C’est un véritable doigt d’honneur que la Commission adresse à la médiatrice, au Parlement et aux médias. En effet, les réponses adressées vendredi aux sept questions adressées par Emily O’Reilly, l’ombudswoman de l’Union, à l’exécutif européen, saisie d’une plainte sur les conditions de la nomination de l’Allemand Martin Selmayr au poste de secrétaire général, sont proprement sidérantes de mépris et d’arrogance. Même le site Politico.eu, qui a volé au secours de Selmayr, en est resté, ce matin, comme deux ronds de flan. Dans la lignée du « droit de réponse » que m’a adressé le porte-parole de l’institution, le Grec Margaritis Schinas, la Commission persiste à affirmer que toutes les règles ont été parfaitement respectées et qu’affirmer le contraire n’est que malveillance et « fake-news ».
Après la résolution du Parlement européen du 18 avril, on aurait pourtant pu s’attendre à ce que l’exécutif européen fasse profil bas et joue l’apaisement. Mais c’est mal connaître Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et Selmayr, les deux hommes étant liés par une hubris sans limites. Les eurodéputés n’ayant pas osé provoquer la chute de la Commission, tout en jugeant la nomination de Selmayr illégale, ils se sentent désormais intouchables et le montrent sans vergogne.
Des «fake news» partout !
Ainsi, la Commission n’hésite pas à affirmer que sa communication a été parfaite (question 7) alors qu’elle a menti et dissimulé les faits à de nombreuses reprises. Une communication entièrement dirigée par Selmayr, faut-il le préciser ? La Commission estime avoir été victime d’une « campagne négative »de la part de certains médias (évidemment je suis visé), affirme que de « fausses informations ont été répandues »,de « fausses explications »ont été données et, pire, que des « données personnelles »ont été « utilisées illégalement » ! Un ton menaçant digne d’une démocratie illibérale. Si tout cela est vrai, on se demande pourquoi la Commission n’a pas poursuivi en justice ces journalistes qui ont osé enquêter et publier ces « fake news » ?
Le Parlement européen au pilori
Il n’y a pas que les médias qui sont visés par la colère de Selmayr, le secrétaire général tenant évidemment la plume de ces réponses, exactement comme il l’a fait pour les questionnaires de la Commission de contrôle budgétaire du Parlement. Les eurodéputés en prennent pour leur grade pour avoir qualifié sa nomination de « coup de force à la limite de la légalité, voire dépassant cette limite » (question 1). Jouant l’idiote, la Commission estime qu’« un coup se définit comme une prise de pouvoir soudaine, violente et illégale » « par l’armée ou d’autres élites au sein de l’appareil d’État » : « la Commission ne comprend pas comment une décision du collège des commissaires, proposée par le président et approuvée unanimement par tous les membres de la Commission peut être comparée à un coup de force ».Le fait que le collège, composé de commissaires qui font la preuve depuis quatre ans de leur faiblesse politique, ait couvert un acte illégal ne signifie absolument pas qu’il n’y ait pas eu « coup de force ». À la différence d’un coup d’État militaire, on peut piétiner l’État de droit sans avoir recours aux forces armées comme le démontrent tous les jours la Pologne ou la Hongrie... On comprend au passage pourquoi Selmayr veut laisser tomber l’article 7 contre Varsovie.
On peut d’autant moins parler de « coup de force » que, selon la Commission, la nomination de Selmayr « respecte toutes les règles, dans leur lettre et dans leur esprit »… Or, c’est justement le contraire que le Parlement et les journalistes qui se sont intéressés à l’affaire ont soigneusement démontré. Qu’importe : toutes les critiques sont bâties sur « une série d’allégations infondées, de fausses informations et, en général, elles tendent à vouloir remettre en cause le pouvoir de la Commission de nommer ses hauts fonctionnaires »(question 2)… Bref, ce sont non seulement les journalistes qui sont des crétins malveillants, mais les députés européens.
Avant la ruine vient l’orgueil
Pour l’exécutif européen, il s’agit d’une non-affaire puisque le SelmayrGate n’a pas nui à la réputation de l’Union. Pour le prouver, il brandit (question 2) le dernier Eurobaromètre qui montre que la confiance dans l’Union et plus particulièrement à l’égard de la Commission a augmenté. Qu’importe qu’il ait été réalisé avant l’affaire…
Bien sûr, une nouvelle fois, les commissaires n’ont pas été consultés sur ces réponses, mais ils vont les avaliser comme ils l’ont toujours fait, terrorisés qu’ils sont par Selmayr. Le Parlement européen, lui, se retrouve Gros-Jean comme devant. Et Emily O’Reilly sait déjà que si elle rend un avis négatif sur cett nomination, cela ne servira strictement à rien, le mépris de la démocratie et des contre-pouvoirs étant la marque de fabrique d’une Commission Juncker qui se sera ouverte sur les Luxleaks et se termine par le Selmayrgate.
Cela étant, comme me le confiait un eurodéputé allemand influent, il suffit d’être patient : la chute de Selmayr interviendra en même temps que Juncker partira à la retraite. Comme le dit un proverbe allemand, « Hochmut kommt vor dem Fall » : « avant la ruine, vient l’orgueil ».
N.B.: montage réalisé par les Grecques (groupe anonyme de bas fonctionnaires européens)
Rencontre entre le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki et le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, en janvier
Les conservateurs allemands sont prêts à vendre leur âme au diable afin de conserver le contrôle qu’ils exercent sur l’Union européenne depuis près de 15 ans. Selon nos informations, la CDU-CSU, le parti de la chancelière Angela Merkel, est à la manœuvre pour faire adhérer au PPE (Parti populaire européen) ou au moins au groupe politique PPE au Parlement européen, leurs relais d’influence dans les institutions communautaires, Droit et Justice (PiS), le parti de Jaroslaw Kaczynski au pouvoir en Pologne. Afin de faciliter ce rapprochement, Jean-Claude Juncker, l’actuel président PPE de la Commission et son âme damnée, l’Allemand Martin Selmayr, secrétaire général de l’exécutif européen et proche de la CDU, veulent abandonner les poursuites engagées contre la Pologne accusée de violer gravement l’Etat de droit… Si cette adhésion se réalisait, le PiS rejoindrait sur les bancs du PPE le Fidesz du Hongrois Viktor Orban, ce qui accentuerait la dérive droitière et eurosceptique du PPE qui fut longtemps démocrate-chrétien et fédéraliste européen.
Le PiS à la manoeuvre
C’est le PiS qui a entamé les travaux d’approche depuis quelques mois. Avec le départ programmé des conservateurs britanniques, fin mars 2019, le groupe de l’ECR (Conservateurs et réformateurs européens) dans lequel ils siègent ensemble, va voir ses effectifs fondre et il y a peu de chance qu’il demeure le troisième groupe politique du Parlement (sur huit). Or siéger dans un groupe marginal, surtout pour un parti de gouvernement, c’est la certitude de n’avoir aucune influence. Le Brexit va aussi renforcer l’isolement du PiS au sein du Conseil des ministres et surtout du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement.
Le PiS a pu toucher du doigt le prix à payer lorsqu’on n’appartient à aucune famille politique européenne. Alors que Viktor Orban peut se permettre d’instaurer dans l’indifférence générale des institutions européenne une démocrature dans son pays, le PPE ayant à cœur de protéger les siens, le PiS s’est retrouvé mis à l’index par la Commission, celle-ci l’accusant de violer l’État de droit en plaçant sous sa coupe le système judiciaire : le 20 décembre 2017, elle n’a pas hésité à dégainer pour la première fois l’arme lourde de l’article 7 du traité sur l’Union qui peut aboutir à priver le pays de son droit de vote au sein de l’Union…
Rejoindre le PPE est donc l’assurance pour le PiS de trouver un répit. Mais ce rapprochement ne serait pas possible sans l’affaiblissement de Jaroslax Kaczynski, le leader du PiS et vrai patron de la Pologne, hospitalisé pendant un mois et qui vient de sortir de l’hôpital. Selon de multiples sources européennes, sa santé s’est considérablement dégradée. Or, par son europhobie quasi-pavlovienne, c’est la principale hypothèque à une relative « normalisation » du PiS. La danse d’amour entre le PPE et le PiS indiquerait donc que l’après-Kaczynski a commencé…
Des Allemands très réceptifs
Ces appels du pied appuyés du PiS rencontrent un écho très favorable parmi les chrétiens-démocrates allemands. Ainsi, l’Allemand Manfred Weber, membre de la très à droite CSU bavaroise et patron du groupe PPE, s’inquiète des pertes que son groupe ne manquera pas d’enregistrer en mai 2019 (selon les sondages, il passerait de 219 députés à environ 180), même s’il restera sans doute le premier du Parlement. De fait, le parti populaire espagnol, le plus fidèle soutien de la CDU-CSU, vient de perdre le pouvoir et devrait se faire étriller (17 députés actuellement), tout comme Forza Italia (11), LR (20) ou encore la Plateforme civique polonaise, le parti de Donald Tusk, l’actuel président du conseil européen (22).
Dès lors une adhésion du PiS pourrait permettre de limiter la casse, même s’il traverse actuellement un trou d’air dans les sondages. La perte de PO, elle aussi bien mal en point, serait largement compensé par l’arrivée du PiS, qui plus est un parti au pouvoir qui sera sans doute reconduit lors des prochaines élections. Manfred Weber espère surtout qu’une telle adhésion sécurisera définitivement sa candidature comme tête de liste du PPE (le PiS n’ayant alors rien à lui refuser) et donc comme probable président de la Commission. En effet, le système des Spitzenkandidaten, inauguré en 2014 avec le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, garantie à la tête de la liste arrivée en tête aux Européennes qu’il prendra les rênes de l’exécutif européen.
Martin Selmayr joue sa survie
Cette manoeuvre est aussi dans l’intérêt de l’Allemand Martin Selmayr, le vrai patron de la Commission, Juncker n’étant plus que l’apparence du pouvoir. Après sa promotion très contestée au poste de secrétaire général, il cherche à sécuriser sa place. C’est donc pour complaire à Manfred Weber, qui serait alors son obligé comme président de la Commission, qu’il a essayé, la semaine dernière, de lever la procédure de l’article 7 contre la Pologne, celle-ci étant un empêchement dirimant à toute adhésion au PPE. Il s’est pour l’instant à un front uni des commissaires socio-démocrates et libéraux, une première, lui qui a toujours réussi à imposer ses vues. Mais Selmayr n’a pas dit son dernier mot, d’autant que le PPE est majoritaire au sein du collège des commissaires.
Cela étant, au sein même du PPE, la perspective d’une adhésion du PiS, passe très mal. Il y a deux semaines, lors d’une réunion du groupe, une majorité de délégations nationales (dont la Française et la Néerlandaise) ont fait savoir à Weber qu’il s’agirait d’un cassus belli, ce qui a quelque peu refroidi son enthousiasme. Pour ces élus, le PPE y perdrait le peu de ce qui reste de son âme europhile. Cela étant, à l’approche des élections, et face à la perspective d’un groupe En Marche conséquent qui pourrait s’allier aux socio-démocrates et aux Verts pour s’emparer de la Commission et des postes de pouvoir au Parlement, il est loin d’être exclu que le principe de réalité ne pousse les conservateurs à accepter parmi eux le PiS. Au final, ce seront les Allemands qui décideront, comme toujours.
N.B.: Manfred Weber a démenti notre article dans un tweet du 15 juin : «Nous démentons formellement. Il n’y a ni aspiration à faire entrer le PiS au #PPE ni discussions à ce sujet. Le @EPPGroup soutient pleinement la procédure lancée par la @EU_Commission à l’encontre du gouvernement polonais». Il s’est aussi fendu d’un article dans L’Opinion pour dénoncer la loi imposant aux juges constitutionnels un âge limite. Néanmoins, je maintiens l’ensemble de mes informations. Des contacts ont bien eu lieu et la Commission a bien cherché à laisser tomber l’article 7.
N.B. 2: Article paru dans Libération du 2 juin
Et si Donald Trump était une chance pour l’Union européenne ? Confrontés à l’imprévisible président américain, les Européens ont d’abord fait le pari que la raison finirait par l’emporter, une fois que le nouveau locataire de la Maison-Blanche aurait pris ses marques et que les contre-pouvoirs prévus par la Constitution américaine auraient commencé à jouer. Si, sur le plan intérieur, cela a partiellement fonctionné, en matière internationale, ce n’est pas ce qui s’est passé. Non seulement parce que le président des États-Unis dispose de larges pouvoirs dans ce domaine, mais parce qu’il peut, par simple refus de jouer le jeu diplomatique, bouter le feu à la planète, comme le G7 québécois en a fourni la démonstration. Les Européens ont désormais la certitude qu’ils ne sont plus considérés par Washington comme des alliés naturels, mais comme des ennemis potentiels, ce qui bouleverse l’ordre international hérité de la Seconde Guerre mondiale.
Un unilatéralisme pas si nouveau
Il serait inexact de croire que l’unalitéralisme américain est une novation. Jusqu’à la mise en place de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en janvier 1995, il était même la règle et il le reste encore en partie, comme l’ont montré les sanctions qui ont frappé les banques européennes qui ont osé utiliser le dollar pour commercer avec des pays placés sous embargo par les États-Unis, comme l’Iran. La différence, aujourd’hui, est le refus assumé de Trump de jouer le jeu du multilatéralisme, au point même de remettre en question l’existence de l’OMC : ce n’est pas un hasard si la Maison-Blanche n’a toujours pas désigné ses juges au sein de l’Organe de règlement des différents (ORD) de l’OMC, ce qui va paralyser à terme cette justice commerciale internationale. Ce qui est totalement nouveau aussi, c’est l’extrême brutalité de Trump qui clame via Tweeter ses oukases, refuse de toute négociation, est incapable de tenir parole et est d’une mauvaise foi sidérante.
Ainsi, à Bruxelles, on souligne que Trump, qui a annoncé son intention de frapper les importations automobiles européennes, « affirme que nos tarifs douaniers sur les voitures américains sont de 10% contre 2,5 % aux États-Unis. Mais il oublie de dire que les droits de 10 % ne touchent qu’un milliard d’euros des importations américains sur un total de 6,5 milliards, seules les voitures ne comportant aucune pièce européenne étant pleinement taxées ». De même, les camions européens sont taxés à 25% contre 22% pour les américains, le textile européen supporte des droits de 32% contre 12% pour le textile américain, les produits agricoles européens ne peuvent quasiment pas entrer aux États-Unis, etc..
L’Union occupe la place laissée par les Etats-Unis
Face à cette brutalité, la placide Commission n’a eu d’autre choix que de taper du poing sur la table au lendemain de l’imposition de droits de douane sur l’acier et l’aluminium européen, le 31 mai, en attaquant les États-Unis devant l’OMC. Mieux, des mesures de rétorsion sur près de 3 milliards d’euros d’importations américaines devraient entrer en vigueur début juillet. Profitant de ce retour de l’isolationnisme américain, une première depuis la crise de 1929, l’Union a occupé sans hésiter l’espace laissé libre : elle a signé un accord commercial inespéré avec le Japon et s’apprête à conclure avec le Mexique et le Mercosur et, à terme, avec l’Australie ou encore la Nouvelle-Zélande. Et elle compte bien profiter de la stupidité de l’administration Trump : ainsi le Mexique va annoncer l’ouverture d’un quota d’importation de viande porcine de 350.000 tonnes pour pallier le retrait américain (à comparer avec les 90.000 tonnes de bœufs que le Mercosur aimerait importer dans l’Union et qui font polémiques…)
L’OTAN affaibili
La prochaine étape de la guerre déclenchée par Trump contre ses (ex ?) alliés pourrait bien avoir lieu lors du sommet de l’OTAN de Bruxelles des 11 et 12 juillet: si les Européens restent attachés au parapluie américain, faute d’avoir les moyens à brève échéance de faire face seuls aux dangers qui les menacent, ils savent qu’il est déjà en train de se replier : Trump a qualifié, lors de sa prise de fonction, d’obsolète l’Organisation atlantique, et il n’a pas l’intention de continuer à payer pour la défense des Européens. Mais là aussi, les Européens vont avoir du mal à tourner une page de 70 ans : iront-ils jusqu’à acheter du matériel militaire européen pour envoyer un signal aux États-Unis ? On peut en douter. Or la dépendance militaire implique la dépendance économique…
Si l’Europe a su, pour l’instant, se montrer unie face aux menaces extérieures (Trump et Brexit), elle est elle-même gagnée par la fièvre « populiste », comme en Italie, en Hongrie, en Pologne ou encore en Slovénie, ce qui porte en germe le risque de désintégration. Ce n’est pas pour rien que certains proches de Trump se réjouissent de l’avènement de ces gouvernements. Et le président américain n’a jamais caché qu’il détestait l’Union, au point d’ailleurs de ne toujours pas avoir nommé d’ambassadeur à Bruxelles, depuis le licenciement brutal d’Anthony Gardner en décembre 2016… C’est pour éviter cette catastrophe que l’Allemagne, qui a besoin de l’Union pour résister à Trump, puisqu’elle sera la première touchée par la guerre commerciale qui s’annonce, et plus généralement pour assurer sa sécurité, a enfin commencé à bouger sur l’approfondissement de l’Union. Après de longs mois de silence, Angela Merkel et son ministre social-démocrate des finances, Olaf Scholz, ont enfin reconnu la nécessité d’instaurer un minimum de solidarité financière au sein de la zone euro, comme le réclame Emmanuel Macron, seul moyen de garder les Italiens, mais aussi les autres pays du sud, à bord et de les détourner des tentations europhobes. Un beau retournement dialectique : les populistes europhobes au secours de l’Europe…
N.B.: version longue de mon article paru le 11 juin
Le refus d’accueillir dans les ports italiens l’Aquarius et ses 629 migrants est brutal. Mais au-delà de l’émotion suscitée par cette décision sans précédent, très largement dû au fait qu’elle émane d’un ministre de l’intérieur d’extrême droite, Matteo Salvini, leader d’une Ligue qui a fait de la xénophobie son fonds de commerce, rares sont ceux qui, à Bruxelles, condamnent ce geste spectaculaire.
Car cela fait des années que l’Italie est laissée seule face aux arrivées de migrants en provenance de Libye, comme avant elle la Grèce. « Aucun pays ne s’est montré solidaire de Rome, alors que régulièrement le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement affirme, à l’unanimité, la nécessité de ne pas la laisser seule », souligne-t-on à Bruxelles. Un abandon européen qui explique en bonne partie la défaite du partie Démocrate et l’arrivée au pouvoir des démagogues du Mouvement 5 Etoiles alliés à l’extrême droite de la Ligue.
Ne pas oublier Malte
L’attitude de Malte qui a, elle aussi, refusé d’accueillir l’Aquarius, et ce n’est pas une première, en est la démonstration, alors que l’île est gouvernée par les travaillistes. C’est finalement le nouveau gouvernement socialiste espagnol qui a sauvé l’honneur, à la grande satisfaction de Rome : « De mémoire de citoyen, c’est la première fois qu’un bateau ayant secouru des migrants en Libye les débarquera dans un autre port qu’un port italien, c’est le signe que quelque chose est en train de changer », s’est ainsi félicité Matteo Salvini.
De fait, tous les pays européens qui participent aux différentes opérations de Frontex (1) en Méditerranée (Poséidon au large de la Grèce, Aeneas, au large de l’Italie, à laquelle a succédé Hermès, puis Triton et enfin Thémis), ont toujours posé comme condition que les migrants sauvés ne pouvaient être ramenés qu’en Italie et non pas dans le pays du pavillon du navire qui les avaient sauvés (2) alors que la Péninsule a accueilli, depuis 2013, plus de 700.000 migrants arrivés par bateaux. Paris, furieuse de voir arriver des étrangers sans papier chez elle, a même rétabli les contrôles à la frontière italienne et pratique une chasse impitoyable aux migrants.
Les erreurs de la Commission
La Commission, elle-même, ne s’est pas montrée très compréhensive. Fin 2015, poussé par une Allemagne qui venait d’ouvrir ses frontières à près d’un million de demandeurs d’asile et de migrants provenant de Grèce et qui voulait mettre fin à cet afflux, l’Allemand Martin Selmayr, alors chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, a ainsi ouvert deux procédures d’infraction contre la Grèce, un État en faillite, et l’Italie parce qu’ils n’avaient pas créé suffisamment de « hotspots » pour prendre les empreintes de tous les arrivants (afin de nourrir le système Eurodac). Une catastrophe politique pour Matteo Renzi, alors Premier ministre, et une bénédiction pour les « populistes » à qui Selmayr a fourni un argument de campagne en or. A la suite de cette affaire, le membre italien du cabinet Juncker a démissionné avec pertes et fracas…
Le problème est que la crise de l’Aquarius arrive à contretemps, la « vague migratoire » étant bel et bien passée. Désormais, les arrivées sont revenues à leur niveau d’avant 2015 : au 6 mai, l’Italie n’a enregistré que 9657 arrivées depuis le début de l’année, soit une diminution de 77 % par rapport à la même période de 2017. « L’Aquarius, c’est largement du show », remarque-t-on à la Commission. Mais, convient-on, cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut pas trouver des solutions durables en cas de nouvel afflux.
Dublin dans les choux
Or, si un corps européen de gardes-frontières, aux effectifs encore symboliques (1500 personnes), mais qui vont considérablement augmenter dans les prochaines années, a été créé en 2015, la solidarité entre États membres est toujours un vœu pieux et le restera pour longtemps. Il n’est pas question de remettre en cause le droit de chaque pays d’accueillir ou non un étranger arrivant sur son sol et, en matière d’asile, c’est le premier pays d’arrivée qui reste, en principe, seul responsable du traitement de la demande (règlement dit de Dublin). La Commission et une majorité d’États ont bien essayé de rendre obligatoire durant deux ans la relocalisation d’une partie des demandeurs d’asile (et non leur séjour permanent), mais ce règlement est un échec, les pays d’Europe de l’Est refusant d’accueillir des étrangers dont ils ne veulent pas, les musulmans en clair. La proposition de réforme du règlement de Dublin, qui visait à rendre permanente la relocalisation des demandeurs d’asile, est totalement bloquée et ne verra jamais le jour en l’état.
Ce qui peut se comprendre : comment obliger un État à accueillir des personnes dont il ne veut pas et surtout comment contraindre des êtres humains à se rendre dans des pays où ils ne veulent pas aller ? Et la période récente a montré qu’il ne fallait pas compter sur la bonne volonté des États, d’autant que l’Allemagne, qui a voulu se montrer généreuse, l’a payé cher avec la percée de l’extrême droite de l’AfD. Un remède à la solidarité. Ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron, qui avait critiqué durement, pendant la campagne présidentielle, cette absence de solidarité européenne a vite remisé ses promesses.
Pour Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS et professeur associé à Yale, « l’Europe joue la survie de son espace de libre circulation intérieur dans cette affaire. Si elle ne veut pas voir les frontières ressurgir partout, elle n’a pas d’autres choix que de trouver des mécanismes de solidarité pour soulager les pays de la ligne de front ». Cela passera aussi par des accords avec les pays tiers, comme ceux conclus avec la Turquie ou le Maroc, afin que ceux-ci assurent le contrôle de leur littoral, et des accords de réadmission avec les pays d’origine pour les étrangers qui ne seront pas admis au séjour. Le gouvernement italien vient utilement de rappeler aux Européens qu’ils doivent sortir du déni : on ne peut à la fois vouloir sauver les migrants de la noyade et se laver les mains de leur sort.
(1) L’agence européenne chargée de coordonner le contrôle des frontières extérieures de l’Union.
(2)Près de 900.000 personnes ont ainsi été sauvées depuis 2015 dans toute la Méditerranée.
N.B.: article paru dans Libération du 13 juin