La fin du cauchemar, pour la Grèce et pour ses partenaires, est pour bientôt : le 21 août, Athènes sortira de son troisième programme d’aide européen depuis qu’elle a fait faillite au printemps 2010 et devra se financer à nouveau sur les marchés. Les ministres des Finances de la zone euro se sont retrouvés jeudi soir à Luxembourg pour libérer la dernière tranche d’aide financière promise et pour essayer d’alléger le fardeau de la dette (178 % du PIB), essentiellement détenue par le Mécanisme européen de stabilité (MES) et les États de la zone euro. Mais il n’est pas question de faire de cadeaux à Athènes : elle restera donc sous surveillance pour de longues années, jusqu’au remboursement du dernier euro, afin d’évite que ses comptes publics dérivent à nouveau. En clair, la Grèce va bénéficier d’un régime de semi-liberté.
La Grèce est un cas unique dans la jeune histoire de la zone euro : premier pays à bénéficier d’un plan d’aide de ses partenaires, elle est le dernier pays à en sortir. En effet, l’Irlande (2010-2013), le Portugal (2011-2014) et Chypre (2013-2016) ont tous réussi à se redresser dans le délai imparti, c’est-à-dire en trois ans. Tous ont renoué rapidement avec la croissance, Lisbonne se payant même le luxe, en 2016, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, de rompre avec l’austérité prônée par Bruxelles afin de relancer avec succès son économie.
L’échec de la Grèce à s’affranchir rapidement de la tutelle de Bruxelles a de multiples causes. La première est européenne : jamais la Grèce n’aurait dû entrer dans la zone euro en janvier 2001 : non seulement son économie n’était absolument pas prête à supporter un tel choc, mais elle a menti sur la réalité de son déficit public pour se qualifier, comme elle le reconnaitra elle-même en 2004, un aveu qui restera sans conséquence.Ensuite, au lieu d’achever la construction monétaire, l’Union s’est contentée de vivre sur l’acquis du traité de Maastricht de 1992. Résultat : lorsque la crise financière américaine de 2007-2008 s’est transformée en crise de la dette dans la zone euro, elle n’avait aucun instrument à sa disposition pour la gérer. Elle a donc dû les bricoler dans l’urgence, ce qui a été d’une rare complexité, en particulier parce que l’Allemagne a été particulièrement réticente à aider la Grèce. Mais les ratés ont été nombreux, les institutions européennes n’étant absolument pas équipées pour gérer l’économie d’un pays.
Surtout, elles ont montré une ignorance absolue de ce qu’était la Grèce moderne qui thésaurisait sur son image de « berceau de la démocratie » et qui était parvenue à faire croire qu’elle vivait un « miracle économique ». En réalité, elle a vécu à crédit pendant dix ans en profitant des taux bas procurés par l’euro, un argent facile qui a servi uniquement à soutenir la consommation, et non à investir dans l’économie réelle. En outre, Bruxelles n’a pas voulu voir que l’État grec était corrompu, clientéliste et prévaricateur… Fin 2009, lorsque le nouveau gouvernement socialiste a reconnu que ses prédécesseurs conservateurs avaient divisé par trois le déficit réel, il était trop tard pour enrayer la panique des marchés qui se sont débarrassés à tour de bras de la dette grecque entrainant le pays à la faillite, les taux d’intérêt demandés étant impayables.
Malgré cela, les Européens ont continué à faire confiance à un État largement inexistant pour mener à bien les réformes, ce qu’il était bien incapable de faire. Les politiques grecs ont longtemps refusé de voir la gravité de la situation de leur pays, retardant au maximum les réformes afin de préserver leur clientèle électorale. Ainsi, c’est Antonis Samaras, Premier ministre conservateur, qui a fait dérailler la sortie de la Grèce du second plan d’aide, à la mi-2014, en refusant de poursuivre des réformes pourtant restées largement théoriques en dehors des coupes dans les salaires et les retraites. C’est toute la différence avec l’Irlande, le Portugal ou Chypre doté d’États fonctionnels.
Finalement, c’est Alexis Tsipras, le leader de Syriza, un parti de gauche radicale devenu social-démocrate, parvenu au pouvoir en janvier 2015, qui se montrera le meilleur élève de Bruxelles. Après avoir engagé un bras de fer contre ses partenaires de la zone euro qu’il ne pouvait gagner, la menace d’une sortie de la Grèce de la zone euro ne faisant plus peur à personne, le jeune premier ministre a capitulé en juillet 2015 après avoir gagné un référendum contre l’austérité et a appliqué depuis avec zèle les réformes voulues par l’Eurogroupe.
Si aujourd’hui l’économie va bien, la croissance explose, le chômage se résorbe rapidement, le pays n’est pas encore tiré d’affaire : à partir de 2023, il devra commencer à rembourser l’énorme dette qu’il a contractée auprès de ses partenaires en dégageant sur le long terme un surplus primaire de 3,5 % du PIB (donc avant la charge de la dette) que tous les économistes jugent irréalistes. L’idée est donc de prolonger la durée des prêts de 2059 à 2069 (les taux sont quasiment à zéro). Même si l’Allemagne refuse encore de l’admettre, il faudra bien qu’un jour la zone euro prenne ses pertes si elle veut se débarrasser du « boulet grec » une bonne fois pour toutes et permettre à ce pays de recouvrer sa pleine liberté.
N.B.: article paru dans Libération du 22 juin