(B2) « L’Europe qui protège », le slogan n’est pas nouveau dans la bouche d’un dirigeant français.
Le dernier à l’avoir utilisé et imposé comme le motto de sa politique européenne était un certain Nicolas Sarkozy. « Il faut que l’on ait une Europe qui protège, une Europe qui incarne quelque chose » disait l’ancien président lors de la présidence de l’UE en 2008. Il avait même certains sujets identiques : le contrôle des investissements stratégiques, la directive sur les travailleurs détachés. Xavier Bertrand, son ministre du travail de l’époque, affichait à l’époque la même velléité pour lutter contre le dumping social en renforçant la directive sur le détachement des travailleurs. Le renforcement des règles européennes avait achoppé à mi-chemin.
Il n’est pas nouveau non plus dans la terminologie européenne. « Une Europe qui protège » était le slogan (1) du chancelier autrichien Wolfgang Schlüssel à la veille de prendre la présidence tournante de l’Union européenne, en 2006.
Un slogan resté sans traduction concrète jusqu’ici…
Le problème c’est que souvent ce mot est resté un slogan sans traduction réelle. On sent chez Emmanuel Macron, comme chez son homologue allemande, Angela Merkel, la volonté d’inscrire cette terminologie dans une dynamique plus concrète, que ce soit sur la question du dumping social (la directive détachement des travailleurs), du dumping international (les règles du commerce) ou les questions de sécurité et de défense.
Un couple, une Commission, un contexte
Il y a une volonté politique, propre, incontestable, chez ces deux leaders … comme chez Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, qui a une vision fort différente de son prédécesseur, José-Manuel Barroso. Ils sont aidés aussi par le contexte général : la crise financière qui s’éloigne, les menaces intérieures et extérieures qui augmentent, un populisme et une extrême-droite qui demeurent notables dans plusieurs pays, une certaine demande parmi les autres pays européens de voir le couple franco-allemand retrouver son rôle de leadership… sans oublier le Brexit et un Donald Trump plus agressif sur la scène mondiale que ne l’était un Obama.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) avec « Une Europe à l’écoute des citoyens » et « une Europe plus claire ».
(B2) Le Commandant Blaison (F-793), qui évolue au large de la Méditerranée, dans le cadre de l’opération Sophia (EUNAVFOR Med), a effectué une saisie d’armes à bord du El Mukhtar, lundi dernier (19 juin).
Le patrouilleur de haute mer français, qui effectuait « des patrouilles dans les eaux internationales au large de la Libye », a repéré non pas un mais deux navires suspects (1). A bord de l’un d’eux, l’équipe de visite a découvert « des armes légères et des munitions », en nombre, donc en contravention avec la résolution 2357 du Conseil de sécurité de l’ONU. Les armes ont ensuite été « transférées à bord du navire français » ; elles seront éliminées ensuite. A bord du second navire, qui avait un objectif « humanitaire », les militaires français n’ont pas trouvé d’armes, autres que celles qu’on pourrait utiliser pour l’autodéfense (2 ou 3 armes selon nos informations).
Ce navire « civil » n’est pas un total inconnu des forces européennes. Et on peut présumer qu’il ne s’agit pas d’un total hasard si les Français lui sont tombés dessus. Il avait, en effet, déjà fait l’objet d’un contrôle, le 1er mai dernier (lire : Des armes à bord d’un navire libyen. Une première saisie pour Sophia (V2)). L’équipe de visite lituanienne du navire allemand, Rhein, l’avait déjà pris, le 1er mai dernier, en flagrant délit de transport d’armes prohibé, avant de le renvoyer, illico, à l’envoyeur, à Tripoli. « Nous n’avons pas mandat d’arrêter les passeurs ou de saisir les navires » nous a confirmé un officier d’EUNAVFOR Med.
NB : Ce sujet est très sensible et avait l’objet d’une polémique, entre Français et Italiens en particulier. Lire : Le gouvernement libyen contourne l’embargo sur les armes. Avec l’assentiment de Sophia ?
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Pour rendre à César ce qui est à César, cette « action a été menée à bien en étroite coordination avec les navires de l’opération italienne Mare Sicuro, qui avaient été en contact initial avec le bateau suspecté » a aussi indiqué l’officier communicant de l’opération EUNAVFOR Med. On le croit ?
(B2) Les esprits ronchons qui disent « ça ne marchera jamais ce truc » vont être surpris : l’Europe de la défense s’est remise en marche. Certes, c’est lent, cela peut paraitre un peu confus. Mais il y a des pas, très concrets, qui sont en passe d’être franchis (1) Les conclusions adoptées, ce jeudi 22 juin, par les 28 Chefs d’Etat et de gouvernement, au-delà du langage convenu habituel, devront être lues avec attention. Car elles reflètent cet état d’esprit. Quelques tabous sont en passe d’être brisés. Et non des moindres ! Car ils visent tous un objectif très clair : une certaine autonomie stratégique européenne.
Premier tabou brisé : avancer plus vite à quelques uns. Les 28 vont donner leur feu vert politique à la Coopération structurée permanente (PESCO en abrégé). Ce ‘machin’ né dans le début des années 2000, inscrit successivement dans la Constitution et le Traité de Lisbonne n’avait jamais connu le moindre commencement de début de mise en œuvre. Ce n’est pas la révolution du siècle, certes. Et personne ne sait vraiment encore comment seront définis les critères d’appartenance au club ni ses projets. Tout le monde attend que Paris et Berlin résolvent leurs divergences de vues sur ce sujet. Mais une page est tournée. Une bonne douzaine d’États membres selon notre comptage ont déjà indiqué qu’ils voulaient y participer dès le début (2). Et même le Royaume-Uni « joue un rôle constructif ». Rien n’est prévu dans le détail. Mais le geste politique est là.
Lire aussi : Un noyau dur devenu chamallow. Une coopération structurée permanente : pour quoi faire ? + La Coopération structurée permanente lancée… politiquement. Texte et commentaires
Deuxième tabou brisé : financer la défense sur des fonds communautaires. C’était la proposition faite par la Commission européenne il y a quelques jours, de créer un Fonds européen de défense. Les 28 vont adouber ce projet, comme une clé d’avenir, pour l’industrie européenne. Pour la première fois, le budget communautaire viendra donc abonder des projets de défense menés par les États membres. Autant dire que l’industrie et les États, et même l’OTAN, sont très intéressés. Certes, là encore, il reste beaucoup de détails à préciser. Mais les Chefs d’ÉTats vont le dire clairement : ils veulent avoir des résultats « rapides ».
Lire : Défense. L’Europe doit prendre ses responsabilités (V2) + Un engagement affirmé des 28 sur la défense et la sécurité*
Troisième tabou brisé : financer davantage en commun les battlegroups. La force de réaction rapide européenne était jusqu’à présent clouée au sol, pour différentes raisons (politiques, financières, opérationnelles). Ces battlegroups ou groupements tactiques étaient tellement inutiles que cela en était gênant et ne contribuait pas peu à l’impression d’impuissance européenne. Les 28 vont débloquer un point-clé : le financement en commun. Les coûts de déploiement seront désormais pris en charge par une cassette commune. Les ’28’ l’ont décidé. Les détails seront fixés dans les mois à venir. Lire : Ces très chers battlegroups, vraiment inutilisables ? + Le financement en commun des battlegroups adoubé*
Quatrième tabou brisé : un QG européen permanent. C’était aussi une vieille idée, jamais mise en œuvre. La bande des 4 (Chirac, Schröder, Juncker, Verhofstadt) avait bien tenté un coup de force en proposant la mise en place d’un QG permanent militaire à Bruxelles. Ils s’étaient heurtés à un « No » britannique (et d’autres aussi sceptiques). D’autres tentatives avaient été faites ensuite, notamment en 2012, sans vraiment déboucher. Cette fois c’est fait. Un mini QG européen est en train de se mettre en place à Bruxelles. Il sera chargé de commander (conduire et contrôler en termes opérationnels) les missions militaires non exécutives (les EUTM). Ce n’est pas grand chose mais c’est un début. Ajouté à cela la création d’une petite école pour les pilotes des avions de transport tactique, à Saragosse. Nous avons ainsi les embryons de commandement et de formation nécessaires.
Lire : Le mini QG militaire européen voit le jour + Couvrez ce QG que je ne saurai voir… Le texte sur la MPCC finalisé. Détails*
Cinquième tabou brisé : des attachés de défense dans les ambassades européennes. Jusqu’à présent, l’Europe avait deux instruments : les missions de gestion de crises (civiles ou militaires, menées au nom de la PSDC) et l’instrument diplomatique (dans les délégations de l’UE). Entre les deux… rien ! Aujourd’hui, on étudie toute la panoplie d’action. Le principe d’attachés de sécurité ou de défense dans les délégations de l’Union est en passe d’être généralisé à d’autres ambassades. Déjà présents dans 13 délégations, ils seront une vingtaine à l’avenir.
Sixième tabou brisé : des missions européennes d’un nouveau genre. Dans le même esprit, différentes structures légères vont voir le jour dans deux zones de crises principales. Une petite unité est en passe d’être mise en place pour coordonner l’action dans les cinq pays du G5 Sahel. Des experts défense et sécurité seront placés dans cinq pays : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger Tchad (lire : La cellule de régionalisation des missions PSDC au Sahel est créée). Deux autres (petites) actions européennes sont à l’étude : à Bagdad pour aider les forces de sécurité intérieure irakiennes à se reconstruire (Lire : L’UE étudie l’envoi d’une équipe de conseil et soutien à la sécurité en Irak); à Segou et Mopti pour coordonner l’aide européenne à la stabilisation (lire : Vers une action de stabilisation de l’UE dans la région centre du Mali).
Toutes ces briques posées, réalisées ou en cours de réalisation, peuvent paraître modestes. Elles n’en illustrent pas moins à la fois un changement d’état d’esprit et une volonté d’avancer tous ensemble. Comme le dit un proche de Daniel Tusk, fin érudit de la politique européenne, « Nous n’avons pas encore atteint Rome … mais nous avons franchi le Rubicon ».
(Nicolas Gros-Verheyde)
Pour aller plus loin, lire :
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(1) Notre langage est volontairement très précautionneux. Nous nous garderons bien de dire que la défense européenne est relancée. Elle l’a été tellement de fois, avec bien souvent un effet pschitt, qu’il vaut mieux rester prudent…
(2) La France et l’Allemagne, ainsi que l’Italie, l’Espagne et la Finlande, premiers défenseurs de la PESCO ont été rejoints par : la république Tchèque, la Slovaquie, la Belgique, l’Estonie, le Portugal, la Slovénie, qui veulent être du premier round selon le premier comptage de B2. Cela n’aura à nul échapper que cette liste contient des zones géographiques très diversifiées.