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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 6 days ago

Mohammed Ben Salman à la recherche de reconnaissance internationale

Wed, 11/04/2018 - 10:15

Après avoir passé trois semaines aux États-Unis, trois jours en Égypte et deux jours au Royaume-Uni, Mohammed Ben Salman s’est rendu à Paris, dernière étape de sa tournée internationale. La rencontre entre le jeune prince héritier et Emmanuel Macron avait pour objectif de nouer une relation plus forte entre les deux pays, notamment dans le domaine militaire et économique. Le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, sur les enjeux de cette tournée.

Quels sont les enjeux de la tournée internationale de Mohammed Ben Salman ? Est-ce inédit dans l’histoire diplomatique saoudienne ? Est-ce un signe d’ouverture de son pays envers l’Occident ?

Cette tournée, de plus de 4 semaines, s’inscrivait dans la nécessité de se faire connaître auprès des chefs d’État occidentaux. Mohammed Ben Salman (MBS) a en effet été propulsé prince héritier au mois de juin dernier. Alors qu’il avait déjà acquis de nombreuses responsabilités depuis l’accession de son père au trône, cela s’est fait en bousculant les habitudes successorales du royaume saoudien. MBS n’a que peu d’expérience, et il n’a pas encore effectué beaucoup de déplacements à l’étranger, d’où cette tournée en Occident pour renforcer les liens. D’autant que l’état de santé fragile de son père pourrait le contraindre à accéder rapidement au trône.

Cette tournée n’est cependant pas inédite dans l’histoire diplomatique saoudienne, bien qu’elle se singularise par sa durée, plus habituelle il y a 30 ou 40 ans. Elle donne également une indication sur la situation politique de l’Arabie saoudite. Si le nouvel homme fort du royaume a de nombreux opposants, y compris parmi les princes héritiers, une tournée d’une durée de 4 semaines indique que son pouvoir semble assez conforté au plan national.

Le royaume a établi des relations étroites de longue date avec les puissances occidentales. Durant la Guerre froide, l’Arabie saoudite fut ainsi le pays le plus instrumentalisé au sein des mondes arabes par les États-Unis, dans la lutte contre le « péril communiste » et les forces nationalistes arabes. Il y a toujours eu ce paradoxe, apparent, au sein du royaume saoudien, c’est-à-dire une véritable proximité avec les puissances occidentales, en particulier avec les États-Unis, et en interne, un régime archaïque et réactionnaire où le poids du religieux est extrêmement important.

Il est cependant difficile de dire si cette tournée est réellement un signe d’ouverture. D’un point de vue interne, des changements s’opèrent au niveau du royaume, timides, mais à souligner. Mohammed Ben Salman souhaite incarner une forme de modernité qui s’illustre, par exemple, par l’accession des femmes à la possibilité de conduire, ou par la réduction des pouvoirs de la police des mœurs – la Muttawa – qui ne possède désormais plus de droits de poursuite et d’interpellation. Sur le plan économique, si le prince héritier sait que la rente pétrolière est un élément qui a permis au royaume de se fortifier, il a conscience de l’instabilité des cours du pétrole et ainsi de la nécessité de diversifier l’appareil économique saoudien. C’est le sens de son projet « Vision 2030 ». Mais, au final, MBS a surtout cherché par cette tournée à conforter les soutiens et alliances, spécialement avec les États-Unis, dans le bras de fer qui oppose son pays à l’Iran.

Le prince héritier a entamé sa dernière visite en France. L’Élysée a indiqué que celle-ci aurait pour but de nouer un « nouveau partenariat stratégique entre l’Arabie saoudite et la France ». Quelle est la nature des relations entre les deux pays ? Quel bilan peut-on faire de cette visite ?

Sous le quinquennat de François Hollande, à l’inverse de celui de Nicolas Sarkozy au cours duquel les liens avec le Qatar étaient plus affirmés, il y eut une véritable politique pro-saoudienne. Cela s’est illustré par une convergence sur de nombreux dossiers internationaux et régionaux, notamment à propos de la Syrie. Signe de ce rapprochement, l’ancien président fut invité, en 2015, à une réunion au sommet d’un Conseil de coopération du Golfe, une première pour un chef d’État occidental. De nombreux dossiers et promesses de contrats furent par ailleurs établis entre la France et l’Arabie saoudite, pour un montant qui tournait autour de 50 milliards de dollars. Cela étant, la plus grande partie de ces engagements ne s’est pas concrétisée, et a entraîné une certaine amertume et des déceptions dans les cercles français en lien avec le royaume.

Au niveau économique, la place de la France est relativement faible en Arabie saoudite, autour des 3% des parts de marché, loin derrière la Chine, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Japon. Toutefois, le point fort côté français est le marché de l’armement qui s’élevait à 7 milliards de dollars en termes de pré-engagement, même si cette tendance est à la baisse ces quatre dernières années. Cela peut s’expliquer par les difficultés budgétaires du royaume induites par la diminution de la rente pétrolière, mais également par les choix saoudiens de ne pas concrétiser avec la France.

Si Paris n’aspire pas à être dans le peloton de tête des partenaires économiques de l’Arabie saoudite, des marchés de niche peuvent être intéressants pour la France, dont son industrie reconnue et performante peut intéresser le royaume : le défi énergétique, le défi de l’approvisionnement en eau, l’industrie du tourisme, sans oublier le domaine de l’armement.

A noter cependant, sur ce dernier point, que certains armements livrés par la France à l’Arabie saoudite ont été utilisés dans le conflit au Yémen, notamment dans les bombardements indiscriminés contre les populations civiles. De nombreuses ONG internationales critiquent l’implication de l’Arabie saoudite dans ce conflit depuis 2015, et demandent à Riyad de cesser les bombardements sur les civils et de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire. Cela pourrait constituer une forme de restriction, car les marchands d’armes, notamment français, ne sont pas nécessairement insensibles aux campagnes internationales menées par les ONG.

Un des potentiels points de crispation réside dans la guerre que l’Arabie saoudite mène au Yémen. Quels sont les positionnements des différents pays visités sur cette question ? La position du royaume saoudien peut-elle évoluer vis-à-vis de cette guerre menée pour contrer avant tout l’influence iranienne sur la région ?

Le principal point de destination de cette tournée internationale était les États-Unis. Sur la question yéménite, Washington n’a pas émis de critique sur la position saoudienne. Cela ne signifie pas que les dirigeants américains se réjouissent des bombardements, mais pour l’administration Trump, l’essentiel repose sur la lutte contre l’Iran. Le réel objectif est de donner un coup d’arrêt à ce que les Américains nomment « l’expansionnisme » iranien, et cela se traduit par un soutien inconditionnel à la politique saoudienne. Au mois de mai, l’année dernière, ce lien bilatéral s’est illustré lors de la tournée du président américain au Moyen-Orient, dont l’étape la plus longue fut en Arabie saoudite. Elle s’était concrétisée par des promesses de contrats de près de 400 milliards de dollars.

Quant au Royaume-Uni et à la France, ils ont émis très peu de critiques à l’égard de la politique saoudienne au Yémen.

La position de l’Arabie saoudite sur ce dossier pourrait pourtant évoluer si ladite communauté internationale prenait le dossier en main. Même l’ONU, à l’instar des puissances occidentales, n’a émis que très peu d’avis sur la situation au Yémen. Une partie de ladite communauté internationale est en effet préoccupée par l’Iran et ne souhaite pas affaiblir Riyad. Dès lors, le dossier yéménite est pollué par cette rivalité.

Les Saoudiens accusent les Iraniens d’être à la manœuvre au Yémen en soutenant les forces houthies. Malgré l’existence d’un intérêt politique de l’Iran pouvant contribuer à affaiblir son rival saoudien, penser qu’il y aurait une politique préétablie et organisée de l’Iran sur le dossier yéménite et les houthistes est peu probable. En effet, très peu de preuves tangibles ont été amenées concernant l’implication directe des Iraniens dans ce pays.

En l’absence de pression des États-Unis, voire de la France et du Royaume-Uni, seuls des débats au niveau des instances internationales permettraient une inflexion de la politique saoudienne au Yémen et stopper cette agression caractérisée contre un pays dont les habitants paient le prix fort.

Jusqu’où la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis peut-elle aller ?

Fri, 06/04/2018 - 18:29

L’escalade des menaces entre les deux géants économiques est relancée. Dans le cadre de la guerre commerciale entre Washington et Pékin, la Chine a fermement rétorqué aux mesures tarifaires prises par les États-Unis, en annonçant une taxation sur 128 produits américains, ainsi qu’une volonté d’importer son pétrole en yuan et non plus en dollar, ce qui pourrait avoir de nombreuses conséquences, tant symboliques que géopolitiques. Cette passe d’armes économiques illustre également un retrait progressif de l’OMC, n’ayant finalement que peu de pouvoir de médiation dans le cadre de ce conflit. Le point de vue de Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS.

La Chine a annoncé la suspension des concessions tarifaires sur une liste de 128 produits américains, en réponse aux mesures protectionnistes prises par les États-Unis. Quels vont être les impacts de ces mesures punitives pour l’économie américaine ? Jusqu’où cette guerre commerciale entre Pékin et Washington peut-elle aller ?

Cette déclaration de la part de Pékin intervient suite à l’annonce des mesures tarifaires sur l’acier et l’aluminium par le président Trump, au début du mois de mars qui faisait elle-même suite à des promesses de campagne. L’argument avancé par l’administration américaine pour justifier de telles mesures est celui de la sécurité nationale : tout le monde sait qu’il faut de l’acier pour faire des tanks et des avions de combat et lorsque cette industrie est menacée par la concurrence étrangère, c’est l’indépendance stratégique qui en est affectée, voilà l’argument. Ce dernier est important, car il est prévu par la charte de l’OMC, et s’il est avéré, il rend les États-Unis inattaquables devant l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC. C’est pour cette raison que la première réaction des Européens a été de le contester.

Dans un premier temps, le Président chinois Xi Jinping n’avait que très peu réagi, car les mesures sur l’acier et l’aluminium concernaient finalement assez peu l’économie chinoise. En effet, l’acier représente moins de 3% des exportations de la Chine vers les États-Unis. Le président Trump, probablement alerté par ses conseillers, a rapidement compris que ces mesures n’avaient qu’un faible impact sur l’économie chinoise. Or, deux pays sont depuis toujours dans le collimateur de Donald Trump : la Chine et l’Allemagne qui sont les 2 grands responsables du déficit commercial américain.

C’est dans ce contexte que Donald Trump annonce, fin mars, une seconde vague de mesures protectionnistes, qui cette fois visera directement Pékin, et dont l’argument central est la protection de la propriété intellectuelle avec la double idée que, d’une part, la Chine soutient et subventionne ses entreprises innovantes, créant ainsi des distorsions de concurrence ; d’autre part, que la Chine ne respecte pas les droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur, brevet, etc.). Les arguments ne sont pas nouveaux et les États-Unis, alliés aux Européens, avaient déjà été très durs à l’encontre de la Chine lors de la conférence de l’OMC à Buenos Aires. L’OMC en effet abrite un accord TRIPS (Trade Related to Intellectual Property Rights) qui engage les pays membres en la matière.

Le gouvernement de Xi Jinping a donc annoncé des mesures de rétorsion concrètes vis-à-vis des États-Unis, qu’il viendrait à prendre si les États-Unis mettaient leurs menaces à exécution. L’argument qui permet de telles mesures est celui de la discrimination. En visant la Chine, et uniquement elle, les États-Unis ne respectent pas leurs engagements de traiter tous les pays de la même manière. La Chine est par cette réaction le premier pays à véritablement prendre le risque d’entrer dans une « guerre commerciale » avec la puissance américaine. Il est important de noter que la Chine est la deuxième puissance économique derrière les États-Unis, mais la première puissance commerciale du monde. Dès lors, il y a réellement une compétition entre ces deux géants, rivaux ou partenaires potentiels et, dans ce contexte, une réelle menace de guerre commerciale. On ne s’attaque jamais à beaucoup plus fort que soi. La Chine reste toutefois prudente en réalité, bien consciente des risques tant pour sa propre économie, que pour l’économie et le commerce mondial. Dans sa dernière annonce concernant 128 produits américains qui pourraient être taxés, ils représentent exactement un montant de 50 milliards de dollars de pertes potentielles pour les entreprises américaines, ce qui constitue les estimations faites dans le cas des mesures américaines contre les entreprises chinoises.

L’objectif de la Chine est de ne surtout pas apparaître comme agressive dans cette guerre commerciale tout en affichant une fermeté certaine. Le président américain n’est vraisemblablement pas tout à fait dans cette logique, puisqu’il a réagi immédiatement en annonçant de nouvelles mesures à l’encontre des produits chinois (avec une période préalable de transition pour évaluer l’impact de ces mesures).

A l’heure actuelle, il est difficile de prévoir quelle sera la suite de cette « guerre commerciale » entre ces deux acteurs. D’un côté, les Chinois ne souhaitent pas se soumettre aux demandes de Washington, tout en étant favorables à la négociation. De l’autre côté, Donald Trump souhaite réduire le déficit commercial américain de 100 milliards de dollars et tous les moyens semblent bons. Une partie toutefois de la majorité républicaine est beaucoup plus réticente, voire opposée à de telles mesures.

Ce qui va être important à suivre est la façon dont va se positionner l’Europe. Est-ce qu’elle va céder aux pressions, parvenir à des concessions ou plutôt tenir une position ferme face aux volontés américaines ? Le président Macron, durant le dernier sommet des chefs d’État de l’Union européenne, a déclaré qu’il ne serait pas question de céder face à ces pressions. Enfin, la Corée du Sud est le seul pays qui a, dans ce contexte, accepté des concessions avec les États-Unis, et il serait fort probable que le Canada adopte la même démarche que Séoul. Les Européens seront finalement les arbitres dans cette guerre commerciale.

Le ministre chinois du Commerce a dénoncé un non-respect des règles du commerce international, précisément celui du principe de non-discrimination, de la part de l’administration américaine envers la Chine. De quelle manière l’OMC peut-elle jouer un rôle de médiatrice dans cette « guerre commerciale » ?

Dans un monde parfait, où les États respecteraient les organisations internationales, l’OMC est effectivement l’acteur qui permettrait de réunir les acteurs dans un processus de dialogue et de négociation. Mais aujourd’hui l’OMC a en réalité peu de marges de manœuvre et peu de poids face à ces imprévisibilités. La dernière conférence annuelle de l’OMC à Buenos Aires, au mois de décembre 2017, a laissé dubitatif sur les capacités de l’organisation à reprendre en main le dossier du commerce international. Cette relative faiblesse de l’OMC ne date pas seulement d’aujourd’hui. Depuis sa création en 1995, l’OMC est en difficulté pour différentes raisons, à la fois liées à son organisation, mais également au contexte économique et à l’évolution de la globalisation, avec une résurgence des États-nations souverains.

Au sein même de l’OMC, l’Organe de règlement des différends (ORD) est clairement l’instance habilitée à recevoir les plaintes des pays qui s’estiment floués par des mesures protectionnistes d’un pays membre de l’organisation. L’engagement à cette dernière repose sur le principe de la libéralisation des échanges et de la non-discrimination. Dès lors, Pékin a toute légitimité à attaquer auprès de l’ORD. Les Européens, quant à eux, contestent le fait que les mesures soient nécessaires à la sécurité économique des États-Unis. L’ORD, après lecture du dossier, devra juger s’il s’agit de protectionnisme ou de sécurité. Toutefois, l’organe est aujourd’hui paralysé par le fait que les États-Unis ont refusé, en décembre dernier, de choisir les trois juges qu’il faut renouveler au sein de l’ORD, handicapant cette dernière. Le représentant américain au commerce a clairement dénoncé le poids et le pouvoir qu’avait pris l’ORD en parlant de « judiciarisation » du commerce mondial au travers de cette dernière, et réduisant une nouvelle fois le poids de l’OMC. Une hypothèse pourrait être que, si des effets néfastes apparaissent sur la croissance économique américaine, Donald Trump utilise la carte de la négociation dans le cadre de ce conflit pour protéger ses intérêts.

La Chine, premier importateur mondial de pétrole et second consommateur de la planète après les États-Unis, serait sur le point de payer ses importations en pétro-yuan et non plus en dollars. Une guerre des monnaies avec toujours l’objectif de réduire l’hégémonie américaine est-elle aussi en cours ? Quel impact cette décision économique et financière pourrait-elle avoir ?

Il serait peu probable qu’une guerre des monnaies apparaisse entre le dollar et le yuan. Historiquement, lorsqu’il y a eu des menaces de la part des États-Unis envers la Chine, Washington dénonçait la sous-évaluation du yuan, en expliquant que ce phénomène donnait un avantage comparatif à Pékin. Aujourd’hui, lorsque la Chine annonce qu’elle souhaite importer son pétrole dans sa monnaie locale, elle souhaite rentrer dans une logique de rentabilité en souhaitant payer en yuan.  Deux éléments pourraient expliquer cette volonté : la première est l’idée que, de nos jours, lorsque la Chine achète en dollar, elle peut négocier ses tarifs, mais reste dépendante du taux de change yuan/dollar. Autrement dit, la politique monétaire américaine a des impacts sur le taux de change du dollar, et donc aurait des conséquences sur la santé économique chinoise. De la part de Pékin, ce souhait serait finalement une reprise en main d’une partie de sa souveraineté et conduirait à une plus grande marge de manœuvre dans la négociation des tarifs avec les pays exportateurs de pétrole.

Le second élément, encore plus important, est que le fait d’acheter le pétrole massivement en yuan va directement entraîner une plus grande circulation de la monnaie chinoise. Ce qui est intéressant c’est que cette circulation entre la Chine et les pays exportateurs de pétrole augmentera la quantité de yuans en circulation dans une zone qui couvre peu ou prou la route de la soie telle que pensée par la Chine.

Est-ce une guerre des monnaies ? Pas forcément ! Évidemment que ça ne peut qu’affaiblir le poids du dollar dans les transactions internationales. Pour autant, cette diversification peut aussi être bénéfique. Ainsi, l’arrivée du yuan aurait un impact plutôt stabilisateur sur la valeur des devises et augmenterait la valeur de la monnaie chinoise, car elle serait davantage demandée. Nul doute qu’en Asie, un certain nombre de pays, dont les États exportateurs de pétrole, vont accepter de recevoir des yuans du fait de leur proximité géographique et économique avec la Chine. Au niveau géopolitique, l’ascension du yuan pourrait modifier les relations des pays à cette devise, et donc directement avec Pékin, au détriment de la position américaine. Il serait probable qu’apparaisse un écosystème lié au yuan entre la Chine, les pays exportateurs de pétrole situés principalement au Moyen-Orient, et les États d’Asie du Sud-Est avec lesquels Pékin a d’importantes relations commerciales. Pour l’instant, la dimension symbolique est la plus forte parmi celles citées précédemment.

Acheter en yuan serait une reconnaissance à la souveraineté chinoise par le biais de sa devise, et finalement augmenterait la place de la Chine – ainsi que son soft power – dans l’échiquier des relations internationales.

L’Europe : un nouveau départ ?

Fri, 06/04/2018 - 12:15

Nicole Gnesotto est Professeur titulaire de la chaire sur l’Union européenne au CNAM, vice-présidente de Notre Europe et présidente de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN). Elle répond à nos questions à l’occasion de sa participation à la seconde édition des Internationales de Dijon, organisés par l’IRIS et la Ville de Dijon, le 24 mars 2018 :
– Vers quel modèle tend l’Europe ? Les pays de l’Union européenne partagent-ils toujours assez de valeurs pour établir un modèle davantage fédérateur ?
– La gouvernance de l’UE doit-elle être encouragée par le couple franco-allemand ou une Europe davantage coopérative doit-elle être pensée ?
– L’Europe doit-elle jouer davantage un rôle de médiation en termes de coopération internationale et de sécurité ? Le peut-elle réellement ?

Brésil : hors-jeu de Lula, hors-jeu démocratique

Fri, 06/04/2018 - 10:57

Une petite majorité, mais une majorité suffisante du TSF, le Tribunal supérieur fédéral du Brésil (Supremo Tribunal Federal-STF) a décidé, mercredi 4 avril 2018, de rejeter l’appel présenté par les avocats de l’ex-président Lula. Cette décision réduit de façon drastique la perspective d’une candidature Lula aux présidentielles du 7 octobre prochain qu’il avait de grandes chances de gagner. En effet, les sondages le plaçaient nettement en tête des intentions de vote depuis plusieurs mois.

Tout n’est pas encore définitivement joué. Les juristes évoquent diverses options d’appel en dépit de l’appel rejeté par le Tribunal régional fédéral n°4 (TRF4) de Porto Alegre le 27 mars dernier. Un recours devant le Tribunal supérieur de justice concernant l’éventuel non-respect de la procédure, voire une nouvelle saisine du TSF s’appuyant sur la violation de certains éléments de la Constitution par le juge. Toutefois, ces experts reconnaissent que ces appels ne sont pas suspensifs.  Dès lors, le juge de première instance Sergio Moro, pourra dès réception de la décision prise par le TSF le 4 avril, décider de faire appliquer la sentence ayant condamné en appel l’ex-président Lula à 12 ans d’emprisonnement.

Le TSF, in fine, a pris une décision cohérente avec celles des tribunaux ayant eu à se prononcer. Tous ont validé une condamnation pour corruption, reposant sur la délation d’un condamné cherchant à bénéficier d’un aménagement de sa peine, et sur l’intime conviction de culpabilité du juge de première instance, finalement avalisée par ses collègues. La messe était dès le départ chantée sur un mode laissant peu d’échappatoires au mis en examen.

La procédure suivie a jonglé avec les règles de droit dès le début de l’enquête. Cela s’est illustré par la descente de police au domicile de Lula, à 6h du matin, pour se voir signifier une mise en examen dont il n’avait pas été au préalable informé par la justice. Également par les écoutes téléphoniques de la présidente Dilma Rousseff, sans autorisation judiciaire correspondante, ainsi que par les informations tirées du dossier du juge communiquées au grand groupe média, « Globo ».

La procédure a fait l’objet d’un accompagnement « culturel » par les grands canaux d’information. Plus récemment, Netflix a fabriqué un feuilleton sur les scandales financiers, attribuant à l’acteur interprétant Lula des propos scandaleux tenus par d’autres. Diverses églises évangélistes ont relayé la mise à l’index de Lula. Les petites mains ayant animé les grandes manifestations de 2013 contre l’augmentation du prix des transports, via les réseaux sociaux, appellent aujourd’hui à manifester pour envoyer Lula en prison. Enfin, le général en chef de l’armée de terre a donné de la voix pour dénoncer une éventuelle mansuétude du TSF à l’égard de l’ex-président.

Les jeux étaient faits. Les jeux sont faits. Les cartes étaient distribuées de telle sorte qu’il ne pouvait en être qu’ainsi. Le final, ou quasi final du drame, était quelque part inscrit dans le premier pas de clerc démocratique commis en 2016 par le parlement avec la destitution inconstitutionnelle de la présidente Dilma Rousseff. Les choses sont depuis allées de mal en pis, si l’on veut considérer comme un bien, le nécessaire respect rigoureux des règles démocratiques dans un pays ayant vécu plus de 20 ans de dictature militaire[1].

Derrière ces évènements politiques, un enjeu économique et social était présent. La crise ayant affecté le Brésil à partir de 2013 appelait deux sortes de réponse. L’une de nature économique devait s’efforcer de trouver la voie d’un retour à la croissance. L’autre sociale devait, dans l’attente, procéder à une juste répartition des efforts à consentir pour amortir les effets de la récession. La destitution de la présidente Dilma Rousseff avait pour objectif premier d’écarter toute option de partage social des sacrifices.

Au prix d’un coup d’Etat parlementaire, les nouveaux dirigeants du pays ont pu mettre en œuvre une politique d’austérité, rabotant les acquis sociaux et l’investissement public, cédant au capital étranger les pans les plus prometteurs de l’économie nationale. Les conséquences de cette politique ont été nombreuses : 2 à 3 millions de personnes sont repassées sous le seuil de pauvreté etla délinquance a brutalement progressé. L’Etat a répondu par le biais de son armée, un jour à Brasilia, et l’autre à Rio, avec les résultats que l’on a pu constater, ceux de pompiers incendiaires.

Restait, pour éviter tout risque de retour en arrière, à éliminer Lula. L’ex-président garde une popularité très forte dans les milieux modestes. Pour la première fois dans l’histoire du Brésil, de 2003 à 2016, la pauvreté a massivement reculé. Les jeunes noirs et les plus pauvres en général ont eu accès à l’électricité pour tous, au logement et à l’université. La mémoire de ces avancées est encore très fraîche. Lula, porté par les retombées de ses réalisations sociales, a fait campagne dans tout le Brésil depuis un an. Il est en ce moment en tête des intentions de vote, autour de 35%. En dépit des campagnes de presse, des réseaux sociaux hostiles, et des tentatives violentes d’intimidation comme il y a quelques jours, lorsque son autobus a été visé par des tireurs non-identifiés.

Dans ce scénario qui se veut sobre et sans effusion de sang, il revenait donc à la justice de donner le coup de pied de l’âne. C’est aujourd’hui chose à peu près faite. Reste à savoir au lendemain de ces dérives démocratiques, judiciaires et morales ce qui va rester du Brésil refondé en 1988 sur les cendres d’une dictature. Toutes choses rappelant la fable du grand écrivain brésilien Machado de Assis, « O Alienista ». La Cité modelée par un apprenti sorcier se retrouve après bien des vicissitudes aux mains d’un irresponsable. Il se trouve aujourd’hui, si Lula venait à être définitivement écarté, un Aliéniste en bonne place pour le scrutin du 7 octobre. Il se nomme Jairo Bolsonaro. C’est un ancien militaire de la dictature, fier de son passé, proche des évangélistes, défenseur des valeurs traditionnelles et de la tolérance zéro à l’égard du crime. Il était avant la décision du TSF favorable à la mise sur la touche de l’ex-président Lula à plus de 20% des intentions de vote.

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[1] De 1964 à 1988

« Marche du retour » à Gaza : RAS sur le plan diplomatique, avis de tempête dans les opinions publiques

Thu, 05/04/2018 - 10:18

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

La lutte contre l’argent sale est l’affaire de tou.te.s

Thu, 05/04/2018 - 09:49

Le phénomène de la corruption est multiforme, difficile à saisir. Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), et Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS, ont tenté de relever le défi. Elles répondent aux questions de Chronik à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Argent sale : à qui profite le crime ? », aux éditions Eyrolles.

À quoi correspond l’ « argent sale » et quelle est l’ampleur du phénomène ?

Pour paraphraser le philosophe Thierry Ménissier, qui désignait ainsi la corruption, l’argent sale est une notion aussi bien parlante que mal définie. Si l’on comprend aisément de quoi il s’agit, arriver à poser un cadre, à définir est en revanche plus complexe. Alors que certains, comme Éric Vernier, par exemple, feront entrer dans cette catégorie tout flux d’argent issu d’activités illégales et immorales, d’autres nuanceront en ne prenant en compte que les activités illégales, issues par exemple de la criminalité organisée.

Pour notre part, nous raisonnons en creux, c’est-à-dire que nous considérons comme argent sale tout argent qui doit connaître un blanchiment, pour pouvoir être réinjecté dans l’économie mondiale. En effet, l’argent sale issu d’activités répréhensibles se nourrit de tout un ensemble d’activités légales en tête desquelles se trouve, par exemple, l’optimisation fiscale. Ainsi, dans notre ouvrage, nous revenons sur les questions de corruption, de financement du terrorisme, de contrefaçon, de caisses noires et évidemment sur la question des paradis fiscaux.

Au-delà de la difficile définition qualitative, ce constat est renforcé par l’impossible quantification du phénomène d’argent sale, où des chiffres variant du simple au quintuple sont présentés. Des estimations de 2 000 milliards de dollars, de 8 % du PIB mondial et bien d’autres sont avancées. À la lecture de ces données, un constat s’impose rapidement : il est impossible d’estimer avec précision cette manne financière, sauf à raisonner par secteurs, mais qui, là encore, donneront des estimations, lesquelles, d’un spécialiste à l’autre, seront extrêmement variables.

Dans ce contexte, les seuls moyens qui peuvent être efficaces dans la lutte contre ce phénomène sont culturels et liés au contrat social tel l’acceptation de l’impôt, la lutte contre les inégalités etc. En d’autres termes, l’argent sale est d’abord et avant tout un choix de société !

En quoi la mondialisation est-elle un facteur d’aggravation de la corruption ?

La corruption constitue toujours un transfert d’argent. Dans ce contexte, quand la mondialisation facilite les transferts internationaux et conduit à une accumulation sans précédent dans l’histoire de l’humanité des richesses, tous les ingrédients sont là pour que le phénomène s’aggrave. Il n’est pas sûr toutefois qu’il se soit aggravé d’un point de vue relatif, c’est-à-dire pour ce qui concerne la part de ces richesses qui conduit à de la corruption. En effet, il y a à peine quelques décennies, la corruption était une pratique courante à peu près partout dans le monde et cela était, au mieux, toléré, au pire, considéré comme inévitable.

Aujourd’hui, la corruption est devenue quelque chose d’inacceptable dans de nombreux pays et par une part toujours plus nombreuse de la population mondiale. Les entreprises savent toutes qu’elles prennent d’énormes risques, à la fois légaux mais également réputationnels, en proposant des pots de vin pour obtenir un marché. Cela ne signifie pas qu’elles ne le font plus mais c’est une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, pouvant entraîner leur disparition. Nul doute que nombre d’entre elles y ont renoncé, le risque étant devenu trop grand. Et cette situation est aussi liée à une mondialisation qui connecte tout le monde et fait circuler très vite toutes les informations.

Qu’en est-il des législations internationales et nationales de lutte contre la corruption ? Outre la responsabilité des politiques et des États, quel rôle la société civile joue-t-elle dans cette lutte ?

La lutte contre l’argent sale peut être comparée à la lutte contre le dopage. Elle est indispensable, elle parvient à certains coups de filet, mais elle n’avance malheureusement pas au même rythme que ce qu’elle dénonce. La difficulté de la règle est qu’elle est moins rapide que les techniques de fraude et de « production » de l’argent sale. Le temps de la loi est long, les détournements, crimes, évasions fiscales et autres phénomènes de l’argent sale vont très vite.

Autre limite, les règles restent aujourd’hui nationales alors que le phénomène de l’argent sale est mondial et internationalisé. Les politiques peuvent être dans certains cas irresponsables ou mal avertis du phénomène mais ils sont le plus souvent impuissants. Pourtant, la lutte doit se poursuivre, il est impossible d’accepter cela et il faut continuer à la fois à tenter de trouver des parades et à œuvrer pour que des règles globales soient mises en place.

On critique beaucoup les États-Unis quant à leur activisme politique en la matière qui menacerait la souveraineté des autres pays (ce qui est vrai, au demeurant !) mais force est de constater que cela produit des effets. Il suffit de relire l’histoire récente de la lutte contre la corruption… Ce qui est dommage c’est qu’ils ne soient pas plus imités dans leur activisme ! Cela présenterait deux avantages : contrebalancer le poids de ce pays et œuvrer contre l’argent sale.

Le rôle de la société civile est, sur cette question, immense. Par des manifestations monstres qui ont pesé sur les destitutions de chefs d’État, par l’activité d’ONG qui enquêtent et qui mettent en lumière l’activité de certains hommes et femmes politiques et entreprises, par l’influence croissante des lanceurs d’alerte ayant permis le dévoilement des différents scandales (UBSLeaks, LuxLeaks, Panama Papers, etc.), la société civile pèse de tout son poids sur les politiques à la fois nationales et internationales.

Il s’agit évidemment d’un processus long et qui ne portera ses fruits que dans quelques années, voire quelques dizaines d’années, mais cela contribue considérablement au regard que nous portons sur les choses. À toutes fins utiles, il convient de se souvenir qu’il y a encore quelque temps, parler des paradis fiscaux, outre la dimension exotique de la chose, mettait surtout en avant le côté astucieux, presque filou de la manœuvre. Ce n’est qu’avec des études, des enquêtes, des recherches que l’on a pu prendre conscience de l’impact désastreux de l’évitement de l’impôt sur les sociétés.

La Russie : partenaire ou menace ?

Wed, 04/04/2018 - 19:02

Lukas Macek est directeur du campus de Sciences Po à Dijon. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation à la seconde édition des Internationales de Dijon, organisés par l’IRIS et la Ville de Dijon, le 24 mars 2018 :
– Comment définiriez-vous les liens entre l’Union européenne et la Russie ? Est-elle une alliée ou une menace pour l’Europe ?
– Vous dites que le discours russe s’est durci envers l’Occident, Vladimir Poutine s’opposant à l’européanisation de la Russie. Faut-il craindre cette position ?
– Quels sont les enjeux du 4e mandat de Vladimir Poutine ? Est-ce le mandat de trop ?

Accord sur le nucléaire iranien : les enjeux pour la France et l’Union européenne

Wed, 04/04/2018 - 10:03

Face à la pression américaine sur le dossier iranien, la France mise sur son poids diplomatique pour trouver une sortie de crise dans une région sous haute tension. Lors de sa visite en Iran les 4 et 5 mars derniers, le ministre des Affaires étrangères français a souhaité obtenir des concessions de Téhéran sur son programme balistique et sur son soutien au régime syrien afin de pouvoir convaincre le président américain de respecter l’accord sur le nucléaire iranien. Depuis sa campagne électorale, Trump n’a cessé d’affirmer sa volonté de mettre fin à cet accord signé sous le mandat de son prédécesseur, Barack Obama. Il a lancé récemment un ultimatum aux États européens signataires fixé au 12 mai 2018 pour corriger les lacunes de l’accord qu’il juge « le pire de l’histoire américaine », faute de quoi Washington en sortira et réintroduira les sanctions américaines. Les enjeux de cet accord sont énormes, car le retrait américain non seulement met en jeu la crédibilité déjà fragile du Conseil de sécurité et de l’ONU, mais risque aussi de fermer toute possibilité de dialogue pour établir une paix durable au Moyen-Orient.

Rappelons que l’accord a été conclu à Vienne par l’Iran avec les 5+1 (membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne) en échange de la levée des sanctions économiques imposées depuis 2006. En contrepartie, Téhéran s’est engagé à revenir sur son projet d’arme nucléaire : réduire le nombre de ses centrifugeuses (passées de 20000 à 5060), à limiter sa production de plutonium, son stock d’uranium à moins de 3,67 % – loin des seuils nécessaires à un usage militaire – et enfin faciliter le contrôle des inspecteurs internationaux de l’Agence internationale de l’énergie        atomique (AIEA[i]).

Il est évident que ni l’UE, ni même les alliés de l’Iran, que sont la Russie et la Chine, ne souhaitent laisser Téhéran se doter de l’arme nucléaire, en raison du risque de prolifération dans une région déjà minée et instable. Mais ils pensent que l’accord est le meilleur moyen pour permettre de surveiller et d’encadrer le programme nucléaire iranien ; tandis que ses détracteurs – principalement Washington et ses alliés israéliens et saoudiens – craignent qu’il n’offre plutôt la possibilité à Téhéran d’échapper aux contrôles et de poursuivre ses ambitions.

La France intervient donc dans un contexte de tensions croissantes, notamment depuis que Téhéran a dévoilé, lors du 39e anniversaire de la Révolution islamique, son programme balistique (modèle de missile Qader de 2000 km de portée, selon l’agence Fars). Ces tensions sont d’autant plus fortes que Trump vient de nommer Mike Pompeo – farouche opposant à l’accord sur le nucléaire iranien – comme nouveau Secrétaire d’État, envoyant ainsi un signal fort de l’intransigeance de la politique américaine. La visite du Prince Bin Salman à Washington ne fera que renforcer la position de Trump. L’Arabie saoudite, qui affronte l’Iran dans une guerre d’influence, use de tout son poids diplomatique pour mettre fin à l’accord sur le nucléaire. Que peut faire la France, voire l’Union européenne (UE), face à la politique de défiance de Washington ?

Malgré son inquiétude vis-à-vis du programme balistique iranien, l’UE affirme sa confiance quant à l’efficacité de l’accord comme moyen de renforcer la coopération et le dialogue avec l’Iran. L’UE s’appuie également sur les conclusions de l’AIEA qui soutient, comme l’annonce son directeur général Ykiya Amano, que l’Iran respectait les engagements sur le nucléaire[ii]. Il faut rappeler que cet accord représente aussi un enjeu économique et stratégique majeur pour l’UE : la levée des sanctions ouvre théoriquement le marché iranien aux entreprises européennes, d’autant que l’approvisionnement en gaz et pétrole iraniens réduirait la dépendance européenne à l’énergie russe.

Dans cette logique, Paris tente de faire pression sur Téhéran pour l’inciter à infléchir ses ambitions militaires et son influence dans la région, notamment son soutien au régime syrien, en échange du soutien européen à l’accord. Selon Paris, les relations directes avec Damas permettraient à Téhéran de faire pression sur le régime de al-Assad pour se plier aux résolutions de l’ONU. Il importe ainsi de s’interroger sur le poids de la médiation française et de sa marge de manœuvre compte tenu de l’intransigeance des différents acteurs. Face à la pression américaine, le gouvernement iranien, qui a accepté une réduction drastique de ses capacités nucléaires, refuse de se plier à des mesures supplémentaires et menace, à son tour, de riposter si Washington renonce au traité.

La marge de manœuvre de la France est donc infime, d’autant qu’il serait peu crédible de tenter de convaincre l’Iran de renoncer à son programme balistique et de réduire son influence dans la région alors que les puissances occidentales continuent à vendre des armes à son rival saoudien. De plus, en dépit de son soutien au régime syrien, il est peu probable que Téhéran puisse exercer une réelle influence sur la prise de décision à Damas. L’échec de la visite de Jean-Yves Le Drian en Iran en est la preuve. Le chef de la diplomatie française s’est heurté à l’intransigeance de Téhéran qui rejette toute modification de l’accord ou de sa politique régionale. Sur la crise syrienne, le président iranien a déclaré que renforcer le régime de Bachar al-Assad était la seule issue possible. Le ministre des Affaires étrangères, Mohammed Javad Zarif, avait dénoncé l’« extrémisme » de l’UE  vis-à-vis de l’Iran, quelques heures avant de rencontrer son homologue français.

Pour que la France, et plus globalement l’UE, puisse jouer un rôle efficace de médiateur, elle doit préserver sa neutralité dans la guerre hégémonique qui est à l’origine de la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Le respect de l’équilibre des puissances de la région est la seule voie possible pour instaurer une paix durable au Moyen-Orient ; cela permettrait également à la médiation française de gagner plus de crédibilité auprès des acteurs régionaux.

Pour ce qui concerne la position américaine, Trump augmente le suspense en plaçant le destin de l’accord entre les mains du Congrès qui est divisé sur la question. Cette stratégie permet au président américain d’éviter de porter seul la responsabilité du fiasco qui découlerait d’une éventuelle fin de l’accord, et de sauver l’honneur, vis-à-vis de son électorat et de ses alliés, si le Congrès votait en faveur du traité. La visite qu’effectuera le président de la République à Washington du 23 au 25 avril prochains offre une dernière chance pour la diplomatie française, à savoir si Macron réussira à convaincre Trump de revenir sur sa décision.

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[i]       AIEA, « Verification and monitoring in the Islamic Republic of Iran in light of United Nations Security Council resolution 2231 (2015) », rapport par le Director General, 22 février 2018.  [Consulté le 26/03/2018].

[ii]      AIEA, « Iran is Implementing Nuclear-related JCPOA Commitments, Director General Amano Tells IAEA Board ». 5 mars 2018. https://www.iaea.org/newscenter/news/iran-is-implementing-nuclear-related-jcpoa-commitments-director-general-amano-tells-iaea-board. [consulté le 26/03/2018].

 

La Chine : une émergence pacifique ?

Tue, 03/04/2018 - 17:21

Pierre Grosser est professeur agrégé d’histoire à Sciences Po. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation à la seconde édition des Internationales de Dijon, organisés par l’IRIS et la Ville de Dijon, le 24 mars 2018 :
– Peut-on considérer la Chine comme favorable à un monde multipolaire ?
– Quelle est la stratégie de Xi Jinping sur la scène internationale ?
– Peut-on dire que la Chine a su tirer profit de l’imprévisibilité de Donald Trump pour s’imposer en tant qu’acteur mondial incontournable ?
– Le projet des nouvelles Route de la soie sera-t-il bénéfique pour l’Europe ?

L’Union européenne : quels défis, quelles opportunités ?

Tue, 27/02/2018 - 15:04

Miguel Angel Moratinos, diplomate et homme politique, ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération d’Espagne, répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux 10e Entretiens européens d’Enghien organisés par l’IRIS et la Ville d’Enghien-les-Bains, le 10 février 2018 :
– La désaffection des citoyens envers l’Union européenne n’est-elle pas davantage une défiance envers ses institutions ?
– Quel défis les institutions doivent-elles relever pour renouer ce lien ?
– Avec la formation d’une coalition gouvernementale pro-UE en Allemagne, Emmanuel Macron bénéficie-t-il d’un soutien de poids sur les dossiers européens ?

VIIIème sommet des Amériques : querelles vénézuéliennes

Tue, 27/02/2018 - 11:38

Le VIIIème sommet des Amériques, se tient à Lima les 13 et 14 avril 2018. Plus que l’ordre du jour c’est la liste des chefs d’Etat invités qui pose problème. Le Venezuela et son premier magistrat, Nicolas Maduro, ont-ils leur place dans ce forum ? Les ministres des affaires étrangères concernés multiplient déplacements et appels téléphoniques. Les « cherpas » de différents pays participants sont en agitation diplomatique quasi quotidienne.

Rex Tillerson, Secrétaire d’État nord-américain, a visité début février cinq pays de la région. À tous il leur a dit tout le mal que Washington porte à Caracas. Cet ostracisme tardif permet de recomposer une relation avec les alliés de Washington, mise à mal par  les propos inamicaux du président Trump. Mexique et Colombie ont très vite et publiquement signalé leurs réserves à l’égard du premier magistrat vénézuélien, Nicolas Maduro. Les 14 pays membres du groupe dit de « Lima » ont officialisé la démarche le 13 février 2018. Et donc le Pérou, hôte de la conférence a repris de la main gauche le 14 février l’invitation qui avait été envoyée précédemment de la droite. Bolivie, Cuba, Equateur, Nicaragua  ont contesté cette décision.

Nicolas Maduro, fort de son bon droit, et s’appuyant sur l’absence de majorité hostile à sa présence, -l’ Organisation des États d’Amérique (OEA) compte 35 membres-, a confirmé qu’en dépit de la déclaration du groupe de Lima[1], et de l’attitude hostile du pays hôte, le Pérou, il avait la ferme intention d’assister au VIIIème sommet des Amériques. Les polémiques croisées en coups de menton se sont entremêlées entre gouvernants péruviens et vénézuéliens. Chacun faisant valoir son bon droit et ses raisons.

Cet imbroglio diplomatique interpelle la raison. Les Sommets dits des Amériques « inventés » par les Etats-Unis en 1994 ont été tantôt boudés, tantôt contestés par tout ou partie des latino-américains. Les « bolivariens » et assimilés, y allaient en trainant les pieds. Cuba en effet en était exclu par principe, par un oukase unilatéral des États-Unis. Mais forts de leur majorité ils ont pesé sur les VIème et VIIème sommets[2], pour obtenir la réintégration de Cuba. Celle-ci a été confortée par la normalisation ultérieure des relations Washington-La Havane. Les conservateurs et libéraux  latino-américains requinqués par leur montée en puissance, et l’accès à la maison Blanche de Donald Trump  renvoient aujourd’hui la balle au reliquat des bolivariens. Et donc proposent l’exclusion du Venezuela.

Les motifs avancés par les conservateurs-libéraux sont fondés sur la violation des règles démocratiques par les autorités vénézuéliennes. Ils méritent d’être pris en considération. Les opposants vénézuéliens, bien qu’ayant gagné les législatives de décembre 2015, ont été systématiquement empêchés d’exercer le rôle que leur reconnaît la Constitution. Les autorités ont arrêtés et interdits d’élections plusieurs responsables de l’opposition. Une Constituante a été élue selon des critères partiellement corporatistes garantissant  une large majorité au parti gouvernemental. Cette Constituante a dès sa prise de fonction usurpé les compétences qui sont celles de l’Assemblée législative. Les élections législatives ont été avancées sur décision exécutive. Les juges du Tribunal suprême, instance d’équilibre démocratique et de recours, ont été renouvelés de façon unilatérale par l’Exécutif.

Le concert latino-américain reposant sur le respect du droit démocratique, le Venezuela d’évidence s’est placé hors des clous, hors de la Charte de l’OEA et de la déclaration adoptée au sommet de Québec en 2001. Le constat est incontestable. Et pourtant la décision d’exclusion prise par les États participants à la VIIIème conférence, par le Pérou, État invitant, n’est pas recevable, et ce pour plusieurs raisons.

La première et sans doute la plus importante est son caractère partiel et partial. Plusieurs des gouvernements latino-américains donneurs de leçons ont une légitimité démocratique incertaine. Michel Temer, chef d’État brésilien est un moraliste sans pudeur. Il est en effet arrivé au pouvoir en 2016, au prix d’une manipulation constitutionnelle démocratiquement condamnable. Sa présence à Lima pourtant ne pose pas problème. Le président en fonction du Honduras, Juan Orlando Hernandez, a été élu en novembre 2017 grâce au recours à « la main de Dieu » qui avait bien aidé l’Argentine à gagner la coupe du monde de football. Les voix nécessaires à sa victoire ont en effet selon bien des observateurs été poussées vers les urnes de façon subreptice. Le chef de la mission de l’OEA contre la corruption au Honduras a démissionné le 15 février, faute de soutien de la part de son secrétaire général. Les États-Unis, il est vrai, ont mis un terme aux critiques, déclarant que l’élu avait bien mérité sa victoire.

La seconde raison relève du bon sens diplomatique. Depuis plus d’un siècle, la société internationale s’efforce de construire des ponts institutionnalisés entre pays afin de réduire les risques de contentieux et de conflits. SDN, ONU, UA, UE, OSCE, OEA  etc… ont été créées à cet effet. Il est vrai que parallèlement d’autres initiatives diplomatiques avaient pour objectif la construction de réseaux  homogènes, opposables et mobilisables à d’autres posés comme antagonistes. Ce fut le cas de l’OTAN et Pacte de Varsovie pendant la guerre froide. L’OEA a depuis sa fondation en 1948 glissé de l’un à l’autre de ces modèles intergouvernementaux. Le VIIIème Sommet, à Lima, pourrait acter une régression, requalifiant l’organisation en cercle d’amis. L’entre soi idéologique primant alors sur la diplomatie, et le dialogue.

Il n’est pas dit que le projet arrive à terme et que le Venezuela soit de fait exclu de l’OEA, comme il l’est déjà du Mercosur. Pour des raisons arithmétiques. Certes le Pérou a repris sa lettre d’invitation. Certes le Pérou est pays hôte du Sommet. Mais la conférence est multilatérale et suppose un consensus majoritaire. Qui est loin d’être acquis. Il n’est pas dit non plus en cas d’exclusion ou de suspension que le Venezuela soit l’objet d’ingérences militarisées visant à le contraindre rejoindre le groupe libéral-conservateur. Tout simplement parce que la perpétuation d’un bouc-émissaire convient au président des Etats-Unis, comme à ses homologues d’Argentine, du Brésil, du Guatemala, du Pérou, ou du Mexique. Faute d’entente sur le commerce, le traitement des flux migratoires, le dossier des stupéfiants, et en raison d’un recours commode à Nicolas Maduro pour diaboliser les opposants internes progressistes, il est bien utile d’avoir sous la main un grand méchant loup.

 

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[1] Composé par l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa-Rica, le Guatemala, le Guyana, le Honduras,  le Mexique, le Panama, le Paraguay , le Pérou, et Sainte-Lucie.

[2] A Carthagène (Colombie) en 2012 et à Panama en 2015

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