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Politique étrangère (IFRI)

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La revue de référence sur les questions internationales
Updated: 1 month 5 days ago

Cisjordanie : embarras dans les chancelleries arabes et européennes

Tue, 16/06/2020 - 09:00

Le 14 juin, Libération a publié un article, Cisjordanie : l’embarras des chancelleries arabes et européennes, dans lequel est cité l’article d’Elisabeth Marteu, « Les pays du Golfe et Israël : une convergence d’intérêts ? », publié dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n° 1/2020).

Si de nombreux pays de la Ligue arabe ou de l’Union européenne désapprouvent le projet de Nétanyahou, peu ont les moyens diplomatiques de l’exprimer au grand jour, et encore moins de concert.

Même s’ils continuent de soutenir la solution à deux Etats dans le respect des résolutions de l’ONU, ni les pays arabes ni l’Europe n’ont les moyens de s’opposer à l’annexion par Israël de pans de la Cisjordanie. Car, tout contraire qu’il soit au droit international, ce projet est le premier fruit du plan Trump pour la paix au Proche-Orient. Par crainte de compromettre leurs relations compliquées, mais nécessaires, avec Washington, Arabes et Européens réaffirment leur position de principe et alertent les Israéliens des risques de dégradation de leurs relations de coopération.

Quelle réaction des pays arabes ?

Par une opération de communication comme il les affectionne, l’influent ambassadeur des Emirats arabes unis à Washington, Yousef al-Otaiba, a appelé vendredi Israël à renoncer à son projet d’annexion, au risque de compromettre une « normalisation » des relations avec les pays arabes. La tribune, publiée en hébreu à la une du quotidien israélien Yediot Aharonot, est une première pour un diplomate arabe, qui de surcroît a rang de ministre dans son pays, le plus engagé dans le rapprochement avec Israël. Venant de la part d’un homme connu pour sa proximité avec l’administration et la famille Trump, partisan du plan du président américain pour la paix au Proche-Orient, l’avertissement à Israël paraît sévère. Or, « le plus incroyable, c’est combien la barre a été abaissée », relève l’éditorialiste israélien Anshel Pfeffer dans Haaretz, rappelant que « l’exigence d’un Etat palestinien n’est plus le prix » réclamé par les Arabes.

Depuis près de vingt ans, le consensus adopté par les pays arabes conditionne l’établissement de relations avec Israël à la création d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale. Ces conditions ont été réitérées en février lorsque la Ligue arabe a rejeté « l’accord du siècle américano-israélien, étant donné qu’il ne respecte pas les droits fondamentaux et les aspirations du peuple palestinien ». Jeudi, le secrétaire général de l’organisation a mis en garde Israël, considérant « l’annexion de toute partie de la terre palestinienne comme une agression contre les nations arabes et islamiques, compromettant toute possibilité de paix dans la région pour les prochaines décennies ».

Mais si la rhétorique du soutien « aux droits inaliénables » des Palestiniens perdure, il y a longtemps que la question palestinienne n’est plus «la cause centrale arabe», selon la formule consacrée.

Les bouleversements dans la région depuis les soulèvements de 2011, suivis des guerres civiles, émergences terroristes inédites ou autres conflits, ont imposé de nouvelles priorités à l’ensemble des pays arabes, reléguant le conflit israélo-palestinien à une moindre préoccupation. L’expansion politique et militaire de l’Iran sur les différents terrains de guerre a attisé les craintes des pays du Golfe, lesquels ont trouvé en Israël un allié objectif et proactif. Or, ces pays arabes longtemps désignés comme «modérés» du fait de leurs bonnes relations avec les Etats-Unis, pouvaient exercer dans le passé leur influence diplomatique auprès de Washington sur le dossier palestinien. Mais avec leur nouvelle obsession anti-iranienne partagée par Donald Trump, ils ont encouragé et applaudi celui-ci quand il a déchiré l’accord nucléaire avec Téhéran.

« Les pays du Golfe ont montré à quel point ils étaient complaisants avec l’administration américaine », écrit Elisabeth Marteu, dans la revue Politique étrangère de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Dans un article sur la « convergence d’intérêts » entre les pays du Golfe et Israël, la chercheuse souligne : « Soit parce qu’ils cherchent à satisfaire leur allié occidental, soit parce qu’ils sont lassés de la question palestinienne (ou les deux), ils n’arrivent plus à cacher leur envie d’en finir avec ce vieux conflit qui ne leur semble plus prioritaire au Moyen-Orient. » […]

>> Lire l’article dans son intégralité ici. <<

Une histoire mondiale de la paix

Mon, 15/06/2020 - 11:19

Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2020). Dominique David, rédacteur en chef de la revue, propose une analyse de l’ouvrage de Philippe Moreau DefargesUne histoire mondiale de la paix (Odile Jacob, 2020, 224 pages).

À vrai dire, il s’agit là moins d’une histoire de la paix – quelle chronologie établir d’une multiplicité de phénomènes mal définissables ? –, que d’un démontage des conditions de paix correspondant à chaque temps de l’histoire des sociétés humaines.

Regrettera-t‑on les empires ? Sans doute, si l’on en croit Philippe Moreau Defarges, qui voit dans la paix impériale le produit, instable mais appréciable, du croisement de la force, d’un équilibre passager entre l’aspiration à l’ordre et l’aspiration à l’autonomie, et d’une certaine poursuite de l’universel. La paix impériale a ainsi sa grandeur et son efficacité, au-delà d’incarnations très diverses.

Dernier avatar de la paix impériale, la domination oligarchique qui a marqué le temps de la guerre froide a sombré avec la liquidation des empires coloniaux et l’effondrement de l’empire soviétique. Le survivant américain semble lui-même condamné avec la fin d’un système qu’il dominait. Et son déclin n’adoube nul successeur. La puissance chinoise est impressionnante, mais son intégration au monde soulève trop de problèmes, son universalisme est trop contestable, pour qu’elle puisse prétendre à un rapide imperium.

Force est donc d’imaginer un autre montage que celui d’une paix d’empire, un montage contemporain correspondant à l’état d’ouverture du monde actuel – un monde que l’auteur caractérise surtout par la fin d’une multiséculaire sédentarisation. La mondialisation instaure et encourage la circulation de tous partout, le défi symbolique de la migration venant remplacer celui de l’affrontement entre territoires définis et fermés. Le temps s’ouvrirait donc de la paix par consentement, basée sur une culture universellement partagée, sur l’égalité formelle entre États, sur un système de pactes liant ces derniers, et sur un entrecroisement de coopérations entre sociétés civiles.

Et pourtant, relève l’auteur, le spectre de la guerre n’a pas disparu. Il peut revenir, produit d’un progrès technologique qui stimule les courses aux armements, ou d’emballements immaîtrisés entre puissances : on croit contrôler les crises, puis elles échappent à qui se croyait démiurge. L’affrontement Chine/États-Unis revêt pour l’heure des formes non guerrières, mais qui peut jurer qu’il ne dérapera pas ? Contre le risque mortel, plaide Moreau Defarges, une seule issue : un « contrat planétaire interétatique, transétatique, infra-étatique » garantissant la paix.

On objectera à l’auteur que sa vision d’un monde déjà unifié, qui relèverait de solutions elles-mêmes globales, sent fort son occidentalo-centrisme. Qu’en pensent les puissances montantes d’Asie, les populations d’Afrique, le Moyen-Orient divisé ? L’espoir de l’auteur est que les États soient terrassés par une vision des biens communs de l’humanité, et qu’ils produisent ensemble une sorte de légitimité universelle porteuse de paix. N’est-ce pas là ignorer la têtue diversité du monde ? Le rapport à l’État, au territoire, à la guerre, est‑il universel, la mondialisation a-t‑elle gommé la diversité des sociétés humaines ?

La complexité de la réflexion sur la « gouvernance mondiale » découle de cette diversité. À croire que la paix, ou plutôt les paix de demain, seront toujours produites d’équilibres précaires plus que de systèmes ? Ce qui ne dissuade pas de s’organiser. Le sommet est très loin, mais « il faut imaginer Sisyphe heureux »…

Dominique David

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La transmutation du droit international

Fri, 06/03/2020 - 10:01

Le 21 février, Le nouvel Économiste a publié un article, La transmutation du droit international, dans lequel est cité l’article de Philippe Moreau Defarges, ancien chercheur à l’Ifri, « Le droit dans le système international : plus qu’un instrument ? », publié dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2019).

Porté par la multiplication des flux transnationaux, la vivacité des revendications égalitaires et l’émergence d’impératifs planétaires, le mouvement de juridisation-judiciarisation pourrait conduire à une mutation du système international. À l’avenir, ce système pourrait être caractérisé par son hétérogénéité et son instabilité. Le droit joue un rôle central tant dans les opérations les plus sinistres que lors des avancées libératrices. La double dynamique de la « juridisation » – développement et élargissement sans précédent des règles de toutes sortes dans tous les domaines – et de la judiciarisation – multiplication des juridictions internationales de tous types, imbrication croissante des juridictions internes et des juridictions internationales – transforme irréversiblement le système interétatique, contribuant au développement d’une forme de société internationale. Mais, sous la société, la jungle disparaît-elle ?

Extraits d’un article de Philippe Moreau Defarges, ancien diplomate et ancien chercheur à l’Ifri, pour la revue Politique étrangère de l’Ifri.

« La notion de droit suggère un bloc cohérent de règles, empêchant équivoques et controverses. Dans la réalité, le “droit” juxtapose, accumule toutes sortes de dispositions hétéroclites, constamment réinterprétées ou remodelées par les parties prenantes. Le droit, en se développant ou plutôt en proliférant, se diversifie et se complexifie à l’infini, le droit dit dur (hard law) se prolongeant dans d’infinies zones grises de droit mou (soft law), surtout dans les priorités récentes de l’agenda international : environnement, droits des animaux, etc. Tout système de droit, dissimulant ses origines équivoques, doit se croire et se vouloir éternel. Il n’en est pas moins initialement une photographie, un enregistrement d’un rapport de forces, acquérant une authentique transcendance s’il parvient à durer grâce à des instances indépendantes et respectées (Cours suprêmes, juridictions internationales, etc.).

Le couple État-droit avance dans une tension permanente entre, d’une part, la volonté du premier de faire du second un moyen d’exercice et de légitimation du pouvoir (en France, tradition des légistes) et, d’autre part, l’autonomisation du droit : de multiples acteurs (financiers, commerçants, dissidents…) le mobilisent pour se protéger et parfois faire reculer l’État. Depuis 1945, deux vagues de fond, distinctes mais en interaction, confèrent à cette problématique une ampleur inédite. L’ouverture mais surtout la porosité des frontières entraînent une explosion des flux, le droit étant mobilisé tant pour faire reconnaître les demandes de tous ceux qui bougent (et d’abord des migrants) que pour protéger les sédentaires. La multiplication sans précédent des traités bilatéraux et multilatéraux, régionaux et mondiaux, dans tous les domaines entremêle législations étatiques et législations inter ou supra-étatiques, ces dernières ne se limitant pas à la définition de droits et d’obligations mais créant des dispositifs institutionnels (agences, systèmes de surveillance et même juridictions).

Le “droit”, surtout dans l’espace international où il n’est pas soumis à l’arbitre supérieur qu’est l’État, se trouve pris entre des principes de statu quo et des principes de changement. Ainsi, le respect des frontières établies, l’interdiction de les modifier par la force, garants de stabilité et peut-être de paix, se trouvent-ils contrebalancés par le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, chacun devant pouvoir obtenir un État sur le territoire qu’il juge juste. Ce droit, s’il n’autorise pas (en principe) les nations à utiliser la menace ou les armes pour le matérialiser, sème une perpétuelle incertitude : le tracé des frontières et la configuration des États peuvent à tout moment être mis en question par toutes sortes de revendications. Le droit peut être l’arme ultime de ceux qui ne peuvent utiliser la force ou plus exactement de ceux qui ont le génie de la redéfinir. Gandhi paralyse les Indes britanniques par la “non-violence”.

La juridisation et la judiciarisation du système international se trouvent d’abord portées par l’explosion des flux, des circulations, des réseaux, tous appelant des normes, des protocoles, des codes permettant aux hommes, aux sociétés d’échanger et de travailler ensemble. Une deuxième dynamique, politique et morale, a pour moteur la demande inépuisable d’égalité (des individus, des sexes, des peuples…), le droit se retrouvant au service tant des revendications légataires que de la protection et de la légitimation d’inégalités en pleine croissance.

L’émergence d’impératifs planétaires (maîtriser l’exploitation des ressources de la terre, préserver les zones s’offrant à des convoitises sans limites, contrôler les armements…) fournit une troisième dynamique.

Mais le droit ou plutôt tous ceux qui le négocient (diplomates, juristes…) savent que leur succès requiert de satisfaire deux préoccupations difficilement compatibles : donner un contenu concret à l’idée d’égalité ; ne jamais sous-estimer les exigences des plus puissants.

Ainsi, pour que le Conseil de sécurité adopte une décision juridiquement contraignante en matière de maintien de la paix (chapitre VII de la Charte), neuf des quinze États membres doivent voter en faveur du texte ; en outre, ce texte ne doit être bloqué par aucun des cinq membres permanents (droit de veto). Cette double obligation met en lumière le souci d’un support démocratique (au moins neuf des quinze devant soutenir le texte) dans le respect de la prééminence des cinq “Grands”, principaux vainqueurs de 1945 en charge de l’ordre mondial, rien ne pouvant être fait si l’un d’eux s’oppose au texte.

Le droit peut organiser ou aménager l’égalité

Le droit peut organiser ou aménager l’égalité (ou l’inégalité) dans les limites que les États sont prêts à accepter. Le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968 réserve le monopole des armes nucléaires à leurs cinq détenteurs officiels, donc à ceux qui les ont déjà. Le TNP rallie la quasi totalité des États, ces derniers sachant que ces armes sont hors de leurs moyens. La poignée de pays – politiquement significative -, qui ne devient pas partie au TNP, considère que sa sécurité ou son rang lui impose d’avoir un arsenal nucléaire: Israël, Inde, Pakistan… Enfin, un État, très fier de son isolement provocateur, se moque ouvertement du dispositif : la Corée du Nord. Le droit ne peut gommer les réalités de la puissance que si les plus puissants se montrent disposés ou résignés à accepter une forme (ou une apparence) d’égalité. Parfois l’égalité ne peut pas être négociée, elle est acceptée ou rejetée. En 2002, l’instauration de la Cour pénale internationale (CPI), juridiction permanente, constitue une rupture historique dans la responsabilité personnelle des gouvernants, ces derniers pouvant être inculpés et condamnés pour des crimes (répression systématique d’individus ou de peuples) commis dans l’exercice de leurs fonctions. Désormais un chef d’État ou un ministre pourrait à tout moment se retrouver dans le box des accusés pour ses abus de pouvoir. Mais la compétence de la CPI ne peut être imposée, elle doit être consentie par les États. Les “géants” (États-Unis, Russie, Chine, Inde) ne conçoivent pas que leurs dirigeants suprêmes subissent l’humiliation d’être soumis au traitement d’un coupable potentiel (interrogatoire, emprisonnement…). Les États-Unis, État démocratique, pays d’avocats et de juges, sont les plus vindicatifs contre la CPI, concluant avec des dizaines d’États des accords bilatéraux leur interdisant de livrer à la Cour tout ressortissant américain se trouvant sur leur territoire. Est-il concevable que l’ancien président George W. Bush soit emmené à La Haye pour les tortures dans la prison d’Abou Ghraib en Irak, ou le numéro un chinois Xi Jinping soit poursuivi pour la répression au Tibet ?

Dans les années 2010, la CPI, du fait notamment de son ambition utopique, est rejetée par ceux qui l’ont initialement ralliée en masse : les États africains, plusieurs s’étant convaincus que, la quasi-totalité des poursuites visant des Africains, la Cour véhicule tous les préjugés pénalisant leur continent.

La souveraineté, classiquement conçue comme le contrôle exclusif par tout État de ses affaires intérieures (ces termes pouvant recevoir bien des définitions), se trouve irrémédiablement remodelée par le sentiment de plus en plus répandu d’un devoir de solidarité, d’entraide entre les peuples, certaines politiques (notamment l’oppression ou l’élimination de minorités) déchaînant des cascades de réactions impossibles à ignorer. Le droit, dans son sens le plus large, ne peut qu’enregistrer de telles évolutions de fond. […] ».

Lire l’article dans son intégralité ici.


Géopolitique de l’Amazonie

Fri, 28/02/2020 - 15:43

Suite au sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir en avant-première l’article du numéro de printemps 2020 de Politique étrangère (n°1/2020) – disponible dès la semaine prochaine – que vous avez choisi d'(é)lire : « Géopolitique de l’Amazonie », écrit par Ombelyne Dagicour.

Les incendies qui ont ravagé l’Amazonie en 2019 ont mis en lumière les difficultés d’une conciliation entre exigences environnementales et économiques dans ces territoires. « Poumon de la Terre », la forêt amazonienne s’étend sur plus de 7,5 millions de km² et constitue un réservoir unique de biodiversité1. Plus grand système hydrographique au monde, le bassin amazonien concentre également 20 % des réserves d’eau douce. Alors que le réchauffement climatique s’accélère, l’énorme stock de carbone contenu par la forêt amazonienne menace d’être libéré sous l’effet d’une déforestation qui tend à augmenter. 90 000 incendies ont été comptabilisés en 2019, soit le plus lourd bilan depuis près d’une décennie. Ils ont suscité une vive émotion internationale, et entraîné la mise en cause du gouvernement brésilien, en particulier de son président Jair Bolsonaro. La forêt amazonienne a déjà perdu 20 % de sa superficie en l’espace de cinquante ans selon le World Wildlife Fund (WWF). La déforestation en Amazonie a désormais presque doublé au Brésil par rapport à 2018, poussant les monocultures commerciales et les activités d’extraction toujours plus loin dans les confins tropicaux2.

Ces récents événements révèlent que les territoires amazoniens ne sont plus périphériques. Bien qu’historiquement marginalisée, l’Amazonie est désormais une région stratégique de premier plan. Ses ressources minérales et ses potentialités agro-industrielles la placent au cœur des priorités nationales pour le Brésil dont le territoire comprend environ 60 % de la superficie totale du bassin amazonien. En 1953, le Brésil a défini le cadre politico-administratif et territorial d’une « Amazonie légale », dans lequel sont menés les programmes d’infrastructure et de colonisation des terres amazoniennes.

La notion de territoire désigne communément un espace approprié et délimité par une autorité, formant la base d’une juridiction. Or, à l’heure de la crise écologique et climatique mondiale, une tension apparaît entre la souveraineté des États administrant l’Amazonie et la volonté de certains acteurs de faire appliquer des normes internationales, voire d’internationaliser la gestion amazonienne3. Dans ce contexte, quels sont les défis mais aussi les menaces qui pèsent en Amazonie sur la protection environnementale et des populations ?

Pour comprendre ce qui se joue, il faut revenir brièvement sur les dynamiques historiques des territoires amazoniens au Brésil. Ce préalable est indispensable afin d’appréhender les enjeux écologiques et sociaux spécifiques aux espaces amazoniens à l’aune des contradictions entre logiques « développementalistes » et « environnementalistes ». Puis on verra en quoi l’évolution récente de la posture géopolitique du gouvernement brésilien laisse planer de grandes incertitudes sur la protection de la forêt amazonienne, et pourrait signifier un revers du multilatéralisme dans la lutte contre le réchauffement climatique.

L’Amazonie brésilienne, dynamiques pionnières et construction nationale

De par son éloignement, l’Amazonie est longtemps restée terra incognita aux yeux du pouvoir impérial, puis républicain. Toutefois, dès l’époque coloniale, les territoires amazoniens ont vu naître nombre de mythes, en particulier celui de l’El Dorado, pour désigner un espace homogène « vert » dominé par une nature aux ressources inépuisables. L’histoire de l’occupation et du développement économique de l’Amazonie suit des cycles liés à l’exploitation des ressources de la forêt (bois, minerais, plantes médicinales, etc.). Le boom du caoutchouc lié à l’essor de l’industrie automobile bouleverse la place et l’économie de ces anciennes marges coloniales, en les propulsant dans les circuits du capitalisme international4.

Le gouvernement de Getúlio Vargas, leader populiste autoritaire (1930-1945, puis 1945-1951) représente un moment important dans la formulation de l’identité brésilienne et l’incorporation des marges amazoniennes à la nation. Il lance le premier plan de développement de l’Amazonie, qui s’insère dans le projet d’implantation du « nouvel État brésilien » (Estado Novo). L’étroite relation qui se noue entre nationalisme et « développementalisme » est alors théorisée par les pères fondateurs des sciences humaines brésiliennes. Pendant la guerre froide – marquée en Amérique latine par les conséquences de la révolution cubaine de 1959 –, les dirigeants nationalistes du Brésil misent sur le contrôle géopolitique du territoire et l’industrialisation par substitution aux importations.

Dans ce contexte, les terres amazoniennes acquièrent une dimension stratégique inédite, tant pour le développement économique que pour la sécurité nationale. Emblématique de l’idéologie développementaliste, le régime de Juscelino Kubitschek (1956-1961) inaugure en 1960 la capitale Brasilia, symbole d’un idéal de modernité orchestré par la puissance étatique et sa prétention à exercer pleinement une souveraineté territoriale. L’ouverture du premier axe routier amazonien entre Belém et Brasilia illustre l’effort pour désenclaver l’Amazonie et transformer le Brésil en un pays moderne, industriel et urbain jusque dans ses confins.

Cette dynamique d’expansion territoriale est poursuivie par les militaires au pouvoir entre 1964 et 1985. Parmi les « Grands objectifs nationaux » définis par ce régime technocratique et autoritaire figurent d’importants programmes de colonisation minière et agricole en Amazonie, menés sous l’égide de la Superintendance pour le Développement de l’Amazonie (SUDAM) créée en 1966. La période allant de 1968 à 1976 marque l’ouverture décisive de l’Amazonie aux investissements privés (nationaux et/ou étrangers). Emblématique des enjeux économico-stratégiques liés à la valorisation des ressources naturelles, le projet RADAM (Radar da Amazônia) est lancé en 1970. Il permet d’obtenir la première cartographie exhaustive du bassin amazonien. Coordonné par un département placé sous la tutelle du ministère des Mines et de l’Énergie, ce programme de couverture aérienne de l’Amazonie par imagerie radar qui s’appuie sur les dernières avancées technologiques développées aux États-Unis, débouche ainsi sur l’inventaire systématique des ressources amazoniennes.

Le processus d’intégration de l’Amazonie à la sphère étatique et nationale se reflète dans la profonde modification de l’organisation spatiale du Brésil : la poussée pionnière vers les territoires amazoniens connaît un essor spectaculaire5. Des vagues migratoires successives aboutissent à la formation de noyaux urbains présentant une grande diversité socioculturelle. Aujourd’hui, 70 % de la population amazonienne du Brésil résident dans des villes, selon le recensement de 2010 réalisé par l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE). Ce sont presque 18 millions d’habitants qui demeurent en Amazonie, dont un peu moins de 300 000 Amérindiens6. Autre conséquence durable : l’extension des monocultures d’exportation (soja, café, canne à sucre pour l’éthanol) et de l’élevage bovin, sous l’effet d’une déforestation encouragée par les incitations fiscales favorables aux grands domaines.

L’occupation spatiale et la mise en valeur des ressources amazoniennes participent d’une dynamique géo-historique qui dépasse le cadre national. Les ambitions régaliennes de l’État brésilien continuent de guider les politiques publiques destinées à assurer la croissance économique, mais elles sont formulées dans un contexte marqué depuis les années 1990 par le renforcement de la dérégulation néolibérale et des logiques supranationales incarnées par une diversité d’acteurs en interaction avec les populations locales, notamment amérindiennes. La complexification progressive des jeux d’acteurs d’origines diverses (locale, nationale, internationale) d’une part, et la prise de conscience du rôle déterminant de l’Amazonie sur les équilibres climatiques mondiaux d’autre part, font lever de multiples questions sur la pertinence du modèle de développement de cet espace.

  1. Les scientifiques estiment que l’Amazonie abrite près de 10 % de la biodiversité mondiale. F.-M. Le Tourneau, L’Amazonie. Histoire, géographie, environnement, Paris, CNRS éditions, 2019, p. 57.
  2. « Brésil, la déforestation de l’Amazonie a presque doublé en un an », Le Monde, 8 septembre 2019, disponible sur : www.lemonde.fr.
  3. I. Bellier (dir.), Terres, territoires, ressources. Politiques, pratiques et droits des peuples autochtones, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 16-17.
  4. A. Coic, « La grande aventure du caoutchouc en Amazonie. Bois et forêts des tropiques », À travers le monde, vol. 2, n° 264, 2000, p. 61-66.
  5. M. Droulers, Brésil : une géohistoire, Paris, Presses universitaires de France, 2001.
  6. Il s’agit de la population amazonienne résidant au sein de l’Amazonie forestière proprement dite. La population totale de l’Amazonie « légale » représente environ 23 millions d’habitants. Voir F.-M. Le Tourneau, « La distribution du peuplement en Amazonie brésilienne : l’apport de données par secteur de recensement », L’Espace géographique, vol. 38, n° 4, 2009, pp. 359-375, disponible sur :www.cairn.info.

Lire le texte dans son intégralité ici.

Japan in the American Century

Fri, 28/02/2020 - 08:55

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2019). Arnaud Grivaud propose une analyse de l’ouvrage de Kenneth B. Pyle, Japan in the American Century (Harvard University Press, 2018, 472 pages).

L’un des plus grands historiens du Japon analyse comment les trajectoires historiques américaine et japonaise se sont enchevêtrées – ou entrechoquées – pendant plus d’un siècle et demi (1853-2018). Suivant un ordre chronologique, les chapitres réalisent des allers et retours entre les situations politiques internes des deux pays et leur relation bilatérale.

En ouverture, Kenneth Pyle développe l’idée que les multiples causes de la guerre du Pacifique trouvent leur origine dans la rivalité née entre deux puissances montantes au début du xxe siècle, qui présentaient chacune des ambitions impérialistes dans la région. Il montre ensuite comment la contestation mutuelle de ces ambitions rivales s’est traduite par une montée du militarisme au Japon et une position américaine intransigeante dans sa volonté de façonner l’ordre mondial, plongeant in fine les deux pays dans la guerre.

Essentiellement basée sur le concept d’équilibre des pouvoirs (théorie réaliste des relations internationales), la démonstration prend cependant en compte l’influence sur les décisions des dirigeants des contextes politique, socio-économique et idéologique (identité nationale, libéralisme, racisme, etc.), tout en précisant que « rien n’est inévitable dans l’histoire ». Une fois la guerre déclarée, l’entêtement de Roosevelt à exiger une reddition inconditionnelle – quand toutes les guerres visaient jusqu’alors des paix négociées – a nourri, pour l’auteur, le jusqu’au-boutisme du gouvernement japonais qui souhaitait préserver à tout prix sa forme impériale et l’identité nippone. Dans cette configuration, le recours à la bombe atomique vint résoudre le dilemme du gouvernement américain qui se voulait inflexible mais redoutait un débarquement sanglant et coûteux.

L’ouvrage se poursuit sur les réformes sans précédent imposées durant l’après-guerre, dont l’auteur estime que la rapide appropriation par les Japonais s’explique par la présence endogène de forces progressistes et libérales. Il émet l’hypothèse – peu étayée et proche de l’histoire contrefactuelle – qu’un modèle démocratique plus en adéquation avec les valeurs japonaises aurait pu émerger sans une intervention américaine si marquée. Quoi qu’il en soit, avec l’entrée dans la guerre froide, les États-Unis réhabilitèrent rapidement des figures conservatrices tout juste écartées, et exigèrent du Japon qu’il se réarme pour faire barrage au communisme. Dans ce contexte, les dirigeants nippons surent tirer parti de cette subordination en déléguant aux Américains la sécurité du Japon pour se concentrer sur son économie. Kenneth Pyle nuance ainsi la thèse de la « pression extérieure », et rappelle que le Japon a su développer un modèle capitalistique et sociétal propre.

L’émergence d’un monde multipolaire post-guerre froide, a néanmoins contraint le Japon à réajuster sa stratégie pour s’assurer de l’engagement américain dans une Asie orientale où les tensions sont nombreuses. Shinzo Abe, conservateur et pragmatique, a ainsi récemment engagé son pays dans un rôle plus actif pour le maintien de la sécurité régionale.

Cet ouvrage ambitieux, synthétisant sous un angle inédit une bonne partie des recherches de l’auteur, s’appuie sur de nombreuses sources en anglais et en japonais. En dépit de quelques répétitions, les multiples citations qui agrémentent presque chaque page en rendent la lecture particulièrement plaisante.

Arnaud Grivaud

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Dans la tête de Viktor Orbán

Wed, 26/02/2020 - 08:55

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Thomas Meszaros propose une analyse de l’ouvrage d’Amélie Poinssot, Dans la tête de Viktor Orbán (Actes Sud/Solin, 2019, 192 pages).

L’ouvrage d’Amélie Poinssot repose sur trois sources : les principales biographies sur Orbán, ses discours, textes, interviews et des entretiens. La troisième source confère à l’ouvrage un intérêt évident. L’auteur enquête sur les facteurs qui structurent le système de pensée de Viktor Orbán. Certains remontent à sa jeunesse où il grandit dans un environnement modeste. Il garde de cette époque une proximité avec les gens, un parler vrai, qui contribuent à faire de lui un « homme du peuple ».

D’autres éléments concernent la lutte contre le communisme de ce jeune étudiant encore inconnu, diplômé en droit de l’université Bibó qui, en 1989, cofonde le Fidesz et veut « faire tomber le régime ». Successeur (auto-)désigné de József Antall, il devient en 1998, à 35 ans, le plus jeune chef de gouvernement européen. Rapidement vient « le temps des reniements ». Celui qui fut jadis « anticlérical, anti-autoritariste, libéral » prend un tournant conservateur. Déjà, il se rapproche des institutions religieuses, promeut les valeurs chrétiennes, une conception traditionnelle de la famille, instrumentalise l’histoire, les Hongrois de l’étranger, la fierté d’être hongrois et la « magyaritude ».

Pour Amélie Poinssot, la construction du « personnage d’Orbán : stratège, homme de pouvoir » est surtout indissociable de ses défaites électorales de 2002 et 2006. La formule de Deberczeni est évocatrice : « C’est la perte du pouvoir qui a fait Orbán et non le pouvoir. » Après huit ans dans l’opposition, il se repositionne dans un monde qui a changé : crise financière mondiale, choc des civilisations, scandales touchant le Parti socialiste hongrois. Il devient le chantre de l’anticommunisme, de l’antilibéralisme, des valeurs traditionnelles et nationalistes. Pour rester au pouvoir, « son conservatisme se mue en autoritarisme ».

Ses actes sont motivés plus par l’opportunisme que par des convictions. La rhétorique de la peur de la disparition de la nation magyare, la relecture du passé de la Hongrie, la fabrique des ennemis, l’instrumentalisation des crises européennes, la multiplication des relations avec des partenaires plus ou moins lointains, n’ont d’autre finalité que d’alimenter la politique intérieure et extérieure du Premier ministre. Progressivement, Orbán remplace le libéralisme, associé à l’échec de la gauche, par une politique conservatrice, et les valeurs occidentales par des valeurs traditionnelles et chrétiennes, donnant naissance à ce qu’il nomme la « démocratie illibérale » ou « démocratie chrétienne ».

L’essai stimulant d’Amélie Poinssot atteint son objectif. Le lecteur y découvrira les principaux facteurs qui motivent l’action politique d’Orbán. Il appelle également d’autres développements, pour comprendre comment Orbán est devenu un « théoricien de l’illibéralisme », et pourquoi l’Europe centrale – et notamment la Hongrie, où s’est souvent joué le destin malheureux de l’Europe –, est une terre fertile pour cette idéologie et ses dérives autoritaires. Dans le sillage des travaux de Fareed Zakaria sur la « démocratie illibérale », Pierre Rosanvallon sur la « contre-démocratie » et ses risques de dérive populiste, ou encore Pierre Hassner sur la « démocrature », cet essai invite aussi à poursuivre une réflexion sur la nature même de la démocratie et sur la crise existentielle que traversent les démocraties occidentales.

Thomas Meszaros

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Mon, 24/02/2020 - 08:55

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A Shared Home Place

Fri, 21/02/2020 - 08:55

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Marie-Claire Considère-Charon propose une analyse de l’ouvrage de Seamus Mallon, A Shared Home Place (The Lilliput Press, 2019, 272 pages).

Cinquante ans après le début des troubles, alors que le Brexit fait peser une grande incertitude sur l’avenir de l’Ulster, l’autobiographie de Seamus Mallon revient sur ces décennies dramatiques en retraçant l’itinéraire d’un responsable nationaliste nord-irlandais qui s’engagea au service d’une solution pacifique au conflit.

Seamus Mallon, ancien vice-Premier ministre du gouvernement nord-irlandais, dénonce la collusion entre paramilitaires loyalistes et forces de sécurité, l’obstination des unionistes à refuser toute concession à la minorité catholique, et plus encore l’idéologie pervertie du Sinn Fein, ainsi que le républicanisme violent de l’Armée républicaine irlandaise (IRA), qui fit cinq fois plus de victimes que l’armée britannique, la police nord-irlandaise et les paramilitaires unionistes réunis.

La gestion ultra-sécuritaire de la crise par les autorités britanniques ne fit que renforcer le terrorisme et le climat de guerre civile au sein d’une société profondément divisée. Les six comtés de l’Ulster, sous administration directe de Londres, constituèrent une enclave dérogatoire à la règle de droit en vigueur au Royaume-Uni. L’appareil législatif d’exception a, selon l’auteur, aliéné la minorité catholique tout en renforçant l’emprise de l’IRA sur une population en butte à l’intimidation, au harcèlement et à l’arbitraire.

C’est dans ce contexte que Seamus Mallon allait devenir un pionnier du mouvement pour les droits civiques nord-irlandais, puis rejoindre John Hume au nouveau Parti social-démocrate et travailliste. Les objectifs de cette formation nationaliste modérée étaient de militer par des moyens constitutionnels pour l’avènement d’une société juste et équitable qui, aux yeux de l’auteur, devait impérativement passer par la mise en place d’une police réformée et représentative de toute la société, ainsi que par une justice pénale respectant les droits fondamentaux des justiciables.

L’Accord du Vendredi Saint de 1998 fut le couronnement de trois décennies d’efforts en faveur de la paix. Pour y parvenir, les deux grands principes définis par John Hume étaient d’unir les deux communautés et de créer des structures de coopération nord-sud. Au nombre des dispositions et garanties de l’accord figure le principe de consentement, c’est-à-dire la garantie qu’aucun changement de statut de l’Irlande du Nord ne pourra se faire sans le consentement d’une majorité de la population.

Seamus Mallon a incarné de façon exemplaire ce courant nationaliste constitutionnel et pacifique qui permit une relative entente au cœur de l’exécutif nord-irlandais, aux côtés de son homologue du Parti unioniste d’Ulster, David Trimble. Toutefois, depuis 2007, les voix des électeurs se sont déplacées, des deux partis modérés nationaliste et unioniste vers les formations extrémistes – le Parti unioniste démocrate et le Sinn Fein –, avec pour conséquence l’incapacité à gouverner ensemble et la suspension des institutions.

La normalisation de la province et la capacité à « partager une même maison », comme le laisse entendre le titre de l’ouvrage, seraient gravement remises en cause par un retour de la frontière dans le cadre d’un Brexit brutal. Si l’auteur prévoit que la Grande-Bretagne quittera un jour l’Irlande du Nord, il est également convaincu que la province n’est pas encore prête pour une réunification, qui requiert l’évolution des esprits au sein de la communauté unioniste.

Marie-Claire Considère-Charon

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China-Africa and an Economic Transformation

Wed, 19/02/2020 - 08:55

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Thierry Pairault propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Arkebe Oqubay et Justin Yifu Lin, China-Africa and an Economic Transformation (Oxford University Press, 2019, 368 pages).

Ce livre offre une réflexion dense sur les relations économiques entre la Chine et l’Afrique avec quelques aperçus plus spécifiquement axés sur le Nigeria et l’Éthiopie. Les chapitres centraux sont précédés et suivis de chapitres introductifs et conclusifs à caractère nettement plus politique constituant des plaidoyers pro domo. D’ailleurs, ce sont deux personnages éminemment politiques qui ont dirigé cette publication : Justin Yifu Lin (ancien économiste en chef à la Banque mondiale) et Arkebe Oqubay (ministre d’État, conseiller spécial auprès de deux Premiers ministres  éthiopiens successifs).

L’Éthiopie précisément, Lin et Oqubay en vantent l’essor considérable des exportations et font du fabricant de chaussures Huajian le parangon de la coopération sino-éthiopienne. Les exportations éthiopiennes de chaussures (de Huajian ou de ses concurrents) ont été multipliées par quatre entre 2011 et 2018 ; mais elles ne représentent que 1,3 % des exportations éthiopiennes et 0,02 % des exportations mondiales de chaussures. Un rapport du ministère chinois du Commerce de juin 2018 suggère des achoppements qui seraient récurrents et possiblement handicapants pour Huajian. Tang Xiaoyang, enquêtant en 2018 sur l’industrie éthiopienne des cuirs et peaux, en dresse lui aussi un tableau très sombre[1]. Et Françoise Nicolas remarque ailleurs que « [l]es résultats décevants dans le secteur des vêtements, chaussures et autres produits de l’industrie légère s’expliquent par les politiques conduites[2] ».

De cette conjoncture morose, rien n’est dit. Si Lin et Oqubay ont raison de souligner la « nature productive » des investissements étrangers – dont au premier chef les chinois ces dernières années –, en revanche les politiques publiques ne sont guère remises en question, en particulier celle autorisant des zones économiques spéciales privées qui accueillent des entreprises chinoises dont les objectifs n’ont aucune raison d’être conformes aux besoins du pays en termes de développement industriel.

De même, s’ils ont raison de prôner une priorité aux investissements en infrastructures, encore les auteurs ne discutent-ils pas de leur bon dimensionnement et donc de leur adéquation à une stratégie de développement et à sa capacité à générer – dans les délais des prêts – les remboursements nécessaires. Comme l’usine Huajian, la ligne de chemin de fer entre Addis-Abeba et Djibouti a été présentée comme une réalisation modèle de la coopération sino-africaine. Or cet investissement pharaonique a certainement été surdimensionné par rapport aux besoins de court et moyen termes.

Ce qui manque à cet ouvrage n’est pas tant un état des lieux de la présence économique chinoise en Afrique, qu’une appréciation des gouvernances, tant celle insufflée par la Chine – même si elle s’en défend – que celles mises en œuvre dans les pays africains. Il y manque aussi une réflexion sur l’évolution des formes de la mondialisation dues à l’éruption de chaînes de valeur mondiales axées sur les services, la robotique et les connaissances, à telle enseigne qu’une main-d’œuvre peu qualifiée – comme l’africaine – pourrait désormais représenter un frein à l’essor du continent. Une telle réflexion aurait obligé les deux signataires de l’ouvrage à revisiter le postulat implicite de leur démarche selon lequel la Chine délocaliserait 85 millions d’emplois non qualifiés dont une partie en Afrique.

Thierry Pairault

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[1]. X. Tang, « Chinese Investments in Ethiopia’s Leather and Leather Product Sectors », CARI Policy Brief, n° 39, China Africa Research Initiative, 2019.

[2]. F. Nicolas, « Les investisseurs chinois en Éthiopie : l’alliance idéale ? », Notes de l’Ifri, Ifri, mars 2017.

S’adapter pour vaincre. Comment les armées évoluent

Mon, 17/02/2020 - 08:55

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Michel Goya, S’adapter pour vaincre. Comment les armées évoluent (Perrin, 2019, 432 pages).

Le changement dans les armées : le sujet est majeur, mais il n’est vraiment abordé dans la littérature scientifique qu’à partir des années 1980, et il n’est l’objet que de peu de publications en français.

Pour l’auteur, tout part de la Révolution française, alors que « le service des armes n’est plus limité à des professionnels », et tout s’accélère à partir des années 1830 où les innovations techniques majeures se multiplient (fusil à âme rayée, télégraphe, chemin de fer, etc.). Le Grand état-major prussien est la première structure à « appréhender la gestion de tous ces changements comme une fonction à part entière ». C’est aussi le premier des sept cas d’étude du livre. Cet état-major, créé au lendemain de la défaite d’Iéna (1806), contribue à faire de la Prusse la première puissance militaire mondiale en 1871. En l’absence de conflits réels, les jeux de guerre, les exercices sur le terrain, l’histoire militaire, ou encore l’observation des conflits à l’étranger permettent à la Prusse d’innover et, au final, de vaincre.

Le deuxième chapitre est dédié à la transformation de l’armée française pendant la Première Guerre mondiale. Rien ici ne surprendra les lecteurs de Les Vainqueurs[1] mais il est bon de rappeler qu’elle constitue « la transformation la plus importante et la plus radicale jamais réalisée dans ce pays pour une organisation de cette dimension ». Un chiffre en donne la mesure : l’armée passe de 9 000 véhicules en 1914 à 88 000 en 1918. Le troisième exemple historique est la lutte de la Royal Navy contre son déclin de 1880 à 1945. L’organisation doit en effet investir toujours davantage pour se maintenir face à des rivaux dont la puissance économique ne cesse de s’accroître.

Dans le quatrième chapitre, on passe du milieu maritime à l’aérien avec les évolutions du Bomber Command britannique et de la 8e Air Force américaine dans le cadre des bombardements contre l’Allemagne nazie. Cherchant à obtenir la victoire par les airs, ces organisations investissent dans des moyens toujours plus colossaux et innovants : guerre électronique, radars, chasse à long rayon d’action, etc. Le cinquième cas d’étude est celui des tâtonnements américains, soviétiques et français pour intégrer une arme totalement nouvelle : la bombe atomique. Le sixième chapitre s’attache à mettre en lumière l’évolution de l’armée française pendant la guerre d’Algérie, elle qui se reconvertit partiellement et progressivement à la contre-guérilla et innove avec, entre autres, la création des barrages sur les frontières et l’emploi des hélicoptères. Cette armée fait aussi preuve d’une « schizophrénie tactique » entre « humanisme et brutalité, la neutralité instrumentale et l’implication politique. »

Enfin, le dernier exemple développé est celui des évolutions de l’US Army entre 1945 et 2003. Un cas particulièrement pertinent, puisque l’armée de Terre américaine a été engagée dans six conflits majeurs et une centaine d’opérations mineures sur cette période, et qu’elle dispose d’un système d’innovation spécifique qui a peu évolué depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le propos de Michel Goya est clair et articulé. Les exemples étudiés sont riches, font appel à de nombreuses références et offrent une belle profondeur historique. L’auteur signe une nouvelle fois un livre passionnant et indispensable à tous ceux qui s’intéressent aux affaires militaires, à l’innovation et au changement.

Rémy Hémez

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[1]. Voir le compte-rendu, publié dans Politique étrangère, n° 4/2018, du livre Les Vainqueurs de Michel Goya.

Iran Rising. The Survival and Future of the Islamic Republic

Fri, 14/02/2020 - 08:50

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Thierry Coville propose une analyse de l’ouvrage d’Amin Saikal, Iran Rising. The Survival and Future of the Islamic Republic (Princeton University Press, 2019, 344 pages).

Ce livre ne fait pas partie de ceux qui partent du principe que la République islamique d’Iran doit être condamnée. Il s’interroge en fait sur la capacité de résistance du système politique mis en place depuis la Révolution de 1979.

Pour comprendre cette résilience, ainsi que les forces et les faiblesses de la République islamique d’Iran, l’auteur s’appuie sur une analyse historique depuis la Révolution, et démontre que la République islamique d’Iran oscille, dans son mode de fonctionnement, entre deux types d’approches : 1) une approche liée au djihad, soit une vision combative de l’islam, qui a conduit, à travers la mise en place d’un ordre politique islamique, à installer un pouvoir fort en interne et à vouloir s’affirmer comme un pouvoir régional majeur ; 2) une approche basée sur l’idjtihad, soit une vision de l’islam basée sur la raison et l’adaptation aux circonstances, qui a conduit la République islamique d’Iran à accepter un certain pluralisme politique, et à faire preuve de pragmatisme en matière de politique étrangère, notamment, en développant des relations stratégiques avec la Chine, l’Inde ou la Russie.

L’auteur démontre bien que l’Iran n’est pas « isolé » comme on l’entend souvent, mais a développé un tissu de relations très dense, notamment dans son environnement régional proche, qui explique cette capacité de résistance. L’auteur insiste également sur le soft power de l’Iran, basé sur la présentation d’un modèle de « résistance islamique » aux agressions occidentales, mais aussi sur l’influence culturelle plus ancienne de la Perse.

On peut cependant faire un certain nombre de critiques à ce travail. Tout d’abord, en plusieurs occasions, comme pour l’évaluation du coût de la guerre avec l’Irak, ou en ce qui concerne le poids des Pasdaran et des Fondations dans l’économie iranienne, il ne semble pas que l’auteur ait fait preuve de la rigueur nécessaire. Sur le premier point, celui-ci évoque le coût très élevé de la guerre avec l’Irak, et d’une attitude d’opposition aux États-Unis. Il faudrait nuancer le propos. Les autorités iraniennes ont tout fait pour minimiser le coût de cette guerre, ce qui a différencié la stratégie iranienne de celle de l’Irak, qui s’est fortement endetté pour financer un effort de guerre plus conséquent. D’autre part, il est noté que les activités économiques des Pasdaran et des Fondations représenteraient 70 % de l’économie, ce qui semble pour le moins exagéré par rapport aux estimations habituelles.

Ensuite, la description de l’économie iranienne est basée sur un recours exagéré au modèle « rentier », lequel expliquerait la plupart des difficultés : or, la modernisation de la société iranienne doit beaucoup au fait que l’État a utilisé les revenus pétroliers pour financer ses dépenses, en matière d’infrastructures, d’éducation ou de protection sociale. Mais surtout, l’auteur n’insiste pas assez sur deux éléments. Tout d’abord, il aurait fallu développer beaucoup plus l’impact de la guerre Iran-Irak, qui a permis à la République islamique d’Iran de renforcer sa légitimité en s’appuyant sur le nationalisme iranien, et a marqué nombre de ses dirigeants actuels. Par ailleurs, la modernisation de la société iranienne, qui est sans aucun doute une des principales explications de sa résilience, aurait mérité de plus amples développements.

Thierry Coville

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Vidéo de la conférence « La loi du plus fort ? La place du droit dans les relations internationales »

Wed, 12/02/2020 - 09:53

Retrouvez la vidéo de la conférence « La loi du plus fort ? La place du droit dans les relations internationales », deuxième rencontre d’un cycle de conférences réalisées en partenariat avec le Centre Pompidou, autour du thème « Le monde sur un fil », abordant les enjeux internationaux majeurs du monde d’aujourd’hui.

La rencontre réunissait :

Le débat était modéré par Dominique David, conseiller du président de l’Ifri, et co-rédacteur en chef de Politique étrangère.

Rendez-vous le 6 avril pour la troisième rencontre du cycle de conférences intitulée « Le Golfe : nouveau centre du Moyen-Orient ? ».

The Silk Road Trap. How China’s Trade Ambitions Challenge Europe

Wed, 12/02/2020 - 08:53

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Sophie Boisseau du Rocher propose une analyse de l’ouvrage de Jonathan Holslag, The Silk Road Trap. How China’s Trade Ambitions Challenge Europe (Polity Press, 2019, 232 pages).

Le projet pharamineux des Routes de la soie de Xi Jinping est un piège, qui risque de se refermer sur l’Europe sans que celle-ci ait rien vu venir. Cet ouvrage est autant une attaque critique du projet chinois, projet dûment orchestré par le pouvoir communiste (il a été inscrit dans la Constitution lors de la révision de 2017), qu’un long reproche adressé à l’Union européenne (UE) et à ses membres qui ne prennent pas la mesure du défi posé.

Pour de multiples raisons, il est difficile de comprendre et de jauger les conséquences systémiques des Routes de la soie, et Jonathan Holslag, dans un chapitre introductif, appelle les Européens à faire preuve de réalisme. Le projet chinois n’est pas précisément renseigné, car il n’existe aucune liste complète, à jour, et publique, des investissements réalisés dans ce cadre. Le flou, habilement entretenu par les partenaires chinois, permet donc de faire dire ce qu’on veut aux Routes de la soie, et les ambassadeurs du projet ne manquent pas de systématiquement rappeler qu’il s’agit d’opportunités que l’Europe ne devrait pas manquer. Mais quels sont les coûts cachés de ces opportunités, interroge Holslag ? Quelles seront les conséquences de nos choix pour les futures générations ? Au-delà des effets de propagande qui jouent de notre ignorance, l’auteur nous invite à prolonger notre analyse « plus loin et plus profondément ».

Pour aborder ce projet (dé)structurant, l’Europe apparaît en situation affaiblie. Dans un deuxième chapitre bien documenté, l’auteur explique comment l’Europe n’a pas tenu ses engagements et n’a pas réussi à imposer les conditions qu’elle jugeait nécessaires à Pékin ; alors que différents documents officiels annonçaient que l’UE soutenait une transformation vers plus « d’ouverture et de liberté », alors que Bruxelles contribuait au financement des transitions (notamment pour intégrer l’Organisation mondiale du commerce) sans contrepartie, les autorités chinoises ont bercé leurs homologues européens d’illusions tout en mettant en place des pratiques déloyales et divisives. Au fond, après avoir passé en revue les déceptions européennes, la question mérite d’être posée : est-il avéré que l’opportunité chinoise soit bonne pour l’Europe ?

La lecture ne laisse aucun doute : pour Holslag, les Routes de la soie sont d’abord l’expression d’une ambition chinoise, débordante et méthodique dans son expansion. En dépit de leur aspect « fumeux » – et donc difficilement appréhendable –, les Routes de la soie sont nourries par une approche stratégique nationaliste, voire patriotique. On est loin de la promesse gagnant/gagnant avancée par Pékin ; à terme, ce projet confronte l’Europe à des défis industriels, technologiques, voire institutionnels.

Si cet ouvrage fait l’effet d’un coup de semonce utile, on reste toutefois sur sa faim. Certes, on peut être convaincu par l’argument que les Chinois nous tendent un piège ou, plus justement, que leur approche est piégeuse. On peut reconnaître que l’Europe n’a pas été suffisamment vigilante, à une période où les Chinois étaient plus accessibles, mais la question cruciale, que Holslag n’aborde qu’à fleurets mouchetés, est bien celle-ci : aujourd’hui, comment peut-on sauver ce qui peut être encore sauvé et engager avec Pékin un dialogue enfin réciproque ?

Sophie Boisseau du Rocher

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Deux degrés. Les sociétés face au changement climatique

Mon, 10/02/2020 - 09:01

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Hugo Le Picard propose une analyse de l’ouvrage d’Edwin Zaccai, Deux degrés. Les sociétés face au changement climatique (Presses de Sciences Po, 2019, 280 pages).

Edwin Zaccai est professeur à l’Université libre de Bruxelles, où il dirige le Centre d’études du développement durable (CEDD). Il a également enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris en tant que maître de conférences. Spécialiste des questions de développement durable et des enjeux liés à la transformation des sociétés face aux évolutions environnementales, il revient dans cet ouvrage sur les défis du changement climatique. Sous le prisme d’une analyse pluridisciplinaire mêlant sciences, sociologie, politique et économie, il met en exergue les difficultés qu’éprouvent nos sociétés à contenir la menace du réchauffement climatique, et à y faire face.

Cet ouvrage paraît à l’été 2019, alors que les effets néfastes du réchauffement climatique se font de plus en plus inquiétants (vague de chaleur en Europe et en Amérique du Nord, stress hydrique en Inde, nouveau rapport alarmant sur le recul de la cryosphère…), que la mobilisation citoyenne progresse mais que les efforts en matière de baisse des émissions demeurent encore trop faibles. Le livre d’Edwin Zaccai s’inscrit à un tournant de la transition énergétique mondiale, et se démarque comme un ouvrage de référence pour mieux comprendre ses enjeux, ses obstacles et ses solutions.

La première partie du livre décrit l’augmentation continue de la température depuis plus de deux décennies et l’atteinte de moins en moins réalisable des objectifs successivement fixés de limitation de ces augmentations : hier de + 1 °C, aujourd’hui de + 1,5 °C, demain de + 2 °C… Puis, de façon méthodique, il cherche à comprendre les raisons de cet échec, en décortiquant la dépendance structurelle (matérielle, économique, culturelle) de nos sociétés au carbone. Il s’appuie sur une documentation très dense et utilise de nombreux exemples concrets pour illustrer ses propos. L’auteur varie aussi les échelles d’études : il passe d’analyses macroéconomiques à des interrogations sur les contradictions qui s’expriment au sein même de chaque individu en termes de lutte contre le changement climatique, à l’aide de concepts originaux comme celui de « dissonance cognitive » en psychologie sociale.

Si les deux premières parties de l’ouvrage sont, de par leur caractère objectif, fondamentalement pessimistes – il annonce d’emblée que l’objectif de limiter l’augmentation des températures à + 2 °C ne sera très probablement pas atteint –, l’auteur se refuse à l’inaction et expose dans les troisième et quatrième parties les réponses et actions qui peuvent être menées pour diminuer la gravité du changement climatique.

En dépit d’un important effort de simplification, certains passages de ce livre peuvent sembler difficiles d’accès pour un lecteur non avisé. Cependant, la complexité des questions environnementales abordées rend impossible une trop grande vulgarisation, qui ne pourrait se faire qu’au travers de raccourcis dangereux. La lecture de cet ouvrage est donc vivement recommandée à tout lecteur qui s’intéresse de près au plus grand défi de notre temps.

Isabelle Facon

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Ukraine and the Art of Strategy

Fri, 07/02/2020 - 09:01

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Isabelle Facon propose une analyse de l’ouvrage de Lawrence Freedman, Ukraine and the Art of Strategy (Oxford University Press, 2019, 248 pages).

Après avoir présenté quelques notions clés de stratégie théorique, et en partant du postulat que « l’art de la stratégie ne réside pas dans l’aptitude à formuler un plan au début d’une crise qui anticipera toutes les contingences et fournira une voie claire vers l’objectif espéré » mais qu’« agir stratégiquement requiert de la flexibilité et souvent de l’improvisation », Lawrence Freedman revendique de souligner, à travers le cas ukrainien, « les limites de la stratégie », dont « l’aspect dynamique » est valorisé.

Selon Freedman, en termes de stratégie « les plus gros échecs ont été russes ». Prenant les autres protagonistes par surprise grâce à la rapidité de ses actions et la diversité des instruments mobilisés – jusqu’aux « références perturbantes aux armes nucléaires » –, la Russie n’a pas pris le temps d’évaluer les conséquences de ses choix, guidés par le projet de fragmenter durablement l’Ukraine et de compromettre son rapprochement avec l’Occident. Elle paie aujourd’hui le prix fort – sanctions, consolidation de la société ukrainienne contre la Russie, prudence des autres voisins, confiance réduite dans la parole de la diplomatie russe…

Freedman éclaire les limites du soutien militaire de la Russie aux séparatistes du Donbass, liées à son déni d’engagement dans la zone, et déconstruit l’idée d’une habileté particulière de la Russie dans la guerre de l’information. Ainsi décrite, la stratégie russe en Ukraine nous ramène au contraste entre l’efficacité relative de la politique de Moscou dans les espaces où les affects entrent peu en jeu (Moyen-Orient, Asie) et ses dérapages et erreurs d’appréciation récurrents dans les zones où ils sont exacerbés (ex-URSS, Europe). On appréciera les clarifications apportées sur la pseudo-doctrine Guerassimov et la question de la guerre hybride.

Autre contraste : la prudence de la réponse occidentale au regard du comportement agile de la Russie. « Il n’y a pas eu de tentative de dissuader l’action russe contre l’Ukraine », du fait du rythme des événements impulsé par les Russes, mais aussi des « divergences internes » de l’Union européenne (UE). Après l’annexion de la Crimée, le principal souci de l’UE a été de dissuader la Russie d’aller plus loin dans l’agression. L’administration Obama, en excluant le transfert de matériel militaire létal vers l’Ukraine, s’est privée d’un « levier diplomatique potentiel pour l’avenir ». En fait, il n’y avait pas d’option « qui aurait pu faire l’objet d’un accord des États-Unis et de l’UE tout en évitant de lâcher complètement l’Ukraine ou de risquer une confrontation encore plus profonde avec la Russie ». Néanmoins, selon Freedman, les initiatives occidentales – dont le soutien à l’économie de l’Ukraine – ont permis de contenir l’aire du conflit.

Sont également pointées les défaillances de la stratégie de l’Ukraine, comme l’annulation de la loi sur les langues, même si Kiev est revenue dessus peu après, ou les « méthodes brutales » mobilisées à l’encontre des séparatistes. Mais la « plus grande erreur […] a été d’utiliser la menace russe comme raison de relâcher l’effort sur la réforme intérieure et la lutte anti-corruption ».

Au final, selon Freedman, le conflit russo-ukrainien « offre plus d’exemples d’une mauvaise stratégie que d’une bonne ». Un ouvrage particulièrement intéressant à lire à l’heure où, après l’élection du président Zelensky, la diplomatie européenne relance l’effort sur le règlement de ce conflit.

Isabelle Facon

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Géopolitique des îles

Fri, 03/01/2020 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. François Gaulme propose une analyse de l’ouvrage de Marie Redon, Géopolitique des îles. Des îles rêvées aux îles mondialisées
(Le Cavalier bleu, 2019, 176 pages).

Avec ses références et sa bibliographie réduites à leur plus simple expression, ce petit livre s’adresse à un large public. C’est en soi une excellente initiative, car il aborde un sujet qui ne cesse de prendre de l’importance, bien qu’il demeure peu connu et soit rarement traité.

Le titre du livre, dans sa version abrégée, ne traduit qu’imparfaitement son objet. Marie Redon module son analyse entre des considérations « géopolitiques » au sens des organisations internationales, et des enjeux mondiaux et des développements personnels plus flous, dans un large chapitre sur la « spectacularisation de l’île ». Celui-ci, dans des réflexions d’ordres culturel, sociétal et philosophique, aborde, pêle-mêle, l’imaginaire des îles (tropicales ou non) dans le monde occidental, le phénomène économique des croisières, et le souvenir historique des « Frères de la côte » du temps des pirates des Caraïbes…

On se perd dans ce dédale, alors que le premier chapitre, non moins copieux et bien plus précisément documenté, se concentrait très justement sur le contexte international de multiplication des États souverains depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, relevant qu’entre 1965 et 1985, une vingtaine d’États insulaires ont fait leur entrée à l’Organisation des Nations unies.

Ce chapitre aborde ensuite les questions extrêmement complexes liées au droit de la mer et à la question des zones économiques exclusives. Il s’agit là de préoccupations très actuelles et qui demeurent en pleine évolution, alors que le pillage des ressources océaniques n’a fait que se développer depuis des décennies.

Certaines « petites économies insulaires » – pour employer l’expression technique les concernant dans les organisations multilatérales – en sont réduites à devenir des paradis fiscaux, ou des relais privilégiés du trafic de drogue, dans un monde globalisé. Il est dommage que ces deux derniers problèmes ne soient abordés qu’à la fin du livre. L’auteur les a coupés d’une analyse encore rapide mais déterminante, et placée tout naturellement en tête d’ouvrage, du statut particulier des États ou territoires insulaires de toutes sortes et de l’évolution du droit international. Ils en sont séparés maladroitement par les réflexions philosophiques évoquées plus haut, comme celle sur l’île « lieu commun » de la pensée occidentale.

En dépit de son réel mérite pour attirer l’attention du public sur les questions insulaires en général, le défaut de ce livre est en fin de compte l’absence de tentative d’un classement ordonné des problématiques concrètes des situations de toutes ces îles : elles n’ont en fait que peu en commun, entre les plus grandes du monde – Groenland, Nouvelle-Guinée… – et les petits atolls du Pacifique. Leur localisation, leur degré d’exposition au changement climatique rendent aussi très variables les enjeux auxquels elles sont confrontées. L’insularité ne suffit pas comme telle à les rassembler dans une problématique commune.

Le dernier chapitre du livre, qui énumère, sur le thème des flux migratoires, les situations respectives de la Caraïbe, de Chypre, de Mayotte et de Nauru (dans le Pacifique), montre que cette préoccupation classificatoire n’est pas entièrement absente, mais qu’elle n’est pas assez généralisée pour produire une vision moins abstraite et purement transversale de la place de l’insularité dans les relations internationales.

François Gaulme

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Politique étrangère vous souhaite une bonne année !

Wed, 01/01/2020 - 10:00

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The Failure of Financial Regulation

Fri, 27/12/2019 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2019)
. Giuseppe Bianco propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Anil Hira, Norbert Gaillard et Theodore H. Cohn, The Failure of Financial Regulation: Why A Major Crisis Could Happen Again (Palgrave Macmillan, 2019, 256 pages).

Une conviction actuellement très répandue est que la crise financière mondiale de 2007 a provoqué un changement radical dans la réglementation, qui aurait rendu le système cohérent et résilient. Les politistes et économistes auteurs de cet ouvrage estiment, eux, que les tendances de fond qui ont mené à la crise n’ont pas été affectées par une réglementation financière toujours inadéquate. Un petit nombre de sociétés et d’individus ont détourné les règles du capitalisme libéral et permis l’essor du capitalisme financier.

L’étude se concentre sur les causes de la récente crise financière et la réaction des principaux acteurs publics. Le cœur de l’analyse porte sur les États-Unis, mais le Canada, l’Afrique subsaharienne et le contexte mondial sont également pris en compte dans différents chapitres.

Parmi d’autres facteurs, la capture de régulation, matérielle ou culturelle, aux niveaux individuel, national et international, est identifiée comme source du laxisme ayant mené à la crise financière. Les défaillances du marché et du gouvernement s’entremêlent, et le livre examine également le rôle des acteurs privés. Les agences de notation ont gonflé les ratings des produits structurés. Le business model de l’émetteur-payeur continue d’ailleurs à jeter une ombre sur l’objectivité des agences.

Les banques too big to fail ont élargi leur influence, ce qui a nui aux régulateurs et aux acteurs de l’économie réelle, et aggravé le risque systémique. Ces banques ont vu le coût de leurs prêts diminuer et leurs notations s’améliorer grâce au régime réglementaire en vigueur. Les renflouements publics qui se sont répétés au fil du temps n’ont fait que nourrir l’aléa moral.

On n’a pas suffisamment considéré les effets collatéraux des solutions ad hoc adoptées pour réagir à la crise. De même, il est clair que la sophistication financière a toujours un temps d’avance sur les réglementations, tandis que le système bancaire « parallèle » s’avère encore un phénomène trop souvent ignoré.

Le livre met en lumière la « dimension politique » du secteur financier, dans sa fonction d’allocation du capital dans l’économie. L’approche proposée est distincte aussi bien des théories néolibérales que des visions keynésiennes. Elle consiste à promouvoir la concurrence équitable, des réglementations simples mais intransigeantes, et la coopération internationale entre décideurs et régulateurs.

En particulier, les règles excessivement compliquées adoptées jusqu’ici sont à éviter, puisque les opérateurs trouvent souvent le moyen de les contourner. De toute façon, les régulateurs n’ont pas les ressources pour les faire appliquer. En ce qui concerne la fiscalité, le but ultime serait une harmonisation au niveau mondial ainsi que l’imposition des transactions là où elles ont lieu.

Dans un contexte international caractérisé par un haut degré d’incertitude, la recherche en économie politique doit se pencher sur la complexité et les interactions stratégiques, adopter une approche plus autocritique, et dialoguer davantage avec les autres disciplines. Comme les implications des nouvelles réglementations sont difficiles à prévoir, l’ouvrage souligne la nécessité de plus de recherche et d’engagement dans ce domaine.

Giuseppe Bianco

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Politique étrangère vous souhaite un joyeux Noël !

Wed, 25/12/2019 - 10:00

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Le Top 10 des articles de Politique étrangère en 2019

Mon, 23/12/2019 - 09:00

La revue Politique étrangère est présente sur Cairn, le portail de revues francophones, depuis plusieurs années maintenant. Merci à vous chers Lecteurs de nous lire tout au long de l’année !

Découvrez en exclusivité la liste des 10 articles les plus lus sur Cairn en 2019,
et profitez-en pour (re)lire ceux qui vous auraient échappé !

1ère place : Pauline Schnapper, « Le Royaume-Uni et le monde après le Brexit »
(PE n° 4/2018)

2e place : Marilia Maciel-Hibbard, « Protection des données personnelles et cyber(in)sécurité »
(PE n° 2/2018)

3e place : Séverine Wernert, « L’Union européenne et la lutte contre le terrorisme »
(PE n° 2/2018)

4e place : Nicolas Miailhe, « Géopolitique de l’Intelligence artificielle : le retour des empires ? »
(PE n° 3/2018)

5e place : Emmanuel Mourlon-Druol, « L’impact économique et financier du Brexit »
(PE n° 4/2018)

6e place : Pierre de Senarclens, « Théories et pratiques des relations internationales depuis la fin de la guerre froide »
(PE n° 4/2006)

7e place : Thomas Posado, « Le Venezuela peut-il sortir de l’impasse ? »
(PE n° 1/2018)

8e place : David M. Faris, « La révolte en réseau : le  »printemps arabe »  et les médias sociaux »
(PE n° 1/2012)

9e place : Julien Nocetti, « Géopolitique de la cyber-conflictualité »
(PE n° 2/2018)

10e place : Louis Gautier, « Cyber : les enjeux pour la défense et la sécurité des Français »
(PE n° 2/2018)

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