You are here

Diplomacy & Crisis News

Russia in the Arctic: Hard or Soft Power?

Politique étrangère (IFRI) - Mon, 17/10/2016 - 12:21

Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Frédéric Pesme propose une analyse de l’ouvrage de Alexander Sergunin et de Valéry Konyshev, Russia in the Arctic: Hard or Soft Power? (Stuttgart, Ibidem Press, 2015, 160 pages).

La posture et la stratégie de la Russie dans l’Arctique restent des sujets d’interrogation, voire d’inquiétude, dans la mesure où celle-ci ne cesse d’envoyer des signaux contrastés : drapeau en titane planté en 2007 sous le pôle, au fond de l’océan Arctique ; reprise des patrouilles navales ou de bombardiers stratégiques ; décision de réhabiliter certaines bases de l’époque soviétique et de développer des unités spécialisées dans le combat en zone arctique. Tout ceci dans un contexte marqué, depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, par l’augmentation des tensions avec l’OTAN.

Alexander Sergunin et Valery Konyshev ne méconnaissent pas cette difficulté et offrent un tour d’horizon très complet et détaillé des problématiques arctiques de la Russie et de la manière dont elle les aborde. Ils cherchent à démontrer que sa politique arctique évolue vers une approche plus responsable et soft, ce qui n’exclut pas qu’elle demeure sur certains dossiers, plus agressive et hard.

La Russie a en effet les mêmes impératifs et les mêmes difficultés que les autres pays riverains de l’Arctique. Elle doit mettre en valeur un territoire immense, encore difficilement accessible et hostile, en tenant compte des enjeux environnementaux. Elle revendique une extension de sa ZEE et doit encore trouver des accords pour la délimitation de ses frontières maritimes. Elle doit gérer l’irruption d’un nombre croissant d’acteurs dans cette région, notamment via le tourisme ou le transport maritime, ainsi que les problèmes qui en découlent, comme la recherche et le sauvetage en mer. Elle souhaite pouvoir exploiter la route du nord-est que, à l’instar du Canada s’agissant de celle du nord-ouest, elle considère comme une eau intérieure dont l’accès doit être contrôlé, ce qui constitue une source de friction.

Elle doit aussi défendre ses intérêts, asseoir sa souveraineté et se protéger contre les menaces qu’elle anticipe à la faveur de l’ouverture plus grande de cet espace. Pour cela – comme les autres états arctiques – elle renforce son outil militaire. Toutefois, même si le Grand Nord demeure d’une importance stratégique pour la Russie puisque c’est là qu’est basée la composante maritime de sa dissuasion, elle n’anticipe plus de conflit majeur dans cette région. N’ayant pas d’alliés dans l’Arctique, toute la question est de savoir comment elle interprète ce qu’elle considère comme une militarisation de la région par les États-Unis et l’OTAN, qui auraient tendance à apprécier le renforcement russe dans l’Arctique à l’aune des tensions nées depuis 2014 et à en exagérer la portée.

Nos deux auteurs veulent combattre les stéréotypes, bien conscients que le jeu russe depuis 2014 est perçu négativement. Ils démontrent que, pour répondre à ces défis, la Russie privilégie la coopération internationale, qui devient essentielle, et le règlement pacifique des différends, dans le cadre des instances juridiques internationales. Mais cela n’exclut pas qu’elle défende ses intérêts et réagisse à ce qu’elle perçoit comme une menace.

Finalement, la Russie résume à elle seule le paradoxe de l’Arctique. Alors qu’il faudrait donner la priorité au développement et à la coopération, les États investissent d’abord dans les moyens militaires pour des raisons de sécurité et de souveraineté. Si tous mettent en avant la résolution pacifique des conflits, il n’en demeure pas moins que la manière dont tous ces acteurs se perçoivent et coopèrent entre eux est la clé du développement pacifique de cette région.

Frédéric Pesme

S’abonner à Politique étrangère.

Bibliographie du 17 octobre 1961

Le Monde Diplomatique - Mon, 17/10/2016 - 10:44

Michel Lévine, Les Ratonnades d'octobre : un meurtre collectif à Paris en 1961 Ramsay, Paris, 1985.

Anne Tristan, Le Silence du fleuve : ce crime que nous n 'avons toujours pas nommé Au nom de la mémoire éd., BP 82, 95873 Bezons Cedex, 1991.

Jean-Luc Einaudi, La Bataille de Paris. 17 octobre 1961 Seuil, Paris, 1991.

Benjamin Stora, La Gangrène et l'Oubli : la mémoire de la guerre d'Algérie La Découverte, Paris, 1991, réed. en poche, 1998.

Paulette Péju, Ratonnades à Paris La Découverte, 2000.

Jean-Luc Einaudi, Benjamin Stora et Etienne Balibar, Olivier Le Cour Grandmaison (dir.), Le 17 octobre 1961, un crime d'Etat à Paris La Dispute, Paris, 2001.

Jean-Paul Brunet, Police contre FLN, le drame d'octobre 1961 Flammarion, Paris, Paris, 1999.

Textes de Jean-Luc Einaudi, Ali Haroun, Pierre Vidal-Naquet, Benjamin Stora, Guy Pervillé, Nacer Kettane, Samia Messaoudi, A propos d'octobre 1961 Au nom de la mémoire éd., 2001.

Linda Amiri, préf. de Benjamin Stora, Les Fantômes du 17-Octobre, Mémoire Génériques éd., 34, rue de Cîteaux, 75012 Paris, 2001.

Jean-Luc Einaudi et Elie Kagan, postface de Thérèse Blondet-Bisch, 17 octobre 1961 Actes Sud/Solin, Arles, 2001.

Jean-Luc Einaudi, Octobre 1961 : un massacre à Paris Fayard, Paris, 2001.

Baudouin, Boudjellal, Cabu, Charb, Ferrandez, Gébé, Guillopé, Honoré, Jul, Luz, Nahum, Plantu, Puchol, Riss, Siné, Tignous, Unger. Textes de Mehdi Lallaoui, Anne Tristan et Benjamin Stora. 17 octobre 1961. Dix-sept illustrateurs, Au nom de la mémoire éd., Bezons, 2001.

Filmographie du 17 octobre 1961

Le Monde Diplomatique - Mon, 17/10/2016 - 10:44

Octobre à Paris de Jacques Panijel, documentaire, 1962, noir et blanc, 70 min.

Les Sacrifiés d'Okacha Touita, fiction, 1982, couleur, 100 min.

Le Silence du fleuve d'Agnès Denis et Mehdi Lallaoui, documentaire, 1991, couleur, 52 min.

Les Années algériennes de Philippe Alfonsi, Bernard Favre, Benjamin Stora, 1991, documentaire, couleur, épisode « Je ne regrette rien », 1 h.

Une journée portée disparue de Philip Brooks et Alan Hayling, documentaire, 1992, couleur, 52 min.

Vivre au Paradis de Boualem Guerdjou, fiction, 1998, couleur, 105 min.

Dissimulation d'un massacre de Daniel Kupferstein, documentaire, 2001, couleur, 52 min.

Mort et résurrection du 17 octobre 1961

Le Monde Diplomatique - Mon, 17/10/2016 - 10:02

Longtemps effacé de la mémoire collective, le massacre du 17 octobre 1961 y a repris toute sa place, grâce à un combat obstiné dans lequel films et livres jouèrent un rôle majeur.

Élie Kagan, rafle au métro Concorde. BDIC / Fonds Élie Kagan

Le 17 octobre 2001, le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë, pose une plaque sur le pont Saint-Michel à la mémoire des Algériens tués le 17 octobre 1961. Des dizaines de morts, des centaines de blessés, des milliers d'expulsés, et 11 500 manifestants arrêtés, parqués au Palais des sports de la porte de Versailles à Paris et dans d'autres lieux. Des policiers parisiens qui jettent dans la Seine des manifestants algériens : longtemps, pourtant, le souvenir de cette soirée du 17 octobre 1961, terrible répression de manifestants dans la capitale française, restera effacé. Quarante ans après, diverses manifestations ont eu lieu, marquant une étape importante vers la reconnaissance officielle de ce qui s'est passé dans cette nuit tragique d'octobre 1961 (1). En quarante longues années, que de chemin parcouru, d'obstacles franchis pour parvenir à une telle reconnaissance !

Dès l'indépendance de l'Algérie, en 1962, le fait tragique « 17 octobre 1961 » s'enfonce dans les eaux boueuses de la mémoire française. Rien qu'une tache noire, lointaine, qui semble disparaître dans l'indifférence, comme avalée dans les tourbillons de l'après-guerre d'Algérie. Enigme que cette plongée rapide d'un souvenir cruel ? Le 17 octobre 1961 a été recouvert par l'autre nuit de Maurice Papon, celle du métro « Charonne », le 8 février 1962. Ce soir-là, la police charge violemment des manifestants anti-OAS. On relèvera neuf morts, tous militants communistes. Leurs obsèques rassembleront une foule immense, émue, silencieuse. Charonne entre dans le Panthéon de la gauche. A quatre mois de l'indépendance algérienne, cette dernière reconstruit une histoire de son opposition à la guerre, en « oubliant » le vote des pouvoirs spéciaux de mars 1956 (la gauche, majoritaire à l'Assemblée, a pourtant envoyé le contingent en Algérie).

Ce premier recouvrement sera consolidé par les amnisties (quatre après 1962) des crimes liés à la guerre d'Algérie. La chaîne des amnisties successives a fabriqué l'amnésie de cette période. Il y a, enfin, la volonté d'oubli, légitime, des acteurs de cette nuit d'effroi (2). La censure aussi jouera son rôle : le livre que Paulette Péju consacre à cet événement tragique, Ratonnades à Paris publié en 1962, sera le dernier livre saisi et censuré de la guerre d'Algérie. Et le film documentaire de Jacques Panijel, Octobre à Paris tourné avec l'aide de la Fédération de France du FLN dans le bidonville de Nanterre en janvier 1962, restera lui aussi longtemps interdit d'écran. Un documentaire tourné par une équipe de télévision de la télévision belge ne verra jamais le jour : les rushes ont été « cisaillés » pendant le montage…

En Algérie, la tragédie du 17 octobre 1961 sera commémorée comme la « journée de l'immigration ». Longtemps, ce pays se légitimera par des chiffres de « martyrs » innombrables. Les récits officiels présentent le peuple comme un « héros unique ». Côté français, la date restera soigneusement dissimulée. Quelques tentatives d'arrachement de vérités, bloquées dans la vase de l'histoire, ont pourtant lieu : dossiers dans des magazines de l'immigration des années 1970 comme Sans frontière plusieurs pages dans Les Porteurs de valises d'Hervé Hamon et Patrick Rotman, édité en 1979, quelques allusions dans des articles consacrés à la guerre d'Algérie (mais rien dans La Guerre d'Algérie d'Yves Courrière ou la série publiée en 1972-1974 par Historia Magazine). Dans l'après-1968, l'immigré figure en prolétaire exemplaire des combats ouvriers à livrer. Mais, curieusement, dans la littérature politique ou les images de cinéma des années 1970, rien n'est venu rappeler la sombre nuit du 17-Octobre.

Le 17 octobre 1981, le journal Libération publie une longue enquête signée Jean-Louis Peninou relatant en détail la tragédie du 17-Octobre 1961. Vingt ans après l'événement, la séquence tragique longtemps refoulée dans les plis de la mauvaise conscience française sort enfin de l'ombre. L'arrivée de la gauche au pouvoir, le 10 mai 1981, permet-elle d'affronter le passé trouble algérien ? Pas vraiment. Ce travail journalistique sera en fait relayé et porté non par des militants de la gauche classique, mais par un nouveau groupe porteur de la mémoire des années algériennes, ceux que l'on appelle à l'époque « les beurs », ces enfants de l'immigration algérienne en France. Ainsi, une des premières émissions de Radio Beur est consacrée, le 17 octobre 1981, à la tragédie d'octobre 1961. « Nous avons été submergés d'appels de familles, de jeunes d'origine algérienne » se souvient Samia Messaoudi, qui animait cette émission.

Élie Kagan, un corps parmi tant d'autres BDIC / Fonds Élie Kagan

Le 3 décembre 1983, 60 000 personnes défilent à Paris au terme de la marche « pour l'égalité, contre le racisme », commencée le 15 octobre à Lyon et Marseille par des fils d'immigrés algériens et de harkis. A cette occasion, des responsables de la marche évoquent la Possibilité de se recueillir au pont de Bezons, là où furent violemment réprimés des travailleurs algériens dans la nuit du 17 octobre (certains y furent précipités dans la Seine). La seconde « Marche des beurs pour l'égalité des droits » tentera, sans succès, de concrétiser cette initiative l'année suivante, en 1984 (la marche arrivera à Paris le 2 décembre 1984). L'initiative de commémoration du 17-Octobre sera ensuite reprise (certains diront récupérée) par SOS-Racisme après sa fondation, en 1985.

C'est aussi par les livres, romans et essais que revient cette mémoire meurtrie. En mars 1984, paraît à Paris un roman policier de Didier Daeninckx, Meurtres pour mémoire. L'auteur fait débuter son roman policier par la manifestation du 17-Octobre. Il imagine qu'un jeune professeur d'histoire, après avoir croisé sur le boulevard Bonne-Nouvelle l'un des cortèges algériens, devient la seule victime française de la répression. Vingt ans plus tard, son fils est abattu dans des conditions mystérieuses. Ce roman sera porté à l'écran par la première chaîne de télévision française en 1986. Un autre roman sera publié l'année suivante, en avril 1985, de Nacer Kettane, Le Sourire de Brahim racontant 1 histoire d'un enfant de 8 ans pris dans l'engrenage de cette nuit terrible, où il a vu mourir l'un de ses frères. L'auteur écrit : « Les berges de la Seine étaient jalonnées de cadavres et sous le pont Mirabeau avait coulé le sang. Hommes noyés, torturés, à jamais témoins de la barbarie, vous êtes comme un souffle de vie suspendu qui rafraîchira la mémoire des générations en pèlerinage d'identité. » Peu à peu, à travers les manifestations et les premiers romans, émerge une conscience de filiation des enfants de l'immigration algérienne avec cet événement. Le 17-Octobre arrive comme une date fondatrice d'un combat pour l'égalité citoyenne et la dignité.

L'année suivante, en avril 1986, sort le premier ouvrage de synthèse de l'événement, Les Ratonnades d'octobre, un meurtre collectif à Paris de Michel Lévine. Vingt-cinq ans après Paulette Péju, l'auteur ne rajoute pas de spectaculaire à la restitution des faits, ne se départit pas de la distance et de la neutralité de l'observateur, et livre juste un diagnostic, effrayant. Le travail s'appuie essentiellement sur des témoignages : Mohamed Badache, que deux policiers ont étranglé avec un lacet, puis jeté dans un fossé. Mohamed Trachi, assommé et précipité dans la Seine au pont de Suresnes. Slimane Alla, dont le frère, arrêté, n'est jamais réapparu depuis. Ahcène Boulanouar, battu, violé et jeté dans la Seine face au jardin Notre-Dame. Bachir Aidouni, rescapé d'une tentative de noyade. Ramdane Berkani, assommé à coups de crosse. Medjouli Lalou, violemment matraqué sur tout le corps, puis abandonné au coin d'une rue, incapable de bouger. Akli Ben-haji et son ami Arezki, tabassés à coups de barre de fer et laissés dans le bois de Meudon. Ahmed Bouzidi, dont le neveu est retrouvé noyé. Mais le livre arrive peut-être trop tôt, et ne rencontre pas son public. Cette année-là, Ali Haroun publie La 7e Wilaya histoire de la Fédération de France du FLN, où le 17-Octobre est restitué en pleine lumière. Et l'hebdomadaire de l'Amicale des Algériens, Actualité de l'émigration publie en octobre 1986 un numéro spécial d'« Hommages et témoignages », sous la direction d'Abdelkader Djheghloul. Cet activisme de l'année 1986 ne parvient pas pourtant à rompre le blocus de l'amnésie.

En fait, le passage des douleurs privées à la mémoire collective est un processus difficile, semé d'embûches. Comment reconnaître le fait « 17 octobre 61 », alors que la guerre d'Algérie n'existe toujours pas, officiellement, en France ? Comment évoquer des crimes dans une « guerre sans nom » ?

Pourtant, tout au long de ces années 1980, cet événement réapparaît comme symptôme du malaise qui touche les générations issues de l'immigration maghrébine, confrontées à la persistance d'un racisme de type colonial. En scrutant la nuit du 17-Octobre, certains d'entre eux en tirent la radiographie sans appel d'un monde malade et blême.

Le combat livré par les enfants de l'immigration algérienne (les « beurs ») fera craquer le « silence du fleuve », pour reprendre le titre du beau livre d'Anne Tristan et Mehdi Lalaoui publié en 1991 (3). En 1991, à la veille du trentième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, s'ouvre en effet un nouveau cycle, crucial pour la reconnaissance de l'événement, par trois faits : le documentaire français Les Années algériennes de Philippe Alfonsi, Bernard Favre et Benjamin Stora, qui consacre une demi-heure au 17-Octobre (avec les témoignages du photographe Elie Kagan et du journaliste Farid Aïchoune, âgé de 8 ans au moment des faits) ; la parution du livre de Jean-Luc Einaudi, La Bataille de Paris qui rencontre un grand écho dans les médias français (l'auteur participe ainsi à une grande émission littéraire de télévision animée par Bernard Rapp, en novembre) ; et, surtout, la manifestation organisée par l'association Au nom de la mémoire, dirigée par Mehdi Lalaoui, David Assouline, Samia Messaoudi, le 17 octobre 1991. Cinq mille jeunes défilent ce soir-là sur les Grands Boulevards, place de l'Opéra, sur les lieux mêmes où trente ans auparavant certains de leurs pères avaient été réprimés.

En plus de la manifestation du trentenaire sur les Grands Boulevards, l'association multiplie les initiatives pour faire resurgir ce passé tragique : plaque posée au Pont de Bezons en octobre 1991 (plaque arrachée peu de temps après) ou exposition photographique inaugurée la même année par un ministre de l'éducation nationale qui s'appelait Lionel Jospin. Cette association est de ces acteurs efficaces qui œuvrent dans l'ombre Pour que la reconnaissance intervienne. Elle est rejointe par d'autres : le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), principal artisan des rassemblements annuels au pont Saint-Michel, ou la Ligue des droits de l'homme. En 1992, est diffusé à la télévision française le documentaire anglais Une journée portée disparue de Philip Brooks et Alan Hayling.

Les responsables d'au nom de la mémoire, qui demandent réparation des torts subis par leurs pères, font à nouveau parler d'eux en organisant une manifestation devant le palais de justice de Bordeaux, en 1998. Car c'est aussi par le procès de la déportation des juifs de Bordeaux que la guerre d'Algérie fait son retour. Près de quarante ans après, le souvenir d'Octobre 1961 revient à la surface à l'occasion du procès contre Maurice Papon en octobre 1998. Son rôle dans la guerre d'Algérie est mis en relief par Jean-Luc Einaudi. L'ancien préfet de police de Paris intente alors un procès en diffamation à l'encontre de ce dernier. Aux audiences du procès pour diffamation, en février 1999, il livre sa version sur l'Octobre sanglant de Paris. Il plonge dans l'ambiance de la guerre d'Algérie, vu du côté de l'ordre, le temps de dire que « ses effectifs étaient insuffisants ». De dire aussi que les 11 000 interpellés furent, « grâce à leur bonne volonté, bien contents de se voir mis à l'abri et débarrassés de la corvée de manifester ». Maurice Papon perd son procès contre Jean-Luc Einaudi. Et, pour la première fois, l'Etat français, le 12 février 1999, par le substitut Vincent Lesclous, reconnaît solennellement la réalité du « massacre » commis ce jour-là par des membres des forces de l'ordre « reniant les valeurs, se refusant à la discipline, jouets de la haine qui les a aveuglés ». Jusque-là, seul le rapport commandé en 1997 par M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, au conseiller d'Etat Dieudonné Mandelkern, évoquant la « répression très dure », avait officiellement admis que le nombre de morts parmi les manifestants algériens pouvait se monter à trente-deux.

En 1999, sort sur les écrans français le beau film de Boualem Gerdjou, Vivre au Paradis avec pour interprète principal Rochdi Zem. Le film raconte la vie quotidienne d'ouvriers immigrés algériens dans le bidonville de Nanterre en 1961. La séquence 17-Octobre apparaît sous la forme d'une longue procession nocturne, silencieuse. Silence rompu par le bruit sourd des matraques et des cris étouffés.

Le 10 août 1999, le journal Libération révèle le rapport rédigé par M. Jean Géronimi, avocat général à la Cour de cassation. Ce rapport, commandé en octobre 1998 par la garde des sceaux Elisabeth Guigou, brise les mensonges de la vérité officielle établie depuis octobre 1961. M. Géronimi estime que « l'on peut évaluer à quarante-huit » le nombre de personnes tuées dans la nuit du 17 au 18 octobre 1961. Pour la première fois, une enquête officielle aboutit à un chiffre précis, loin du bilan officiel de l'époque. Les recherches de Jean Géronimi établissent que les responsables gouvernementaux de l'époque étaient informés de ces faits. La vérité a réussi à se frayer un chemin. Mais les deux archivistes qui ont accompli le travail de recherche, et contribué à divulguer le nombre de morts d'octobre 1961, sont sanctionnés et relevés de leurs postes…

Au moment du quarantième anniversaire du 17-Octobre, Au nom de la mémoire édite les travaux d'un colloque organisé à la Sorbonne en octobre 1998 (4). L'ouvrage publie pour la première fois l'intégralité du rapport du conseiller d'Etat Mandelkern. On y apprend que certaines archives auraient disparu, telles celles du Service de coordination des affaires algériennes (SCAA), celles de la brigade fluviale, les fichiers d'identification des manifestants retenus à Vincennes et au Palais des sports, ou, de manière plus étonnante encore, le rapport envoyé au lendemain de la manifestation par le préfet de police au ministre de l'intérieur, dont, pourtant, le président de la République et le premier ministre de l'époque étaient également destinataires. Il donne, en annexe de ces archives conservées ou déclarées disparues, une liste extrêmement précieuse pour demander leur consultation ou interroger les plus hautes autorités de l'Etat sur leur sort. Mais le rapport reprend à son compte sans les contester les assertions policières sur les « coups de feu échangés » et les « violents affrontements » sans s'interroger sur la fiabilité des rapports de police qui en font état, alors que le croisement avec les témoignages des manifestants rescapés comme ceux des Parisiens étrangers à la démonstration conduisent pourtant à les contester sérieusement.

Le travail universitaire prend, à ce moment, une tournure importante. Linda Amiri, étudiante en histoire de l'université Paris-VIII (Saint-Denis), publie son mémoire de maîtrise fondé sur l'étude des archives de la Préfecture de police, de la Cimade et surtout celles, en grande partie inédites, de la Fédération de France du FLN, qu'elle s'est vu confier par l'un de ses responsables d'alors, Ali Haroun (5). Elle confirme notamment les méthodes de l'organisation pour contraindre les Algériens « craintifs » à manifester : listes de noms et adresses des récalcitrants, qui sont l'objet de « très graves sanctions ».

Le travail de Linda Amiri se poursuit en ce moment par la préparation d'une thèse. Elle a eu accès, notamment, aux archives du cabinet du préfet Maurice Papon. Dix ans après La Bataille de Paris Jean-Luc Einaudi, outre l'hommage qu'il rend au travail du photographe Elie Kagan (6), donne, après avoir enfin reçu l'autorisation de consulter les archives de l'Assistance publique, de la gendarmerie, du Fonds d'action sociale, du cimetière de Thiais, du parquet de Paris et de la Préfecture de police (dont celles de l'Institut médico-légal), le résultat de ses investigations dans un nouveau livre (7). L'ensemble des faits est regroupé dans une chronologie qui commence au début du mois de septembre 1961, quand Maurice Papon donne pour instruction écrite : « Les membres des groupes de choc [du FLN] pris en flagrant délit de crime doivent être abattus sur place par les forces de l'ordre. » C'était la transposition à Paris des « habitudes » d'Algérie : l'exécution de prisonniers pris les armes à la main, qui s'ajoutait à cette autre contagion qu'était le transfert de pouvoirs de police à des militaires. La force de police auxiliaire commandée par le capitaine Raymond Montaner était, en effet, chargée depuis plusieurs mois de faire à Paris la guerre au FLN avec les méthodes bien connues, y compris la torture et l'assassinat, de la « bataille d'Alger ». Sans compter que le « permis de tuer » donné par le préfet pouvait être interprété de manière extensive : des syndicalistes policiers ont témoigné qu'il avait fait savoir que le nécessaire serait fait pour que, s'il le fallait, des armes soient déclarées trouvées sur tout Algérien tué par des policiers.

L'universitaire Jean-Paul Brunet, dans son ouvrage Police contre FLN avait critiqué, sévèrement, les chiffres avancés par Jean Luc Einaudi (400 morts pour la nuit du 17 octobre 1961). A partir de l'ensemble des sources qu'il a pu consulter, Jean-Luc Einaudi dénombre cette fois, entre septembre et octobre 1961, 325 victimes « dont la mort peut très vraisemblablement être imputée à l'action de la police ». Dans 159 cas, elle est intervenue le 17 octobre ou les jours suivants. S'y ajoutent 68 disparus, l'auteur laissant entendre que la question d'une dissimulation délibérée d'une partie des cadavres reste posée. Suivent huit pages entièrement remplies de la longue litanie des noms de ces victimes.

En 2004, l'exposition « Photographier la guerre d'Algérie », à l'hôtel de Sully, à Paris, dévoile des photographies inédites du 17 octobre 1961, prises par le photographe de France Soir photos jamais publiées. Elles montrent des Algériens en longue file indienne sur la place de l'Opéra, les bras sur la tête, d'autres sauvagement matraqués, et des cadavres allongés dans les rues de Paris. Ces images disent qu'il reste encore des choses à découvrir sur cette nuit tragique…

(1) Au moment du quarantième anniversaire de cet événement, une dizaine d'ouvrages paraissent. Deux d'entre eux sont publiés par l'association Au nom de la mémoire, dont l'un a servi de catalogue à l'exposition « 17 octobre 1961. Dix-sept illustrateurs » qui s'est tenue à la Conciergerie, à Paris, du 15 au 30 octobre 2001. Les références de cet ouvrage et de tous ceux cités dans cet article se trouvent dans la bibliographie résumée en p. 86.

(2) Sur cet aspect général de l'oubli, je renvoie à mon ouvrage La Gangrène et l'Oubli : la mémoire de la guerre d'Algérie.

(3) Le Silence du fleuve a ensuite été adapté sous forme de documentaire par Agnès Denis, et diffusé à la télévision en 1992.

(4) A propos d'Octobre 1961, sous la direction de David Assouline et Mehdi Lallaoui. Au même moment, Olivier Le Cour Grandmaison publie un ouvrage collectif, Le 17 octobre 1961, un crime d'Etat à Paris.

(5) Les Fantômes du 17-Octobre.

(6) 17 octobre 1961, Jean-Luc Einaudi et Elie Kagan, postface de Thérèse Blondet-Bisch.

(7) Octobre 1961. Un massacre à Paris.

European Diplomats Poised to Directly Blame Russia for Aleppo Siege

Foreign Policy - Fri, 14/10/2016 - 23:02
A draft statement, obtained by Foreign Policy, for the first time explicitly calls out Moscow for its role in the devastating Syrian bombing campaign.

Trump Is an Outlier, and the Data Prove It

Foreign Policy - Fri, 14/10/2016 - 22:58
When it comes to America’s engagement with the outside world — from trade to alliances — there’s still broad agreement across parties.

The Education of Mikheil Saakashvili

Foreign Policy - Fri, 14/10/2016 - 21:07
The governor of Ukraine’s bucolic Odessa region wanted to take on the corrupt system. Now he’s realized he has to work with it.

Heavy Lies the Crown

Foreign Policy - Fri, 14/10/2016 - 20:20
The long career of Thailand’s king offers a study in the virtues of constitutional monarchy — and in the immense challenges of royal rule.

Muhammad Ali’s Wife Calls for ‘Islamic Mercy’ for Imprisoned Iranian-Americans

Foreign Policy - Fri, 14/10/2016 - 19:36
With the Obama administration’s negotiating hands tied, supporters appeal to the compassionate side of the Iranian regime.

Rejet wallon du CETA, nouvel accroc pour le libre-échange

Le Monde Diplomatique - Fri, 14/10/2016 - 19:24

Alors que les chefs d'État du Canada et des pays membres de l'Union européenne s'apprêtaient à se réunir à Bruxelles le 27 octobre prochain pour adopter le texte de l'Accord économique et commercial global (AECG, plus souvent désigné sous l'acronyme anglais CETA), deux parlements régionaux belges viennent d'y opposer leur veto. Cette décision suffira-t-elle à enterrer ce projet ? Rien n'est moins sûr. Une nouvelle étude présentée au Parlement de Wallonie affûte pourtant les arguments économiques des opposants en identifiant, chiffres à l'appui, ses uniques bénéficiaires : les investisseurs. Une manifestation contre le projet d'accord aura lieu le 15 octobre dans plusieurs villes européennes.

Cetas cc Angel Valdez

« L'accord que nous avons conclu avec le Canada est le meilleur accord commercial que l'Union européenne ait jamais conclu. (1) » En juin 2016, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker ne cachait pas son enthousiasme sur le CETA. Il lui fut à l'époque reproché de brûler les étapes : l'accord n'avait pas été « conclu », mais négocié.

Le CETA devait encore recevoir la validation du Conseil des ministres et des chefs d'État européens les 18 et 27 octobre avant d'être soumis au Parlement européen au printemps prochain. À majorité conservatrice, ce dernier aurait dû autoriser la mise en œuvre provisoire de l'accord dans l'ensemble des pays européens en attendant que les parlements nationaux ratifient le traité. Lesquels auraient joui d'une marge de manœuvre toute relative, le texte privant leurs votes d'effet suspensif. Autrement dit : les parlementaires des différents pays auraient pu s'exprimer sur la participation, ou non, de leur nation à l'accord. Pas sur sa mise en œuvre.

À présent, la réalisation de ce scénario attendu pourrait bien être repoussée, voire compromise. En effet, cette semaine, les parlements régionaux de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de Wallonie ont sonné la révolte contre l'agenda commercial (néo)libéral de la Commission européenne et adopté des résolutions interdisant à leur gouvernement fédéral de signer l'accord, mettant les chefs d'État de toute l'Union européenne dans l'embarras.

Les accords commerciaux de « nouvelle génération » : objectifs et moyens

Le CETA appartient à la famille des accords de commerce dits de « nouvelle génération », comme le Grand marché transatlantique (GMT) ou l'Accord sur le commerce des services (ACS). Tout comme ces autres accords, qui ambitionnent, bien au-delà des simples questions de commerce, de créer des règles libéralisant les économies et les sociétés plus en profondeur, il se donne quatre grands objectifs : supprimer les derniers tarifs douaniers en vigueur entre le Canada et l'Union ; éliminer les « entraves au commerce » dites non-tarifaires, c'est-à-dire les réglementations techniques, sociales, sanitaires ou encore environnementales qui freinent les échanges ; mettre en place un dispositif de règlement des différends entre investisseurs et États, les tribunaux d'arbitrage privés ; libéraliser des secteurs d'activité trop peu soumis aux lois du marché et de la concurrence internationale (éducation, santé, marchés publics, culture, etc.). Dans la cohorte des accords de libre-échange actuellement négociés par l'Union européenne, le CETA semblait le mieux placé pour aboutir prochainement.

Opacité chronique

Inaugurées en 2008 par l'ancien premier ministre canadien Stephen Harper et l'ancien président de Commission européenne José Manuel Barroso, les négociations (secrètes) autour du CETA ont duré six ans. Elles ont été encadrées par les armées de lobbyistes également impliquées dans les discussions autour du GMT, et elles ont abouti le 26 septembre 2014, lorsque les deux dirigeants politiques ont signé un texte commun. Réputé « final », celui-ci a néanmoins connu différents amendements cosmétiques, afin notamment de modifier le dispositif controversé des tribunaux d'arbitrage privés, que le mandat des négociateurs ne mentionnait pas. Aucune panique du côté des multinationales : la nouvelle formule leur permet toujours d'exiger aux États des dédommagements non plafonnés lorsqu'elles estiment que leurs profits ont été grevés par des décisions politiques (par une hausse du salaire minimum ou une taxe carbone, par exemple) et ce, même quand elles n'ont encore investi aucun euro.

Les négociations sont désormais closes et ont abouti à un texte de 1 600 pages, sans table des matières : les citoyens qui ne disposent pas du temps nécessaire pour se plonger dans la lecture du texte rendu public le 29 février 2016 devraient donc croire les négociateurs sur parole.

Le CETA générateur de croissance, selon quel modèle économique ?

Les promoteurs du CETA justifient leur posture en invoquant la « science » économique. Ne proclame-t-elle pas que le libre-échange profite à chacun ? Différentes études calculent en effet que l'adoption du CETA se traduirait par des gains de croissance du produit intérieur brut (PIB) européen. Au total, quatre recherches (2), directement ou indirectement financées par la Commission européenne ou le gouvernement canadien, prédisent une croissance supplémentaire du PIB variant de 0,03 % à 0,76 % pour le Canada et de 0,003 % à 0,08 % pour l'Union européenne.

Disponible sur notre boutique en ligne.

Mais, de quelle « science » économique est-il ici question (3) ? Le « consensus scientifique » que dessinent ces quatre études épouse celui de la théorie économique néoclassique, largement discréditée par la crise financière de 2008. Les économistes issus de cette école abordent leur objet d'étude à travers les mêmes lunettes épistémologiques qu'Isaac Newton observant l'univers physique au XVIIe siècle : l'économie leur apparaît comme un univers mû par des forces naturelles dont l'énergie se conserve, qui tend à retourner vers un équilibre prédéfini, et dont la connaissance parfaite à un moment t permet de prédire tous les états futurs avec un degré de certitude quantifiable.

Derrière les projections des modèles, quelles hypothèses de travail ?

Les quatre études mentionnées se fondent toutes sur un même modèle statique d'équilibre général calculable (EGC) du Global Trade Analysis Project (GTAP). Dans l'univers panglossien de ce modèle, point de capitaux oisifs, point de chômage ni d'inégalités : tous les ménages disposent des mêmes aptitudes à travailler et de la même quantité de capital, cependant que la main invisible du marché garantit l'utilisation optimale et permanente de toutes les ressources productives. Ici, pas de coûts macro-économiques et sociaux à la libéralisation approfondie des échanges et des sociétés et à la nécessaire transition « dynamique » qu'elle implique (recherches d'emploi, déménagements, pertes de qualifications, formations continues, fermetures d'usines, emprunts commerciaux, etc.).

N'en déplaise à la Commission européenne, l'économie néoclassique n'est pas la seule. L'étude que nous avons menée (4) s'appuie sur les projections économiques dynamiques du Global Policy Model (GPM), utilisé depuis 2008 aux Nations unies. Celui-ci envisage la possibilité pour une économie de ne pas tourner à plein régime, de connaître chômage et inégalités, ainsi que l'existence d'effets de rétroaction. En effet, le processus de concentration du capital peut menacer son accumulation. En compressant les salaires, les inégalités croissantes réduisent le pouvoir d'achat de la majorité des consommateurs, sans pour autant stimuler l'investissement privé inhibé par des perspectives de ventes déclinantes. Au lieu de contraindre l'économie observée à retourner à son « équilibre naturel » prédéfini — une attention caractéristique des modèles néoclassiques — le GPM prend en compte le phénomène d'hystérésis, par lequel les trajectoires futures des économies observées sont influencées par les événements passés.

De plus, notre modélisation du CETA ne se limite donc pas à simuler une simple baisse des coûts bilatéraux du commerce entre le Canada et l'Union européenne, comme le font les études néoclassiques qui abordent le CETA comme un accord de nature purement commerciale. Nous tenons compte de ses implications politiques plausibles.

Sept ans après sa mise en œuvre, le CETA pourrait détourner une partie des flux commerciaux intra-européens, affaiblissant l'intégration européenne au prétexte d'améliorer la « compétitivité » internationale

Selon nous, l'intensification des pressions compétitives et la financiarisation accrue des économies transatlantiques suite à la mise en œuvre du CETA mèneront les entreprises à lutter pour défendre leurs parts de marché en diminuant les coûts de production, c'est-à-dire principalement la masse salariale, tout en cherchant à augmenter la valeur boursière des entreprises, c'est à dire les profits. Cependant, les emplois détruits ne seront pas « naturellement » remplacés par d'autres emplois, ainsi que l'imaginent les modèles néoclassiques. Le phénomène pourrait donc conduire à une hausse du chômage et une pression baissière sur les revenus des travailleurs.

De même, des nouvelles contraintes (principe de liste négative, existence d'un tribunal d'arbitrage privé, etc.) et le poids politique croissant des multinationales et des investisseurs étrangers vont intensifier les pressions exercées sur les gouvernements et réduire leur marge d'action pour déterminer les revenus, balances budgétaires et dépenses publiques. Les coupes affectant les revenus et les dépenses de l'État, visant à favoriser la profitabilité du secteur privé et son expansion dans des sphères ayant jusque-là échappé au marché et à la compétition internationale, pourraient créer un vide qui, dans un environnement économique morose, ne serait pas « naturellement » comblé par un regain de consommation des ménages, par des investissements privés ou par une demande venant de l'étranger, comme cela serait imposé dans l'univers idéalisé des modèles néoclassiques.

Nos simulations comparent deux scénarios différents : un scénario de base « sans CETA » et un autre, « avec CETA ». Les variations (par exemple, des niveaux de PIB) s'interprètent donc en termes relatifs entre les deux scénarios. Nous avons choisi un horizon de sept ans pour épouser celui de l'étude de référence de 2008 et faciliter la comparaison. En tenant compte de la croissance des exportations bilatérales entre le Canada et l'Union européenne, ainsi que des coûts et des coupes ignorés à dessein dans les modèles néoclassiques (et de leurs effets de rétroaction), nos projections brossent un tableau moins lumineux. Voici quelques-uns de nos résultats.

L'impact du CETA, en tenant compte des coûts économiques et sociaux

Sept ans après sa mise en œuvre, le CETA pourrait détourner une partie des flux commerciaux intra-européens, affaiblissant l'intégration européenne au prétexte d'améliorer la « compétitivité » internationale. L'accord détruirait près de 204 000 emplois en Europe et mènera à une compression des hausses de salaire équivalant à une perte annuelle moyenne de 651 euros par employé, transférant par-là même 0,66 % du PIB européen des travailleurs vers les détenteurs du capital. Au final, le niveau du revenu intérieur brut de l'Union serait diminué de 0,49 % d'ici à 2023 (toujours par rapport au scénario de base), une perte de revenu inférieure à la hausse des revenus du capital. Les effets de redistribution excédant les effets de croissance, les détenteurs du capital sortiraient gagnant de ce scénario, malgré un déclin relatif du niveau du PIB européen.

En France et en Italie, où les salaires et la taille du secteur public dépassent en général la moyenne européenne, les efforts requis pour participer à la « course à la compétitivité » seraient encore plus significatifs. Pour la France : 45 000 emplois détruits, réduction de 1 331 euros du revenu annuel moyen des employés et baisse du PIB de 0,65 %. En Italie : perte de 42 000 emplois, réduction de 1 037 euros du revenu annuel moyen des employés et chute de 0,78 % du PIB.

En Allemagne, nous calculons une perte de 19 000 emplois, relativement plus faible, mais à l'origine d'une réduction du salaire annuel moyen de 793 euros, diminuant la consommation et amputant le PIB de 0,37 %. Au Royaume-Uni (s'il participait à l'accord), la réduction de la part de la richesse revenant au travail et l'érosion du poids de secteur public survenus ces dernières décennies limiteraient l'impact du CETA : 9 000 emplois perdus, 316 euros de moins par travailleur et par an, et PIB de 0,23 % inférieur à ce qu'il serait sans CETA. Pour les autres pays européens, les effets moyens se situeraient entre ceux du Royaume-Uni et de l'Allemagne. Quant au Canada, dont les travailleurs et le secteur public seraient soumis à des pressions compétitives plus intenses que les pays européens, il perdra 23 000 emplois, et verra le salaire annuel moyen amputé de 1 788 euros (soit en transfert de 1,74 % du PIB vers le capital), pour un PIB en recul de 0,96 % par rapport au scénario de base.

En l'état, le CETA est mauvais pour l'économie et la société

Selon nos simulations fondées sur des hypothèses de travail plus plausibles à nos yeux que les modèles panglossiens de l'économie néoclassique, le CETA profiterait aux seuls investisseurs. Si les parlementaires (européens et nationaux) venaient à adopter le texte, ils suggèreraient donc qu'ils ne représentent que cette catégorie de la population.

(1) Cité dans « Jean-Claude Juncker étonne les capitales », AFP, Paris, 30 juin 2016.

(2) Cameron, Richard A., et Constantin Loukine (2001) « Canada - European Union Trade and Investment Relations : The Impact of Tariff Elimination » (PDF), Canadian Department of Foreign Affairs and International Trade.

— Hejazi, Walid et Joseph Francois (2008) « Assessing the Costs and Benefits of a Closer EU-Canada Economic Partnership » (PDF), a joint study by the European Commission and the government of Canada.

— Kitou, Elisavet, et George Philippidis (2010) « A Quantitative Economic Assessment of a Canada-EU Comprehensive Economic Trade Agreement », presented at the 13th Annual Conference on Global Economic Analysis, Penang, Malaysia.

— Kirkpatrick, Colin, Selim Raihan, Adam Bleser, Dan Prud'homme, Karel Mayrand, Jean Frederic Morin, Hector Pollitt, Leonith Hinojosa, et Michael Williams (2011) « Trade Sustainability Impact Assessment (SIA) on the Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) between the EU and Canada : Final Report (PDF).

(3) Lire le Manuel d'économie critique du Monde diplomatique, 2016.

(4) « CETA Without Blinders : How Cutting ‘Trade Costs and More' Will Cause Unemployment, Inequality and Welfare Losses », GDAE Working Paper 16-03.

How Zimbabwe Made Zimbabwe’s Flag Illegal

Foreign Policy - Fri, 14/10/2016 - 19:02
The country's own flag has become an anti-government symbol of protest.

Americans Can Now Bring Cuban Booze and Cigars Back to the States

Foreign Policy - Fri, 14/10/2016 - 18:50
But the U.S. embargo on Cuba still remains in place.

After Nigerian First Lady Criticizes Her Husband, He Says She Belongs to His Kitchen

Foreign Policy - Fri, 14/10/2016 - 18:26
President Buhari's wife took to the media to express her disappointment in her husband.

U.S. Pushing for International Action to Destroy Syria’s Chlorine Stocks, Barrel Bombs

Foreign Policy - Fri, 14/10/2016 - 17:06
The Obama administration wants to censure Syria with international support it is rallying through the global watchdog on chemical weapons.

The dichotomy: Female sexual pleasure vs. the respect of American bro culture

Foreign Policy - Fri, 14/10/2016 - 16:59
I’m a West Point graduate and Iraq war veteran who has been surrounded by men who act and speak a lot like Donald Trump.

Rejet wallon du CETA, nouvel accroc pour le libre-échange

Le Monde Diplomatique - Fri, 14/10/2016 - 14:49
Deux parlements régionaux belges viennent d'opposer leur veto à l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, le CETA. Cette décision suffira-t-elle à enterrer ce projet ? Rien n'est moins sûr. Une nouvelle étude affûte pourtant les arguments économiques des opposants en identifiant, (...) / , , , , , - La valise diplomatique

Military Power Europe: A Contradiction in Terms?

Foreign Policy Blogs - Fri, 14/10/2016 - 14:47

(Carnegie Europe)

On September 16, 27 European Heads of States came together in Bratislava for a first- ever-informal meeting to discuss the future of the Union. As they geared to overcome the latest European crisis, the theme of security figured prominently among the five central objectives of the resulting Bratislava Roadmap. “In a challenging geopolitical environment,” states the document, “EU cooperation on external security and defense” needs to be strengthened.  For the upcoming European Council meeting in December 2016, the Roadmap announces that a “concrete implementation plan on security and defense” will be presented.

These and other statements issued during the one-day summit in the Slovak capital suggest that defense policy has emerged as a discursive vehicle to reunite the ailing Union and to regain the citizens’ trust in their governments. As Donald Tusk put it in an open letter to his colleagues, “someone must give back to Europeans their sense of security.”

At first, this bellicose demeanor seems at odds with the Union’s collective identity of a norm-based pacifist community, one that has left behind a Hobbesian state of nature and has instead ventured into a Kantian world of cooperative supra-nationalism. Building upon this foundational myth, Europe’s role in the international system has become that of a normative power (Manners 2002); its foreign policy has relied on soft power tools such as the appeal of its institutional set-up and wide-ranging economic and social freedoms.

However, when European leaders engaged in a security-driven narrative at the Bratislava Summit, they openly challenged this vision, suggesting a more proactive role for Europe as a global military power.

What seems paradoxical at first makes a lot more sense if one considers the nature and centrality of identity-shaping narratives in the realm of international politics. Although identities—as mechanisms to give meaning to the self and the other—are considered to be rather stable, they are not static objects. Instead they are “constituted by collective meanings that are always in process” (Wendt 1992, 407) thus allowing change to occur.

Identities are subject to change, as are the narratives that constitute them. These constituent narratives are central to the creation and preservation of any form of social organization. They are the backbones that allow us to distinguish ourselves by giving specific meanings to a political community and providing “a reason for being” (Della Sala 2010, 1). These identity-shaping narratives, however, are intersubjectively created, that is through interaction with others.  Consequently, their success depends not only on the emitter of the narrative but also on the recipients.

The EU’s traditional narratives, developed around the promotion of peace and the creation of prosperity, have reached a standstill. For many European citizens, domestic peace no longer suffices to justify the existence of the Union, and economic prosperity in a globalized Europe is becoming increasingly illusory. The recurrence of ever more complex political and economic crises over the past decade has undermined Europe’s very identity and its foundational myth, which “no longer seems enough to sustain a ‘permissive consensus’” (Della Sala 2010, 3).

Seen from this perspective, the Bratislava Summit captures European leaders in search of a new narrative; a narrative that can re-unite Europeans and keep them united in the future.

The Bratislava statement followed a joint declaration by the French and German defense ministers earlier in September. Through a joint declaration on the future of Europe’s defense policy, Paris and Berlin wanted to convince both European and international audiences that post-Brexit Europe “isn’t going to be just fine, but even more prosperous and closely united than ever before.” To do so, they relied on no other than the oldest and most persistent motive of state creation: security.

This is not the first time in Europe’s history that a security narrative has entered the public discourse in times of turbulence. After the end of the Cold War and with the disappearance of bipolarity as a stable ordering principle, the Treaty of the European Union in 1992 “signaled the intent of the Member States of the Union to move beyond a civilian power Europe and to develop a defense dimension to the international identity of the Union” (Whitman 1998, 135-6). Yet Europe’s failure to put an end to the ensuing decade of wars on the territory of former Yugoslavia seemed to bolster critics’ beliefs that Europe would never emerge as a military power on the international scene.

Notwithstanding the creation of the European Security and Defense Policy (ESDP) (renamed the Common Security and Defense Policy (CSDP) in 2009), post 9/11 Europe distinguished itself mainly through its dividedness in light of the second Iraq War and its failure to deploy its newly created Battlegroups.

While France, posed to be the EU’s top military power after Britain’s departure, has been campaigning for a military union for some time, true change seems to be occurring in Germany. In July 2016, German Defense Minister Ursula von der Leyen presented a White Paper On German Security Policy and the Future of the Bundeswehr. The document “defines Germany’s ambition to play an active and substantial role in security policy” and was largely seen as marking “a major shift for the country.”

The timing seems favorable for the introduction of a new European security narrative capable of transforming the Union’s identity and role in the international arena. Germany’s attempts to enter hard power politics, France’s desire to Europeanize defense, Eastern Europe’s quest for more security, and Italy’s benevolence towards CFSP all constitute a fertile ground for change. Moreover, a Europe that takes on its responsibilities and contributes to a greater extent to the stability of the international system in place can be sure of Washington’s support.

Skeptics may point out that identities do not change easily, and rightly so. Many obstacles and setbacks must be overcome before we can see the emergence of a European defense policy worth its name. Yet, the so-called-age of global terror, Europe’s place in an increasingly multipolar world, and the Union’s dire need to reinvent itself both domestically and internationally have already initiated a process at the end of which European hard power and its projection abroad will emerge as “a sort of Gramascian ‘common sense’’ (Della Sala 2010, 9). European leaders’ practices and the reception of these practices by their audiences will decide if and when this narrative eventually becomes central to Europe’s new identity; at which point Europe will have left Venus and joined America on Mars.

† The title is adopted from Ian Manners’ article Normative Power Europe: A Contradiction in Terms?

References:

Della Sala, Vincent. 2010. “Political Myth, Mythology and the European Union” Journal of Common Market Studies 48 (1): 1-19.

Kagan, Robert. 2002. “Power and Weakness” Policy Review 113 (June/July).

Manners, Ian. 2002. “Normative Power Europe: A Contradiction in Terms?” Journal of Common Market Studies 40 (2): 235-258.

Whitman, R. 1998. From Civilian to Superpower? The International Identity of the European Union. Basingstoke: Macmillan.

 

The post Military Power Europe: A Contradiction in Terms? appeared first on Foreign Policy Blogs.

Political will needed to counter terrorism and address evolving nature of ISIL, Security Council told

UN News Centre - Fri, 14/10/2016 - 00:55
Briefing the Security Council today, the top United Nations political official said that while the Islamic State of Iraq and the Levant (ISIL/Da'esh) and its affiliates have continued to face military setbacks, they nevertheless continue to pose a significant and diversified threat.

Security Council dispatches UN special envoy to Burundi for talks on political crisis

UN News Centre - Fri, 14/10/2016 - 00:34
The Security Council will dispatch a senior United Nations envoy to consult with officials in Burundi to “find a way forward on all issues related to peace and security and UN activities in the country,” after the Government earlier rejected a Council resolution on establishing a police officers’ component there and amid reports that it will withdraw from the International Criminal Court (ICC).

The Militarization of West Africa

German Foreign Policy (DE/FR/EN) - Fri, 14/10/2016 - 00:00
(Own report) - Berlin is using today's visit of Nigeria's President, Muhammadu Buhari to enhance its rapidly growing military influence in West Africa. Chancellor Angela Merkel's trip to Africa early this week has already revealed Germany's growing military importance on the African continent. According to reports, a "change" can already be noted, particularly in Mali. Traditionally within France's exclusive sphere of influence, the EU, "fundamentally under German leadership," is now increasingly determining that country's development. The German government is also expanding the Bundeswehr's activities and the supply of military hardware to Niger and Chad, along with the construction of a military base in Niger's capital Niamey. Berlin is also seeking to obtain influence in the war against Boko Haram in Nigeria. The first accords on support measures had already been reached with Nigeria last year. Germany is enhancing its network of influence in West Africa by increasing the deployment of expeditionary troops, the establishment of military bases and by supplying military aid. This could possibly reduce France's traditional political and military predominance in its former colonies.

Pages