’est le cas de l’eurodéputé Alain Lamassoure, qui a tenu mardi (12 février), après le vote de son « dernier rapport (1) après 27 ans passés au Parlement », à délivrer un petit mot à ses collègues réunis en plénière.
Séance de votes, session plénière du 12 février 2019 © Parlement européen
A l’ouest du rideau de fer
« En 1989, je suis entré ici dans ce qui était un forum politique limité à une partie de l’Europe, à l’ouest du rideau de fer. Le Parlement que je vais quitter est un vrai Parlement vraiment européen ayant une capacité législative. (…) Grâce vous, chers collègues, j’ai appris que l’écoute, le dialogue, le respect mutuel, la recherche du compromis, l’obsession de l’intérêt commun étaient bien plus efficaces que l’affrontement systématique qui caractérise trop souvent nos débats nationaux. Beaucoup de nos Parlements nationaux ainsi qu’un prestigieux capitole auraient un certain nombre de leçons à prendre ici » a indiqué l’eurodéputé du sud-ouest (2). Une ovation debout (standing ovation) des députés l’a salué… A juste titre !
(Emmanuelle Stroesser)
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