(B2) Les ONG se rapprocheraient trop, et en trop grand nombre, des côtes libyennes. Cela favoriserait, voire encouragerait, le trafic d’êtres humains par les passeurs. L’accusation circule depuis des mois en Italie où la polémique a alimenté la Une des journaux. Cela correspond-il à la réalité ? Y-a-t-il des fondements à cette accusation, alimentée autant par les pouvoirs publics que par des responsables politiques ? Pas si sûr selon les éléments récoltés par B2 …
Les accusations se multiplient depuis plusieurs mois
Les flèches viennent de plusieurs origines. De l’agence européenne Frontex, qui vise plus particulièrement la jeune ONG Proactiva Open Arms, qui participe aux sauvetages de migrants en Méditerranée depuis janvier 2017, et de l’opération militaire européenne (dans son rapport de 2016,, le contre-amiral Credendino, le mentionnait, lire : La présence des ONG au large de la Libye : un effet d’aubaine pour les trafiquants ?). Du procureur sicilien de Trapani qui aurait ouvert une instruction qui ciblerait davantage des membres d’équipes de sauvetage qu’une ONG en particulier . Des médias enfin, jusqu’aux parlementaires italiens qui ont mené ces derniers mois des auditions notamment d’ONG présentes en Méditerranée (comme Médecins sans frontières et SOS Méditerranée) qui participent au sauvetage de milliers de personnes sur des embarcations partant des côtes libyennes.
… mais n’aboutissent pas
Après l’audition de multiples acteurs, aussi bien des garde-côtes italiens que des ONG, les sénateurs ont rendu leurs conclusions à la mi mai. Ils posent quelques préconisations, en partie rejetées par les ONG, qui sortent, de leur côté, plutôt lavées des maux dont on les accuse.
Décryptages
Tout est parti des déclarations de Frontex, en décembre, sur la base d’un rapport sur les possibles collusions entre ONG et passeurs (« smugglers »)… « Avec au passage une exploitation politique de la situation » dénonce Tommasi Fabbri dans une interview à B2. Pour le chef des opérations de Médecins sans frontières (MSF) en Italie, à bord du bateau Prudence depuis le début de l’année, si Frontex maintient que les ONG en étant trop présentes encouragent les passeurs, lui réaffirme qu’il s’agit là d’une « analyse superficielle qui ne prend pas en compte les facteurs qui poussent les gens à fuir la Libye. Toute cette complexité se résume à une analyse simpliste qui permet d’accuser les ONG et de détourner d’autres réflexions. Cette situation est déprimante car on déplace l’attention du vrai problème qui reste qu’il n’y a aucune réflexion sur les moyens de créer des voies légales d’accès à l’Europe pour des personnes qui fuient la Libye. »
Appel d’air ?
Les navires de sauvetage seraient trop présents, à la limite des eaux libyennes et cela encouragerait les passeurs, à embarquer des migrants sur des rafiots de fortune, sans même plus avoir besoin de téléphoner ?
C’est près des côtes que les naufrages sont les plus nombreux, expliquent les ONG. Selon le capitaine de navire Liardo, entendu par les sénateurs, la présence des ONG existe et a un impact significatif mais certainement pas déterminant pour expliquer à elle seule le nombre toujours plus élevé de passagers. La fin de la mission « Mare Nostrum » en octobre 2014 et, ensuite, le terrible naufrage d’avril 2015, ont été à l’origine de l’intervention, de plus en plus importante, d’ONG pour sauver les migrants en Méditerranée. Autrement dit pour compenser les lacunes des institutions, comme le dénoncent les associations, SOS Méditerranée ou MSF.
Plus de bateaux
Ce qui est vrai c’est que le nombre d’ONG patrouillant pour sauver des migrants a augmenté. Mais pas toute l’année. SOS Méditerranée, qui a fait sa première opération le 28 février 2016, depuis Lampedusa, n’a pas cessé depuis. C’était le seul bateau sur zone à patrouiller même les mois d’hiver car le bateau Aquarius a été adapté pour cela. « Nous savons où il faut aller pour sauver des vies, comme l’a fait Mare Nostrum entre 2013 et 2014, participant à secourir plus de 150 000 personnes à l’époque », explique à B2 Sophie Beau, co-fondatrice de SOS Méditerranée.
Connivence ?
Lors des auditions au Sénat, le commandant général des Gardes côtes, l’amiral inspecteur Vincenzo Melone, a catégoriquement récusé l’idée que les ONG aient rebouté du matériel comme le transpondeur. Il a aussi rappelé qu’un navire doit, selon le droit de la mer, porter assistance s’il a connaissance d’une situation dangereuse. Toutes les opérations de sauvetage sont coordonnées par l’IMRCC (le centre de coordination italien), comme le confirme Sophie Beau : « Nous patrouillons dans la même zone et nous intervenons sur signalement de la coordination italienne. Nous faisons un premier repérage car l’embarcation a pu dériver entre temps. Surtout quand nous recevons plusieurs signalements en même temps. Parfois on ne trouve pas de bateau, il y a sans doute beaucoup de disparitions ainsi non comptabilisées ». C’est aussi l’IMRCC qui indique le porte de débarquement des rescapés.
Policiers à bord ?
Les ONG ne sont pas là pour lutter contre ces trafics et ne participent pas directement aux enquêtes qui permettraient leur démantèlement. C’est en quelque sorte le reproche du procureur de Catane, Zuccaro. D’où l’idée reprise par les sénateurs italiens de placer des officiers de police à bord. Ce qui pose un certain nombre de problèmes de droit. Seule l’ONG Sea Eye ne s’est pas déclarée totalement opposée à l’idée. Tommaso Fabbri rappelle le devoir de « neutralité, d’impartialité et d’indépendance » de MSF, ce qui lui interdit de pouvoir accepter la présence d’un policier à bord d’un navire de sauvetage.
Financement à la loupe ?
Les sénateurs italiens émettent aussi l’idée de demander aux ONG plus de transparence dans leur financement. Sachant que ce sont effectivement des sommes importantes qui sont nécessaires. Environ 11 000 euros par jour pour l’Aquarius de SOS Méditerranée, qui ne compte qu’à peine 1% de fonds publics dans son budget.
Compléments d’information
Les sauvetages en mer se sont davantage fait sur observation que suite à un appel, comme c’était le cas en 2015 et déjà beaucoup moins en 2016. Selon l’amiral Melone, 55% des sauvetages l’ont été à partir d’observation en 2016, sachant que près d’un tiers de ces observations, sont du fait de navires d’ONG. Toujours d’après cet amiral, si les appels par téléphone ordinaires (en opposition aux satellites) ont augmenté ces deux derniers mois (en avril et mai 2017), c’est parce qu’ils étaient davantage émis près des côtes.
Bonne pression ?
A tout le moins, les sénateurs estiment que la pression mise sur les ONG aura peut être fait en sorte qu’elles collaborent davantage, comme MOAS qui aurait fourni des images captées par son drone dans l’enquête sur l’assassinant d’un migrant par un passeur de clandestin.
Une Europe myope ?
Accusant l’Europe d’être « myope dans la façon qu’elle a de regarder et d’analyser la situation », Tommaso Fabbri répète sa lassitude : « on est fatigué de répéter et devoir se défendre mais on continue notre action, on est en mer, et on sauve des gens. Ce n’est pas la solution, mais l’Europe et ses États membres ne prennent pas leurs responsabilités ». Il dénonce, comme Sophie Beau, la signature de l’accord de coopération entre l’Italie et la Libye, en février 2017, qui n’est qu’une suite selon lui « de l’externalisation de la gestion de nos frontières : On déplace le problème en Libye. Cela permet de ne plus le voir ». Les deux humanitaires se disent « très préoccupés par la situation des personnes actuellement en Libye ». Et déterminés « à continuer à travailler, en coordination comme nous l’avons fait jusqu’à aujourd’hui avec les gardes côtes, les ONG et le Centre italien de coordination des sauvetages en mer, basé à Rome ».
Malte coopère peu, Égypte et Tunisie ferment les yeux
Au passage, les sénateurs n’ont pas manqué d’envoyer de nouvelles flèches. Contre le centre de coordination de secours de Malte, jugé peu coopératif et peu actif. Tout comme l’Égypte et la Tunisie qui tourneraient autour de la convention de Hambourg (la résolution des Nations Unies sur le transport de marchandises en mer, l’Égypte ne l’ayant pas ratifié). Si de ce côté, aucune piste d’amélioration n’a été évoquée, en revanche, le ministère italien des Affaires étrangères s’attacherait à régler le problème de chevauchement de zones de responsabilité entre les italiens et Malte, autour de l’ile de Lampedusa.
Toujours plus de morts
Dans un récent communiqué (17 juin), l’ONG Médecins Sans frontières, rappelle que la traversée en Méditerranée a été encore plus meurtrière en 2016 pour les migrants qu’en 2015. « Au moins 5.000 hommes, femmes et enfants sont morts en tentant de traverser la Méditerrané en 2016, contre près de 2800 en 2015 » indique l’ONG, qui souligne surtout, que « ces données ne sont que des estimations, étant donné qu’il est très difficile de retracer l’intégralité des trajectoires et que de nombreux corps ne sont jamais repêchés ».
Un vrai far-west en mer
Certaines ONG ont reconnu être intervenues dans les eaux territoriales libyennes. SOS Méditerranée s’y refuse. Parce que c’est dangereux. « Le premier danger vient des gardes côtes dont on ne sait pas vraiment qui ils sont », assure Sophie Beau qui compare la situation à « un vrai far west en mer ». Récemment, MSF et SOS Méditerranée ont directement accusé la garde côtière libyenne d’avoir mis des vies en danger lors d’un sauvetage en Méditerranée. C’était le 23 mai. Les garde-côtes se sont approchés très près, entre deux interventions, ont menacé les passagers d’un canot, semant la panique, beaucoup ont sauté à l’eau, « heureusement nous avions distribué des gilets de sauvetage, car nous étions obligés d’aller faire une autre intervention, mais cela aurait pu être dramatique », témoigne Sophie Beau.
Pour les ONG, l’Union européenne devrait remettre en cause son soutien, l’aide de 90 millions d’euros, accordée à la garde-côtière libyenne.
(Emmanuelle Stroesser)
NB : Médecins Sans Frontières, opère en Méditerranée avec deux navires, Prudence, battant pavillon italien et en collaboration avec SOS Méditerranée, à bord d’Aquarius. SOS Méditerranée est une organisation française fondée en 2015, qui affrète le navire Aquarius, battant pavillon de Gibraltar, équipé d’une clinique pour les premiers soins.
Lire aussi :
(B2) Le patrouilleur de haute mer l’Adroit (P-725) a rejoint l’opération européenne Sophia de lutte contre les trafics en Méditerranée (EUNAVFOR MED), le 22 juin 2017. Sa mission sera essentiellement d’assurer le contrôle de l’embargo sur les armes et de participer activement à la collecte d’informations relatives au trafic maritime dans la zone. En vertu des règles d’engagement de la mission européenne, et de la résolution 2292 du Conseil de sécurité de l’ONU l’équipage de L’Adroit est habilité à opérer des visites, des fouilles, voire de dérouter des navires en haute mer.
Il relève le patrouilleur de haute-mer Commandant Blaison engagé depuis le 3 mai dernier. Durant ses deux mois de patrouille au large des eaux territoriales libyennes, le patrouilleur français a effectué plusieurs approches « amicales » avec des pêcheurs libyens et égyptiens. Ce qui permet d’avoir l’opportunité d’une connaissance mutuelle entre les acteurs locaux et les bâtiments de l’opération EUNAVFORMED Sophia. Il a surtout effectué une opération de visite sur une vedette libyenne suspectée de trafic d’armes, qui a conduit à la saisie de plusieurs armes et des munitions trouvées à bord, transférées ensuite sur le bâtiment français (Lire : Nouvelle saisie d’armes au large de la Libye. Le Commandant Blaison en action (V2)).
(NGV)
NB : L’Adroit est un navire innovant, léger, jaugeant 1500 tonnes, avec 32 personnels d’équipage, pouvant évoluer à 21 noeuds et accueillir un hélicoptère de type Dauphin ou Panther. Il n’est pas propriété de la Marine mais mis à disposition par l’industriel DCNS pour le tester dans toutes les conditions, bénéficier ainsi d’un retour d’expérience et du label « testé en mer » (utile pour un matériel promis à l’exportation).
(B2 – exclusif) Le géant américain de la vente internet, Amazon utiliserait-il la loi pour collecter des données personnelles de façon abusive ? On peut se poser la question.
Selon nos informations, puisées à de très bonnes sources, la société américaine prétextant « le paquet européen anti-blanchiment et anti-terroriste » demande à ses vendeurs de lui fournir non seulement les identités des gestionnaires de compte mais aussi des dirigeants et même des membres de toute association qui voudrait ouvrir un compte sur son site en ligne. Bref de quoi constituer un fichier vaste de personnes.
Nous avons demandé des informations sur ce fait. La réponse est relativement floue. Nous avons demandé quelle était la règle et l’article applicable. « Nous sommes tenus aux règles européennes » se justifie, de façon très laconique, Amazon.fr qui semble ainsi surfer sur des terminologies sécuritaires (loi anti-terrorisme, anti-blanchiment) pour imposer ses règles à lui. En insistant un peu, nous avons obtenu une seconde réponse, aussi floue que la précédente qui renvoie à un document général qui figure sur le site internet du ministère de l’Economie et des finances et résume le dispositif anti-terroriste sans référence aucune à l’obligation à laquelle se réfère l’industriel.
De la même façon, la compatibilité de ces obligations avec les règles en matière de protection des données (et de la CNIL en France) s’est heurtée à un défaut de réponse sidéral. La première demande s’est heurtée à une non-réponse. Puis sur notre insistance, est venu un : « Ecrivez au service juridique » répond le service d’assistance de la firme, dont le siège pour l’Europe est basé au Luxembourg, un petit paradis fiscal.
Commentaire : à l’heure où la lutte contre le terrorisme devient une priorité, la conformité des géants de l’internet aux règles européennes comme une certaine transparence dans leurs pratiques qui confine parfois à l’abus de position dominante, seraient souhaitables.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Précisons que le paquet européen s’adresse surtout aux banques et établissements financiers. A priori, Amazon ne ressort pas de cette catégorie… ou alors cela supposerait qu’il joue double face. D’un côté fournisseur d’un site de vente en ligne, et donc collecteur des revenus des ventes au profit des vendeurs ; de l’autre, utilisateur de cet argent pour des placements et autres.
(B2) Selon l’agence Frontex, il y a eu environ « 27.000 « détections des passages frontaliers illégaux sur les quatre principales routes migratoires vers l’UE en mai ». Un nombre en diminution de 75%, au cours des cinq premiers mois de 2017, par rapport à la même période de l’année dernière – où ce chiffre atteignait 84.000.
+77% en mai par rapport à avril au large de l’Italie
Ce chiffre ne doit pas cacher que c’est la Méditerranée centrale qui désormais est la voie principale d’arrivée : trois migrants sur quatre arrivés en Europe cette année sont venus à travers l’Italie. En mai, le nombre de migrants arrivant en Italie par la voie de la Méditerranée centrale a augmenté de 77% d’avril à 22.900. Soit 60.000 depuis le début de l’année (+ 26% que pour la même période de 2016). Parmi eux, principalement des Nigerians, des Bangalis et des Ivoiriens, qui représentaient le plus grand nombre de migrants.
Grèce : augmentation mais très relative…
Le nombre de migrants arrivant en Grèce par les voies maritimes et terrestres en mai a augmenté de 31% par rapport au mois précédent se montant à plus de 2.240, en grande partie grâce à l’amélioration des conditions météorologiques. Le chiffre était semblable en mai 2016. Au cours des cinq premiers mois de l’année, quelque 9.900 migrants ont atteint les îles grecques, soit 94% de moins que dans la même période de 2016. Les Syriens et les Irakiens constituent la majorité du flux de la Méditerranée orientale en mai. NB : Des demandeurs d’asile potentiels. Ce qui distingue cette route de la route de Méditerranée centrale.
… et au large de l’Espagne
On assiste à une légère recrudescence dans l’Ouest de la Méditerranée avec un nombre de détections des passages frontaliers illégaux qui a plus que doublé au cours des cinq premiers mois de l’année par rapport à la même période de 2016 à près de 6.000, « en grande partie en raison d’une activité accrue aux frontières terrestres des enclaves espagnoles de La Ceuta et Melilla en Afrique du Nord ».
Faible trafic dans les Balkans
Dans les Balkans, le nombre de détections de passages frontaliers illégaux, reste « faible», « semblable au mois précédent ». Les raisons de cette baisse importante au cours des derniers mois sont le fait que « moins de migrants quittent la Turquie par ses frontières terrestres vers les Balkans occidentaux » signale l’agence Frontex. NB : L’accord UE-Turquie tient donc , malgré tous les impondérables politiques.
(NGV)
(1) L’agence Frontex dresses des statistiques sur le nombre de détections du franchissement illégal des frontières aux frontières extérieures de l’Union européenne. Le nombre de migrants réels est donc inférieur. Une même personne peut tenter de traverser la frontière illégalement plusieurs fois à différents endroits. NB : Cette notion de multiple détection diminue largement en Méditerranée centrale où le choix est assez binaire : arrivée ou noyade.