(B2) A l’heure où le casse-tête du Brexit résonne dans toutes les têtes, s’intéresser aux possibles têtes de l’Europe demain, parait illusoire. « Il est beaucoup trop tôt » m’ont ainsi confié plusieurs acteurs, diplomates et observateurs patentés de la scène européenne, que j’interrogeais…
Donald Tusk au Conseil européen comme Jean-Claude Juncker à la Commission européenne vont quitter la scène européenne. Qui pour les remplacer ? (crédit : Conseil de l’UE)
Et, pourtant… tout le monde y pense ! D’ici juin ou juillet 2019, au plus tard, il faudra en effet avoir choisi un président de la Commission européenne. Ce qui va enclencher en cascade le choix des autres têtes européennes, à commencer par son alter ego, le président du Conseil européen, le ou les présidents du Parlement européen, ainsi que le Haut représentant de l’UE pour la politique étrangère (1).
A la Commission européenne
Le prétendant officiel est Manfred Weber, candidat du parti populaire européen, il revendique, si son parti arrive en tête lors des élections européennes (comme cela semble être toujours le cas dans les sondages), de présider la Commission européenne. Un destin logique qui se heurte à trois problématiques : certains membres du Conseil européen ne semblent pas décidés à promouvoir ce système des SpitzenKandidat, l’homme qui a certaines qualités ne correspond pas aux critères non écrits à ce poste ; il est le représentant d’un parti, ce qui peut entraîner certains clivages au moment du vote au Parlement européen (lire : Que cache la candidature de Manfred Weber à la Commission ?). Son destin naturel le conduirait donc plutôt à briguer la présidence du Parlement européen.
Le challenger possible est le Français Michel Barnier qui a pour lui de nombreux avantages, un profil bien connu des chefs d’Etat et de gouvernement, comme du Parlement européen, des amitiés et des réseaux qui vont au-delà de sa chapelle politique, un vrai profil européen comme on les aime à Bruxelles (lire : Michel Barnier à la présidence de la Commission européenne ?). Encore faut-il que Emmanuel Macron, seul décideur en son âme et conscience en matière de poste à la Commission européenne le veuille. Si la France ‘veut le poste’, « il sera difficile de lui refuser » indique un fin observateur consulté par B2.
La candidature de Margrethe Vestager, un temps évoquée (surtout par quelques éléments de La république en marche), semble peu réaliste… aujourd’hui. La Danoise n’a pas vraiment le soutien de son gouvernement, premier critère pour ce poste. Elle a les handicaps de son pays, qui ne participe pas à toutes les politiques européennes. Enfin, elle n’appartient pas au parti majoritaire (PPE) au plan européen, puisqu’elle émarge au parti social-libéral danois (RV). Rideau… Lire : La fin du rêve Vestager à la tête de la Commission 2019 ?
La présidence du Conseil européen
Au Conseil européen, c’est le nom de Mark Rutte, qui revient régulièrement comme une antienne. Le Premier ministre néerlandais (Libéral) pourrait reprendre le rôle d’intercesseur et de modérateur des chefs d’Etat et de gouvernement. Encore faut-il qu’il veuille quitter son poste national… et que les autres chefs d’État et de gouvernement le veuillent. Le rôle de père fouettard des Pays-Bas que ce soit dans la crise monétaire sur le rôle de l’Euro ‘fort’ ou vis-à-vis des pays d’Europe de l’Est, en indélicatesse avec certains chapitres de l’Etat de droit, et son positionnement pour le moins adepte du moindre engagement européen, pourrait l’exposer à quelques vetos ‘clairs’ ou discrets, l’empêchant toute candidature. Chances : 1 sur 4.
Un challenger possible est la Lituanienne Dalia Grybauskaite (-). Adepte du franc parler, bonne connaisseuse de certains dossiers européens — elle a géré le portefeuille de l’Agriculture —, elle a quelques avantages : être une femme, représenter l’Europe de l’Est, et ne pas être encartée dans un parti politique. Même si elle n’est pas très éloignée des chrétiens-démocrates, elle a souvent dû gouverner en cohabitation avec un gouvernement formé de sociaux-démocrates, paysans et verts. Quoi de plus éclectique. De plus, elle est disponible, car son mandat de président (non renouvelable) se termine en mai. D’une certaine façon, elle incarnerait une certaine continuité avec Donald Tusk. Adepte du franc-parler, elle a toujours le mot juste quand elle arrive dans les réunions du Conseil européen. Ce qui l’assure d’une certaine célébrité dans la presse. Encore faut-il qu’elle veuille. Aux dernières nouvelles, l’intéressée a dénié être candidate. Mais ce genre de déni cède rapidement. Score : 2 sur 4.
Autre candidat possible, le Finlandais Juha Sipilä du parti du centre (Kesk / ALDE) pourrait se retrouver rapidement disponible si son parti subit une défaite aux législatives. Il a l’avantage de venir d’un pays ‘modeste’, situé aux confins de la Russie, donc bien averti des risques et des menaces de la nouvelle configuration à Moscou, d’être membre de l’Euro et d’avoir joué un rôle non négligeable et positif dans la crise migratoire. Il est bien vu à Paris comme à Berlin, ce qui n’est pas un désavantage. Il est discret, mais très présent dans les jeux européens. Score : 2 sur 4.
Enfin, le Belge Charles Michel (Libéral / ALDE) pointe le bout de son nez dans la sphère européenne, en ‘roue de secours’ d’une possible non reconduction à la tête du gouvernement belge après les élections générales de mai prochaine. L’article du quotidien Le Soir le mentionne expressément. Même si le Premier ministre belge n’a pas jusqu’à présent montré d’appétence spécifique pour les dossiers européens, il s’y montre plus intéressé que son prédécesseur Elio di Rupo. Si on peut avoir du mal à y croire, il faut toujours se méfier des Belges quand leurs yeux frétillent. Ils n’ont pas leur pareil pour arriver à leurs fins (cf. le précédent de Herman Van Rompuy). Score : 1 sur 4.
Le poste de chef de la diplomatie européenne
Comme haut représentant de l’UE, c’est l’inconnue totale. Les potentiels candidats pour succéder à Federica Mogherini au poste de Haut représentant le 1er novembre prochain ne se bousculent plus vraiment au ‘portillon’. Pour plusieurs ‘grands’ pays (France, Italie, Pays-Bas…), le poste n’a pas vraiment d’intérêt, car le Haut représentant est trop occupé par les affaires étrangères, et peu disponible sur les sujets ‘économiques’ ou de politique intérieure, compétences primaires de la Commission européenne. B2 a fait le tour des candidats potentiels ou éventuels, dans un papier soupesant les avantages et handicaps de chacun (lire : Commission 2019. Les candidats au poste de Haut représentant ne se bousculent pas. Six noms possibles et éventuels ?).
L’actuelle ministre allemande Ursula von der Leyen (CDU/PPE) a fait son temps à la tête de la Défense allemande. Et celle qui a été, un temps, perçue comme une possible rivale de Angela Merkel n’a plus d’espoir de ce côté-là. Un nouvel avenir européen lui permettrait de rebondir sur un terrain, les affaires européennes, où elle est à l’aise et a obtenu certains résultats. Le Slovaque Miroslav Lajcak (S&D) ne dédaignerait pas non plus revenir dans la sphère européenne après son mandat à la présidence de l’OSCE. Mais le champ d’action plus limité de la diplomatie slovaque lui ouvrirait davantage le poste d’un commissaire / haut représentant adjoint, chargé de l’élargissement et du voisinage. Un candidat espagnol pourrait aussi faire irruption, Josep Borrell (S&D) le cas échéant. Mais son âge pourrait être un sérieux handicap. Et un autre / ou une autre espagnole pourrait être choisie. Ce qui correspond à la volonté de Madrid de s’imposer sur la scène diplomatique.
Quelques challengers ont été évoqués. Mais ils ne remplissent pas vraiment tous les critères. C’est le cas du SpitzenKandidat social-démocrate, Frans Timmermans qui a le même handicap que M. Vestager : il n’est pas soutenu par son gouvernement. Le Belge Didier Reynders (Libéral) aurait pu être un excellent Haut représentant. Mais il a annoncé cette candidature pour le poste de secrétaire général au Conseil de l’Europe. La Suédoise Margot Wallström (S&D) aurait pu également se profiler. Elle remplit une bonne partie des critères (expérimentée, sociale-démocrate et femme). Mais, comme pour Josep Borrell, son âge pourrait être un handicap. Sauf à reprofiler le poste de haut représentant dans une dimension plus politique et moins coureur du globe. Sujet à suivre…
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire notre dossier N°67. Elections européennes 2019
Les éditeurs de presse indépendants se déclarent ouverts au principe d’un Conseil de déontologie de la presse. Cependant, ils considèrent que ce Conseil ne peut être une initiative des pouvoirs publics, et que les conditions ne sont pas réunies pour une réflexion sereine sur le sujet, vient d’indiquer ce lundi (11 février) le Syndicat de la presse indépendante en ligne dont est membre B2
Les 185 éditeurs adhérents du Syndicat de la presse indépendante en ligne (Spiil) considèrent que seule une haute exigence déontologique permet de développer une presse indépendante. Le journalisme professionnel se distingue des autres contenus par son respect de règles déontologiques strictes. Pour cela, depuis 10 ans, le Spiil et ses adhérents œuvrent à augmenter le niveau des pratiques déontologiques, non seulement propres aux journalistes, mais surtout aux éditeurs de presse. Citons le combat pour la transparence des aides, le guide des bonnes pratiques du Spiil, ou encore le soutien à la création de chartes de déontologie ambitieuses.
La création d’un Conseil de déontologie pourrait, dans certaines conditions, être bénéfique pour tous. Cela est observé dans de nombreux pays, et participe d’une légitime discussion entre éditeurs, journalistes et lecteurs. Un tel conseil pourrait permettre de limiter des dérives, qui existent dans notre secteur, d’encourager les bonnes pratiques et d’améliorer la compréhension par le public des métiers liés à la production d’information. Une réflexion est engagée au sein du Spiil sur les intérêts et dangers d’un tel conseil.
Cependant, les conditions politiques ne sont actuellement pas réunies pour une discussion sereine sur le sujet. Comment pourrait-on ignorer les récentes déclarations du chef de l’État : “Le bien public, c’est l’information. (…) Il faut s’assurer qu’elle est neutre, financer des structures qui assurent la neutralité.” Selon la Constitution, l’Etat est garant du pluralisme de l’information. En aucun cas de sa “neutralité”. Sauf à penser qu’il n’y aurait plus de place pour une presse d’opinion, essence même de l’expression démocratique. Que le président de la République en exercice évoque publiquement un mécanisme par lequel l’État financerait une structure qui assurerait “la neutralité de l’information” interroge sur l’objectif réel de la mission confiée par le gouvernement à un haut fonctionnaire, ancien PDG de l’AFP, Emmanuel Hoog, pour créer un Conseil de déontologie de la presse.
Ces réflexions présidentielles, exprimées lors d’une rencontre avec des journalistes à l’Élysée, interviennent après l’adoption de deux projets de loi qui ont pour effet de limiter la liberté de la presse. La première sur les fausses nouvelles, adoptée en 2018 sur une initiative du Président de la République. La deuxième sur la protection du secret des affaires, qui empiète dangereusement la loi de 1881 sur la liberté de la presse et a déjà été utilisée contre des journalistes depuis, confirmant les craintes exprimées. À ces deux actes législatifs s’ajoute la récente tentative de perquisition des locaux de Mediapart, membre fondateur du Spiil, en violation du droit de la presse car cherchant à porter atteinte au secret des sources.
À ces deux actes législatifs s’ajoute la récente tentative de perquisition des locaux de Mediapart, membre fondateur du Spiil, en violation du droit de la presse car cherchant à porter atteinte au secret des sources. Enfin, le Spiil estime qu’il n’appartient pas à l’État de susciter la création d’une instance d’autorégulation de la presse. Un Conseil né sous de tels auspices n’aura jamais la légitimité nécessaire. Seule une réflexion sereine issue de la profession elle-même et non du pouvoir politique permettrait d’envisager les contours d’un Conseil de déontologie ambitieux. C’est seulement de cette manière que ce Conseil pourra être au service d’une information libre et indépendante.
(Le Spiil)
(B2) Un déluge de critiques – souvent excessives et déplacées – s’est abattu sur la Commission à la suite de sa décision (prévisible depuis plusieurs semaines) de refuser d’autoriser la fusion des activités des sociétés Alstom et Siemens en matière de matériel et de services de transport. A tort estime notre chroniqueur Jean-Guy Giraud
(crédit : Alstom)
« Une honte », « un mauvais coup », « une faute économique et politique », « un aveuglement historique »… Cette surenchère d’accusations — fort peu documentées — ont même émané d’autorités publiques, principalement françaises. Le Ministre français de l’Économie y a largement participé, après avoir très inhabituellement tenté de faire pression sur la Commission lors de son examen du dossier (1).
Une instruction solide
Peu de place a été laissée aux arguments de la Commission qui apparaissent pourtant techniquement et juridiquement solides, voire imparables – ainsi qu’en témoigne son communiqué dont la lecture est plus éclairante que les critiques sommaires évoquées.Quelques éléments de contexte
Premièrement, les refus de fusion de sociétés (ou de certaines activités) par la Commission sont exceptionnels (6 cas sur 3000 dossiers en dix ans). En cas (rare) de difficultés, les entreprises concernées acceptent le plus souvent de modifier leur projet ou y renoncent d’elles mêmes au cours de l’instruction,
Deuxièmement, l’expertise et la qualité de l’instruction des dossiers par la Commission sont généralement reconnues comme indépendantes et bien supérieures à celles de toute autre organisme public ou privé,
Troisièmement le mandat de la Commission n’est effectivement pas de promouvoir l’émergence de ‘champions européens‘ – mais de préserver l’”intérêt général” , en l’occurrence le maintien de conditions de concurrence protectrices des autres entreprises et de l’intérêt des consommateurs,
Quatrièmement, dans l’exercice de cette mission, la Commission est tenue au respect du droit (traité et règlements) sous le contrôle éventuel de la Cour de Justice européenne,
Cinquièmement, au-delà d’opérations de fusion, la compétitivité des entreprises européennes dépend surtout de leur capacité propre à s’adapter à l’évolution technologique et à tirer partie de l’ouverture du marché européen – ouverture parfois restreinte par les autorités nationales.Un projet contestable
De même, on peut s’interroger sur l’attitude des deux sociétés concernées ainsi que sur la nature réelle de leur projet. Leurs réponses aux objections de la Commission ont été à la fois tardives, insuffisantes, réticentes et lacunaires si bien qu’un réel dialogue avec la Commission s’est avéré difficile.
L’objectif affiché de création d’un ‘champion européen‘ face au ‘champion chinois’ est apparue plus comme un affichage que comme un véritable projet industriel. Des considérations sous-jacentes de nature purement financière semblent avoir aussi (surtout ?) motivé ce projet.
Les sociétés Alstom et Siemens se caractérisent par des historiques respectifs extraordinairement mouvementés de fusions-ventes-acquisitions successives et croisées jusque dans un passé récent – ainsi que d’interventions étatiques récurrentes (pour Alstom) et d’épisodes judiciaires (pour Siemens).
Le renoncement brusque et total des deux sociétés à leur projet de fusion (ainsi que, semble-t-il, à tout recours juridictionnel contre la décision de la Commission) semble traduire un certain manque de conviction sur le réalisme de ce montage, sur son bien-fondé industriel et sur son importance réelle pour le développement de chacune d’elles.
Une analyse a posteriori plus approfondie de cet épisode permettra sans doute de mettre en lumière certains éléments jusqu’ici occultés par la polémique superficielle du moment.
Une remise en cause de la politique de concurrenceIl est regrettable que cette affaire soit l’occasion d’une remise en cause générale de la politique de concurrence par certains gouvernements – notamment français mais aussi (plus modérément) allemand.
Le ministre français de l’Économie (Bruno Le Maire) a accompagné sa critique frontale de la Commission d’une proposition drastique de modification des règles en vigueur. Estimant que « le rôle de la Commission et des Institutions européennes est de défendre les intérêts économiques et industriels de l’UE”, il a plaidé en faveur de “la possibilité pour un État de passer outre à un refus de la Commission en invoquant des intérêts industriels généraux au delà des considérations relatives à la protection de la concurrence et des consommateurs”.L’Allemagne semble s’être ralliée, plus modérément, à de futures propositions visant au “développement de la politique de concurrence de l’UE”.
Il n’est pas certain que le cas concerné constitue une base opportune pour une telle remise en cause – ni que son timing soit optimal à la veille des élections européennes.Une adaptation, malgré tout, nécessaire des règles de concurrence
Mais il faut toutefois reconnaitre que l’évolution brutale et désordonnée de la compétition économique, financière et commerciale au niveau international nécessite une adaptation des moyens de défense européens ainsi que – parmi ceux-ci, de la politique de concurrence. Ce débat n’est pas nouveau : c’est celui de l’équilibre à trouver entre une politique industrielle volontariste et une politique de concurrence protectrice (2).
La Commission en est bien consciente: c’est à elle qu’il appartient, en toute sérénité, de présenter les propositions législatives nécessaires, lesquelles ne sauraient modifier l’équilibre général – et notamment institutionnel – d’un système qui, de l’avis général, est un des plus performants parmi les pays industrialisés.
Une remarque in fine : il est louable que, face à deux géants industriels soutenus par les deux principaux États membres, le bras de Margrethe Vestager [la commissaire à la Concurrence] — même doté de l’arme du droit — n’ait pas tremblé. Lorsque seront connus tous les “détails” de cette affaire, il lui sera sans doute rendu raison – peut-être même en temps utile avant la nomination de la nouvelle Commission …(Jean-Guy Giraud)
(B2) Dix portraits de chefs d’État face à la guerre. De Napoléon III à Jacques Chirac, en passant par Lincoln, Clemenceau, Churchill, Staline, Hitler, Ben Gourion, Lyndon B. Johnson et Mitterrand, le général Bentegeat revisite les façons dont ces responsables ont abordé, ou dû supporter la guerre.
Pas d’emphase ni de complexité tortueuse dans ces dix portraits. Le général réussit à nous faire pénétrer au cœur de la décision, en resituant celle-ci dans le contexte historique mais aussi humain. Les motifs se mêlent : protéger les peuples (au nom de la nation ou de l’idéal humanitaire), assouvir un rêve de grandeur ou promouvoir un rêve personnel.
Les portraits sont enlevés, aisés à lire. On s’y croirait presque, à un moment, dans l’alcôve du pouvoir. Mais l’ancien chef d’état-major particulier de Jacques Chirac (de 2002 à 2006) puis chef d’état-major des armées de 2002 à 2006, avant d’être président du comité militaire de l’UE, n’oublie pas certaines précisions utiles, apportées au gré des notes ou des apartés. Ce qui permet d’en apprendre tout autant parfois que de grands livres de stratégie.
Les spécialistes de la ‘chose’ européenne apprécieront ainsi l’apport de Jacques Chirac à l’Europe de la défense, sans doute plus concret que ne l’a fait François Mitterand qui était surtout resté à la fois dans une dynamique onusienne et dans une symbolique franco-allemande.
• Editions Perrin, Paris, janvier 2019, 550 pages, 25 euros
(B2) Le rappel d’ambassadeurs est devenu l’expression régulière du mécontentement diplomatique, y compris entre États membres. Dans ces dernières années, on dénombre au moins trois rappels d’ambassadeurs
Préparation du 14 juillet (crédit : ambassade de France en Italie)
En août 2017, la Hongrie rappelle son ambassadeur aux Pays-Bas pour protester contre les critiques de l’ambassadeur néerlandais à Budapest. Celui-ci avait comparé l’attitude de la Hongrie — sur le plan de relocalisation européen et contre George Soros — à se « créer des ennemis » au groupe « État islamique ».
En février 2016, la Grèce avait rappelé son ambassadeur en Autriche pour dénoncer l’attitude du gouvernement de Vienne de ne pas l’avoir invitée à la réunion des pays des Balkans sur la crise migratoire.
En décembre 2015, la Grèce, encore, rappelle son ambassadeur à Prague pour protester contre des propos du président tchèque Miloš Zeman, mettant une condition à ce que la république Tchèque pour adopter l’euro : que la Grèce quitte la monnaie unique.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) La Belgique a décidé de continuer à soutenir les militaires ukrainiens blessés dans les combats à l’est de l’Ukaine. Le ministre de la Défense Didier Reynders l’a confirmé jeudi (7 février). L’hôpital de Neder-over-Heembeek (en banlieue bruxelloise) va accueiller en 2019 six militaires ukrainiens blessés au combat. La Belgique prend en charge les frais de transport et les coûts de traitement médical. Une équipe de la Défense s’est rendue fin janvier en Ukraine pour identifier les patients avec l’aide des autorités ukrainiennes. Un premier groupe arrivera en mars en Belgique pour un traitement d’environ six semaines.
(B2) Paris pouvait fort bien interdire la visite du vice-président du Conseil italien Luigi di Maio s’il la jugeait inappropriée. Si on se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE
La crispation nationale sur la venue d’un responsable politique de premier plan d’un État membre, comme celle qui surgit entre la France et l’Italie, n’est pas une première. Des antécédents récents existent en Europe, notamment en Europe centrale, qui ont abouti à la saisine de la Cour de justice de l’UE.
En août 2009, le président hongrois L. Solyom (1) veut traverser le pont séparant son pays de la Slovaquie pour venir inaugurer une statue en l’honneur de St Etienne dans la commune voisine de l’autre côté de la frontière, de Komárno/Komárom, peuplée en bonne partie d’une population de la minorité hongroise. Une visite jugée totalement inappropriée par le gouvernement slovaque, qui y voit une revendication à visée nationaliste, surfant sur l’histoire ancienne d’un territoire appartenant à la Hongrie.
Cela entraîne l’échange de notes diplomatiques dures entre les deux pays. Budapest invoque le principe de la libre circulation des personnes, Bratislava défend la compétence réservée diplomatique permettant d’interdire la venue d’un chef d’État pour raison politique. La Slovaquie finit par signifier l’interdiction totale de pénétrer sur le territoire au président voisin, au besoin en bloquant le convoi par la force. Le Hongrois renonce… mais porte plainte devant la Cour de justice. Une première.
Trois ans après, en mars 2012, les juges européens réunis en Grande chambre à Luxembourg donnent raison à la Slovaquie. Il n’y a pas vraiment de droit à libre circulation pour un Chef d’État (ou de gouvernement). Ceci ressort des relations diplomatiques empreintes d’une certaine courtoisie. Les conclusions de l’avocat général Yves Bot sur ce point sont intéressantes et méritent une lecture attentive car elles permettent de distinguer ce qui ressort de la sphère publique du chef d’État et ce qui ressort de la sphère privée (Lire : Hongrie-Slovaquie. L’avocat général précise le statut du chef de l’État quand il circule dans un autre pays).
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire aussi : Un chef d’Etat n’est pas un citoyen ordinaire. La Hongrie déboutée
(B2) La France rappelle son ambassadeur à Rome pour consultations. Le Quai d’Orsay (le ministère français des Affaires étrangères) l’a annoncé dans un communiqué jeudi 7 février. Un geste fort. Même dans les situations de tensions extrêmes, on avait pas connu une telle réaction. Est-elle vraiment justifiée par un acte ou par d’autres motivations ?
Des ingérences inacceptables
Raison de la colère : les récentes déclarations de Matteo Salvini (qui avait suscité une convocation de l’ambassadeur italien à Paris) et surtout le déplacement de Luigi di Maio à Montargis, auprès des gilets jaunes. Déplacement qui n’a fait l’objet d’aucun avertissement officiel, comme la bienséance européenne le commande d’ordinaire.
« Les dernières ingérences constituent une provocation supplémentaire et inacceptable. Elles violent le respect dû au choix démocratique, fait par un peuple ami et allié. Elles violent le respect que se doivent entre eux les gouvernements démocratiquement et librement élus. La campagne pour les élections européennes ne saurait justifier le manque de respect de chaque peuple ou de sa démocratie. Tous ces actes créent une situation grave qui interroge sur les intentions du gouvernement italien vis-à-vis de sa relation avec la France. »
« Avoir des désaccords est une chose, instrumentaliser la relation à des fins électorales en est une autre » ajoute le ministère français des Affaires étrangères.
Un jeu dangereux
Les propos des ministres italiens sont évidemment outranciers, provocateurs. Mais ce ne sont que des propos, des opinions, sur lesquelles on peut être en désaccord. Le déplacement de Luigi Di Maio en France pour soutenir les gilets jaunes est effectivement assez original et provocateur (2). Mais il intervient dans un contexte précis : les élections européennes. Il n’intervient pas dans des élections nationales. En haussant le ton, le gouvernement français joue en fait le jeu des provocateurs italiens. Un jeu dangereux qui risque davantage de flatter les nationalistes de part et d’autre que de calmer le jeu.
Une campagne européenne ou des campagnes nationales
Les soutiens croisés entre membres de certains partis par-delà les frontières sont réguliers. En 2017, le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel avait souhaité la victoire d’Emmanuel Macron. Personne n’avait protesté. De la même façon, beaucoup moins bruyamment, les envoyés spéciaux de La république en marche tentent, discrètement, de débaucher des partis politiques en Europe pour les ramener dans le giron d’un parti du centre droit / gauche, pour le prochain parti politique européen, tel le parti social-démocrate autrichien (SPÖ).
Une tactique, politicienne, de confrontation
Les gouvernements français comme italien se plaisent, en fait, à envenimer ces différences et les échanges de ‘mots doux’. C’est l’idée de Emmanuel Macron d’avoir une confrontation entre « progressistes » et « souverainistes ». Idée partagée par les dirigeants italiens, Matteo Salvini en tête. Un clivage que le président français entretient à dessein afin de rejouer au niveau européen en 2019 ce qu’il a réussi au niveau français lors des présidentielles de 2017. L’objectif est de briser toute alternative, d’obliger ceux qui ne souhaitent pas une victoire des souverainistes ou de la droite nationale à se rallier à la bannière de La république en marche, et de casser les familles chrétienne-démocrate, sociale-démocrate, écologiste ou de gauche. C’est dans ce cadre qu’il faut replacer le geste diplomatique fort de la France. Une position, intelligente certes, mais qui reste une tactique politique et même politicienne, plutôt qu’une stratégie. Utiliser la diplomatie à des fins électorales est dangereux.
Plusieurs éléments, objectifs, de brouille franco-italienne
Au-delà des épidermes sensibles, il y a entre Paris et Rome trois différends profonds qui expliquent de part et d’autre de l’Italie, ces piques envoyées de part et d’autre. En premier lieu, la crise migratoire, où l’Italie affirme avoir fait le ‘job’ et n’avoir pas reçu des Européens, notamment de la France voisine, l’aide nécessaire. Un sentiment qui transcende les affinités politiques au-delà de Nice. En second lieu, le conflit libyen, où l’Italie (qui soutient plutôt Tripoli) et la France (qui soutient plutôt Haftar) sont en conflit frontal, la première défendant sa position historique et la seconde cherchant à prendre des positions, dans un pays truffé de pétrole (1). Enfin, les prises de participation telles Fincantieri dans STX ont été perçues avec réticence, voire hostiles par Paris (lire : Le rachat des chantiers de l’Atlantique par Fincantieri sous la loupe de la Commission). Les nuages s’accumulent sur la relation franco-italienne. Il serait temps de les résoudre.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Paris avait-il d’autres moyens à sa disposition pour agir contre la position italienne ?
Apparemment non si on suit la gradation diplomatique traditionnelle : convocation de l’ambassadeur italien, puis rappel de l’ambassadeur, avant l’étape ultime : la rupture des relations diplomatiques. En fait, il existe d’autres moyens au niveau européen pour agir, notamment prononcer une interdiction d’entrée sur le territoire contre les intéressés (3). Lire notre analyse : Paris pouvait-il interdire la visite du dirigeant italien Luigi di Maio ?