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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 9 hours 54 min ago

Afrique : pourquoi le discours de Macron à Ouagadougou est fondateur

Wed, 29/11/2017 - 15:19

Selon Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris, le discours du chef de l’Etat « n’a pas d’équivalent dans le passé. »

A Ougadougou, dans la capitale du Burkina Faso, devant des centaines d’étudiants, Emmanuel Macron a délivré un discours sur l’Afrique qui se voulait en rupture avec les pratiques du passé. Tenant compte de la perte d’influence de la France dans ses anciens pré-carrés, il s’est adressé à la jeunesse africaine en se montrant en phase avec ses aspirations. Le chef de l’Etat a-t-il vraiment fait la différence ? Décryptage de Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris, en charge de l’Afrique.

Emmanuel Macron avait promis un discours sur l’Afrique qui se voulait en rupture avec ceux de ses prédécesseurs, et notamment de celui de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007. A-t-il réussi?

Sur la forme, sans aucun doute. Il a adopté un ton nouveau, il a parlé en présence d’un chef d’Etat, il s’est adressé directement aux étudiants, il a eu un discours franc. Il a pris le risque d’organiser une séquence de questions-réponses à bâtons rompus avec des étudiants dont on sait qu’ils peuvent le mettre en difficulté. Il s’est défini comme appartenant à une autre génération. Il n’y a pas d’équivalent dans le passé.

Pour moi, c’est un discours fondateur. Il a mis l’accent sur les nouvelles opportunités de la jeunesse, il a eu un discours de vérité sur tous les défis à relever en renvoyant la balle aux Africains eux-mêmes. Il a voulu ne pas être moralisateur même s’il a beaucoup utilisé le « Je veux ».

A-t-il eu des idées neuves ?

Il a énoncé quelques nouveautés. Il s’est détaché de l’approche militaire et interventionniste. Il n’était pas accompagné des grands patrons des grandes multinationales françaises, celles qui sont habituellement au cœur de la relation franco-africaine sur le plan économique. Au contraire, il était entouré de responsables de start-up. Ceux qui le conseillent, réunis au sein du CPA, sont des jeunes membres de la diaspora, des entrepreneurs en majorité. Ce n’est ni Robert Bourgi, ni l’Internationale Socialiste.

Il a mis davantage l’accent sur l’innovation, le numérique et les nouvelles technologies. Il ne parle pas de francophonie au sens strict : chez lui, ce n’est pas la langue française qui s’impose, ce n’est pas le français pour les Africains qui serait une vision post-coloniale, mais un ensemble de langues francophones avec l’apport des différentes manières de maîtriser la langue.

Selon vous, Emmanuel Macron est-il parvenu à rompre avec l’histoire post-coloniale, promesse sans cesse renouvelée, pas forcément toujours tenue ?

La phrase la plus importante qu’il a prononcé sur ce sujet :

« Il n’y a pas de politique africaine de la France ».
C’est une rupture de vocabulaire mais aussi de principes fondateurs.

Sur la forme, il a, selon vous, fait la différence. Sur le fond, y a-t-il réellement des évolutions ?

La rupture est moindre sur différents dossiers. Si la France s’est engagée à augmenter légèrement à 0,5% du PIB l’aide publique au développement pour la fin de la mandature contre 0,37 % aujourd’hui, on est bien en dessous de ce que font la plupart de nos grands partenaires européens qui sont à 0,7% du PIB environ. On n’est pas dans une rupture radicale, en raison, sans doute, des contraintes budgétaires. Sur le plan militaire, Emmanuel Macron cherche à se désengager, les troupes étant sous tension, et à européaniser les dispositifs de sécurité, mais il se heurte à un mur. Les pays européens ont leurs propres priorités et pour l’instant la question de la sécurité reste à la charge de la France.

Sur la question migratoire et du financement du terrorisme, il a développé certains de ses principes (lutte contre les passeurs, les demandes d’asile en Afrique…), mais on n’est pas dans une totale rupture. Enfin, realpolitik oblige, on continue de vendre nos appareils militaires en Afrique, à des dirigeants pas toujours fréquentables. Rappelons également, que si Emmanuel Macron vante les mérites du développement des start-up, paradoxalement, il inaugure le nouveau métro à Abidjan, marché obtenu en partie par les grands groupes français, parce que la France à aider à la mise en place de Alassane Ouattara à la tête du pouvoir.

Emmanuel Macron a insisté pour dire que désormais l’Afrique devait se débrouiller seule et mis les chefs d’Etats africains face à leurs responsabilité. La France peut-elle vraiment se désengager du continent africain ?

La France n’a cessé depuis les années 2000 de perdre des parts de marché car l’Afrique s’est mondialisé et a désormais de multiples partenaires partout dans le monde. C’est une lame de fond et ça ne dépend pas de la France. Les réseaux francs-maçons, ceux de l’Internationale socialiste, ceux de la Françafrique, jouent moins de rôles.

Les relations se sont « décolonisées » sauf dans le domaine militaire. Il y a, là, une spécificité française. La France est le seul pays européen membre permanent du Conseil de sécurité, dès lors que la Grande-Bretagne n’en fait plus partie. La France a toujours considéré que ses accords de coopération militaire avec les pays africains, bien qu’ils aient été modifiés par Nicolas Sarkozy, constituent un lien privilégié. L’exportation de nos armes est directement liée à cette situation, étant donné que nous sommes des grands marchands d’armes et que l’Afrique où il y de nombreuses guerres, fait partie des acheteurs.

De ce point de vue-là, la France continue d’assurer les fonctions régaliennes d’armées africaines qui ne sont pas professionnelles, qui n’ont pas les moyens, et qui dans la grande majorité sont incapables d’exercer leur fonction de sécurité. La France veut s’en tirer, mais on voit bien que c’est difficile car ni les relais africains, ni les relais européens, ne sont prêts à le faire.

Le chef de l’Etat pourra-t-il tenir ses promesses de renouvellement ?

Il y a encore de nombreuses inconnues. Cela dépend beaucoup des reconfigurations politiques actuelles en Europe. Mais cela dépend aussi des décisions africaines. De nombreux responsables politiques africains n’ont pas tellement envie que cela change. Ils ont de bonnes relations avec les grands groupes qui exploitent les ressources minières et pétrolières, avec les Indiens, avec les Chinois, ils s’arrangent avec la corruption, l’optimisation fiscale, la fuite des capitaux… Cela ne changera que si les populations africaines souhaitent que cela change.

Propos recueillis par Sarah Diffalah

Manuel Valls : « mort à l’intelligence » ?

Fri, 17/11/2017 - 16:38

Dans le numéro de Marianne, en date du 10 novembre 2017, Manuel Valls m’a violemment attaqué, mettant en cause l’avenir de l’IRIS.

Il déclare, à mon égard : « Je considère, par exemple, que ce qu’écrit l’universitaire Pascal Boniface depuis des années pose un vrai problème. J’ai d’ailleurs saisi les ministres des Affaires étrangères et des Armées qui financent l’IRIS de ce sujet, même s’il ne parle pas au nom de l’Iris. »

Comme le numéro est titré La France malade de l’antisémitisme et l’interview en elle-même J’accuse, cela équivaut à me reprocher de participer à la montée de l’antisémitisme en France. L’affaire est loin d’être mineure. Mais, Manuel Valls ne cite pas un seul de mes propos qui pourrait justifier une telle charge[1]. S’il estime que le problème est grave, il devrait utiliser des citations précises et non pas de vagues accusations infondées.

Sur le conflit israélo-palestinien, j’ai toujours défendu la solution à deux États ; j’ai également toujours mis sur le même plan la lutte contre l’antisémitisme et le racisme antimusulman. Si j’ai tenu des propos antisémites, donc punissables par la loi, pourquoi n’ai-je jamais été judiciairement inquiété ? Ce qui est ici en cause ne peut donc être que mon analyse du conflit au Proche-Orient. Manuel Valls, reprenant le discours de Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), confond non seulement antisémitisme et antisionisme, mais également critique du gouvernement israélien et antisionisme. Il contribue ainsi à importer ce conflit en France, mais, en plus, met gravement en danger la liberté d’expression dont il se targue d’être l’un des défenseurs les plus ardents. Car s’il affirme qu’on a le droit de critiquer Israël, force est de constater que, du fait de la confusion qu’il entretient entre antisionisme, antisémitisme et critique du gouvernement israélien, le droit est pour lui purement théorique.

Au-delà de ma personne, il met également en cause les liens que les ministères des Armées et des Affaires étrangères auraient avec l’IRIS. Or, ce dernier ne reçoit aucune subvention de ces ministères, mais réalise pour eux des contrats, obtenus très souvent après avoir remporté un appel d’offres. L’IRIS reçoit cependant bien une subvention de Matignon depuis 1999, qui a continué à être versée lorsque M. Valls y occupait les lieux… Si mes propos posent un problème « depuis des années », il aurait pu le réaliser lorsqu’il était Premier ministre. Ce n’est pas la première fois qu’il est demandé aux instances gouvernementales de cesser toute relation avec l’IRIS pour punir son directeur et ses positions sur le conflit israélo-palestinien. En 2003, déjà, le président du CRIF l’avait fait. M. Valls prend donc le relais.

L’IRIS a non seulement obtenu un satisfecit pour sa gestion par la Cour des comptes, mais est également régulièrement classé parmi les meilleurs think tanks internationaux. Il contribue au rayonnement de la France

M. Valls propose donc qu’un institut, qui emploie trente personnes, soit mis au banc des services gouvernementaux, parce que le directeur du centre tient des positions qui lui déplaisent. Dans quel type de régime ce comportement est-il possible ? Réalise-t-il la portée de ses propos ? Réalise-t-il celle de ses actes ? Il a commencé à prendre contact avec des partenaires de l’IRIS pour leur demander de mettre fin aux relations qu’ils entretiennent avec ce dernier… C’est proprement hallucinant ! Il est de même inquiétant que de tels propos n’aient déclenché aucune tempête médiatique. Les journaux sont très largement aidés par des subventions gouvernementales. Comment réagiraient-ils si un ancien Premier ministre en concluait qu’ils doivent suivre une ligne définie par je ne sais quelle autorité ?

M. Valls a théorisé à plusieurs reprises qu’« expliquer c’est légitimer ». L’IRIS et moi-même avons au contraire une vocation pédagogique affirmée et reconnue. Sans le réaliser, il reprend à son compte le slogan franquiste de José Millán-Astray « Mort à l’intelligence, viva la muerte ! »

Pour quelles raisons M. Valls a-t-il opéré un tel virage politique ? Pourquoi, depuis longtemps, a-t-il établi une hiérarchie dans la lutte contre les différentes formes de racisme ? Je n’en sais rien, mais ce qui est certain c’est qu’il s’éloigne à grande vitesse de Michel Rocard – dont il se réclame -, qui a toujours défendu l’indépendance de l’IRIS et la mienne, pour s’inscrire dans les pas de Joseph McCarthy, qui n’est pas une référence recommandable en démocratie.

[1] Tout comme Marianne n’a pas pu publier une seule photo de moi en présence de Tariq Ramadan, alors que j’étais accusé dans le numéro précédent de faire partie de ceux qui lui ont « dressé un tapis rouge » en France.

Coupe du monde de Rugby 2023 : le sport au cœur du soft power de la France

Fri, 17/11/2017 - 16:35

Les résultats ont pris de court de nombreux commentateurs. C’est finalement la France qui a remporté l’organisation de la Coupe du monde masculine de rugby qui se déroulera en 2023. Au-delà de ces résultats, c’est l’importance qu’a pris le sport dans l’action politique française à l’international qui est à souligner. Pour nous éclairer, le point de vue de Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS.

Après avoir remporté l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques à Paris en 2024, la France a été désignée hier comme pays hôte pour le Mondial de rugby prévu en 2023. Le sport serait-il devenu un nouveau bras armé de la France à l’international ?

La désignation de la France à quelques semaines d’intervalle pour l’organisation de deux grands évènements sportifs peut donner l’impression de la désormais toute puissance de la France en matière d’accueil de ce type d’évènements. Il est important, à mon sens, de nuancer ce constat pour plusieurs raisons. D’une part, cette double attribution est un hasard du calendrier et s’inscrit dans un temps beaucoup plus long que l’on a tendance à oublier. D’autre part, le sport reste encore aujourd’hui un sujet, un domaine qui n’est pas encore complètement « pris au sérieux » dans différents secteurs. Toutefois, et c’est là une grande source d’espoir, on commence depuis une dizaine d’années à voir émerger une prise de conscience par les autorités publiques, par les partenaires privés de l’importance que peut avoir le sport, sur le plan économique évidemment, mais aussi sur le plan diplomatique ou encore sociétal. Cette évolution s’est notamment traduite par la formulation d’une diplomatie sportive française à part entière par le ministère des Affaires étrangères en 2013 et avec la nomination d’un ambassadeur pour le sport, chargé de faire vivre cette nouvelle forme de diplomatie.

La France restait sur une série d’échec, principalement en matière de candidatures à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. Un bilan a été fait, des leçons ont été tirées et une nouvelle stratégie a pu être mise sur pied. Les résultats aujourd’hui récoltés sont le fruit de ce travail, long, patient, et qui a encore beaucoup de chemin à parcourir pour convaincre certains du potentiel que peut avoir le sport au sein d’une société.

L’accueil de grandes compétitions sportives montre également qu’un véritable savoir-faire français s’est développé en matière de propositions, mais aussi d’accueil et d’organisation. Sans être exhaustive, d’ici à 2024, la France accueillera en 2018 l’Euro féminin de handball, la Ryder Cup, en 2019, la Coupe du monde de football féminin, puis la Coupe du monde de rugby en 2023 et enfin les Jeux olympiques et paralympiques en 2024. Cette succession montre que le sport gagne une place de plus en plus importante au sein de l’agenda sportif du pays, mais plus globalement dans l’agenda politique.

Le choix de la France s’est apparemment fait à l’encontre des recommandations de la World Rugby qui avait placé l’Afrique du Sud comme favorite. Le lobbying et la politique ont-ils été les atouts décisifs de ces derniers jours ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de remettre en perspective la phase de candidature française et de ne pas se limiter aux quinze derniers jours. Lancée à l’été 2016 par le précédent président de la Fédération de rugby, Pierre Camou, puis reprise en cours de route par l’actuel patron de la Fédération française, Bernard Laporte, cette candidature était opposée aux candidatures irlandaises et sud-africaines. Sur le papier, le dossier français était de grande qualité, reposant sur des infrastructures existantes, avec la mise en avant d’un savoir-faire en matière d’accueil, d’organisation de grands évènements sportifs. La réussite de l’Euro 2016 notamment était un peu l’illustration de ce que pourrait être le projet.

Face à la France, les candidatures irlandaises et sud-africaines mettaient également en avant l’importance du rugby dans leur pays respectifs, le symbole que cela pouvait représenter et la qualité de l’accueil proposé. L’Irlande plaçait dans cette candidature beaucoup d’espoir, étant la seule candidate à ne jamais avoir organisé cette compétition. Avec une campagne débutée très tôt, Dublin avait mis sur la table 6,5 millions d’euros pour mener sa campagne. L’Afrique du Sud, quant à elle, lancée assez tardivement dans la bataille, arguait notamment de l’importance de refaire passer la Coupe du monde par le pays, qui ne l’avait accueilli qu’une seule fois en 1995. Cela aurait également permis de refaire vivre pour une compétition internationale les infrastructures développées pour la Coupe du monde de football de 2010.

Du point de vue du dossier, la  France était, sur le papier, plutôt bien placée pour obtenir cette attribution. Pourtant, le 31 octobre, coup de tonnerre avec la publication d’un rapport de recommandations, rédigé par 6 cabinets d’audit et la World Rugby (la fédération internationale de rugby), désignant l’Afrique du Sud devant la France et l’Irlande. Comme jamais cette recommandation n’avait été contredite par les votes pour l’attribution finale, ce rapport, certes consultatif, revêtait donc un enjeu considérable pour les concurrents. Face à ce rapport, la réaction française n’a pas tardé avec plusieurs communications du comité d’organisation et où Bernard Laporte n’a pas hésité à tacler la World Rugby sur certains points, par voie officielle mais aussi par voie de presse. Bien que la World Rugby ait balayé ces remarques, les critiques également formulées par le comité de candidature irlandais ont rajouté un peu plus d’incertitudes quant à ce rapport.

C’est donc avec cette remise en cause des conclusions du rapport, d’un lobbying intense, selon les propres termes de Bernard Laporte, et de la réaffirmation du projet français que Paris a réussi à renverser le rapport de force. L’équipe française portant la candidature a porté un intérêt tout particulier sur les nations et confédérations émergentes, ce qui, au vu des votes estimés, a été une stratégie très largement gagnante.

Il est intéressant de noter que cette victoire de la France est, a contrario, une défaite pour le Président de la World Rugby, Bill Beaumont, qui n’avait pas masqué son soutien pour la candidature sud-africaine. Il sera donc intéressant de suivre avec attention l’évolution de cette situation au sein de la fédération internationale.

Le mondial de rugby est une compétition beaucoup moins rentable pour la World Rugby que ne l’est la coupe du monde de football pour la FIFA. Est-ce à dire que l’attribution de l’organisation de cette compétition fonctionnerait selon la « diplomatie du chéquier » ?

Il serait complètement réducteur de n’envisager cette victoire que par le seul aspect économique. De plus, comparer l’organisation de la Coupe du monde de rugby masculin avec son homologue du football, en termes de rentabilité, n’est ici pas pertinent. En revanche, il est indéniable que la proposition française reposait, en plus du projet sportif et sociétal sur un argument financier non négligeable, argument forcément entendu par la World Rugby, qui dépend très largement du succès des Coupes du monde organisées. Ainsi, la France s’est engagée à reverser 407 millions d’euros (171 millions en matière de droits d’organisation et 236 en frais d’organisation). Parallèlement à cela, la Fédération française a estimé ses recettes à environ 500 millions d’euros. Alors que le nombre de licenciés (masculins) en France est en chute libre, l’accueil de la première des compétitions devrait permettre de remettre un coup de projecteur sur ce sport et de redresser les effectifs. Il est en revanche intéressant de noter que le rugby féminin, reste, quant à lui, stable, très probablement aidé par les bonnes performances du XV féminin, comme lors de la précédente coupe du monde de rugby, organisée en 2017 en Irlande.

En outre, le choix final porté sur la France peut aussi être interprété comme une façon pour la World Rugby de se prémunir contre des critiques très largement adressées à son homologue de la FIFA et du CIO, contre les dépenses trop importantes effectuées en matière de grands évènements sportifs.

« Pour la paix, les producteurs de blé français sont comme des casques bleus »

Wed, 15/11/2017 - 16:04

Il faut, pour vous, considérer le blé comme élément essentiel de l’analyse géopolitique. Que voulez-vous dire par là ?

Nous occidentaux avons oublié que le blé, banalisé sur nos tables, est plus précieux que le pétrole à l’échelle du monde et du temps. Le pétrole est un enjeu depuis 150 ans, le blé depuis 10 000 ans ! Les grandes ruptures dans le monde ont toujours eu un rapport au blé, que ce soit l’expansion d’Athènes, qui était une ville sans blé, le développement de Rome, la Révolution française, qui a suivi la guerre des farines et l’exaspération de la dîme, impôt sur le blé… Dans l’histoire plus récente, la stratégie de l’Allemagne nazie incarnée par l’opération Barbarossa était sous-tendue par l’idée de mettre la main sur les terres fertiles du bassin de la mer noire, quant aux accords signés entre l’Égypte et Israël en 1979, ils ont pu aboutir en partie parce que Kissinger a menacé l’Égypte de fermer le robinet à blé.

C’est encore vrai aujourd’hui ?

Plus que jamais ! La demande mondiale va croissant, portée par la démographie, les changements de mode de vie qui font que le monde consomme de plus en plus de pain. 3 milliards de personnes consomment du blé chaque jour. Mais dans la mesure où 95 % du blé mondial est produit dans 16 pays, les autres sont très dépendants des exportations. Et elles sont vitales, car les pénuries créent de grands troubles politiques. Les printemps arabes ont débuté parce que la sécurité alimentaire n’était plus assurée ! Le blé est vital pour la stabilité politique de nombreux territoires. C’est pourquoi les pays producteurs, et notamment l’Europe des 28 qui est la première zone de production mondiale, doivent avoir conscience de leur responsabilité. Parler de circuits courts dans le domaine des céréales n’a aucun sens. La déglobalisation agricole n’est certainement pas à préconiser pour le calme de la planète. Considérer le blé comme un produit de circuit long, c’est avoir conscience qu’il est un gage de paix, de stabilité et d’aide au développement pour tous les pays qui dépendent des importations. Garantir les flux de blés vers l’Afrique, le bassin méditerranéen, c’est un moyen de limiter les grandes vagues migratoires.

La France a-t-elle son rôle à jouer dans cet équilibre ?

Oui. Car la France est la seule puissance nouvelle qui ait émergé depuis deux siècles pour ce qui est de la culture du blé. N’oublions pas que notre pays n’était pas alimentairement indépendant jusqu’à l’après-guerre et qu’il a dû à l’ambition européenne non seulement de le devenir, mais aussi de dégager des surplus qu’elle peut exporter. Près de 60 % de notre production est vendue à l’export. De plus, cela a durablement façonné nos paysages et notre image touristique : 10 % de la France sont couvertes de champs de blé, ce qui lui donne cette identité visuelle si aimée à l’étranger.

C’est un élément capital de cette diplomatie économique que la France essaie de promouvoir…

Oui. Le blé est un produit parfait pour valoriser nos produits, étendre notre influence économique de manière vertueuse. D’autant que notre géographie rend la logistique facile et que nous disposons de ports efficaces. Pour ce qui est de favoriser la paix dans le monde, cela a plus de sens de vendre du blé, même par petits tonnages qu’un Rafale. En cumul, les exportations de céréales françaises représentent l’équivalent de deux Airbus par semaine ! D’une certaine façon, en permettant à des populations dépendantes de se nourrir de leur travail, les céréaliers français peuvent se considérer comme des Casques bleus !

« Les Etats-Unis restent un acteur stratégique et économique majeur en Asie, mais ils ne sont plus seuls désormais »

Tue, 14/11/2017 - 17:55

La tournée de douze jours du président des Etats-Unis en Asie est considérée comme historique depuis celle du président Nixon 43 ans plus tôt. Pour autant l’environnement international qui entoure cette visite est radicalement différent. L’isolationnisme de Donald Trump a notamment changé la donne des relations entre Washington et ses alliés régionaux traditionnels qui considèrent cette inflexion comme une érosion de la confiance envers leur allié américain tandis que d’autres pays ont choisi de tourner leur regard vers Pékin. Pour nous éclairer sur les enjeux et perspectives de cette tournée américaine, le point de vue de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

La longue visite de Donald Trump en Asie vient de s’achever. Que doit-on en retenir ? Comment a-t-elle été accueillie par les pays visités ?

Cette visite, la première du président américain en Asie, était très attendue en raison des décisions importantes prises par Donald Trump depuis son entrée en fonction, comme le retrait du traité trans-Pacifique (TPP), et de la crise nord-coréenne dans laquelle il s’est engagé avec force peu après son entrée à la Maison-Blanche, mais sans doute sans en avoir mesuré les effets.

Les enjeux de cette tournée étaient multiples, entre la nécessité de rassurer les alliés traditionnels sur la fiabilité de Washington, fortement ébranlée dans des pays comme la Corée du Sud, l’impératif de se repositionner en Asie du Sud-Est après le retrait du TPP, ou encore le test grandeur nature face à la Chine juste après le 19ème Congrès du PCC. Autoproclamé fin négociateur, Donald Trump devait revenir de Pékin avec des éléments concrets confortant l’idée selon laquelle sa stratégie serait meilleure que celle de ses prédécesseurs.

Dans tous les pays qu’il visita, l’accueil fut assez froid au final, à l’exception du Japon. Passage éclair en Corée du Sud, visite très consensuelle en Chine, et surtout des mouvements de protestation en marge de son passage aux Philippines, où le crédit accordé aux Américains est sérieusement ébranlé. Au final et de manière prévisible, rien de spectaculaire, mais un sentiment qui n’est que renforcé que les Etats-Unis sont en net retrait sur la scène asiatique, et que Trump ne pourra enrayer cette dynamique.

Lors de la rencontre Trump/Xi, le président américain a prôné une Amérique souhaitant mettre un terme à de « grands accords multilatéraux qui lient les mains, obligent à renoncer à notre souveraineté et rendent toute application efficace quasiment impossible », tandis que le président chinois a lui évoqué une Chine prônant des échanges « plus ouverts, plus équilibrés, plus équitables et bénéfiques pour tous ». N’assistons-nous pas à une polarisation inédite du discours sur la mondialisation ?

C’est surtout une sorte de révolution copernicienne à laquelle nous assistons depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, avec une remise en cause par ce dernier des règles qui garantissent une mondialisation des échanges et la promotion du libre-échange, et la position opportuniste de la Chine qui s’est muée en championne du libre-échange, comme pour mieux prendre la place laissée vacante. Certains observateurs vont jusqu’à considérer que l’élection de Trump était en ce sens la meilleure chose qui pouvait arriver à Pékin.

Le problème fondamental vient du rapport de force qui s’est inversé. La Chine dispose de capitaux importants et elle est en mesure de les investir dans ses projets pharaoniques dans le monde entier, là où les Etats-Unis ne sont pas en capacité de suivre. C’est donc plus par défaut que par choix que Trump semble souhaiter d’autres règles du jeu commercial, tandis que son Secrétaire d’Etat Rex Tillerson prône de son côté la mise en place de structures alternatives à l’initiative chinoise de la ceinture et de la route. Mais avec quels financements? Là est la question.

La stratégie du « pivot » asiatique prônée par Barack Obama avait été bloquée, dès son début de mandat, par Donald Trump. Après cette visite, comment pourrait-on qualifier la politique des Etats-Unis vis-à-vis de ses partenaires asiatiques tant au niveau économique que sécuritaire avec notamment la menace nord-coréenne ? Avec quelles consequences ?

Donald Trump a porté pendant sa campagne électorale un regard très critique sur la stratégie du pivot d’Obama, mais son diagnostic était plutôt juste. Si l’objectif de cette stratégie était de contenir la montée en puissance chinoise, alors c’est un échec. Si son objectif était de regrouper autour de Washington de nouveaux partenaires, alors c’est un échec aussi. Rappelons que des pays comme les Philippines, et dans une moindre mesure la Malaisie, n’ont pas attendu l’élection de Trump pour faire un véritable bras d’honneur à Washington et se rapprocher de Pékin en critiquant vivement, comme l’a fait Rodrigo Duterte, Obama, et non Trump.

Le problème du président américain est qu’il n’a pas, au-delà de ce diagnostic, d’antidote à sa disposition. Pis encore, les mesures qu’il a engagées semblent conforter ce déclin relatif mais réel des Etats-Unis dans la région, comme une sorte d’aveu d’échec. La conséquence est grave, puisqu’elle affecte non seulement la force du discours américain face à des pays ennemis comme la Corée du Nord ou compétiteurs comme la Chine, mais aussi et surtout la crédibilité des Etats-Unis auprès de ses alliés traditionnels. La majorité des Sud-Coréens ne fait plus aujourd’hui confiance à Washington face à la Corée du Nord et, en dépit de sa réélection, le Premier ministre japonais Shinzo Abe reste isolé dans la confiance aveugle qu’il continue d’accorder à son allié américain.

Dans ce contexte, les Etats-Unis restent un acteur stratégique et économique majeur en Asie, mais ils ne sont plus seuls désormais.

Paradise Papers et illégalité

Tue, 14/11/2017 - 17:01

Les Paradise Papers, désignant le nouveau scandale mondial lié aux paradis fiscaux à la suite d’une enquête menée par l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation), regroupent 13,5 millions de documents :

  • 6,8 millions de documents du cabinet international d’avocats Appleby, basé aux Bermudes et dans une dizaine d’autres paradis fiscaux ;
  • 566.000 documents du cabinet Asiaciti Trust à Singapour ;
  • 6,2 millions de documents issus de diverses sociétés d’une vingtaine de paradis fiscaux.

Ils permettent de démontrer la généralisation des montages défiscalisants des multinationales et des milliardaires à travers le monde, dénoncée depuis longtemps par les spécialistes de la question. L’idée centrale de cette affaire, ressassée chaque jour dans les médias, pourrait se résumer au fait que tout est légal, contrairement aux circuits des Panama Papers qui recouvraient fraude fiscale et blanchiment. Or, la question doit rester posée. Tout cela est-il vraiment légal ?

Le système, non une exception dans le système

Les discours sont effectivement tous convergents, y compris ceux des journalistes d’investigation, mais aussi, bien évidemment, ceux des entreprises et des personnes épinglées : « tout est légal ». Du coup, l’indignation se porte sur l’idée d’industrialisation et de généralisation de ces pratiques. Le paradis fiscal n’est plus l’anomalie du système, mais le système lui-même.

Le grand public, notamment les ex-salariés licenciés des multinationales, découvre que les arguments économiques avancées par ces entreprises pour expliquer la rationalisation de leur production (par le dégraissage), la délocalisation, la pression sur les salaires… ne tiennent plus. En effet une grande partie des bénéfices est escamotée par les truchements inventés par les avocats fiscalistes internationaux, pour réapparaître sur des territoires fiscalement plus cléments.

On comprend aussi par la même occasion que les difficultés rencontrées par de nombreux États s’expliquent aisément au vu de ces révélations. Nombre de pays africains par exemple, ne récupèrent jamais le moindre sou des multinationales œuvrant sur leur sol. Ces entreprises se servent et évacuent en catimini leurs bénéfices vers les paradis fiscaux. De même, la Grèce est incapable d’imposer les armateurs milliardaires ou l’Argentine qui voit à chaque crise les avoirs des plus riches s’exiler à l’étranger. Or si les montages complexes ne sont pas interdits, certaines mises en œuvre paraissent plus discutables.

De nombreuses entorses à la légalité

Quelques exemples très différents illustrent le questionnement de la légalité. Le premier concerne ces sociétés qui sont implantées dans des paradis fiscaux sans aucune activité réelle ou, pire, avec des activités fictives. C’est le cas du pilote de Formule 1 Lewis Hamilton. Il déclare la location de son jet privé immatriculé à l’Île de Man, lui conférant ainsi le statut de loueur, activité commerciale, et lui permettant d’échapper à la TVA sur le prix d’achat de son avion. Or, il est lui-même son seul et unique client, loueur et locataire.

Le deuxième questionnement sur la légalité porte sur les prix de transfert. Pour ne pas payer d’impôt dans les pays les plus fiscalisés, les multinationales créent artificiellement des charges élevées pour réduire leur résultat imposable. Peut-on considérer comme légal de vendre à 100 un produit qui nous a coûté 100 ? Oui, c’est légal, mais la logique d’une telle gestion pose question. Et l’étudiant de première année de BTS commercial apprend qu’une entreprise qui ne fait aucun bénéfice pendant plusieurs années n’est pas viable. Pourtant Starbucks n’a dégagé aucun bénéfice en France depuis qu’elle y est installée.

Nous avons aussi le cas d’Engie, entreprise dont l’actionnaire principal est l’État. Comment peut-on légalement expliquer l’inscription comptable de fausses dettes pour payer moins d’impôts ? Le recours à des montages de faux prêts est d’ailleurs une technique éprouvée aussi par les blanchisseurs de l’argent de la drogue. Donc nous sommes bien face à un faux en écritures comptables.

Enfin, que dire de la responsabilité sociétale des entreprises, la RSE, dans cette situation ? La plupart des multinationales se targuent de développer une démarche RSE dans le cadre notamment de la norme ISO26000. Et elles obtiennent des marchés grâce à cette particularité. Peuvent-elles avancer la qualité « responsable » lorsque les montages fiscaux permettent de ne pas payer d’impôts là où elles sont implantées, grevant d’autant le budget des États qui les hébergent, nuisant ainsi au développement économique et social du pays ? Il y a ici tromperie évidente.

Kenya, un échec cuisant pour la démocratie africaine

Tue, 31/10/2017 - 17:15

Le processus électoral au Kenya, qui s’est poursuivi sur trois mois dans une rare confusion, est une amère déception pour tous les démocrates, africains et autres.

Une disqualification générale

On se souvient de la décision du 1er septembre dernier de la Cour suprême d’annuler les résultats du scrutin du 8 août précédent au motif qu’il avait été mal conduit par la Commission électorale. Elle avait été saluée en Afrique et ailleurs comme une « grande victoire » de la démocratie, comme une décision sans précédent qui ferait date et qui pouvait servir d’exemple ailleurs. Sept semaines après, la même Cour Suprême a été dans l’incapacité de se réunir faute de quorum (2 présents et cinq absents) pour examiner un recours demandant le report de l’élection. La peur a contaminé la Cour Suprême qui en sort totalement discréditée.

Dans le même temps, la Commission électorale, pourtant déconsidérée par la décision d’annulation du premier scrutin de la Cour suprême, est restée en place pour organiser le nouveau scrutin du 26 octobre. Sans changement de titulaires et avec seulement quelques amendements. Et une totale incapacité à assurer la sécurité – et donc la crédibilité – du vote, avec 4 comtés où l’élection est reportée à une date incertaine. Pourquoi, les résultats du nouveau scrutin, conduit par les mêmes, seraient-ils plus légitimes que le précédent ?

Enfin, les deux protagonistes majeurs de cette péripétie sortent également disqualifiés. Raila Odinga parce qu’il s’est abstenu de participer à la compétition du 26 octobre, au prétexte qu’elle risquait de donner des résultats faussés et qu’il allait sans aucun doute perdre, mais surtout parce qu’il a ainsi laissé ainsi le champ libre à son adversaire, ne se laissant qu’une seule issue : sortir du jeu démocratique en appelant à la désobéissance civile. Uhuru Kenyatta de son côté, le vainqueur sans combat, aura des difficultés à asseoir sa présidence, parce qu’il obtient un score absurde (98 %), de type nord-coréen, un score jamais vu en Afrique même dans les régimes les plus pervertis et avec un socle électoral très étriqué (40% de votants soit moitié moins qu’au précédent scrutin). Sa légitimité est pour l’avenir fatalement entamée.

Quels scénarios ?

À tout le moins, le Kenya offre l’image d’un pays paradoxal. D’un côté un attachement apparent des élites aux formes de la démocratie formelle et à ses institutions, salué souvent comme exemplaire (cas de la Cour Suprême dans sa première version). De l’autre, une capacité à sortir brutalement du rail des institutions dès que les positions patrimoniales et rentières sont menacées.

Quelles sont les perspectives à court terme ? Quatre scénarios sont possibles.

  1. Celui du déchaînement généralisé de la violence devrait être écarté même si la mobilisation inquiétante de milices et de gangs par les acteurs politiques peut faire craindre une grande insécurité, pas seulement dans l’extrême Nord et sur la Côte, mais également à Nairobi. La peur d’un déferlement des pauvres des bidonvilles de Kibera et de Matharé sur les enclaves les plus riches comme celle de Muthaiga (où l’on compte déjà quelque 100 000 agents de sécurité privés) ne relève plus du fantasme sans cause.
  2. Celui du blocage des institutions avec la mise en place d’une désobéissance civile paralysante, avec un coût économique élevé, qui viendra s’ajouter à celui résultant du chaos de ces dernières semaines.
  3. Celui du « consensus mou » en misant sur la « fatigue des violences » ressentie par une fraction de la population et dans l’esprit de la nouvelle Constitution de 2010 qui voulait ouvrir une voie à la « dévolution politique pacifique ». Il faudrait alors une programmation à une échéance proche de nouvelles élections, avec au mieux d’autres protagonistes que les deux qui, avec leur famille, incarnent plus d’un demi-siècle d’affrontement pour le pouvoir.
  4. Enfin – tout est possible au Kenya -, une alliance, comme en 2008-2013 (quand Odinga fut nommé Premier ministre par son adversaire Mwai Kibaki), ce qui suppose une recomposition des alliances au pouvoir (notamment l’éviction du kalenjin William Ruto, le vice-président autour duquel se cristallise toute l’acrimonie des élites).

Un enseignement pour l’Afrique ?

Dans son histoire l’Afrique n’a jamais eu autant de pays pourvus de systèmes politiques issus d’élections multipartites. Tous les pays africains (hormis l’Érythrée et la Somalie) tiennent régulièrement des élections nationales, régionales et locales, permettant à leurs citoyens de choisir leurs dirigeants politiques et de garantir la légitimité formelle des gouvernements. Il faut cependant se méfier d’une lecture quantitative et à courte vue. Les libertés conquises s’exercent dans un faisceau de contraintes qui fragilisent les acquis. L’élection ne fait pas la démocratie. Loin de là. Elle suppose davantage : une justice indépendante, une administration impartiale, une presse libre, une sécurité. Le Kenya est un des pays qui pourtant se rapproche d’un tel modèle vertueux. Formellement seulement. « Quand le ventre est vide, l’urne sonne creux », dit-on avec réalisme.

En raison des enjeux économiques qui se trouvent derrière, l’élection, devenue la modalité privilégiée de conquête du pouvoir, est souvent un vecteur de violence : Kenya, 2007 et 2008 ; Côte d’Ivoire 2000 et 2010 ; Zimbabwe, 2007 ; Gabon, 2010 ; RDC, 2011 ; Ouganda, 2011 ; Congo, 2016.

Sur fond de crise sociale, l’identification ethnique tend alors à culminer à l’approche du scrutin, donnant l’occasion de règlements de comptes autour de revendications foncières, sociales ou économiques.

Les faits s’imposent crûment. La démocratie formelle n’a nulle part annulé la marchandisation du politique dans les États où règne encore un système de type patrimonial. Dans de nombreux cas, comme au Kenya, c’est la démocratie élective qui a été adaptée à la logique du clientélisme et non l’inverse. « Anocratie », « Pseudo-démocratie », « démocratie de faible intensité », « démocratie illibérale », « démocratie par délégation » ? Les institutions formelles offrent de nouvelles opportunités pour distribuer des prébendes et se maintenir durablement au pouvoir. Douze chefs d’Etat africains sont au pouvoir depuis plus de vingt ans.

Le Kenya est un bon exemple de cette perversion de la démocratie élective. Les acteurs politiques, tels Kenyatta et Odinga, n’ont souvent pas de références idéologiques très précises ; ils sont surtout attachés, une fois élus, à gérer leurs intérêts et leurs alliances. Les positions d’autorité ainsi légalisées continuent de permettre à ceux qui les occupent d’extraire et de redistribuer des ressources. La modernisation institutionnelle des pratiques et des normes est pervertie par la personnalisation du pouvoir et la stratégie d’accumulation-redistribution qui préside à chaque niveau de la hiérarchie, du sommet à la base en passant par les intermédiaires. L’État existe mais il adopte la forme d’un rhizome dont les tiges – les institutions – sont moins importantes que les racines souterraines qui plongent dans la réalité complexe des solidarités et des rivalités.

Des évolutions sont toutefois perceptibles. Le Worldwide Governance Indicators (WGI) qui tente de capturer les manières avec lesquelles une population est capable de jouir de ses libertés (expression, association) et d’interroger le gouvernement sur ses actes (voice and accountability) donne des résultats plutôt en hausse. Ils sont tous enregistrés en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Ghana, Liberia, Niger et Nigeria). L’alternance politique est devenue une réalité au Bénin, au Ghana, au Sénégal et même en Gambie. Reconnaissons par conséquent que dans cette région, l’évolution est plutôt positive. Les jeux politiques sont plus ouverts, la contestation intérieure plus militante, la décentralisation en partie à l’œuvre, la surveillance extérieure plus vigilante. La violence d’État s’est atténuée au fur et à mesure de l’adhésion aux droits politiques et humains et à la liberté d’expression, surtout depuis 2010. Les manifestations de résistance sociale devenues plus fréquentes, animées efficacement par des mouvements citoyens, traduisent l’émergence d’une démocratie du quotidien et le renforcement des sociétés civiles. Même si l’idée de citoyenneté demeure encore embryonnaire, davantage de pays laissent s’exprimer les médias sur les affaires publiques.

L’Est et le Centre du continent doivent apprendre de son propre Occident.

Transports et infrastructures : quels enjeux ?

Tue, 31/10/2017 - 14:46

Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS, et Samuel Carcanague, chercheur à l’IRIS, répondent à nos questions à propos du dossier qu’ils ont dirigé « Transports et infrastructures » paru au sein de la Revue internationale et stratégique N°107 :
– Qu’est-ce qui a motivé la relecture de la thématique du transport et des infrastructures afin d’en faire un objet de réflexion stratégique dans les relations internationales ?
– En quoi l’Asie centrale présente-t-elle un place stratégique et un terrain d’affrontement géopolitique dans le domaine des transports et infrastructures ?
– Assiste-t-on à une transition de l’Etat planificateur du 20e siècle à l’Etat 2.0 devenu facilitateur et VRP du privé ?

« Edward Said » – 3 questions à Dominique Eddé

Mon, 30/10/2017 - 17:42

Dominique Eddé, romancière et essayiste, répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage : « Edward Said : le roman de sa pensée », aux éditions La fabrique.

Chargée du lancement en France de l’ouvrage d’Edward Said, L’orientalisme, vous témoignez de « l’incroyable difficulté à mobiliser les médias français ». C’est pourtant une œuvre majeure, traduite dans plus de trente langues…

Le livre est paru aux éditions du Seuil en 1980, au moment où la scène intellectuelle et médiatique parisienne était marquée par l’apparition des nouveaux philosophes qui révisaient, de manière catégorique, leur rapport au tiers-monde, au marxisme et au religieux, en ce sens que l’identité juive, confondue par plus d’un avec l’identité israélienne, mettait désormais sur la défensive des esprits auparavant laïcs, ou, du moins, libres de ce type de solidarité communautaire. L’émission « Apostrophes », de Bernard Pivot, qui avait beaucoup de pouvoir sur le destin des livres, s’inscrivait dans cette mouvance, qui établissait un nouvel ordre de priorités, dénonçant à juste titre l’aveuglement des staliniens, mais s’acquittant aussi, à peu de frais, d’autres enjeux qui auraient encombré ou déstabilisé les raisonnements unilatéraux. Pour ce monde-là, il s’agissait d’en finir en bloc avec la culpabilité de « l’homme blanc ».

Ainsi, Edward Said, grand orateur palestinien, francophone, de culture et d’envergure internationale, n’était pas une bonne affaire. Le débat qui aurait dû, de toute évidence, se dérouler entre lui et les tenants de cette pensée occidentalocentrée n’a donc pas eu lieu. Ce rendez-vous télévisé manqué a privé les auditeurs français d’un échange qui eut été non seulement salutaire, mais peut-être bien utile à la paix.

Je n’ai pas eu de mal, en revanche, du temps où je travaillais aux éditions du Seuil à faire inviter Raymonda Tawil, la mère de l’épouse de Yasser Arafat, à la télévision. On devinera pourquoi.

Pour Edward Said, la solidarité à la cause palestinienne ne signifiait pas avaliser « les magouilles et fourvoiements de ceux qui étaient les représentants officiels ». Pouvez-vous expliquer ?

Membre du Conseil national palestinien de 1977 jusqu’à sa démission en 1991, Edward Said s’est fermement opposé aux dérives et corruptions de l’Autorité palestinienne dès le début des années 1990, par une critique très vigoureuse et très étayée – vérifiée par l’Histoire –  des accords négociés à Oslo en 1993. Ses principes n’ont pas varié : il voulait la paix, bien avant d’autres, mais une paix conséquente, dotée d’un possible avenir, fondée sur l’égalité et le respect mutuel. Il voulait la reconnaissance des droits des Palestiniens, et non la reconnaissance exclusive de l’OLP aux dépens du peuple, comme ce fut le cas avec ces accords qui passaient outre la question majeure de la décolonisation, sans parler de la question de l’eau, des réfugiés, et bien sûr de Jérusalem.

Said était ulcéré par le manque de sérieux des négociateurs palestiniens qui ne disposaient même pas de leurs propres cartes géographiques. Savoir, par ailleurs, que nombre d’entre eux s’en mettaient plein les poches le rendait malade.

En réalité, il était difficile de mener autant de combats : ne rien lâcher face au rouleau compresseur de la politique israélienne, ne rien céder à l’antisémitisme qu’il avait en horreur, ne pas ménager les prétendus représentants du peuple palestinien qui, par incompétence et par manque de vision, assortis d’alliances opportunistes, ont préféré, contrairement à un Nelson Mandela, négocier leur pouvoir plutôt que défendre le droit.

Pensez-vous, comme le soutiennent le gouvernement israélien et ses avocats, que la cause palestinienne est reléguée à l’arrière-plan de la scène stratégique ?

Ce qu’on appelle la « cause palestinienne » est trahie, reléguée à l’arrière-plan depuis longtemps. Il suffit d’additionner, jour après jour, le nombre de nouvelles colonies et de terres confisquées : le projet qui consiste à effriter méthodiquement le territoire physique et moral des Palestiniens est parfaitement au point. Aussi vais-je un peu déplacer la question.

La politique de morcellement, favorable à l’identité communautaire, qui a commencé en Cisjordanie, s’est bel et bien étendue, à travers les guerres du Golfe, à l’ensemble de la région, et tout indique qu’elle risque de poursuivre son entreprise de destruction. Ce mouvement de décomposition et de repli, dont rêvait Oded Yinon en 1982, signe une défaite généralisée. Ceci étant dit, qu’en sera-t-il dans vingt ou trente ans ? On peut supposer que les logiques de manipulation politique, à l’œuvre depuis un siècle, seront alors malmenées, voire balayées, par des enjeux très supérieurs et écrasants. L’intelligence artificielle dont nous parle brillamment l’historien israélien Harari dans son livre Homo Deus ne rendra-t-elle pas bientôt dérisoires ces politiques de séparation et de cloisonnement ? Pour survivre, l’espèce humaine ne sera-t-elle pas obligée de se penser en tant que telle, plutôt qu’en termes pathétiques d’identités religieuses ou même nationales ?

Reste la question centrale de Jérusalem. Germaine Tillon voyait loin quand elle disait qu’il manquait à ce centre des trois grandes religions du Livre, le christianisme, le judaïsme et l’islam, une quatrième religion : celle du bon sens. « Il faudrait », ajoutait-elle, « que ces quatre religions, ensemble, se mettent d’accord pour considérer Jérusalem comme un centre nerveux tout à fait indiqué pour le monde tel qu’il est. » Oui, un centre nerveux plutôt qu’un centre de monopole et de puissance. Le meilleur moyen de gagner du temps, de désarmer les foutraques et d’épargner les vies serait, en effet, de déclarer Jérusalem capitale neutre, ouverte à tous. Transformer le conflit en potentiel, et cette vieille ville saturée en capitale mondiale de la pensée non artificielle. Imaginez-vous la victoire que ce serait pour les Israéliens et les Palestiniens ? Retourner cette sinistre et infernale logique de guerre en un projet commun d’avant-garde intellectuelle et politique à l’échelle…planétaire ?

Lors de son entretien avec N. Mandela, ce dernier avait dit à E. Said qu’il fallait frapper les imaginations. E. Said a beaucoup fait, avec son ami, Daniel Barenboim, dans cet esprit. À présent, quel meilleur lieu de rendez-vous que Jérusalem pour imaginer et penser le monde autrement ? Pour affronter, toutes disciplines et nationalités confondues, le danger que représente, pour notre espèce, une toute-puissance robotique à la gigantesque mémoire, mais coupée de la mémoire humaine ? Cette mémoire humaine et individuelle ne sera préservée qu’à la condition d’un renoncement aux mémoires exclusives érigées en droit de propriété.

Quelle stratégie pour le CIO face à la raréfaction des villes candidates aux JO ?

Mon, 30/10/2017 - 14:42

La désignation de Paris et de Los Angeles pour l’organisation des olympiades d’été 2024 et 2028 n’est pas seulement une victoire pour les deux équipes de candidatures françaises et américaines. Elle représente également un formidable coup de maître du Comité international olympique (CIO), qui, à la faveur d’un accord inédit dans l’histoire des Jeux, a réussi à retourner une situation potentiellement catastrophique et sécuriser la tenue des Jeux d’été jusqu’à 2032.

Depuis l’attribution des Jeux 2004, pour lesquelles 11 villes s’étaient bousculées (avec 5 candidatures finalement retenues), le nombre de candidatures a lentement décliné. Paris et Los Angeles étaient seules en piste pour 2024, après les abandons de Hambourg, Rome et Budapest. La crise atteint également les JO d’hiver, puisque pour 2022 le CIO s’est retrouvé dans un choix hautement inconfortable entre Almaty et Pékin, après que plusieurs villes occidentales aient dû aussi renoncer face à l’opposition populaire (St Moritz/Davos, Cracovie, Lviv, Oslo). A vrai dire, dans l’histoire du mouvement olympique, les villes ne se sont pas toujours précipitées pour accueillir les Jeux. A partir des JO 1984, pour lesquels Los Angeles était seule en lice, les candidatures se sont multipliées, stimulées par la commercialisation grandissante et l’exposition médiatique mondiale qu’apportent ces événements sportifs. Les profits réalisés par l’équipe organisatrice des JO d’été de Los Angeles 1984 avaient pour ainsi dire ouvert la voie. La période actuelle est donc paradoxale. Jamais les Jeux n’ont rapporté autant d’argent (5,7 milliards de dollars de revenus pour le CIO pour la période 2013-2016[1]), jamais ils n’ont été autant suivis (le CIO estime que la moitié de la population mondiale a eu accès aux Jeux de Rio 2016), mais les villes ne semblent plus vouloir les organiser. Il y a donc un problème dans le fonctionnement de l’olympisme, que la double attribution 2024-2028 permet d’occulter. Ou presque.

Il y a quelques jours, Innsbruck s’est retiré de la course aux Jeux d’hiver 2026 après un référendum négatif, tout comme St Moritz quelques mois plus tôt. D’autres villes restent en lice (Salt Lake City, Calgary, Sion, Sapporo, entre autres), mais le vote final aura lieu en juillet 2019 et, d’ici là, d’autres villes pourraient abandonner. D’ailleurs, dans le cas où seulement deux villes venaient à postuler, le CIO pourrait bien réitérer sa récente stratégie et attribuer simultanément les JO d’hiver 2026 et 2030 (Salt Lake City a déjà annoncé qu’elle envisageait les deux dates).

Comment expliquer la raréfaction des villes candidates ? L’un des premiers arguments invoqués est la dégradation du ratio couts/bénéfices pour les organisateurs. Même si le but premier de l’accueil des Jeux n’est pas de réaliser des profits, la facture des dernières olympiades s’est envolée, en raison des impératifs sécuritaires mais aussi des nouvelles dimensions de l’événement : 10 000 athlètes concourent dans près de 1000 épreuves, sur tout juste deux semaines de compétition. 30 000 journalistes sont accueillis, ainsi que des officiels et des chefs d’Etat du monde entier. Les exigences d’accueil se sont ainsi accrues en quelques années (par exemple le CIO demande aujourd’hui une capacité hôtelière de 40 000 chambres, dont 4000 chambres 5 étoiles pour les membres de la « famille olympique »), réduisant déjà de fait le nombre de villes hôtes potentielles. En tous les cas, ni les revenus directs (montant versé par le CIO, billetterie, sponsoring national), ni les revenus indirects (liés au rayonnement), ne permettent aujourd’hui de couvrir cette dépense, puisque la majeure partie des retombées financières des JO est conservée par le CIO (qui le redistribue à hauteur de 90% au mouvement sportif). Naturellement, les restrictions économiques liées aux conséquences de la crise de 2008 influencent aussi la rationalité des villes, en particulier dans les pays occidentaux, dont les autorités politiques sont plus sensibles à l’opinion publique.

Un deuxième facteur d’opposition aux Jeux est la perte de crédibilité des institutions sportives internationales, de plus en plus affectées par des scandales de corruption et de conflits d’intérêts. Depuis 2015, la FIFA est visée par plusieurs enquêtes pénales aux Etats-Unis, en Suisse et au Brésil, pour des cas de fraude surtout liés à l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022. Le CIO, dont on saluait auparavant les réformes entreprises suite aux révélations de corruption pour l’attribution des JO de Nagano (1998) et Salt Lake City (2002), se retrouve actuellement acculé par plusieurs procédures judiciaires concernant l’attribution des JO de Rio (2016) et Tokyo (2020). Quatre de ses membres ont récemment été arrêtés ou suspendus (Patrick Hickey, Lamine Diack, Carlos Nuzman et Frankie Fredericks) et les enquêtes se poursuivent. Plus globalement, les dérives liées à la commercialisation du sport de haut niveau, les problèmes d’éthique (dopage, manipulation, etc.), et l’archaïsme institutionnel du mouvement sportif international nuisent à l’image des grandes compétitions comme les JO, et conditionnent le rejet des villes.

Bien sûr, le CIO est pleinement conscient des limites du modèle des Jeux olympiques et s’évertue à le réformer. Fin 2014, un an après l’arrivée de son nouveau président Thomas Bach, et quelques jours après qu’Oslo ait laissé Pékin et Almaty seuls en course pour 2022, les membres du CIO ont voté à l’unanimité pour l’Agenda 2020, un document comprenant 40 recommandations visant en particulier à réduire le coût des olympiades (simplification de la procédure de candidature, plus de coopération entre le CIO et le comité organisateur, promotion des infrastructures préexistantes, plafonnement de la taille des Jeux, promotion de l’héritage environnemental, économique et social des jeux, etc.) et améliorer l’image du CIO (transparence, intégrité, promotion des droits de l’homme, centralité des athlètes, etc.). Malgré les bonnes intentions et l’ambition de ce document, le message du CIO reste inaudible alors que l’héritage de Rio 2016 se ternit déjà, que le budget de Tokyo 2020 dérape et que Pékin lance des travaux pharaoniques pour accueillir les JO d’hiver 2022.

Faudra-t-il donc attendre Paris 2024 et Los Angeles 2028, dont les représentants et les dossiers semblent avoir parfaitement intégré l’esprit de l’Agenda 2020, pour que l’olympisme entre dans une nouvelle ère et sorte de cette crise structurelle ? Malheureusement, les conditions actuelles paraissent insuffisantes. Pour trois raisons.

Premièrement, l’Agenda ne change pas le mode de désignation des villes candidates, qui demeure un vote anonyme par des personnes qui ne représentent qu’elles-mêmes. Ces membres sont bénévoles mais le pouvoir que leur confère leur position est immense. Jamais le CIO ne pourra être sûr que leur vote est déterminé par les principes énoncés par l’Agenda 2020. Deuxièmement, le modèle d’organisation des Jeux, où la ville hôte est responsable des infrastructures, de la sécurité et de leur bonne tenue en général alors qu’il ne reçoit qu’une relativement petite partie des retombées financières reste structurellement inéquitable[2]. Enfin, les dérives liées à la commercialisation du sport sont amenées à se poursuivre étant donné que les institutions sportives vivent de ce marché à forte croissance et que les réformes de gouvernance, de transparence et de contrôle externe peinent encore à se matérialiser (notamment car les individus qui doivent voter et appliquer ces réformes structurelles sont en partie ceux qui ont profité de leur absence). De plus, au gré des enquêtes judiciaires en cours sur l’attribution des derniers JO et sur les failles institutionnelles du système anti-dopage, de nouvelles révélations risquent fort d’éclipser les récents (et réels) efforts d’intégrité du CIO et des autres organes du mouvement sportif.

Des solutions, certes radicales, peuvent remédier au problème des candidatures : désigner un site par continent et instaurer un système de rotation, mais resterait la question du choix de ces sites. Une autre idée serait d’attribuer les Jeux uniquement à des villes qui ont déjà accueilli les Jeux au cours des dernières décennies, mais trouverait-on suffisamment de candidates parmi ces villes ? Une idée plus satisfaisante serait de désigner un site d’accueil permanent des Jeux. Chaque année l’Assemblée générale des Nations unies a bien lieu sur le même site… Pourquoi par les Jeux ? Dans les années 1970, comme à la fin du 19e siècle, la Grèce, territoire des Jeux antiques, avait proposé d’accueillir les Jeux de façon permanente. On pourrait estimer que cette solution va à l’encontre de l’aspect théoriquement universel des Jeux. Mais, implicitement, le format actuel s’en éloigne déjà (difficile d’imaginer une olympiade en Afrique aujourd’hui). Un site d’accueil permanent aussi neutre que possible pourrait justement leur redonner, sur le long terme, un élan universel et apolitique.

Sans bouleverser le système de désignation actuel, une des solutions pour diluer les risques de corruption pourrait être d’élargir sensiblement le nombre de votants, par exemple en incluant des athlètes ayant pris part aux dernières olympiades, ou un certain nombre de licenciés sportifs. Il faut ouvrir le système aux parties prenantes. Sur la question de l’accueil des Jeux, une piste serait d’accroître la coopération matérielle (financière et technique) entre le CIO et les comités d’organisation afin d’alléger la charge des villes. De même, diminuer certaines exigences d’organisation liées à la capacité hôtelière, les transports privés et l’accueil VIP de la famille olympique et ses partenaires aurait non seulement un impact sur la facture du pays hôte, mais favoriserait surtout la légitimité du CIO. En interne, celui-ci peut aller plus loin encore dans la transparence et instaurer un contrôle plus indépendant de ses activités et celles de ses membres. Il lui faut concrétiser, tout en les approfondissant, les réformes entreprises au début des années 2000 puis avec l’Agenda 2020.

Comme face aux autres crises qu’il a traversé dans son histoire récente, le Comité va certainement continuer un jeu d’équilibre institutionnel et géopolitique et privilégier un progrès par tâtonnements, dont lequel l’Agenda 2020 n’est qu’une étape. N’oublions pas que la puissance financière du CIO cache une profonde dépendance aux organisateurs des Jeux (les Etats) et aux fédérations qui encadrent les disciplines et sélectionnent les athlètes. Au-delà de leur reconnaissance par le CIO, ces fédérations n’ont pas de lien juridique direct avec ce dernier. En ce sens, le pouvoir du CIO dans le système olympique n’est ni absolu, ni définitif[3]. De même, la puissance politique du CIO (observateur de l’Assemblée générale des Nations unies depuis 2009) cache une fragilité juridique liée à son statut d’organisation non-gouvernementale de droit national (suisse), dont les membres sont une petite centaine d’individus principalement cooptés. La Charte olympique n’est pas un document international mais bien un accord de droit privé suisse. Un problème de légitimité démocratique et de responsabilisation publique se pose donc pour le CIO, malgré l’image d’universalisme et de neutralité qu’il s’efforce de dégager[4].

Conscient de sa position singulière et de ses vulnérabilités, le CIO doit piloter le mouvement olympique à travers une crise de croissance historique. Quarante ans ont transformé un mouvement qui représentait une vision humaniste du sport en un système désincarné où les supposées « valeurs olympiques » baignent dans un univers dédié à la performance, la rationalisation et la maximisation économique. Qu’en sera-t-il dans 20 ans ? L’adoption de la feuille de route stratégique de l’Agenda 2020 fut une décision ambitieuse et louable, mais ce ne sera pas suffisant. Deux conditions doivent être réunies pour sortir l’olympisme de sa crise : d’une part une volonté inconditionnelle de la part du CIO et, d’autre part, du temps. En ce qui concerne ce deuxième élément, la double attribution des JO 2024-2028 donne une faible mais réelle marge de manœuvre. Au CIO, en coopération avec ses partenaires, de saisir cette occasion.

[1] Rapport annuel du CIO, 2016.

[2] A travers le CIO, ce sont surtout les Comités olympiques nationaux et les fédérations internationales qui bénéficient des revenus olympiques.

[3] Pour une analyse aboutie sur le fonctionnement de ce système olympique, voir : Jean-Loup Chappelet & Kübler-Mabbott, The International Olympic Committee and the Olympic System : the Governance of World Sport, Routledge, 2008, et Jean-Loup Chappelet, Jeux Olympiques, raviver la flamme, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2016.

[4] Sur le sujet de la responsabilité du CIO et de son rapport avec le droit international, voir : Ryan Gauthier, The International Committee, Law, and Accountability, Routledge, 2017.

Catalogne : de souhaitables clarifications

Mon, 30/10/2017 - 11:12

L’absence de négociations politiques depuis le retour au pouvoir du Parti populaire en 2011, le refus par ce dernier de toute forme de médiation depuis le référendum du 1er octobre et l’accroissement continu des tensions ont abouti à la proclamation solennelle de la République de Catalogne le 27 octobre 2017. Immédiatement, le Sénat de l’Etat espagnol a riposté en votant l’article 155 de la Constitution permettant de mettre les institutions de l’autonomie catalane sous tutelle (dissolution du Parlement catalan, destitution des membres du gouvernement…). Des élections régionales ont par ailleurs été planifiées par Madrid pour le 21 décembre.

Deux logiques politiques s’affrontent ainsi irrémédiablement et la situation devient infiniment volatile au vu d’un fossé qui s’est graduellement creusé entre les protagonistes de la crise. Nous assistons à l’affrontement de deux nationalismes, au demeurant asymétriques car chargés d’un contenu politique différents, dont chacun considère que le moindre compromis serait l’expression d’une capitulation. La question est donc désormais de savoir comment sortir d’une crise qui a atteint son acmé.

Les partisans de l’indépendance se félicitent de leur victoire, mais cette dernière risque en réalité d’avoir un goût amer. En effet, les divergences sont grandes au sein même du camp indépendantiste et ne peuvent désormais que se cristalliser. Les différences d’appréciation ont jusqu’alors été plus ou moins tues au nom de l’objectif commun revendiqué de l’indépendance, mais entre les partisans d’un centre droit modéré et ceux de la gauche radicale les divergences sont essentielles. C’est une des raisons pour lesquelles des questions centrales comme le rapport à l’Union européenne (UE) ou la question sociale ont été mal appréciées, voire éludées. Ainsi, le type de modèle républicain à mettre en œuvre n’a pas été débattu publiquement, or la revendication de l’indépendance ne peut constituer un programme politique en soi.

C’est, de notre point de vue, une position de principe que de reconnaître la volonté de s’exprimer librement et la possibilité de recourir à un processus d’auto-détermination. Il importe que ce choix décisif puisse être réalisé en toute clarté, donc sur les bases d’un programme, d’alliances et, éventuellement, de compromis entre les parties au processus, rigoureusement exposés aux citoyens. Le cardinal de Retz qui considérait en son temps qu’« on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment » avait en l’occurrence politiquement tort. La précision des objectifs et des médiations utilisées pour y parvenir est d’autant plus nécessaire que la revendication de l’indépendance a mobilisé des millions de citoyens depuis maintenant plusieurs années et que ces derniers ont besoin de perspectives nettes et claires.

On ne peut alors par exemple qu’être confondu par les illusions qui, depuis des années, ont marqué la majorité du camp indépendantiste sur le soutien que lui apporterait l’UE. Or, la réalité se révèle amère. Ni Bruxelles ni aucune capitale européenne n’ont manifesté le moindre appui au processus d’indépendance. A contrario, leur soutien à Mariano Rajoy est total. On en conviendra, c’est une erreur d’appréciation politique majeure que les dirigeants indépendantistes risquent de payer chèrement, à l’exception de ceux de la Candidature d’unité populaire (CUP – gauche radicale) qui sont vivement critiques à l’égard de l’UE.

Le contenu social de la République de Catalogne n’a pas non plus été véritablement abordé, débattu et clarifié. Si la revendication de l’indépendance révèle indiscutablement une profonde aspiration du sentiment national catalan, elle n’exprime pas automatiquement une volonté de redistribution plus égalitaire des richesses, de défense et d’accroissement des droits sociaux. Or, comme souvent dans l’histoire des processus d’émancipation sociale et politique, les mouvements qui ne parviennent pas à lier la question nationale et la question sociale sont, la plupart du temps, voués à l’échec. C’est ainsi une faiblesse des composantes du camp indépendantiste que de n’avoir pas suffisamment cherché une jonction organisée avec le mouvement social et syndical alternatif en Catalogne et au sein de l’Etat espagnol.

Même si la fenêtre est désormais étroite, c’est au prix de ces clarifications que le mouvement initié en Catalogne pourra se dénouer politiquement et démocratiquement. Nul ne peut croire un seul instant que la question nationale catalane puisse être réglée par des mesures coercitives de mise sous tutelle. La réponse à la crise présente ne peut être ni juridique ni bureaucratique mais fondamentalement politique, c’est-à-dire qu’elle doit recourir au dialogue et à la négociation, ce que jusqu’alors le gouvernement de Madrid et ses alliés de circonstance se sont systématiquement refusés à accepter.

Les multiples manifestations qui ponctuent la vie politique en Catalogne depuis plusieurs années, les résultats du référendum du 1er octobre, dans les conditions de violence répressive dont tous les observateurs se souviennent, indiquent assez clairement que la société catalane est intensément et massivement mobilisée. C’est pourquoi, on ne peut être que profondément sceptiques quant à l’antienne propagée par les autorités de Madrid sur la « majorité silencieuse ». On ne peut par exemple prétendre que les élections régionales du 27 septembre 2015, atteignant un taux de participation de 77 % du corps électoral et qui ont donné une courte majorité en sièges aux diverses composantes des partisans de l’indépendance sur la promesse d’organiser un référendum, ne constituent pas un indicateur fiable de l’état d’esprit des citoyens catalans et de leur inclination. Pour autant ce serait illusoire de penser que la mobilisation restera croissante et s’exprimera de façon linéaire.

C’est donc inlassablement par la multiplication des contacts avec toutes les forces politiques, sociales et syndicales alternatives de l’Etat espagnol que l’intransigeance du Parti populaire et de ses alliés peut être battue. On ne sait à ce jour si les partis indépendantistes participeront au scrutin organisé par Madrid le 21 décembre prochain en Catalogne. La principale exigence c’est, a minima, que tous les partis puissent le faire sans aucune restriction, en d’autres termes qu’aucun de leurs dirigeants ne soit emprisonné.

Enfin, c’est la reconnaissance de la Catalogne comme une nation et donc celle de l’Etat espagnol comme un Etat pluri-national, qui permettra paradoxalement de dépasser les pièges du nationalisme. En un mot, revenir au statut de 2006 qui avait été voté par le Parlement catalan, puis le Parlement de l’Etat espagnol, puis approuvé par référendum en Catalogne avant d’être porté devant le Tribunal constitutionnel par le Parti populaire pour le vider de sa substance… On connaît la suite… Il faut désormais sortir de l’impasse. Un processus constituant apparaît comme une nécessité pour dénouer la crise.

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