Le pays de la course permanente au dollar, du chacun-pour-soi, sans pitié pour les pauvres. Où perdure un racisme rampant et meurtrier ; où tout le monde est armé et sous la surveillance de « Big Brother », dans la plus grande prison du monde. Le pays de la malbouffe, sans aucune sécurité alimentaire, où le climato-scepticisme s'enseigne dès l'école. Surarmé et en guerre permanente, sous le regard de Dieu, omniprésent.
Un inventaire argumenté, accablant, des bonnes raisons de détester une certaine Amérique, détaillé par un journaliste désabusé qui sillonne le pays depuis cinq ans. Et qui, correspondant de TF1, la télévision privée de M. Martin Bouygues, ne peut guère être soupçonné d'être un agent de la Corée du Nord.
Les Arènes, Paris, 2016, 233 pages, 19,80 euros.
D'AT&T aux États-Unis à SFR en France, un mot d'ordre circule comme une traînée de poudre : la convergence entre télécoms et médias. Suivant cette stratégie, les propriétaires de réseaux numériques et téléphoniques rachètent des journaux ou des télévisions en difficulté pour remplir leurs tuyaux. Mais ces opérations cachent souvent des enjeux très terre à terre…
Julian Trevelyan. – « Bolton Mills » (Moulins de Bolton), 1938 © Bolton Museum And Art Gallery, Lancashire, Uk / Bridgeman ImagesL'avenir des journaux résiderait-il dans leur intrication avec les offres d'acteurs des télécommunications ? Le rachat en mai par SFR de Libération, L'Express, L'Expansion, Lire ou L'Étudiant, en même temps que son acquisition à 49 % de BFM TV et de RMC, a remis au goût du jour une idée en vogue au tout début des années 2000, lorsque M. Jean-Marie Messier présidait aux destinées de Vivendi Universal : la convergence entre le téléphone et les médias. L'application SFR Presse propose ainsi des journaux aux dix-huit millions d'abonnés de l'opérateur détenu par M. Patrick Drahi. Après avoir été achetée par des annonceurs et de moins en moins par des lecteurs, la presse écrite va-t-elle devoir son salut à des distributeurs cherchant à fidéliser leur clientèle ou à en conquérir une nouvelle ?
Fin juin 2016, trois millions de clients de SFR avaient téléchargé l'application, qui s'est élargie à de nouveaux journaux, comme Le Journal du dimanche, Le Parisien ou Midi libre. On pourrait n'y voir qu'une manipulation fiscale. Dans la facture de l'abonné, la valorisation de cet éventail de publications, à 19,90 euros, atteint les deux tiers d'un forfait moyen combinant téléphone, Internet et télévision. Cela donne à SFR la possibilité d'appliquer sur ces deux tiers de la facture de millions de clients un taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) particulier, réservé à la presse : 2,1 % au lieu de 20 %. Un tour de passe-passe qui permet d'économiser chaque année plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de millions d'euros.
Mais la convergence est aussi le nom aimable d'une dépendance étroite à l'égard d'un opérateur de télécommunications. SFR gâte ses abonnés avec des médias pour les retenir et pour revaloriser ses offres tarifaires. De leur côté, les éditeurs de presse trahissent encore davantage les intérêts de leurs lecteurs dans l'espoir de cibler un public susceptible d'attirer de la publicité. En échange, les journaux ne peuvent espérer que quelques centimes par exemplaire téléchargé.
Se profile aussi la fusion des régies commerciales de SFR, d'Altice Media et de NextRadioTV (BFM TV, RMC…) au sein d'une nouvelle entité commune. « SFR a décidé de s'étendre dans les médias non seulement pour se différencier, mais aussi pour remettre la main sur une partie de la publicité qui a été captée par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) », déclare son président-directeur général (PDG), M. Michel Combes (1). L'accès à l'identité de l'abonné SFR permet d'ores et déjà de lui envoyer une publicité personnalisée, ce qui a inspiré à M. Alain Weill, président de NextRadioTV et directeur général de SFR Media, une réflexion pénétrante sur les enjeux contemporains du journalisme : « Ceux dont on sait qu'ils ont un chien verront de la réclame pour Canigou sur leurs écrans, tandis que ceux qui ont un chat auront droit à du Ronron (2). »
Avant 2019, M. Drahi dispose d'une option d'achat pour prendre la totalité du capital de NextRadioTV. En infraction avec la règle anticoncentration, dite « du deux sur trois », de la loi sur la communication de 1986, qui interdit de posséder plus de deux médias nationaux, il contrôlerait alors sur le plan national un quotidien (Libération), un hebdomadaire (L'Express), deux chaînes de télévision (BFM TV et RMC Découverte) ainsi que deux radios (RMC et BFM Business). S'y ajoutent des chaînes sportives, ainsi que i24 News, la chaîne d'information pro-israélienne du groupe.
Un outil d'influenceAux yeux de M. Combes, cette convergence va dans le sens de l'histoire. Les grandes manœuvres n'ont-elles pas débuté à l'étranger ? Au Royaume-Uni, British Telecom a acquis les droits du championnat de football britannique et diffuse ses propres chaînes sportives sur ses réseaux, tandis que, à l'inverse, Sky, le bouquet satellite de M. Rupert Murdoch, propose des offres Internet à très haut débit. Aux États-Unis, le câblo-opérateur Comcast vient d'acquérir les studios d'animation DreamWorks, cofondés par Steven Spielberg, après avoir racheté NBC Universal en 2011. De son côté, l'opérateur AT&T a mis la main en 2015 sur le bouquet satellitaire Direct TV ; Verizon s'est emparé d'AOL avant d'avaler Yahoo en juillet dernier. Quant à M. Jeffrey Bezos, le fondateur d'Amazon, qui a racheté le Washington Post pour 250 millions de dollars en 2013, il inclut désormais la lecture gratuite de ce journal pendant six mois dans son offre « Prime », qui compte 50 millions d'abonnés.
« Offrir un accès libre aux nouveaux abonnés par le biais de “Prime” nous permet de connecter des millions de membres dans tout le pays qui n'ont peut-être pas essayé le Post dans le passé », estime le président du Washington Post, M. Steve Hills (The Guardian, 16 septembre 2015). En 2014, une application gratuite de ce quotidien a été développée pour la tablette d'Amazon. En hausse de 63 % sur un an, son audience numérique a dépassé celle du New York Times, avec plus de 70 millions de visiteurs uniques par mois. Parallèlement, M. Bezos a recruté près de 80 développeurs numériques. En rachetant le Washington Post, il a pris possession d'un outil d'influence sur le pouvoir fédéral alors que son groupe était dans le viseur des autorités anticartel et de l'administration fiscale pour ses pratiques monopolistiques et son contournement de l'impôt. En décembre 2015, c'était au tour du géant chinois du commerce en ligne Alibaba de s'assurer l'obligeance de la nomenklatura en rachetant le South China Morning Post, le quotidien en langue anglaise de Hongkong.
« Il n'y a pas de grosse convergence entre la presse écrite et le téléphone mobile », estimait M. Drahi devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale en mai 2015. Le propriétaire de SFR et de Numericable en France, de Hot Telecom en Israël, de Portugal Telecom ou de Suddenlink Communications aux États-Unis livrait alors aux députés les raisons de son investissement dans les médias. À l'entendre, il était entré au capital de Libération à la demande d'une journaliste, en apportant 14 millions d'euros, soit « un pour mille » de ce qu'il investissait dans SFR, pour sauver ce journal. En réalité, c'est sur la requête de M. François Hollande que le président-directeur général d'Altice s'est intéressé à ce dossier.
Auparavant, il était certes un magnat des télécoms, mais aussi le « résident suisse » dont la « participation personnelle » était à Guernesey, selon les termes de M. Arnaud Montebourg, qui, lorsqu'il était ministre du redressement productif, disait avoir « des questions fiscales » à lui poser (3). M. Drahi a vite saisi qu'il n'était pas idiot de sauver un quotidien proche du pouvoir quand on prépare la consolidation des télécoms en France sous l'œil avisé de l'opérateur historique Orange, dont l'État détient 23 %. Les opérateurs téléphoniques privés ont à cœur de dissuader la puissance publique d'imposer une réglementation tatillonne qui, par exemple, les contraindrait à assurer une couverture en haut débit des zones les moins profitables afin de lutter contre la « fracture numérique ».
La convergence ne s'est pas imposée d'emblée à M. Drahi. Mais l'acquisition annoncée de NextRadioTV, puis, en septembre 2015, de l'opérateur Cablevision, qui distribue à New York la chaîne News12 et le quotidien régional Newsday, va faire naître la belle histoire des tuyaux qui rencontrent les contenus. « Les médias permettent aux opérateurs télécoms de se différencier et de devenir plus attractifs, tandis que les opérateurs permettent aux médias de bénéficier de leur puissance de distribution, d'accélérer leur développement digital et, grâce aux datas auxquelles les clients autorisent l'accès, d'offrir du sur-mesure à chaque client », vante M. Combes (4). Ces envolées masquent mal une réalité plus terre à terre du technocapitalisme contemporain : la fusion-absorption pour gonfler en taille et augmenter ainsi sa capacité d'endettement. Il s'agit pour M. Drahi de lever une dette qu'il remboursera ensuite avec les profits des entreprises rachetées. Ses créanciers, notamment des banques comme BNP Paribas ou Goldman Sachs, ne sont pas insensibles à la capacité d'influence d'un gros client à risque. « 40 milliards d'euros, la dette folle de Patrick Drahi », pouvait-on lire sur le site de BFM Business en juin 2015, juste avant l'annonce de son rachat partiel par M. Drahi. « Altice : Drahi poursuit son rêve américain », titrait le même site un mois plus tard…
Le magnat marque aussi les médias de son empreinte en taillant dans les effectifs, en gérant chacun de ses actifs avec des méthodes agressives et en favorisant les économies d'échelle, comme en témoigne l'annonce, en juillet, de cinq mille suppressions de postes chez SFR. Accessoirement, l'absorption de chaînes, radios et journaux par l'opérateur téléphonique permet de compenser la perte de chiffre d'affaires liée au départ d'un million d'abonnés et à Altice de se reverser 980 millions d'euros.
Cette stratégie n'est pas du goût de ceux qui s'y sont brûlé les ailes, à l'instar d'Orange. Son PDG, M. Stéphane Richard, a ainsi tourné le dos à la politique de son prédécesseur, qui avait acquis à prix d'or — 200 millions d'euros par an — une partie des droits du championnat de France de football pour la période 2008-2012 et prétendait concurrencer Canal Plus en finançant des films à travers un studio de cinéma. En 2009, l'Autorité de la concurrence a contraint Orange à ne pas réserver à ses seuls abonnés ses chaînes de sport, de cinéma et de séries. L'opérateur investit encore 550 millions d'euros par an dans les contenus, mais essentiellement en produisant une vingtaine de films et en distribuant des séries.
Fondé par M. Xavier Niel, copropriétaire à titre personnel du groupe Le Monde et de L'Obs, le groupe Iliad (Free) s'est, lui, toujours inscrit en faux contre cette stratégie d'imbrication des médias dans des tuyaux. À ses yeux, elle n'a d'intérêt que si elle apporte des contenus exclusifs. Or ces mêmes exclusivités exposent aux foudres des autorités de marché, comme vient de le prouver la décision de l'Autorité de la concurrence de refuser à Canal Plus le droit de distribuer de façon exclusive la chaîne qatarie beIN Sports. Le groupe Telefónica, qui voulait une exclusivité comparable sur le groupe audiovisuel Mediapro, s'est heurté récemment au même désaveu en Espagne.
Pour Free, mieux vaut donc passer des accords de partenariat avec des offres de contenus. Et compter sur sa position dans les médias pour voir relayer des sujets qui lui tiennent à cœur, comme le blocage des publicités YouTube en signe de protestation contre le surcoût de bande passante que l'acheminement des vidéos occasionne aux opérateurs télécoms. « La question qu'il faut se poser est de savoir si le journalisme apporte une valeur ajoutée ou non », estime M. Niel (5). L'autre question, qui ne sera pas posée, concerne l'influence politique qu'apporte le contrôle d'un grand moyen d'information dans une industrie étroitement régulée par l'État…
Le groupe Bouygues est sur la même ligne : il n'a pas spécialement cherché à faire profiter son activité de téléphonie mobile des contenus de TF1. Toutefois, sa force de frappe télévisuelle lui permet d'entretenir ses relations avec les élus et de peser indirectement sur la législation des télécoms. Quant au groupe Bolloré, qui a pris le contrôle de Vivendi (Canal Plus, Dailymotion, Universal Music) et conclu un accord avec Mediaset pour lui reprendre son bouquet de chaînes payantes en Italie, il est certes devenu l'actionnaire de Telecom Italia, avec 24,9 % du capital, et celui, très minoritaire, de l'espagnol Telefónica. Mais la complexité des réglementations nationales l'empêche de diffuser le même contenu sur des canaux de télécommunication soumis à des autorités locales différentes.
C'est donc plutôt pour nouer des partenariats dans la distribution des contenus de Canal Plus ou d'Universal que le groupe Vivendi continue de prendre des participations dans les télécoms, après son désengagement de SFR et du brésilien GVT. Pour M. Vincent Bolloré, les synergies restent très limitées… même si elles sont préconisées entre Vivendi, Canal Plus, Dailymotion et Universal. Du reste, l'ancien PDG de Vivendi lui-même voit désormais les limites d'un tel rapprochement : « Ce débat sur la convergence, je pense qu'il est un peu archaïque aujourd'hui avec l'émergence des réseaux sociaux, déclarait M. Messier le 3 septembre 2015. L'essence de la convergence, c'est l'ubiquité. Ce qui reste vrai, c'est : “ce que je veux, où je veux, quand je veux”. » Bref, il importerait moins d'injecter ses propres contenus dans ses propres tuyaux que de répondre à la demande d'appareils nomades qui permettent de visionner des vidéos ou de lire des journaux dans l'instant et n'importe où. De quelle qualité ? La question n'intéresse pas les industriels. Sur ce plan, tout converge.
(1) Le Figaro, Paris, 1er juin 2016.
(2) Conférence de presse, 27 avril 2016.
(3) Europe 1, 14 mars 2014.
(4) « SFR lance la convergence », juillet 2016, www.communication.sfr.com
(5) Polka, Paris, février 2014.
Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Fred Kaplan, Dark Territory. The Secret History of Cyber War (New York, Simon & Schuster, 2016, 352 pages).
Le livre s’ouvre sur une scène étonnante : le 4 juin 1983, à Camp David, Ronald Reagan visionne Wargames, film où un adolescent parvient à hacker les ordinateurs du ministère de la Défense américain. Croyant jouer à un jeu vidéo, il est très près de provoquer la Troisième Guerre mondiale. Ce qu’il a vu interpelle le président et, lors d’une réunion à la Maison-Blanche la semaine qui suit, il questionne son chef d’état-major des armées : « Cela peut-il arriver ? Peut-on pénétrer nos réseaux les plus secrets ? » La réponse, inquiétante, tombe quelques jours plus tard : oui. Cette prise de conscience débouche sur une directive de sécurité nationale qui marque les prémisses de la prise en compte de la question de la cyber-sécurité aux États-Unis.
Le livre explore deux « territoires sombres ». Celui de la cyber-guerre, offensive et défensive, de ses précurseurs et de ses coups d’éclats. Celui de la bureaucratie et de la lutte de quelques hommes face à l’inertie administrative pour faire prendre en compte les problématiques cyber, et en particulier celle de la sécurité des réseaux.
Les succès de la lutte contre les systèmes de commandement irakiens pendant la guerre du Golfe en 1991 aiguisent l’intérêt des militaires pour les opérations de ce type. Plus tard, en 1999, pendant la guerre du Kosovo, les Américains parviennent à rendre partiellement inopérante la défense anti-aérienne serbe. Lors des guerres d’Irak et d’Afghanistan, l’utilisation du cyber dans les opérations décolle véritablement, en particulier dans le domaine du renseignement. Les Américains « franchissent le Rubicon » avec l’opération Olympic Games qui débute en 2006 et qui vise les centrifugeuses du réacteur nucléaire iranien de Natanz. Il s’agit de la première cyber-attaque lancée dans le but d’une destruction physique d’infrastructure. Elle pousse les Iraniens à créer leur propre unité de lutte informatique offensive, et à lancer une opération en représailles contre l’entreprise Aramco, laissant poindre le risque d’une escalade.
La problématique de la cyber-sécurité émerge réellement, quant à elle, au milieu des années 1990 avec la démocratisation d’internet. Les États-Unis sont de plus en plus connectés et dépendants des réseaux. La protection des entreprises devient une priorité afin d’éviter un « cyber Pearl Harbour », mais la prise de conscience est difficile, dans le privé ou au sein de l’administration. Bien souvent, seul un choc permet une véritable réforme. Il sera triple. Tout d’abord, en 1997, a lieu l’exercice Eligible Receiver. Une équipe de la National Security Agency parvient à hacker l’ensemble des ordinateurs du département de la Défense en n’utilisant que des outils disponibles sur le marché. Ensuite, en février 1998, deux adolescents de San Francisco s’introduisent dans des ordinateurs de la Défense. Enfin, en mars de la même année, des intrusions multiples sont détectées sur les réseaux de la Défense et cette fois cela vient d’une puissance extérieure : la Russie.
À la fin de l’ouvrage, le cas de la cyber-attaque nord-coréenne contre Sony en 2014 permet à Fred Kaplan de réfléchir à deux questions devenues inévitables : à partir de quel niveau une cyber-attaque est-elle considérée comme un acte de guerre ? Comment dissuader une attaque dans le domaine cyber ?
Agréable à lire, Dark Territory est une plongée passionnante dans l’histoire de la cyber-guerre. On regrettera seulement le propos très américano-centré de l’auteur, qui ne satisfera pas les lecteurs désireux d’obtenir des informations détaillées sur les programmes cyber de pays comme la Chine ou la Russie.
Rémy Hémez
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