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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 2 days ago

L’avènement d’une démocratie locale tunisienne ?

Mon, 07/05/2018 - 14:53

Après deux reports successifs, la Tunisie connaît ses premières élections municipales depuis la révolution de 2011. Une étape supplémentaire dans le processus de transition démocratique que connaît ce pays-laboratoire d’expérimentation démocratique dans le monde arabe.

Depuis la chute du régime inique de Ben Ali, la Tunisie est entrée dans un processus de transition démocratique destiné à donner naissance à un nouvel ordre politique et social fondé sur un acte constituant fondateur de la Seconde République tunisienne. Au terme de près de sept années de transition politique chaotique, ponctuées par l’adoption d’une nouvelle Constitution, les premières élections municipales depuis la révolution de 2011 ont enfin lieu, dans un climat mêlant liberté et désenchantement.

Avec le scrutin du 6 mai, la démocratie locale fera-t-elle partie de la nouvelle donne politique ? Ces élections annoncent-elles l’affirmation d’un nouveau pôle de pouvoir en Tunisie, digne d’une démocratie locale fondée sur une communalisation du territoire national ?

UNE NOUVELLE ÉTAPE DEPUIS 2011

Après le soulèvement de 2011, les anciens conseils municipaux élus sous Ben Ali ont été dissoutes en faveur de « délégations spéciales », nommées et composées de citoyens dirigées par un sous-préfet (le « délégué »). Avec l’élection de 350 conseils municipaux – sortes d’élus « de proximité » –, c’est la démocratisation du pouvoir local qui se joue. Dans le même temps, ces élections ne devraient ni susciter de quelconque ré-enchantement démocratique, ni remettre en cause le système bipolaire qui s’est cristallisé autour du parti islamo-conservateur Ennahda et du parti majoritaire aux dernières élections législatives, Nidaa Tounès (au sein duquel se sont recyclés nombre d’anciens membres du parti Benaliste (le RCD)).

Reste que ce scrutin local va pouvoir tester le poids de la donne tribale dans certaines régions de l’intérieur et du sud du pays, une réalité socio-historique que nombre de Tunisiens – qui ont grandi dans la culture politico-administrative de la concentration/centralisation du pouvoir – ont (re)découvert depuis la révolution de 2011.

Est-ce que les futures municipalités disposeront de la faculté/capacité de lancer des politiques autonomes, alternatives, voire de contester et de contrer l’action gouvernementale ? Autrement dit, le pouvoir central ou d’État sera-t-il confronté à une sorte de contre-pouvoir dont disposeraient les élus locaux ? La démocratisation de la Tunisie passe quoi qu’il en soit par un nouvel équilibre entre démocratie nationale et démocratie locale.

LA DÉMOCRATIE MISE À L’ÉPREUVE PAR L’ÉCHELON LOCAL

Si la Constitution consacre le principe de libre administration des collectivités territoriales, celui-ci se trouve limité par le caractère unitaire et indivisible de l’État qui détermine l’un des éléments constitutifs de la Seconde République. Dans le modèle de l’État unitaire, il n’existe qu’un seul centre de pouvoir politique, qu’un seul pouvoir normatif général (c’est-à-dire compétent pour établir les règles applicables sur l’ensemble du territoire national). C’est pourquoi la notion de (contre-)pouvoir local ne fait pas partie de la culture politique et juridique tunisienne. On se réfère désormais plus volontiers à la décentralisation et à la démocratie locale (ou de proximité), phénomènes qui bénéficient tous deux d’une dynamique historique plus favorable depuis la révolution.

Les communes peuvent ainsi devenir progressivement un élément du régime politique : la démocratisation peut en effet s’accompagner d’un changement des rapports entre les élus locaux et l’administration centrale, entre le pouvoir local et le pouvoir central. En cela, après ces élections municipales, la transition démocratique tunisienne sera mise à l’épreuve quant à sa capacité à conjuguer la démocratie avec l’échelon local.

Afghanistan : une violence sans fin

Mon, 07/05/2018 - 11:53

Lundi dernier, deux explosions ont touché la capitale afghane, attentats revendiqués par Daech. Ces énièmes attaques semblent s’inscrire dans une volonté de déstabiliser un peu plus le pays et le gouvernement en place, et entérinent l’aggravante situation d’insécurité qui réside en Afghanistan. Face à l’échec des interventions étrangères et la progression du terrorisme à l’intérieur du pays, le pouvoir en place peut-il maintenir les élections législatives du 20 octobre ? Pour nous éclairer sur la situation, l’analyse de Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS.

L’Afghanistan fait face à une insécurité discontinue, avec un bilan terrifiant du nombre d’attentats depuis le début de l’année 2018. Comment expliquer l’impuissance des autorités, épaulées par les forces étrangères, à sécuriser le pays ?

Pour comprendre la situation d’insécurité chronique en Afghanistan, il est nécessaire de revenir sur certains points. L’armée afghane est toujours en phase de construction. Au moment de l’intervention américaine, fin 2011, le pays n’en avait pas et était dirigé par des groupes de moudjahidines originaires du Nord de l’Afghanistan, utilisés notamment par les Américains pour pourchasser les Talibans. De 2001 à 2014, la sécurité sur le territoire était assurée essentiellement par les Américains et ses alliés. Parallèlement, l’OTAN, notamment avec Washington, a commencé à établir une armée afghane. Mais ce n’est que depuis 2015 que Kaboul a commencé à prendre en main la sécurité du pays et la guerre contre les insurgés. Très vite, cette armée a montré ses limites en n’étant pas capable d’assurer de manière autonome ces deux missions. Tout cela malgré la volonté de Washington d’investir beaucoup de moyens et d’argent, apportant un financement à hauteur de 5 milliards de dollars par an. Les forces de sécurité afghanes, l’armée et la police, même diminuées ces deux dernières années, s’élèvent à près de 300 000 personnes, considérables pour un pays de cette envergure.

Malgré ces efforts, l’armée afghane reste encore peu performante pour différentes raisons. D’une part, la lutte contre les Talibans, et depuis quelques années contre Daech, se heurte à de nombreuses difficultés. De plus, la sécurité interne dans les grandes villes n’est pas totalement assurée, l’effort s’étant concentré vers l’agencement de forces spéciales. Le reste de l’armée, formé de volontaires issus de couches défavorisées, semble souffrir d’un très bas salaire, d’une faible organisation interne et d’un manque de motivation. En effet, face aux conditions extrêmement dures des combats, les estimations donnent le chiffre de 20 000 tués et blessés chaque année au sein des forces de sécurité afghane. Celles-ci sont confrontées à une guerre asymétrique menée à la fois par les Talibans et par Daech, posant des difficultés structurelles à cette jeune force militaire. De plus, cette armée reflète la société afghane en tant que société multi-ethnique, ce qui pose des problèmes internes à l’organisation, des tensions, voire des conflits entre populations étant toujours présents.

Les Talibans, face à un gouvernement afghan divisé et fragilisé, sont présents sur l’ensemble du territoire afghan et profitent d’une certaine assise populaire grâce aux soutiens locaux, notamment au sein de la population pachtoune. Ils bénéficient aussi de l’incapacité du gouvernement, de plus en plus contesté, y compris auprès de ceux qui sont opposés aux Talibans, et de la corruption de la classe gouvernante. Les Talibans se présentent d’une certaine manière comme les défenseurs des victimes de la corruption et de la mauvaise gouvernance du pays. De plus, ils bénéficient depuis toujours d’une base arrière, à savoir le Pakistan. Renforcement des troupes américaines par Donald Trump après avoir manifesté sa volonté de se retirer d’Afghanistan, retour des soldats américains dans les combats contre les Talibans au sol et par bombardement aérien, déclarations américaines de rester durablement en Afghanistan, sont autant d’autres éléments qui éloignent la perspective d’une solution politique par le biais de négociations entre les Talibans et le gouvernement de Kaboul. L’administration américaine a au contraire durci sa position envers le Pakistan et a récemment imposé des sanctions contre Islamabad, allant jusqu’à menacer le pays d’interventions militaires contre les Talibans sur le sol pakistanais, afin qu’il prenne des mesures plus efficaces contre ce groupe.

Tous ces éléments expliquent pourquoi le gouvernement de Kaboul, avec le soutien d’une vingtaine de milliers de soldats américains, ne parvient pas à vaincre les insurgés et à assurer la sécurité au sein du pays.

Les attentats sont réalisés tant par Daech que par les Talibans. Quelles sont les stratégies poursuivies par ces deux entités ? Y a-t-il des convergences ?

Ces deux organisations ont comme ennemi commun l’État afghan, ainsi que certains de ses soutiens étrangers. Ils ont cependant une divergence dans leurs approches et stratégies.

Daech est apparu en Afghanistan à la fin de l’année 2014, sa base principale étant dans la province de Nangarhar, à l’Est du pays. Depuis lors, on constate une multiplication des attentats visant des civils : jusqu’alors, même s’il y avait de nombreuses victimes civiles, aussi bien du fait de l’armée afghane, de l’OTAN ou de par l’action des Talibans, il s’agissait davantage de ce que l’on nomme tristement des « dégâts collatéraux ». Mais depuis trois ans, la population civile en tant que telle est directement visée, que ce soit à Kaboul, dans les mosquées, notamment celles de la communauté hazâra chiite, dans des centres culturels ou dans le reste du pays. Or, à chaque fois que des civils sont victimes, les Talibans ne revendiquent pas les attaques contrairement à Daech. Le récent double attentat du 30 avril a ainsi été revendiqué par ces derniers. Parfois, même si les Talibans sont à l’origine d’actes terroristes, Daech les revendique en son nom, ce qui entraîne une confusion. Ainsi, la stratégie de Daech est fondée sur le chaos et sur la multiplication d’attaques dans une perspective de guerre religieuse, notamment contre les chiites.

Quant à leur stratégie, il y a une réelle différence. Les Talibans voient dans Daech une forme de concurrence. Dès lors, une forte rivalité réside entre ces deux organisations, illustrée par des affrontements sanglants, notamment dans l’Est du pays, où des membres de Daech ont découpé les têtes des Talibans afin de les exposer sur les routes du pays pour montrer leur « victoire » et présence en Afghanistan. Les Talibans ont répondu de la même façon.

Ensuite, concernant les objectifs, même si les combattants de Daech sont en grande partie issus des Talibans, il se sont radicalisés et sont mécontents de la stratégie de ces derniers qui étaient prêts à négocier avec le gouvernement de Kaboul, il y a trois ans. L’action de Daech s’effectue par ailleurs dans le cadre d’une perspective mondiale à l’inverse des Talibans qui restent un mouvement national. Au fur et à mesure que Daech progresse en Afghanistan, les Talibans craignent leur marginalisation, et adoptent une position de plus en plus radicale et extrême, rejetant toute forme de négociation tant que les forces étrangères seront présentes sur le sol afghan.

Les attaques contre les centres d’inscription sur les listes électorales pour les législatives du 20 octobre sont quasi quotidiennes en Afghanistan. Comment s’organisent les élections dans ces conditions ? Que peut-on en attendre ?

Le gouvernement actuel afghan est issu d’élections frauduleuses. Il a été formé avec la médiation américaine qui avait souhaité instaurer une coalition avec un gouvernement à deux têtes : l’un dirigé par le président de la République, Ashraf Ghani, leur homme de confiance, qui possède l’essentiel du pouvoir, l’autre par le chef de l’exécutif, Abdullah Abdullah.

Si en 2014, le peuple afghan avait participé avec un certain enthousiasme aux élections, un fort sentiment de déception vis-à-vis de l’ensemble des institutions politiques, en particulier envers ce gouvernement est aujourd’hui généralement partagé, n’entraînant pas l’adhésion populaire envers cette nouvelle échéance électorale. Pour donner des garanties à la population, le gouvernement a modifié le processus de vote et instauré de nouvelles mesures, à savoir des listes électorales. Dès lors, ceux qui souhaitent voter doivent s’y inscrire et des centres d’inscriptions ont donc été mis en place. C’est une mesure positive dans un pays où les statistiques sont rares. Mais le gouvernement doit faire face à de nouvelles difficultés de taille. Daech et les Talibans n’acceptent bien entendu pas la tenue d’élections par le gouvernement, et l’idée même de voter est rejetée.

Également, les contradictions et le manque d’unité de vision au sein même du gouvernement sur le processus électoral font que les Talibans trouvent une certaine motivation pour attaquer davantage ces centres électoraux. Dans son élan de réforme, le gouvernement a décidé d’attribuer à chaque citoyen une carte d’identité électronique. Or, les contradictions et conflits à caractère ethnique empêchent leur distribution. Le président de la République s’est ainsi enregistré avec cette carte, alors que le chef de l’exécutif reste opposé à cette idée. Dès lors, il est très difficile d’encourager la population à se rendre aux urnes face aux divisions qui persistent au sein même du gouvernement et aux violences.

Ces derniers jours, la situation s’est par ailleurs fortement dégradée. Les Talibans, au-delà des dernières attaques, mènent des offensives dans l’ensemble du pays. Ils ont notamment mené parallèlement sept offensives contre des districts différents dans la province de Badakhshan à la frontière chinoise et tadjike. Les Américains ont par ailleurs annoncé la semaine dernière que 4% du territoire afghan était totalement contrôlé par les Talibans, et qu’ils étaient activement présents sur 70% du pays. La situation est telle que le gouvernement ne contrôlerait finalement que 30% du territoire. Dès lors, c’est l’incertitude qui domine sur le processus électoral, non seulement pour l’élection législative qui aura lieu dans six mois, une élection reportée à plusieurs reprises, mais aussi sur l’élection la plus importante, l’élection présidentielle de 2019. Des manœuvres et des coalitions politiques s’organisent dès aujourd’hui, où le président sortant, Ashraf Ghani, est considéré comme le protégé des Américains, et reste contesté dans le pays, y compris par certains de ses alliés.

Géopolitique des États-Unis

Mon, 07/05/2018 - 10:36

Marie-Cécile Naves est chercheuse associée à l’IRIS, co-fondatrice du site Chronik.fr. Elle répond à nos questions à propos de son ouvrage « Géopolitique des Etats-Unis » (Eyrolles, 2018), qui vient de paraître :
– Pourquoi est-ce important de réaliser un ouvrage grand public sur les États-Unis ?
– Quels sont les principaux enjeux auxquels les États-Unis sont confrontés sur le plan géopolitique ?
– Une des caractéristiques des États-Unis est qu’ils sont vus comme un pays où persistent de forts contrastes. De quelle manière “le pays des extrêmes” pourrait-il surmonter ce défi ?

« N’ayez pas peur de la Chine » – 4 questions à Philippe Barret

Mon, 07/05/2018 - 10:27

Philippe Barret, docteur en sciences politiques, ancien élève de l’École normale supérieure, a enseigné la littérature et la politique françaises à l’université Fudan de Shanghai et à l’Institut des relations internationales de Pékin. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « N’ayez pas peur de la Chine ! », aux éditions Robert Laffont.

Pourquoi, selon vous, la principale raison de l’incompréhension occidentale envers la Chine relève-t-elle de sa propre prétention à l’universalisme ?

C’est un fait : depuis l’apparition du christianisme, religion à vocation universelle, les Occidentaux considèrent que leurs idées, leurs idéaux et leurs valeurs ont aussi une vocation universelle. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les jésuites étaient d’ailleurs convaincus que la Chine deviendrait un pays chrétien. Aujourd’hui, notre philosophie politique – la démocratie et les droits de l’homme – a pris la place de la religion. Mais la démarche intellectuelle est la même : tous les pays et tous les peuples doivent l’adopter et finiront par le faire, de gré ou de force.

C’est pourquoi nous avons le plus grand mal à concevoir qu’un peuple ou une civilisation puisse ne pas se rallier à cette pensée dont l’universalité, pour nous, va de soi. Naturellement, ce phénomène s’accompagne d’une profonde ignorance de ce qu’est la civilisation chinoise, son histoire, sa pensée politique ou sa littérature. Si, de retour de vacances, je dis à mes amis que je viens de relire quelques pièces historiques de Shakespeare ou quelques romans de la Comédie humaine, la conversation s’engage aisément, parce que tous ont lu telle ou telle de ces œuvres. Mais si je leur dis que je viens de lire Au bord de l’eau, aucun échange n’est possible, parce qu’ils n’ont jamais lu ce magnifique roman ; ils en ignorent même l’existence.

Quelle est la part du patriotisme dans la popularité du Parti communiste chinois (PCC) ?

100% ! Le PCC a d’ailleurs été créé pour des raisons purement nationales (ou patriotiques), et non pour des raisons idéologiques. Il faut bien comprendre que pour nous, occidentaux, Karl Marx est un auteur profondément ancré dans notre culture, que nous tombions d’accord ou pas avec ses idées. Pour un Chinois, c’est un auteur complètement étranger à sa culture. Les Chinois qui ont créé le parti communiste avaient un seul objectif : rétablir la dignité nationale, la souveraineté de la Chine. À cette fin, ils pensaient avoir besoin de l’appui d’une grande puissance étrangère. Ce ne pouvait pas être la France, qui avait en Chine des concessions. Ce ne pouvait pas être la Grande-Bretagne, qui y avait des concessions et une colonie. Ce ne pouvait pas être le Japon, qui venait d’acquérir la concession allemande du Shandong. Ce ne pouvait non plus pas être les États-Unis, qui soutenaient le Japon. Restait la Russie, dont les fondateurs du PCC escomptaient obtenir ainsi le soutien politique, voire financier ou militaire.

Après 1945, la grande masse des paysans chinois s’est ralliée au PCC, alors que tout aurait dû les conduire à soutenir le Guomindang de Tchiang Kaishek. Celui-ci disposait d’une armée deux fois plus nombreuse que celle de Mao Zedong, et beaucoup mieux équipée. Tchiang Kaishek bénéficiait du soutien des États-Unis et, en août 1945, signait un traité d’amitié avec Staline. Ce n’est évidemment pas par adhésion aux théories de la lutte des classes ou de la dictature du prolétariat que les paysans chinois ont soutenu le PCC, mais parce que celui-ci leur apparaissait comme un meilleur garant de l’indépendance nationale que le Guomindang. Contre les Japonais, Mao leur était apparu plus déterminé que Tchiang. La suite de l’Histoire les a confortés dans leur choix : dès la fin des années 1950, Mao Zedong a rompu avec les Soviétiques, tandis que Tchiang Kaishek est resté jusqu’à sa mort soumis aux Américains.

Qu’est-ce qui vous fait écrire que la Chine ne va pas dominer le monde ?

Nous autres, occidentaux, avons toujours voulu dominer le monde, estimant être porteurs d’une pensée universelle : jusqu’au XVIIIe siècle, il fallait apporter le christianisme aux peuples qui étaient dans le malheur parce qu’ils en étaient privés ; au XIXe siècle, on leur apportait la civilisation ; au XXe, la démocratie et les droits de l’homme.

Les Chinois ne partagent pas cette disposition d’esprit. Convaincus de la supériorité de leur culture, ils pensent cependant que celle-ci n’est adaptée qu’aux seuls Chinois. La Chine s’est constituée – comme la France d’ailleurs – par la conquête de régions voisines du centre du pays. Mais la Chine n’a jamais eu ni entrepris d’avoir des colonies par-delà les mers. Il est très remarquable que la Chine ait procédé, au début du XVe siècle, peu avant que le Portugal ne s’y lance, à des expéditions maritimes de grande ampleur, en Asie du Sud-est, dans le monde arabe et en Afrique, jusqu’en Tanzanie. Elle a échangé des cadeaux avec les chefs d’État rencontrés ; elle a tissé des liens commerciaux. Mais elle n’a nullement envisagé de s’installer dans l’un des pays traversés.

Ce que veulent les Chinois, c’est améliorer leur niveau de vie, s’enrichir, mais non pas dominer le monde. Le président Xi Jinping a expliqué, au cours du forum de Davos de 2017, que la Chine devait son relatif succès économique – devenue la deuxième puissance économique du monde, mais n’étant pas encore un pays riche – au « dur labeur du peuple chinois » et à la mondialisation. Ce à quoi tiennent les Chinois, c’est la libre circulation des marchandises, des capitaux et des connaissances scientifiques et techniques – et donc, autant que possible, la paix. Dans cette perspective, ils souhaitent évidemment être entourés de pays avec lesquels ils puissent entretenir des relations amicales. Ils sont déterminés à ce que leurs navires commerciaux circulent librement en mer de Chine. Ils sont convaincus que Taiwan reviendra au pays, comme l’ont fait Macao et Hong Kong. Mais ils n’ont pas besoin de colonies ni de bases militaires partout à travers le monde.

Pourquoi, selon vous, la démocratie n’est-elle pas une aspiration profonde du peuple chinois ?

Les Chinois ne contestent pas les principes de la démocratie. Ils pensent que la démocratie peut même, dans certains pays, être une excellente chose. Mais, ils pensent également qu’elle n’est pas adaptée au leur. Certes, il y a des Chinois partisans de la démocratie. Mais il ne s’agit que d’une minorité d’intellectuels. L’immense majorité des Chinois, y compris les intellectuels, sont convaincus que la Chine a besoin d’un pouvoir fort, centralisé – autrement dit « autoritaire ». Ils ont gardé le souvenir de la révolution républicaine de 1911, qui a aussitôt débouché sur l’indépendance du Tibet (en 1913) et sur la guerre civile entre les différentes régions du pays. Plus près de nous, ils n’ont pas oublié l’éclatement de l’URSS aussitôt après l’abandon du régime communiste. Ils pensent que la Chine est un pays trop vaste et trop divers pour supporter la démocratie. Si cette dernière advenait en Chine, ils imaginent volontiers que les régions de Shanghai et Canton ne manqueraient pas de revendiquer leur indépendance pour profiter pleinement de leur richesse et cesser de payer pour le Xinjiang, le Dongbei et d’autres régions pauvres de la Chine.

Au reste, beaucoup de Chinois voyagent à l’étranger, en qualité de touristes, d’hommes d’affaires ou d’étudiants. Ils peuvent lire, entendre et voir ce qui se passe dans les démocraties occidentales. Il est remarquable que cette découverte ne les ait pas fait changer d’avis : la démocratie, c’est bien pour vous, mais non pas pour nous !

Le Liban face aux urnes

Sat, 05/05/2018 - 12:47

Nucléaire au beau fixe en Corée, avis de tempête sur l’Iran

Fri, 04/05/2018 - 15:29

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

« Comptes à rebours » – 3 questions à Hubert Védrine

Fri, 04/05/2018 - 15:10

Ministre des Affaires étrangères de 2007 à 2012, Hubert Védrine est président fondateur de Hubert Védrine Conseil. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Compte à rebours », aux éditions Fayard.

Quand beaucoup dénoncent la montée du populisme, pourquoi y voyez-vous le syndrome de l’échec des élites ?

Ce que l’on appelle le « populisme » mesure l’échec des élites mondialisatrices et européistes à convaincre et entraîner les peuples plus avant. Leurs condamnations du populisme sont donc vaines et sans effet. Il faut traiter les peurs et attentes sous-jacentes des peuples. Elles sont évidentes. Ils veulent garder une certaine identité, ne pas perdre toute souveraineté et être en sécurité (le monde est inquiétant). Il ne faut pas mépriser ces revendications, mais les traiter pour les apaiser et rassurer. Sinon, le déni nourrit les extrémismes.

Pourquoi insistez-vous sur la nécessité d’écologiser la politique ?

Je suis frappé par la conjonction des engrenages à l’œuvre dans le monde, dont aucun n’est mécaniquement favorable aux Européens. Notamment la croissance démographique alors que l’Europe va, au mieux, stagner (il faudra de toute façon partout dans le monde, mieux gérer ces flux). Mais il y a surtout la dégradation écologique, d’où mon titre « Comptes à rebours ». Il ne s’agit pas « d’écologiser la politique », les écologistes politiques ont à l’évidence échoué, mais d’accélérer, par des politiques appropriées, l’écologisation de l’agriculture, de l’industrie, de l’énergie, des transports, de la construction, etc. Autant d’éléments qui dépendront également beaucoup des percées scientifiques. Ce qui est enclenché ne va pas s’arrêter.

Comment expliquer que, malgré les nombreuses concertations de dirigeants, il n’existe pas de « communauté internationale » ?

Il y a certes une forte activité multilatérale au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU), de ses organisations spécialisées et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et de nombreux sommets qui engagent des dizaines de milliers de fonctionnaires. Mais, les peuples ne forment pas encore une « communauté ». Les mentalités, les peurs, les espérances sont trop différentes. Pourquoi ne pas y travailler en se basant sur la prise de conscience écologique ? Pour le moment, il n’y a « communauté » qu’à certains moments : COP21, parfois unanimité au Conseil de Sécurité de l’ONU…

Pourquoi estimez-vous que le dossier russe nécessite de s’affranchir des États-Unis, engagés dans une dangereuse escalade avec Moscou ?

L’actuel remake de guerre froide, sans même les mécanismes de la Détente qui existaient autrefois, est une impasse. Il faut imaginer une relation Europe/Russie à long terme, où l’Europe se montrerait ferme et dissuasive, mais aussi coopérative. Ce n’est pas facile à réaliser, d’autant plus que la politique occidentale des trente dernières années a réveillé les pires reflets en Russie ! Raison de plus pour ne pas dépendre des faucons et des foucades de Washington. Cet accord stratégique entre Européens est très important (quelle stratégie envers la Russie ?) et, contrairement à une idée reçue, ne serait pas automatiquement renforcé par une plus grande intégration économique de la zone euro. C’est une question de mentalité, de volonté et de courage au niveau des dirigeants.

 

Législatives au Liban : des élections symboliques ?

Fri, 04/05/2018 - 10:53

Le 6 mai prochain, le Liban va connaître ses premières élections législatives depuis 2009. Malgré la situation quelque peu critique du pays, marquée par une faible croissance économique, un gouvernement instable et une persistance des rivalités régionales sur son territoire, une certaine effervescence demeure au sein de la société libanaise à la veille des élections. Ces législatives vont-elles permettre au Liban de renouveler sa classe politique ? Le point de vue de Karim Emile Bitar, directeur de recherche à l’IRIS.

Après neuf années sans élections, ces législatives vont-elles permettre au Liban de se stabiliser politiquement ? Quel va être l’effet de la nouvelle loi électorale introduisant un mode de scrutin proportionnel ?

C’est en effet la première fois depuis 2009 que les Libanais vont se rendre aux urnes. Ces dernières années, le Parlement s’était autoprorogé de façon illégitime et anticonstitutionnelle à deux reprises, en évoquant des prétextes sécuritaires liés à la situation instable de la région. Toute une génération de Libanais va donc voter pour la première fois. Cela suffira-t-il à remettre le pays sur la voie de la démocratie ? Est-ce que cela va permettre un renouvellement de la classe politique ? Rien n’est moins sûr. On vante souvent la résilience, bien réelle, de la société civile libanaise, mais on a parfois tendance à oublier que l’establishment politique libanais est très doué pour assurer sa reproduction. Au fil des ans, la « démocratie consociative » à la libanaise s’est transformée en véritable système oligarchique. Ces élections en témoignent. Le passage à la proportionnelle ne suffira pas à produire le changement escompté. Cette petite oligarchie de 6 ou 7 personnes contrôlant le pays fait elle aussi preuve de résilience et est très astucieuse. Ils sont incapables de gérer les affaires publiques et l’économie, mais dès lors qu’il s’agit d’assurer leur maintien au pouvoir, l’incompétence cède la place à une véritable ingéniosité dans la malfaisance. Ce ne sont pas des amateurs. L’argent, le communautarisme, la peur de l’autre, les parrainages étrangers sont les outils qui leur permettent de s’accrocher.

Le mode de scrutin proportionnel, adopté suite à la nouvelle loi électorale de juin 2017, aurait pu être une bonne nouvelle. Théoriquement, ce type de scrutin devrait permettre l’arrivée de nouvelles forces politiques. Cependant, le diable se niche dans les détails et a été introduit dans cette loi un certain nombre de mécanismes qui viennent vider la proportionnelle de son sens et de son contenu. Ce sont ajoutées à cela des alliances électorales purement tactiques et opportunistes entre partis de l’establishment traditionnel, ayant pour objectif de s’aider mutuellement à conserver le nombre de sièges dont ils disposent déjà. Le nouveau Parlement, qui sera élu le 6 mai prochain, devrait donc ressembler à bien des égards au Parlement existant. Il y aura beaucoup de nouveaux entrants, pour la plupart issus du système, mais le rapport de force global ne sera modifié qu’assez marginalement.

En règle générale, doivent résulter d’un scrutin proportionnel des listes cohérentes, construites et présentées par les mouvances politiques. La proportionnelle doit favoriser l’expression d’un vote partisan. Malheureusement, au Liban, dans le cadre de ces élections, les candidatures ont d’abord été présentées à titre individuel, et ce n’est que par la suite que des alliances électoralistes se sont formées. La plupart des listes sont très hétéroclites. Sur nombreuses d’entre elles, il y a à la fois des partisans de l’axe irano-syrien et des pro-Saoudiens, des notabilités traditionnelles, des figures issues des milices, ou encore des hommes d’affaires ayant littéralement « acheté » un siège sur l’une des listes les plus influentes. Par conséquent, ce scrutin donne l’impression que ces élections sont entièrement dépolitisées, avec une occultation des questions sensibles, stratégiques ou socio-économiques, ainsi qu’un désintéressement vis-à-vis des projets d’avenir. Il s’agit uniquement pour les forces en présence de compter leurs partisans et d’assurer une mobilisation électorale de leurs troupes afin de revenir au Parlement. Tous les moyens sont bons. L’asphalte est par exemple un agent électoral important. Pour certains candidats, notamment les notabilités locales fortunées, goudronner les rues des villages reculés permet d’augmenter rapidement leur capital électoral.

Quels sont les enjeux et défis du Liban à l’heure actuelle ?

Depuis une quinzaine d’années, le Liban subit directement les guerres régionales par procuration, notamment celle que se livrent l’Iran et l’Arabie saoudite sur le terrain de plusieurs pays voisins comme l’Irak, le Yémen, la Syrie et dans une moindre mesure le Bahreïn. Dans chacun de ces pays, figure un camp politique globalement aligné sur l’Iran et un autre plutôt proche de l’Arabie saoudite. Le Liban n’échappe pas à cela. Les élections de 2009 avaient été marquées par une polarisation très intense autour de la question des armes du Hezbollah. Doit-on revenir à un État qui détiendrait le monopole de la violence légitime, autrement dit désarmer le Hezbollah ? Ou doit-on considérer que tant que la menace israélienne persiste, l’arsenal du Hezbollah est légitime ? Aujourd’hui, ce débat a été largement occulté. Le rapport de force à l’échelle régionale a été quelque peu modifié : le camp iranien a le sentiment d’avoir remporté des victoires importantes en Syrie. Quelques figures au Liban continuent de mener le combat en réclamant le désarmement du Hezbollah, mais ces voies semblent noyées ou marginalisées. La quasi-totalité des partis politiques accepte de faire partie de « gouvernements d’union nationale » aux côtés du Hezbollah.

Le grand défi du Liban est de trouver les moyens d’être « insularisé », autrement dit de ne pas subir à nouveau les conséquences si les relations entre Téhéran et Riyad ou entre Téhéran et Washington devaient se dégrader. Il y a un sentiment d’être dans une situation de calme avant la tempête même si ces élections du 6 mai vont être marquées par une ambiance folklorique. Ce ne sont peut-être pas des élections parfaitement démocratiques, mais elles ont le mérite d’avoir lieu, dans une région où la démocratie est loin d’être la norme.

Par contre, dès le 12 mai, la situation au Moyen-Orient risque de se dégrader considérablement si Donald Trump décide de rompre l’accord nucléaire avec Téhéran. Le Liban serait un des pays qui serait directement affecté compte tenu de l’influence iranienne dans le pays, et une montée des tensions pourrait avoir lieu à l’échelle régionale.

La priorité, comme toujours, devrait donc être de se désengager de cette guerre des axes et de former un gouvernement qui pourra s’attaquer aux grands défis économiques et sociaux, à l’heure où une grande partie de la population continue de souffrir du chômage, de la pauvreté, de la crise des déchets et des coupures d’électricité. Il faut espérer qu’après ces élections, la classe politique libanaise, plutôt que de se laisser embarquer dans de grandes querelles géopolitiques qui dépassent le Liban, se préoccupe des questions concrètes pour l’amélioration de la vie quotidienne des Libanais.

L’édification d’un État fort et impartial demeure le principal défi. Le général de Gaulle l’avait déjà compris durant son séjour au Liban, entre 1929 et 1931. Dans un discours prononcé à l’Université Saint-Joseph, il avait incité la jeunesse libanaise à « construire un État », à « créer et nourrir un esprit public, c’est-à-dire la subordination volontaire de chacun à l’intérêt général. » En 2018, nous sommes encore très loin d’avoir construit un État fondé sur les valeurs de la citoyenneté.

 

 

Kazakhstan must look beyond the Belt and Road

Fri, 04/05/2018 - 09:52

At Khorgos, the Kazakh border town which is the first stop on the new Silk Road to Europe that Beijing has been building and promoting, China’s presence is overwhelming.

Shops and restaurants within the Khorgos trade zone are run almost entirely by Chinese citizens. Most of its 15,000 daily visitors come from the Chinese side. Trains and trucks move in both directions, but the traffic from China is heavier as many of the shipping containers traveling east from Europe are empty.

For most of the past 25 years, Kazakhstan, Central Asia’s largest economy, has managed under President Nursultan Nazarbayev to delicately balance its relationships with various major powers. Now with Beijing’s economic influence rising quickly, Astana must find a way to deal with its powerful neighbor’s geopolitical ambitions while benefiting from new economic opportunities.

Kazakhstan should not delay as speculation is growing about the country’s political direction when the 77-year-old Nazarbayev leaves the scene. The last of the original Soviet-era leaders who shepherded Central Asia’s republics to independence, he oversaw constitutional changes last year that enhanced parliament’s powers and which some analysts saw as preparation for a leadership transition. The authorities should seize opportunities to deepen ties with Europe while also looking for openings to work more with the U.S. and Russia.

China’s rise in Kazakhstan has been swift. It now buys almost 25% of Kazakh oil output, with a reduced share going to Italy, the Netherlands, France and other European states. As part of its Belt and Road Initiative, Beijing is rapidly investing in east-west infrastructure projects across the Central Asian republic that have overshadowed previously launched programs backed by the US and Russia.

On the Chinese side of the Khorgos border zone is a new city with a growing line of high-rise buildings housing some 100,000 people. Many of these Chinese were encouraged to move to this part of the country to take part in BRI-related business activities. Chinese state-owned companies have moved in and private businesses are being set up.

From Beijing’s point of view, Kazakhstan, where the BRI was first announced by Chinese President Xi Jinping in 2013, is a critical element of its fast-growing drive for international influence. It sits in a strategic spot between China and Russia and is far away from potential competing powers including the U.S. and the EU.

While many officials and businesspeople have cheered on the BRI, ordinary Kazakhs are wary about the country’s China connections. In spring 2016, protests broke out in western Kazakhstan over a government proposal to make rural land available to foreigners. The general sentiment was that Chinese companies would benefit directly from the new law. Eventually, the authorities suspended the plan.

China has therefore tried to win hearts and minds across this proud country. Kazakhstan is now home to six Confucius Institutes, the Chinese government-run centers for teaching Mandarin. Some 15,000 Kazakh nationals now study in China, up from 5,000 in 2013, with most receiving scholarships from Beijing.

Yet Kazakhstan’s longstanding ties to Russia, dating back to Tsarist and Soviet times, run deep and strong, with many Kazakhs still learning Russian and looking northward for study, work or business opportunities. Nearly 70,000 are pursuing higher education in Russia, according to UNESCO data. Mainstream Kazakhs feel little sense of commonality with China’s ethnic Han majority. Like many residents of Siberia and eastern Russia, they have a palpable fear of Chinese rushing into their underpopulated nation of just 18 million people spread over a territory comparable in size to India.

Both to reassure the public about their prospects under the long shadow of China and to safeguard Kazakhstan’s independent standing, Astana needs to get other powers more interested in what it has to offer. Last year’s energy-focused World Expo and the hosting of Syrian peace talks were well and good, but the government should make targeted efforts too.

Russia would seem a likely starting point. As the traditional hegemon of the region, Russia still carries strong political and cultural weight. But Kazakhstan is wary of Moscow’s domineering tendencies. Also, its Eurasian Economic Union trade bloc, of which Kazakhstan is a founding member, so far has not offered a meaty alternative to the Belt and Road Initiative.

Kazakhstan has sought at times recently to separate itself with Russia, accelerating plans to replace the Cyrillic alphabet and distancing itself from Moscow’s annexation of Crimea. But Astana could perhaps get Russia’s attention by working to breath more life into the Eurasian union. Its initiative last year to put bloc monitors at the China-Kyrgyzstan border to screen imports was a sign of commitment and could be followed up.

While President Nazarbayev was warmly welcomed to the White House by U.S. President Donald Trump in January, the possibility of significant new American investment or even interest seems remote in the near term. There are just too many other higher priorities for the current administration.

Astana’s best prospects of counterbalancing China  without overreliance on Moscow probably lie with the EU. With Kazakh input, Brussels is a developing a new overarching policy strategy for its relations with Central Asia for release this year or next. It is also working on plans for improved transport and infrastructure links

In November, the European Commission committed to extend 1 billion euros ($1.2 billion) of financial support for Central Asia programs through 2020, a jump from the 435 million euros extended for the previous five-year period. The EU’s scientific research center is also exploring the idea of linking the power grids of Europe and China, a project that would cross through Kazakhstan.

While the prospect of additional pipelines to Europe now seems remote, the continent could easily take more oil from Kazakhstan. Astana could also look to the EU for more support for its broad privatization program, which could potentially be attractive to a range of European investors. Europe, which now hosts about 5,000 Kazakh students, could also look to expand its educational links with the country.

Astana needs to embrace these openings to deepen the EU’s stake in Kazakhstan’s future. Ultimately most Kazakhs will feel comfortable with the BRI and all it brings from China, only if the country becomes a truly international platform with the EU, in particular, establishing a bigger presence. For Kazakhstan, engaging in a deeper partnership with Brussels could help secure its political and economic autonomy.

Mexique-Etats-Unis : qui rira le dernier ?

Wed, 02/05/2018 - 16:42

Le 25 avril 2018, le Sénat mexicain a ratifié le CPTPP (le Traité intégral et progressiste d’association transpacifique[1]), quasiment au lendemain de la fin réussie d’une négociation Mexique-Union européenne (UE). Donald Trump, dès le lendemain a surpris. Réagissant au quart de tour, il a signalé la possibilité d’un compromis sur l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) avec le Mexique et le Canada, compromis jusque-là publiquement rejeté.

L’enchainement concomitant de ces événements déconcerte. Depuis l’entrée de Donald Trump à la Maison-Blanche le 1er janvier 2017, rien ne va plus entre Washington et Mexico. Le président des États-Unis soigne sa popularité, ainsi que son capital électoral en affrontant le camp mexicain.

Depuis janvier 2017, fidèle à ses engagements de campagne, Donald Trump a multiplié les déclarations blessantes et les initiatives agressives. Commerce, immigration, déploiement de l’armée sur la frontière, de tweet en tweet les mauvaises nouvelles pour le Mexique se sont enchainées.

Au point comme l’a reconnu le Secrétaire mexicain aux relations extérieures, Luis Videgaray, de ne plus savoir sur quel pied danser avec Donald Trump. Conclusion a-t-il dit dos rond avec les États-Unis et en parallèle défense et illustration de nos principes.

Dos rond évident, le rapport de forces étant ce qu’il est. Les Mexicains ont donc évité de polémiquer. Ils ont tenté à plusieurs reprises d’amadouer en direct Donald Trump. Encore candidat, rompant avec une tradition de non-ingérence électorale, le « Premier » mexicain Enrique Pena Nieto avait en août 2016 invité le candidat Trump à Mexico. Il avait changé de Secrétaire d’État et désigna pour cette fonction Luis Videgaray, ami personnel du gendre de Donald Trump.

Devant l’évidence de l’absence de résultats, cette approche diplomatique a été mise en sourdine. Dès lors, le Mexique a choisi de répondre coup pour coup sur le terrain économique et commercial. Sans doute par nécessité, celle de trouver au plus tôt des partenariats alternatifs au cas où l’ALENA in fine serait dénoncée. Mais certainement aussi pour se placer sur le terrain privilégié par Donald Trump celui du poker diplomatique en mode bras de fer.

Un an et demi plus tard, les autorités mexicaines peuvent exiger une fin de partie, cartes sur table. Ils ont en effet réussi à construire de façon pragmatique un réseau alternatif sur bien des points à celui qu’ils avaient consolidé avec les États-Unis depuis 1994, date de la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain.

Pressés par l’urgence de la situation, ils ont exploré toutes les voies bilatérales et multilatérales possibles. Sans a priori idéologiques, ils ont multiplié les contacts et signé des accords avec des blocs commerciaux, l’Union européenne et le TPP. et également avec les BRICS. De son côté, le Canada sollicité avec succès est devenu membre de l’Alliance du Pacifique[2], en avril 2018.

Les grands acteurs du commerce international, Chine et Japon n’ont par ailleurs pas été oubliés. Tout comme les pays européens pris dans leur individualité, Allemagne, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, mais aussi la Pologne, la Slovaquie, la Suisse et la Russie. Des partenaires jusque là peu présents ont également été visités, Ghana, Israël, Turquie, Vietnam. Les chantiers de demain, tout aussi improbables il y a deux ans, seraient ouverts. Par exemple avec le concurrent continental historique, le Brésil.

Face aux avancées mexicaines, Rex Tillerson, Secrétaire d’État nord-américain, s’en était publiquement inquiété le 1er février dernier.  Il avait proposé une nouvelle donne, une nouvelle doctrine Monroe aux pays latino-américains qui devait être sanctionnée par Donald Trump au VIIIe sommet des Amériques de Lima les 13 et 14 avril 2018. Cependant, Rex Tillerson a été brutalement remercié le 13 mars 2018 et Donald Trump a présenté un bulletin d’excuses syrien pour éviter le la rencontre continentale au Pérou.

Quinze jours plus tard, le Mexique a abattu coup sur coup trois cartes majeures : l’adhésion du Canada à l’Alliance du Pacifique, la fin heureuse des négociations commerciales avec l’Union européenne et la ratification de l’Accord TPP avec les pays riverains du Pacifique. Le 25 avril, Donald Trump, rompant avec ses discours habituellement critiques sur l’ALENA, rétropédalait : « Les choses bougent. (..) On avance bien sur l’ALENA. Il pourrait y avoir une signature bientôt. Bien que je ne sois pas sûr que ce soit bon pour les États-Unis », a-t-il déclaré à des journalistes.

Le Mexique aurait-il comme la Corée du Nord trouvé la bonne clef pour contraindre Donald Trump à s’asseoir sérieusement à la table de négociations ? Celle du « Gros bâton » et des dollars alternatifs ?

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[1] Pays parties, Australie ; Brunei ; Canada ; Chili ; Japon ; Malaisie ; Mexique ; Nouvelle-Zélande ; Pérou ; Singapour ; Vietnam.

[2] Organisation interaméricaine créée en 2011 par le Mexique, la Colombie, le Pérou et le Chili

« Le nationalisme iranien, historiquement, n’est pas un nationalisme offensif »

Tue, 01/05/2018 - 11:58

« Il est facile de simplifier une situation et de désigner un coupable. Mais si l’on regarde l’histoire et les raisons qui ont conduit l’Iran à intervenir en Irak ou en Syrie, il n’apparaît pas comme un pays cherchant à dominer la région.

L’Iran et l’Irak ont été en guerre de 1980 à 1988, après une attaque de Saddam Hussein. L’ONU n’a jamais condamné cette attaque, tandis que la France et les États-Unis ont soutenu le président irakien. Cette guerre a beaucoup influencé les cadres de la République islamique. Elle a déterminé leur vision du monde. Pendant longtemps, pour l’Iran, la première menace stratégique, c’était donc l’Irak de Saddam Hussein et non Israël ou les États-Unis. Ce sont des raisons sécuritaires qui l’ont conduit à saisir l’occasion de développer son influence en Irak (où la population est majoritairement chiite, NDLR) quand celle-ci s’est présentée.

Au sujet de la Syrie, les Iraniens expliquent d’abord leur intervention par le fait qu’ils ne pouvaient se permettre que le pays tombe entre les mains de groupes djihadistes sunnites, comme Daech ou le front al Nosra. Il y a quelques mois, le Guide a d’ailleurs avancé dans un discours que Téhéran se battait en Syrie et en Irak contre Daech pour ne pas avoir à le combattre plus tard sur le territoire iranien. C’est une menace existentielle pour les chiites. La deuxième explication, c’est le Hezbollah : la Syrie est une base arrière très importante pour le soutenir financièrement et logistiquement au Liban. Aussi, dans la logique iranienne, la Syrie fait partie de « l’axe de résistance » à Israël. Quant au Yémen, l’Iran est accusé d’y soutenir les rebelles houthistes, mais personne parvient à quantifier ce soutien. Il réside dans des déclarations, mais qu’en est-il sur le plan militaire ?

Avancer que le nationalisme iranien implique une domination de la région, cela ne correspond pas à ce que l’on peut entendre en Iran, où certains disent qu’il vaudrait mieux penser à la population qu’à la Palestine ou à la Syrie. Le nationalisme iranien, historiquement, n’est pas un nationalisme offensif, mais de résistance à l’influence étrangère. Quant au projet d’exportation de la révolution islamique, il est mort dans les années 1980. La guerre contre l’Irak, qui a épuisé le pays, a conduit à un retour au réalisme en matière de politique étrangère.

Il y a un lien entre les propos de Mike Pompeo et la stratégie de Donald Trump. Désigner un ennemi, intérieur ou extérieur, est le b.a.-ba du populisme. En accusant l’Iran de tous les maux, on évite de parler du manque de démocratie dans la région, qui explique une partie des problèmes, ou des liens idéologiques entre le wahhabisme saoudien et Daech. »

Propos recueillis par Marianne Meunier

L’Europe et l’accord sur le nucléaire iranien : les défis posés par Trump

Mon, 30/04/2018 - 12:21

Le président américain Donald Trump a lancé en janvier 2018 un ultimatum aux Européens : si ces derniers ne mettent pas fin aux « terribles défauts » de l’accord sur le nucléaire iranien avant le 12 mai 2018, les États-Unis s’en retireront.

Le président américain considère qu’il faut modifier deux éléments :
– cet accord ne doit plus être limité dans le temps (l’accord prévoit que les contraintes limitant le développement du programme nucléaire iranien durent 10 ans) ;
– le régime de visites des sites nucléaires doit être basé sur le principe « n’importe quand, n’importe où ».

Parallèlement, Donald Trump considère que l’Iran ne respecte pas « l’esprit » de l’accord à travers le développement de son programme balistique et son rôle « déstabilisateur » dans la région.

Un tel ultimatum pose de nombreux défis à l’Europe. Tout d’abord, il est important de rappeler que l’Europe a joué historiquement un rôle fondamental dans les négociations conduisant à l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. Dès octobre 2003, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni (« E3 » (1)) ont négocié et obtenu de l’Iran un premier accord (l’Accord de Téhéran) pour qu’il arrête d’enrichir de l’uranium. Puis, suite à une collaboration des « E3 » avec Javier Solana, le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE, un nouvel accord, l’Accord de Paris, a été conclu en 2004 pour prolonger l’Accord de Téhéran.

En janvier 2006, quand l’Iran a, suite à l’élection de Mahmoud Ahmadinejad, recommencé à enrichir de l’uranium, l’« E3 »/UE a été élargi à la Chine, la Russie et les États-Unis. Par la suite, l’« E3 »/UE a joué un rôle décisif dans les négociations qui ont abouti à l’accord de juillet 2015, basé sur une limitation du programme nucléaire iranien en échange d’une levée des sanctions liées à ce programme (et votées par les Nations unies, l’UE et les États-Unis).

La position européenne par rapport à l’accord de 2015 est claire(2). Cet accord a permis d’éviter une militarisation du programme nucléaire iranien et de diminuer les tensions qui auraient pu conduire à une guerre. Cet accord marche : l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a confirmé 10 fois que l’Iran remplit ses obligations. Dans ces conditions, une sortie des États-Unis de l’accord, et donc une fin probable de ce dernier, pourrait contribuer grandement à déstabiliser la région, accroître les risques de prolifération nucléaire, et conduire à un Iran plus radical. Cette position européenne résulte de la nécessité de préserver la stabilité au Moyen-Orient et non pas de défendre des intérêts économiques (les exportations de l’UE vers l’Iran ne représentent que 0,5 % des exportations totales de l’UE).

Par ailleurs, l’UE est opposée à une renégociation de l’accord, considérant qu’une telle stratégie pourrait conduire à de nouvelles demandes de l’Iran et se rappelant qu’il a fallu plus d’une dizaine d’années pour aboutir à l’accord de 2015. L’UE partage les inquiétudes américaines concernant le programme balistique iranien ou le rôle « déstabilisateur » de l’Iran dans la région mais elle considère que ces questions ne font pas partie de l’accord sur le nucléaire. Pour l’UE, la meilleure stratégie pour régler ces problèmes est de discuter avec l’Iran : un « Dialogue structuré » a été ouvert entre l’« E3 » + l’Italie avec l’Iran en janvier 2018 pour évoquer ces sujets.

Mais surtout, pour les Européens, la meilleure manière d’arriver à négocier avec l’Iran est de convaincre ses dirigeants qu’ils ont intérêt à le faire. Il faut donc qu’en premier lieu, l’Iran tire tous les bénéfices économiques de l’accord de 2015. Or, si l’économie iranienne a bénéficié de l’accord grâce, notamment, à la fin de l’embargo pétrolier, il existe un véritable mécontentement en Iran lié au fait qu’aucune grande banque européenne n’a recommencé à travailler avec ce pays. La raison est à chercher outre-Atlantique : du fait de l’existence de sanctions américaines non liées au nucléaire et des très sévères amendes qu’ont dû payer certaines banques européennes (comme BNP Paribas) pour ne pas avoir respecté des sanctions américaines, aucune grande banque du Vieux Continent ne veut prendre le risque de travailler en Iran.

La stratégie européenne a donc deux volets. Il faut tout faire pour convaincre le président américain que les États-Unis doivent rester dans l’accord et que discuter avec l’Iran sur les autres sujets de discorde est la meilleure stratégie possible, notamment si l’Iran perçoit que l’accord sur le nucléaire marche et qu’il en tire tous les bénéfices attendus. Parallèlement, l’UE se prépare à un retrait américain en préparant notamment des procédures qui protègeraient les entreprises européennes des sanctions américaines, suspendues en juillet 2015 et donc réactivées si les États-Unis se retiraient. En définitive, l’UE considère que le dialogue est la meilleure stratégie pour travailler avec l’Iran, mais cela implique que l’accord sur le nucléaire soit aussi vu comme une réussite en Iran.

Dans un tel contexte, que peut-on retenir de la visite d’Emmanuel Macron aux États-Unis ? Très clairement, le président français a défendu le premier volet de la stratégie présentée au-dessus : s’appuyer sur l’accord sur le nucléaire de 2015 pour négocier d’autres accords avec l’Iran sur son rôle régional, son programme balistique et le futur de l’accord de 2015 (qui s’achèvera vers 2025). Parallèlement, il a sûrement mis en garde le président américain face aux risques d’une sortie américaine de l’accord.

Va-t-il être entendu ? C’est très difficile à dire. D’une part, le président américain semble suivre une logique de politique interne impliquant la réalisation des promesses faites lors de la campagne électorale, dont celle de déchirer l’accord sur le nucléaire de 2015. D’un autre côté, un retrait américain de l’accord de 2015 peut conduire à une réaction en retour de l’Iran qui a menacé de recommencer à enrichir de l’uranium à 20% ou même de sortir du TNP. En outre, une sortie américaine de l’accord pourrait rendre l’Iran plus « agressif » dans sa politique régionale. Les autorités américaines se rendent sans doute compte qu’il sera très difficile de négocier quoi que ce soit avec l’Iran sur tous les sujets (politique régionale, programme balistique, après-accord de 2015) s’ils commencent par sortir de l’accord de 2015.

Ces incertitudes signifient que les Européens doivent également préparer un « plan B » (le deuxième volet de la stratégie exposée plus haut). Compte tenu des risques induits par une sortie américaine de l’accord, il est possible que les autorités américaines puissent accepter que leurs sanctions (qui devraient être réappliquées(3) si les États-Unis sortent de l’accord) n’aient aucun caractère extraterritorial. Ceci pourrait donner la possibilité aux Européens de convaincre l’Iran de rester dans l’accord. Parallèlement, les Européens sont également en train de préparer des procédures juridiques visant à protéger les entreprises européennes de sanctions extraterritoriales américaines ainsi que des modes de financement publics permettant de compenser l’absence des grandes banques européennes. Il faut également que, in fine, les Européens, et ce n’est pas gagné, arrivent à convaincre les autorités iraniennes que l’Iran a intérêt à rester dans l’accord du fait des garanties européennes que les échanges économiques avec l’Iran ne seront pas affectés par la décision américaine de sortir de Barjam(4).

Au total, on peut quand même saluer la position européenne qui défend par son action diplomatique auprès des États-Unis un objectif de maintien de la stabilité au Moyen-Orient. On peut également noter qu’au sujet de l’Iran comme pour d’autres questions, le caractère radical et plutôt imprévisible de la politique américaine donne plutôt une chance à la diplomatie européenne de s’affirmer. Espérons qu’elle saura la saisir.

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(1) Ce groupe informel « E3 » se situait initialement en dehors des structures officielles de l’UE en charge de la politique étrangère européenne.
(2) On peut noter qu’il existe une grande convergence de vue à ce sujet au sein des « E3 » et qu’en dépit du Brexit la formule de ce groupe pour négocier avec l’Iran est toujours considérée comme la plus efficace du fait de sa flexibilité.
(3) L’accord ayant été basé sur le principe d’une levée des sanctions (liées au nucléaire iranien) américaines, européennes et des Nations unies en échange d’une réduction de la portée du programme nucléaire iranien.
(4) Nom persan donné à l’accord sur le nucléaire de 2015.

Cet article est basé sur une étude réalisée par Aniseh Bassiri Tabrizi, chercheuse au RUSI, Thierry Coville et David Ramin Jalilvand, consultant à la Fondation Friedrich Ebert, « Better Together : Brexit, the E3 and the Future of Europe’s Approach towards Iran”, Perspective, Friedrich Ebert Stiftung, April 2018.

« Peut-être que certains pays arabes seront gênés aux entournures »

Mon, 30/04/2018 - 12:14

Les menaces proférées par le président américain Donald Trump, pourraient occasionner des retournements de veste au sein même du continent africain. À quelle échelle ?

Que pensez-vous du tweet de Donald Trump ?
C’est effectivement une grande première parce que jamais aucun pays candidat n’a fait une telle menace, et il n’est pas certain que ce ne soit pas contre-productif à terme. Ça ne peut que renforcer la vision du caractère répulsif qu’ont les États-Unis et Donald Trump. La personnalité de Trump, même s’il ne sera plus au pouvoir en 2026, est certainement un bon argument pour le Maroc.

Pourquoi ?

Parce que beaucoup de fédérations ne voudront pas donner l’organisation de ce qui est une grande fête mondialisée qui réunit le monde entier, à un pays qui est jugé aussi agressif.

Selon vous, certains pays peuvent-ils être amenés à changer de position et voter pour United 2026 ?

Peut-être que des pays arabes comme l’Égypte ou l’Arabie Saoudite seront gênés aux entournures parce qu’ils sont très dépendants et très liés aux États-Unis. Trump leur met une pression maximum et il faudra voir si la solidarité arabe l’emporte sur les liens stratégiques. Ce genre de tweet aura quand même un effet déplorable, et peut contribuer à la montée de l’anti-américanisme.

D’autres pays pourraient retourner leurs vestes ?

Les pays qui dépendent grandement des État-Unis pour leur sécurité. J’en vois deux principaux donc (Arabie Saoudite et Égypte). Peut-être aussi la Jordanie. Naturellement, ils auraient voté pour le Maroc. Il sera quand même très difficile pour ces pays de justifier leur vote. Car la candidature du Maroc a ceci de géopolitiquement intéressant: c’est un pays musulman mais modéré, qui a de bonnes relations avec les monarchies du Golfe. C’est une sorte de pont entre le monde musulman et le monde occidental.

Quand on exerce ce type de pression on ne le fait pas en public. C’est extrêmement maladroit de la part de Trump parce que si un pays venait à trahir l’impératif de solidarité inter-arabe, il donnerait l’impression d’avoir cédé aux menaces.

Comment expliquer l’entêtement de Donal Trump dans son utilisation des tweets agressifs ?

Il ne connaît pas vraiment d’autre méthode. Il veut toujours passer en force et donner le sentiment que s’il tape du poing sur la table les résultats seront immédiats. Sauf que la diplomatie ne fonctionne plus comme ça et les relations internationales ont changé. Les États-Unis ont encore une place de n°1 mais ne sont plus le shérif du monde. Mais c’est la méthode Trump, qui pense que la politique de la force et de l’injonction envers les autres pays marche toujours, ce qui n’est plus le cas.

C’est donc une lourde erreur du président américain…

C’est tellement brutal que ça ne peut que susciter des réactions de rejet. Une candidature c’est un jeu de séduction. Lula (ancien président du Brésil) s’est déplacé pour obtenir le Mondial 2014. Nelson Mandela lui-même s’est déplacé pour que l’Afrique du Sud l’emporte (2010). Là, par un tweet comminatoire, Trump veut s’imposer aux fédérations. Je l’imagine mal se rendre au congrès de la FIFA le 13 juin à Moscou pour plaider la cause de la candidature américaine. Avec son tweet il donne l’impression d’exiger de ses colonies qu’elles obéissent aux ordres. C’est une vision très dépassée.

Comment voyez vous l’issue de cette course au Mondial 2026?

Les fédérations vont se déterminer en fonction de leurs critères et ce ne sont pas forcément les choix des gouvernements, même si souvent ça se rapproche. Aujourd’hui, il y a quand même un bloc de voix issues de l’Afrique et des pays arabes en faveur du Maroc. Pas mal d’Européens sont aussi sensibles à cette candidature. Et Donald Trump a fait perdre des voix à la candidature américaine.

Toronto, Trump, Orbán… Le genre, cet autre enjeu identitaire

Mon, 30/04/2018 - 11:52

« Incels », restriction de l’accès à l’avortement, refus de lutter contre les discriminations… En Europe comme en Amérique du Nord, les « backlash » des décideurs politiques et la violence misogyne de certains groupes militants montrent que les droits des femmes et plus globalement la place, dans l’espace public, des questions de genre trouvent leurs adversaires chez les tenants d’une obsession identitaire.

Le meurtre de 10 personnes, dont 8 femmes, par un homme, Alek Minassian, au volant d’une camionnette dans une rue de Toronto, le 23 avril dernier, a mis en lumière la communauté des « Incels ». Ces masculinistes expriment une haine des femmes et du féminisme et une jalousie vis-à-vis des hommes qui « ont du succès » auprès les femmes. Quelques-uns de leurs membres se sont réjouis sur les réseaux sociaux de l’acte d’Alek Minassian, qui se revendiquait « Incel ». Quelques minutes avant de foncer dans la foule, il avait posté sur son compte Facebook la phrase suivante : « La rébellion des Incels a déjà commencé. On va renverser tous les ‘Chads’ et ‘Stacys’. ». Les « Incels » (contraction, en anglais, de « célibataires involontaires »), tels qu’ils se nomment eux-mêmes, sont des hommes entre 18 et 35 ans environ, majoritairement blancs, qui estiment que les femmes sont responsables de leur célibat. Les « Chads » sont, dans leur imaginaire et leur vocabulaire, les hommes épanouis sexuellement, que les femmes, les « Stacys », convoitent.

L’un de leurs héros, auquel Alek Minassian a du reste rendu hommage sur Internet, est Elliot Rodget. En 2014, cet autre « Incel » avait assassiné six personnes en Californie pour faire savoir sa frustration vis-à-vis des femmes dont il ne pouvait obtenir les faveurs sexuelles. Il haïssait également les hommes « sexuellement actifs » avec la gent féminine. Mais au fond, ce que ces hommes ne supportent pas, c’est le décalage qu’ils ressentent par rapport aux normes de la masculinité hégémonique et aux stéréotypes hétérosexuels. Ils trouvent un exutoire à ce manque dans la violence. Les actes de Minassian et de Rodget sont de nature politique ; on ne peut se contenter d’attribuer leurs meurtres à un geste de « déséquilibrés ».

DES MÉDIAS ET DES RÉSEAUX PUISSANTS SUR INTERNET

Le masculinisme a fait d’Internet son « repaire », sa « grotte », selon le mot du sociologue Michael Kimmel, auteur de Angry White Men et plus récemment de Healing from Hate. How Young Men Get Into and Out of Violent Extremism, et auquel un militant a confié : « les femmes ont tout envahi (…) Il n’y a plus d’endroit où les hommes peuvent être tranquilles, entre eux, et parler de porno ! (…) Il nous reste Internet. » Une « manosphère » est ainsi née sur les réseaux sociaux et sur des forums comme 4Chan ou sur la plate-forme de discussions Reddit, qui relaient les idées masculinistes.

Ces lieux « virtuels » agissent comme des défouloirs à propos d’une virilité disparue et d’une féminité agressive. Aux États-Unis, ces hommes se reconnaissent par des sigles comme MRA (Men’s rights activists) ou MGTOW (Men going their own way). Internet offre à chaque individu de prendre sa place dans une ou plusieurs communautés, des « entre-soi » rassurants permettant une parole libre et valorisante – et, au besoin, de manière anonyme. Les masculinistes ont su en tirer profit.

C’est à l’animateur de radio ultra-conservateur Rush Limbaugh que l’on doit le néologisme « feminazis », largement repris. Sur le site étasunien d’extrême droite Breitbart News, l’avortement est comparé à l’Holocauste, la contraception rendrait les femmes « laides et folles » car leur motivation, par le contrôle de leur corps, serait de « devenir comme des hommes », donc de contrarier leur nature. On retrouve aussi des titres de discussion comme « préfèreriez-vous que votre enfant ait le cancer ou soit féministe ? » et, sur les discriminations dans l’emploi : « il n’y a pas de biais à l’embauche contre les femmes. C’est juste qu’elles sont nulles en entretien. » La présence des femmes dans l’armée, en politique, à la tête d’entreprises, en fait des monstres de la nature.

Aux arguments contre la place des femmes à des positions de pouvoir – sphère professionnelle, politique, médiatique – et contre leur absence de docilité dans la sphère familiale et intime, s’ajoute une fréquente violence verbale, voire une incitation à la violence physique – notamment au viol. Il existe chez ces hommes un fantasme de puissance, de contrôle, que les femmes leur auraient ôtés, alors qu’elles ne sont pour eux que des objets. Revient aussi cette idée de « droits » : le droit au sexe, à l’amour, à la domination. Ils se sentent comme « entitled to privilege » (Kimmel) : ils ont droit à des avantages qu’ils considèrent comme un dû.

Comme l’explique Kimmel, avec les évolutions sociétales qui ont accru les droits des femmes (et des minorités), « le jeu a changé mais plutôt que de s’interroger sur les règles, ils préfèrent éliminer les autres joueurs », comme si la société et l’économie fonctionnaient selon un jeu à somme nulle. Les masculinistes veulent créer un club fermé. Ils sont sur la défensive, pessimistes et tournés vers le passé plutôt que vers l’avenir. Néanmoins, l’impression de marginalisation culturelle qu’ils éprouvent, ils la doivent à des critères stéréotypés de performance genrée, des codes traditionnels d’une masculinité hégémonique qui impose des normes dont ils sont eux aussi victimes. Ils pensent la masculinité et la féminité comme deux données immuables, obéissant à des normes établies, et surtout bien distinctes, voire opposées.

MALAISE IDENTITAIRE… INDIVIDUEL ET COLLECTIF

Leurs discours sont néanmoins performatifs en ce qu’ils trouvent un écho auprès de populations fragilisées, en manque de repères. Beaucoup sont en effet sensibles à ces idées sans pour autant être des militants masculinistes, loin s’en faut.

Certains médias et hommes politiques prennent alors le relais dans cette entreprise de manipulation. Comme l’a montré la politiste Wendy Brown dans Undoing the Demos. Neoliberalism’s Stealth Revolution, s’est mise en place progressivement depuis les années 1980 une convergence du néolibéralisme et de l’ultra-conservatisme : le rationalisme du premier s’est allié au moralisme du second. Les individus sont poussés à devenir rationalisés à l’extrême, et dépolitisés, ce qui contribue à les pousser dans les bras des marchands d’émotions.

La politique identitaire, c’est bien sûr la « race » et la religion. C’est aussi le genre. L’exemple de Donald Trump est extrêmement éclairant. Le caractère genré de son action ne se réduit pas à ses relations personnelles avec la gent féminine et aux accusations de viol et de harcèlement dont il fait l’objet.

Ses options et décisions politiques, son agenda, le choix de ses collaborateurs, la mise en scène de son pouvoir, le « style Trump » ont un point commun majeur : ils sont destinés à montrer que la masculinité hégémonique, telle que décrite par Raewyn Connell et James W. Messerschmidt, et qui vise la perpétuation d’un système patriarcal, est aux affaires et que, symboliquement, les hommes reprendront une place prétendument et indûment perdue du fait des progrès de l’égalité entre les femmes et les hommes. Trump souhaite délibérément réhabiliter, renforcer un modèle de société fondé et construit sur la domination masculine.

Il s’inscrit par ailleurs dans l’histoire contemporaine du parti républicain, dont fait partie la limitation des droits des femmes (inégalités salariales, discriminations dans le monde professionnel, limitation de l’accès à l’avortement), qui s’est manifestée pendant l’époque Reagan-Bush (père) – décrite par la chercheuse Susan Faludi comme un backlash (retour en arrière) – et qui s’est intensifiée avec la présidence de George W. Bush. Le parti, qui s’offusquait des propos sexistes de Trump pendant la campagne, a adopté durant l’été 2016 un programme profondément attentatoire aux droits des femmes avec, entre autres, une interdiction totale de l’avortement, quelles qu’en soient les circonstances.

Ce qui change avec Trump, c’est que la masculinité hégémonique se donne explicitement à voir, alors que, généralement, elle ne se questionne pas, voire passe pour être universelle – le féminin étant la marge. Mais comme elle s’estime menacée, elle a besoin de se réaffirmer. Avec Trump, la personnification de cette masculinité est exagérée, théâtralisée, « performée ».

DE LA POLOGNE À LA HONGRIE EN PASSANT PAR L’AUTRICHE

Dans plusieurs pays européens, on constate la même dynamique assumée. Il y a quelques semaines, une émission de la télévision polonaise (voir photo ci-dessous) a été beaucoup commentée : c’est celle d’un débat entre sept hommes sur le projet de loi interdisant les interruptions de grossesse en cas de malformations ou maladie génétique du fœtus. Cette image en rappelle une autre : celle de Donald Trump, entouré de six hommes – et aucune femme – signant un décret mettant un terme aux subventions fédérales en faveur des associations œuvrant, dans le monde, à la santé sexuelle des femmes.

La Pologne, qui fait déjà partie des pays européens les plus restrictifs en matière d’accès à l’avortement, entend durcir un peu plus sa législation. Avec la nouvelle loi, l’IVG ne serait plus autorisée que dans deux cas : risque pour la vie ou la santé de la mère et grossesse résultant d’un viol et d’un inceste.

La conséquence en sera, comme l’histoire nous l’a montré, non pas une diminution des avortements mais une augmentation des avortements clandestins – pour les plus pauvres – ou à l’étranger – pour les autres – qui, selon des organisations féministes polonaises, s’élèvent déjà à un chiffre situé entre 80 000 et 130 000 par an.

En Hongrie, le premier ministre Viktor Orbán a imposé que soit inscrite dans les programmes scolaires l’idée que « les garçons et les filles n’ont pas les mêmes aptitudes intellectuelles. » Dans les manuels, les femmes sont présentées comme devant rester au foyer et faire des enfants. À l’affaiblissement de la liberté de la presse, à la remise en cause de l’indépendance de la justice s’ajoute donc, dans ce pays, la limitation des droits des femmes au nom des valeurs conservatrices.

Par ailleurs, si, en théorie, il est toujours possible d’avorter en Hongrie, il est désormais inscrit dans la « loi fondamentale » (qui a remplacé la Constitution) que « la vie humaine est protégée dès le moment de la conception. » Les cliniques proposant des avortements médicamenteux font l’objet d’enquêtes, tandis que celles qui se sont engagées à ne plus pratiquer d’IVG reçoivent des fonds publics supplémentaires. Les jeunes filles mineures enceintes sont incitées à garder leur fœtus, sans avoir besoin de l’accord des parents, ce qui n’est pas le cas si elles choisissent d’avorter.

En outre, les attaques verbales contre les universités se multiplient, notamment celles bénéficiant de fonds étrangers comme ceux issus de la philanthropie de George Soros car, selon Orban, l’on y « apprend que l’immigration illégale ou les ‘gender studies’, c’est bien. » La Hongrie traîne aussi des pieds pour ratifier la Convention d’Istanbul (Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique). Pour Szilárd Németh, le vice-président du Fidesz, le parti au pouvoir, « c’est le genre de convention qui incorpore des messages issus tout droit du monde communiste et attaquant le modèle traditionnel de la famille, qui essaie en quelque sorte de transplanter la philosophie du genre et nous ne pourrons jamais soutenir cela. »

Au-delà du machisme individuel des hommes politiques, le retour en arrière sur les droits des femmes procède d’un projet politique traditionnaliste et nationaliste, parfaitement fantasmé : perpétuer la population blanche, supprimer l’immigration. C’est ce qu’explique le Lobby des femmes, qui fait l’objet d’enquêtes de la part du pouvoir hongrois : « Par les médias, on a appris que nous étions soupçonnés de financer des partis d’opposition, ou au moins de les aider, ou d’être des agences étrangères servant les intérêts d’autres pays », dit une militante. Droits des femmes, liens avec des intérêts étrangers… la théorie d’un complot contre la nation hongroise n’est pas loin.

En Autriche, un proche du FPÖ auquel le ministère des Transports avait préféré une candidate dans le cadre d’une promotion interne, a porté plainte pour discrimination sexiste. Il a eu gain de cause. En d’autres termes, la justice vient de considérer qu’un homme peut être victime de discrimination parce qu’il a raté une promotion au profit d’une femme.

Par ailleurs, le président de la section locale du FPÖ de la ville de Graz a publié sur Facebook une vidéo pour apprendre aux réfugiés à bien traiter les femmes. Alliant rhétorique sexiste et et préjugés racistes, Armin Sippel leur explique ainsi qu’il est interdit en Autriche de « regarder les femmes d’une manière provocante », de leur mettre la main aux fesses ou de toucher leur poitrine. Il les menace également : « Celui qui se rend coupable de cette infraction doit savoir que, chez nous, il y a un parti [un panneau sur lequel est écrit ‘FPÖ’ est alors brandi sur la vidéo] qui veillera à ce que ceux qui abusent de notre droit d’asile soient très vite ramenés là d’où ils viennent [une pancarte apparaît sur laquelle est dessiné un avion]. » Armin Sippel mime également, sur un mannequin coiffé d’une perruque blonde, certains gestes et parlent de « nos » femmes (« Pas touche à nos femmes ! »).

Ainsi, dans un nombre croissant de pays, les principes, voire les institutions démocratiques sont menacés par des pouvoirs autoritaires qui, en s’attaquant aux avancées féministes, se présentent comme des « hommes forts » capables de restaurer une identité perdue, du fait de la « négation de la civilisation, au nom d’une civilisation occidentale imaginaire », comme l’écrit le chercheur Oliver Nachtwey (1). Loin de s’essouffler, la dynamique ne fait que se renforcer et se combine à des mesures racistes. Par ailleurs, la dimension genrée, donc politique, de la motivation des auteurs de meurtres de masse demeure largement négligée par les pouvoirs publics.

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(1) Oliver Nachtwey, « La dé-civilisation. Sur les tendances régressives à l’œuvre dans les sociétés occidentales », in Heinrich Geiselberger (dir.), L’âge de la régression, Premier Parallèle, 2017, p. 213.

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